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LE COMITÉ RÉVOLUTIONNAIRE DE NANTES : ses attributions, ses origines, son personnel.

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Dans un petit volume, publié il y a plusieurs années, et intitulé : Le Sans-culotte Goullin [Note : In-18, Nantes, Vincent Forest, 1880], j'ai raconté à grands traits l'histoire du Comité révolutionnaire de Nantes, dont Goullin avait été le meneur. Une notice consacrée à Pierre Chaux [Note : Revue de Bretagne et de Vendée, 1881], le collègue et le principal lieutenant de Goullin, m'a fourni l'occasion de révéler quelques faits nouveaux de la vie de ces deux terroristes. Mais, si rares que soient les papiers, provenant directement des archives de ce comité, dispersées qu'elles ont été par l'effet du procès de Paris, et de celui qu'on instruisit ensuite à Angers, je crois que l'on peut, en les rapprochant de documents d'autres provenances conservés à Nantes, découvrir encore des détails ignorés qui intéresseraient les curieux des choses de la Révolution.

Par ses attentats à la vie des gens, le Comité révolutionnaire ne montra que sa froide cruauté. Dans l'art de vexer et de dépouiller les riches habitants, il déploya une habileté et une perversité vraiment prodigieuses. Si le régime de la Terreur avait duré plus longtemps, les mesures étaient si bien prises qu'aucun suspect nantais n'aurait échappé à la ruine.

Avant d'entrer dans le détail des faits de cette nature, que j'appellerai les exactions du Comité, j'exposerai la législation qui régissait les comités révolutionnaires, la connaissance de cette législation permettant seule de juger à quel point fut poussée l'usurpation des pouvoirs. L'indication précise du personnel de ce comité et de plusieurs autres qui fonctionnèrent à Nantes avant celui de Goullin, ne sera pas non plus inutile pour déterminer la responsabilité des gens qui les composèrent depuis le commencement de l'année 1793 jusqu'au milieu de l'année 1794.

I

De toutes les .institutions provisoires de la Révolution, la plus révolutionnaire a été, sans contredit, celle des comités, si justement appelés comités révolutionnaires. Confier à des groupes de citoyens, recrutés au hasard, le droit arbitraire d'arrestation, alors qu'il existait des officiers de police judiciaire, qui ne pouvaient exercer le droit d'arrestation motivée que dans certaines conditions, c'était la négation directe de la liberté individuelle garantie par la Déclaration des Droits de l'homme. Les comités révolutionnaires, organes attitrés de la délation, qui la recevaient, la transmettaient et même la provoquaient, ont été, à Paris comme dans les provinces, les instruments les plus puissants de la Terreur. Petits ou grands, à la ville ou à la campagne, personne ne pouvait se dire si bien caché qu'il fût assuré d'échapper aux regards de tant de surveillants. Le nombre de ces comités, dit Louis Blanc, devait s'élever, d'après la loi, dans toute la France, à quarante-cinq mille ; le nombre de ceux qui furent en activité atteignit le chiffre de vingt-et-un mille cinq cents [Note : Histoire de la Révolution, Edit. Lacroix, in-18, 10]. Dans son rapport sur les taxes révolutionnaires du 6 frimaire an III, Cambon dit que, si tous les membres de ces comités avaient reçu le salaire qu'on leur avait fait espérer, le budget eût été grevé d'une somme annuelle de cinq cents quatre-vingt onze millions. Aussi concluait-il, en invoquant certains textes qu'il opposait les uns aux autres, à n'accorder des traitements qu'à certains comités, dont l'existence avait été reconnue par la loi du 4 juin 1793, et aux Comités des villes d'une certaine importance, chefs-lieux de districts ou villes de 8,000 âmes. Pour enfermer toutes les personnes dénoncées par ces comités, il fallut établir d'innombrables prisons, dont la meilleure était plus dure que la Bastille, cette odieuse Bastille que tant de démagogues se faisaient gloire d'avoir détruite.

Il faut rendre cette justice à la Convention qu'elle n'était pas arrivée d'un seul coup à la conception monstrueuse des Comités révolutionnaires. Leur compétence et leurs attributions s'étaient accrues progressivement.

Une loi du 21 mars 1793 avait ordonné l'établissement, dans chaque commune, d'un. Comité de douze membres chargé de surveiller les étrangers, de s'assurer de leurs moyens d'existence, et de décider, sur les renseignements pris, s'ils devaient être autorisés ou non à résider en France. Les membres de ces comités devaient être désignés au moyen d'une élection faite dans la commune. Sur mille électeurs, ils devaient avoir obtenu au moins cent voix [Note : Duvergier, Collection de Lois, 1ère édit. décrets combinés des 21 et 30 mars 1793 V, 258 et 286].

Les nombreuses lois de cette époque n'étaient pas strictement appliquées. Il est vraisemblable que celle-là ne le fut que dans les agglomérations urbaines, où il y avait des étrangers.

Le 26 mai, 1793, la Convention avait, par un vote, manifesté quelque défiance de ces Comités, dont plusieurs avaient abusé de leurs pouvoirs en faisant arrêter des citoyens français, et elle avait ordonné leur renouvellement. Sur la proposition de Bazire, elle était revenue sur ce vote, le 4 juin et avait ordonné au contraire leur maintien par un décret ainsi conçu : « Les Comités de Salut public établis dans les départements de la République, soit par les commissaires de la Convention, soit par les autorités constituées, pour veiller au maintien de la tranquillité publique, sont provisoirement maintenus sous la condition de référer de toutes leurs opérations aux Comités de Sûreté générale et de Salut public. Renvoie à son Comité de Salut public pour lui présenter un mode d'organisation » [Note : Procès-verbaux de la Convention, XIII, 72, ni Duvergier, ni le Moniteur, ne donnent le texte de ce décret].

Dans l'intervalle du 26 mai et du 4 juin avait eu lieu la Révolution du 31 mai, et la Montagne, victorieuse à Paris, n'était pas sans quelque inquiétude sur l'accueil que feraient en province à ce coup d'Etat les membres des diverses administrations de Département, de District et municipales. Ces administrations avaient été renouvelées par élections au mois de novembre 1792, et, dans la plupart d'entre elles, l'opinion girondiste, comme on disait alors, c'est-à-dire l'opinion des vaincus du 31 mai était prépondérante. De même qu'on a dit de la France, en 1830, qu'elle était centre-gauche, on pourrait dire avec plus de vérité qu'en 1793, la France agissante et politique, était girondiste. Les comités établis en vertu de la loi du 21 mars, soit qu'ils eussent été élus, soit qu'ils eussent été nommés par les représentants ou par les corps constitués, étaient de formation plus récente, et par conséquent plus favorables à la Montagne, à une époque où les progrès de la démagogie étaient rapides et incessants. On espérait, non sans raison, que ces comités, avec l'aide des représentants et des sociétés populaires, domineraient les administrations régulièrement élues. Le décret du 4 juin leur enjoignant de correspondre directement avec le Comité de Salut public, ils subissaient l'action de l'autorité centrale.

Ce fut sans doute par l'effet d'une fausse manœuvre que, le 7 juin, Barère déposa, au nom du Comité de Salut public, un projet de décret dont l'article 1er portait : « Tous les Comités révolutionnaires sont supprimés ». Pour les nommer révolutionnaires, il fallait que, déjà, un grand nombre de comités se fussent intitulés de la sorte. Aucune suite ne fut donnée à ce projet, dont la discussion fut ajournée, séance tenante, et ne fut jamais reprise.

L’action des Comités, à ce moment, ne semble pas avoir été exercée directement, mais elle n'en fut pas moins considérable. Les quatre-vingt-deux représentants, envoyés en mission dans toutes les provinces, avaient besoin d'être renseignés sur les gens du pays capables de créer une opposition à la Montagne, et ces Comités étaient de véritables bureaux d'information sur les personnes d'opinions douteuses qu'il convenait de surveiller ou d'emprisonner.

