Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

LE COMITÉ RÉVOLUTIONNAIRE DE NANTES ET SA CHUTE.

  Retour page d'accueil       Retour page "Ville de Nantes"   

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

VI

Phelippes-Tronjolly, comme président du tribunal révolutionnaire, avait été d'une grande faiblesse à l'égard de Carrier, et l'ardeur qu'il déploya dans ses attaques contre la tyrannie du Comité révolutionnaire montra, une fois de plus, que rien ne vaut un danger personnel et prochain pour aiguillonner les lâches et les rendre braves.

L'inimitié qui existait entre lui et le Comité avait une cause honorable et remontait à l'époque de la noyade du Bouffay. Informé du projet de cette noyade, Phelippes avait, dans l'intention de l'empêcher, passé une partie de la nuit du 16 au 17 frimaire au greffe de la prison du Bouffay. Sa présence en ce lieu avait intimidé les noyeurs, cette nuit-là, mais elle n'avait eu pour effet que de retarder l'exécution de quelques jours. Depuis lors, Phelippes avait rendu plusieurs ordonnances relatives à l'extraction des détenus des prisons, ordonnances qui contenaient les allusions les plus transparentes à l’abominable mesure dont Goullin avait été l'exécuteur. De là, violente rancune de Goullin contre Phelippes.

A la veille de son départ de Nantes, Carrier avait destitué ce dernier de ses fonctions de président du tribunal révolutionnaire, et Phelippes allait attribué, non sans raison, cette disgrâce à l'influence de Goullin. Cet incident avait encore accru leur haine réciproque. Simple juge, avec un passé qui n'était pas très net au point de vue des menées fédéralistes, l'ancien Président sentait que l'animosité du Comité contre lui n'était pas une chose négligeable, et il s'ingéniait pour se mettre à couvert du danger des dénonciations. Bien qu'il se sentît médiocrement considéré à la Société Vincent-la-Montagne, qui disposait de la faveur populaire, il avait eu l'heureuse idée de profiter de l'absence de Chaux et de Goullin pour s'y présenter hardiment. Il avait demandé la parole, et, à la suite d'un discours habile, il avait obtenu de cette Société une déclaration de confiance dans son civisme (4 germinal, an II, 24 mars 1794). C'est sans doute le discours qu'il avait prononcé qu'il fit imprimer sous ce titre : Mémoire du sans-culotte Phelippes, précédemment connu sous le nom de Tronjolly, daté de Nantes le 13 germinal an II. (2 avril 1794) [Note : Petit in-8° de 12 p., sans nom d'imprimeur. Péhant, dans son Catalogue, n° 50,575 dit que le seul exemplaire connu fait partie de la bibliothèque de M. Etiennez. Il fait maintenant partie de la mienne].

En termes voilés, qui durent néanmoins à ce moment paraître audacieux aux Nantais qui le lurent, Phelippes, après avoir pris la précaution de déclarer que le Comité avait agi à l'insu des représentants, disait, dans ce mémoire : « Pour bien juger de la nécessité de mon ordonnance du 7 nivôse, relative aux extractions de prisonniers, il faut savoir la conduite que tinrent, de nuit, à la maison de justice du Bouffay, deux citoyens, (Goullin et Grandmaison) qui, avec une escorte nombreuse, s'y permirent, envers un-grand nombre de prisonniers, tant jugés que non jugés, ou détenus comme suspects, des propos révoltants, et des actes arbitraires, dont il épargnera les détails. Ces prisonniers ne vivent plus ; il passera le reste sous silence..... ».

La semaine suivante, l'empêchement du juge, qui venait d'être nommé accusateur public, appelait Phelippes à cette fonction par l'effet des règlements sur le roulement du personnel du tribunal. C'était une chance inespérée ; aucun poste n'était plus favorable que celui-là pour lui permettre d'entreprendre et de mener campagne contre le Comité.

Le 24 germinal, 13 avril, il écrivait au Comité pour le sommer d'avoir à lui représenter les personnes de deux prisonniers qu'il savait avoir été compris dans la noyade du Bauffay du 24 frimaire. Peu après, il lui faisait parvenir son petit Mémoire, dont l'envoi et la réception sont constatés au procès-verbal du Comité du 1er floréal, 20 avril. Les collègues de Chaux et de Goullin, livrés à eux-mêmes, trouvaient sans doute que leurs chefs tardaient bien à revenir, et ce fut probablement quelque lettre pressante de Bachelier qui les décida enfin à quitter Paris.

Sans attendre leur retour, effrayés de l'attitude de Phelippes, Bachelier, Mainguet, Perrochaud et autres provoquèrent à la Société Vincent-la-Montagne l'envoi aux représentants d'une dénonciation contre l'accusateur public. Le texte en a été perdu, mais la mention de l'envoi de cette dénonciation existe au procès-verbal du Comité. Il ne semble pas que les représentants en aient tenu le moindre compte.

Le procès-verbal du 8 floréal, 27 avril, constate la réception d'une nouvelle lettre de Phelippes « faisant soi-disant les fonctions du ministère public ». De cette façon de désigner ses fonctions, il est permis d'inférer que sa lettre n'était pas agréable aux membres du Comité.

La rentrée au Comité de Chaux et de Goullin ne l'intimida pas ; le 23 floréal, 12 mai, il inscrivait au registre du Tribunal criminel par jurés, (f° 46) le requisitoire. suivant : « Considérant qu'il est de notoriété publique que, depuis les sept mois derniers, des particuliers se sont permis d'exercer des concussions, en taxant arbitrairement, et même en percevant comme taxes non exigées comme impositions, sans autres prétextes ou autrement, des sommes, effets, bijoux et argenteries, même souvent sans en donner de quittances ; que les sommes et produits d'effets n'ont même pas, jusqu'ici, été versés dans la caisse publique ; qu'il n'a été imprimé ni affiches de listes ou tableaux contenant les noms des imposés, de ceux qui ont payé les effets reçus ; qu'on a fourni une compagnie d'hommes dont les membres ont perçu ou spolié des sommes d'argent, fait des emprisonnements arbitraires, et ont, sans ordres, violé l'asile des citoyens ... qu'on a enlevé de leurs domiciles, de la maison de justice et d'ailleurs, malgré les représentations des concierges, des particuliers tant détenus que non détenus, tant jugés que non jugés, des condamnés à la déportation, et d'autres qui devaient garder prison jusqu'à la paix ; que ces détenus, à différentes époques, et notamment le 24 frimaire au soir, furent garottés, conduits à l'eau avec menaces et noyés d'une manière cruelle ; qu'en agissant ainsi on s'est rendu coupable d'assassinat, et qu'on a enlevé à la République les biens des particuliers, mandons et ordonnons à tous huissiers, aux gendarmes nationaux, d'assigner les témoins, dont les noms seront compris dans une liste annexée à une expédition de la présente ; même tous autres témoins dont nous pourrons donner les noms par la suite, à comparaître, en personnes, devant nous, le 28 floréal et jours suivants, à huit heures du matin pour faire leurs déclarations sur les faits ci-dessus. Signé : PHELIPPES ».

