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LA RECEPTION DE NAPOLEON Ier A NANTES LE 9 AOUT 1808.

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Nous sommes au 7 août. Le Maire de Nantes écrit à M. Deurbroucq : « Après avoir conféré avec le Maître des requêtes, préfet du département, le Maire invite M. le Commandant de la garde d'honneur que la ville de Nantes désire offrir à Sa Majesté impériale et royale, à choisir dans les rangs de sa cavalerie seize cavaliers, un officier et un maréchal-des-logis, afin de se porter à la rencontre de Sa Majesté jusqu'à Remouillé, limite du département de la Loire-Inférieure. Ce détachement partira de Nantes aujourd'hui, à 2 heures du soir, et se rendra, la moitié à Sainte-Hermine ou autre lieu intermédiaire entre Nantes et Remouillé, et l'autre moitié à Remouillé même.

Le Maire de Nantes, en conséquence de ces dispositions, prie M. le Commandant de la subdivision de donner les ordres nécessaires pour que ce détachement soit reconnu sur la route et obtienne tous les avantages réservés aux corps militaires en marche ».

A l'heure indiquée, les seize cavaliers quittaient Nantes, sous le commandement de M. de Landemont, qui, suivant les instructions qu'il avait reçues, laissa la moitié de ses hommes à mi-route et se rendit de sa personne à Remouillé.

L'Empereur, qui n'était arrivé que le 8 au matin à Napoléon-Vendée, y avait séjourné jusqu'à 3 heures de l'après–midi.

Arrivé à Montaigu, il avait dû consacrer quelques moments à recevoir l'hommage des habitants accourus pour le voir et le féliciter. Napoléon se laissa librement approcher et reçut avec la plus grande affabilité tous ceux qui lui furent présentés. Cette scène, presque familière, produisit un grand effet, et un bon curé, qui en avait été témoin, voulut en retracer les émotions dans une lettre qu'il fit paraître dans les journaux de l'époque.

M. Decelles, préfet, s'était aussi rendu à Remouillé. M. de Landemont, de son côté, avait rangé son petit détachement en bataille, à quelque distance du relai. Il était environ une heure du matin, et, comme on peut le penser, malgré l'heure avancée, l'affluence était grande sur toute la route.

Des acclamations qui se succédaient, en se rapprochant, annoncèrent l’arrivée de l'Empereur.

Le Préfet s'avance aussitôt au devant de Sa Majesté et lui adresse le discours suivant :

« SIRE,
Le monde est plein d'admiration pour Votre Majesté ; la France lui doit son bonheur et sa plus grande gloire ; les départements de l'ouest de l'Empire ont dû à Votre Majesté la fin de leurs malheurs. A tant de titres, qu'elle doit être grande la reconnaissance respectueuse des habitants de la Loire-Inférieure !

Sire, l'admiration n'a pas de langage assez éloquent, aucune langue ne peut rendre avec assez de force les expressions de la reconnaissance.

Que nous reste-t-il donc pour faire connaître à Votre Majesté les sentiments de nos coeurs ?

Sire, nous sommes Français, rendus au bonheur par Votre Majesté, descendants d'un peuple dont l'histoire a consacré et la franchise et la gratitude.

Notre gloire, notre vie, le bonheur de nos familles, notre repos, notre fortune, sont vos bienfaits.

Nous vous supplions, Sire, d'agréer l'hommage respectueux de vos fidèles sujets de la Loire-Inférieure ».

Cette harangue, qui ne brillait, du reste, ni par le fond ni par la forme, fut à peine écoutée par l'Empereur.

En général, Napoléon, lorsqu'il parcourait les villes de l'Empire, ne donnait qu'une faible attention à l'intervention de ses préfets. Il voulait sans doute qu'ils servissent en toute occasion sa politique et secondassent ses vues. Sur ce point, il était sévère ; mais en même temps, il savait rendre justice à leur mérite, et, à l'occasion, récompensait noblement leurs services.

Toutefois, lorsqu'il voulait s'éclairer sur les besoins du pays, causer d'affaires administratives, c'était surtout l'avis des représentants des administrations locales qu'il recherchait avant tout.

C'était aussi à ces représentants qu'il ne manquait jamais de témoigner le plus de déférence.

Aussi, pendant que M. Decelles débitait son discours, l'attention de l'Empereur semblait-elle se porter uniquement sur le petit détachement qui se trouvait à quelques pas et dont il ne reconnaissait point l'uniforme pour appartenir à l'armée. Sans répondre à M. Decelles, quels sont ces cavaliers, lui demanda-t-il ? — La garde d'honneur de Nantes, Sire. — Et aussitôt l'Empereur, s'approchant de M. de Landemont, lui adresse quelques paroles bienveillantes et l'invite à se placer à la droite de sa voiture.

Le relai est renouvelé. M. Mazier avait été chargé de ce service, et l'on peut croire qu'un soin tout particulier avait été apporté dans le choix des hommes et des chevaux. Harnais, chevaux, postillons, tout était orné, décoré, enrubanné avec beaucoup de goût et de luxe. Les huit coursiers partent au galop, et leur fougue est telle, ils sont si bien conduits et dirigés, que les gardes d'honneur eux-mêmes, qui cependant avaient été choisis parmi les cavaliers les mieux montés, ne peuvent suivre qu'à une certaine distance. Napoléon, emporté par ce vigoureux attelage, s'aperçoit lui-même de la rapidité de sa course. Voilà une poste bien servie, dit-il ; et ce mot, entendu et répété, provoque de la part des postillons un cri long et soutenu de vive l'Empereur !

Au reste, sur toute la route la foule se pressait ; à chaque pas, des arcs de triomphe. Celui élevé à la lande de Ragon était surtout remarquable : il était formé d'autant d'arcades qu'il y avait de lettres dans le nom de Napoléon.

Pendant que l'Empereur se dirigait ainsi vers Nantes, notre population, on le comprend aisément, était dans un mouvement extraordinaire.

L'heure précise de l'arrivée de l'Empereur n'était point connue ; mais, dès le matin et toute la journée du 8, la foule était sur pied, se dirigeant vers Pont-Rousseau ou circulant sur le parcours que devait suivre le cortége. Sur ce parcours, pas une fenêtre qui ne fût complètement occupée ; partout le drapeau national ; partout aussi un air, un appareil de fête et les marques d'une franche et vive satisfaction.

Ainsi que nous l'avons dit, un bal devait être offert à Leurs Majestés dans la salle du cirque du Chapeau-Rouge. Le 8 au matin, le Maire faisait, à cet effet, afficher la proclamation suivante :

« La ville de Nantes espère être assez heureuse pour faire accepter à Leurs Majestés impériales et royales un bal au cirque. Comme le Souverain de la grande nation ne peut  prendre part aux fêtes publiques que lorsque le peuple se livre aux plaisirs que cause sa présence, il y aura demain mardi soir illumination générale à raison desdites fêtes.

Il sera distribué, sur les places publiques, du vin, des comestibles et des orchestres.

Il sera établi, dans certaines parties de la ville, des jeux analogues à la fête du jour.

L'ordre et la police doivent être observés religieusement. Le Maire compte trop sur le bon esprit qui anime les habitants de Nantes, pour avoir à craindre que l'ordre et la police soient troublés un seul instant.

HABITANTS DE NANTES !

Rappelez-vous les principes qui vous ont toujours dirigés ... Grands, dans les malheurs passés, montrez-vous encore plus grands dans la circonstance heureuse qui nous permet de jouir de la présence auguste de Leurs Majestés impériales et royales, et que le cri de joie parmi nous ne soit plus que celui que nos cœurs ont proclamé :
Vive l'Empereur !
Vive l'Impératrice ! »
.

A dix heures du matin, le Maire, ses Adjoints et le Conseil municipal, quittaient l'Hôtel-de-Ville, en voitures, escortés par un détachement de 50 hommes de la garde nationale, commandé par M. Gaullier, chef de bataillon.

En même temps, toutes les troupes se mettaient en mouvement pour occuper les postes qui leur avaient été assignés.

Le Maire et son cortége se portèrent à 500 pas en avant de la porte triomphale de Pont-Rousseau ; l'infanterie de la garde d'honneur avec son drapeau occupa la droite ; la cavalerie avec son étendard se rangea à gauche.

Toute la journée se passa ainsi…. Chaque demi-heure, une estafette arrivait ; elle était aussitôt entourée, questionnée, et, bon gré mal gré, il fallait qu'elle répondit et fit connaître à la foule à quelle distance se trouvait l'Empereur. L'annonce que cette distance se rapprochait de plus en plus calmait seule un moment l'impatience de l'attente.

La nuit arriva ; le temps devint brumeux et pluvieux ; mais chacun se tint à son poste. Seulement, en un instant, la ville se couvrit d'une illumination générale, que l'on prit bien soin d'entretenir.

A deux heures du matin, M. de la Maronnière, sous-lieutenant de la cavalerie de la garde d'honneur, arrive à Pont-Rousseau.

Cet officier faisait partie du détachement qui s'était rendu à Remouillé, et avait été détaché par M. de Landemont pour venir porter au Maire l'annonce de l'arrivée prochaine de l'Empereur. Dieu sait s'il avait fait diligence !

M. de la Maronnière rendit compte en même temps de l'accueil flatteur fait à M. de Landemont par Sa Majesté, et chacun se montra fier de l'honneur fait à toute la garde, dans la personne de l'un de ses officiers.

Dès ce moment, tous les regards sont dirigés sur la route et cherchent à percer les ténèbres ; toutes les oreilles sont attentives au moindre bruit, et l'anxiété s'accroît de moment en moment.

Enfin, la brise apporte le retentissement de quelques cris lointains... Bientôt un bruit plus-distinct se fait entendre...

C'était le cortège impérial.

Il était à ce moment deux heures 30 minutes.

Aussitôt la batterie placée à Pont-Rousseau fait une première décharge ; toutes les autres batteries y répondent immédiatement ; les cloches de toutes les paroisses sonnent à pleine volée, et un cri formidable, énergique, semble encore dominer tout ce bruit. Ce cri est celui de vive l'Empereur !