Le 12 août 1793, un obscur député de la Drôme, qui n'était pas régicide, et qui fut même peu après proscrit à cause de son attitude prononcée contre le 31 mai, rappela que tous les aristocrates avaient été mis hors la loi, mais que l'esprit de cette loi avait été mal saisi ; que les traîtres demeuraient impunis, et qu'il était urgent de décréter que tous les gens suspects seraient mis en état d'arrestation. Legendre, Robespierre, et Danton surtout, qui parla longuement de trames et de conspirations, appuyèrent cette proposition, qui fut transformée en décret sous cette forme vague et générale : « Il sera procédé à l'arrestation des gens suspects » [Note : Réimpression du Moniteur, XVII, 387 et suiv.].

A la séance du 5 septembre 1793. Bazire fit un long discours contre les ennemis de la république et sur l'inertie des comités révolutionnaires de Paris, dont il proposa l'épuration par les soins du Conseil général de la commune. « La police, dit-il, n'existera réellement que quand, dans chaque section, on se sera assuré d'un Comité révolutionnaire patriote, qui ait le mandat d'amener, le mandat d'arrêt, le droit de visites domiciliaires et de désarmement, et qui pourra agir par lui-même, sans aucun recours à l'autorité centrale, car aujourd'hui les comités révolutionnaires ont besoin de recourir à l'intervention des commissaires de police. ». Dans ce même discours, il demandait aussi que l'on définit légalement le terme gens suspects [Note : Réimpression du Moniteur, n° du 7 sept. 1793, XVIII, 525].

Bazire dut interrompre son discours à l'arrivée de Barère, qui venait au nom du Comité de Salut public donner lecture « d'un rapport, sur différentes mesures, lesquelles, au dire de Thuriot qui présidait, pouvaient s'accorder avec celles que l'on discutait ». Ce rapport a été souvent cité, c'est celui qui, dès les premières lignes, contient ces phrases : « Une armée révolutionnaire exécutera enfin ce grand mot, qu'on doit à la Commune de Paris : Plaçons la terreur à l'ordre du jour ; c'est ainsi que disparaîtront en un instant, et les royalistes et les modérés, et la tourbe contre-révolutionnaire qui nous agite... Les royalistes veulent troubler les travaux de la Convention. Conspirateurs, elle troublera les vôtres. Ils veulent faire périr la Montagne. Eh bien ! la Montagne vous écrasera » [Note : Loi du 17 sept. 1793, Duvergier, Coll. de Lois, 1ère édit. VI, 213].

Au nombre des décrets qui furent rendus ce jour-là se trouve celui qui accordait aux membres des Comités de Salut public une indemnité de trois livres par jour, indemnité qui serait payée au moyen d'une contribution sur les riches. Ce même décret excluait de ces comités tous les ci-devant nobles et les prêtres non mariée [Note : Eod. N° du 8, XVII, 531].

Ce fut la fameuse loi du 17 septembre 1793, rédigée par Merlin de Douai et dite loi des suspects, qui détermina les signes auxquels on reconnaîtrait les Français de tout âge et de tout sexe, qui méritaient d'être exclus de la Société, et embastillés au moyen de lettres de cachet rédigées dans un style nouveau. Elle établissait de nombreuses catégories, qui pouvaient être indéfiniment étendues, puisqu'elles comprenaient tous ceux qui « soit par leur conduite, soit par leurs relations, soit par leurs propos ou leurs écrits se sont montrés partisans de la tyrannie ou du fédéralisme et ennemies de la liberté... » les ci-devant nobles, les parents d'émigrés, etc. etc.

La mission de dresser « les listes de suspects, de décerner contre eux les mandats d'arrêt, et de faire apposer les scellés sur leurs papiers » (et non sur leurs logements comme on le fit à Nantes), était conférée aux Comités révolutionnaires [Note : Procès-verbaux de la Convention, XX, 90].

Les Comités investis de cette mission étaient, aux termes de l'art. 3 de la loi « ceux qui avaient été établis en vertu de la loi du 21 mars 1793, ou ceux qui leur avaient été substitués, soit par les arrêtés des représentants du peuple, soit en vertu des décrets de la Convention ». Leurs attributions étaient démesurément étendues, puisque, de consultatifs qu'ils avaient été jusque-là, ils devenaient exécutifs. Si l'on s'en était tenu aux termes limitatifs de l'art. 3, qui viennent d'être cités, le nombre des comités révolutionnaires aurait été relativement restreint, et il n'y aurait eu de vraiment compétents pour l'arrestation des suspects que ceux qui étaient désignés par le décret du 4 juin. C'est bien ainsi, on l'a vu par la citation empruntée au rapport de Cambon, que le Comité des finances interprétait cet article, puisqu'il proposa de limiter le payement d'une rétribution journalière aux seuls membres des Comités de cette catégorie. L'établissement de Comités révolutionnaires, dans une vingtaine de milliers de communes, si l'on accepte le chiffre de Louis Blanc, fut donc le résultat d'usurpations tolérées ou encouragées par les autorités locales et les représentants en mission, ou bien encore l'effet d'une application abusive de la loi du 21 mars 1793 qui avait prescrit dans chaque commune l'institution d'un comité d'étrangers, loi visée par celle des Suspects. Dans maints endroits, il suffit certainement que douze sans-culottes aient pris plaisir au jeu des dénonciations pour qu'un comité se soit trouvé constitué en fait, et ait agi en vertu des pouvoirs qu'il s'était donnés. Dans un décret du 16 frimaire an II, (6 décembre 1793) qui avait pour objet de provoquer la rentrée de taxes indûment levées, décret qui, à la vérité, fut rapporté peu après mais dont le libellé conserve néanmoins sa signification, il est parlé de Comités révolutionnaires, ou soi-disant tels [Note : Duvergier, Coll. de Lois, VI, 402. Le décret du 16 frimaire fut remis en vigueur par un décret du 15 nivôse an II. (Réimpression du Monit., XIX ; 137). Voir sur ces taxes, dont rien ne rentrait au trésor public, et sur les vaisselles de métaux précieux ci devant employées au service du culte, le rapport de Cambon du 3 germinal an II, Réimpression, XX, 130].

Confié à d'honnêtes gens, un pouvoir arbitraire peut devenir dangereux ; il devait nécessairement conduire aux abus des hommes choisis, la plupart du temps, à cause de l'exaltation de leurs opinions et capables d'exercer pour un écu par jour le triste métier de délateurs.

Un décret du 20 septembre 1793 investit les comités de surveillance des villes de la fonction de reviser les certificats de civisme, ce qui accrut encore leurs pouvoirs, puisque l'absence d'un certificat de civisme était une présomption de suspicion.

Les arrestations ordonnées, à tort et à travers et sans motifs, devinrent si nombreuses que la Convention essaya d'obliger les comités à remettre aux gens arrêtés par leur ordre une copie du procès-verbal contenant les motifs de l'arrestation. Décret du 27ème jour du 1er mois de l'an II (18 octobre 1793) [Note : Duvergier, Coll. de Lois, VI, 295].

Mais l'arbitraire est d'une pratique si commode que l'on y prend goût dès qu'on a pu l'exercer quelque temps. Il en coûtait à certains membres des Comités révolutionnaires de Paris, qu'on y apportât une limite. Ils adressèrent à la Convention une pétition, à l'effet d'obtenir d'être dispensés de donner les motifs de leurs arrestations [Note : Réimpression du Moniteur, XVIII, 174]. Cette pétition fut accueillie favorablement par le Comité de Sûreté générale, et, sur sa demande, la proposition fut faite de rapporter le décret du 27 du premier mois. Vainement Philippeaux et Lecointre la combattirent. A la suite d'un discours de Robespierre, auquel on ne saurait contester la maîtrise en matière de terreur, les comités révolutionnaires furent dispensés de fournir leurs motifs, et le décret du 27 du premier mois fut rapporté. Sans doute, dit Robespierre, il faut protéger la liberté individuelle, mais s'ensuit-il qu'il faille, par des formes subtiles, laisser périr la liberté publique ? S'en suit-il qu'il faille faire autant de procédures par écrit qu'il y aura de personnes arrêtées ? L'obligation de dresser les procès-verbaux en forme décourage les citoyens généreux qui ont eu le courage de s'exposer à toutes les fureurs de l'aristocratie. Ces hommes simples et vertueux, qui ne connaissent pas les subtilités de la chicane, voyant opposer à leurs travaux cette action contre-révolutionnaire, ont laissé ralentir leur zèle, etc [Note : Séance du 3 brumaire, 24 octobre 1793, Réimpression du Moniteur, XVIII, 215].