Prieur de la Marne, auquel ce réquisitoire avait été communiqué, obligé de partir précipitamment pour Brest, enjoignit à Philippes, par une lettre du 24 floréal, (13 mai) de surseoir à toutes poursuites, jusqu'à l'arrivée d'un de ses collègues de mission, qui statuerait en connaissance de cause.

Le collègue, qui arriva deux jours après, était Garnier de Saintes. Dans la crainte qu'il ne fut, à son arrivée, circonvenu par les membres du comité, Phelippes s'empressa de lui adresser la lettre suivante : « En arrivant à Nantes, crains de te laisser influencer par ceux qui, se qualifiant républicains, ne se conforment à aucune loi. Des hommes faibles et sans caractère chercheront à te prémunir contre les amis de la justice, de l'humanité et des lois, et contre moi en particulier. Je te prie de prendre connaissance des pièces ci –jointes » [Note : Correspond. des représentants en mission. (Archiv. départ.)].

En même temps qu'il essayait inutilement de mettre le représentant dans son jeu, Garnier n'ayant fait que passer, il écrivait aux directeurs des domaines et de l'enregistrement pour leur signaler les ventes d'objets précieux faites par le Comité, et leur demander si, conformément aux lois des 14 et 16 frimaire et du 15 nivôse [Note : Lois des 14 et 16 frimaire ; Duvergier, Coll. de lois, VI, 395, et 402 : loi du 15 nivôse an II : Réimpression du Moniteur, XIX, 137], le produit de ces ventes et celui des taxes, avaient été versés dans la caisse de l'un et de l'autre. Il avait aussi, par différentes démarches, secoué la torpeur de l'administration du District, chargé, par les lois citées tout à l'heure, d'opérer la rentrée dans les caisses publiques des valeurs saisies, et il l'avait mise en demeure d'exécuter les lois en exigeant des comptes du Comité. Le District, qui s'était contenté de porter ces lois tardivement à La connaissance du Comité en lui en transmettant le texte, se décida à lui écrire, le 25 floréal, 14 mai : « Le Décret du 16 frimaire relatif aux taxes faites par des Comités révolutionnaires ou des autorités incompétentes, vous a été adressé le 2 ventôse. Vous avez vu, par cette loi [Note : Dans l'espèce, c'est la loi du 15 nivôse que le District aurait dû invoquer. La Convention, après avoir, par l'art. 20 de la section III, de la loi du 14 frimaire interdit toutes levées de taxes autrement que par décret, n'avait pas dédaigné d'attribuer, par les lois du 16 frimaire et 15 nivôse, au trésor public, les taxes illégales ou levées par des autorités incompétentes, et avait chargé les Districts d'opérer leur rentrée dans les caisses], que nous devons poursuivre, sous notre responsabilité, le versement des fonds dans le trésor national. Cependant, depuis que vous avez reçu cette loi, vous êtes restés dans le silence. Nous désirons que vous vous expliquiez à nous à cet égard, et que vous nous fassiez part des mesures que vous avez dû prendre pour vous mettre en règle sur un objet aussi important. Vous n'ignorez pas vos obligations et les nôtres, et que les négligences et les retards sont des crimes devant la loi » [Note : District, lettres, registres 1793 an II, f° 77. Le procès-verbal du Comité du 21 floréal mentionne une lettre antérieure du District, avec cette note « y attachée celle du nominé Phelippes qui demande un compte »].

Sept des membres du Comité répondirent aussitôt : « Le Comité révolutionnaire au District. Nantes, le 26 floréal an II, (15 mai 1794) — Républicains — A la réception de votre lettre nous avons délibéré et jugé que nous n'étions pas dans le cas de la loi qui ordonne le versement des fonds provenant de taxes ou impositions. En effet, nous ne levâmes jamais ni emprunts, ni taxes, ni contributions forcées. Cependant incertains, et crainte de nous compromettre, nous avons écrit à Paris, et attendons une décision à cet égard. Néanmoins nous apurons nos comptes, et, incessamment, l'état vous en sera représenté. Nous vous prévenons, en outre, que nous diviserons notre compte en deux parties, celle qui réellement appartient à la République, et doit être versée dans ses coffres, telles que sommes saisies, ou trouvées enfouies chez divers ; l'autre, résultat de dons applicables aux besoins de la commune, et qui ne sont point soumis au même versement. Au surplus, sans délai, vous fournirons ce compte, et vous jugerez de ce que la loi nous prescrit, ayant autant à cœur que vous son exécution. Salut et attachement. Signé : Grandmaison ; Goullin ; Levêque, Chevalier, Gaullier père ; Bollogniel ; C. F. Petit.

Ce n'était plus seulement par le « soi-disant accusateur public » que le Comité se trouvait pris à partie ; c'était une administration toute entière qui l'incriminait pour le retard apporté à la reddition de ses comptes. Les manœuvres de Phelippes réussissaient. Jusqu'alors l'autorité du Comité avait, en fait, dominé toutes les autres. Obligé de venir à composition sur un seul point, il perdait son prestige.

VII

Dans les premiers jours de prairial, Bourbotte arrivait à Nantes. Il déposa ses pouvoirs au Département le 6 prairial (25 mai), Bourbotte avait, sur divers points de la Vendée, présidé avec une cruauté froide à l'exécution de milliers de prisonniers.

A Noirmoutier il avait agi, comme Carrier à Nantes. Mais ce qui prouve bien que les représentants en mission étaient, pour le Comité de salut public, de simples agents, qui exécutaient des mesures prescrites [Note : V. sur ce point : Le représentant Vadier, par M. Tournier, p. 225], et non des portions de souverains, libres de leurs déterminations, c'est que le même Bourbotte, qui venait de Paris, où il avait appris que le mot d'ordre était d'atténuer la terreur en province, pour en concentrer tout l'effort à Paris, déclara à son arrivée à Nantes que la clémence serait sa devise, et il le prouva en ordonnant peu après de nombreux élargissements d'habitants enfermés comme suspects.