Cependant, en apercevant le Maire et son escorte, Napoléon a fait arrêter sa voiture et se trouve au centre de la garde d'honneur. Le Maire se présente à la portière de droite, suivi de ses Adjoints, qui portent un riche coussin sur lequel est placé un plat de vermeil ; dans ce plat, sont les clefs de la ville.

Le Maire, prenant ces clefs, les présente à Sa Majesté et lui adresse la parole en ces termes :

« SIRE,
Les habitants de votre bonne ville de Nantes soupiraient depuis longtemps après le bonheur que vous daignez leur accorder aujourd'hui.

En présentant les clefs de leurs portes à Votre Majesté impériale et royale, comme une marque de leur soumission et de leur fidélité, je la supplie d'agréer les sentiments de leur amour et d'accueillir avec bonté les efforts qu'ils vont tenter pour lui en donner des témoignages.

Daignez, Sire, admettre à l'honneur d'entourer votre personne sacrée, cette jeunesse nantaise qui m'accompagne ; vous ferez son bonheur en acceptant ses services, que je suis chargé, au nom de mes administrés, d'offrir à Votre Majesté.

Les Bretons n'ont pas perdu la loyauté ni la noble franchise de leurs ancêtres ; ils brûlent de donner à Votre Majesté des preuves de leur dévouement.

Jamais père n'aura été servi avec plus de tendresse, jamais Souverain n'aura été reçu avec un hommage plus pur et plus sincère ».

Pendant ce discours, l'Empereur témoigna à plusieurs reprises sa satisfaction. Puis, prenant les clefs de la ville, il les rendit au Maire, en lui disant qu'il ne pouvait les remettre en de meilleures mains. Il ajouta qu'il acceptait avec plaisir et bonheur le service de la garde d'honneur que La ville de Nantes voulait bien lui offrir.

Le Maire adressant ensuite la parole à l'impératrice et Reine, lui dit ces quelques mots :

« MADAME,
Chargée d'assurer le bonheur du héros qui nous gouverne, je supplie Votre Majesté de recevoir nos très-humbles remerciements pour un soin que vous remplissez avec tant de grâce et de dignité.

Daignez agréer, Madame, l'hommage sincère de notre respect, et partager, avec votre auguste époux, les sentiments d'amour et d'admiration que j'ai l'honneur de déposer aux pieds de Vos Majestés impériales et royales ».

Une voiture aux armes impériales et attelée de huit chevaux avait été préparée par les soins de l'Administration municipale ; Leurs Majestés furent invitées à y monter. La voiture parcourut alors au petit pas le front de toute la garde d'honneur, puis le cortége se mit en marche, les cavaliers nantais et la garde impériale formant l'escorte.

Ainsi, Napoléon le Grand était l'hôte de la ville de Nantes, et la ville de Nantes allait fêter sa bien-venue.

Pendant tout le temps que le cortége mit à se rendre au Palais impérial, les cinq batteries établies, comme nous l'avons dit, à Pont-Rousseau, aux Récolets, à la Poissonnerie, sur la Fosse, sur le cours Saint-André, continuaient leurs salves répétées ; les cloches ne cessaient de sonner ; les tambours faisaient entendre leurs roulements précipités, la musique jouait ses marches les plus joyeuses. Mais toutes ces manifestations s'entendaient à peine à travers les éclats de l'allégresse publique. En un mot, la foule électrisée n'avait qu'une voix, et cette voix qu'un cri, celui de vive l'Empereur !

Ce fut ainsi au milieu de ces acclamations que Napoléon traversa notre ville, et qu'à trois heures environ du matin, le 9 août 1808, il prit possession du Palais que Nantes avait fait préparer pour le recevoir.

Sa Majesté était accompagnée de Messieurs :
L'Archevêque de Malines, son aumônier.
Le prince de Talleyrand.
Decrès, ministre de la marine.
Le duc de Frioul.
Le prince de Neufchâtel.
Le général Bertrand.
Le général Lebrun. .
Maret, secrétaire d'État.
Duroc, grand maréchal du Palais.
De Beausset, préfet du Palais.
Prony et Sgangin, inspecteurs généraux des ponts et chaussées.
Le baron Fain, son secrétaire.

L'Empereur avait aussi à sa suite :
Carême, son cuisinier.
Saint-Denis, son valet de chambre.
Roustan, son mameluck.

Plusieurs dames d'honneur accompagnaient également Sa Majesté l'impératrice Joséphine.

Treize voitures faisaient le service de voyage.

Napoléon fut reçu dans le grand salon de l'hôtel d'Aux par le général Dufour, le Préfet et le Maire de Nantes, qui, après un moment d'entretien, se rétirèrent.

Malgré les vives et douces émotions de la journée, l'Empereur paraît préoccupé. Il reste un instant entouré de ses grands dignitaires, qui semblent attendre ses ordres ; mais bientôt il se retire dans ses appartements particuliers et se met au bain.

Ici, nous avons à parler d'un fait sur lequel des opinions divergentes se sont produites, et que nous sommes en mesure de fixer d'une manière certaine.

Quelques historiens, et M. Thiers entre autres, avancent que ce fut à Bordeaux que l'Empereur apprit le désastre de Baylen.

Mellinet, de son côté, affirme que c'est là une erreur, et que ce fut bien pendant son séjour à Nantes, et dans la nuit du 8 au 9 août, que cette funeste nouvelle parvint à Napoléon.

A l'appui de son opinion, notre-compatriote cite cette réponse officielle de l'Empereur, faite le 4 février 1810, à une députation nantaise que présidait M. Bertrand-Geslin :

« Messieurs les députés du Collège électoral de la Loire-lnférieure, c'est en entrant dans vos murs que j’ai reçu l'avis que des Français ont rendu mes aigles, sans combattre, et ont préféré la vie et le déshonneur aux dangers et à la gloire … Il n'a fallu rien moins que l'expression des sentiments des citoyens de ma bonne ville de Nantes, pour me rendre des jours de joie et de plaisir. J'ai éprouvé, au milieu de vous, ce qu'on éprouve au milieu de vrais amis ; c'est vous dire combien ces sentiments sont gravés dans mon coeur ».

Les termes de cette réponse ont pu, nous le reconnaissons, entraîner l'opinion de Mellinet ; cependant il se trompe, et nous sommes forcés de dire que le récit qu'il fait à cet égard et le monologue, assez étrange, du reste, qu'il met dans la bouche de l'Empereur, ne sont, d'un bout à l'autre, que le fruit de son imagination.

C'est bien, en effet, à Bordeaux et non à Nantes, que Napoléon apprit la malheureuse capitulation d'Audujar, et nous en avons eu la preuve la plus irrécusable.

Nous avons eu, en effet, sous les yeux, une lettre de l'Empereur lui-même, datée du 3 août, de Bordeaux, et dans laquelle il mentionne ce déplorable événement, qu'il vient d'apprendre.

Cette lettre, confidentielle, est adressée au Ministre de la guerre ; général Clarke, auquel l'Empereur donne des instructions sur certaines mesures à prendre. Napoléon se montre fort irrité contre le général Dupont, dont il qualifie très-sévèrement la conduite ; puis il ajoute :

« Lorsque ce coup du sort est arrivé, tout prospérait en Espagne. Le Roi, depuis son arrivée à Madrid, gagnait tous les jours ; le maréchal Bessières, après la mémorable victoire de Medina de Rio Secco, où, avec 12.000 hommes, il avait mis en fuite les armées de Galice et de Portugal, et leur avait tué 8 à 10.000 hommes, les avait chassées de Valladolid, de Palencia et du royaume de Léon ; le siège de Sarragosse avançait grand train, et tout nous portait à espérer une autre issue. Cette perte de 20.000 hommes d'élite et choisis, qui viennent à manquer, sans même avoir fait éprouver à l'ennemi aucune perte considérable, l'influence morale que nécessairement cela doit avoir sur cette nation, ont porté le Roi à prendre un grand parti, en se rapprochant de France et en se portant sur Aranda ».

Napoléon termine enfin en disant : « Qu'il n'en persiste pas moins dans son projet de passer par la Vendée, car il ne veut pas paraître se méfier de ces peuples ».

Ainsi donc, le doute ne peut plus exister sur ce point ; en arrivant à Nantes, Napoléon connaissait déjà le sort de l'armée d'Andalousie. Cependant Mellinet est dans le vrai, lorsqu'il dit que, peu d'instants après son arrivée à Nantes, l’Empereur reçut des dépêches d'Espagne. Il est même certain que ces dépêches étaient encore relatives à l'affaire de Baylen et complétaient certains détails que les premières reçues à Bordeaux n'avaient pu donner. Cette circonstance peut expliquer l'erreur de Mellinet, et donne également raison de la réponse de l'Empereur à la députation nantaise, et que nous avons rapportée.

Quoi qu'il en soit, rappelant les faits, nous dirons qu'en quittant Bayonne, Napoléon semblait déjà prévoir que de graves difficultés ne tarderaient pas à naître, pour sa politique, de la situation qui se faisait dans la Péninsule.

La reconnaissance par la Junte de Joseph, comme Roi des Espagnes, et la brillante victoire du maréchal Bessières à Rio Secco, avaient bien ouvert au nouveau Roi la route de sa capitale, mais l'insurrection n'avait rien perdu de sa force, et si, en apparence, elle semblait pour l'instant comprimée dans le Nord, il était loin d'en être ainsi dans le Midi.

En Andalousie surtout, cette insurrection était générale, organisée et soutenue par des forces régulières.

Aussi, malgré sa bonté naturelle et les marques de prévenances qu'il prodiguait, Joseph n'avait trouvé que froideur et indifférence de la part de ceux qui l'entouraient. Arrivé même à Madrid, comme nous l'avons dit, le 20 juillet, il ne fit en quelque sorte qu'y paraître, et le 2 août suivant il quittait cette ville, où il ne se croyait plus en sûreté.

Il est vrai, dans ce court intervalle , un fait grave s'était passé.

Le général Dupont, qui commandait l'armée d'Andalousie, forte d'abord de près de 40.000 hommes, avait vu ses troupes s'affaiblir successivement par les combats qu'il avait eu à soutenir et par les maladies, suite inévitable des fatigues et de l'intensité des chaleurs. Enfin, par une réunion des plus déplorables circonstances, ce Général, qui cependant en bien des occasions avait donné des preuves de capacité et de courage, avait été amené, le 22 juillet, à se soumettre lui et toute son armée à une honteuse capitulation. Ce fait, connu bientôt à Madrid, avait exalté la population, à ce point qu'une nouvelle insurrection y paraissait imminente.

