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LE CHATEAU DE LA GRATIONNAYE A MALANSAC

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Non loin de Rochefort-en-Terre, cité touristique et gastronomique bien connue, le château de la Grationnaye s'élève sur le plateau de Malansac face à la très ancienne forteresse de Rochefort.

Château de Malansac (Bretagne).

La construction primitive de la Grationnaye, un simple bâtiment rectangulaire dont la façade était agréablement orientée vers le midi, doit son nom à une famille Gratien. Elle a appartenu à Olivier Filipot décédé en 1427, puis à sa fille Jeanne qui épousa en 1440 Jean Macé. De leur fils Ernest Macé cette habitation passa en 1536 à Pierre Macé, puis à Alain Macé qui épousa Claude Rado de la maison du Matz, en Caden.

Alain Macé vendit son manoir le 12 novembre 1581 â François de Talhouët époux de Valence du Boishorand. Cette cession fut conclue à charge de payer à la Cour de Rochefort dont la Grationnaye relevait « à foi et hommage » douze chapons de rente annuelle, plus une rente viagère de vingt écus d'or à Messire Jean Fouais, prétre, pour entretien dans l'état sacerdotal, et enfin 1 456 écus d'or. Le nouveau seigneur fut mis en possession le 15 du même mois et en fit son habitation. A l'extrémité ouest du bâtiment initial, il fit construire une grande tour carrée qui porte la date de 1585 encore très visible, gravée dans une petite dalle de schiste ardoisier incorporée dans le mur. On voit aussi sous la grande fenêtre du deuxième étage l'inscription suivante : « F.D. Talhouêt - V. du Boaisor ». Trois belles cheminées en pierre taillée sont encore très bien conservées.

François de Talhouët quitta la Grationnaye pour guerroyer aux côtés du duc de Mercœur gouverneur de Bretagne. Le 14 mars 1589 il assura la prise de Rennes par les troupes de Mercœur en lutte contre les réformés et fut nommé maréchal de camp de l'armée catholique. A Châteaugiron il contribua grandement à la défaite du comte de Soissons, lieutenant général du roi en Bretagne. A la suite de quoi il fut nommé gouverneur de la ville de Redon alors place forte qui commandait le passage de la Vilaine et les communications avec la mer et le comté Nantais. En tant que commandant de cette place il poursuivit la guerre contre certains châteaux des environs qui étaient aux mains des réformés. Dans cette action il fut amené en 1594 à s'emparer du château de Rochefort et à le brûler car Rochefort était alors un poste très important pour les huguenots.

La conversion du roi Henri IV ébranla fortement certains ligueurs, dont Talhouët qui songea dès lors à traiter avec l'armée royaliste puisque le roi était maintenant catholique. Mercœur qui avait des ambitions politiques cherchait à gagner du temps et à retenir ses lieutenants dans son camp malgré les progrès constants de l'armée royaliste. Finalement, Talhouët offrit au roi ses services pour chasser les Espagnols qui avaient été appelés en Bretagne par les ligueurs dès avant 1592. Et il ferma les portes de Redon à son ancien allié Mercœur. Après la rupture des conférences d'Ancenis entre les plénipotentiaires envoyés par le roi et Mercœur, c'est au maréchal d'Aumont que Talhouët, le 2 juillet 1595, vint apporter sa soumision au roi. Il conservait le gouvernement de Redon et était nommé maréchal de camp des armées royales. Par brevet du 24 janvier 1596 il reçut le collier de l'ordre de St-Michel et le 6 mars 1596 fut nommé pensionnaire du roi. Sur la façade sud du grand pavillon carré qu'il construisit à la Grationnaye on voit encore une pierre sculptée représentant ce collier entourant des armoiries qui ont été martelées probablement pendant la révolution. François de Talhouët mourut en 1606 et son vaste patrimoine dût être divisé entre ses héritiers.

Valentin, le cinquième enfant né en 1596 était mineur à la mort de son père et fut placé sous la tutelle de son frère aîné René. Le 11 octobre 1621 il épousa Jeanne Le Lagadec, après quoi, pour faire droit aux réclamations qu'il renouvelait en vain vis-à-vis de son frère René, sa mère lui fit don de la Grationnaye le 17 août 1630, cession confirmée en 1641 et reprise en 1652. C'est à lui très probablement que nous devons le beau corps de logis principal tel qu'on l'aperçoit de la route et en descendant la large avenue qui conduit tout droit à la cour intérieure du château. Le majestueux escalier en granit de Pluherlin, qui est incorporé dans la construction de ce corps de logis, porte la date de 1641. Il est encore comme neuf malgré le temps passé. L'étage du haut de ce bâtiment central comporte quatre belles lucarnes de granit surmontées de ces pommes de pin qui figurent dans le blason des Talhouët. De plus, toujours à cette époque, ont été faites dans le parc du château les constructions suivantes toutes en granit taillé : En 1662 la chapelle surmontée d'un petit clocheton aux formes harmonieuses, en 1625 le colombier seigneural doté de 700 niches et recouvert d'une très belle charpente, en 1638 l'élégant pavillon situé h l'ouest.