L'arrivée à Nantes d'un représentant disposé à favoriser les modérés, au moment où l'opinion, excitée par Phelippes, commençait à se soulever contre les excès des membres du Comité, était pour eux une coïncidence fâcheuse. Inquiets, et ce n'est pas assez dire, effrayés, ils décidèrent qu'il était urgent d'imposer silence à leur ennemi le plus pressant en le faisant emprisonner. Pour y réussir sans délai, il fallait qu'une dénonciation grave, signée d'un nom autorisé, mît le représentant en demeure de faire emprisonner Phelippes. Ils se rappelaient que le coup de la dénonciation obtenue de la Société Vincent-la-Montagne avait raté, faute d'avoir été habilement préparée, à une époque où Chaux et Goullin étaient absents du Comité. Un homme leur sembla avoir toutes les qualités requises pour signer utilement cette dénonciation, c'était le médecin Thomas, patriote estimé, qui sollicitait à ce moment du Comité quelques mesures d'humanité en faveur de détenus auxquels il s'intéressait. A la requête de Thomas, Chaux répondit que l'action du Comité était paralysée par les attaques de Phelippes, et que, malgré les ressources de son encaisse, il ne pouvait rien faire ; mais qu'il serait facile de lui accorder tout ce qu'il voudrait, s'il consentait seulement à signer une bonne dénonciation contre Phelippes. Thomas, reprit alors, en plaisantant, qu'il était dommage qu'il n'eut pas connu, il y a quelques mois, leur vif désir de se défaire de Phelippes, lorsqu'il l'avait guéri d'une maladie qui mettait ses jours en danger ; qu'il n'aurait alors eu qu'à le laisser mourir naturellement, mais que, pour le moment, il ne pouvait rien contre leur adversaire, ayant pour principe de ne dénoncer personne sans avoir de graves raisons pour le faire, et des preuves de culpabilité [Note : Déclar. de Thomas, n° 92 (Arch. municip.)].

La dénonciation, contenant quinze chefs différents, était toute prête, et elle existe encore ; on y reconnaît l'écriture de Bachelier, avec des retouches de Chaux et de Goullin ; c'est ce dernier qui a chiffré les alinéas de un à quinze. En voici le texte :

ÉGALITÉ, INDIVISIBILITÉ, LIBERTÉ, JUSTICE, PROBITÉ, INFLEXIBILITÉ

Le Comité révolutionnaire, las de se voir poursuivi avec un acharnement sans exemple, par le nommé Philippes dit Tronjolly, par un homme qu'il ne dédaigna jusqu'à présent que parce que, toujours indulgent, il le traita comme fou ; après avoir épuisé successivement toutes les voies de douceur et de mépris, résout enfin à répandre aux inculpations calomnieuses de cet astucieux plumiste. En conséquence, après avoir recueilli sur sa moralité, sur ses principes, et sur ses démarches, les renseignements les plus positifs, il a rédigé contre lui l'acte d'accusation ci-après :

1. — Le Comité révolutionnaire de Nantes accuse Philippes dit Tronjolly, ci-devant procureur du Tyran au présidial de Rennes, puis ci-devant commissaire du Tyran au district de Paimbœuf, enfin membre d'un Département fédéraliste, d'avoir été, de tout temps, simple individu comme magistrat, un cabaleur, un intrigant, un remueur éternel qui sacrifia tout à la vaine gloriole de faire parler de lui et de se rendre important.

2. — Le Comité l'accuse de se targuer finement, pour se faire croire l'ennemi du despotisme, d'avoir vexé le ci-devant Parlement de Bretagne, d'avoir porté quelques coups à cette hydre sénatoriale, tandis qu'homme de gouvernement, dévoué entièrement au ministère, procureur du roi en un mot, il ne fut le persécuteur ardent des parlementaires que pour mieux faire sa cour au Tyran qui le salariait.

3. — Le Comité l'accuse de n'avoir, sans doute par amour pour la monarchie, recherché, sous l'un et l'autre régime, que des places à la solde du monarque. Le Comité l'accuse d'avoir donné lieu de présumer, par son vif attachement à la charte gothiquement royale de l'Assemblée Constituante, que jamais il n'accueillerait de cœur le gouvernement républicain démocratique.

4. — Le Comité l'accuse, en conséquence de ses principes, d'avoir, aux premières étincelles du fédéralisme, au premier mouvement, qui sembla promettre le retour du régime monarchique, saisi avec empressement les moyens subversifs qui pouvaient y ramener.

5. — Le Comité l'accuse d'avoir été, dans l'administration départementale dont il était membre, un des boutefeux, une des trompettes du système liberticide qui tendait à rompre l'unité de la Républiques [Note : Le Fédéralisme dans la Loire-inférieure. Revue de la Révolution, 1889 mai-août].

6. — Le Comité l'accuse de s'être fait nommer député auprès de la commission centrale de Rennes, puis, de retour à Nantes, d'avoir provoqué une nouvelle députation à Caen, que, cependant, il n'obtint pas.

7. — Le Comité l'accuse d'avoir, au refus d'un de ses collègues, chaudement et publiquement sollicité l'influente mission de signifier aux représentants du peuple, l'arrêté qui les rejetait de nos murs.

8 — Le Comité l'accuse d'avoir été membre, avec les Poton Letourneux, Beaufranchet et Peccot, d'une commission qui, établie pour remédier au soulèvement manifesté dans les environs de Guérande, et dénoncé au Département le 5 mars, par Lepeley, resta constamment inactive, et ne répondit pas, même à Labourdonnaie qui ne réclamait, pour calmer ce germe d'insurrection, que 200 hommes au plus [Note : Lepeley, en effet, revenant de Guérande, le 5 mars 1793, fit part au Conseil de Département de l'état de fermentation des habitants de la côte, dans la région de Guérande. À la fin de la séance, Phelippes fut élu, ainsi que Poton et Peccot fils, membre du Comité de surveillance, mais rien n'établit qu'il ait plus que les autres laissé se développer ce « germe d'insurrection ». V. Cons. du Département, f° 28 (Arch. départ.)].

9. — Le Comité l'accuse d'avoir applaudi, à toute outrance, à propos du guillotiné Beysser, qui menaçait, en séance publique du Département, d'expulser de sa propre main tout montagnard au 20 lieues du territoire français.

10. — Le Comité l'accuse d'avoir dit, en visitant l'un de ses collègues, détenu chez lui comme signataire de l'arrêté du 5 juillet : « Il est bien étonnant que toi, qui t'es opposé de toutes tes forces à cet arrêté, tu sois en arrestation, tandis que moi, qui l'approuvai, je sois libre, et président du Tribunal révolutionnaire ».

11. — Le Comité l'accuse d'avoir traité de journée de deuil, de massacre exécrable, les mesures révolutionnaires exercées contre des brigands ou des scélérats reconnus, des mesures nécessitées par les circonstances, arrêtées par les Administrations réunies, sollicitées par la clameur publique, commandées enfin par la première des lois, le Salut du peuple, et autorisées par des représentants.

12. — Le Comité l'accuse d'avoir improuvé les journées salutaires des 1er et 2 septembre en traitant de septembrisation ces scènes qu'il réprouvait, et pour lesquelles il poursuit les exécuteurs.

