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CAHIER DE DOLÉANCES DE MOULINS EN 1789

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JURIDICTION DE MONTBOÜAN ET CHANGÉ.
(Paroisses de Moulins et Chancé).

Les assemblées des deux paroisses de Moulins (1er avril) et Chancé (5 avril) ont été présidées par les même personnage, Joseph Colliot, sieur de la Galaisserie, procureur de la juridiction de Montboüan et Changé. Le second de ces cahiers reproduit à peu près textuellement le premier, en modifiant l'ordre des articles ; l'un et l'autre sont directement inspirés par les Charges d'un bon citoyen de campagne.

 

MOULINS.
Subdélégation de La Guerche. — Département d'Ille-et-Vilaine, arrondissement de Rennes, canton de La Guerche.
POPULATION. — En 1790, 1.100 habitants environ (Arch. d'Ille-et-Vilaine, série Q, Déclarations des revenus ecclésiastiques). — En 1793, 1.102 habitants (Ibid., série L).
CAPITATION. — Rôle de 1783 (Ibid., C 4054) ; 204 articles ; total, 1.452 l. 10 s. — Total en 1789, 1.267 l. 9 s. 9 d., se décomposant ainsi : capitation, 822 l. 15 s. ; 21 d. p. l. de la capitation, 71 l. 19 s. 9 d. ; milice, 105 l. 1 s. 9 d. ; casernement, 254 l. 13 s. 3 d. ; frais de milice, 13 l. (Ibid., C 3981).
VINGTIÈMES. — 1.385 l. 2 s. 3 d.
FOUAGES. — 24 feux 1/6. — Fouages ordinaires, 265 l. 6 s. 11 d. ; garnisons, 79 l. 2 s. 10 d. ; fouages extraordinaires, 467 l. 1 d.
OGÉE. — Ce territoire est un pays couvert, qui produit des grains et du cidre.

PROCÈS-VERBAL. — Assemblée électorale, le 1er avril, au lieu ordinaire des délibérations, sous la présidence de Me Joseph Colliot (voir la note 1 qui suit), procureur de la juridiction de Montboüan (voir la note 2 qui suit) et Changé, « faisant fonction de juge en cette partie, attendu la vacance de la charge de sénéchal, l'absence du procureur fiscal et des autres procureurs plus anciens » (voir note 3 qui suit). Comparants : Joseph Trochon, sieur de Segrée (15); Jean Chopin (3) ; Jean Soulas (11) ; Jean Béasse Marchandière (8 ; 1 valet, 2,10 ; 4 servantes, 4,10) ; Julien Courteille (15) ; Michel Roussigné père (12,10) ; Michel Roussigné fils ; Thomas Le Sage (10 ; 1 valet 2,10 ; 1 servante, 2) ; Georges Desvaux (12 ; 1 servante, 1) ; Jean Mérel (12 ; 1 valet, 2,10 ; 1 grande servante, 2,10 ; 1 servante, 1) ; Jan Ménard ; 0llivier Poullain (9 ; 1 tisserand, 3 ; 1 grande servante, 2,10 ; 1 servante, 2) ; René Lepage ; Julien Tourneux, sieur de la Rabellière (10 ; 1 servante, 2) ; Jan Louvel (11 ; 1 valet, 1,10 ; 1 servante, 2,10) ; Jean Lefeubvre ; René Massé. — Députés : Joseph Colliot, syndic ; Jean Soulas, l'un des députés de cette paroisse.

Note 1 : Colliot était imposé à la capitation, à Moulins, pour 18 l. ; il payait en outre 4 l. 10 pour deux servantes (Arch. d'Ille-et-Vilaine, C 4054) ; il était syndic de la corvée (Ibid., C 4883). Un Colliot de la Galaiserie a comparu à l'assemblée de Piré, du 31 mars ; c’est sans doute le même personnage.

Note 2 : Sur la seigneurie de Montboüan, voy. Fr SAULNIER, Seigneurs et seigneuries, dans les Mémoires de la Société archéologique d’Ille-et-Vilaine, t. XVII (1885), pp. 322-328.

Note 3 : Le procès-verbal ajoute : « Aucun autre officier de cette juridiction n'a voulu venir faire fonction de juge ou de greffier, quoique nous ayons écrit à cette fin à trois officiers d'icelle ».

 

 

Cahier de doléances, plaintes et remontrances que les habitants de la paroisse de Moulins ont arrêté de faire au Roi, pour parvenir au redressement désiré depuis si longtemps dans la province de Bretagne.

Note : Les parties imprimées en italique sont tirées des Charges d'un bon citoyen de campagne.

