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Le château des ducs de Bretagne vers 1923

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L'ORIGINE de toute chose est obscure et troublante. Nantes et le Château ne font point exception à cette règle. Des archives ténébreuses, le cheminement souterrain de fondations éparses, quelques pierres taillées, voilà, les témoins d’un passé qu'on recompose tant bien que mal par hypothèses.

Le confluent de la Loire et de l'Erdre infléchi vers le nord-est à partir du pont actuel de l'Hôtel-de-Ville, dessine les trois faces d’un quadrilatère dont les Cours forment aujourd’hui la quatrième. Situation géographique exceptionnelle pour la défense et l’expédition ! Protégé par le fossé des rivières en avant et sur les côtés, il suffisait de dresser une garde arrière pour devenir inviolable. C’est là que les Namnètes, après sans doute bien d’autres peuplades, s’étaient installés. 

Voir aussi   Nantes "Le château de Nantes en 2007 (après sa restauration)"

A la fin du IIIème siècle, les Romains fortifièrent la place par un mur d’enceinte  épais de quatre mètres, dont M. Primault, ingénieur principal de la Ville, a relevé le tracé. Ce mur suivait la Loire jusqu’au Bouffay, remontait par les rues de la Poissonnerie, Saint-Léonard, jusqu'au jardin de l'Hôtel-de-Ville d'où il gagnait la rue Royale pour redescendre à la Loire par la Porte Saint-Pierre. A cette époque, le niveau du sol étant sensible­ment plus bas qu’aujourd’hui, la marée refoulait l'Erdre au pied du rempart.

C’est dans la cour du Château, vraisemblablement sous le pignon sud du bâtiment militaire construit en 1784, que la fortification du IIIème siècle bifurquait pour longer le fleuve en aval. Certains auteurs ont flanqué cet angle d’une tour romaine dont l'existence est incertaine. Toutefois les fouilles opérées en 1784 pour fonder le nouveau bâtiment découvrirent un massif de maçonnerie circulaire de vingt-deux mètres de diamètre, surmonté d’une base dont la forme polygonale est propre au XIVème siècle. Mais aucun renseignement n’ayant été recueilli sur la construction du massif fondamental, l’appareil, on ne sait de quelle époque dater ces ruines.

Quoi qu’il en soit et jusqu’à ce que des recherches nouvelles ou le hasard, collaborateur avisé des archéologues, aient éclairé ces obscures origines, il faut avouer que cette tour initiale, embryon des châteaux futurs qui se sont engendrés l’un l’autre à sa suite, apporte à l’histoire du Palais Ducal une unité satisfaisante et ajoute la belle ordonnance de l’art au drame de ces pierres. C’est pourquoi, malgré le défaut de documents, nous adoptons volontiers une vue qui a pour elle les présomptions de la logique, le fondement de la légende et la beauté d’une composition sans faiblesse. Admettons donc que l’ouvrage romain, établi au saillant est du Portus Nannetum, successivement augmenté par Alain Barbe-Torte, Guy de Thouars, François II de Bretagne, Mercoeur, est devenu Château de Nantes.

Pour écrire l’histoire du Château, qui est proprement celle de ses habitants, il faudrait retracer six siècles d’histoire bretonne, tâche impudente pour une simple notice. Quant à nommer tour à tour les personnages considérables qui le hantèrent sans prendre soin de les lier à la chronique, c’est un dénombrement sans profit. Nous nous bornerons ici à noter tout ce que l’on a pu établir avec certitude touchant la naissance, la vie, la mort des antiques murailles. Par surcroît, dans le but d’animer la forteresse par l'évocation du passé, nous illustrerons cette aride monographie d’un retour à la cour des ducs de Bretagne, souverains puissants et magnifiques.

Il faut se méfier des classifications en histoire : la vie roule à sa fantaisie et on ne l’encercle point au compas. Un système force toujours la nature, gauchit la vérité. Mais il est si commode d’appliquer une grille sur les choses, de les présenter à l’esprit divisées, étiquetées comme un rayon bien tenu, qu'on ne saurait bannir la méthode.

Trois étapes se distinguent assez nettement dans l’évolution du Château de Nantes.

La première va des origines à la restauration du Château de la Tour Neuve par le duc Jean IV. A ce temps de luttes féodales il faut des constructions inexpugnables : tours, souterrains, douves, donjon. Le pouvoir, sans cesse assailli, a besoin d’un retranchement solide, d’une place menaçante. C’est l’époque du Château à proprement parler.

La seconde est la période du Palais Ducal. La province s’apaise ; les ducs tiennent en échec le roi de France. Jean IV restaure le vieux logis que François II, plus fastueux encore, rebâtira merveilleusement des caves aux pignons. Le luxe, les fêtes, un train royal égaient la forteresse, agitent la Ville. C’est la splendeur.

Mais vient la réunion de la Bretagne à la France. La lignée ducale s’éteint ; les propriétaires fout défaut. Le Château de Nantes passe à la couronne. On y loge des gouverneurs. Ce n’est plus qu’une Citadelle. Quelques années encore la sollicitude de la reine Anne le veille, l’entretient, par le moyen de Louis XII, de François Ier. Puis la décadence militaire commence et se poursuit jusqu’à nos jours avec tant de diligence qu’on est surpris de trouver encore six tours debout au bord de la Loire.

Nantes : château des ducs de Bretagne 

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LE CHATEAU

Vers 896 l’évêque Foulcher établit autour de la cathédrale et de ses jardins une sorte de rempart « dans lequel clers et laïcs pourraient trouver refuge et se défendre contre les Normands en cas de nécessité ». Ce fut le château épiscopal. Il pourvoyait au bien public et en même temps renforçait, par la manifestation d’une protection puissante, l’autorité ecclésiastique.

Un siècle plus tard environ, Conan-le-Tort élève une forteresse au confluent même de la Loire et de l'Erdre : le Château du Bouffay qui devint la résidence des comtes de Nantes avant d’être abandonné aux services administratifs. Ainsi, avant le Xème siècle, deux réduits fortifiés flanquaient les extrémités de la ville, celui des évêques au nord sur la motte Saint-Pierre, celui des comtes au sud, à la fourche des rivières. Mais ni l’un, ni l’autre ne devait atteindre aux destinées glorieuses, durables. Le premier s’effondra sous les coups du pouvoir séculier. Le second s’effaça lentement dans la poudre de la justice, les ténèbres du cul-de-basse-fosse.

L’avenir était réservé à la Tour Romaine. Plantée à l’est, en bordure de la Loire et des prés de Richebourg, sous le retranchement même de l’évêque, elle ne cessa probablement jamais de jouer un rôle dans cette époque meurtrière. M. Bougouin, dans sa Notice historique sur le Château de Nantes, démontre, avec beaucoup d’ingéniosité, qu'Alain Barbe-Torte la restaura en 936 pour en faire sa demeure. A la fin du Xème siècle Auriscand, pasteur de Vannes, la tient en sa garde. Puis elle retourne aux comtes, les uns l’habitant, les autres utilisant simplement sa valeur défensive.

Mais les deux pouvoirs ne voisinèrent pas longtemps sans heurt. La mitre et l’épée se sont mesurées avant de s’unir, la pourpre passant d’ailleurs toujours sous la cuirasse. Impatient dans sa tour, juxta parietes Ecclesioe, le comte Budic profita d’un voyage à Rome de son voisin pour ravager le fief épiscopal. L’excommunication fondit sur les Nantais !

La guerre déclarée se poursuivit avec des trèves. Guy de Thouars la reprit en bâtissant, sur l’emplacement de la vieille Tour, le premier château digne de ce nom. Une défense urgente s imposait de ce côté de la Ville que les barbares chargeaient en dévalant la motte Saint-Pierre. Guy de Thouars envahit les jardins de l’évêque Geoffroy en 1207 pour y creuser ses douves, y asseoir ses murailles. L’Eglise brandit ses foudres. Un procès s'engage. Mais le comte ne renie rien de ses gestes et garde la terre. Le Château de la Tour Neuve, premier état du Palais Ducal, était fondé.

Pierre de Dreux dit Mauclerc, parce que, lit-on dans la Vie des Saints de Bretagne, « il faisait rage à persécuter le clergé, lequel il abhorrait tellement que, quand il parlait des prélats et autres gens d’église, il ne les nommait que vendeurs de sacrements, maquignons de bénéfices et autres titres de mépris », accepta joyeusement la succession envenimée et continua de bâtir. Concile, pape, viennent à la rescousse contre le duc sans le réduire. Ses héritiers, fils et petit-fils, poursuivent la querelle. Le Château monte, grandit, s’étend sur les biens d'un clergé qui le revendique en maniant les assignations, les interdits, les censures. Tout un demi-siècle les évêques rompent mais sans désarmer. Enfin le duc triomphe : par jugement du vendredi devant la Saint-Denis 1259, le « fonds de la Tour Neuve » lui est définitivement acquis moyennant paiement de cent quarante livres, plus un loyer de cinq sols.