13. — Le Comité l'accuse, lors d'une translation de prisonniers, que dictaient les menaces d'une contagion prochaine, la pénurie des subsistances, et une insurrection éclatée dans les prisons, d'avoir fait afficher avec profusion une ordonnance perfide tendant à soulever le peuple contre cette démarche soi-disant illégale, en lui peignant ses auteurs comme des hommes de sang, comme de ennemis des lois [Note : La noyade du Bouffay du 24 frimaire].

14. — Le Comité l'accuse d'avoir malicieusement épié tous les défauts de forme qui auraient pu échapper à l'inexpérience du Comité ; d'avoir soigneusement fouillé, dans tous ses petits torts, pour les convertir en crimes et de ne s'être porté à une si constante persécution que pour se venger d'un refus de certificat de civisme.

15. — Le Comité l'accuse d'être platement convenu devant un de ses membres que, s'il eut obtenu son certificat de civisme, il n'eut jamais élevé la voix contre les actes du Comité, et même que s'il l'obtenait encore, il saurait bientôt tout assoupir.

Le factum était venimeux ; peut-être l'eût-il été encore davantage si les sentiments de rancune et de vengeance qui l'avaient inspiré avaient été un peu mieux dissimulés. Arrivés à reconnaître que leurs signatures avaient perdu toute autorité, ils se risquèrent à l'envoyer sous la forme anonyme. Ce fut Chevalier, l'un des plus illettrés du Comité qui fut chargé, à la séance du 9 prairial, (28 mai), de le faire tenir au représentant. Dès le lendemain, Bourbotte en accusait réception par une lettre mentionnée en ces termes, au dernier procès-verbal du Comité : « Lettre du représentant Bourbotte concernant l'acte d'accusation contre Phelippes-Tronjolly, par laquelle il dit que c'est sans doute par erreur que les membres du Comité n'ont point signé cet acte, et qu'il pense que le Comité n'aurait pas voulu dire ce qu'il n'aurait pas voulu signer ».

Quand Bourbotte déposa au procès du Comité comme témoin, Chaux osa l'accuser de l'avoir forcé, lui et ses collègues, de signer un acte d'accusation contre Phelippes. Bourbotte répondit : Le Comité m'avait envoyé un premier acte d'accusation composé de quinze articles contre Tronjolly ; quelques jours après, il m'en envoya un autre plus étendu puisqu'il contenait cent trente-deux chefs, tous des plus graves. Ces dénonciations, comme les premières, n'étaient revêtues d'aucune signature. J'en fis l'observation au Comité, je lui écrivis même à ce sujet. On ne me répondait pas ; je fis des instances, enfin deux membres vinrent me faire une réponse verbale. Je leur fis sentir qu'en pareille matière, il fallait des écrits signés. Bourbotte ajouta, ce qui n'était pas très vrai, puisque la dénonciation du Comité avait eu pour résultat de renvoyer Phelippes, comme nous le verrons tout à l'heure, devant le tribunal révolutionnaire, qu'il n'avait jamais cru que la dénonciation du Comité reposât sur des bases sérieuses, et qu'il était persuadé qu'elle avait été dictée par des motifs personnels d'animosité [Note : Bull. du Trib. révolut., n° 100, p. 2 et VII, n° 1, p. 2].

Le dernier procès-verbal du Comité du 10 prairial ne contient que la mention de la réception de la lettre de Bourbotte relative au défaut de signature de la dénonciation. Ses membres cessèrent de se réunir, sans mentionner les causes de leur désertion, reconnaissant ainsi leur complète déchéance. Phelippes les voyait déjà, par son fait, assis sur la sellette.

La cause de leur désertion fut certainement la demande, adressée par le représentant, le 9 prairial à la Société populaire, de désigner treize citoyens, qui formeraient une commission, dite Conseil des représentants, dont le rôle serait de les éclairer sur les hommes et sur les choses de la ville de Nantes. Les citoyens désignés furent : Anne-Jacques-Joseph Lenoir, ancien président d'une Commission militaire instituée par Carrier ; André Lecoq, ancien collègue de Phelippes au tribunal révolutionnaire ; Louis Guéné ; Jean Soulignac, Jean Carrail ; Philippe Vic ; Joseph Hérie ; Joseph Subtil ; Etienne Dortel ; François Clisson ; Lambert Davert et Claude Castries. Lecoq fut, peu après, remplacé par un nommé Colas. Un arrêté du 27 prairial alloua à chacun des membres du Conseil des représentants une indemnité de six livres par jour. De nombreuses mutations, dans les fonctions administratives et judiciaires, ordonnées par les représentants se firent d'après les indications des membres de ce conseil [Note : Arch. départ., série L, registre n° 150].

VIII

Cependant le Comité avait fait la revue de ses finances. Il avait établi deux comptes, le premier comprenant le détail des matières d'or et d'argent non monnayées, dont le total était de 990 marcs d'argent, et 3 marcs d'or, environ 50.000 liv.) ; et le second, comprenant les valeurs saisies sur les condamnés et émigrés, ou prétendus tels, valeurs trouvées enfouies ou saisies sous divers prétextes, s'élevant à la somme de 73.838 liv. dont 16,974 en numéraire, et le reste en assignats. Il n'y était pas question des sommes beaucoup plus considérables extorquées des particuliers à titre de dons.

Le 12 prairial (30 mai), Phelippes lançait un nouveau réquisitoire, où il disait : « considérant que... les mêmes particuliers ont, à l'insu des représentants, fait conduire dans leurs demeures, des vins, bois à brûler, et autres objets, provenant des maisons d'émigrés, et des gens suspects, sans avoir acheté lesdits objets, et sans en avoir tenu compte à la Nation ; …. ordonne qu'il sera informé du divertissement et de la soustraction etc. , mais que, par respect pour les ordres des représentants, il sera sursis à ladite information ». (Registre des jugements par jurés, f° 52).

Le Comité n'ayant pu le lendemain, faute d'écritures et de notes, établir le compte des soi-disant dons, faisait afficher un placard ainsi conçu : « Le Comité révolutionnaire invite ceux qui ont fait des dons ou autres dépôts à ce Comité à venir, dans trois jours, se faire inscrire sur un registre destiné à recevoir leurs déclarations, signé : Petit, aîné, président, Bollogniel, M. Grandmaison, secrétaires ».

L'apposition de cette affiche était un vrai triomphe pour Phelippes. Il se hâta d'en dresser procès-verbal. Apprenant qu'au Comité on exigeait, de ceux qui venaient déclarer le chiffre de leurs dons, qu'ils joignissent à leur déclaration l'assurance que ces dons avaient été spontanés, il protesta contre cette contrainte, et rédigea un nouveau réquisitoire ainsi conçu : « Le Comité fait dire que les sommes ont été données pour l'embellissement, l'entretien, ou l'arrosement, ce qui annonce qu'il est au moins en retard pour le versement. D'ailleurs, l'embellissement et l’arrosement des rues ne peuvent regarder que la Municipalité ; les boues et fumiers, dont le Comité a dû faire vente, sans qu'il en eût le droit, ont dû produire plus qu'il n'a été payé pour l'arrosement des rues et des places » (Registre du Trib. crimin. par jurés, f° 58).