Napoléon, de son côté, ignorait ce triste événement ; mais, depuis déjà quelque temps, on était sans nouvelles du théâtre de la guerre, et l'Empereur, qui, mieux que personne, pouvait apprécier la situation de l'armée d'Andalousie, était inquiet de ce long silence et avait besoin, pour conserver sa confiance, de compter sur la bravoure de ses troupes, habituées à vaincre.

Ce fut, comme nous venons de le dire, d'abord à Bordeaux, puis à Nantes, qu'il apprit les détails de cette capitulation d'Andujar, qui le privait des ressources d'une armée entière.

Napoléon fut vivement ému de cette catastrophe de Baylen ; c'était, en quelque sorte, le premier affront que recevaient nos drapeaux, et il en ressentit péniblement l'humiliation. Sa douleur s'exhala dans les termes les plus énergiques.

Après la lecture des nouvelles dépêches qu’il venait de recevoir, son secrétaire d'Etat, Maret, reçut immédiatement l'ordre de rédiger un rapport sur les faits généraux accomplis en Espagne et sur la nécessité de leur donner une solution. Napoléon, en effet, tenait essentiellement à ce que la France et l'Europe sussent bien que l'échec de Baylen, résultat de circonstances accidentelles et aussi, peut-être, d'un défaut d'énergie du général en chef, ne devait pas mettre obstacle à l'accomplissement de ses vues.

Ce rapport, dont une partie fut dictée par l'Empereur lui-même, dans cette nuit du 9 août, à Nantes, parut au Moniteur, le 5 septembre suivant, et eut un grand retentissement.

L'Empereur donna encore quelques ordres, et le jour paraissait déjà depuis longtemps, lorsqu'il put chercher dans le sommeil, un peu de repos.

Dans cette même nuit, arriva à Nantes le 9ème régiment de dragons, d'un effectif de 550 chevaux.

Le Maire n'avait point été prévenu du passage de ces troupes et il se trouvait à Pont-Rousseau avec toute son Administration, lorsque, à six heures seulement, il en fut averti. Cette nouvelle causa un instant d'embarras car déjà toutes les écuries disponibles étaient retenues et occupées par les troupes qui séjournaient à Nantes, notamment par la gendarmerie et la garde impériale. Le seul, local dont on put disposer, était la grande corderie de M. Brée. Le Maire requit M. Brée de fournir cette corderie, ce qui en effet eu lieu. Les hommes furent logés chez les habitants.

Cependant, déjà, la foule couvrait la place Joséphine et tous les alentours du Palais impérial. Chacun était avide de voir l'Empereur, et tous les yeux étaient dirigés sur les croisées du Palais, où l'on espérait le voir paraître.

Mais, déjà, Napoléon était au travail ; quelques heures de sommeil lui avaient suffi. L'événement qu'il avait appris le préoccupait vivement ; il avait des mesures à prendre, et, depuis quelque temps, il était en conférence avec le prince de Neufchâtel.

Ce fut dans cette matinée qu'il écrivit à M. de Champagny, ministre des relations extérieures, la lettre suivante, qui présente un haut intérêt historique, et que nous avons pu copier sur l'original même :

« Monsieur de Champagny,
Je reçois votre lettre. Je suis arrivé, cette nuit, à Nantes. J'ai été extrêmement content de l'esprit du peuple de la Vendée. Vous voyez que j'approche de Paris, où je serai rendu incessamment.

J'ai reçu un courrier extraordinaire de Caulaincourt [Note : Caulaincourt était l'ambassadeur de France en Russie] avec une lettre du 20 juillet, où l'Empereur me fait connaître que si j'ai la guerre avec l'Autriche, il fera cause commune avec moi, et me montre beaucoup de sollicitude sur les affaires d'Espagne, dont les nouvelles commencent à lui arriver. Cette démarche de la part de ce prince est pleine de bons sentiments. Je vous envoie la lettre de Caulaincourt. Nantes, 10 août 1808. NAPOLÉON ».

Nous avons des motifs de croire que cette lettre fut la seule que Napoléon écrivit pendant son séjour à Nantes.

A midi, les réceptions commencèrent et toutes les Administrations civiles et militaires furent successivement admises.

Nous donnerons plusieurs des discours qui furent prononcés dans ces audiences. Nous sentons bien que cette reproduction peut, parfois, ne pas offrir un grand intérêt, que toutes ces harangues ont généralement le même fond d'idées, la même exaltation, et que même souvent la forme en varie bien peu. Mais, nous l'avons dit en commençant, nous désirons que notre récit soit aussi complet que possible ; la reproduction de ces communications officielles de nos principales autorités avec le Chef de l'État, dans une circonstance aussi solennelle, nous semble d'ailleurs avoir une utilité non contestable. On y trouve, en effet, la pensée, l'esprit qui dominaient à cette époque de nos grands triomphes militaires, mais aussi de sacrifices de tous genres que s'imposait une nation généreuse. On y retrouve aussi parfois, et c'est peut-être ce que l'on y verra de plus intéressant, l'indication de projets utiles, de travaux nécessaires sollicités par le pays.

Le général Dufour se présenta d'abord à la tête de tout l'état-major de la division et de la sous-division. Vieux militaire, le général Dufour était connu de l'Empereur, qui lui fit un accueil plein de cordialité. Un instant on causa guerre et campagnes, et, sur un pareil sujet, l'opinion du Maître devait naturellement rallier toutes les autres.

Monseigneur Duvoisin, évêque de Nantes, vint ensuite à la tête de son clergé. Voici quel fut son discours, certainement aussi bien écrit que bien pensé :

« SIRE,
L'admiration se tait, mais la reconnaissance et l'amour ont besoin de parler. Si la gloire a placé Votre Majesté trop au-dessus du reste des hommes, ses bienfaits la rapprochent de nous.

L'histoire célébrera le Vainqueur et l'Arbitre de l'Europe ; la postérité recueillera les heureux fruits de ses conceptions et de ses travaux héroïques. Mais, le Pacificateur et le Législateur de la France, le Restaurateur de la religion, de la morale et de l'éducation publique, le Protecteur des sciences et des arts, le Vengeur du commerce, le Père de la patrie nous appartient.

Cette partie de sa gloire se confond avec notre bonheur, et qui saura mieux l'apprécier que nous, qui, au sentiment des biens dont nous jouissons et que nous transmettrons à nos neveux, joignons le souvenir des maux dont nous avons été délivrés ?

Sire, j'ai l'honneur de présenter à votre Majesté mes dignes coopérateurs, mes grands-vicaires, les membres de mon chapitre, les curés et les desservants de la ville épiscopale et le supérieur de mon séminaire. Votre Majesté n'a pas de sujets plus fidèles. Ils savent que l'obéissance au Souverain et à ses délégués, la soumission aux lois, le respect pour l'ordre public sont des devoirs religieux, et que les vertus civiles sont aussi des vertus chrétiennes. Cette doctrine, qu'ils ont puisée dans l'Évangile, ils l'enseignent aux peuples plus encore par leurs exemples que par leurs discours.

Sire, Votre Majesté continuera de protéger leur ministère, et, dans ces temples que vous leur avez ouverts, sur ces autels que vous avez relevés, ils ne cesseront d'offrir des voeux pour la prospérité de votre règne et la conservation de votre personne sacrée ».

Jusque-là, Monseigneur Duvoisin était fort peu connu de l'Empereur. Nous dirons même qu'un peu de prévention contre le Prélat existait dans l'esprit de Napoléon. Dans son ouvrage de la Défense de l'Ordre social, l'évêque de Nantes avait, en effet, assez fortement fulminé contre les usurpations. En attaquant ainsi l'une des principales causes du bouleversement des sociétés, Monseigneur Duvoisin n'avait certainement pas eu la pensée de faire allusion à la situation du Chef de l'Empire. Mais alors la police était ombrageuse, et cette partie de l'ouvrage de l'évêque de Nantes avait été signalée à l'Empereur.

Aussi, pendant que le Prélat parlait, Napoléon semblait l'étudier et prêtait une attention soutenue à sa harangue.

Quand il eut cessé de parler, l'Empereur s'enquit de ce que pouvait intéresser le diocèse, le culte, le séminaire, etc. A toutes ces questions Monseigneur Duvoisin répondit avec un tel à-propos, avec une telle hauteur de vues, que l'Empereur se plut à prolonger la conversation. Désormais, Napoléon connaissait Monseigneur Duvoisin, et il ne le quitta point sans lui donner les témoignages les plus marqués de confiance et d'estime.

Cette première entrevue devait, du reste, avoir une grande influence sur les destinées de Monseigneur Duvoisin. Bientôt, en effet, il devint le conseil de Napoléon pour tout ce qui avait trait aux affaires religieuses. Dans les regrettables difficultés qui ne tardèrent pas à s'élever avec le Saint-Siége, il fut l'intermédiaire, respecté de tous, entre l'Empereur et sa Sainteté Pie VII. Successivement il fut nommé baron de l'Empire, aumônier de la maison de l'Empereur, conseiller d'État, grand'croix de l'Ordre de la Réunion, officier de la Légion-d'Honneur. Plus tard même, il devint le directeur de la nouvelle Impératrice Marie-Louise.

Dans ces hautes fonctions, Monseigneur Duvoisin n'eut qu'un but, celui de servir la religion et d'en défendre courageusement les principes et les droits, tout en cherchant, autant que cela dépendait de lui et de sa conscience, à concilier ses devoirs avec les exigences politiques créées par la situation. Il avait une très grande influence sur Napoléon, et il ne s'en servit jamais que pour faire le bien.

En 1811, il fut nommé à l'archevêché d'Aix ; mais alors le Pape n'avait pas son entière liberté ; sa nomination n'eut pas été régulièrement confirmée, et, par scrupule de conscience, il refusa, en faisant courageusemeut connaître à l'Empereur le motif de son refus.

