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Le prieuré Cistercien de l'Ile Saint-Maudez.

La Chapelle Circulaire et les Ruines de l'Eglise Prieurale.

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§ I. — LE MONASTÈRE DE L'ILE SAINT-MAUDEZ.

La Vita Prima de Saint-Maudez nous apprend qu'en s'installant dans l'île Guelt Enès, le saint construisit aussitôt plusieurs petites cellules pour lui et ses disciples : « Sibi suisque discipulis statim illic, superna disponente Providentia, diversa receptacula fundavit » (Lectio III, § 5). Puis, quand ces asiles furent prêts, « hospitiis vero paratis », il se mit à construire une église, « ad aedificandum oratorium infatigabiliter ... invigilabat », à la consécration de laquelle il convia les évêques de Bretagne : « Per litteras deprecatorio modo transmissas ecclesiarum hujus Britanniae praesules convocabit, atque supra memoratum oratorium dedicare fecit » (lectio IV, §6).

La Vita Prima ajoute que Saint-Maudez mourut « dans le présent lieu », c'est-à-dire dans le monastère de son île : « Post haec in praesenti loco spiritum exhalavit » (ibidem). La Borderie en conclut très logiquement semble-t-il, que l'auteur de cette vie, clerc trégorrois du XIème siècle, était moine du monastère de l'île Saint-Maudez : ainsi, détruit par les invasions normandes, ce monastère aurait été relevé après qu'elles furent passées. Cette assertion peut avoir pour l'histoire des monuments de l'île et notamment pour la date de la nef de l'église prieurale, une très grande importance, comme nous le verrons tout à l'heure.

Puis, dans le courant du XIIème siècle, l'île Saint-Maudez et son monastère furent donnés à l'Abbaye de Bégard, de l'Ordre de Citeaux, fondée en 1130 au diocèse de Tréguier [Note : Et non à l'Abbaye de Beauport, de l'Ordre de Prémontré, fondée au début du XIIIème siècle seulement au diocèse de Saint-Brieuc, comme l'a écrit par erreur A. DE LA BORDERIE, « Vies de Saint Maudez », page 64]. Elle en devint un petit prieuré et le resta jusqu'à la Révolution, sous le nom de « Prieuré de Saint-Maudet de l'Isle, Sanctus Maudetus de Insula ». Mais nous ne trouvons mention de ce prieuré dans aucun pouillé du diocèse de Dol, dont elle relevait au spirituel. M. Couffon cite (« Répertoire des Eglises et Chapelles », page 199) une bulle du Pape Calixte III du 9 avril 1456, adressée à Vincent de Kerleau, abbé de Bégard, dans laquelle le Pape concède des indulgences en faveur de l'église du prieuré de l'île Saint-Maudez et de l'hôpital y attenant ; l'île y est encore nommée Guelt Enès. Et les auteurs des « Anciens Evêchés » (tome IV, page 2, note 1), analysent succinctement deux autres titres des archives départementales des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor), l'un de 1587, l'autre de 1634, qui sont deux baux affermant le domaine de l'île ; ces deux actes montrent qu'à cette époque il n'y résidait plus ni prieur ni religieux et que l'île était déjà alors louée à un fermier ; mais l'église continuait à y attirer de nombreux pèlerins fidèles au culte de saint Maudez.

Les archives des Côtes-d'Armor renferment en outre un important dossier consacré au « prieuré de Saint-Maudet de l'Isle » ; c'est le carton 6 de la série H, abbaye de Bégard. La plupart de ces documents sont des pièces de procédure. Toutefois, certains actes sont forts précieux pour l'histoire du monastère de Saint-Maudez ; nous en publierons trois dans les preuves à la fin de cette notice, et nous en analyserons quelques autres.

Un parchemin devenu à peu près illisible, mais dont une copie du XVIIIème siècle jointe à l'original montre qu'il s'agit d'une charte de Jean, abbé de Bellevaux, ordre de Citeaux, au diocèse de Besançon, datée du mois de septembre 1491 (preuve N° 1), accorde toutes sortes d'indulgences, et notamment la participation aux prières et bonnes oeuvres de tout l'ordre de Citeaux, aux fidèles des deux sexes qui contribueront à la réparation et à l'enrichissement de l'église ou chapelle de Saint-Maudet de l'Isle, au diocèse de Dol. D'autre part, au verso du parchemin original se trouve cette mention : « Confirmat et approbat Capitulum Gnale (Generale) Oedificationem Capellae Sancti Maudeti de Insula. 1240 ». Ces travaux du XIIIème siecle et de la fin du XVème se rapportent donc à l'église prieurale dont nous admirons les restes et à peu près sûrement à la partie orientale de l'édifice, aujourd'hui disparue, comme nous le verrons en étudiant le monument.

Un autre document (preuve N° 2) est une lettre du recteur de Bréhat, frère Christophe Abinent, du 21 novembre 1717, adressée à M. Moran, greffier de Pontrieux, pour les moines cisterciens de Bégard, dans laquelle il énumère les nombreuses réparations faites à tous les bâtiments de l'île Saint-Mandez avant la fête du saint patron : « L'Eglise, la chapelle de Saint-Michel, la chaire de Saint-Maudet, la metairie et votre appartement ». Du début de cette lettre on peut déduire que les moines de Bégard au début du XVIIIème siècle ne s'intéressaient plus guère au culte de Saint-Maudez, aucun n'étant venu cette année-là assister au pardon de l'île. Par contre on peut voir qu'à cette époque les édifices avaient été bien réparés.