Le 17 prairial, 5 juin, le District était enfin en possession du reçu du directeur de la Monnaie pour les matières d'or et d'argent, et de celui du Receveur du District, pour les 73.838 liv. saisies sur les émigrés et les condamnés.

Bô, qui venait d'arriver à Nantes, se joignit à Bourbotte pour réclamer le plus promptement possible l'apport de comptes complets et exacts.

Dans une lettre du 19 prairial, 7 juin, Phelippes insista auprès des représentants pour qu'ils levassent toutes entraves à l'exécution de la loi. « Mes jours sont menacés, leur disait-il ; je crains les intrigues ; j'ai été très maltraité par les représentants qui vous ont précédés ; l'un de mes ennemis déclarés, (qu'il ne désigne pas autrement), fait partie de votre conseil ».

Le Comité continuant de faire la sourde oreille, les représentants lui écrivaient le 23 prairial, 11 juin : « Nous vous répétons, Citoyens, qu'il est nécessaire que vous nous donniez, sur les comptes que vous nous avez rendus, l'assurance que ces comptes sont exacts, et que vous n'en avez pas d'autres à nous fournir. Nous attendons votre réponse à la lettre que nous vous avons écrite hier, et nous ne ferons pas partir nos paquets peur le Comité de Salut public, que vous ne l'ayez envoyée. Signé : Bô et Bourbotte ». Cette dernière phrase montre que le Comité de Salut public n'ignorait rien des poursuites dirigées contre le Comité révolutionnaire de Nantes.

A bout de patience, le 24 prairial, 12 juin, Bô et Bourbotte requéraient l'Agent national du District de Nantes, de mettre, sur le champ, en état d'arrestation, séparément et au secret, les citoyens Goullin, Chaux, Bachelier, Levêque, Gaullier père, Perrochaud, Petit, Mainguet, Chevalier, Grandmaison et Bollogniel ; d'apposer les scellés chez eux, dans tous les locaux occupés par le Comité, et sur tous meubles contenant des papiers.

Un second arrêté, du même jour, mettait aussi en état d'arrestation : Yves Berthault, demeurant rue Contrescarpe ; Pierre Gallon, demeurant sur le Cours ; Naux, demeurant quai des Gardes-Françaises ; Proust, aîné ; Guillet, cloutier, avec interdiction absolue de communiquer avec les membres du Comité.

Ces deux arrêtés ne disaient rien de la juridicticn qui aurait à connaître de l'affaire.

Plus grave était un troisième arrêté, concernant Phelippes. Il le renvoyait devant le Tribunal révolutionnaire de Paris, où il aurait à répondre de diverses accusations, dont la principale était le fait d'un fédéralisme ancien et persistant, crime autrement grave, aux yeux des jurés de Paris, que les peccadilles reprochées aux membres du Comité. Ceux-ci, à la vérité, succombaient sous les coups de Phelippes, mais la dénonciation du Comité perdait Phelippes. Témoin perfide et sournois du duel, Bourbotte les avait fait s'enferrer les uns les autres.

Le 25 prairial, à 4 heures du matin, le maire Renard, accompagné de Clavier, Agent national du District, s'était présenté quai des Gardes-Françaises (Flesselles), au premier étage du n° 4, à la porte de l'appartement de la citoyenne Lavigne, chez laquelle demeurait Phelippes, et ils l'avaient fait écrouer au Bouffay. Le même jour, Phelippes s'étant trouvé en présence de Grandmaison, dans la cuisine de la geôle, celui-ci voulut se jeter sur lui et l'aurait étranglé, sans l'intervention des gardiens [Note : Déclar. de Rose Thomaxeau et de Mercier, n°s 54 et 111]. Grandmaison comprenait la gravité des charges qui pesaient sur lui, car le matin, en entrant en prison, il avait fondu en larmes [Note : Dépos. de Bernard-Laquèze, Bull. du Trib. révol., VI, 273].

Phelippes avait été mis lui aussi au secret [Note : Le secret fut levé le jour même par Clavier. (Registre d'écrou du Bouffay)], et on s'était borné à lui faire savoir qu'il était traduit au Tribunal révolutionnaire de Paris sur une dénonciation du 12 prairial. Le 29 prairial, 17 juin, il faisait parvenir aux représentants une lettre où il leur disait, non sans dignité : « Si je suis coupable, ma tête tombera sous le glaive de la loi ; si je suis reconnu innocent, je serai mis en liberté : du moins je dois m'y attendre. En dénonçant le Comité révolutionnaire, j'ai dénoncé des scélérats et des concussionnaires qui doivent périr sur l'échafaud, si justice leur est rendue. Tels sont mes dénonciateurs ; je peux ainsi parler d'eux, puisque, loin d'être leur juge, je suis accusé par eux, et dans la même prison, et que j'y suis aussi avec ceux que j'ai jugés depuis un an ». Il demandait, en terminant, à être envoyé le plus tôt possible à Paris.

Il ne tarda pas à être exaucé. Le 4 messidor, 22 juin, sur son refus de payer la diligence, il était confié à la gendarmerie qui le conduisit de brigade en brigade, couchant dans les prisons de la route, et, depuis Angers, lié et garotté. Une lettre de l'Agent national du District, annonçant son envoi à l'Accusateur public de Paris, l'avait précédé : « Je l'adresse, portait cette lettre, à votre tribunal, pour y recevoir jugement sur des faits contenus dans une dénonciation que le représentant Bourbotte m'a dit vous avoir fait passer » [Note : District de Nantes, Lettres, f° 28 et Mémoire de Phelippes à la Convention du 12 thermidor an II, in-4°, p. 25].

Deux lettres de Bô, des 16 et 23 messidor, aux officiers municipaux, et à l'Accusateur public du Tribunal criminel de la Loire-Inférieure, dans lesquelles il les prie de rechercher certaines pièces justificatives de la conduite de Phelippes ; permettent de supposer que, mieux instruit de la moralité de ses accusateurs, il éprouvait quelque regret de l'avoir traduit si précipitamment devant le Tribunal révolutionnaire de Paris.