Au dire de M. Aulard [Note : Histoire politique de la Révolution, Paris, Armand Colin, 1901, p. 352], les abus contre la liberté individuelle étant devenus trop criants, la Convention se serait déjugée encore une fois, en obligeant, par le décret du 17 frimaire an II, les Comités révolutionnaires à motiver leurs mandats d'arrêt. La portée du décret du 17 frimaire est beaucoup plus restreinte, il y est dit seulement que « par rapport aux individus non compris littéralement dans la loi du 17 septembre, contre lesquels il y aurait lieu de prendre des mesures de sûreté, » les Comités devront insérer sur un registre les motifs de ces mesures, et les communiquer aux représentants, s'il s'en trouve sur les lieux, et, en l'absence de représentants, au Comité de Sûreté générale [Note : Réimpression du Moniteur, XVIII, 616].

A la fin de frimaire, un député ayant apporté la plainte d'un patriote, qui se prétendait vexé par la décision d'un comité révolutionnaire, plusieurs voix s'élevèrent pour déclarer que toutes les fois que des comités révolutionnaires avaient donné lieu à reprocher, on trouvait parmi leurs membres des nobles ou des prêtres, et qu'il y avait lieu de tenir la plain à l'exécution du décret du 21 mars, qui excluait des comités tous les ci-devant privilégiés [Note : Eod. XVIII, 693].

La législation qui régissait les comités révolutionnaires était, on le voit, des plus simples ; ils avaient le droit de faire emprisonner qui il leur plaisait, ou, si l'on préfère, quiconque leur déplaisait, mais ils n'avaient aucune attribution judiciaire ou administrative.

II

La ville de Nantes, avant d'être affligée du fameux Comité que les représentants Gillet et Ruelle lui imposèrent, par leur arrêté du 20 du premier mois de l'an II, 11 octobre 1793, en avait subi plusieurs d'origines diverses, à la vérité plus modérés que celui-là, mais dont on ne peut nier le caractère révolutionnaire, puisqu'ils ont ordonné des arrestations suivies d'emprisonnement, sans y avoir été autorisés par aucune loi, et qu'ils n'ont pas respecté les garanties accordées à tous les citoyens par la Constitution.

L'urgence de comhattre l'insurrection qui avait éclaté dans la Loire-Inférieure, le 11 mars 1793, avait absorbé tous les soins des diverses administrations de ce département, et on ne s'était pas occupé d'établir les comités chargés de surveiller les étrangers, selon les termes de la loi du 21 mars. Le danger que la ville courait d'être envahie par les rebelles avait motivé la réunion, en une seule assemblée, des membres composant les trois administrations du Département, du District, et de la Municipalité. Le 14 mars, cette assemblée avait réparti les divers services à des comités spéciaux qui s'intitulèrent : Comité militaire, des approvisionnements, des rapports, et d'exécution. Les présidents des trois administrations, Beaufranchet, président du Département, Bougon, président du District, Baco, maire, Letourneux, procureur-général-syndic du Département, et Sotin, membre du Directoire de Département, formaient le Comité central supérieur, chargé d'imprimer au commandement l'unité nécessaire.

Dans la séance du 15 mars, il fut décidé que les personnes suspectes de pactiser avec l'insurrection seraient emprisonnées, et que le soin de les désigner serait confié au Comité d'exécution. Les membres de ce comité étaient Gourlay, membre du Directoire, Soreau, Huard, Francheteau, Maure!, membres du Conseil de Département, Brière, Barré, Bellot, Barre, Crucy, Laënnec, Bachelier, Coron, Saveneau, officiers municipaux, ou notables de la Municipalité. Un certain nombre de citoyens soupçonnés de correspondre avec les insurgés furent arrêtés et envoyés au Château.

Dans un pareil moment, il faut le reconnaître, le danger et la nécessité faisaient loi. De plus les membres du Comité d'exécution n'étaient pas les premiers venus. Tous, au mois de novembre précédent, avaient été appelés par une élection régulière, aux fonctions qu'ils occupaient, et avaient obtenu ainsi une marque de la confiance de leurs concitoyens.

Fouché, envoyé dans les départements de l'Ouest, en qualité de représentant en mission, était arrivé à Nantes le 25 mars. Dès le lendemain, il prononça la dissolution de l'organisation formée par les Corps administratifs et désigna les membres d'un nouveau comité central, savoir : Baco, maire, Tourgouilhet, officier municipal, Beaufranchet, Letourneux, et Audubon, membres du Département. Sous la direction de ce comité central, le 2 avril, les anciens comités reprirent leurs travaux. Mais il y a tout lieu de présumer, qu'à partir de ce moment, le soin des arrestations fut enlevé au Comité d'exécution, pour être confié par Fouché à un Comité de Sûreté générale formé par lui.

Une proclamation de ce représentant, datée de Nantes le 27 mars, et suivie d'un dispositif intitulé : mesures de sûreté générale, « enjoint (art 8) à tous les citoyens de dénoncer au Commissaire député de la Convention nationale, et aux adjoints qu'il désignera, tous ceux qui sont entrés dans la conjuration contre la liberté » [Note : Comte de Martel, Etude sur Fouché, Paris, Lachaud ; 1873, t. I, p. 52]. D'autre part, Villenave nous apprend, dans Le Cri du Républicain persécuté, (p. 5 et 6), « qu'il fit partie du premier Comité de Sûreté générale organisé par Fouché, et que les membres en furent choisis sur une liste qu'il lui avait présentée, et qui contenait les noms de Chaux [Note : Duvergier. Collection de Lois, V, 387], Richelot, Houget, et autres sans-culottes, et, qu'en l'absence de Fouché, c'était lui, Villenave, qui présidait le comité ». Fouché annonce qu'il va désigner des adjoints ; Villenave dit que ces adjoints furent choisis sur sa liste, il est évident que c'est le comité formé de ces adjoints qui doit être regardé comme le premier Comité révolutionnaire qui ait existé à Nantes.

En l'absence de documents, on ne saurait dire quels membres, autres ceux qui viennent d'être nommés d'après Villenave, composaient ce comité, ni quelle fut sa durée. Nulle part je n'ai aperçu les traces de son action. Vraisemblablement il dura jusqu'au commencement de juin, époque où l'inquiétude de voir l'armée vendéenne marcher sur Nantes avait eu pour effet de laisser le général Beysser devenir le maître unique et absolu de la ville. Sans se soucier d'un décret du 2 juin, qui avait ordonné l'arrestation de tous les suspects dans le département de la Loire-Inférieure [Note : Le fait de la présence de Chaux dans ce Comité est confirmé par lui-même. (Coup-d'oeil pour servir à ma défense, p. 9)], Beysser, d'accord avec le représentant Coustard, avait au contraire fait mettre en liberté la plupart des personnes qui avaient été emprisonnées comme rebelles ou comme complices des rebelles.