A la suite de cette lettre, se trouve une pièce qui est le mémoire des heures de travail des couvreurs, maçons, charpentiers et terrassiers ayant travaillé aux réparations des monuments de l'île, pièce datée du 23 novembre 1717 et dont voici brièvement l'analyse. Du 30 juin au 24 juillet 1717, trois couvreurs font au total 69 journées pour les réparations « que les Messieurs de Bégar font faire à lille de St-Maudaiz ». Du 1er au 30 septembre et du 19 au 23 octobre de la même année, un couvreur fait, en plus des réparations comprises au marché précédent, 30 journées à la chapelle de Saint-Michel, « au pinnon de leglisse ver le midy et de garnir la chaize de St Maudaiz ausi par de hor et induirre la maisons par dedan ». Trois maçons font un total de 107 journées et un « menuzié », du 5 août au 18 septembre 1717 fait 53 journées « pour boiser et charpenter ou ils manquent et pour faire la croix et pour doubler la chaize et fairre des porte et fenêtre ou ils manquent et un barrière sur le simittière » ; ce cimetière, qui bordait l'église prieurale au midi, avait donc encore à cette époque cette affectation. Enfin les laboureurs, pour les charrois de terre, pierre et bois, et pour travaux de terrassement, « pour couper des mottes de terre pour couvrir les muraille et pour anterrer les relique et pour acomoder le simittiere et la cour et autre chose necesserre », font 69 journées à trois hommess, du 1er juillet au 14 septembre 1717. La fête de saint Maudez se célébrait donc à l'île le 18 novembre, jour où il était honoré dans les églises de Bretagne.

Parmi les pièces de procédure les plus intéressantes, signalons les pièces se rapportant aux usurpations par certains prêtres ou religieux des droits sur l'île Saint-Maudez au détriment de l'abbaye de Bégard. Le 10 juillet 1608, frère Nicollas Boucherat, abbé de Citeaux, dans une ordonnance adressée aux prieur et religieux de Bégard, condamnait « un certain frère Jean de Knegriou » qui s'était emparé des revenus de la chapellenie de l'île Saint-Maudez (preuve N° 3).

Ensuite c'est un dossier de procédure contre frère Jean de la Toucher religieux de l'abbaye cistercienne de Coetmoloen (Coetmalouen, au diocèse de Quimper), qui prétendait s'emparer des prieurés et chapellenie de Saint Maudet en l'Isle, au préjudice des prieur et religieux de Bégard. Nous y trouvons une ordonnance du 2 juillet 1640, d'Armand, cardinal, duc de Richelieu et de Fronsac, pair de France, abbé de Citeaux, chef et supérieur général de l'ordre de Citeaux, dans laquelle, après s'être référé à l'ordonnance de l'abbé Nicolas Boucherat du 10 juillet 1608, le grand cardinal rappelle que le monastère de Bégard est de temps immémorial « en possession de jouir et disposer de la chapellenie de St-Maudez dépendant de ladicte abbaye », et ordonne au frère. Dom de la Touche de cesser de jouir des revenus de chapellenie de Saint-Maudet en l'Isle ; cette pièce est une copie établie par frère Jean, abbé de Prières, abbaye cistercienne au diocèse de Vannes.

Plus tard, l'abbaye de Bégard doit défendre ses droits sur l'île Saint-Maudez contre les prétentions de deux recteurs de Lanmodez, « qui voullaient s'ingérer de faire les fonctions rectoriales en l'église de Saint-Modetz en Lisle et de prétendre la dixme et prémices sur la ferme ». En 1678, c'est contre messire Alain Le Borgne, prêtre, sieur de Quinant, recteur de Lanmodez, qui se termine par une transaction en date du 20 septembre 1678, par laquelle « ledit sieur de Quinant a reconueu lesdites église et chapelle de l'isle de St-Maudez estre quitte en général de tous droits rectoriaux et que lesdits religieux (de Bégar) sont bien fondés en titres et pocession ». Cet acte, en minute sur beau parchemin, a été passé le 20 septembre 1678 par devant Janin et Guyomar, notaires royaux, sur l'avis de messire René de Crolong, sieur de Saint-Luc, recteur de Pleubihan (Pleubian) ; le sous-prieur de Bégard étant alors frère Vincent de Govello.

Cet accord n'empêche pas en 1704 un autre recteur de Lanmodez, Yves Cillar, de recommencer ses ses tentatives sur l'île Saint-Maudez ; l'affaire est même appelée au grand Conseil par ordonnance royale du 25 janvier 1704, signifiée au recteur Cillar le 11 février suivant.

Ces quelques documents, pris entre nombre d'autres, prouvent donc incontestablement que sous l'ancien régime l'ile Saint-Maudez et son église dépendait de l'abbaye de Bégard à titre de prieuré ou chapellenie.

Nous terminerons ce bref inventaire par une pièce assez curieuse pour l'histoire de notre île. C'est la copie d'un rapport de François Le Hellicocq et Jean Le Quenquis, « sergents roïauls, généraux et d'armes en Bretaigne, résidantz à Tréguier », qui déclarent que « pleusieurs particuliers non originaires de la province et incogneux à ceux du pays se sont retirés et arrestés en l'isle de Maudez pour y fere du salpaistre et pouldre à canon qu'ilz vandent et débitent journellement aux capitaines pirates quy rodent à la cotte, ennemis du Roy, contre les déffances portées par les ordonnances ». Et le 26 juillet 1636 les deux sergents se rendent à l'île Maudez où ils trouvent une dizaine de personnes occupées à faire briller du goémon dans 32 fourneaux et qui leur déclarent qu'ils vendent la cendre à deux marchands de Rouen pour faire de la poudre à canon : ils procèdent à la saisie des cendres existantes et assignent les deux marchands de Rouen, résidant à Bréhat et nommés Adam Follin et Pierre du Val, à comparaître devant le lieutenant en la cour royale de Tréguier, en l'auditoire de Lannion.

Géographiquement, l'île Saint-Maudez se présente sous la forme d'une longue bande de terre qui s'étend du sud-ouest au nord-est ; elle a une longueur d'un kilomètre environ sur une largeur maxima de 250 mètres ; très fertile, elle produit les premières pommes de terre de la région de Paimpol.

§ 2. LA CHAPELLE CIRCULAIRE.