Pendant ce conflit, les ducs abandonnent le Bouffay et s’installent à la Tour Neuve d’où l’on narguait l’ennemi plus à loisir. Ce n’était pas petite affaire d’affronter l'Eglise à l’époque ! Politique scandaleuse qui réussit cependant. Battu en brèche, le pouvoir religieux se replie mais remet jusqu’à l’avènement de François II avant de prêter le serment d’hommage et de fidélité. Chaque jour l’ombre du donjon ducal s’abat et tourne sur le fief sacré. Le château règne. Et le pouvoir séculier, solidement établi, commence cette longue souveraineté provinciale que l’adresse charmante de la reine Anne échangea contre un royaume.

Ce Château de la Tour Neuve, ainsi nommé pour le distinguer des anciennes fortifications, est fort mal connu. Commencé en 1207 par Guy de Thouars, il ne cesse de se développer pendant plus de cent cinquante ans, suivant les besoins ou la fortune des maîtres. A la fin du XIVème siècle, Jean IV le restaure, l’achève en l’accroissant de la propriété du prêtre Garnier, sise en bordure du cimetière des Jacobins. Pour la première fois, en 1367, le Trésor des Chartes de Bretagne cite un maître d'oeuvre : Jehan Rebours auquel fut baillé « sexante et quinze escuz pour emploier ès-ouvres de la Tour Nouve de Nantes »

L’ensemble du plan s’inscrivait probablement dans une partie de la cour du château actuel. Une courtine suivait la façade du grand gouvernement, une autre longeait sans doute la Loire. Les bâtiments d’habitation formaient un angle entre l’ancienne Tour des Espagnols détruite par l’explosion de 1800 et une autre avancée sur le fleuve, non loin du Petit Gouvernement. Le vieux donjon du XIVème siècle, qui subsiste encore, marquait le sommet de cet angle. L’entrée s’ouvrait du côté des Jacobins.

Dans le nord, chevauchant un ancien rempart amorcé au donjon, s’élevait la Tour au Duc. Cet ouvrage en demi-lune, isolé dans les douves, un peu au-delà du saillant du cavalier Saint-Pierre, et attribué à Guy de Thouars, disparut vers la fin du XVIIIème siècle. Les ruines en furent dispersées plus récemment.

L’événement capital qui situe ce château dans l’histoire et dans la légende est le procès de Gilles de Retz. Emprisonné à la Tour Neuve, le Maréchal y fut jugé par un tribunal ecclésiastique que présidait Jean de Malestroit, évêque de Nantes, et solennellement excommunié pour hérésie, débauche, apostasie, idolâtrie, commerce avec l’esprit du mal. Transféré au Bouffay, où siégeait, autour du Président de Bretagne, Pierre de l'Hospital, le tribunal civil, Gilles fut condamné à la potence et au bûcher. On l’exécuta le 27 octobre 1440 en la prée de la Madeleine. Ainsi le seigneur des magies infernales, comme Jeanne l’élue du ciel, finissait par le feu. Ils avaient guerroyé botte à botte : le Maréchal porta l’étendard de la Pucelle. Ils représentaient les deux pôles mystiques d’un âge de pieuse folie, Dieu et Satan. Quod est superius sicut quod inferius !  

Nantes : château des ducs de Bretagne

   

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Etat du château en 1923 (état actuel = 1923) : 

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LE PALAIS DUCAL

Le 12 octobre 1466, le duc François II signait un mandement pour ordonner la reconstruction de son Chastel de la Tour Neuve qu’il jugeait « petitement logé et indigent de réparations ». Mathurin Rodier, dit Mathelin Rodier, « maistre des œuvres de Saint-Pierre de Nantes », prit, au moins pour une part, la direction des travaux. Il toucha jusqu’à deux cent quarante livres par an, soit 7.680 francs en monnaie de 1913, traitement fort élevé pour l’époque. Jean Pasquier et Jacquet Bodard, maîtres ouvriers à cinq sols la journée, le secondaient. Ils commencèrent l’édification du château actuel à peu près tel qu’il subsiste dans son enceinte et les bâtiments du Grand Logis.

Les fossés du vieux château, du côté de la Ville, servirent à enfouir les fondations du nouveau. On y établit la façade défendue par quatre tours symétriques, deux flanquant le pont-levis : à gauche la Tour du Pied de Biche qui tire son nom de la forme d un cachot ; à droite la Tour de la Boulangerie où étaient les fours. A l’angle nord de la muraille s’élevait la Tour des Espagnols qui reçut prisonniers des soldats de Charles-Quint ; au sud la Tour des Jacobins, face au couvent.

En 1480, cette façade terminée, le duc acheta aux Jacobins le terrain nécessaire au creusement des nouvelles douves. Le puits, si délié dans ses ferronneries, si harmonieux d’ensemble, fut commencé vers cette époque. Dix ans plus tard, on achevait le Grand Logis, habitation des hommes d’armes, et l’on dessinait la Tour du Fer à Cheval. Elle se prolongeait par une caponnière crénelée qui menaçait à la fois le fleuve et la motte Saint-Pierre.

Les tours portaient sans doute des tourelles et ces hautes toitures qui remplacèrent les hourds de bois à partir du XIVème siècle. Elles furent abattues en 1616 par ordre du roi, en dépit des protestations de la Ville. Louis XIII voulait renforcer la place ; les Nantais se méfiaient du maître.

Dubuisson-Aubenay, dans son Itinéraire de Bretagne en 1636, remarque qu’au-dessus de l’entrée, coupée par le pont-levis, se dressait « une horloge et façon de beffroy ». Les combles des bâtiments communiquaient avec les tours, si bien qu’une sorte de boulevard circulait au faîte du château sur lequel on pouvait aisément manoeuvrer et rouler l’artillerie. Elle comprenait, en 1486, 15 canons, 16 couleuvrines, 12 hacquebutes, 30 brigantines et quelques serpentines.

Au revers de la façade, du côté de la cour, s’étendait le Palais Ducal détruit par un incendie en 1670 et reconstruit aussitôt fort grossièrement. Il convient, pour la clarté de l'Histoire, de lui restituer le nom de Grand Gouvernement, par lequel il fut désigné plus tard, afin de le distinguer de l'hôtel du Petit Gouvernement adossé à la courtine de la Loire sous François Ier. Le rez-de-chaussée contenait le corps de garde, les cuisines ; le premier et le second étage les appartements. Au-dessus logeaient les serviteurs et les hommes d’armes.

Nantes : château des ducs de Bretagne

Des bâtiments reliaient le Grand Gouvernement au vieux logis du moyen âge, en arrière de la Tour des Espagnols. Elle recelait des souterrains, une prison. A sa hanche, une salle voûtée, qui ne s’ouvrait que par lettre de cachet, renfermait les archives des Ducs de Bretagne. Au-dessus était la chapelle où Richelieu, cinq jours gouverneur du Château, accrocha ses armes au vitrail. L’aumônier habitait à côté.

Plus loin, au delà du donjon du XIVème siècle, une glacière et une laverie terminaient les bâtiments. La courtine suivait, percée d’une  poterne dont on voit encore l’encadrement et qui, à l’aide d un pont étroit, parallèle au rempart de la Tour au Duc, servait de sortie défilée vers la motte Saint-Pierre, hors des murs de la Ville. La Tour du Fer à Cheval venait ensuite.

C’est la plus importante par l’ampleur du rayon et de la saillie. Elle doit son nom à sa forme. Deux chemins de ronde superposés, dont le plus élevé fut recouvert sans doute récemment, ouvrent leurs embrasures dans le pourtour de la muraille. Elle avait deux étages de souterrains qui furent comblés vers la fin du XVIIIème siècle. La façade intérieure amenuisée en gable fleuronné et décorée de fenêtres, servait d’amorce au rempart qui rejoignait la Tour de la Rivière.

En 1500, le tracé du château et des douves était définitif. A la date du 27 janvier, le registre de la Chambre des Comptes mentionne les expropriations nécessitées par les agrandissements : 23 maisons du côté de la Ville, 32 vers Richebourg. La courtine de la Loire ne devait être achevée que sous François Ier qui grava son chiffre, deux F affrontés, sur la frise. A cette courtine fut adossé un peu plus tard l’hôtel du Petit Gouvernement. La halle aux engins, arsenal du Château, rejoignait à sa suite le Grand Logis. Elle se composait, pensons-nous. de deux corps entre lesquels une rampe d’accès descendait de la cour au fleuve. Une poterne, enfouie sous le quai, ouvrait sur une cale au bord de la Loire.

Ainsi se présentait le Château de Nantes au début du XVIème siècle ; ainsi est-il à peu près encore de nos jours. Le plan des maîtres d'oeuvres de François II fut certainement abandonné ainsi que l’indiquent les pierres d’attente du Grand Logis qui annonçaient une suite en retour le long du fleuve. L’ampleur de l’entreprise, la lenteur de l’exécution, les frais, le changement des règnes, des modes, contribuèrent à modifier et à restreindre des travaux qui couvrent près d’un siècle. Mais, du moins, le souci d’édifier une forteresse puissante, vaste, accueillante à tous les charmes de l’art en même temps qu’aux nouveautés redoutables, n’a jamais cessé de guider les ducs de Bretagne et leur royale héritière.