Le préambule reproduit le préambule des Charges d'un bon citoyen de campagne. Mais, à la fin, les mots « disons-lui avec confiance » sont remplacés par la phrase suivante : « Obéissant à ses volontés les habitants de la paroisse de Moulins prennent la liberté de lui adresser les représentations suivantes, laissant aux esprits plus éclairés le soin de les perfectionner ».

Le cahier continue ainsi :

[1] Il convient que les impôts et les charges de l'Etat soient à l'avenir répartis sur tous les membres des trois ordres, sans exception, en proportion des biens et des facultés de chacun.

[2] Il convient d'établir une tenue d'Etats généraux tous les cinq ans ou tel autre bref ou plus long délai ; qu'à chaque tenue, il sera rendu compte à la Nation et avisé à ce qui sera nécessaire.

[3] Il conviendrait qu'il fût toujours permis de franchir les rentes seigneuriales ; outre que ces rentes occasionnent beaucoup de contestations qui accablent et ruinent presque toujours les vassaux, les seigneurs ne pourraient pas se plaindre quand ces rentes leur seraient franchies au denier fixé par notre Coutume, parce qu’ils pourraient convertir ce franchissement en acquisition de domaines qui ne se perdent jamais et dont le revenu est plus certain et sujet à moins de litige.

[4] Il conviendrait que les fuies et les garennes fussent supprimées et que les animaux de ces retraites fussent détruits. Tout le monde sait combien ces gibiers ruinent et désolent nos campagnes par leurs ravages nocturnes et journaliers.

[5] Personne n'ignore que de tout temps l'on s'est plaint de la perception des meuniers et de leur façon de moudre ; ils savent même rendre la farine plus pesante ; aussi la Coutume leur refuse-t-elle le serment ; il conviendrait donc de supprimer ce droit et de laisser la liberté à chaque vassal ; les bons meuniers ne manqueraient pas plus de grains qu'ils n'en manquent et chaque particulier pourrait espérer être servi plus fidèlement.

[6] Il serait aussi très à propos de permettre à chaque particulier d'avoir chez lui des meules ou moulinets à bras pour suppléer à l'insuffisance des moulins dans les temps de disette d'eau et autrement ; nous avons pour preuve de leur nécessité la sécheresse que nous avons éprouvée en l'année 1785 et l'hiver dernier, où, sans le secours de ces meules, grand nombre de personnes seraient mortes de faim.

[7] Il conviendrait qu'en contrats d'échange sous les fiefs des seigneurs il ne soit plus payé de lods et ventes. Les seigneurs ont perçu les lods et ventes de ces contrats par opposition au texte formel de notre Coutume ; ainsi, il faut de deux choses l’une, ou qu’ils consentent à l’extinction absolue de ce droit, ou qu’ils remboursent à la rigueur les fouages extraordinaires qui ont été perçus jusqu’à ce jour.

[8] Les lods et ventes au huitième et autre droit ont été accordés aux seigneurs pour les indemniser de la garde des chemins à laquelle ils étaient obligés de veiller et de la poursuite des criminels qui malfaisaient sur ces chemins. La bonté de notre Roi, voyant que cette charge était ruineuse pour plusieurs seigneurs, les en a déchargés et cette décharge est devenue une charge publique, au lieu qu'elle n'était que particulière ; ainsi il convient que ces droits, dont le motif n'existe plus, soient supprimés ou réduits.

[9] Le droit de retrait féodal a été accordé aux seigneurs pour qu'ils aient la liberté d'exclure un vassal désagréable ; il ne devrait pas être libre au seigneur de le céder à un tiers ; il ne devrait pas non plus lui être libre de l'exercer sur un particulier qui est déjà son vassal pour autre cause, parce que le motif d'exclure un vassal désagréable n'existe plus.

[10] Quoique la chasse ne convienne qu'au gentilhomme fortuné pour le tirer de l'oisiveté, cependant il convient que chacun ait la liberté de chasser sur ses terres et de détruire le gibier qui ravage et désole ses moissons.

[11] Dans le reste du royaume, les seigneurs hauts justiciers sont obligés à la nourriture de bâtards et enfants exposés dont le père et la mère ne sont pas connus, ou sont hors d'état de leur fournir la subsistance ; il n'y a que cette province où ces enfants restent à la charge des paroisses ; cependant tous les seigneurs hauts justiciers de cette province profitent des deshérences et des successions de bâtards ; il serait donc juste qu'ils fussent à leur charge.