Monseigneur Duvoisin était né à Langres, le 19 octobre 1744. Il mourut à Nantes, le 9 juillet 1813. Il était ainsi dans sa 69 année.

Le Conseil municipal, par une adresse à l'Empereur, demanda qu'un monument fût élevé à l'illustre Prélat dans la Cathédrale de Nantes.

L'Empereur était alors à Dresde. Le Ministre des cultes, d'après ses ordres, répondit que l'intention de Sa Majesté était, en effet, qu'un monument fût érigé à Monseigneur Duvoisin, dans la Cathédrale de Nantes, et cela aux frais du trésor impérial.

Malheureusement, les événements bien graves qui surgirent bientôt firent perdre de vue ce projet, et Monseigneur Duvoisin attend encore le moindre signe extérieur qui témoigne de la reconnaissance et du souvenir de sa ville épiscopale. C'est là, disons-le hautement, un regrettable oubli.

M. Bertrand-Geslin, au nom de la ville de Nantes, entouré de ses Adjoints, du Conseil municipal et d'une députation de la garde d'honneur, fut ensuite admis à l'audience de Sa Majesté.

Voici quelles furent les paroles du Maire :
« Votre Majesté a parcouru, avec la rapidité de l'éclair les contrées sur lesquelles l'alliance perfide, impuissante et toujours honteuse de l'Angleterre avait appelé le courroux du peuple français ; votre génie à su faire naître et disposer les événements de manière à maîtriser la fortune et à la fixer sans retour sous les drapeaux de vos armées invincibles. Semblable au régulateur suprême des saisons, qui n'effraie un instant le monde, que pour montrer après la nature plus riante et plus belle, vous avez fait servir les maux inevitables de la guerre à préparer le bonheur de l'espèce humaine. Vous avez déposé le tonnerre, pour vous occuper du sort des vaincus, et, recomposant la grande famille européenne, réunissant tous ses membres dans un même intérêt, sous les mêmes lois, vous avez réalisé le rêve enchanteur de la philosophie, vérifié le mot si flatteur pour notre nation, du Héros de Berlin, et promis à nos neveux qu'ils ne verront point s'ouvrir le temple de Janus.

A ces titres, qui commandent l'enthousiasme, l'admiration et l'amour de tous les Français, se joignent des motifs particuliers de gratitude pour les habitants de vos départements de l'Ouest. C'est à l'ascendant irrésistible des vertus de Votre Majesté qu'ils doivent l'extinction pour jamais de leurs discordes civiles.

Sire, la nation bretonne est digne de ses ancêtres ; le culte qu'elle rend à la mémoire des Olivier de Clisson et des Bertrand Duguesclin, ces illustres appuis du trône, ces redoutables ennemis de l'Angleterre, peut donner à Votre Majesté la mesure de nos sentiments pour sa personne auguste.

Sire, nos voeux appelaient depuis longtemps avec impatience le bonheur que vous daignez nous accorder aujourd'hui. Je laisse à l'univers, qui contemple en vous son héros, le soin de rappeler les titres sans nombre qui ont acquis à votre Majesté un empire absolu sur nos coeurs ; nous mettrons notre orgueil à en conserver le souvenir, à le transmettre à nos enfants, et nous nous estimerons complètement heureux, si Votre Majesté daigne agréer l'expression de notre éternelle reconnaissance.

Tels sont les sentiments du Conseil municipal et les Adjoints, que j'ai l'honneur de présenter à Votre Majesté impériale et royale ».

L'accueil de Napoléon aux représentants de la commune fut plein de bonté et d'affabilité. Il s'entretint longtemps avec eux, entra dans tous les détails de l'administration, et invita le Maire à lui remettre un rapport sur les besoins de la ville et les améliorations projetées. M. Bertrand-Geslin s'empressa de soumettre à Sa Majesté la délibération du Conseil que nous avons déjà fait connaître, et l'Empereur promit de l'examiner avec une sérieuse attention et un intérêt particulier.

Pendant son séjour, Napoléon, pour satisfaire sans doute à cette promesse, fit appeler plusieurs fois M. Bertrand-Geslin, avec qui il semblait prendre plaisir à s'entretenir et auquel il donna en toute occasion les marques les plus manifestes de confiance et de considération. L'Empereur, en effet, avait bientôt pu apprécier la noble élévation du caractère de M. Bertruand-Geslin, sa haute intelligence des affaires administratives et le dévouement à toute épreuve qu'il apportait aux intérêts qui lui étaient confiés.

Dans les divers entretiens que le Maire de Nantes eut ainsi avec l'Empereur, rien ne fut négligé par lui pour fixer l'attention de Sa Majesté sur toutes les questions auxquelles se rattachaient la prospérité, l'embellissement ou la salubrité de notre ville. Nous verrons par ailleurs que Napoléon comprit ces besoins et fit immédiatement droit à plusieurs des demandes qui lui avaient été soumises.

Rendons au surplus à l'Administration municipale de cette époque le juste hommage qui lui est dû. Elle montra constamment, et dans cette circonstance surtout, un zèle bien digne d'éloges, et la sollicitude la plus éclairée pour les intérêts de la ville. Des questions soulevées alors, la plupart ont sans doute reçu depuis leur solution, mais n'oublions pas que cet heureux résultat fut principalement dû à l'intelligente initiative de nos Magistrats municipaux. Nantes, en effet, alors, avait grand besoin d'améliorations, et, comme nous l'avons vu, les finances communales étaient dans une situation bien précaire ; pour agir, d'ailleurs, il fallait des autorisations qui s'obtenaient lentement, difficilement. Cette double difficulté pouvait s'aplanir par la présence de Napoléon ; nos Magistrats le comprirent et surent agir en conséquence. L'Empereur, du reste, ne demandait qu'à être éclairé pour prêter son concours, et son coup-d'oeil était si sûr et si prompt, que traiter ainsi directement avec lui d'une chose vraiment utile, nécessaire, c'était, à l'avance, être à peu près assuré du succès.

Ce fut dans l'une de ces audiences, que M. Bertrand-Geslin présenta à l'Empereur le vénérable M. Drouin, le Nestor du commerce de Nantes. L'Empereur remit aussitôt à M. Drouin l'étoile de la Légion-d'honneur, en lui adressant des félicitations sur l'estime qu'il avait su inspirer à ses concitoyens, et en exprimant en outre la pensée qu'il voulait ainsi récompenser dans sa personne tout le commerce de Nantes, dont la droiture et le patriotisme lui étaient connus.

Le Tribunal de Commerce se composait alors de :
Le Chantre, président.
Le Mesle, juge.
J. François, juge.
Soubzmain, juge.
Gautreau, juge.
Rissel, juge suppléant.
D'Haveloose, juge suppléant.
De la Brosse, juge suppléant.
Touchy, juge suppléant.

Admis avec ses collègues à l'audience de Sa Majesté, M. Le chantre s'exprima ainsi :

« SIRE,
En obtenant l'honneur d'être admis devant Votre Majesté impériale et royale, le Tribunal de Commerce de Nantes reçoit le bienfait qu'il a le plus ardemment désiré ; il contemple dans son Souverain le Héros du siècle, le Législateur de l'Europe.

La sagesse de vos lois, Sire, a garanti la fortune particulière ; elle a anéanti les abus qui s'étaient glissés dans le commerce, mais que ne partagea dans aucun temps le véritable négociant français. A la paix, l'étranger se hâtera d'aborder les ports de la grande nation ; il y trouvera sûreté dans ses transactions, protection assurée et célérité dans la justice. Ainsi le Code du commere français, qui, au premier coup-d'oeil, semble n'offrir qu'une loi nationale, multipliera les rapports de l'industrie entre tous les peuples, en vivifiant leurs opérations.

Qu'il nous soit permis, Sire, d'en exprimer à Votre Majesté notre éternelle reconnaissance.

Nous serons heureux, si, placés sur un point bien important du plus grand des Empires, nous pouvons, dans l'exercice de nos fonctions, répondre à la bienveillance de Votre Majesté. Ce sera le prix le plus flatteur de notre zèle comme notre dévouement absolu à votre auguste personne est notre premier devoir et notre sentiment le plus vif.

Puisse Votre Majesté impériale et royale agréer nos hommages avec cet intérêt qu'elle daigne accorder à tous ses sujets ».

En réponse à cette allocution, l'Empereur dit à M. Le Chantre qu'en venant à Nantes, il connaissait déjà l'importance maritime de ce port et qu'il ne négligerait rien pour en assurer la prospérité.

Puis il ajouta :
« La loyauté bretonne est sans doute proverbiale ; mais, au point de vue général, le Code de commerce était nécessaire pour fixer d'une manière précise les droits et les devoirs des commerçants, et assurer la fidélité des transactions. Ceux qui, comme vous, Messieurs, sont chargés d'en faire l'application, rendent donc de véritables services, et ces services, je sais hautement les apprécier ».

Sa Majesté s'informa ensuite de l'effet produit par les dispositions du Code de commerce, dont la promulgation ne datait encore que d'une année, et parut satisfaite d'apprendre que cette législation répondait à tous les besoins.

M. Gulmann, président de la Chambre de Commerce, se présenta ensuite à la tête de ses collègues : Baudoin ; Kervégan ; Lincoln ; B. Bourcard ; Deurbroucq ; Haudaudine ; Bourlet ; Dufou ; Métois ; Delaville ; Pâris ; Bernard Foucherie ; Athenas, secrétaire.

Voici quelles furent les paroles de M. Gulmann :

« Sire,
Il est des jours heureux dans le cercle borné de la vie. Celui-ci sera à jamais mémorable, pour les commerçants de cette grande cité, puisqu'ils jouissent du bonheur inappreciable de vous posséder parmi eux, et qu'il leur est permis, Sire, de vous exprimer leur amour et leur respectueuse soumission.

Pénétrés de la sollicitude paternelle de Votre Majesté pour cette classe intéressante de ses sujets, ils attendent avec confiance, de ses vastes combinaisons, que la liberté des mers soit rendue à leur industrie, et que l'olivier de la paix vienne se mêler aux nombreux lauriers de ses victoires. Que Votre Majesté daigne accueillir avec bonté le sentiment de notre admiration et de notre profond respect.