Valentin de Talhouëë est à l'origine des branches généalogiques dites « de Sévérac » et « de la Grationnaye ». Il prit une part active aux événements de l'époque, en particulier aux réunions des Etats Bretons.

Il fut enterré dans l'église de Malansac où on lit sur une large dalle de granit :

« Icy geist haut et puissant Messire
Valantin de Talhouët, seigneur de
Sévérac, de la Grationnaye, de Marzen, etc.
décédé le 17 de May 1657 aagé
de 63 ans. »

Sur le mur de la « chapelle de la Grationnaye » dans l'église de Malansac, près de l'autel, un écusson en relief porte les « trois pommes de pin versées » des Talhouët.

Jean Armand de Talhouët-Sévérac son fils aîné, après la mort de son père, continua à résider dans la seigneurie de la Grationnaye. En 1670, il épousa Madeleine Berthou. Il mourut à la Grationnaye le 13 octobre 1706 et fut inhumé à côté de son père dans l'église de Malansac.

Son fils Jean François Armand lui succéda. Il fut reçu le 6 juillet 1708 au Parlement de Bretagne avec la charge de conseiller et épousa en 1717 Marie Hérisson dont il eut 10 enfants. Il mourut en 1744, laissant la Grationnaye à son fils aîné.

René Armand naquit le 20 août 1718 et tut baptisé dans l'église de Malansac le 21 septembre 1719. Il n'avait que 20 ans lorsque son père lui légua sa charge de conseiller au Parlement de Bretagne. Il prit pour épouse Anne Marie Césarine de Saint Gilles, dont il n'eut pas d'enfant. Il mourut le 4 janvier 1792. Son frère Louis René, abbé de Sévérac, chanoine de la Cathédrale de Quimper, était venu au début de la révolution habiter la Grationnaye. Après la mort de René Armand il ne voulut pas rester seul avec sa belle-sœur et pria instamment de venir près de lui son cousin Vincent Marie David de Talhouët, ancien curé d'Hennebont qui arriva à la Grationnaye le 15 février 1792. L'abbé de Talhouët y assuma un rôle délicat. Les fantaisies de son cousin l'inquiétaient : l'abbé de Sévérac montait chaque jour à cheval et, pour faire voir son adresse d'écuyer, descendait au trot dans les carrières d'ardoises ou passait au galop entre les ailes tournantes d'un moulin à vent.

Cette existence à la Grationnaye ne dura pas longtemps puisque les deux prêtres qui avaient refusé de prêter serment furent obligés d'émigrer en Espagne cette même année 1792, leur vie étant menacée. L'abbé de Sévérac mourut à Bilbao vers 1796. Quant a l'abbé de Talhouët, après le Concordat, et sur les instances de l'évêque de Vannes, il s'embarqua en juillet 1802 pour revenir en Bretagne avec plusieurs compagnons d'exil. Le navire qui les transportait fut pris dans une tempête en vue des côtes de France. Le capitaine farouche républicain qui ne partageait pas les opinions politiques de ses passagers en profita pour déposer les malheureux sur le banc de sable de Jagobert près de Noirmoutiers et ils y furent tous engloutis par les flots. L'abbé de Talhouët ne laissa que des regrets. On cite des traits insignes de sa charité, tels que le rachat d'un de ses paroissiens pris par les Algériens et celui de deux petits enfants que leurs parents avaient vendus à des comédiens, l'abandon fréquent d'une partie de son linge et de ses vêtements aux pauvres, et beaucoup d'autres actions du même genre qui lui avaient gagné tous les coeurs.

Anne Marie Césarine de Saint Gilles dût quitter la Grationnaye peu après le départ des deux abbés, sa vie étant en danger, et le château fut abandonné pendant plusieurs années.

Il fut occupé momentanément par les chouans lors de la prise de Rochefort-en-Terre par eux le 16 mars 1793, et c'est là qu'ils partagèrent les armes et le produit du dépouillement des caisses publiques. Le propriétaire de 1978 a lu avec intérêt dans des annales familiales le récit très coloré du passage à la Grationnaye à ce moment là de la grand'mère de sa grand'mère, Anne Louise Marie de Gouyon de Coipel. En voici un passage, raconté par son fils :

« On garda ma mère au château de Rochefort qui pourtant regorgeait de prisonniers. Elle y était depuis un mois quand, vers une heure du matin, les prisonniers furent éveillés par des coups de fusil tirés d'assez loin, puis la fusillade se rapprocha, la générale battit et les coups de feu retentirent pendant quelque temps comme un roulement de tonnerre. C'était une attaque des chouans qui venaient pour délivrer les prisonniers au nombre desquels se trouvaient plusieurs capitaines de paroisses qui devaient être passés par les armes. La lutte dura assez longtemps avec diverses péripéties et les prisonniers ne surent pas d'abord quel était le parti vainqueur. Enfin, au point du jour, un chef en costume morbihannais avec cocarde blanche au chapeau, écharpe blanche à laquelle passaient deux pistolets, sabre de cavalerie au côté, vint ouvrir les portes de leur prison. Il avait en main la liste des condamnés politiques et leur dit qu'ils étaient libres. Ceux qui se trouvaient là pour vol ou quelques délits semblables, car y en avait un certain nombre. furent gardés en bloc.