Sur une hauteur dominant l'île Saint-Maudez, sensiblement en son milieu, une sorte de tourelle attire de très loin les regards et sa position en a même fait un amer pour la navigation.

Chapelle de l'île Saint-Maudez (Bretagne).

C'est un petit monument de plan circulaire dont le diamètre inférieur est de 2 m. 80 ; les murs sont épais de 0 m. 78, et le diamètre total hors-d'oeuvre de 4 m. 36. Une seule ouverture donne accès dans l'édifice, simple ouverture trapézoïdale formant porte, haute de 1 m. 77, large à la base de 0 m. 62 et au sommet de 0 m. 51. Cette porte s'ouvre dans la direction du sud-est. Devant elle s'étend un palier de 4 m. 35 de longueur, précédé lui-mème d'un escalier de 12 marches, assez ruiné, long de 2 m. 85 ; escalier et palier sont en pierres sèches, l'herbe a poussé dans les joints ; leur largeur commune est de 3 mètres, et le palier s'élève à 1 m. 30 de haut, la porte de l'édifice s'ouvrant à cette hauteur et non au ras du sol.

Gaultier du Mottay, dans son « Répertoire Archéologique » (Mémoires de la Société Archéologique et Historique des Côtes-du-Nord, 1883, page 288), note : « Une barbacane étroite, percée à deux mètres de hauteur, éclaire cet édicule, ainsi qu'une baie de porte plus moderne » ; nous n'avons pu relever aucune trace de cette ouverture, qui, si elle a existé, a dû être obturée depuis longtemps. Comme La Borderie n'a pas remarqué non plus cette baie, nous croyons qu'il y a eu là une erreur de la part de l'auteur du « Répertoire Archéologique ».

Les murs sont en blocage de granit gris ; extérieurement, l'édifice est actuellement couvert par une calotte ou coupole en crépi de ciment recouvrant la voûte et surmontée d'une croix ; cette couverture et les joints des murs ont été refaits récemment par l'abbé Couasnon, propriétaire de l'île, qui y résida jusqu'à sa mort et à la famille de qui elle appartient toujours. La croix du faîte porte en effet la date de 1927 et ses initiales. La hauteur totale de l'édifice est d'environ 6 m. 35, soit 3 m. 35 pour la tourelle elle-même et 3 mètres environ pour la calotte.

A l'intérieur, ce petit édifice se compose d'abord d'une sorte de crypte, dont la profondeur actuelle est de 1 m. 10, c'est-à-dire qu'elle occupe l'espace compris entre le sol et le seuil de la porte qui est, nous l'avons dit, à la hauteur du palier à 1 m. 30 au-dessus du sol.

Gaultier du Mottay avait noté : « Crypte de 1 m. 50 de profondeur, dans laquelle sont des ossements amoncelés ». Sans doute s'est-elle comblée un peu depuis 1883 ; d'autre part on n'y voit plus trace apparente d'ossements.

Plusieurs poutres disposées longitudinalement du nord-ouest au sud-est soutenaient le plancher de la chapelle proprement dite, au niveau de la porte d'entrée. Ce plancher a disparu aujourd'hui ; plusieurs poutres même, vermoulues, se sont affaissées dans la crypte. L'édifice est couvert par une voûte en coupole formée d'un blocage irrégulier et soutenue par deux arcs ogifs, très plats, d'aspect très rudimentaire et primitif, qui reposent sur de petits corbelets encastrés, très simples ; ces ogives sont en appareil de granit, elles sont larges de 0 m. 27 (gravure 7). La hauteur du mur entre le plancher de la chapelle et la base-des ogives est de 2 m. 05.

Contre le mur à droite de la porte, c'est-à-dire situé au nord-est, est adossé un autel en maçonnerie haut de 0 m. 97 ; cet autel supporte une table très ancienne, formée d'une plaque de schiste ardoisé bleu, assez grossière, longue de 1 m. 24, large de 0 m. 59, et épaisse de 0 m. 07 ; on distingue dans les angles et au centre de cette table d'autel les croix de consécration ; l'angle nord a été brisé et se trouve détaché du reste de la table. Dans l'angle compris entre la porte et l'autel une colonnette de granit gris, d'une hauteur totale de 0 m. 80, se creuse en son sommet pour former un petit bénitier. Le pied de la colonnette est octogonal, et le sommet constituant le bénitier forme un carré de 0 m. 20 de côté. Par suite de la disparition du plancher, ce bénitier est tombé récemment en travers de l'édifice.

La table d'autel de cette chapelle est très ancienne ; Gaultier du Mottay la suppose antérieure au Xème siècle ; même si elle ne remonte pas aussi loin, elle n'est certainement pas postérieure aux XIème ou XIIème siècles. La Borderie (« Histoire de Bretagne », page 364) avance que cette table d'autel ne serait pas antérieure au XVIème siècle ; nous ne voyons pas de raisons valables en faveur de cette assertion, qui ne nous parait pas fondée. Il nous semble très difficile de la dater avec certitude, mais son aspect brut et primitif indique que cette table d'autel est nettement fort ancienne.

Le plan circulaire et la division horizontale de l'édifice en crypte et chapelle avaient déjà été notées par Dom Lobineau dans la vie de saint Maudez (« Vies des Saints de Bretagne », 1725, page 18) : « Sa cellule, bâtie en rond comme une tour, à deux étages, que l'on appelle Forn Maudez ». Ce nom de « Forn Maudez » (le four de Saint-Maudez), que l'on donne toujours dans le pays à l'édifice a donc une origine vieille d'au moins deux siècles. Cependant, les documents de novembre 1717 cités plus haut lui donnent aussi le nom de « chaire » ou « chaise » de Saint-Maudez ; et au cadastre de 1827 nous le trouvons encore désigné sous cette appellation de « chaise de Saint-Maudez ». Il semble que ce fut même là la dénomination première de ce monument, puisque l'on relève dans la Vita Prima de saint Maudez ce passage significatif « in loco qui nunc dicitur Cathedra sancti Maudeti » (lectio VI, § 10) ; et c'est là que se déroule l'épisode légendaire du Teuz ou monstre marin démoniaque que le saint extermina en lui lançant une pierre : on ne voit pas à quel autre lieu de l'île pourrait être appliqué ce nom de « chaire de Saint-Maudez », si ce n'est à la chapelle circulaire, alors la cellule du saint abbé où il enseignait ses disciples.