Sire, du moment que le commerce de cette ville a été instruit du bonheur d'y posséder Votre Majesté, il s'est empressé de faire construire un bâtiment léger, propre à naviguer sur notre rivière, et a chargé la Chambre d'en faire hommage à Votre Majesté. Le commerce ose espérer, Sire, que vous voudrez bien l'accepter, et après que ce bâtiment aura servi à Votre Majesté à parcourir les rives de la Loire, qu'il nous soit permis de l'envoyer à Paris, à une de ses résidences qu'elle voudrait bien nous indiquer ».

« Je l'accepte avec plaisir, » s'empressa de répondre l'Empereur.

Puis la conversation s'engagea sur les intérêts de notre commerce, alors bien en souffrance, et que le plus vif désir de Napoléon eût été de relever.

Le commerce de Nantes avait, du reste, donné les preuves d'un véritable patriotisme dans la lutte avec l'Angleterre. De nombreux corsaires, armés dans la Loire, faisaient une course hardie, continue et souvent couronnée de succès contre les navires anglais. Napoléon le savait et il ne manqua pas de témoigner qu'il rendait pleine justice aux courageux efforts des négociants nantais.

Il voulut connaître la position et les besoins de notre navigation, les améliorations que, dans l'état actuel des choses, on pouvait y apporter, et sur tous ces points il semblait recueillir, avec un vif intérêt, les renseignements qui lui étaient donnés. C'était surtout pour s'éclairer à cet égard, qu'il avait voulu faire le voyage de Paimbœuf, et nous verrons en effet avec quelle sollicitude empressée il s'attacha, dans cette courte excursion, à tout voir de ses yeux, à tout étudier.

Nantes possédait alors une Cour de justice criminelle, dont faisaient partie :
Maussion, président.
Crespel, juge.
Coiquaud, juge.
Goyau, juge suppléant.
Barré, juge suppléant
Clavier, procureur général impérial.

Voici les quelques paroles que M. Maussion adressa à l'Empereur :

« Sire,
Votre Cour de justice criminelle regardera toujours comme les plus beaux moments de sa vie, ceux où elle sera honorée de la présence de Votre Majesté.

Toujours nos voeux les plus ardents seront pour votre conservation.

Nous vous supplions très-humblement d'agréer l'assurance de notre fidélité, de notre dévouement et de tous les sentiments que commandent le génie, la bravoure et les soins infatigables de Votre Majesté pour la gloire et le bonheur de ses sujets ».

Napoléon n'aimait pas les longs discours, et celui de M. Maussion sembla lui plaire. Il demanda quelques renseignements sur le mouvement de la justice dans le département. M. Maussion était un ancien magistrat et il connaissait son terrain ; il répondit avec beaucoup de précision et de lucidité. Il sut surtout profiter de l’occasion pour signaler à l'Empereur l'insuffisance et les inconvénients du Palais de justice du Bouffay.

L'Empereur répondit immédiatement qu'il fallait au plus tôt faire cesser un pareil état de choses, et que son Gouvernement s'empresserait de seconder tout projet de reconstruction, même par un concours financier, si la chose était nécessaire.

Les réceptions continuèrent ainsi jusqu'à une heure assez avancée de l'après-midi. Dans toutes ces audiences, Napoléon déploya une telle facilité à aborder toutes les questions, de telles connaissances à les discuter, à les élucider, qu'en se retirant, chacun demeurait comme émerveillé d'une aptitude si universelle, jointe à tant de précision.

Il fut, du reste, d'une bienveillance extrême, et tous ceux qui eurent l'honneur de l'approcher se félicitaient hautement du gracieux accueil qu'ils avaient reçu. Napoléon paraissait heureux de causer d'affaires avec des hommes qui le comprenaient, et sa parole toujours vive était le trait qui frappait juste et allait toucher le but.

Parfois même, l'Empereur eut des mouvements d'aimable prévenance.

Lorsque l'état-major de la garde nationale se présenta, la bonne mine, l'air martial du colonel Banchais le frappèrent :
— Vous avez été militaire, colonel ?
— Oui, Sire, capitaine dans notre légion nantaise.
— Ah ! je sais ; cette légion s'est bien conduite, notamment dans sa défense de Bellegarde. Mais il paraît que vous avez quitté l'état militaire ; si vous vouliez le reprendre, j'aurais soin de votre avenir ?
— Sire, je ne puis plus profiter de vos bontés, je suis marié et père de famille.
— C'est juste, vous vous devez maintenant à votre famille ; mais ici, encore, colonel, servez servez toujours France.

A la réception du corps des ingénieurs des ponts et chaussées, Napoléon, s'abandonnant à une certaine animation, laissa échapper une improvisation lumineuse dans laquelle il se plut à passer en revue les travaux déjà exécutés et ceux encore en projet dans les départements de l'Ouest. Il parla du canal de Niort à La Rochelle, de celui de Nantes à Brest, des routes ouvertes, des deux villes fondées dans la Vendée et le Morbihan. Il signala surtout le canal latéral à la Loire, arrêté dans sa pensée, comme devant être un des principaux éléments de prospérité pour le commerce de Nantes. En un mot, il montra tous ces travaux, tous ces projets, se prêtant un mutuel appui et devant porter dans l'Ouest l'activité et la vie. Il termina en invitant vivement les ingénieurs à se bien pénétrer de sa pensée et à seconder de tout leur pouvoir ses intentions et ses efforts.

La visite du Conseil général fournit également à l'Empereur l'occasion d'une dissertation du plus haut intérêt.

Le Conseil général de la Loire-Inférieure se composait alors de :
Athenas. Bertrand-Geslin. Bizeul. Demonti de la Cour de Bouée. Barin. Martin Daviais. Lucas-Championnière. Juchaud des Jammonières. Coinquet. Mosneron-Dupin. Charette de Boisfoucaud. Peccot. Bruère. Petit Boissouchard. Dauffy du Jarrier. Tardiveau. Guyomont. Richard jeune. Gicqueau. Vivant. Hardy.

M. Tardiveau, en qualité de président, complimenta Sa Majesté. Mais aussitôt l'Empereur, semblant continuer la conversation qu'il venait d'avoir avec les ingénieurs, se prit à dérouler et à mettre en évidence toutes les richesses du sol de la France ; il signala les ressources que l'on pouvait en tirer, celles que l'on pouvait encore en attendre ; il parla surtout avec une certaine complaisance du sucre de betterave, conquête toute récente, mais à laquelle on devait attacher beaucoup de prix, puisqu'en alimentant le pays d'une denrée utile, nécessaire, elle devait fournir encore à l'agriculture un élément précieux.

On pouvait voir que c'était véritablement avec bonheur que Napoléon parlait ainsi de la France, et sa parole rapide était elle-même un tableau. Tout lui était familier, et il parlait de tout en homme pratique. Mais aussi il tenait à se renseigner sur tout. Il interrogea M. Tardiveau sur le prix des terres dans le département, sur les divers modes d'exploitation, sur l'importance et la répartition de l'impôt, etc.

M. Tardiveau s'empressa de satisfaire à ces renseignements. Enfin, Napoléon lui demandait quels étaient les premiers besoins du département, M. Tardiveau, qui cependant n'était pas un flatteur, répondit sans hésiter : « Sire, la conservation des jours de Votre Majesté ». Napoléon sourit et parut flatté de l’à-propos.

Comme tous les corps qui l'avaient précédé, le Conseil général se retira plein d'admiration pour un pareil génie.

M. de Joux, président du Consistoire réformé de Nantes, obtint également une audience de Sa Majesté. M. de Joux était un homme instruit et d'opinions religieuses très-tolérantes. Son discours refléta ces deux qualités de son auteur, et le Gouvernement crut devoir le faire insérer au Journal de l'Empire.

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Mais jusqu'ici la vue de l'Empereur avait été un privilège accordé seulement à nos autorités. La foule, la véritable population voulait aussi et devait avoir son tour. On savait que l'Empereur devait quitter son palais, à six heures et parcourir la ville, et toute la ville était sur ce parcours. La place Joséphine, et les Cours surtout, n'étaient qu'une masse compacte et frémissante d'attente.

La garde d'honneur tout entière, le détachement de la garde impériale, stationnaient à la porte du palais.

Comme six heures sonnaient, un mouvement se produit dans les troupes qui devaient former l'escorte. Des commandements se donnent et s'exécutent. Bientôt, le son des trompettes, le roulement des tambours, annoncent que Napoléon va paraître. —  C'est en effet l'Empereur qui s'avance ....

Nous étions nous-mêmes dans ce moment sur la place Joséphine, et, après cinquante années, le souvenir de la scène émouvante qui se produisit à la vue de l'Empereur est encore tout présent à notre esprit. Il nous semble entendre, encore ce cri de vive l'Empereur ! poussé et répété mille fois par cette population de tous rangs dont l'enthousiasme tenait du délire ; nous voyons encore cette émotion, vive, profonde, se manifestant par tous les signes extérieurs que peut suggérer et produire l'ivresse de la joie. Ou se pressait, on se précipitait ; chacun voulait voir l'Empereur et le voir de plus près ; ce n'était qu'avec la plus grande peine que la foule consentait à s'ouvrir pour donner passage au cortége .....

Oh ! sans doute, dans ce moment et en présence de pareilles manifestations, le coeur de Napoléon dut battre vivement !!!

Plus d'une fois aussi, nous ne pouvons en douter, au souvenir des preuves d'affection qu'il avait si souvent reçues, il dut sentir et se dire combien il lui eût été facile de rendre heureuse une nation pénétrée pour sa personne d'un tel dévouement, d'une telle passion !

La paix, glorieusement acquise par les plus beaux triomphes militaires connus ; la paix, avec la sécurité qu'elle amène, avec le développement de toutes les branches industrielles, le culte et le progrès des lettres, des sciences, des arts, avec cette sage liberté qui donne aux esprits l'indépendance dont ils ont besoin, sans laisser aux passions leur licence.... la paix, dirons-nous, lui en eut fourni les moyens, et fécondée par un pareil génie, quelle prospérité n'eut-elle pas donnée à la France !