FASTUEUX seigneurs, ces ducs de Bretagne ! Leur train égalait la magnificence des cours les plus riches, leur pouvoir balança si longtemps celui des rois de France que même ce vieux renard de Louis XI, qui colportait, sans répit ses intrigues à dos de mule comme un chaussetier sa boutique, n’en put venir à bout.

Ils habitent un palais au coeur d’une citadelle. Cinq ministres les assistent dans les affaires. Trois conseils les éclairent et bornent leur fantaisie. Quand François II inaugure à Vannes les Etats de 1642, il marche couvert d'écarlate, fourré d’hermine, entouré des sires de Laval-Vitré, de la Roche-Bernard, de Château-Giron on qui portent la queue comme de simples pages. Archers, trompettes, menestriers, hérauts, huissiers à verge et grands écuyers chargés de la couronne et du bonnet ducal le précèdent. Derrière lui s’allonge le rang des feudataires chamarrés, la noblesse, le clergé, le tiers. S’il doit jurer, on lui apporte d’abbayes lointaines une relique de la Vraie Croix, garant des loyautés infaillibles.

Au Château, le domestique est considérable. Jean V n’a pas moins de dix-sept chambellans, quatre maîtres d’hôtel, une foule de secrétaires, d’écuyers pour le corps, l’écurie, la chasse, les armes. Des barons ont « bouche à cour » et sont pensionnés en même temps que des bateleurs, des maîtres d'oeuvres. Il faut des canonniers de choix qu'on recherche jusqu’en Hollande. La grande cour sert de lice pour les joutes, de théâtre pour la représentation des mystères ou des soties. Chaque jour veneurs et fauconniers prennent la campagne. Le menu de la Noël 1377 comporte cent soixante pains, quatre pipes de vin, le quart d’un boeuf, un veau, deux moutons, trois porcs, des brochées de volailles, sans compter le poisson frais ou salé, de mer, de rivière et d’étang.

Jean IV, qui épousa la fille de Thomas Holand, une des belles mangeuses d'Angleterre, se plaisait à édifier des cloîtres de verdure où des plantes grimpaient sur les arceaux d’osier de Couëron. Il entretenait des brodeurs, goûtait les étoffes festonnées « d’or de Chipre », particulièrement de couleur verte. Grand manieur de pierres comme ses successeurs, il restaura son vieux logis de Nantes, éleva la Tour Solidor, les Châteaux de Dinan, de Suscinio.

Avec Jean V nous voyons bâtir le tombeau de Saint-Yves, la chapelle transparente du Folgoët et cette cathédrale Saint-Pierre dont les piliers à cannelures fusent d'un jet lumineux jusqu’aux clés de voûte. Bonhomme, il anticipait sur l’humeur pot-au-feu de Chrysale, disant « Par Saint-Nicolas, j’estime femme assez sage quand elle peut mettre différence entre sa chemise et le pourpoint de son mari ». Il s’amusait du reste comme un escholier. A jour convenu, dans le Château, on vous cueillait au lit les paresseux qu’on expédiait dès l’aube s’éveiller dans les douves. Pris lui-même à ce jeu, le duc n’évita le bain qu’en payant rançon.

Au XVème siècle, les moeurs sont fort  dissolues. Les prêches du cordelier Maillard nous enseignent que la Bretagne ne fait point exception. Il y fustige la débauche avec cette sainte verdeur coutumière aux théologiens mais qui ne laisserait pas d’émerveiller aujourd’hui le trottoir. Ces femmes aux traits mortifiés par l’hérédité des unions politiques, embéguinées sous le capulet du nonnain et serrées dans la guimpe, cachent un coeur fragile, une chair inquiète. La guerre civile rôde comme un fauve autour de la cité. La faveur du prince éblouit. Crainte du lendemain, rêve d’élection, appel d’en haut, chuchotement d’en bas, la terre et l’au-delà affolent la créature entre les pôles des jouissances et des mystiques ambiguës. La chaîne maléfique n’est point rompue de Gilles de Retz à la Voisin. Dans les cours fortunées les fêtes mènent la vie. Sait-on s’il y a des manants qui peinent? Et le duc François II, « bel et de grande apparence », dit Olivier de la Marche, n’a-t-il pas gravé sur un bijou familier : « Il n’est plaisir que de liesse ? ».

Celui-là tient le pas sur tous les souverains bretons par sa magnificence, son luxe et l’éclat d’un règne dont les lendemains malencontreux mettaient la Bretagne en péril sans l’à-propos matrimonial de la duchesse Anne. Pacifique, mais « l’un des fiers du monde en courage en son droit défendant » François II aimait les arts, les femmes, l’esprit, toutes les belles inutilités qui rendent la vie juteuse comme un fruit mûr dans la bouche. Il avait des favoris, des favorites. La Villequier, cousine germaine d'Agnès Sorel et, à sa suite, pourvoyeuse des passions du vieux Charles VII, trouvant à son goût ce beau prince verdoyant de jeunesse, abandonna pour le suivre son royal débris. Ses quarante-cinq ans ne pesèrent point en compte. Elle était fine mouche, expérimentée. Soumis sept années à ses charmes, François II la pourvut de la seigneurie de Cholet. Il en eut quatre bâtards et délaissa la duchesse que le peuple défendait ouvertement par ses blâmes.

Un marchand drapier qui le secourut dauphin « pauvre et disetteux » fut payé par le duc de la charge d’argentier. Il n’en attendait pas davantage. Pierre Landais était un homme du commun comme on en voit manier les affaires dans tous les règnes : les talents roturiers furent toujours le soutien des trônes. Il s’aliéna la noblesse par son élévation et en défendant le pouvoir ducal contre l’arrogance des grands feudataires. D’Argentré nous le dépeint « audacieux, entrepreneur, impétueux et impudent et, avec ce, fin, délié, propre pour bien servir un prince en grands maniements et à remuer partis, estant caut et subtil en pratiques et de vrai homme d’estat s’il n’eut été trop sujet à ses passions ».

Celles-ci ne contribuèrent pas peu à lui attacher François II. Ce duc, dont on lit la faiblesse élégante dans le long profil efféminé sculpté par Michel Colombe sur le tombeau où il gît près de Marguerite de Foix, aima trouver derrière la forte astuce du politique le reflet de ses mauvaises ardeurs. Landais lia partie avec la Villequier. Pendant vingt-cinq ans il gouverna en bon breton, contre la France, dans l’ombre du manteau ducal. 

Mais sa police était rude, sa faveur exaspérait. Plusieurs fois ses adversaires lancèrent l’émeute contre le Château afin d’obtenir sa tête. François le défendit jusqu’au bout. A la fin, saisi dans la chambre même du souverain où il s était réfugié, Landais fut entraîné et pendu court en la prée de Bièce.

A cette époque la vie d’un homme pesait peu. Une intrigue, la moue d’une favorite, un geste royal : c’était la hart ou l’arquebusade au tournant d’un fourré. La raison d’état ouvrait les geôles selon l’humeur du maître. Les pierres étouffaient les plaintes et les douves rêveuses n’ont point d’oreilles. Là-haut, on dansait, on jouait, on coquettait. Le beau François, qui portait des bonnets de drap fin, noir le jour, rouge la nuit, parfumés de poudre de violette, veillait à embellir la vie à ses entours. Il aimait la chasse et dépensait bon an mal an trente-cinq mille francs pour sa vénerie et soixante-douze mille pour la fauconnerie.

La cour du Palais retentit des chevauchées, des abois et des cris. Le joyeux soleil l’inonde par-dessus les courtines de la Loire où des pêcheurs traquent, pour la table du prince, les fines lamproies dont Jean IV faisait ses plus nobles cadeaux. Toute une valetaille multicolore s’impatiente à garder le mulet. Les lévriers couplés hâlent à la laisse. Les fauconniers, l’oiseau coiffé sur le poing gauche, enfourchent par la droite leur lourd breton. On disputaille sur les mérites des faucons : voici les niais des couvées fraîches, les tagarots tirés d'Egypte à grands frais. Des gentilshommes se pressent pour bouter galamment les dames en selle. Housses, harnois, brocarts et pendeloques étincellent avec les rires. Le duc a porté défi au sire du Chaffault : à qui tuerait le plus de perdrix dans un mois, et il part en chasse battre la campagne.

L’antique Chastel de la Tour Neuve devait naturellement paraître mesquin à un prince si magnifique qui donnait, dans une heure de prodigalité, le Château du Bouffay à son valet de chambre Guyomarc ! Toutefois il ne laissa pas d’habiter le vieux logis que flanquaient la Tour des Espagnols et le donjon du XIVème siècle. Le palais neuf, tout fleuri des grâces flamboyantes de la Renaissance, demeure pour témoigner de la grandeur du règne. François II fut le premier et le seul duc assez puissant pour obtenir du pape la création à Nantes d'une Université de droit et de théologie.