[12] Quand le Roi a accordé, à la sollicitation de la Noblesse, l'exemption des dîmes sur les nouveaux défrichements, c'était sans doute pour encourager les laboureurs ; mais le Roi a été trompé dans son attente et la Noblesse a profité de cette faveur pour grossir ses revenus, en afféageant à des charges excessives ; pour y remédier, il serait à propos qu'ils fussent obligés, ou de faire défricher les terres incultes qu'ils possèdent, ou de les afféager à même fin à des conditions qui encourageraient les cultivateurs.

[13] Il conviendrait que toutes les paroisses de la province fussent arrondies, de façon qu'il y eût, outre le recteur, un curé ou vicaire en chaque. L'incommodité de laisser une maison seule ou de n’y laisser que des enfants, dont les uns ne marchent point et les autres à peine, est bien grande, expose à la ruine et à de grands malheurs.

[14] Il conviendrait que les dîmes vertes, celles de blés noirs et autres grains printaniers fussent supprimées ; que le cinquième des dîmes blanches, que l'abbesse de Saint-Sulpice perçoit dans cette paroisse, fût joint aux gindre cinquièmes que le recteur perçoit, et que le taux de percevoir les dîmes blanches fût fixé à un certain nombre équitable (voir la note qui suit).

Note : Les quatre cinquièmes des grosses et menues dîmes appartenaient au recteur et valaient 2.500 l. (Arch. d’Ille-et-Vilaine, série Q, déclarations des biens ecclésiastiques) ; le cinquième des grosses dîmes était en la possession de l'abbaye de Saint-Sulpice, qui le louait 560 l. au sieur Leguay, de Châteaugiron, en vertu d’un bail passé en 1785 (Ibid., 2, H 2, 146).

[15] Outre que les dîmes vertes, qui sont insolites dans toute la province, occasionnent beaucoup d'injustices et de contestations, elles éloignent souvent les ministres de leur devoir et les obligent à rester des semaines et des mois entiers absents, pour la poursuite de leurs procès ; s'ils reviennent victorieux, ils triomphent des malheureux qu'ils accablent souvent plus par faveur que par bon droit. S'ils succombent, ils reviennent avec un air mélancolique ; il est vrai que leur table est presque toujours la même, splendide et délicate, mais adieu les pauvres ! Ils n'ont presque plus de part à leur charité.

Ce n'est pas par rapport à notre recteur que nous faisons ces observations, car, grâce à la divine Providence qui nous l'a procuré, nous savons tous qu'il répand libéralement ses charités aux pauvres (voir la note qui suit).

Note : En dehors de la dîme, le recteur jouissait du presbytère, d'un jardin et d’un pourpris, dont le revenu total était estimé 122 l. Il avait à sa charge la pension du vicaire, les décimes (180 l.), celles du vicaire (5 l. 6 s.) et le paiement d’une rente de 21 l. 12 s. à la collégiale de la Madeleine de Vitré. La fabrique avait un revenu de 324 l. 2 s. 11 d., et la bourse des défunts un revenu de 494 l. 5 s. (GUILLOTIN DE CORSON, Pouillé, t. V, p. 327). — Il y avait une rente de 8 l. constituée au profit des pauvres de cette paroisse et dont le produit était distribué sur un certificat du recteur (Arch. d'Ille-et-Vilaine, C 1292).

[16] Si, contre toute attente, ces changements ne nous étaient pas accordés, il conviendrait, aux termes de la loi, que chaque particulier eût un journal de terre en sa disposition pour ses légumes et y semer au reste ce qu'il lui plairait, sans payer de dîmes.

[17] Il conviendrait que Sa Majesté connût le produit des biens possédés par les gens de mainmorte ; l'on est presque sûr que ce produit égalerait à beaucoup près et pourrait même surpasser les perceptions de Sa Majesté ; et, pour empêcher toutes fraudes ou contre-lettres qui ont lieu, ou du moins sont possibles, il serait à souhaiter que les baux de fermes fussent mis en adjudication, en présence du général des paroisses on les biens sont situés, lesquels généraux en tiendraient un registre particulier sur commun et non sujet à contrôle ; par ce moyen, on connaîtrait leurs revenus et on serait à lieu de leur faire supporter leur juste portion des charges publiques.

[18] MM. les contrôleurs ne veulent point qu'on leur paye le centième denier sur le prix du bail courant, mais plutôt sur le pied de ce que l'héritage serait vendu, de façon que si quelqu'un vend un héritage sur le pied du denier trente ou quarante, si cet héritage convient et procure une grande commodité à l'acquéreur, sa déclaration sera inscrite en faux et il sera condamné en 500 livres d'amende, ce qui est inouï ; il convient donc que le bail courant, qui ne peut être suspect, fasse la règle en cette partie.