Le 3 août, Philippeaux arriva à Nantes fort excité contre les fédéralistes et les royalistes. Un arrêté ordonnant « de rétablir Dans les maisons d'arrêt » tous les prévenus suspects élargis par Coustard, fut signé par lui et ses deux collègues, Gillet et Merlin, et, comme le Conseil général de la Commune était chargé de l'exécution de cette mesure, ce Conseil invita Philippeaux et Gillet à la confier à un comité composé de deux membres de chaque administration, et d'un membre de chaque société populaire [Note : Procès-verbaux du Conseil général de la Commune des 9 et 11 août 1793, fos 73 et 77, (Archives municipales)]. Le nombre des membres de la Commune fut porté à trois, et ils furent choisis au scrutin. Tourgouilhet obtint 19 voix, Dorvo 14, Bachelier 9. Le Conseil de Département, le même jour, nomma Francheteau (Jacques-Alexis), ancien député des Marches à la Constituante, et Heureux [Note : Conseil de Département, 9 août 1793. (Archives départementales)]. Les procès-verbaux du District sont absolument muets sur le choix des deux membres de cette administration. D'après une note manuscrite de Dugast-Matifeux, Francheteau devint le président de ce Comité, dit de Salut public, qui aurait de plus compté parmi ses membres Louis Boyer et Goudet, ce dernier vraisemblablement choisi comme membre du club Saint-Vincent.

Le 12 septembre, les membres désignés par le Conseil général de la Commune demandèrent à être remplacés, en alléguant pour raison d'autres occupations, et l'assurance qu'on leur avait donnée qu'ils ne resteraient en fonctions que pendant un mois.

Le Conseil se rendit à leur voeu et nomma : Chauceaulme, notable, qui avait obtenu 7 voix au scrutin du 11 août, et deux officiers municipaux, Douillard, architecte, et Barre, ministre protestants [Note : Proc.-verb. Conseil gén. de la Comm. f° 137].

III

La loi des suspects, qui dut être connue sinon promulguée à Nantes le 23 septembre, donnait, comme je l'ai dit dans l'exposé de la législation, une importance considérable aux Comités de surveillance, et les membres qui composaient celui du 11 août étaient des patriotes bien tièdes, et, pourrait-on ajouter, mal disposés par leur passé à faire la besogne que l'on attendait d'eux. Un nouveau comité, choisi parmi les sans-culottes, fut donc institué le 29 septembre 1793, sous le titre de Comité de surveillance, par arrêté de Philippeaux, Gillet et Ruelle, avec la mission « de rechercher toutes les intrigues des gens suspects, d'arrêter et d'incarcérer les conspirateurs, d'interroger tant les anciens que les nouveaux détenus, etc. » [Note : Voir le texte complet de l'arrêté, le Fédéralisme dans la Loire-Inférieure, par A. Lallié, (Revue de la Révolution, 1889, XVI, 132)]. Les membres désignés étaient : Badel, qui devint plus tard accusateur public ; Colas, gabarier ; Coiquaud, fils ; Joullain, marchand ; Goudet, professeur de langues ; Bachelier, procureur ; Caussiran, vitrier ; Guillet, cloutier ; Kermen, commis ; et Bertrand, sculpteur.

« Nous avons fondé un nouveau Comité », écrivaient, le 6 octobre, au Comité de Salut public, les représentants Gillet, Turreau, Ruelle, Philippeaux et Méaulle [Note : Aulard, Recueil des actes du Comité de Salut public et des Représentants en mission, VII, 260]. Dans son Compte-rendu au Comité de Salut public (4ème partie, p. 28), Philippeaux vantait ainsi son zèle et sa vigueur : « Un ancien Comité de Salut public (celui du 11 août), au lieu d'être la terreur des malveillants, en était souvent le refuge. Nous lui avons substitué un Comité de surveillance formé de sans-culottes, vigoureux révolutionnaires, mais à la fois sages et prudents, qui ont justifié notre confiance et celle de la Société populaire, en faisant prompte justice des conspirateurs et des gens suspects ».

Les assertions de Dugast-Matifeux, en ce qui concerne les dates et les faits matériels, ont une autorité devant laquelle je suis tout disposé à m'incliner. Aussi convient-il de relever les erreurs de cette sorte, fort rares, qu'il a pu commettre. Dans sa Vie de Bachelier, qui n'est qu'une apologie de ce faux bonhomme, mais qui, à l'époque où il la publiait, révélait bien des faits ignorés à Nantes, il s'est trompé (note de la page 17) en disant que la phrase de Philippeaux citée ci-dessus « au lieu d'être la terreur des malveillants en était souvent le refuge » visait le comité institué le 29 septembre, et que « les sans-culottes vigoureux étaient ceux du Comité du 11 octobre, dont il sera question tout-à-l'heure, et qui comprenait Goullin et Chaux au nombre de ses membres. Le comité modéré, refuge des malveillants, était celui du 11 août, et celui « des sans-culottes vigoureux révolutionnaires », celui du 29 septembre. Les Badel, les Caussiran, les Colas étaient de vrais sans-culottes, et Philippeaux, en les traitant de modérés, leur aurait fait un honneur qu'ils ne méritaient en aucune façon.

Quelle eut été l'attitude des membres du Comité du 29 septembre, qui furent appelés à d'autres fonctions, s'ils s'étaient trouvés, comme ceux qui les remplacèrent, en présence de Carrier ? A en juger par celle qu'ils eurent dans les postes qu'ils occupèrent, on peut assurer que cette attitude eut été purement passive, et je n'excepte ni Goudet, ni Kermen, les seuls qui eussent quelque valeur, et qui, le premier au tribunal révolutionnaire, le second, au Département, ne firent en aucune façon preuve d'indépendance. Une attitude passive des membres de ce comité n'en eût pas moins été un grand bien, si l'on considère tout le mal qu'en occupant leurs places ont fait Goullin et Chaux, tous les deux actifs, intelligents, et d'une perversité à en remontrer à Carrier lui-même.

Pour le malheur de Nantes, ces deux hommes avaient deviné que les pouvoirs confiés aux comités révolutionnaires par la loi des suspects donneraient à ceux qui y siégeraient une influence prépondérante, qu'accroîtrait encore l'autorité des représentants en mission, dont ils avaient toutes chances de devenir les guides et les inspirateurs. Apercevant qu'aucune autre fonction ne pouvait aussi bien servir les intérêts de leur ambition, ils avaient souhaité celle-là. Leurs relations avec les représentants, dont ils étaient ou avaient été les secrétaires, rendirent leurs nominations faciles. Ce fut sur leurs indications que le personnel du Comité du 29 septembre fut modifié. Sauf Bachelier, qui était timide, et ne leur portait pas ombrage, tous ceux qu'ils firent entrer avec eux au Comité étaient des nullités.

L'arrêté, qui reconstitua le Comité du 29 septembre, et qui le qualifia Comité révolutionnaire d'une manière officielle, est signé des représentants Gillet et Ruelle ; il est daté du dixième jour de la deuxième décade du premier mois de l'an II, 11 octobre 1793. Les membres, appelés à le former, devaient être au nombre de treize.

L'arrêté ne contient que douze noms, savoir : Bachelier, Levêque, Goullin, Chaux, Chevalier, Louis, Naux, Perrochaud, Bollogniel, Proust aîné, Mainguet, et Guillet [Note : Voici leurs noms, prénoms, âges, professions et domiciles : — Bachelier, Jean-Marguerite. 42 ans, né à Nantes, avoué, rue Contrescarpe, en face le Bon-Pasteur, au 1er étage. — Lévêque, Jean, 37 ans, né à Mayenne, maçon, rue Saint-Nicolas, 6, au premier. — Goullin, Jean–Jacques, 36 ans, né à Saint-Domingue, sans profession connue, rue Félix, sur le Cours, au deuxième étage. — Chaux, Pierre, né à Nantes, 34 ans, marchand failli, place Gracchus, ci-devant Saint-Pierre, autrefois cure Saint-Laurent. — Richelot, entrepreneur. — Chevalier, profession et qualité inconnues, rue Keller, n° 10, près la place Viarmes. — Naux, Louis, 34 ans, né à Nantes, boisselier et faïencier, quai des Gardes-Françaises, (ci-devant Flesselles). — Perrochaud, Jean, 47 ans, né à Nantes, entrepreneur de bâtiments, rue du Bignon-Lostard (actuellement rue Scribe). — Bollogniel, Antoine-Nicolas, 46 ans, né à Paris, horloger, Haute-Grand'rue, n° 38. — Proust, aîné, Yves, cloutier, rue de la Boucherie. — Mainguet, Jean-Baptiste, 35 ans, né à Nantes, épinglier, rue Saint-Nicolas, 23. — Guillet, Pierre, 26 ans, cloutier, rue Saint-Nicolas. — Moreau de Grandmaison, Michel, 38 ans, né à Nantes, maître d'armes, vis-à-vis la Bourse, maison Sagory, sur le derrière, n° 9, premier étage].