Ce but, croyons-le, Napoléon eût voulu l'atteindre ; bien des fois même, il témoigna hautement que c'était celui qu'il poursuivait, mais certaines circonstances fatales rendirent sans effet les occasions que bien des fois sa haute fortune lui fournit de le réaliser.

L'histoire a dit et dira que Napoléon fut grand par son génie de législateur, par sa science administrative ; que, dans la conduite des armées et sur les champs de bataille, il déploya des talents et un courage que nul ne sut jamais égaler ; dans son impartialité, l'histoire a même rendu justice aux intentions qui semblèrent le guider le plus souvent. Mais l'histoire a dit aussi qu'il ne sut pas assez résister au prestige de la gloire militaire, que les enivrements de la victoire lui firent parfois perdre de vue ; que la guerre, lorsque l'honneur national ne la commande pas impérieusement, est toujours un fléau qu'il faut éviter, et que même avec ses victoires et ses conquêtes, elle fait moins pour le bonheur des peuples et la véritable grandeur de celui qui préside à leurs destinées, que la paix avec ses utiles et fructueux travaux.

Et pourtant, si, après les faits accomplis, l'on trouve ainsi des paroles de blâme à adresser à Napoléon, la justice commanderait peut-être que ces paroles ne fussent pas trop sévères. En étudiant les faits et les événements, n'est-on pas en effet amené à reconnaître que si l'Empereur fit des fautes, la France entière fut sa complice ? qu'elle s'unit à ses desseins, qu'en toute occasion elle parut accepter la solidarité de ses actes et qu'elle partagea ainsi ses erreurs ?

La France, en effet, s'était en quelque sorte identifiée dans la personne de Napoléon, et ce qu'il voulait, tout indiquait qu'elle le voulait elle-même. Dans ses succès, elle fut fière de sa gloire et se l'appropria ; dans ses revers, elle lui fut encore fidèle et ne l'abandonna point. A peine si l'on compta quelques défections, et le nom de ceux qui s'en rendirent coupables, est resté voué à la honte et au mépris. Disons-même que, dans ses malheurs, l'humiliation que la France ressentit peut-être le plus vivement, et à laquelle elle se montra le plus sensible, fut celle de son Empereur, devenu et retenu captif à Sainte-Hélène.

Ainsi donc, sans vouloir atténuer des torts qui eurent pour notre pays des résultats aussi funestes, reconnaissons que, malgré ses fautes, Napoléon eut véritablement la France avec lui et pour lui, et que, si elle s'associa à ses triomphes, elle s'associa pareillement et plus tard à ses malheurs et à sa chute.

Oui, certes, Napoléon avait le pays avec lui et pour lui, lorsque, le 9 août 1808, il venait se mêler à notre population. Et quel témoin de ce qui se passa alors eût osé même le mettre en doute ?

Un peloton de gardes d'honneur à cheval, en éclaireurs, ouvre la marche.

Puis, à quelque distance en avant du cortége, un cavalier, au teint bronzé, apparaît seul, monté sur un cheval gris-pommelé, de petite taille. Ce cavalier est vêtu de la manière la plus simple et n'a pour toute distinction que la plaque de la Légion-d’Honneur. Il porte un chapeau à basse forme et l'uniforme de colonel des chasseurs à cheval de la garde.

Tout d'abord l'attention ne se porte point sur ce simple cavalier ; on ne peut supposer que sous cette apparence si modeste on a sous les yeux l’homme de l'époque, Napoléon le Grand, et tous les yeux le cherchent dans ce groupe de généraux et de grands dignitaires, qui constellent à la tête du cortége.

Cependant, ce cavalier, c'était l'Empereur…

Bientôt reconnu, il est salué des acclamations les plus unanimes et les plus chaleureuses, et il y répond d'un, air satisfait.

Napoléon se dirige d'abord vers le Lycée, où doit se faire sa première visite.

Le Lycée de Nantes n'était ouvert que depuis fort peu de temps, mais il comptait déjà un assez grand nombre d'élèves. Il avait pour proviseur M. Mas, homme instruit, bienveillant, de manières distinguées et que tous les élèves aimaient comme un père.

Pour donner à cette visite de l'Empereur l'exactitude et la couleur qui lui conviennent, nous ne croyons pouvoir mieux faire que d'en emprunter le récit à Mellinet, qui fut témoin et acteur de cette scène, et on nous saura gré, croyons-nous, de le laisser parler :

« Les élèves étaient rangés en bataille dans la cour des classes. A chaque coup de marteau frappé au grand portail, tous ces jeunes coeurs battaient sous l'uniforme bleu foncé, à collet et parements bleu de ciel.

Le portail s'ouvre enfin ; des chasseurs de la garde, avec leurs colbacks, la carabine à la main, entrent et visitent l'intérieur des cours et des arcades sous les corridors.

Peu après cette recherche minutieuse, que ne commandait pas le Maître, mais que les généraux de sa suite ne manquaient jamais d'ordonner, parurent divers personnages et dignitaires de la maison de l'Empereur, aux habits dorés. Les élèves les regardaient avec une vive curiosité, quoiqu'à chaque seconde leurs regards se détournassent du côté du portail.

Un bruit de chevaux au galop a retenti ; un cri sourd, prolongé, qui grandit, puis éclate comme le bruit du tonnerre, s'est fait entendre ; c'est le cri du peuple, c'est le cri de vive l'Empereur ! Un page se jette à la bride du cheval de Napoléon ; l'Empereur descend et entre rapidement dans la cour. Les deux tambours lycéens battent aux champs, mais leur bruit est couvert par une même acclamation d'enthousiasme, qui s'élève du fond de toutes ces jeunes âmes avec une sorte de frémissement frénétique, pendant qu'ils agitent en l'air leurs petits chapeaux à cornes. Il y a dans cet enivrement spontané qui n'a rien du courtisan, un accent de passion naïve qui émeut, et que l'Empereur a senti, lorsque son œil vif a parcouru toute la ligne de cette troupe étudiante, en donnant, pour ainsi dire, un regard à chaque élève ...

Les tambours continuaient de battre aux champs, et les cris de vive l'Empereur ! ne cessaient pas de partir des rangs des élèves, lorsque tout à coup une dame avec ses deux enfants, se jette aux pieds de Napoléon ; c'était Madame Norman, qui demandait à l'Empereur la grâce de son mari, le général Normand.

Napoléon la relève avec bonté ; la prière qu'il a entendue avec émotion est exaucée, car le général Normand ne demande qu'à verser son sang dans les armées de l'Empereur, qui rend à ces armées l'un de ses plus braves officiers ...

Les quelques mots bienveillants adressés par l'Empereur à Madame Normand, redoublèrent les acclamations, au milieu desquelles l'Empereur continua sa revue, accompagné de M. le proviseur Mas.

Le lycéen sergent-major, Alexandre François, qui se préparait pour l'Ecole militaire, était à la tête de ce petit bataillon ; il ne put dominer son émotion, et sa pâleur frappa l'Empereur, qui s'arrêta devant lui en le fixant : « Voilà, dit-il, un jeune sergent-major bien pâle... ». Cela n'empêche pas d'avoir du coeur, répliqua M. Mas, et cet élève sera bientôt, Sire, un des bons officiers de votre armée. En effet, le jeune sergent-major François, devenu colonel du 11ème léger, a été un des officiers distingués de cette armée, qui compte parmi les Lycéens que Napoléon passait alors en revue, les deux frères Deshorties, Maumet, Grosbon, Victor Michaud, Emile Mellinet, Nagant, Pradal, Braive, Dulac, Coudroy, Vidal et d'autres, dont les noms nous échappent.

Après la revue, l'Empereur demanda au proviseur quels étaient les meilleurs élèves du Lycée. M. Mas lui présenta le jeune Chaillou, qui se destinait à l'Ecole polytechnique. Interrogé sur les mathématiques et sur les autres parties de l'instruction par l'Empereur lui-même, le jeune Chaillou lui répondit avec un sang-froid qui ne satisfit pas moins l'Empereur que les réponses mêmes.

L'Empereur avait voulu parcourir les dortoirs et les classes du Lycée ; la visite durait depuis quelque temps, et la garde impériale, habituée à des visites moins longues, s'inquiétait déjà, lorsqu'un grenadier à cheval, mettant pied à terre, fut délégué par ses frères d'armes, qui craignaient moins sur un champ de bataille. — Où est l'Empereur ? dit le vieux  grenadier, d'une voix à obtenir une réponse. — On le lui indique ; il entre dans le dortoir où se promène l'Empereur et répète sa demande : — l'Empereur ? Lorsque Napoléon, qui ne s'est point trompé à l'une de ces voix qu'il connaît toutes, se borne à jeter un rapide regard sur le vieux grenadier, qui, en voyant ce calme, s'éloigne en silence et va redire à son détachement le résultat de sa recherche ».

En quittant le Lycée, Napoléon se rendit au Château. Il y fut reçu par M. Grivel, commandant d'armes, qui lui en presenta les clefs. L'Empereur jeta un coup-d'oeil rapide sur ce vieux manoir de nos anciens Ducs, demanda et reçut quelques renseignements, et continua bientôt sa marche, en regagnant les quais.

Sa Majesté parcourut ainsi tous nos quais, s'arrêtant un instant à la Bourse, et visita la Fosse et le port.

A son retour, il monta la rue Jean-Jacques et descendit la rue Crébillon, faisant unepetite halte sur la place Graslin et sur la place Impériale, pour jouir du coup-d'oeil des monuments qui y avaient été élevés, et rentra à son Palais, en passant par les rues Saint-Nicolas, Casserie, Basse et Haute-Grande-Rue. Il était alors presque nuit.

Pendant tout ce parcours, Napoléon conserva la place qu'il s'était choisie et marcha toujours de quinze à vingt pas en avant du cortége ; jusqu'au Lycée, il fut seul ; en quittant le Lycée, M. Deurbroucq s'approcha de Sa Majesté, et ne cessa plus de marcher à ses côtés. Parti au pas, l'Empereur prit alors le petit trot.