Eglise prieurale de l'île Saint-Maudez (Bretagne).

A 3 mètres à l'est de la chapelle circulaire, on voit très distinctement les fondations d'un autre édifice circulaire du même genre, rasé au niveau du sol ; mais, tandis que le diamètre total hors-d'oeuvre de la chapelle n'est que de 4 m. 36, celui de cet édifice disparu est presque le double : 7 m. 40. Il restait à cette cellule à la fin du XIXème siècles quelques pans de murailles hauts de deux pieds, que La Borderie a vus.

Après cette description sommaire, une question se pose : quelle peut être la date de construction et la destination de ces curieux édifices ? Gaultier du Mottay n'examine pas cette question. Notre savant confrère René Couffon, dans son « Essai sur l'Architecture Religieuse en Bretagne du Vème au Xème siècle » (page 27), ainsi que dans son « Répertoire », estime que cette construction ne remonte pas plus haut que le XIIème siècle. La Borderie par contre pense que la tourelle, la porte et l'escalier sont de l'époque primitive, c'est-à-dire du VIème siècle. et que seule la voûte a été établie sur les arcs ogifs au XIIème siècle. Cette cellule et les fondations de celle qui l'avoisine concordent en effet avec celles relevées dans l'île Lavret et ont des dimensions analogues ; et, comme elles, ce sont-là les cellules des premiers moines, qu'ils construisirent en arrivant dans l'île, comme nous l'apprend le passage de la Vita Prima de Saint-Maudez que nous avons cité.

Eglise prieurale de l'île Saint-Maudez (Bretagne).

Ainsi l'on se trouverait en face d'une cellule primitive du VIème siècle reconstruite, en partie du moins, dans la seconde moitié du XIIème siècle et convertie en chapelle ; cette explication est évidemment logique et tout à fait admissible en l'absence de documentation. Et si cet édifice fut ainsi soit simplement restauré soit complètement reconstruit au XIIème siècle sur plan circulaire, c'est très probablement parce qu'à cette époque il subsistait là l'édifice antérieur, sans doute en mauvais état, peut-être même en ruines ; le gros oeuvre des murs peut donc ainsi fort bien remonter au VIème siècle comme le prétend La Borderie, puisque les fondations de la cellule voisine et de celles de l'île Lavret datent de cette époque, sans contestation aucune. Mais, pour supporter la coupole dont on recouvrit l'édifice, on fit alors appel au procédé tout nouveau encore de la croisée d'ogives, appliqué cependant d'une façon fort primitive, — ce qui prouve que la voûte au moins ne peu pas être antérieure à la seconde moitié du XIIème siècle au plus tôt. Et nous ne pensons pas - qu'il soit trop téméraire d'affirmer que nous nous trouvons là en présence de l'une des plus anciennes, sinon même de la plus ancienne voûte sur croisée d'ogives de Bretagne (gravure 7).

Pourquoi cette cellule aurait-elle été ainsi restaurée au XIIème siècle alors que l'on a négligé l'autre et même celles qui pouvaient aussi s'y élever éventuellement ? — Ici encore, nous suivrons l'opinion de La Borderie qui nous paraît la seule vraisemblable : le Forn-Maudez aurait été la cellule de Saint-Maudez lui-même, comme l'indique l'autre nom à lui donné de « chaire de saint Maudez » ; sa situation au faîte de la colline la désigne comme étant la cellule de l'abbé, d'où il pouvait surveiller ses moines. Ce monument devait être alors le but d'une dévotion très suivie à l'égard du saint, l'un des plus populaires de Bretagne : c'est la raison qui explique sa conservation et, même au cas où l'on admette qu'il fut entièrement reconstruit au XIIème siècle, la persistance du plan et de l'aspect archaïque de cette construction.

Le plan circulaire de cette chapelle pose ainsi un problème archéologique nouveau et fort important que personne n'a encore soulevé. Jusqu'à ce jour, les églises ou chapelles de plan circulaire ou d'un plan dérivé (octogonal ou tréflé) étaient considérées comme inspirées par le désir d'imiter le plan du Saint-Sépulcre de Jérusalem (Sainte-Croix de Quimperlé et temple de Lanleff, en Bretagne ; Neuvy-Saint-Sépulcre, chapelle des Templiers de Laon, chapelle Saint-Jean-du-Liget, etc...). Or il existe ainsi à peu de distance du temple de Lanleff, dans l'île Saint-Maudez, une chapelle de plan circulaire, de dimensions réduites en vérité, formant plutôt à proprement parler un oratoire, qui n'est pas inspirée du plan du Saint-Sépulcre, mais qui au contraire devrait ce plan à la forme ronde qu'affectaient les cellules des moines bretons venus s'établir dans ces îles aux Vème et VIème siècles [Note : Dans son « Répertoire des Eglises » (page 196), M. René COUFFON dit que le plan du Temple de Lanleff est « oriental et inspiré de la Mosquée d'Omar » ; nous ne partageons pas son avis et pensons qu'il est, comme celui de toutes les églises circulaires, imité du plan du Saint-Sépulcre de Jérusalem, déjà circulaire lui-même dès l'époque constantinienne].