Le lendemain, les représentants adressèrent aux citoyens de la Commune de Nantes une proclamation précédée de cette épigraphe :

« Point de patriotisme sans vertu ». Les périodes variées de la révolution nous apprennent que plusieurs fonctionnaires publics ont à peine reçu l'existence du peuple, qu'ils en abusent pour négliger ou trahir ses droits... Le Comité révolutionnaire de Nantes, établi pour être la vedette du peuple, chargé de sonner la mort de la tyrannie, de surveiller les dons patriotiques, les contributions des aristocrates, de déjouer leurs plans de conspiration, vient d'être mis en état d'arrestation. C'est l'opinion publique qui l'accuse... En conséquence, les citoyens de la commune de Nantes sont invités, sur la loyauté et la franchise républicaines, à faire parvenir devant la Municipalité, dans l'espace de deux décades, les déclarations des sommes en or, argent, assignats et autres effets qu'ils ont remis volontairement, ou à quelque titre que ce soit, au Comité révolutionnaire ou à tous autres de ses préposés depuis son établissement. Le tableau des déclarations sera remis aux représentants du peuple pour être examiné, tant dans ses recettes que dans l'emploi qui peut en avoir été fait. Les déclarations furent - si nombreuses, qu'un arrêté du 11 messidor prolongea d'une décade le délai imparti pour les recevoir.

Une lettre du Comité de sûreté générale, datée de Paris le 26 prairial, et adressée à Phelippes, donnait pleine sanction aux poursuites intentées. L'accusateur public — devenu lui-même accusé — était, par cette lettre, chargé d'exercer une surveillance active sur les membres du Comité de Nantes, et invité à leur faire rendre un compte exact et complet du produit des ventes ordonnées par eux et de leurs exactions arbitraires. Phelippes dit, dans un de ses Mémoires, que cette lettre lui fut remise dans sa prison. Jamais il n'avait eu en main une arme aussi puissante contre ses adversaires, mais cette arme lui arrivait lorsqu'il avait la main liée [Note : Arrêtés des représentants, n°s 426, 427, 429 et 439. — Reg. I, n° 150. (Arch. départ.)].

Le jour même de l'incarcération des membres du Comité Goullin, le représentant Bô nomma, pour le remplacer, avec mission spéciale de classer ses papiers et d'établir sa comptabilité, une Commission provisoire de sept membres, sous le titre de Comité de surveillance.

Ces sept membres étaient : Daver, Lambert, ancien juge au tribunal révolutionnaire de Phelippes, et précédemment tailleur ; Carrail, Jean, ancien juge de la Commission Lenoir : Hérié, menuisier ; Guesné, instituteur ; Picault ; Soulignac, Jean ; et Clisson, François. A ces membres, des arrêtés des 13 messidor, et 2 thermidor, (1er et 20 juillet 1794) ajoutèrent les citoyens Houget ; Audat, ancien capitaine de navires ; Jacques Martineau, marchand, demeurant au Temple du Goût et Vagnière, ci-devant coiffeur. On trouve aussi, sur le registre des procès-verbaux, les noms de Malgogne, et de Velouet, marchand de bois à Richebourg. Ce comité n'était que provisoire. Deux autres arrêtés de Bô le reconstituèrent peu après de la façon suivante : l'un du 4 thermidor en y appelant Petit, Gaullier père, anciens membres du Comité Goullin, Subtil, perruquier, Carrail, Martineau et Durance, et l'autre du 19 thermidor, en y appelant Lenoir, ancien président d'une commission militaire, Paillou, Pellet, Yves Berthault, et Vanmouron, avec la mention que tous ces citoyens avaient subi l'épreuve du scrutin épuratoire de la Société populaire.

Plus d'un mois se passa durant lequel les représentants eurent tout le loisir d'entendre les dénonciations verbales, et de lire les déclarations faites à la Municipalité, sur les méfaits des membres du Comité incarcérés. Le 5 thermidor (23 juillet), ayant décidé qu'il y avait lieu de renvoyer, devant le Tribunal révolutionnaire de Paris, plusieurs d'entre eux, et certains de leurs complices, ils ordonnèrent la préparation d'un convoi composé de plusieurs voitures, et d'une escorte de quarante hommes. Le même jour ils ordonnaient l'arrestation de Barras, secrétaire salarié du Comité, de Jolly, de Bataillé, et de Durassier, commissaires du même Comité, et anciens membres de la compagnie Marat, et celle des femmes Grandmaison, Gallon, Bachelier, Jolly et Levêque. Ces femmes furent enfermées au Bon-Pasteur et subirent une longue détention [Note : Cahier de la Commission provisoire instituée le 25 prairial. (Arch. départ.) Registre de sa Correspondance, passim. Arrêtés des représentants].

L'arrêté en date du 6 thermidor, 24 juillet, qui prononçait le renvoi devant le Tribunal révolutionnaire de Paris, était ainsi conçu : « Considérant que le résultat des dépositions et déclarations faites à la Municipalité, prouve : l'abus de pouvoirs de plusieurs membres ; des actes arbitraires ; des arrêts de mort qui ont sciemment confondu l'innocent avec le rebelle ; une négligence suspecte dans la tenue des registres ; une dilapidation scandaleuse dans les effets pris chez des particuliers ; une immoralité révoltante ; arrête que les nommés Goullin, Chaux, Bachelier, Grandmaison, Perrochaud, Levêque, Naux, Bollogniel, tous membres du Comité révolutionnaire de Nantes, seront traduits, sans aucun délai, au Tribunal révolutionnaire de Paris ; que les nommés Gallon, Jolly, Bataillé, Pinart [Note : Pinard était un commissaire du Comité, qui avait commis dans la banlieue de Nantes de nombreux. assassinats et pillages. V. La Compagnie Marat et autres auxiliaires du Comité révolutionnaire, par A. Lallié, Revue historique de l'Ouest, juillet 1897], actuellement au tribunal criminel du département de la Loire-Inférieure, et Durassier, seront pareillement traduits au même tribunal ; .... que les nommés Chevalier et Mainguet, membres du Comité, et Barras, secrétaire, resteront provisoirement en état de détention ; que les citoyens Petit, Gaullier, Guillet et Proust, membres du Comité révolutionnaire, seront mis en liberté. ».

Il paraît qu'à ce moment les amis des accusés organisèrent une protestation d'une certaine importance contre leur envoi à Paris. Le registre des arrêtés des représentants contient, à la date du 7 thermidor, cette mention : « on cherchera les auteurs du mouvement qu'on a essayé de produire en faveur du Comité révolutionnaire ».