Napoléon interrogeait M. Deurbroucq sur tout ce qu'il voyait ; comme toujours ses questions étaient rapides, et M. Deurbroucq y répondait avec une précision que semblait goûter l'Empereur. C'est ainsi que Sa Majesté parla de nos quais qu'elle trouvait fort beaux, de nos ponts qu'il fallait refaire et améliorer, de l'admirable situation de notre port, qui devait assurer à Nantes de belles destinées commerciales ... L'Empereur ne manquait, du reste, jamais d'ajouter que son Gouvernement serait toujours disposé et prêt à seconder et à aider toute entreprise qui se recommanderait par son utilité.

Nous avons dit avec quelles acclamations Napoléon avait été accueilli, lorsqu'il avait paru sur la place Joséphine. Inutile d'ajouter que, partout où il se montra, ces démonstrations l’accompagnèrent avec la même force, la même unanimité. Ceux qui l'avaient vu déjà, voulaient le revoir encore et se hâtaient d'aller de nouveau se placer sur son passage.

Un instant, un garde d'honneur, voyant que l'Empereur avait peine à se faire jour à travers les flots pressés, voulut écarter les plus impatients. Mais l'Empereur l'en détourna, en ajoutant « qu'il aimait ainsi à voir les Nantais de près ». Ces simples mots, entendus et répétés, furent le signal d'un redoublement d'acclamations.

Malgré la foule, aucun accident, aucun désordre ne vint troubler la joie publique.

Rentré dans son Palais, l'Empereur donna encore quelques audiences particulières, puis se retira bientôt pour travailler avec ses Ministres.

Dans la soirée, les dames, désignées d'avance, furent présentées par M. Bertrand-Geslin à Sa Majesté l'Impératrice-Reine, qui leur fit l'accueil le plus gracieux et s'entretint avec elles avec beaucoup d'affabilité.

Cette bienveillante bonté, qui faisait le fonds du caractère de Joséphine, se manifesta surtout lorsque le charmant groupe des quarante demoiselles se présenta pour lui offrir des fleurs. A la petite allocution de Mlle Demonti, Sa Majesté répondit dans les termes les plus aimables ; elle se plut à les entretenir, eut un mot heureux pour chacune d'elles et embrassa avec effusion Mesdemoiselles Demonti et Bertrand-Geslin.

En se retirant, toutes aussi ne tarissaient pas d'éloges sur le bon coeur et la grâce de Joséphine.

A la chute du jour, la ville s'était couverte de l'illumination la plus brillante ; c'était à qui aurait fait le plus et le mieux, mais pas une maison qui ne fût éclairée depuis le rez-de-chaussée jusqu'à la mansarde. Suivant le programme, dans certains quartiers, l'illumination était régulière et uniforme, ce qui produisait le plus charmant coup-d'oeil.

Partout aussi des transparents, des emblêmes, des allegories en l'honneur de Leurs Majestés ; partout des inscriptions, en vers, en prose, dans toutes les langues.

Il serait sans doute fastidieux de descendre dans trop de détails sur cet objet. Toutefois, nous croyons devoir donner quelques-unes de ces inscriptions de genres différents.

Sous un buste de Napoléon, on lisait ces quatre vers :
Il surpasse Ulysse en prudence,
Il surpasse en valeur le fier vainqueur d'Hector ;
Pour le bonheur du monde, et surtout de la France,
Puissent ses ans nombreux être ceux de Nestor.

Ce quatrain était de M. le docteur Mahot.

Puis ceux-ci de M. V. Mangin :

Comme Pierre-le-Grand, Parcourant son Empire
Pour mûrir, pour fixer ses sublimes projets ;
Comme Titus, il aime et comme lui respire
Pour faire autant d'heureux qu'il compte de sujets.

Les peuples qu'il gouverne et ceux qu'il a soumis
Ressentent les effets de sa munificence ;
Il arrache un hommage à tous ses ennemis
Et sait même aux vaincus faire aimer sa puissance.

Nantes, depuis longtemps désirait ta présence,
Nos voeux sont comblés dans ce jour ;
Grand homme, tu peux tout ; mais malgré ta puissance,
Pour toi, tu ne saurais augmenter notre amour.

Un facteur de pianos avait mis sur son transparent :

Nous avons le bonheur de posséder celui qui nous a tous mis d'accord.

Ce dernier mot était remplacé par les quatre notes d'un accord parfait.

Sous un horloge, on avait mis ces mots :
Ultima nunquam !

Citons enfin ces vers gascons, que M. Lavigne, professeur d'écriture, rue de la Fosse, avait fait figurer sur son transparent :

Pu dé lumieres jéi, mais, cadédis, pourquoi
Né chantérais-jé pas cé grand jour d'allegresse ?
En fêtant dé mon mieux notre Empereur et Roi,
Jé veux lui temoigner, sans éclat, ma tendresse.

Sandis, sous pu dé temps, lé grand Napoléon
Réduira des Anglais la marine importune,
Dès qu'il aura soumis la perfide Albion
Il prendra du répos et nous ferons fortune.

Nous pourrions multiplier ainsi ces citations, mais celles-ci doivent suffire.

L'illumination des deux Cours était vraiment splendide. Cent deux ifs, de cinq mètres de hauteur, se dressaient sur deux files et étaient couverts de 10.000 lampions.

Le Palais impérial et toutes les maisons ayant façade sur les Cours et la place Joséphine ruisselaient de feux.

La colonne, surmontée d'un aigle géant aux ailes déployées, était couverte de guirlandes de lampions qui montaient et descendaient en spirales.

Notre vieille basilique avait aussi revêtu un habit de fête. Partout des lampions et des pots à feu. Au sommet et au-dessus même de l'Observatoire, se dressait une étoile de cinq mètres de diamètre, également illuminée.

Les bâtiments communaux, et surtout l'Hôtel-de-Ville, se faisaient aussi remarquer par l'éclat de leurs décors lumineux. Par suite d'une adjudication, quatre mille terrines et pots à feu furent fournis pour cette illumination.

Une seule rue dut rester dans l'ombre, ce fut la rue de la Poissonnerie. On se rappelle encore l'état de cette rue, étroite, bâtie entièrement en bois, et dont les maisons, inclinées les unes sur les autres, se touchaient même en plusieurs endroits par le sommet d'un côté de la rue à l'autre. Cette rue renfermait en outre beaucoup de matières combustibles. Par mesure de sûreté et par ordre exprès de la Mairie, défense fut faite d'y allumer aucun lampion.

Une autre mesure de prudence fut aussi prise par l'Administration. Dans de pareilles circonstances, on comprend combien devait être grande la circulation de nuit ; du 8 au 16 août, les 281 réverbères, formant 683 becs, et qui composaient alors tout l'éclairage urbain, furent allumés durant toute la nuit. Ce surcroît d'éclairage coûta à la ville 2.049 fr.

Pour clore les détails que nous avons à donner sur la journée du 9, n'omettons pas de mentionner que des distributions de vins et de comestibles furent faites, et que, dans la soirée du jour, des danses, qui se prolongèrent fort avant dans la nuit, eurent lieu sur toutes nos places publiques. Comme on peut le croire, ce ne fut pas là la partie du programme qui fut le moins bien remplie.

Ainsi, l'on peut se convaincre que cette journée du 9 avait réalisé tout ce que l'on devait en attendre.

D'un côté, notre population avait fait à Napoléon un accueil chaleureux et ne lui avait point épargné les témoignages d'affection. — D'un autre côté, Napoléon s'était montré sensible aux élans de cette réception ; nos Autorités avaient été accueillies par lui avec une bienveillance marquée, et Sa Majesté n'avait pas laissé échapper une seule occasion de manifester l'intérêt qu'elle portait à notre ville et à son commerce. Ainsi, des liens de sympathie existaient évidemment déjà entre l'Empereur et la cité nantaise.

Ces liens devaient se resserrer encore dans la journée du lendemain 10 août, après une visite éclair à Paimboeuf.

Parti de Paimbœuf sur les onze heures, Napoléon arriva à Nantes à trois heures de l'après-midi. Divers détachements de la garde d'honneur et de la garde impériale, échelonnés sur la route, lui servirent d'escorte. M. Deurbroucq tint constamment la droite de la voiture.

A son arrivée à Pont-Rousseau, l'Empereur reçut les mêmes honneurs que la veille ; les batteries lancèrent de nouveau leurs salves et toutes les troupes disponibles furent rangées sur son passage. Comme on peut le supposer aussi, la foule s'était portée en masse, notamment sur toute la ligne des ponts. Monté à cheval aux limites de la commune, l'Empereur traversa de nouveau toute la ville pour se rendre à la place Joséphine, salué et acclamé avec la même chaleur et la même unanimité.

Devant le Palais impérial, il trouva rangé en bataille le 9ème régiment de dragons, arrivé le jour précédent, et qu'il passa en revue. Le prince de Neufchâtel et le duc de Frioul firent alors manoeuvrer ce beau régiment, qui défila ensuite sous les croisées de l'Empereur. Napoléon se tint, pendant tout ce temps, à l'un des balcons, et sa présence excita chez la troupe, comme chez la foule, les plus vifs transports.

Pendant cette excursion de Napoléon à Paimboeuf, il y eut nouvelle réception des dames par l'Impératrice Joséphine, qui fut, comme toujours, pleine de grâce et d'aménité.

Cependant Sa Majesté avait été indisposée dans la nuit. La réputation du homard de nos côtes était arrivée jusqu'à elle, et elle avait voulu s'assurer si cette réputation n'était pas usurpée. Malbeureusement, à ce qu'il paraît, l'épreuve avait été poussée un peu trop loin. Le homard breton avait gagné sa cause, mais aussi la bonne Impératrice avait gagné ce que l'abus des meilleures choses cause le plus souvent.

Ce fut dans cette présentation que M. Bertrand-Geslin pria l'impératrice de vouloir bien agréer l'invitation au bal que la commune avait fait préparer, pour le soir même, dans le Cirque du Chapeau-Rouge. Sa Majesté accepta de suite cette invitation et se chargea elle-même de la reporter à l'Empereur dès qu'il serait de retour. Et, en effet, Joséphine s'acquitta fidèlement de cette mission.

Ce bal au Cirque était, avons-nous dit, l'objet principal des fêtes offertes à Leurs Majestés. Aussi l'Administration municipal n'avait-elle rien négligé pour donner à cette réunion tout l'éclat possible. Dans la journée, la dernière main avait été donnée à la décoration de la salle, et cette, décoration était aussi riche que bien entendue ; les mesures de police et de précaution avaient aussi été prises par un arrêté municipal.