Mais le pouvoir ducal tremblait sous les coups des armées du roi. François quêtait des secours en offrant la main de sa fille. Maximilien d'Autriche la paya de quinze cents lansquenets et devint son fiancé par procuration. Anne n’avait pas treize ans ! Le duc meurt, abandonnant la Bretagne à ces mains puériles. Le réseau des intrigues, des trahisons se resserre. Par bonheur, quand il assiégea Rennes, le roi de France portait un cœur romanesque dans sa poitrine de vingt ans. Le dessein de conquérir la duchesse avec le duché riait à son jeune sang. Les conseillers  retors eurent tôt fait de le convaincre. Le 16 décembre 1491, le mariage de Charles VIII et d'Anne de Bretagne liait pour toujours les lys à l’hermine. La « bonne duchesse » a laissé une légende de vertu que cette langue pointue de Brantôme n'a pas su entamer. Epouse de Louis XII, après la mort de Charles VIII, elle poursuit sa politique regionaliste et pousse ses bretons en place. Elle avait un grand front arrondi et têtu, des traits épais et un air de bonté grave, si l’on en croit une miniature de son livre d'Heures. Elle boitait avec grâce, charmait par sa fraîcheur, la gentillesse de son esprit, le sens de sa judiciaire. Son « coeur infiniment hault, hardy et indomptable », revint en Bretagne dès qu’il eut cessé de battre. La reine laissait sa dépouille aux grandeurs de Saint-Denis, tandis que la femme retournait à sa province. Le musée Dobrée en garde la poussière dans un reliquaire d’or mordu par le temps.

Cette pieuse souveraine ne manquait pas d’entente aux biens de ce monde ! En mariant sa fille avec François Ier, elle sut encore protéger, par delà le tombeau, le noble témoin des splendeurs ducales. Mais c’en est fait du Palais ! La soldatesque remplace les grâces efféminées de la décadence féodale. Résidence des gouverneurs militaires, caserne et prison à la fois, le Château réduit sa chronique aux visiteurs illustres, aux prisonniers de choix : Henri IV, Louis XIII, Marie de Médicis, Richelieu et Louis XIV qui met pied à terre à Nantes le temps d’abattre Fouquet. L’évasion de Gondi, cardinal de comédie italienne, et la conspiration des gentilshommes bretons, s’ajoutent également à ses fastes. Mais à partir du XVIIIème siècle, la vieille forteresse, incomprise dans sa beauté, ignorée dans son histoire, n'est plus considérée que comme un abri régimentaire que l’armée dégrade et avilit avec cette inconscience ténébreuse dont le Château des Papes, les Jacobins de Toulouse, le Mont Saint-Michel ou l'Abbaye de Fontevrault portent les marques affligeantes.

 

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LA CITADELLE

La première cause des remaniements du Château de Nantes, devenu citadelle d'Etat, tient aux guerres de religion. En 1568, les calvinistes manquèrent assiéger la place. Le vicomte de Martigues, lieutenant général de Bretagne, ordonna d’exhausser la muraille qui reliait la Tour au Duc an Château et d’approfondir les douves. Les paysans exempts de guet firent la corvée. Au mois d’avril 1575, afin d’éviter toute surprise, on mura provisoirement la poterne de la Loire et celle du pont de secours.

Nantes : château des ducs de Bretagne

Mais le dernier grand bâtisseur fut Philippe-Emmanuel de Lorraine, duc de Mercoeur, frère de la reine de France, qu'Henri III avait appelé au gouvernement de Bretagne le 5 septembre 1582.

Ambitieux, fourbe, cruel et acharné dans ses desseins, avide de pouvoir, de luxe, poète aussi et ingénieux à composer des pastorales qu’il représentait à grands frais, Mercoeur mena une politique opportuniste entre huguenots et ligueurs. La division du royaume lui semblait propice pour restaurer, avec l’indépendance de sa province, la souveraineté ducale. Sa femme était dans ses vues et le secondait. Sous prétexte de prévenir la menace des hérétiques ils fortifièrent le château avec toutes les ressources de l’époque.

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Entre la Tour au Duc et les murailles, il fit avancer le cavalier ou demi-bastion. Saint-Pierre dont le glacis servait de promenade à l’aumônier. De là, jusqu’à la Tour du Fer à Cheval d’abord, puis jusqu’à celle de la Rivière, la courtine fut élevée au niveau de l’ancien chemin de ronde. Entre ces deux tours, on étaya le mur, sur toute sa longueur, par une terrasse, véritable champ de manoeuvre, haute de huit mètres, larges de vingt-six. Les commandants du Château la transformèrent en jardin plus tard avant sa démolition en 1784.

Nantes : château des ducs de Bretagne

Un troisième bastion compléta la défense : c’était le plus puissant. Il enrobait la Tour du Port, qui en fut dégagée en 1854, et saillait dans le fleuve. Ainsi, en comptant les tours, le Château, fortement clos dans ses douves, se hérissait de huit éperons cuirassés d’où l'oeil du guet et la bouche du canon couvraient plus de 180 degrés de circonférence. Mercoeur termina ces ouvrages en 1592 et partout il appendit orgueilleusement sur leurs escarpes la double croix de Lorraine enlevée dans le granit.

Paris et les provinces s’étaient rendus à Henri IV que le duc le défiait encore. Le Béarnais marche sur Nantes. La duchesse, plus subtile que son mari, s’avise cette fois de le trahir. Elle enjole Gabrielle d'Estrée, manigance à la sourde les soumissions et les grâces. Le Vert-Galant démentirait sa légende s’il résistait aux femmes : il céda. Mieux : il paya l’aventure ! Mercœur obtint deux cent trente-cinq mille écus d’indemnités de guerre, une pension annuelle, le gouvernement de Guingamp et les accordailles de sa fille avec le duc de Vendôme, bâtard du roi.

En 1670, un incendie se déclarait au Château. Une partie du Grand Gouvernement, en arrière du pont-levis et de la Tour du Pied de Biche, fut détruite. On la reconstruisit aussitôt dans le style de l’époque, sans recherche, à la hâte. Un escalier à double révolution, un auvent et un fronton circulaire ornèrent la façade ainsi qu’un cartouche aux armes de France d’où la Révolution abattit les lys. Le garde-meuble fournit des tapisseries pour réchauffer les murs.

Jusqu’au milieu du XVIIIème siècle environ, le Château conserve sa grandeur. Mais la ville se développe, l’enserre. Les progrès de la balistique, des fortifications le démodent. La paix intérieure Le rend inutile. L’armée, qui l’occupe, ne cherche que logements à bon compte, aménagements pratiques. On taille, on bouscule, on accommode. Voici la déchéance que des miracles, ou plus simplement la routine, l’impécuniosité, les conflits administratifs ont empêché d’aller jusqu’à la ruine.

Car il existe un projet du génie militaire, antérieur à la Révolution, qui rase le Château, comble les douves de ses débris et élève à sa place quatre belles casernes disposées en carré et ceintes de maigres fossés. Si l’on renonça à exécuter, croyez que c’est faute d’argent, car les auteurs devaient en être fiers et y tenir. Du moins, en 1784, démolit-on les terrassements de Mercœur, entre la Tour du Fer à Cheval et la Tour de la Rivière pour édifier le triste magasin d’armes dont la vue offusque la cour et déshonore de loin la courtine extérieure qu’il écrase de sa masse implacable.

Vers le même temps, on avilissait la Tour de la Rivière en la sommant d’un pavillon banlieusard destiné au logement des commandants du Château. La duchesse du Berry y termina son équipée avant d’être embarquée nuitamment pour Blaye. Déjà, depuis 1760, la rue Prémion et la rue des Etats encerclaient les douves. Quelques dix ans plus tard le pont de pierre remplaçait, à l’entrée, le vieux tablier de bois posé vers 1580 sur des piles de maçonnerie brute.

Mais après le danger des absolutismes en tricorne, celui des fantaisies en carmagnole. La liberté vient toujours au monde un peu bruyamment, comme Gargantua qui ne geignait « Mies, mies ! » ainsi que les autres nouveau-nés, mais à haute voix s’écriait : « A boire ! à boire ! à boire ! ». A partir de 1789, les pétitions harcelèrent l'Assemblée Nationale afin que « les douves fussent comblées, le Château rasé ». Des visionnaires passionnés signalaient des monceaux d’armes sous les Tours. Menace pour la sécurité publique, elles insultaient à la Révolution. Il les fallait abattre ! Mais la Commune de Nantes n'eut pas plutôt acquis le Château par acte du 19 janvier 1791, consenti par l'Assemblée Constituante, avec approbation du roi, qu’un décret, déclarant biens nationaux les casernements de troupes, le lui reprenait heureusement. On y installa le dépôt d’artillerie puis la prison des prêtres sous la Terreur.

Le 25 mai 1800, une explosion ruinait tous les bâtiments entre la Tour du Pied de Biche et le Cavalier Saint-Pierre. Le magasin à munitions de la Tour des Espagnols avait rompu son plancher : huit à dix mille livres de poudre sautaient. On compta soixante morts, cent huit blessés ; plus de cent maisons furent atteintes. L’aile droite du Grand Gouvernement, la Chapelle, les Archives, une partie du vieux logis disparurent dans la catastrophe. On déblaya et un simple mur fut élevé dans la douve pour boucher la plaie.

En 1808, le quai du Port Maillard est continué devant le Château. Les hautes escarpes que la Loire venait battre sont enfouies sous six mètres de terre. Deux ans plus tard, Napoléon, à bout de ressources, imagine de céder ses casernes aux villes, à charge pour elles de les entretenir. Le décret impérial du 14 septembre 1810 vise spécialement la donation du Château à la Ville de Nantes. Mais, d une façon générale, les municipalités reculèrent devant les frais et le système tomba. La loi de finances du 15 mars 1818 replace les bâtiments militaires sous la dépendance de l'Etat.