§ 3. — LES RUINES DE L'ÉGLISE PRIEURALE.
A environ deux cents mètres à l'est de la chapelle circulaire, le long de la côte de l'île baignée par le Trieux, se trouve un groupe de plusieurs édifices qui sont successivement, en allant de l'est vers l'ouest (gravure 6) : les restes de l'église du Prieuré, converties en bâtiment d'habitation ; — une chapelle moderne construite en 1884 ;— puis le bâtiment de l'ancien Prieuré, servant de ferme ; des petits bâtiments modernes d'exploitation, à peu près tous en ruines, se groupent autour de ces trois principaux édifices. Avant la guerre de 1939, le bâtiment de l'église prieurale servait d'habitation au propriétaire ; l'abbé Couasnon y résidait même constamment ; l'ancien prieuré, ou métairie, servait de logement au fermier et d'étables ; depuis l'occupation allemande le fermier lui-même ne réside plus dans l'île qu'il exploite de la terre ferme à laquelle elle est rattachée quelques instants à marée basse du côté de Lanmodez, et les bâtiments sont à peu près abandonnés.

Les ruines de l'église prieurale ne se composent plus actuellement que d'un bâtiment de plan rectangulaire qui était la nef de l'église, et de trois piliers subsistant à l'est dans le prolongement du mur nord de cette nef. La nef est un rectangle de 11 m. 35 de longueur sur 4 m. 35 de largeur, dans oeuvre, orienté ouest-est. Les murs du nord, du sud et de la façade ouest sont massifs, et épais chacun de 0 m. 97 ; ils sont construits en blocage de granit. Dans son état actuel, le mur nord n'a qu'une ouverture, porte basse qui fait communiquer la nef avec un baliment de 7 m. 45 de long sur 6 m. 10 de large qui lui a été accolé perpendiculairement à une époque beaucoup plus récents ; on voit nullement que cette porte a été rapportée assez récemment et que les murs latéraux de ce bâtiment viennent buter contre le mur nord de la nef, sans aucune liaison avec lui.

Le mur sud de la nef, par contre, est percé respectivement à 1 m. 75 et à 5 m. 45 à partir de son extrémité ouest de deux baies très étroites à l'extérieur, 0 m. 08 seulement, mais largement ébrasées à l'intérieur, 0 m. 70. Ces deux meurtrières, dont la base se trouve à 2 m. 30 au-dessus du sol extérieur, ont 0 m. 90 de hauteur. Une porte moderne est percée dans ce mur sud, et c'est par elle que l'on accède maintenant à l'intérieur.

Le haut des murs de la nef a été refait en ciment à l'époque actuelle, et le bâtiment a été couvert d'un toit plat en terrasse, en ciment également. Un plancher moderne le divise horizontalement en deux parties pour l'habitation ; les fenêtres percées au premier étage du mur sont modernes.

Mais tout l'intérêt de cette nef réside dans sa façade ouest. D'une largeur totale hors-oeuvre de 6 m. 36, cette façade est percée d'un portail roman, dont le bas a été muré lors de l'aménagement des ruines de l'église en habitation, la partie supérieure formant baie (gravures 3 et 4). Ce portail a une largeur totale de 2 m. 98 ; l'ouverture de la porte elle-même est large de 1 m. 26, et sa hauteur sous l'archivolte, à partir du niveau actuel du sol, est de 2 m. 06.

Le portail ouest est accosté de deux pieds-droits en appareil de granit, fort simples, formés par un pilier peu saillant et très plat, large de 0 m. 62 et saillant de 0 m. 24. Sur ce pilier repose une archivolte en plein cintre, composée d'un simple bandeau plat à claveaux de granit gris réguliers, large de 0 m. 38, surmonté d'un rebord formant rouleau. Sous cette archivolte est un autre arc en plein cintre, en retrait sensible, large de 0 m. 24 et épais de 0 m. 35 (gravure 4).

Enfin, au-dessus de ces deux arcs, le portail est surmonté d'un fronton ou gâble en mître, formé d'un simple bandeau, étroit et peu saillant. A peu près à la hauteur du sommet de ce gâble sont encastrées dans la façade deux pierres rectangulaires, une de chaque côté du fronton ; elles présentent chacune une sculpture en bas-relief assez grossière et très effacée, représentant une tête humaine avec le buste. Gaultier du Mottay avait déjà signalé ce qui constitue la seule décoration de ce portail : « deux personnages en relief, presque frustes ». L'usure causée par les pluies d'ouest a grandement contribué à rendre ces deux petits personnages assez méconnaissables.

Il faut noter que le portail n'est pas situé exactement au milieu de la façade occidentale, mais qu'il se trouve légèrement plus au sud ; la partie méridionale de la façade a 0 m. 22 de moins que la partie septentrionale.

En somme, ce portail roman est d'une simplicité extrême, toute ornementation, à part les deux bustes humains, en est bannie. Le matériau employé dans sa construction comme dans tout le reste de la nef, le granit gris, contribue à lui donner un aspect rude, même grossier. Il est cependant de dimensions bien proportionnées, qui le rendent harmonieux dans sa rudesse. Comme le monastère de l'île fut donné à l'abbaye cistercienne de Bégard, fondée en 1130, on pourrait être amené à croire que cette simplicité est l'indice de l'influence cistercienne, qui bannissait toute ornementation sculpturale de ses églises, et que ce portail ne remonte pas plus haut que le milieu du XIIème siècle. Or, si l'on considère sa facture archaïque, on lui attribue sans hésitation une date bien antérieure, milieu ou fin du XIème siècle au plus tard. Aucun document ne nous ayant révélé jusqu'à ce jour la date de construction de la nef et de son portail ouest, si, comme A. de La Borderie le déduit de l'étude du texte de la Vita Prima de saint Maudez, le monastère fut relevé après les invasions normandes et préexistait ainsi à l'établissement du prieuré cistercien, nous sommes en droit de conclure que les restes actuels de cet édifice sont antérieurs aux cisterciens. Evidemment, nous sommes réduits à de simples suppositions.

Au-dessus du gâble qui couronne le portail, la façade occidentale est percée de deux baies très étroites, assez rapprochées, et semblables à celles du mur sud : larges seulement à l'extérieur de 0 m. 08, elles ont un ébrasement intérieur, la plus septentrionale de 0 m. 60 et l'autre de 0 m. 85. Elles ont une hauteur commune de 0 m. 75.