Le traitement des membres était de six livres par jour, et de huit livres pour les deux secrétaires ; cette dépense devait être acquittée « sur les fonds additionnels de la commune de Nantes, » sorte de revenus qui n'existaient que dans l'imagination des représentants. Par un arrêté de Carrier et Francastel, du premier de la première décade du deuxième mois, 22 octobre, ce traitement fut élevé à dix livres [Note : Comité de Bô, Correspondance ; lettre du 2 thermidor an II].

La formule du serment prêté par chacun des membres était celle-ci : « Je jure de maintenir la liberté, l'égalité, l'unité et l'indivisibilité de la république, la sûreté des personnes et des propriétés, de poursuivre de toutes mes forces les fédéralistes, les feuillants, les modérés et autres ennemis de la chose publique, sous quelque forme et couleur qu'ils osent se montrer ; de ne jamais composer avec l'intérêt personnel, avec la parenté et même avec l'amitié ; de mourir enfin à mon poste plutôt que de fléchir sur les principes de sûreté et de salut public ».

Bachelier avait signé l'arrêté fédéraliste du 5 juillet, mais il s'en cachait. Le treizième membre fut nommé au scrutin, par le Comité lui-même, qui choisit Grandmaison, le 11 brumaire an II, 1er novembre 1793.

Dans le cours de son exercice, qui dura jusqu'au 10 prairial an II, 29 mai 1794, le Comité ne fut pas composé des mêmes membres. Richelot en sortit le premier, le 28 frimaire, 18 décembre 1793. Il avait convoité la situation d'architecte-voyer de la ville, qui était occupée par un homme éminent, Mathurin Crucy, et bien qu'il ne fût guère qu'un maçon, il avait obtenu de ses collègues, le 24 brumaire, qu'ils présentassent à la signature des représentants un arrêté rédigé d'avance, qui le nommait architecte-voyer de la ville de Nantes [Note : Tous ces menus faits sont empruntés au Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, 334, et aux Procès verbaux du Comité Révolutionnaire]. Gaullier, père, maître d'écriture, fut appelé à le remplacer.

Au commencement de nivôse, Louis Naux, ayant été trouvé la nuit chez un bijoutier par des camarades qui faisaient une perquisition, fut soupçonné de s'être introduit dans la maison pour y commettre un vol, et, pour cette raison exclu pendant quelque temps du Comité. Il donna de sa présence chez le bijoutier le motif d'un rendez-vous galant avec la servante, et il reprit ses fonctions [Note : Bull. du Trib. révol. VI, 287 et 323]. On se rappela alors une loi du 7 frimaire, qui interdisait à des parents, jusqu'au quatrième degré, de faire partie du même Comité, et, comme il était beau-frère de Guillet, on inscrivit au procès-verbal qu'il avait démissionné à cause de sa parenté, mais reprenait ses fonctions, en présence du désir exprimé par Guille de se retirer. A partir du 17 nivôse, 6 janvier, le nom de Guillet disparaît complètement des procès-verbaux.

Le 18 pluviôse, Chevalier tomba malade et l'intérim fut confié à Yves Berthault, avec le titre d'adjoint, durant une période qu'il est difficile de déterminer, parce que le nom de Chevalier continua d'être inscrit sur les procès-verbaux et que celui de Berthault n'y figure pas.

A partir du 6 pluviôse, 25 janvier 1794, Louis Naux semble avoir déserté le Comité ; on cesse de voir son nom ; cependant il ne donna sa démission définitive que le 18 ventôse, 8 mars, en alléguant sa parenté avec Perrochaud et la loi du 7 frimaire. On jouait de cette loi selon le besoin ou la fantaisie.

D'une mention très nette, signée de Garreau, et portée au registre des Déclarations faites à la Municipalité, il résulte que ce Garreau, qui était officier municipal, fut appelé à siéger au Comité à partir du 26 pluviôse, 14 février 1794 ; mais aucun procès-verbal ne mentionne sa présence.

Le 30 pluviôse, 18 février, on voit apparaître C. F. Petit [Note : Petit a déclaré (Registre des Déclar., n° 104, Arch. municip.) avoir été nommé par Carrier le 26 pluviôse, au moment de son départ de Nantes] qui fit jusqu'à la fin partie du Comité. Sur les antécédents de Petit, de même que sur ceux de Chevalier, les renseignements font presque entièrement défaut. Petit avait été nommé membre du Conseil de département, le 19 vendémiaire an II, et y avait siégé jusqu'à l'époque de sa dissolution, le 6 nivôse. Il avait cela de commun avec plusieurs de ses collègues, qu'il était aux prises avec des créanciers [Note : Plaquette in-4., de 7 p., sans nom d'imprimeur, intitulée : Bouchereau à ses concitoyens, 2 messidor an II, p. 5, Bouchereau était huissier]. J'aurai dit tout ce que j'ai pu apprendre sur ces deux inconnus, si j'ajoute que Chevalier et Petit avaient, dans la compagnie Marat, chacun un homonyme que je soupçonne avoir été leur frère, et qu'ils ne signèrent aucun ordre de mort. Petit remplaçait Guillet. Le place de Naux demeura vacante. On l'offrit à Champenois, qui fit savoir, le 4 ventôse, 22 février, qu'ayant été destitué par Carrier de ses fonctions d'officier municipal, il attendrait, pour accepter, sa réintégration à l'Hôtel de ville.

Proust se retira le 25 germinal, 14 avril. A cette date le procès-verbal porte ces lignes : « Les représentants autorisent le citoyen Proust, membre de notre Comité, de se démettre de ses fonctions, pour se livrer tout entier à la partie des clous, dont la République a un besoin indispensable ».

Les pouvoirs accordés aux Comités révolutionnaires par la loi des suspects, en ce qui concernait les arrestations et les emprisonnements étaient illimités, mais bornés à la disposition des personnes, et nullement de leurs biens. Quand la dénonciation qui avait motivé une arrestation était grave, ils devaient la transmettre aux tribunaux. Ils n'étaient, ainsi, qu'indirectement les pourvoyeurs de la guillotine.

La disposition des Comités à lever des taxes s'étant manifestée en divers lieux, la Convention avait cru devoir y apporter un frein en édictant, dans le décret du 14 frimaire, 6 décembre 1793, une dise position ainsi conçue « Aucune taxe, aucun emprunt forcé ou volontaire, ne pourront être levés qu'en vertu d'un décret ». Les taxes révolutionnaires des représentants du peuple n'auront d'exécution qu'après avoir été approuvées par la Convention, à moins que ce ne soit en pays ennemi ou rebelle. (Art. 20, section III du décret sur le mode de gouvernement provisoire et révolutionnaire) [Note : Duvergier, Collection de Lois, VI, 395]. J'appelle l'attention du lecteur sur cet article, dont le Comité révolutionnaire de Nantes affecta, jusqu'à la fin de son exercice, d'ignorer l'existence.