En avisant le Comité de Salut public de l'envoi des prévenus à Paris, Bô écrivait : « Je joins un extrait de leurs principaux délits. Jetez les yeux, je vous prie, sur cette analyse d'atrocités et de dilapidations, et vous verrez en quelles mains était le timon du gouvernement révolutionnaire à Nantes ». La recommandation à l'accusateur public n'était pas plus favorable : « Je t'adresse toutes les dépositions faites à la Commune et les pièces de comptabilité ; j'ai fait faire l'analyse de ces papiers, pour te mettre de suite au fait des horreurs commises par ces prétendus patriotes, qui portaient la terreur jusque dans la chaumière du pauvre. Je t'invite à t'occuper de ces personnages qui ont trop marqué à Nantes pour ne pas fixer la Nation sur leur compte » [Note : Lettres du 7 thermidor an II, 24 juillet 1794. Correspond. des représent. (Arch. départ.)]. Ainsi recommandés à Fouquier-Tinville, s'ils étaient arrivés à la Conciergerie huit ou dix jours plus tôt, leur groupe aurait été, sans délai, compris dans une des fournées des premiers jours de thermidor. La révolution du 9 les sauva. Phelippes, arrivé à Paris depuis plusieurs semaines, avait dû, vraisemblablement, le retard de sa comparution au tribunal à la clémente intervention de Bô mieux informé.

Dugast-Matifeux, qui avait en haute estime Goullin, Chaux et Bachelier, parce qu'ils avaient été à Nantes, prétendait-il, les disciples les plus fidèles de la politique de son idole, le vertueux Robespierre, inconsolable du discrédit où ils sont tombés par l'effet des poursuites exercées contre eux, se faisait fort, il y a cinquante ans, dans une page de sa Bibliographie révolutionnaire 2 de démontrer, jusqu'à complète évidence, que ces grands citoyens, comme il les appelait, avaient été les malheureuses victimes d'une machination odieuse ourdie par Carrier. « Bô, écrivait-il, ami d'enfance de Carrier (Bô était de l'Aveyron) s'est fait l'exécuteur des rancunes de son ancien camarade contre le Comité de Nantes. Sans l'intervention de Bô, Phelippes n'aurait été, pour le Comité, qu'un petit et méprisable ennemi ». J'ai vainement cherché, je n'ai point trouvé, ni dans les études imprimées de Dugast-Matifeux, ni dans ses papiers, cette démonstration. On a vu, par les documents qui ont été produits, que la mise en accusation des membres du Comité ne fut pas seulement l'œuvre de Bô, et que, dès avant l'arrivée de celui-ci, Bourbotte, qui venait de Paris où il avait certainement reçu des instructions du Comité de salut public, leur avait ouvertement refusé sa confiance. Loin que les poursuites et l'arrestation aient été le résultat d'une machination de Bô et de Carrier, et que Bô ait avec Bourbotte mené l'affaire dans l'ombre, on a vu, au contraire, que les Comités du Salut public et de Sûreté générale avaient été, dès le principe, informés par eux de la situation. Or, en prairial, Robespierre était encore assidu au Comité de Salut public, où rien ne se faisait sans sa permission, et sa haine de Carrier est un fait assez notoire pour qu'il soit impossible de supposer qu'il se soit prêté à servir ses rancunes contre le Comité.

IX

L'obstination avec laquelle les membres du Comité avaient refusé de fournir les comptes complets que les représentants leur avaient demandés, peut s'expliquer, dans une certaine mesure, par l'impossibilité dans laquelle ils se trouvaient de justifier leurs recettes aussi bien que leurs dépenses, mais il est impossible de saisir le motif qui les porta à ne pas faire figurer, dans leurs comptes, la somme relativement considérable qui fut trouvée dans leur caisse. Ils avaient, semble-t-il, tout intérêt à ne pas irriter les représentants par leur inertie, et il eut été plus habile de convenir franchement de faits qu'il n'était pas en leur pouvoir de dissimuler, sauf à s'ingénier pour trouver quelque excuse.

Le bilan de leurs finances, en tant qu'il résulte des documents que j'ai compulsés, peut s'établir de la manière suivante :

Le compte général des recettes effectuées par le Comité, en numéraire et en assignats, provenant de sources diverses, et accaparées sous des prétextes plus ou moins illégaux, dont le détail a été donné, par ailleurs, certainement fort incomplet, s'élevait à la somme de 586.918 livres.

Le Comité avait versé à la Caisse du District, le 27 prairial, 17 juin : 73.838 liv.

L'encaisse trouvé dans ses coffres, tiroirs et armoires, par les commissaires chargés d'établir la comptabilité était, d'après un bordereau en date du 1er thermidor (19 juillet), de : 87.358 liv.

Le trésorier de la Commission de salubrité, un nommé Gouaux, entrepreneur de pavage, qui dit avoir dirigé, en pluviôse, ventôse, floréal et prairial, le nettoyage des rues et la répurgation de la ville, a reconnu, dans une déclaration portée au n° 12 du registre des déclarations, avoir reçu pour cet objet : 75.840 liv.

Dans une de ses brochures [Note : Chaux au peuple français, p. 32], Chaux a énuméré toutes les mesures prises par le Comité pour assainir la ville, et la préserver des épidémies. La mission d'assainir la ville avait été d'abord confiée à Caton, maître de poste, qui avait reçu de la municipalité une somme de six mille francs [Note : Bull. du trib. Révol. Déposition de Caton, VI, 345]. Gouaux, malgré les 75 mille livres qu'il reconnut avoir reçues, ne semble pas avoir donné pleine satisfaction à la Municipalité, car le Conseil général de la commune décida, le 4 prairial, la formation d'un Bureau de salubrité et de répurgation.

Les frais de la noyade du Bouffay furent payés par le Comité, qui paya également diverses sommes pour d'autres noyades ; j'en ai donné le détail dans les Noyades de Nantes, p. 41. Le Comité ayant reçu de Carrier, ainsi qu'on a pu le remarquer au mot Carrier, dans la liste générale, une somme de dix mille livres, je serais porté à croire que cette somme de dix mille livres avait été donnée au Comité pour solder cette sorte de dépenses. Cette somme de dix mille livres figurant à l'actif du Comité, il convient de la porter à ses dépenses soit : 10.000 liv.

Mainguet a déclaré avoir payé, à diverses reprises, des mariniers qui avaient amené à Nantes des soldats vendéens faits prisonniers, mais il n'a point indiqué le chiffre de ces payements [Note : Déclar. de Mainguet, n° 124. (Arch. municip.) ].

Total des sommes dont le Comité aurait pu justifier l'existence ou l'emploi : 247.4336 liv.

Si l'on retranche cette somme du montant des recettes s'élevant à 586.918, il résulte que le Comité était incapable de justifier l'emploi de : 339.882 liv.

Chaux n'en affirmait pas moins, dans la brochure déjà citée [Note : Chaux au peuple français, p. 26], « qu'on retrouverait jusqu'à la dernière obole remise, saisie, ou apportée ».

Dans ces divers comptes, je n'ai point fait figurer l'argenterie trouvée, saisie ou volée, le Comité, d'après ses dires, s'étant déchargé de cette valeur en déposant à la Monnaie près de mille marcs d'argent, et 3 marcs d'or. Or, l'argenterie seule de la Collégiale Notre-Dame valait, selon Chaux, une vingtaine de mille livres, et les membres de la Compagnie Marat négligeaient le plus souvent de dresser inventaire des pièces d'argenterie qu'ils saisissaient. La quantité qu'ils s'approprièrent dépassa probablement de beaucoup celle qui fut remise à la Monnaie.