Ces baies des murs ouest et sud ont ainsi une allure de meurtrières, et l'on peut se demander si elles n'avaient pas effectivement cette destination, puisque, à part le portail ouest, aucune autre ouverture n'était percée dans les murs nord, sud et ouest de cette nef. A une époque troublée, où la piraterie sévissait encore sur mer et où le souvenir des invasions normandes n'était pas si éloigné, tout nous porte à croire que cette nef pouvait servir à la défense, et que peut-être l'église romane était une église-fortifiée.

Dans son état actuel, l'église prieurale se termine à l'est par un mur épais de 0 m. 50 que perce en son milieu une arcade en plein cintre large de 3 m. 54, et dont la clef est élevée de 4 m. 46 au-dessus du pavage actuel de la nef. Cette arcade romane, très simple elle aussi, aux claveaux de granit gris, est maintenant murée de façon à clore le rectangle de la nef pour son habitation ; elle est surmontée, à l'intérieur, d'un écusson.

Cette arcade faisait communiquer la nef subsistante avec le choeur, maintenant complètement disparu. Mais en 1883, c'est-à-dire un an avant que l'on en abatte les ruines pour construire à sa place la chapelle moderne, Gaultier du Mottay en a vu et décrit les vestiges dans son Répertoire Archéologique (page 288). L'église dans son ensemble, nef et choeur, mesurait, d'après lui, une longueur totale de 28 mètres ; le choeur était donc plus long que la nef et avait 16 mètres de long environ ; il était plus en ruines que la nef, qui était cependant alors découverte. Du côté nord subsistaient deux arcades romanes s'appuyant sur les trois piliers qui existent encore et que nous décrirons dans un instant. Du côté sud était une autre arcade romane, ainsi qu'une arcade en anse de panier, que Gaultier du Mottay date du XVème siècle et qui ouvrait sur une chapelle latérale : à sa clef elle portait un écu, peut-être celui que nous avons vu au-dessus de l'arcade romane murée de la nef où dans ce cas il aurait été réemployé quand on couvrit la nef de son actuelle terrasse en ciment, car Gaultier du Mottay ne signale pas d'écusson là où nous l'avons vu. Le chevet plat conservait en 1883 la maîtresse vitre, séparée en deux baies par un meneau, et aurait été de construction plus récente. Il datait vraisemblablement du XIIIème siècle, et c'est à cette construction que se rapporterait alors la mention de 1240 que nous avons citée plus haut ; ou bien n'aurait-il été élevé qu'à la fin du XVème siècle, époque de la charte de Jean, abbé de Bellevaux, de septembre 1491 ? — La disparition complète de cette partie de l'édifice en 1884 ne laisse place, là aussi, qu'à des suppositions.

Le choeur aurait eu, comme la nef, une largeur de 5 mètres environ, et les grandes arcades qui subsistaient le faisaient communiquer avec ses deux collatéraux nord et sud larges de 2 mètres. les bas-côtés du choeur étaient donc en saillie par rapport à la nef qui en était dépourvue, et la largeur totale de l'édifice avec ses collatéraux était d'environ 9 à 10 mètres. Peut-être ces collatéraux, qui, si l'on en croit cet auteur, ne possédaient que deux travées, formaient-ils ainsi une sorte de faux-transept, disposition fréquente en cette partie de la Bretagne, et dont l'église de Brélévenez, qui date partiellement du XIIème siècle, nous offre un bon exemple ; ce faux-transept aurait occupé environ 8 mètres dans la longueur du monument entre la nef romane et le choeur, ne laissant de la sorte que 8 mètres environ pour le choeur proprement dit ou sanctuaire ; ou bien du temps de Gaultier du Mottay n'y avait-il plus que ces deux travées de bas-côtés de visibles, les autres situés plus à l'est ayant disparu à une époque ancienne ; sa description ne permet pas de résoudre ce problème architectural. Le plan de l'édifice d'après le cadastre de 1827, bien que difficile à utiliser en raison de sa faible dimension, confirme toutefois la première hypothèse : l'église prieurale y est figurée avec le plan en croix, les branches de celles-ci étant formées. entre la nef et le choeur par ces bas-côtés ou chapelles latérales.

Le plan cadastral nous montre aussi, accolé au sud du chevet plat du choeur, un petit bâtiment qui devait être la sacristie. Enfin il subsistait au nord de l'église les ruines du cloître du XIIème siècle, et, dans le choeur, une table d'autel en granit du XVIème, de 4 mètres de long sur 0 m. 90 de large. Cette description du savant archéologue nous donne une idée générale de ce qu'étaient alors les ruines de l'édifice entier ; nous regrettons qu'il n'ait pas, à cette époque où on allait gravement l'amputer, relevé un plan exact de ce qui existait encore.

Toutes ces ruines du choeur ont en effet depuis lors complètement disparu, car en 1884 on construisit, à quelques mètres à l'est des restes de la nef et précisément sur l'emplacement du choeur et de son collatéral sud, la chapelle moderne que l'on voit aujourd'hui. Il est bien regrettable que l'on ait alors irrémédiablement détruit ces vestiges vénérables du choeur et du cloître.

Il subsiste cependant encore, dans l'alignement du mur nord de la nef, trois piliers : ce sont précisément ceux qui soutenaient les grandes arcades romanes du nord vues par Gaultier du Mottay. Ces piliers sont longs chacun de 0 m. 95 et larges de 0 m. 80 ; ils sont construits en appareil irrégulier de granit ; l'amorce des arcs, formée de larges claveaux plats, subsiste également ; le matériau employé pour les arcs est une sorte de schiste ou tuffeau d'un vert très foncé, tirant au noir (gravure 5). Les grandes arcades avaient, la première du côté de l'ouest 3 m. 15, et l'autre 3 m. 20 de largeur. Du dernier pilier de l'est il ne reste plus que la moitié occidentale et l'amorce de l'arcade correspondante, — ce qui empêche ainsi de savoir si ces arcades se continuaient ou non, comme nous l'avons dit tout à l'heure, jusqu'à l'extrémité du choeur. Les arcades reposaient sur de simples tailloirs, très plats, en schiste également ; le pilier du milieu a conservé un reste très visible de ce tailloir, à peu près disparu aux deux autres.