IV

Les pouvoirs illimités des représentants légitimaient toutes les mesures, soit qu'ils les eûssent ordonnées directement, soit même qu'elles eûssent été seulement tolérées par eux, et ce fut à la connivence de Carrier que le Comité révolutionnaire de Nantes dût de pouvoir empiéter, comme il le fit, sur les attributions des administrations et des tribunaux. Carrier, uniquement occupé de détruire les milliers de prisonniers vendéens amenés à Nantes et assuré que le Comité était à la hauteur, lui avait laissé la complète domination de la ville de Nantes et de ses habitants. Il n'autorisa jamais formellement le pillage des magasins et des maisons des suspects, mais il ne s'inquiéta jamais d'apporter une limite aux abus de pouvoirs du Comité.

Ces abus de pouvoirs allaient jusqu'à disposer du patrimoine des suspects. On voit, par exemple, qu'à la date du 9 nivôse (29 décembre 1793), Idlinger réclame du Comité qui l'a dépossédé les sommes nécessaires pour acquitter des traites protestées. Le 12 nivôse, (1er janvier 1794), le Comité décide, par un arrêté, que les créanciers patriotes de Perrotin, riche négociant, ne seront payés que sur la production d'actes authentiques.

Après le départ de Carrier, l'habitude de ces abus continua. On lit au procès-verbal du 5 ventôse (23 février), la décision suivante : « Les débiteurs des détenus devront faire leur déclaration dans le délai d'un mois, sous peine d'être déclarés suspects. On tiendra aussi note des fournisseurs créanciers des détenus ». Imaginerait-on un moyen plus ingénieux pour connaître les disponibilités de la fortune mobilière de chacun des habitants d'une ville ? Qui, en vertu des exigences de la vie courante, n'est pas débiteur ou créancier, et même les deux à la fois ? De cette façon, le Comité savait à quelle porte, ou plutôt à quelle caisse il pouvait frapper.

Le 9 ventôse (27 février), le Comité arrêtait : « Les voitures employées à la conduite des gens suspects seront payées à chaque maître de fiacre proportionnellement à ce qui est dû à chacun, et les riches subviendront à cette dépense ». Une note de 4.362 liv. fut ainsi acquittée par des personnes présumées avoir de la fortune, et l'avance, sinon le payement, en fut faite par les citoyens Fleury, Fruchard, Geslin et autres [Note : Déclarations à la Municipalité, de Dupoirier, n° 80 ; de Dubois, nos 121 et 183]. Le négociant Perrotin dut contribuer pour 100 liv., bien qu'il ait été reconnu qu'il avait été arrêté sans raison, et que la voiture ne lui avait servi que pendant quelques instants [Note : Bull. du Trib. révol., VI, n° 58, 229].

Ce n'était pas assez d'emprisonner les négociants suspects et de leur rendre impossible la direction de leurs maisons de commerce, le Comité s'ingérait de pénétrer chez eux et de vendre leurs marchandises. On lit au procès-verbal du Comité du 1er germinal (21 mars) : « Extrait du journal tenu par le citoyen Clavier, receveur des Domaines, des recettes et des dépenses faites pendant les trois décades de ventôse, pour le produit des sucres et autres marchandises vendues pour le compte des incarcérés ». Que le produit de ces ventes n'allât pas dans la caisse du Comité, ce n'en était pas moins une illégalité de l'attribuer aux Domaines. Une loi avait prononcé la confiscation des biens des émigrés, mais il n'en existait pas qui eût prononcé celle des biens des suspects. En admettant que les Domaines ne fissent qu'un encaissement provisoire, comme semblent l'indiquer les mots « pour le compte des incarcérés », le commerçant dont la marchandise était vendue à contre-temps, sans son intervention, au prix du maximum, sinon au-dessous, était nécessairement lésé, et, ce qu'il perdait ainsi ne pouvait profiter qu'à des acheteurs peu scrupuleux, comme il s'en trouve toujours.

Les commerçants n'étaient pas seuls exposés à ces perquisitions. Les membres de la compagnie Marat, et, après sa disolution, les commissaires du Comité, dont plusieurs avaient fait partie de cette compagnie, se faisaient ouvrir les portes de toutes les maisons, où ils espéraient trouver quelque chose à piller. Il leur arrivait même quelquefois de forcer la porte sans prévenir l'habitant. C'est ainsi qu'un médecin connu, nommé Tréluyer, demeurant rue Crébillon, trouva, en entrant chez lui, le 3 frimaire, (23 novembre,) René Naux et Giret en train de faire la revue du contenu de ses meubles ; ils s'étaient introduits tout simplement au moyen d'un passe-partout [Note : Déclar., n° 112].

Ces perquisitions étaient le plus souvent suivies d'une apposition de scellés qui se faisait d'une manière dérisoire, et sans aucune des garanties qui auraient pu justifier l'emploi de cette formalité. Il est probable même que ces appositions de scellés n'avaient d'autres motifs que l'extorsion d'un impôt supplémentaire au profit du commissaire. Un prisonnier avait besoin d'un objet quelconque qu'il avait laissé chez lui, il chargeait un commissaire d'aller le lui chercher, ou de le remettre à une personne désignée : l'enlèvement et la réapposition du scellé procuraient à ce commissaire une aubaine de 3 liv. 10 sous [Note : Proc. verb. du Comité du 7 nivôse. Décl. de Guichard, n° 37. Gallon faisait même payer 4 liv. 10 sous, Déclaration de Gaultier, membre du Comité, n° 67]. Si, d'aventure, un procès-verbal de la perquisition était dressé, il l'était hors de la présence de l'habitant dont le domicile avait été visité. Le scellé collé avec de la cire, on y appliquait un cachet quelconque ; plusieurs fois on se contenta de l'empreinte du dé de la cuisinière, et même simplement de celle du pouce [Note : Bull. du Trib. révol. VII, 13 ; VI, 236, 245]. Gicqueau, administrateur du Département, rappela que, chez M. Roselly, demeurant rue du Château, qui, à la vérité, n'était pas seulement suspect, mais émigré, on avait bien mis les scellés sur les portes, mais qu'on avait laissé un passage permettant l'accès à un cabinet qui contenait des objets précieux [Note : Bull. du Trib. révol., VI, 347]. Du reste, il paraît que, le plus souvent, on ne mettait les scellés sur les meubles qu'après en avoir extrait les bijoux et l'argent comptant. C'était, dit le président Dobsent, « la louable habitude du Comité révolutionnaire » [Note : Eod. VI, 288]. Une levée de scellés, qui mérite d'être notée, est celle qui eut lieu, sur l'ordre du Comité, inscrit au procès-verbal du 18 pluviôse, (6 février) : « Ordre à, Gallon de lever les scellés chez Coutance, maison Bellevue ». L'appartement de M. de Coutance était contigu à celui qu'occupaient Goullin et Gallon ; M. de Coutance, envoyé à Paris, venait d'y mourir en prison ; sa femme était au Bon-Pasteur. Goullin trouvait commode de s'installer dans ce logement, ce qu'il fit. Le Comité fit vendre ceux des meubles des Coutance dont Goullin ne trouva pas avoir l'emploi [Note : Voir sur Goullin et la famille de Coutance. Le sans-culotte Gaullies, p. 80 : — Les cent trente-deux Nantais, p. 93. — Emigrés, 26 prairial an III f° 165]. Aucune décision judiciaire n'avait atteint ni M. ni Mme de Coutance.

La liste détaillée et nominative des exactions du Comité, que je donnerai plus loin, est longue ; néanmoins, je puis affirmer qu'elle est fort incomplète. Lors du procès de Paris, il fut fait un premier envoi des pièces les plus importantes des archives du Comité ; il en fut fait un second à Angers, lorsque les membres acquittés à Paris furent traduits devant le tribunal criminel de Maine-et-Loire.