Bô, en faisant emprisonner les membres du Comité pour dilapidations, concussions, et refus de rendre des comptes, avait reconnu de la façon la plus éclatante l'injustice et l'illégalité de la perception de la plupart des sommes trouvées dans la caisse du Comité, ou déposées par ses soins à la caisse du District. Je dis de la plupart et non de toutes les sommes encaissées, parce que certaines de ces recettes, faites en violation du droit de propriété, avaient été autorisées par des lois. La plus simple probité exigeait ce semble que, dans la mesure des sommes disponibles, les personnes, spoliées eussent été remboursées, sinon de la totalité de leurs versements tout au moins, au marc le franc, comme dans une faillite. Je n'ai rencontré nulle part la mention de pareilles restitutions, et ce qui semble démontrer, au contraire qu'il n'en fut fait aucune, c'est que, le lendemain du jour ou les commissaires, chargés de la comptabilité, avaient informé Bô de l'existence dans la caisse du Comité d'une somme de quatre-vingt-sept mille livres, qu'il avait fait verser dans celle du District, ce représentant prit un arrêté portant que, sur les fonds des taxes perçues par le Comité révolutionnaire, une somme de dix mille livres serait délivrée par le receveur du District pour réparations à la salle de la Société populaire [Note : Reg. L, 148, n° 391, Cette salle était l'église Sainte-Croix. La Société populaire s'y était établie le 26 brumaire an II, 16 novembre 1793. En germinal an II, premiers jours d'avril 1794, faute d'un autre local, on y avait placé des prisonniers, et la Société populaire avait tenu provisoirement ses séances à la Halle. Les dégradations causées à l'église Sainte-Croix, par la présence d'un grand nombre de prisonniers motivaient les réparations, ordonnées par Bô].

L'anéantissement des valeurs monétaires étant un fait inadmissible ; et les membres du Comité n'ayant pas brûlé les assignats représentant la somme de 339,882 livres, qui faisait défaut dans leur caisse, il faut en conclure que les assignats allèrent, pour la plupart, dans la poche des nombreux sans-culottes besogneux qui formaient l'entourage du Comité, et qui exécutaient ses ordres. On n'est pas obligé de croire Bachelier, lorsqu'il racontait que, lui et ses collègues, dévorés de zèle pour le bien public, se contentaient souvent pour leur repas, d'un morceau de pain et de fromage, mangé en hâte à la table de la Chambre de leurs séances. Néanmoins je ne crois pas qu'à l'exception de Chaux, les membres du Comité se soient appropriés une partie des sommes dont ils avaient le maniement, en puisant à même dans la caisse. Chaux seul a reconnu avoir acheté des biens nationaux pour une somme de soixante mille livres [Note : Bull. du trib. révol. VI, 22], et il est mort propriétaire dans sa terre de la Roche, située commune de Doulon, sans avoir jamais exercé une industrie qui ait pu l'enrichir. Mais aucun des autres membres ne semble être sorti du Comité, moins gueux qu'il n'y était entré. Goullin était un prodigue qui aimait le plaisir, et, ce qu'on sait de ces derniers jours tendrait à établir qu'il était loin d'avoir fait sa pelote. Il ne se serait point humilié à solliciter, de Bachelier, une somme de deux mille livres, comme on l'a vu par sa lettre du 11 germinal, datée de Paris, s'il avait considéré comme sienne la caisse du Comité. Quelques légères indélicatesses, d'un caractère puéril, relevées à la charge de Bachelier, de Levêque et de Grandmaison, ne sont guère le fait de gens qui n'ont qu'à étendre la main pour prendre des louis d'or. Bachelier fut accusé d'avoir changé, poids pour poids, de l'argenterie neuve contre la sienne qui était vieilles [Note : Eod. Procès des Nantais, VI, 97 et procès du Comité VI, 243]. Bachelier, jusqu'à sa mort arrivée en 1843, a vécu dans la plus humble médiocrité. Levêque ayant volé une montre et une somme de cinquante livres qu'il avait restituées, il fut question de l'exclure du Comité ; Goullin obtint son pardon en faisant valoir qu'il était patriote et bon garçon [Note : Déclar. de Gaullier, n° 67, et de Petit, membres du Comité, n° 104, et de la femme Plissonneau, n° 40]. Grandmaison, dont les cruautés font oublier les peccadilles, eut, lui aussi, sa petite histoire de couverts d'argent : quelqu'un l'entendit un jour se désoler, dans sa prison, de ce que sa femme n'avait peut-être pas pensé à faire démarquer des couverts qu'il avait pris, puis remercier aussitôt son interlocuteur, qui était Goullin, du conseil qu'il lui donnait de dire qu'il tenait ces couverts de sa sœur la religieuse [Note : Déclar. de Jacques Martin, de Vallet, n° 135]. On releva aussi, à la charge de Bollogniel, le fait d'avoir touché du Payeur-général de Lamarre, en vertu d'un ordre de Carrier, une somme de vingt mille livres destinée à payer les frais de voyage des Cent-trente-deux, et d'avoir subtilement repris cet ordre, qui était, pour de Lamarre, une pièce comptable dont lui-même il n'avait que faire [Note : Bull. du trib. révol., 284]. Perrochaud se plaisait à visiter les prisons [Note : Eod. VI, 277], où il s'emparait des valeurs ou des bijoux trouvés dans les poches des détenus. Un membre de la Municipalité de Laval, nommé Boullin, venu à Nantes pour ses affaires, et emprisonné comme suspect, a rapporté dans une déclarations [Note : Déclar., n° 134. — Forget du lecteur impartial, in-8°, p. 22. — V, aussi sur Perrochaud la déclaration Bretonville, n° 131] que Perrochaud vint un jour causer familièrement avec lui. Après lui avoir demandé s'il était riche, et reçu de Boullin la réponse que son honnêteté et sa bonne réputation étaient son unique fortune, Perrochaud l'avait quitté en lui souhaitant bonne chance, ajoutant que, pour sortir de prison, mieux valait d'être riche que d'être patriote. Perrochaud, pas plus que ses collègues, n'a tiré grand profit de ses rapines.

Ces pratiques étaient assurément contraires à la probité, mais elles ne peuvent servir à établir que les membres du Comité révolutionnaire aient volé les trois cent quarante mille livres qui ont fait défaut dans leurs comptes, et, en tout cas, elles sont péchés bien véniels, comparées à la dure et cruelle oppression, que, durant les sept mois d'exercice de leurs pouvoirs, ils avaient fait peser sur les habitants de Nantes.

(Alfred LALLIÉ).

© Copyright - Tous droits réservés.