Dès lors, les avatars du Château vont leur train.. En 1848, la poterne nord est supprimée. En 1854, l’établissement de la voie ferrée exige la démolition du bastion Mercœur, sous lequel on découvre la Tour du Port que la Ville prend à charge de restaurer. Un peu partout, dans la Tour du Fer à Cheval, au Grand Logis, on aveugle des fenêtres, des embrasures, En 1863, le pont de secours tombe à son tour. En 1876, on réclame le remblai des douves... C’est la curée !.

Par bonheur, quelques fidèles veillaient. La reprise du Palais Ducal par la Ville vient de nouveau à l’ordre du jour, mais il faudra plus d’un demi-siècle pour aboutir. Le Génie militaire, dont l’idéal est la caserne, tient sa proie et poursuit ses ravages. Cependant le goût romantique du moyen-âge, la croisade de Viollet-le-Duc, ont attiré peu à peu des regards vers le Château. A partir de 1861 les restaurations commencent, bien intentionnées, pas toujours heureuses et limitées par la misère des crédits. Mais il était réservé aux municipalités de M. M. Guist'hau et Bellamy d’arracher enfin à l’armée la citadelle et d’entreprendre le beau projet de consolidation qui remettra au rang des merveilles de la France féodale le vieux Château des Ducs de Bretagne.

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LES PIERRES

Quand on débouche par la rue Basse-du-Château, devant la grille de la vieille forteresse, on découvre d’ensemble toute la façade amputée à gauche de la Tour des Espagnols qui lui donnait jadis sa symétrie puissante. Les douves, sensiblement à leur profondeur normale, conservent, à ce côté du moins assez d’ampleur. Il y manque toutefois le miroir d’une eau sombre pour grandir d'un reflet romantique les tours féodales.

L’appareil date la construction. Avant le XVème siècle on employait uniformément le granit. Ici une assise de schiste alterne avec une assise de granit, procédé qui renforce la solidité et anime l’aspect. Pas une lézarde. Le Château est fondé sur le roc qui gît dans le sous-sol, à des profondeurs variables et affleure, dans les douves, à gauche du pont. Chaque tour avait autrefois sans doute son panneau armorié, ainsi que Pierre-fonds. Il n’en reste que deux aujourd’hui dont la décoration flamboyante fut restaurée en 1872. Celui de la Tour des Jacobins porte, sous la couronne ducale, le blason de Bretagne au coeur d’une rose fleuronnée. A la Boulangerie, ce sont les levrettes qui soutiennent l’écu où pend l’hermine symbolique au-dessus de la devise : A ma vie. Le Pied de Biche est dégradé. Mais on voit encore dans la muraille la trace de l’ancien cartouche, au-dessus de la fenêtre percée dans l’armorial mutilé. Les fouilles sur l’emplacement de la Tour des Espagnols ont ramené des fleurons, des feuillages et autres débris décoratifs.

Sur toute l’étendue de la façade, les machicoulis déroulent leur dentelure sévère, nue, appuyée sur des corbeaux en pyramide renversée, les mêmes à peu près que on retrouve au faîte du vieux Donjon du XIVème siècle qui domine le Cavalier Saint-Pierre, et aussi sur les remparts de Vannes. C’est la couronne du moyen-âge, à la fois altière et rigide, qu’allègent à peine des nervures en accolade sur la Tour du Port, la Tour de la Rivière et sur le Fer à Cheval. Plus tard, détendue par les grâces italiennes, l’architecture militaire s’amollira à son tour. François Ier bâtira, sur le fleuve, cette charmante courtine festonnée de son monogramme, d’arcades  en anse de panier, plantée de gargouilles et assouplie par le double mouvement d’échauguettes en encorbellement. Le crénelage, la décoration du bahut, cette moulure largement profilée qui fut poursuivie dans la réfection de la Tour du Port, tout dénote, dans cette courtine, le style en honneur de 1530 à 1540. Jehan Morel, qualifié « maître maczon du chasteau », dans un titre de 1534, dut en être l’ordonnateur. Des armoiries blasonnaient la muraille. Il n’en reste que l’indication du cadre autour d’un blocage de tuffeaux mal jointés. Les embrasures, destinées à battre la rivière d’un tir rasant, cachent parfois un saillant propre à détourner les projectiles de l’adversaire.

Les tours, qui, avec les courtines, constituaient la protection du Château, sa cuirasse, ont une épaisseur moyenne de quatre à six mètres. Comment se terminaient-elles avant d’être décoiffées et fortifiées, par ordre du roi, en 1616 ? L’absence de tout document et la fantaisie habituelle au moyen-âge rendent la réponse difficile. La couverture la plus courante est le hourd en maçonnerie surmonté d’une poivrière, comme à Pierre-fonds. Mais à Chinon, à Elven, à Vannes, la plate-forme des tours portait des constructions variées, irrégulières ; à La Rochelle on voit encore une flèche.

 

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Il faut écarter l’hypothèse du toit posé sur le machicoulis, au moins pour les tours de l’entrée, puisque des cheminées, antérieures au XVIIème siècle, et les escaliers à vis d’origine subsistent dans les deux pavillons qui surmontent la Boulangerie et le Pied de Biche. Mais, s’il est permis de raisonner par analogie, on peut admettre que des tourelles en retrait, à l’imitation du Fer à Cheval, sommaient les tours. Ces tourelles allaient par paire, les plus petites contenant l’escalier et communiquant sans doute par le couloir qui surplombe le pont-levis. Il est voûté et pouvait supporter le beffroi.

 

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Au-dessus des machicoulis découronnés, Louis XIII posa des parapets de tuffeau ou de granit garnis d’archères et d’embrasures. C’est dans le même temps, sans doute, qu’on ferma, et recouvrit le chemin de ronde du Grand Gouvernement et du Grand Logis. Sa toiture, évidemment placée après coup, vient s’encastrer au petit bonheur dans la façade qui bordait jadis le boulevard à ciel ouvert. De la rue des Etats on distingue parfaitement la ligne de faîte du granit sur laquelle furent édifiées les constructions nouvelles, tels ces deux pignons malencontreux, pas à l’échelle et pauvres d’aspect, qui désolent le glacis des tours de l’entrée. 

Au-dessus du pont-levis, la Révolution badigeonna l’inscription qui s’efface : Propriété Nationale — Liberté, Egalité, Fraternité. Mais, sous la voûte, c’est dans le bronze que la Municipalité a gravé sa prise de possession et la nef favorisée de Neptune aux côtés des hermines : « Le Château des Ducs de Bretagne est cédé et remis par l’Etat à la Ville de Nantes. 10 décembre 1910, Gabriel Guist’hau, Maire — 29 septembre 1915, Paul Bellamy, Maire ».

Dans la cour, franchi le perron de l’escalier double, on laisse derrière soi le Grand Gouvernement ; à droite, le Grand Logis et le degré qui monte à la Tour du Port ; à gauche, le Donjon du XIVème siècle qui faisait partie du Vieux Logis et que dissimule un pavillon de  construction plus récente. En face et au fond, de chaque côté de l’immense magasin militaire construit en 1784, se trouvent, dans l’est, le bâtiment du Fer à Cheval, vers le sud, le Petit Gouvernement.

 

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GRAND GOUVERNEMENT

Il semble que l’architecte qui reconstruisit le Grand Gouvernement, après incendie de 1670, n’ait eu d’autre but que l’économie. Les recherches et les sondages, pratiqués en 1921, ont montré qu il avait utilisé les ruines, sans même les accommoder, pour y accrocher tant bien que mal sa construction. Ici ou là, on découvre une voussure élégante noyée  ans le mortier ou fracassée au bénéfice d’un linteau misérable, des couloirs aveuglés, un escalier muré... A la fantaisie imprévue du moyen-âge a succédé une régularité monotone. Trois pièces se commandent à chaque étage, vastes, mais sans le décor des belles cheminées à hotte et des sculptures qui fleurissent les ressauts de la pierre. Au plafond, des poutres et des chevrons mal équarris, où on relève rarement la coquetterie d’un chanfrein. Le Génie militaire les a d’ailleurs entaillés, au risque de les rompre, pour soutenir les planchers à  l’aide de piliers de fonte. C’était le dépôt d’armes de la place.

On voit encore, sur les lithographies de la Restauration, l’auvent à colonnes qui abritait le perron. Des pierres neuves dans la façade marquent l’emplacement des traverses qui le maintenaient au mur. Une guérite en maçonnerie s’accolait au porche. Il n’existait plus de lucarnes. C’est en 1877 qu’elles furent reconstruites lourdement et avec une symétrie mesquine, conventuelle, qui est à l’opposé du génie médiéval.