Voici la preuve de ces envois : à la date de la 2ème sans-Culottide de l'an III, (18 septembre 1795), on lit sur le registre de la correspondance du District de Nantes, f° 113, la copie d'une lettre adressée au directeur du jury du tribunal d'Angers, dans laquelle il est dit que, le 26 fructidor an II, à l'époque où s'instruisait le procès de Paris, on a envoyé « un grand nombre de pièces, même les originaux ». A la date du 7 nivôse an IV, (28 décembre 1795), sur le même registre, f° 123, on constate qu'un dossier, comprenant notamment les livres trouvés chez Durassier, (ancien membre de la Compagnie Marat) a été envoyé à Angers. D'autre part le procès-verbal du Comité de Surveillance, qui avait succédé au Comité poursuivi, porte, à la date du 1er complémentaire an III, (17 septembre 1795), que les registres confiés à un nommé Constantin, pour être remis au greffe du tribunal d'Angers, étaient : 1° un petit registre, écrit jusqu'au f° 4, contenant les noms des citoyens qui ont déposé des sommes ; 2° un registre intitulé Journal, commencé le 19 nivôse, et écrit jusqu'au f° 19 ; 3° un registre intitulé Journal des assignats, bijoux et argenterie, commençant à la même date.

Vers la fin de nivôse, milieu de janvier, au moment où le Comité publia son Compte-rendu au District, d'après la loi du 14 frimaire, pièce qui fut imprimée, il reconnaissait avoir reçu des dons qui s'élevaient à la somme de 64,450 livres et faisait état 1° de la somme de 61,882 livres 19 sous, et 2° de 556 marcs d'argenterie pris à des personnes sous le coup de la loi.

Les registres envoyés à Paris et à Angers permettraient seuls d'établir avec exactitude le bilan du Comité. Ils ont disparu, et on ne les trouve dans aucun des dépôts d'archives de ces deux villes. Ont-ils été détruits par des amis des membres du Comité ? Ont-ils été détournés dans le trajet de Nantes à Paris et à Angers ? Cependant Laënnec, dans une lettre datées de Paris pendant le procès, parle de liasses de documents qui accusent le Comité. Ce qui est bien certain, c'est que le compte-rendu des débats ne mentionne point de pièces produites par l'accusateur public contre les membres du Comité, autres que celles imprimées par Phelippes dans ses Mémoires, et les Pièces contre Carrier remises à la Commission des vingt-et-un. Faut-il attribuer seulement à la négligence du président Dobsent, et de l'accusateur public Leblois, que, par exemple, il n'ait point été parlé dans le cours des débats, d'une lettre qui était pourtant de nature à éclairer les jurés sur la valeur des déclarations des accusés, et dont la teneur est révélée par la mention suivante, au registre déjà cité du Comité de Surveillance qui succéda au Comité mis en accusation : « Lettre trouvée dans les papiers du Comité, et signée Naux, agent de la Commission civile et administrative, datée de Nantes le 12 floréal an II (un peu plus d'un mois avant les poursuites exercées contre le Comité), dans laquelle il propose, aux membres du Comité, de prendre un arrêté fraternel, dans lequel on se jurera amitié et secours en cas que quelqu'un fût inculpé pour les occupations ordonnées par le représentant du peuple et, en marge : « envoyé cette lettre à Paris » [Note : Procès-verbel du Comité de Surveillance nommé par Bô, 3 frimaire an III (23 novembre 1794)]. Cette précaution n'indiquait-elle pas, de la façon la plus claire, la conviction des membres du Comité qu'ils pouvaient être inculpés de complicité pour les occupations ordonnées par Carrier, euphémisme assez heureusement trouvé, et, de plus, qu'ils se soutiendraient les uns les autres s'ils étaient accusés ?

De tous les registres du Comité, un seul a été conservé, celui des procès-verbaux des séances de chaque jour. Quoique sommaires, ces procès-verbaux forment un recueil de renseignements précieux et précis, sur les arrestations opérées, sur le personnel qui composait ce Comité, sur un certain nombre d'exactions, et sur les décisions importantes. Toutes celles qui ont été citées, dans les pages qui précèdent, ont été copiées sur ce registre. Les dates sont certaines, chaque procès-verbal étant daté et signé des membres présents à la séance. Les vingt premiers, jusqu'à novembre, ont pu néanmoins avoir été refaits et corrigée ; en tout cas ; il est bien certain qu'ils ont été recopiés, et, ce qui le démontre, c'est que, du 11 octobre au 2 novembre, ils sont datées vendémiaire et brumaire, à un moment où l'année républicaine n'avait pas encore reçu les dénominations nouvelles. A Paris, le numéro du Moniteur du 28 octobre est encore daté du 7 de la première decade du deuxième mois, et c'est sur celui du 29 octobre seulement qu'on voit apparaître le nom de brumaire, « octidi, première décade de brumaire. — Mardi, 29 octobre 1793, vieux style ».

Ce n'est qu'en usurpant, très illégalement, certaines attributions administratives, telles que la répurgation des rues, l'établissement de nouvelles prisons, etc., ou, en s'ingérant dans l'exécution, de mesures révolutionnaires inavouables, telles que les noyades, que le Comité révolutionnaire de Nantes avait été amené à ordonnancer des dépenses, dont le payement devait, dans ses prévisions, incomber aux riches de la ville. Il provoqua, pour les solder, des offrandes d'argent, que les riches lui apportèrent aussi volontairement que fait le voyageur isolé qui, la nuit au coin d'un bois, vide ses poches à l'appel de brigands qui lui demandent la bourse ou la vie. La tenue d'une comptabilité régulière est la première des obligations qu'impose le maniement des fonds d'autrui, mais les membres du Comité avaient la prétention de travailler pour le Salut public ; or, en temps de révolution, le Salut public est un genre de travail que, ceux qui s'y dévouent, regardent volontiers comme assez méritoire pour être à l'abri du contrôle. Insouciance ou calcul malhonnête, personne au Comité ne songea à mettre de l'ordre dans la gestion de ces finances improvisées. Tout, pourtant, n'était pas cadeaux dans les recettes du Comité. Il y avait l'argenterie des églises ; celle aussi des particuliers, dont maintes pièces furent confisquées par des membres de la Compagnie Marat, qui trouvaient toujours le moyen de justifier leurs prises en invoquant le décret du 23 brumaire an II, le décret qui déclarait confisqués au profit de la République, « tous métaux, monnayés, ou non, tous objets précieux qui seraient découverts, ayant été cachés ou enfouis, dans la terre, dans les caves, les combles, les cheminées, et autres lieux secrets » [Note : Duvergier. Collect. de lois. VI, 349].