Ma mère sur le pavé de Rochefort fut fort embarrassée de sa personne. Enfin elle s'informa si quelqu'un ne pourrait pas lui procurer un cheval et la conduire à Glénac, mais il n'y avait pas la presse à accepter ses propositions car, indépendamment des risques de la route, les bleus reviendraient et ne manqueraient pas de faire un mauvais parti à ceux qui aideraient à l'évasion des prisonniers. Un jeune chouan de Malansac accepta cependant, mais, comme il avait aussi à prendre sa part du butin et des impositions qu'ils frappèrent sur les patriotes, il lui dit qu'il ne partirait que la nuit suivante ou, si elle préférait. le lendemain matin. Ma mère se décida pour la nuit. Fidèle il sa parole, il vint la prendre après le coucher du soleil et la conduisit d'abord au château de la Grationnaye qui n'était pas habité. Elle y trouva une forte réunion de chouans. Le jeune homme parla au chef qui consentit à ce qu'il reconduisit ma mère, mais il ajouta que pour plus de sécurité il fallait éclairer la marche par un homme qu'il désigna et qui devait aller jusqu'au pont d'Oust prévenir le passager, et, si le passage était gardé, devait aller attendre ma mère et son conducteur à un endroit convenu et se joindre à eux pour tâcher de se procurer un bateau et franchir la rivière dans un autre endroit. Ma mère s'installa dans le grand salon avec ses libérateurs qui eurent pour elle tous les égards possibles. Elle partagea même leur rustique souper où la santé du roi et le rétablissement de la religion ne furent pas oubliés ».

Mais revenons aux habitants de la Grationnaye. Anne Marie Césarine de Saint Gilles mourut en 1811 sans laisser de postérité. Les nombreux héritiers collatéraux qui prétendaient à la terre de la Grationnaye ne purent arriver à un accord. Après une longue procédure la propriété fut vendue le 23 avril 1820 à Monsieur Thomas de Kercado qui ne la garda que dix ans puisqu'il la céda pour 275.000 F le 26 février 1830 au marquis de Marnières de Guer, ancien préfet du Morbihan. En 1860, Monsieur Hippolyte de Montcuit de Boiscuillé la racheta à son tour pour 380.000 F. A cette époque, le château devait être assez délabré comme en témoigne la description suivante :

« Malgré sa situation au milieu de bois et d'avenues magnifiques, le château a été jusqu'ici abandonné et livré à la destruction comme tant d'autres vieux manoirs de Bretagne. C'était une construction irrégulière mais d'un aspect considérable précédée de douves très larges et d'une cour d'honneur que des murailles aujourd'hui disparues et remplacées par une grille entouraient de toutes parts. Le corps de logis principal, flanqué de deux ailes, date évidemment des premières années du XVIIème siècle ; on distingue encore les armoiries aux pommes de pin sur plusieurs fenêtres... un des salons était, paraît-il, orné d'une cheminée monumentale, avec colonnes et sculptures du même temps, mais nous croyons que cette pièce n'a pas été plus respectée que le reste du château ».

Hippolyte de Montcuit restaura en partie le château et construisit une partie du corps central actuel ainsi que l'aile sud dans un style qui est un compromis entre le goût de son époque et celui de la construction du XVIIème siècle.

Il mourut le 3 février 1896 après avoir épousé en secondes noces mademoiselle Yvonne de Pioger qui devint propriétaire de la Grationnaye.

Elle même épousa en secondes noces le commandant de Boisseguin qui fut tué au combat en 1916.

Elle mourut sans postérité le 29 mai 1941, léguant la Grationnaye à sa nièce Geneviève de Pioger, vicomtesse Jean de la Cropte de Chantérac qui vint y habiter ainsi que son époux et ses enfants quand les Allemands en 1942 les expulsèrent de leur propriété de Redon.

Le vicomte Jean de la Cropte de Chantérac décéda le 16 novembre 1955 et son épouse le 2 février 1957.

Leur fils aîné Xavier Marie Armand époux de Jacqueline de Lancrau de Breon devint propriétaire de la Grationnaye à la mort de sa mère.

(Xavier de Chanterac - 1973).

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