Un contrefort long de 1 mètre et large de 0 m. 72 prolonge actuellement le mur sud de la nef vers l'est ; c'est visiblement le reste d'un ancien pilier identique à ceux du nord réemployé à cet usage.

A l'angle sud-est de la nef, à l'extérieur, le mur de l'est occupé, par l'arcade en plein cintre murée se trouve très légèrement en retrait sur le mur sud de la nef. A cet endroit, l'amorce d'un arc mouluré se dirigeant vers le sud s'observe à l'extérieur ; cet arc est épais de 0 m. 25 environ. C'est là sans doute le vestige du collatéral sud, ou plutôt de la chapelle latérale observée par Gaultier du Mottay. Le mur s'observe d'ailleurs au ras du sol pendant quelques pas.

Dans l'angle sud-est de la nef, mais à l'intérieur de celle-ci, à 1 mètre au-dessus du sol, est encastré un corbeau, très simple, en granit gris, de 0 m. 33 sur 0 m. 23 de côté, à pan coupé.

La position du premier pilier ouest du choeur contre le mur nord de la nef et le retrait du mur à l'angle sud-est de celle-ci indiquent nettement qu'il y eut deux campagnes de construction dans l'édifice à l'époque romane. A notre avis, la nef, massive et éclairée seulement par ses étroites meurtrières, était la partie la plus ancienne, élevée au milieu ou dans la seconde moitié du XIème siècle, antérieurement à la prise de possession du monastère par les Cisterciens de Bégard, ainsi que son portail ouest : c'est d'ailleurs l'opinion, d'Arthur de La Borderie qui, dans son commentaire des Vies de saint Maudez, écrit (page 64) : « Après l'ère des invasions normandes, le monastère de Saint-Maudez fut relevé, tout au moins dès la première moitié du XIème siècle, comme le prouvent les restes d'église et de cloître existant dans l'île Modez ». Il appuie son assertion comme nous l'avons dit plus haut sur le passage de la Vita Prima mentionnant la mort du saint dans l'île, mais il ne nous indique pas à quelle règle il estime que pouvait alors se rattacher ce monastère.

D'autre part, dans son Histoire de Bretagne (page 365), La Borderie émet l'opinion que cette église avait été élevée sur les ruines de l'oratoire antique fondé par saint Maudez ; ce sera aussi la nôtre, car on peut considérer comme certain que les religieux du XIème siècle, par dévotion pour saint Maudez, conservèrent pour leur église l'emplacement où celui-ci avait établi le premier sanctuaire de l'île.

Par contre, la partie antérieure du choeur, avec ses bas-côtés ou faux-transept, aurait été selon nous l'oeuvre des Cisterciens dans la seconde moitié du XIIème siècle ; élevé encore dans le style roman, le choeur aurait subi ultérieurement, aux XIIIème et XVème siècles, des réfections et notamment sa prolongation vers l'est, ainsi que l'adjonction au sud d'une chapelle latérale ; la maîtresse-vitre qui éclairait le chevet plat était également l'oeuvre de ces remaniements postérieurs. La disparition regrettable de cette partie de l'église prieurale ne nous permet plus que des suppositions. Et, pour la même raison, nous ne savons pas si l'église était voûtée ou simplement couverte d'un lambris.

§ 4. — LA CHAPELLE MODERNE.
C'est un petit édifice de plan rectangulaire orienté d'ouest en est, qui fut construit en 1884 à quelques mètres à l'est de l'extrémité orientale de la nef de l'ancienne église prieurale. Elle fut bénie le 1er juin 1885 ; sa longueur est de 8 m. 50 et sa largeur de 5 m. 72 hors-oeuvre ; elle est couverte d'un lambris de bois en berceau plein cintre.

Elle renferme plusieurs statues anciennes en bois. L'autel est surmonté de la statue de Notre-Dame des Mers, et sur le tabernacle est un crucifix de bois ancien. De chaque côté de l'autel sont, du côté de l'Epître la statue de saint Yves en prêtre, et du côté de l'Evangile celle de saint Maudez. Le long des murs de la nef sont les statues de saint Eloi en évêque, une Piéta, sainte Anne, et saint Michel terrassant le dragon. Deux portes, l'une à l'ouest surmontée de la date de 1884, l'autre au sud, donnent accès dans l'édifice. Près d'elles sont deux bénitiers circulaires, en granit.

§ 5. — LE PRIEURÉ.
A quelques dizaines de mètres à l'est des restes de l'ancienne église et de la chapelle moderne, un long corps de bâtiment rectangulaire qui abrite le logement du fermier dans sa partie orientale et des étables dans la partie occidentale était autrefois le prieuré, désigné sous le nom de « métairie » dans la lettre de 1717. Une vaste pièce rectangulaire occupe toute la partie orientale de ce corps de logis ; le long du mur de l'est se trouve une grande cheminée en granit avec un four qui fait saillie à l'extérieur. On y remarque des baies étroites semblables à celles de l'église prieurale.

A l'ouest de cette grande pièce s'ouvre dans le mur sud la porte d'entrée actuelle, donnant sur un vestibule. Au fond, c'est-à-dire contigu au mur nord, est un bel escalier en granit, escalier à vis de douze marches, d'un diamètre de 2 m. 26, qui permet l'accès aux combles où existaient autrefois d'autres pièces d'habitation avec cheminées.

Tout à côté de cet escalier se trouve une porte du XVème siècle surmontée d'un arc en accolade, fort simple, sans ornements ; elle a 0 m. 85 de largeur. Par terre, près de l'entrée, soutenant un banc de pierre formé d'un large morceau de schiste ardoisé qui serait peut-être une ancienne table d'autel semblable à celle de la chapelle circulaire, est un morceau d'arcade moulurée en granit gris provenant fort probablement des ruines du choeur.