Garreau, cet officier municipal, qui avait, d'après son dire, siégé quelque temps au Comité, rapporte, dans sa déclaration à la Municipalité, que Barras, « secrétaire salarié du Comité », inscrivait sur une feuille volante les dons des citoyens, et que Chaux en faisait autant pour les souscriptions qu'il provoquait en faveur de son chemin de Bourg-Fumé [Note : Chaux possédait une petite campagne dans la région de Saint-Luce, et, comme le chemin qui y conduisait était mauvais, il avait entrepris de le faire réparer, au moyen de subventions qu'il sollicitait des personnes qui venaient au Comité. D'après sa déclaration au procès, « les subventions n'auraient pas dépassé trois mille livres, qui furent consciencieusement employées » (Bull. du Trib. révolut. VI, 300). Le compte détaillé du Comité montre que cette somme s'élevait à 15.100 liv.]. Goullin, ajoute-t-il, était trésorier, et déposait, dans une armoire dont il avait la clef, une quantité d'objets précieux. Perroçhaud avait aussi la clef d'une armoire et d'un grand coffre qui renfermaient de l'argent et des assignats [Note : Registre des déclarations ouvert à la Municipalité à la suite de la mise en accusation du Comité N° 104. (Archives municipales)]. Proust, le membre du Comité, a confirmé cette déclaration et y a ajouté, en déposant, qu'il se rappelait, qu'à un certain moment, probablement durant le voyage de Goullin à Paris, ce fut Bachelier qui eut la clef du trésorier [Note : Bullet. du Trib. révol. N° 98, p. 403 ; et déclaration de Gaullier n° 67]. On lit, dans la déclaration faite par Mainguet, autre membre du Comité, homme borné, presque inconscient du rôle qu'on lui faisait jouer : « Il a été porté au Comité une grande quantité de louis d'or et d'argent monnayé. Il y a environ quinze jours, (ce qui, d'après la date de la déclaration, reporte au milieu de prairial, commencement de juin) on comptait encore l'argent blanc. J'en aperçus une grande quantité, que l'on mettait dans des sacs. J'en parus étonné, et demandai d'où venait cet argent. — Bast ! me répondit Goullin, cela te regarde bien ! » [Note : Registre des déclarations, n° 124]. Bonamy, Agent-national du District [Note : Les Agents nationaux avaient été institués par la loi du 14 frimaire pour exercer les fonctions attribuées auparavant aux procureurs-syndics], a déclaré, comme témoin au procès, que, toutes les fois qu'il est allé au Comité, il a remarqué beaucoup de désordre, et qu'il voyait Goullin manier des bijoux de grande valeur... Un jour que le Comité avait fait remettre à la Commission de Salubrité une somme de dix mille livres, il se trouva que l'un des sacs ne contenait que 850 livres. Présent au Comité, au moment de la réclamation faite à ce sujet, il osa dire qu'il serait désirable que le Comité nommât un caissier, qui mettrait de l'ordre dans les recettes et les dépenses. Il lui fut répondu que c'était inutile, parce qu'il ne se produisait jamais d'erreurs [Note : Bullet. du Tribunal révol. VI, 299].

Voici enfin, sur la même comptabilité l'opinion exprimée par Joseph Hérié, menuisier, l'un des membres du Comité nommé par Bô, pour remplacer celui de Goullin et de Chaux : « J'ai trouvé, dit-il, dans la caisse, une somme de 200,000 liv. ; j'ai trouvé tous les objets réclamés par les détenus ; cependant j'ai trouvé peu de recettes et beaucoup d'articles de dépenses » [Note : Eod. VI, 340. Hérié se trompait sur le chiffre ; l'inventaire de l'encaisse ne s'élevait qu'à 87000 liv.].

Il a été fait, en passant, allusion à un voyage de Chaux et de Goullin.

Tous les deux avaient été appelés à Paris, par le Comité de Sûreté générale, pour déposer dans un affaire où se trouvait impliqué un officier général nommé Joznet-Laviollais, à la légère accusé d'un crime. Pour s'être faits simplement les éditeurs de cette dénonciation téméraire, on les avait supposés capables d'en apporter les preuves. En réalité, ils ne savaient rien de l'affaire, puisque le prétendu crime avait été commis aux colonies. Les deux camarades étaient partis joyeusement pour la capitale, le 24 ventôse, (14 mars 1794) emmenant chacun avec eux, une couple d'amis, et emportant un viatique de quatre mille livres, empruntées à la Caisse du Comité ; somme qui fut insuffisante comme nous le verrons tout-à-l'heure.

Durant leur séjour à Paris Goullin et Chaux semblent avoir fait complètement trêve à leurs fonctions patriotiques. Les procès-verbaux du Comité ne mentionnent la réception de leurs lettres qu'à très longs intervalles. En voici cependant, une de Goullin que j'ai rencontrée dans la collection Dugast-Matifeux, et qui n'est pas sans quelque saveur. Goullin s'y révèle tout entier ce qu'il était, fanfaron, léger, prodigue, et besogneux :

Paris, 11 germinal an II, (31 avril 1794).
AU COMITÉ RÉVOLUTIONNAIRE DE NANTES, EN LA PERSONNE DE BACHELIER, GOULLIN.

« Je m'adresse à toi, de préférence, mon bon camarade, et nos collègues ne s'en plaindront pas quand ils en connaîtront les motifs.

Ma foi, c'en est fait de nous, ou plutôt de notre bourse, si tu ne viens à son aide, ou si la Convention nationale ne nous renvoie bien vite à nos fonctions. L'abondance règne ici, mais pour le riche seulement. Le haut prix des denrées les rend rares peur le peuple, et équivaut à la disette. Loyer, bonne chère ou plutôt médiocre chère, vin, blanchissage, et autres frais imprévus et indispensables, tout cela ne s'obtient qu'au poids de l'or. En vérité, en vérité, il faut être opulent pour ne pas exister sans malaise à Paris. — Avec toute la sobriété et toute l'économie que tu me connais, chaque jour nous coûte plus de 40 livres ; ajoutez à cela les frais énormes d'un long voyage, et tu verras, avec deuil, que chaque heure d'absence entraîne, pour Chaux et pour moi, 6 ou 7 fr. après elle. Ah ! qui m'eut dit que le sans-culotte Goullin causerait un jour une telle dépense ! Cette idée m'étourdit et me chagrine. Oui, je mourrai de désespoir si l'on ne me replace à mon poste, ou si, m'employant plus utilement pour ma patrie, je ne lui suis en même temps moins à charge. — Je croyais, et tu en fus témoin, que les 4.000 livres que réclamait sagement Chaux, eussent suffi, et au delà, pour notre expédition, mais je reconnais, un peu tard, que, si elle dure quarante jours, six mille livres passeront. Six mille livres pour un Joznet, c'est beaucoup plus que nous ne l'estimions.

(Ici quelques lignes pour faire connaître que Joznet s'est justifié des accusations portées contre lui, et que le Comité de Salut public lui a rendu sa confiance).

En conséquence, mon bon ami, je t'exhorte à nous faire passer, par le prochain courrier, les 2000 en assignats de 400 liv. Consulte, sur ce point, nos collègues, et dis-leur que, si notre bon ange nous ramène parmi eux plus tôt que nous l'imaginons, nous saurons tenir compte de nos dépenses. Ainsi, dans tous les cas, expédie-nous promptement l'objet de notre demande, quitte à rendre s'il devient inutile. Paris est calme, point de nouvelles saillantes. Je vous assure qu'il ne se passera rien d'extraordinaire sans que Goullin ne vous le fasse tenir de la première main. Ecrire ne me coûte pas. Vous savez que c'est ma manie. Ici, je trouve peu matière à l'exercer, aussi je m'en venge sur mes amis. Indulgence, Bachelier, pour ma faiblesse, Ce sera une nouvelle preuve de ton attachement. Ton sincère ami, GOULLIN ».

Les deux voyageurs ne rendirent jamais compte de leurs dépenses. Interrogés à ce sujet par le président du Tribunal révolutionnaire, ils pretendirent n'avoir dépensé pour eux-mêmes que 1600 livres, et répondirent que le surplus l'avait été par leurs amis, qui restaient débiteurs, et qui n'ont jamais cessé de l'être.

Goullin et Chaux ne revinrent à Nantes que le 13 floréal, (2 mai), Les agréments de la grande ville leurs avaient fait oublier le sage proverbe : Les absents ont tort. Eux partis, le Comité s'était trouvé décapité ; les autres membres se sentaient incapables, à l'exception da Bachelier, d'un caractère timide, et qui n'était guère que le plumitif de la bande. Leur insuffisance les avait rendus modérés, et les arrestations étaient devenues plus rares. Moins effrayés, les habitants commençaient à reprendre leur sang-froid. Si beaucoup de gens vivaient et profitaient des abus du Comité, le nombre de ceux qui souffraient de l'arrêt à peu près complet des affaires était bien autrement considérable. Sans oser se démasquer, le mécontentement se propageait sous le manteau. A durer, la tyrannie s'use comme les autres choses de ce monde, et il arrive toujours un certain moment où il suffit, pour en avoir raison, d'un homme hardi et résolu. Cet homme fut Phelippes-Tronjolly, l'ancien président du Tribunal révolutionnaire.

(Alfred LALLIÉ).

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