Le rez-de-chaussée seul et les tours, ménagés par le feu, ont conservé d’importants vestiges de leur première splendeur. Les salles basses formaient en général des corps de garde ou des cuisines. Mais il faut en rabattre avec la légende à grand frisson des oubliettes. Les réduits tortueux, dégorgés en cul-de-basse-fosse dans l’épaisseur des murailles, sont tout uniment des privés. On les retrouve à chaque étage, branchés sur une conduite tombant aux douves. C’est le XVIIème siècle qui a rompu avec cette hygiène sommaire en instaurant l’usage des chaises.

Les prisons étaient dans les sous-sols, auxquels descendent deux escaliers en regard, sous la voûte, et les escaliers des tours. Là, dans les ténèbres, se lit le souci de bien faire et l’habitude de conscience qui menaient l'ouvrier du XVème siècle. Nulle hâte, nul sacrifice pour cet ouvrage qu’une torche n’arrachera jamais à l’ombre qu’un instant. Les ouvertures gardent leur congé, les retombées de voûte leur cul-de-lampe. Le cachot du Pied de Biche, sorte de four triangulaire de deux mètres carrés de surface, sur un mètre trente de haut, a conservé sa vieille porte à guichet, bardée de clous, de pentures, de verrous. Une prise d’air, grande comme la moitié d’une écuelle, l’aère sur la douve. Le prisonnier rampait vers cette bouche aspirer l’illusion du jour et buriner la pierre. L’un d’eux a gravé son nom dans une belle gothique, que le temps a respectée. La lettre est le véhicule de la souffrance des hommes.

 

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Au-dessous, de ce coté, l’invasion militaire a tout nivelé. Le rez-de-chaussée logeait des écuries et la Tour du Pied de Biche, percée de haut en bas, abrite encore un monte-charge. S’il demeure dans les combles un reste d’ancienne cheminée, c’est que la machine ni les guerriers ne se risquèrent jusque-là. Un escalier commande la tour à partir du second étage du Grand Gouvernement. Il est placé à l’intérieur, le long du pont-levis.

La Boulangerie, par contre, et le rez-de-chaussée où elle s’appuie ont gardé tout leur caractère.

En arrière de la tour, sous la voûte, on pénètre dans une grande salle plafonnée de solives et dallée au trois quarts de granit. Supposons une cuisine, mitoyenne à la paneterie. Une fenêtre biaise, avancée vers le porche, surveille la cour. Deux cheminées à hotte verticale, l’une à trois pans, débordent le mur sur des consoles. Au fond, du côté des douves, accès à la tour. A droite, du côté de la cour, s’ouvre l’huis étroit de la Salle des Gardes.

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C’est une salle magnifique, couverte en voûte d’arête autour d’un pilier central qui rassemble dans sa gaine la retombée des nervures. Rectangulaire, elle prend jour sur la cour par des fenêtres étroites aux ébrasements profonds. Ses trois autres faces sont décorées de cheminées monumentales, saillant peu du mur, mais dont les foyers, confondus avec le dallage, brûleraient des chênes sur les landiers. Les soirs d’hiver, jadis, au-dessus de la cohue des hommes armes, cette sorte de crypte devait rougir ainsi qu’un four aux flammes du triple incendie.

Là tout est granit, pierre dure, cette belle pierre des Charente, dont Yvonnet Garreau, acheteur des matériaux, tira plusieurs barques de Taillebourg en 1486. L’impression est d’austérité et d’étouffement à la fois. En dépit du jet des nervures, le coeur ne s’enlève pas. La pierre ascétique brise les élans. Ecrasées par la féodalité implacable, ces voûtes cherchent un appui en leur milieu, fléchissent et retombent accablées.

Plus loin, nous retrouverons une salle semblable, au rez-de-chaussée du Grand Logis, mais plus vaste, plus aérienne, également en parfait état de conservation et bien entretenue. La cordelière, qui court un peu partout dans la sculpture du Palais, enroule ici ses entrelacs à la clé d’une voûte. Image des liens du Christ, elle servait d’emblème aux veuves et signifiait : « J’ay le corps délié ».

Après la mort de Charles VIII, Anne en fit un ordre pour récompenser la fine fleur des vertus féminines. N’est-ce donc point pour renforcer le chaste symbole qu’un picoteur de pierres narquois a sculpté, au joint d’une nervure voisine, un blaireau dévorant une poule ?

C’est de la première pièce, près du porche, qu’on entre dans la Tour de la Boulangerie. Un boyau, juste suffisant au développement des portes, dessert quelque réduit, l’escalier du sous-sol et une grande salle à cheminée géométrique. Les murs, blanchis à la chaux, sont recouverts de croquis et d’impromptus : espoir de « la classe » et amour des belles tressés en guirlandes par la dernière garnison. O ingénuité des fortes têtes régimentaires ! Une fenêtre, profonde de quatre mètres, éclaire, d'un jour oblique soustrait au nord, cette salle de police improvisée.

Les trois étages de la tour, par miracle, n’ont rien perdu de leur vérité originelle : plafonds à solives, ouvertures, cheminées, tout est de l’époque, cette époque que caractérisent la petite fenêtre et le grand foyer. Obligé de se défendre contre l’ennemi toujours en campagne, le seigneur murait sa chambre par crainte  des surprises. Pas de soleil, mais des brasiers ardents ! Tandis que le peuple portait dans la pierre de ses cathédrales, avec une fécondité intarissable, le poème des travaux et des jours, l’élite fouillait son âme derrière le cloître de la scholastique aux lueurs fulgurantes de la torche de Saint-Thomas. Dans les embrasures des fenêtres, jamais régulières, existent encore les bancs de pierre où  l’on venait mendier le jour. Les feuillages, les moulures demeurent intacts au bandeau des cheminées. Il faut voir celle du troisième étage avec sa hotte énorme, pesante, cubique, suspendue comme une menace au flanc du mur.

Un escalier à vis, également situé du côté du pont-levis, comme celui du Pied de Biche, mais pas dans le même plan, monte dans la Boulangerie. Il part du second étage du Grand Gouvernement. Sans doute descendait-il plus bas autrefois, car un retour des dernières marches se perd dans la muraille élevée par les maçons de 1670.

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TOUR DES JACOBINS

Par la porte de la Tour de la Couronne d'Or on accède à la fois au Grand Gouvernement et au Grand Logis, enfin à la Tour des Jacobins en traversant la cour qui est le noeud de jonction des trois bâtiments.

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Des pierres d’attente, des portes inachevées béant sur le vide, les traces d’un pignon abattu, nombre de signes indiquent des tâtonnements et l’abandon. Un projet, qui ne fut pas suivi, devait prévoir, semble-t-il, la couverture de la partie sud de la cour. Le rez-de-chausssée et le premier étage seuls furent exécutés ainsi que l’attestent des restes de cheminées et de fenêtres anciennes. Mais le couloir qui joint la tour au Grand Logis, au-dessus, date du XVIIIème siècle.

Les sous-sol de la tour ont été comblés jadis et le rez-de-chaussée, encore drapé de sa cheminée, transformé en prison par une porte guichetière. Il servit de geôle à des prisonniers de guerre d’origine anglaise, d’où le nom de Tour des Anglais sous lequel parfois cette tour est désignée. Les captifs ont laissé dans l’embrasure de la fenêtre des inscriptions et des sculptures profondes, bien lisibles en dépit des badigeons.

La voûte du premier étage a souffert de l’infiltration des eaux. Elle est remarquable parce qu’elle commence en voûte d’arête aux quatre angles et se termine en coupole. Les armes de France et de Bretagne sont accolées à la clé, au milieu de la cordelière et d’un vol d’angelots. C’est la Renaissance. Les voussures des fenêtres sont plus archaïques avec leurs nervures plates à double boudin dont l’amorce n a pas été réalisée. Comme il n’y avait plus de cheminée, l’armée installa une forge, sans dégagement, à même la pièce !.    

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GRAND LOGIS ET TOUR DE LA COURONNE D’OR

Ce mélange de formes anciennes et de la décoration de la décadence est ce qui frappe le plus dans l’architecture du Palais des Ducs de Bretagne. D’une façon générale il répond à une construction plus lointaine que son époque. Commencé tout à la fin du XVème siècle, il garde encore les caractères du plein moyen-âge, par exemple dans la nudité de la façade intérieure, dans la disposition des salles, dans les cheminées.

A partir de 1350 environ, elles s’enrichissent de vastes manteaux historiés de dentelles et de personnages. Or ici nous ne trouvons que la hotte géométrique, sévère du XIIIème siècle. Le vieux château de la Tour Neuve, que François II renversa, inspira sans doute des maçons rebelles aux nouveautés et qui conservaient avec obstination les modes du passé. N’a-t-on pas vu, au temps de Louis XIV, des maîtres d’oeuvre bretons bâtir l’église gothique ?

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Le Grand Logis, qui est le joyau du château, se compose proprement de deux corps : le bâtiment et la tour dénommée Donjon par l’ignorance traditionnelle. Le donjon des châteaux féodaux est le dernier réduit où se réfugiait la défense, la place envahie. Toujours il masquait une sortie dérobée sur la campagne. Au surplus, que ferait un donjon dans cette encoignure du Palais ? Il n’y a là que deux tours jointes par un mur, dont ensemble, au témoignage des plans anciens, formait la Tour de la Couronne d'Or. A n’en pas douter ce joli nom lui vient du puits dont la ferronnerie, jadis dorée, repose à ses pieds comme une couronne.