Extérieurement, à l'extrémité orientale de la façade sud du prieuré, sont deux importants contreforts de granit. A quelques mètres en avant de cette façade se trouvent les restes des piliers d'entrée de la cour. Sur la façade nord, partie orientale, on voit, en allant de l'est vers l'ouest, d'abord une arcade en plein cintre à claveaux plats, restes d'une ancienne porte actuellement murée, puis deux contre-forts très massifs.

Ce prieuré date en grande partie du XVème siècle ; toutefois il semble bien que l'arcade murée encastrée dans le mur nord soit une arcade romane, et ainsi le gros oeuvre, et notamment les murs, construits en grand appareil de granit remonteraient aux XIème ou XIIème siècle, - les époques ultérieures n'ayant alors effectué que des transformations intérieures. Les baies étroites percées à l'est et semblables à celles de la nef, viennent à l'appui de cette assertion. Ensuite, l'île fut laissée à un fermier comme le prouve l'acte de 1587 cité par les auteurs des Anciens Evêchés, et ce bâtiment devint la métairie.

Ajoutons que tout ce bâtiment, qui avait été chaîné et qui est actuellement couvert en tôle ondulée, est en très mauvais état et ne tardera pas à s'écrouler.

Le puits de l'île, qui ne tarit jamais et dont l'eau se trouve à une très faible profondeur, est situé à une cinquantaine de mètres en avant de la façade ouest de l'ancienne église prieurale.

§ 6. — LA CHAPELLE SAINT-MICHEL.
L'emplacement de la chapelle Saint-Michel, mentionnée dans les documents de 1717, date à laquelle elle avait été bien réparée, est encore reconnaissable, au nord de l'île Saint-Maudez. Les murs sont arrasés au niveau du sol ; elle avait un plan rectangulaire, de dimensions environ 5 m. 50 sur 3 m. 80. Dans un tas de pierres voisin se voient encore quelques pierres d'angles taillées, en granit gris. Gaultier du Mottay avait signalé les restes de cette chapelle en 1883.

Le même auteur parle de deux croix plates de granit, au nord, face à la mer. Ces croix n'existent plus ; les pêcheurs de Loguivy que nous avons consulté n'en ont pas souvenance. Ou bien y a-t-il eu là de sa part une méprise, car il existe à Bréhat sur le bord de la mer une croix plate semblable à celles qu'il indique et que l'on nomme la croix de Saint-Maudez ; une tradition la relie à un épisode de la vie du saint.

De même, Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy parlent des « restes d'un vieux fort ». C'est la seule mention que nous ayons rencontrée de ce bâtiment, dont il ne reste plus rien s'il a existé réellement. Gaultier du Mottay n'en parle pas, ce qui nous fait supposer que les auteurs des Anciens Evêchés ont peut-être désigné ainsi par ce terme le bâtiment du prieuré en raison de son aspect massif.

Enfin le rocher creux que la légende appelle le « lit de saint Maudez », et que les pêcheurs connaissent sous le nom de « lit du Saint », se voit toujours dans un groupe de rochers dominant le Trieux.

§ 7. — LE CIMETIÈRE ET LA PÊCHERIE.
Le plan cadastral de l'île, levé en 1827 indique, contigu au sud de l'église prieurale, un grand espace ayant la forme d'un trapèze irrégulier, sous le nom de « Cimetière » : c'est à peu près l'emplacement du jardin actuel. Les documents de 1717 en font aussi mention. Ce fut là le cimetière de l'ancien monastère durant le haut Moyen-Age, et sans doute dès l'époque de saint Maudez lui-même. Rappelons en effet qu'un cimetière semblable, signalé par A. de La Borderie, existait dans l'île Lavret et qu'il était situé également au midi de l'église du monastère de Saint-Budoc.

D'autre part le même plan cadastral nous montre qu'une vaste pêcherie avait été aménagée sur la côte nord-ouest de l'île.

§ 8. — LA LÉGENDE DES SERPENTS.
Nous ne voulons pas traiter ici de questions hagiographiques ni des légendes qui ont accompagné le culte populaire de saint Maudez. Il en est une toutefois que nous tenons à rappeler : la terre de l'île Saint-Maudez guérit des vers et préserve des serpents, — sans doute en souvenir de la tradition qui rapporte qu'en arrivant à Guelt Enès le saint en chassa les bêtes venimeuses qui, paraît-il, l'infestaient ; d'ailleurs il est de croyance courante à Loguivy que toutes ces îles ne contiennent pas de serpents. Nous voulons simplement rapprocher cette légende de la croyance similaire qui existe dans notre Auxerrois natal : c'est en effet par le sifflement d'un serpent que saint Pélerin, le premier évêque d'Auxerre [Note : Missionnaire envoyé par Rome, accompagné du prêtre Marse, du diacre Corcodome, de Jovien et Jovinien. Ils s’arrêtèrent à Auxerre pour annoncer l’Evangile et formèrent la première communauté chrétienne. Pèlerin partit ensuite prêcher contre les idoles en Puisaye : il mourut martyr à Bouhy (près d’Entrains dans la Nièvre)], fut d'après la tradition de l'église auxerroise, découvert par les soldats romains dans l'abri où il se cachait sur la montagne de Bouy (ou Bouhy), où il fut décapité en l'an 304 ; sur l'emplacement de son martyre s'élève l'église de Bouhy-le-Tertre, et il est de tradition constante dans la région que la terre prise sous l'autel de cette église préserve de la morsure des serpents. Il est probable d'ailleurs que l'on retrouverait en d'autres pays, appliquée à d'autres saints populaires, des croyances du même genre. (P. Barbier).
Vestiges monastiques de l'Ile Saint-Maudez (Bretagne). Vestiges monastiques de l'Ile Saint-Maudez (Bretagne).
     
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