[19] Dans les contrats de vente, les contrôleurs exigent le contrôle de la somme déléguée ; lorsque la dette est verbale ou aux fins d'actes sous seing privé, ils exigent en outre le contrôle du prix total du contrat. Si la personne déléguée ne sait pas signer, il faut que la quittance soit par devant notaires ; le contrôle de la même somme se paye encore une fois, qui est la troisième, et si le vendeur ne savait pas signer, lorsqu'il donnera une quittance de… qui, avec celle de…, font celle de…………, principal du contrat, ils prendront encore le contrôle de la somme entière, de façon que dans le cas présent le contrôle de la somme déléguée se trouvera payé quatre fois ; peut-on voir rien de plus inouï ! Sa Majesté doit apporter un prompt remède à ces maux, d'autant plus que ces vexations tombent sur le menu peuple qui n'a pas le moyen de s’instruire.

[20] Un particulier forme des arrêts ; s'étant ensuite arrangé avec son créancier, sans avoir cependant fait l'apurement, il donne une mainlevée pure et simple de ses arrêts, sans mettre dans l'acte de quelle somme il est créancier, ce qui est même quelquefois impossible, attendu que le résultat dépend quelquefois d'affaires longues et difficiles ou autrement d'un apurement difficile et qui n'est point fait ; faute d'avoir exprimé dans la mainlevée de quelle somme il était créancier, quoiqu'il lui fût impossible, le contrôleur percevra le plus fort droit qui est de 300 livres ; ces motifs de perception et autres de MM. les contrôleurs sont sans doute contre les intentions du Roi ; ainsi on espère que Sa Majesté voudra bien y remédier.

[21] Il conviendrait que les assemblées et les droits que les seigneurs perçoivent ces jours-là fussent abolis (voir la note qui suit) ; outre qu'il y a assez de marchés où chacun peut acheter ce dont il a besoin, la fin de ces assemblées ne produit ordinairement que des crimes de toutes espèces et souvent des meurtres qui, restent presque toujours impunis.

Note : Les aveux rendus à la seigneurie de Piré, durant le cours du XVIIIème siecle, reconnaissent au titulaire de cette seigneurie « le droit d'assemblée le jour Saint-Louis (25 août) au bourg de Moulins, où le seigneur a droit sous sa juridiction d'y faire tenir audience fixe et de lever ou cueillir la coutume ou droit d'étalage sur toutes sortes de marchandises qui s’y vendent, droit de bouteillage sur les vins et cidres qui s’y débitent, mesurage et thelonnage de pichets et mesures et tous autres droits lui dûs… » (Arch. d’Ille-et-Vilaine, série E, fonds de Piré, liasse 177).

Suivent les §§ 9-10 et 12-16 des Charges (voir la note qui suit)...

Note : La tâche de cette paroisse, sur la route de Rennes à La Guerche, était, en 1788, longue de 1.084 toises ; elle avait son centre à un quart de lieue du clocher (Ibid., C 4883).

[29] Que chaque particulier ait la liberté de porter du cidre à ses ouvriers qui travaillent sur ses terres, sans qu'il puisse craindre les incursions des employés aux devoirs.

[30] Malgré la grande maxime qu'il n'y a point d'esclaves en France, tout n'est qu'esclavage dans ce royaume, dans cette province ; les employés aux devoirs et les commis au tabac profitent de l'ignorance et de la faiblesse des gens de la campagne pour les envelopper dans des procès-verbaux de faux de toutes espèces.

Pour remédier à ces maux, il convient que le tabac paye le tribut au lieu de sa fabrique et qu'il soit au reste fait une levée suffisante ; par ce moyen, on n'aurait plus à ses gages des tyrans qui ne semblent avoir été inventés que pour tourmenter tout le genre humain.

[31] Il conviendrait que le franc-fief fût supprimé ; en effet, le franc-fief était d'abord le vingtième ou la vingtième année de jouissance ; aujourd'hui on exige outre les huit sous pour livre et le seigneur de son côté perçoit une année du revenu pour son rachat, en sorte que pendant trois ans l'héritier sème sans récolter à son profit.

[32] Enfin adoptons en général tous et chacun des articles de doléances et demandes qui seront contenus dans le cahier de la ville de Rennes et qui n'auraient été prévus ou suffisamment développés dans le présent.

Arrêté en l'église de Moulins, sous nos seings, ce premier avril mil sept cent quatre-vingt-neuf.

[Suivent 16 signatures, plus celle du président Colliot].

(H. E. Sée).

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