Ajustée à angle obtus aux façades du Grand Gouvernement et du Grand Logis, la Tour de la Couronne d'Or les relie par un mouvement adouci et l’imprévu d’arcs en fleurs. En dépit de son volume, de sa forme anguleuse, elle s’élève avec élan et ne pèse point au-dessus des toitures quelle domine. Les bâtisseurs du moyen-âge excellaient à rendre la pierre impondérable, sans jamais perdre ce sens de la proportion qui soutient d’un équi­libre mystérieux et parfait leurs jongleries les plus aventureuses.

La façade de la Tour est plus animée que celle du Logis. Les fenêtres souvent doubles des escaliers, les loges, les arcatures du bandeau, de la terrasse, aèrent le mur qui demeure plus fermé dans le bâtiment. Il tire de cette nudité voulue un grand caractère. Cette façade du Grand Logis n’en est pas une à la manière où on les comprenait déjà sous Louis XII. Elle est singulière et ne s’apparente guère qu’à Langeais ou à l’intérieur de Guérande. Elle semble plutôt faite pour regarder un fossé que la cour paisible d’un château fort. Elle n’a que des portes basses, au ras du sol : pas d’entrée fastueuse. Pour toute décoration, l’accolade des ouvertures et une corniche où grimace des marmousets, des guerriers, des chimères dans un cordon de feuillage. C’est un mur sans pilastres, sans porte décorative. C’est un mur d’où jaillissent brusquement sur la pente hautaine du grand toit les pinacles effilés de cinq grandes lucarnes.

 

Elles diffèrent toutes de forme, de hauteur, sans cesser de s’apparier par l’ogive et le flamboiement de leurs lobes. Des crochets, des fleurons ornent leur gable ; des trèfles leur tympan armorié. Sur celle dit milieu on distingue l’hermine de la reine Anne et le porc-épic de Louis XII, mais assez platement enlevé pour dater de la restauration de 1861. Au-dessus la devise : « Cominus et emini amavi - De près et de loin j’ai aimé ». Une balustrade à jour joint leur base et prépare l’envol des dentelures. Par certains côtés ces lucarnes rappellent celles du château de Blois, mais ici la virtuosité du chef-d’oeuvre ne plie pas encore sous la richesse.

La merveille de la Tour de la Couronne d'Or, à côté, qui prolonge la fantaisie décorative et renouvelle le plaisir des yeux, ce sont les loges. Elles furent toujours rares en France, particulièrement dans l’ouest et le centre. On a cité celles de l'Hôtel Xaincoings à Tours, de l'Hôtel d’Alluye à Blois, quelques autres à Dijon, à Metz, sur les bords du Rhin. « Les guerres d'Italie de la fin du XVème siècle, écrit Viollet-le-Duc, inspirèrent aux seigneurs français le goût des loges ; mais les architecte du commencement de la Renaissance qui conservaient les traditions sensées de l’art notre pays, se décidèrent difficilement à leur donner l’aspect d’une construction sur trois côtés ; ils les traitaient plutôt comme des portiques bas d’une longueur réduite, s’ouvrant seulement par la face ».

Ainsi fit Jean Perréal, architecte de Charles VIII, qui succéda probablement à Mathelin Rodier, vers 1491, en même temps que Jehan Rouxeau prenait la direction du chantier à la suite de Jacquet Bodart. Leur loges, superposées en deux étages, s’ouvrent gracieusement dans une floraison d’arcatures et d’allèges. Elles sont voûtées avec clé, culs-de-lampe et, par surcroît, couvertes d’inscriptions murales. Le Génie, ainsi nommé sans par antiphrase, avait imaginé de les boucher et d’en faire des geôles !

Le grand escalier de la tour, restauré  en 1890, dessert les trois étages du Grand Logis et aboutit à la fois aux combles et à la loge inférieure. Une étonnante voûte en palmier, dont on a mutilé systématiquement l’ornementation, retombe au sommet, par le moyen d’une colonne, sur l’axe de la vis. Le petit escalier commande le Grand Gouvernement, la loge supérieure qu’agrandit un joyeux parloir fraîchement réparé et monte à la terrasse.

 

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De l’intérieur du Grand Logis, il n’y a rien à dire : c’était encore la chambrée pendant la guerre. Tout souvenir du passé a été abattu et les murs mis à l’alignement. Dans le berceau en ogive des combles, assemblé par le maître charpentier Champeigne, les platriers militaires ont inséré un plafond mansardé et scié sans vergogne les belles fermes de chêne moulurées qui, d’un seul jet, formaient l’arc sous la toiture. Le chemin de ronde, comme celui de la Tour du Fer à Cheval, servit de prison dès le XVIIème siècle. On y relève une inscription de 1614, des noms anglais, des emblèmes.

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Seule, la grande Salle des Gardes du rez-de-chaussée est demeurée dans sa splendeur. Sa voûte, bien enlevée, part du formeret en ogive des murs pour retomber sur un pilier central. Deux cheminées s y font vis-à-vis, tandis que d’étroites fenêtres, du côté de la cour et des douves, lui dispensent un jour grisé par le frottement des longues embrasures. Ici, comme dans la Salle des Gardes du Grand Gouvernement, comme dans la Tour du Port, l’impression est d’un âge ancien, rigide. La chanson de gestes, et la chevalerie errante s’évoquent sous ces nervures tendues comme une lance, et il semble que des siècles en séparent l’austérité monastique de l’exubérance fastueuse dont éclatent les lucarnes dans le soleil, au faite du toit.

Le dallage a disparu que supportait une cave voûtée ainsi qu’il appert des retombées d’arc encore pendant du côté des douves dans le sous-sol. A côté, une seconde salle, séparée de la première par un étroit couloir, occupait le pignon. Il n’en reste que des claveaux en suspens, des arêtes rompues et le profil des vieilles cheminées pantelant le long des murs.

Le puits, du moins, nous dédommage des écroulements et du vandalisme : tempux edax, homo edacior ! Diadème orfévré qui mit un nom sur la Tour voisine, il doit peut-être sa survie à la souple élégance des fers changés en lis et en feuillages parmi les entrelacs des cordelières. On fracasse une pierre, mais on respect un joyau. Il a sept poulies différentes et sa base heptagonale s’étoile de sept gargouilles d’un caractère fort ancien. Cette base, marquée d un blason fruste, est certainement antérieure au chef-d’oeuvre oeuvre de grâce et de force que forgèrent, pour la couronner, les ferronniers de la reine Anne.

 

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TOURS DU PORT, DE LA RIVIERE ET PETIT GOUVERNEMENT

S'il est difficile de déterminer la date précise de l’édification des divers bâtiments du Château, nous ne laissons pas de trouver des repères  historiques dans la sculpture et les écussons. La cordelière réservée aux veuves, nous reporte en deçà de 1498, année de la mort de Charles VIII, premier époux de la Bonne Duchesse. Les lis indiquent la réunion de la Bretagne à la France après 1491. Mais lorsque l’hermine seule fleurit une voûte, on est en droit de l’inscrire au compte de François II, qui mourut en 1488.

C’est le cas pour l’unique salle de cette Tour du Port qui demeura enfouie pendant plus de deux cent cinquante ans sous le bastion Mercœur. Elle est en contrebas de plus de deux mètres par rapport au sol du Château. On y accède par une petite cour encaissée sous le pignon sud du Grand Logis et qui dut autrefois être remblayée afin d’agrandir l’esplanade du bastion. Deux escaliers y descendent : l’un sous le degré de la courtine, l’autre partant du sommet de la tour, dans l’épaisseur de la muraille.

Protégée par son long sommeil souterrain, la salle est restée intacte. L’humidité seule a vermiculé le granit, amorti des sculptures et donné aux pierres la rugosité jaunâtre que l'on imagine aux peaux des grands sauriens tertiaires. La voûte a cinq arêtes et s’appuie sur l’hermine  qui pend en outre à la clé. Deux fenêtres rasent les murs où se reconnaît l’appareil extérieur, schiste et granit. La cheminée est sobre, décorée d’un simple bandeau et d’une feuille retroussée aux pieds droits.

Il n’est pas impossible que cette salle, isolée sur la rivière, servit de prison pour les partisans de marque : l'huisserie garde des traces profondes de scellement. Mais sa beauté âpre, sa noblesse ténébreuse nous semblent d’un âge infiniment lointain. La civilisation rude qu’elle évoque, où plus rien ne s’ajuste à la nôtre, s’éloigne à l’horizon de l’histoire. Et pourtant, cinq cent cinquante ans au plus, — une seconde ! — nous séparent de ce temps que toucherait une chaîne de sept vieillards octogénaires et qui nous parait aussi étranger que les preux des chansons épiques : Aymeri, Roland ou Guillaume au Court-Nez.

Tout autre est la salle de la Tour de la Rivière. Bien qu’affreusement mutilée par l’armée qui y découpa des logements en sabrant la cheminée et les nervures, elle garde encore la splendeur décorative de la Renaissance et la joie de la lumière.

 

Nantes : château des ducs de Bretagne

C’est là que la tradition place le berceau d'Anne de Bretagne et nous voudrions bien l’y laisser tant il est pénible et, par surcroît, inutile de détruire une légende. On aimerait surprendre dans quelques-unes de ces vieilles pierres, retentissant au fond des siècles, la plainte de la petite fille vouée au trône. Mais lorsqu’elle naquit, le 26 janvier 1476, les murailles du Château actuel sortaient à peine de terre. François II habitait le Vieux Logis, anéanti par l’explosion de 1800, où la duchesse ne manqua pas de faire ses couches. Et, à supposer qu’elle existât, qui donc aurait choisi pour cette nativité une tour isolée, guerrière, en avant-garde sur le fleuve ?

Il n’a pas fallu moins de trois transformations pour amener cet ouvrage au point où nous le voyons aujourd’hui. D’abord la tour fut bâtie symétriquement à celle du Port et dans la tradition du moyen-âge, sans doute avant le règne de celle que Louis XII « en ses gayetés » appelait « sa bretonne », car il est raisonnable, sinon vrai, d’admettre que l’enceinte du Château fut tracée et mise en train dès le début des travaux. Le sous-sol contient deux fours, dont un sous l’escalier, des réduits d’embrasures et le départ de la vis qui montait sur la courtine. L’intérieur ne devait comporter qu’une salle grossière plafonnée de poutres et de solives.

Nantes : château des ducs de Bretagne

Un siècle plus tard, l’architecte qui construit le Petit Gouvernement s’avise de la voûter. Aux murs primitifs, dont la nervure des fenêtres repère l’emplacement, il accole une nouvelle paroi en tuffeau pour arrondir une coupole à sept arêtes soutenues par sept pilastres décoratifs. La cheminée, conforme au style courant de la Renaissance, embrassait tout un panneau de la salle. A la clé de voûte on lit encore les armes d'Henri IV, France et Navarre, qui portait de gueule aux chaînes d’or, entourées des colliers de Saint-Michel et du Saint-Esprit, sous la couronne royale.

Nantes : château des ducs de Bretagne

Henri IV passa à Nantes le mois d’avril 1598, après avoir reçu la soumission de Mercoeur. La salle de la Tour de la Rivière ne devait pas être quitte des maçons que le roi déjà battait l’Anjou. Il était donc facile et flatteur d’accrocher son écusson à la voûte avant de le recevoir.

Nous pensons que le pavillon du Petit Gouvernement, alors neuf, gai, confortable, lui servit de résidence. Toute la construction dénote le XVIème siècle. On l’attribue généralement à Philibert Delorme, architecte des fortifications de Bretagne de 1545 à 1558, parce qu’il est glorieux de mettre sur un monument le nom d’un bon ouvrier. Mais si le cintre lourd des lucarnes, leurs pilastres, recoupés de losanges caractérisent nettement les modes d'Henri II, la sobre ordonnance et les jeux de la brique qui festonne les cheminées sur fond d’ardoise n’annoncent-ils pas Louis XIII ?

L’intérieur se divise en appartements. Au plafond un solivage à mouchettes ; aux murs des cheminées monumentales de fort grand air, respectées seulement dans les combles, car, au premier étage, le militaire a perpétré son oeuvre dévastatrice. A chaque pas dans le Château les pierres gémissent : profanation !. Quand il ne mutile pas, le Génie construit au hasard, sans souci de proportion ni de style. Sur la Tour de la Rivière, contre le pignon du Petit Gouvernement, le XVIIIème siècle entasse des bâtiments offensants, puis écrase la courtine de l’est de cette caserne qui masque, par surcroît, la belle façade du Fer à Cheval.   

 

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TOUR DU FER A CHEVAL

Cette façade, restaurée en 1872 et qui s’effrite déjà, se compose d’un gable à surface plane encadrée à gauche par un pinacle, à droite par la tourelle de l’escalier. La sculpture y marque la décadence du gothique et les premières réactions de la Renaissance. Au-dessus des fenêtres les accolades s’exagèrent, se renflent en bulbe. Les faisceaux de colonnettes tordues, qu’on trouve à Blois, ornent ici le second étage.

L’appareil extérieur de la tour et le machicoulis prouvent qu’elle fit partie du dessin primitif de l’enceinte. Assez peu commune au moyen-âge, ces tours en fer à cheval fortifient encore quelques remparts, notamment à Fougères. En même temps que de place militaire, celle de Nantes servit d’habitation. Le comble, si développé sous le toit aigu, s’éclaire, du côté de Richebourg, par une lucarne historiée, moins transparente que celles du Grand Logis. Au-dessous, deux étages sans intérêt, sertis chacun d’un chemin de ronde. Celui du premier, voûté en berceau, communique avec les courtines. Au second, un dallage de granit et la toiture, datant vraisemblablement du XVIIème siècle, nous indiquent qu’il n’y eut là, d’abord, qu’une plate-forme semi-circulaire protégée par un parapet.

Toute la surprise tient dans les nefs du rez-de-chaussée dont les voûtes, refouillées à l’entour des hermines et de la cordelière, portent la date du veuvage de la reine Anne. Le paradis et le bestiaire ont fourni le décor des culs-de-lampe à la chute des nervures. Si les cheminées, qu’on a éventrées pour réunir les deux salles, existaient encore, celles-ci compteraient parmi les plus belles du Château.

Jadis des caves, aujourd’hui remblayées, donnaient accès à la caponnière. Puis le sol, sensiblement au-dessous du niveau de la cour, a été surélevé au grand dommage des portes et de l’envol des voûtes. Après la catastrophe de 1800, cette tour, en raison de sa situation solitaire à l’angle est des courtines, fut promue au dangereux honneur d’abriter les poudres. 

 

Nantes : château des ducs de Bretagne

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VIEUX DONJON

Avec son grand champ d’action, son épaisse cuirasse, le rayonnement des embrasures et son éperon sur le fleuve, le Fer à Cheval était puissant. Néanmoins, la faiblesse de sa façade, son acculement de souricière lui interdisaient le rôle de réduit suprême. La poterne nord, trop éloignée, ne prêtait point à la retraite. S’il y eut jamais un donjon dans le Château des Ducs de Bretagne, ce n’est ni la Tour du Fer à Cheval, ni la Tour de la Couronne d'Or, mais cet antique débris du XIVème siècle qui, tout chargé du dépôt des âges, domine encore le cavalier Saint-Pierre. Gardons lui donc le titre de Vieux Donjon que lui accorde Gérard Mellier dans son Histoire.

Nantes : château des ducs de Bretagne

Nantes : château des ducs de Bretagne

Par le rempart de la Tour au Duc, parallèle au Pont de secours et accroché à son flanc, une garnison accablée dans ses murs, pouvait se défiler hors du Château et gagner les champs. Il flanquait l’extrémité des bâtiments explosés, protégeait l’appartement ducal. Construit probablement par Jean IV, sur le plan polygonal et avec l’appareil de granit uniforme en usage au XIVème siècle, ce Vieux Donjon, unique témoin du Château de la Tour Neuve, est un répertoire à peu près complet des modes fugaces dont chaque génération, dans sa poussée vers la vie, accable sa devancière.

A son faîte le XVème siècle a posé une nouvelle couronne de machicoulis, à en juger par le profil compliqué des consoles, tandis qu’au-dessous demeurait la vieille salle en coupole, dont une suite de claveaux plats forme les arêtes. La cheminée est ancienne ; mais, sous son manteau archaïque, on a introduit une seconde cheminée de style Louis XIV. Dans un réduit, à gauche, vous découvrez la mince nervure saillante du XVème siècle, puis, dans le haut de l’escalier, un balustre Louis XIII. Au premier, un encorbellement Renaissance, analogue à ceux du Petit Gouvernement, soutient l’âtre de l’étage supérieur. Les combles, baclés en torchis et chichement charpentés sur de vieux murs marqués d’une accolade gothique, ont dû être rapportés dans la misère finale du Grand Siècle. C’est l’époque où le pavillon du Lieutenant du Roi fut plaqué tant bien que mal contre la façade de la Tour.

Résumé et fin du Château Ducal, le Vieux Donjon ferme le cycle. Tout l’effort de sept cents années révolues s’encadre dans le synoptique de ses granits roses : la force, la beauté patiente, la décadence et les mutilations. Mais les derniers venus ont compris la leçon de ses pierres et goûté la splendeur d’un Palais qui arrêta émerveillés tant de passants royaux. Les vieilles murailles confessées rapportent peu à peu le passé. Des fouilles, entreprises par les services d'Architecture de la Ville et des Monuments Historiques ont dégagé la poterne de la Halle aux Engins sur la Loire, les fondements du Vieux-Logis, de la Tour des Espagnols, de la Tour au Duc et du Pont de secours. L’oeuvre pieuse de consolidation a commencé. Il faut souhaiter qu’elle se poursuive et nous rende un jour le Château des Ducs de Bretagne, de nouveau flanqué des sept tours et environné de toute part du miroir ami des eaux silencieuses. La France a tant gaspillé ses joyaux de famille qu’elle se doit aujourd’hui de conserver les plus beaux. Ce Château de Nantes placé en pendant au bas de la guirlande féodale que la Loire relie au travers des pampres de l'Anjou et des jardins de Touraine.

(M. Elder - 1923)

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