Cette enceinte du Cirque n'avait malheureusement que peu d'étendue et ne pouvait recevoir qu'un nombre limité d'invités. Aussi Dieu sait avec quelle ardeur les invitations étaient désirées et recherchées, surtout de la part des dames. Toutes les ruses diplomatiques étaient mises en usage pour en obtenir. On voulait sans doute avoir cette occasion de voir de près Leurs Majestés ; mais à ce motif de curieux intérêt bien naturel, s'en joignait évidemment un autre. Bien des familles, et parmi elles certaines qui, plus tard, ne se firent pas faute de renier leur passé, tenaient à grand honneur de figurer une fête donnée à l’Empereur, et de pouvoir peut-être fixer un instant son regard.

On peut donc penser avec quel soin, avec quelle vive sollicitude, les heureuses privilégiées durent s'occuper de l'article toilette. Le commerce de détail s'en trouva bien, et ce fut déjà un bon résultat. Quant aux hommes, ils étaient tenus de se présenter en uniforme, ou en habits et chapeaux français, et l'épée au côté.

A six heures, après un dîner qui dura vingt minutes à peine, l'Empereur fit appeler M. Bertrand-Geslin, qu'il reçût comme toujours avec la plus grande cordialité. Il lui annonça en même temps qu'il acceptait, pour lui et l'impératrice, l'invitation à la fête communale.

M. Bertrand-Geslin, ancien capitaine au 109ème régiment, avait un peu conservé les allures militaires. Doué, comme nous l'avons dit, d'une grande aptitude pour les affaires administratives, il en parlait avec facilité et en homme pratique, et sa vivacité d'esprit lui faisait exprimer sa pensée d'une manière claire et en termes précis.

C'était là les hommes que Napoléon appréciait surtout, et avec qui il aimait à s'entretenir.

Aussi, dans ce salon de l'hôtel d'Aux, où se trouvaient l'Impératrice elle-même et tous les grands dignitaires, l'Empereur s'empara-t-il en quelque sorte de M. Bertrand-Geslin agissant vis-à-vis de lui avec une aimable familiarité, qui semblait mettre au même niveau les deux interlocuteurs. Sa Majesté marchait en parlant, et de temps en temps se présentait au balcon, toujours accompagnée de M. Bertrand-Geslin. Cette présence du Maire de Nantes, tête-à-tête avec Napoléon, produisait au dehors le plus grand effet ; et, chaque fois, qu'ils se laissaient entrevoir, les acclamations redoublaient de vivacité. Chacun sentait, en effet, qu'en honorant ainsi le premier Magistrat de la cité, c'était la ville même de Nantes qu'honorait l'Empereur.

Sa Majesté demanda à M. Bertrand-Geslin quelques renseignements sur lui, sa famille, ses alliances ; et, apprenant que Madame Bertrand appartenait à une famille du commerce de Nantes, il s'exprima en termes extrêmement flatteurs sur les qualités qui distinguaient la race bretonne.

« Comme militaires, dit Napoléon, les Bretons comptent, parmi mes meilleurs soldats ; comme hommes, ils sont fermes dans leurs convictions ; ils ont conservé leurs principes de fidélité, leurs croyances religieuses, et l'on peut compter sur leur foi. Je fais très-grand cas d'un pareil caractère ».

Cette appréciation du caractère breton devait se retrouver cinquante ans plus tard, presque dans les mêmes termes, dans la bouche de celui qui, portant le nom du grand Empereur, recevait aussi, comme lui, dans nos contrées, les mêmes témoignages d'affection et de dévouement.

Napoléon avait pris connaissance du rapport dressé par le Conseil municipal. Dans cette conversation intime avec M. Bertrand-Geslin, il passa en revue toutes les questions qui y étaient traitées, et se montra dans les meilleures dispositions pour leur donner une solution. « Nantes, ajouta-t-il, a une réputation à soutenir et une position meilleure à gagner ; je veux seconder ses efforts. Au premier rang des moyens qui peuvent assurer ce but, je n'hésite pas à placer les travaux à faire dans la Loire et surtout le second port à Saint-Nazaire. Ce sont là des questions dont il faut s'occuper, et je ne les oublierai certainement point ».

Puis descendant dans des détails qui peuvent paraître futiles, mais que Napoléon aimait à connaître, et dont, à l'occasion aussi, il tirait profit, il s'informa de M. Bertrand-Geslin quel était le prix de nos denrées territoriales, de nos constructions civiles, de la main-d'oeuvre, etc.

Dans le cours de cet entretien, Napoléon voulut aussi avoir quelques renseignements sur le nombre des victimes de la Terreur à Nantes.

M. Decelles, préfet, n'avait pu répondre à cette question. M. Bertrand-Geslin, qui s'était en quelque sorte préparé à pareille demande, et qui, d'ailleurs, par sa position, avait pu avoir à cet égard des données certaines, satisfit au désir de l'Empereur, qui parut surpris et vivement affecté de ce qu'il apprenait.

Comme nous le disions tout à l'heure, cette conversation avait lieu aux cris de : vive l'Empereur ! que ne cessait de lancer la foule. L'Empereur semblait heureux de ces manifestations, qu'il fit remarquer à M. Bertrand-Geslin, en le complimentant sur le bon esprit qui animait la population nantaise. « Je me rappellerai, je me rappellerai, répéta-t-il plusieurs fois, mon passage à Nantes ».

Ce qui, dans ce moment, doublait encore l'enthousiasme populaire, c'était la vue du magnifique feu d'artifice qui se tirait sur la place Joséphine. D'un côté, ce spectacle, dont notre population s'est toujours montrée avide ; de l'autre, la présence de Napoléon, que chacun pouvait apercevoir, provoquaient une ivresse que rien ne peut rendre.

Quand le feu d'artifice fut terminé, l'Empereur prévint le Maire qu'il était prêt à se rendre à la fête communale. M. Bertrand demanda à Sa Majesté la permission de la précéder de quelques instants, et se rendit immédiatement au Cirque.

Un essaim de femmes, aux riches toilettes, et appartenant aux familles les plus distinguées de Nantes, dans la noblesse, le commerce, etc., étaient rangées dans cette rotonde, où l’art du tapissier avait épuisé toutes ses ressources. Momentanément tous les hommes avaient dû prendre place dans les loges. Des conversations animées étaient engagées partout, et les noms de l'Empereur et de l'Impératrice revenaient à chaque instant sur toutes les lèvres. Cette animation s'accrut encore à l'arrivée de M. Bertrand-Geslin, venant annoncer que Leurs Majestés allaient paraître. Enfin, dix minutes après, l'Empereur et l'Impératrice arrivaient, escortés par un détachement de la garde d'honneur.

M. Bertrand-Geslin reçoit Leurs Majestés à la descente de la voiture et les introduit dans la salle de bal. Tout à coup, au bruit d'une grande réunion, a succédé un silence profond et qui a quelque chose de solennel. Tous les spectateurs sont debout, et leur âme tout entière semble être passée dans leurs yeux, car chacun veut graver dans sa mémoire le souvenir et les traits des augustes Voyageurs. Enfin, cette émotion se fait jour et éclate par un cri vif et prolongé de : vive l'Empereur ! vive l'Impératrice !

Douze dames, à la tête desquelles était Madame Bertrand-Geslin, avaient été désignées pour accompagner l'Impératrice Joséphine. Ces dames furent particulièrement présentées à Leurs Majestés, et l'Empereur, qui avait déjà témoigné le désir de voir Madame Bertrand, lui fit l'accueil le plus distingué.

Leurs Majestés firent ainsi le tour du bal, adressant souvent la parole aux dames ; Joséphine, toujours gracieuse, semblait surtout prendre une part très vive aux plaisirs de cette réunion. Elle portait une riche toilette. Quant à l'Empereur, il avait l'habit de colonel de dragons, culotte courte de casimir et bas de soie blancs, souliers à boucles d'or. C'était, à ce qu'il paraît, le costume qu'il réservait pour les plus grandes occasions. A ce sujet, le duc de Frioul disait le lendemain à M. Bertrand-Geslin : « Il faut que vous ayiez vraiment séduit Sa Majesté, car elle fait pour votre fête communale des frais de toilette extraordinaires et qui n'ont lieu que pour des circonstances tout à fait exceptionnelles ».

Cependant il était manifeste que Napoléon ne se trouvait là que par un sentiment de convenance, et que sa pensée était à des soins plus sérieux. Leurs Majestés n'en demeurèrent pas moins au bal, depuis neuf heures environ jusqu'à onze heures. Le moment de leur retraite fut même peut-être un peu hâté par un petit événement tout à fait inattendu.

Au milieu du bal, une dame se jeta aux pieds de l'Empereur et lui présenta un placet. Napoléon, se tournant immédiatement du côté du Maire, lui demanda s'il était instruit de cet incident. Non, Sire, et si je l'eusse connu, je l'aurais certainement empêché. L'Empereur s'empressa alors de relever cette dame et reçut la requête, mais d'un air froid et un peu blessé, et en disant : « Madame, ce n'est ni le lieu, ni le moment ». Il se retira aussitôt, laissant facilement apercevoir qu’il n'était pas satisfait de cet incident.

Cette retraite un peu précipitée de l'Empereur produisit un moment une vive impression, et le bal s'interrompit tout à coup ; on blâmait avec beaucoup d'énergie l'indiscrétion de cette dame, qui avait si mal choisi son temps. Mais, enfin, les danses recommencèrent et se continuèrent jusqu'au jour, pleines d'entrain et de gaîté.

Pendant ce temps-là, la ville entière, comme la veille, était splendidement illuminée ; comme la veille aussi, sur toutes les places publiques des danses, des jeux ; partout enfin, les manifestations de la joie, et d'une joie franche et à laquelle on s'abandonnait, parce qu'on la ressentait réellement. Réunie dans un même esprit, dans un même sentiment, notre population n'était dans ce moment qu'une famille, célébrant la fête de son Chef.

Ce jour-là encore, aucun désordre, aucun accident, ne vint troubler ces manifestations publiques.

A l'occasion de la fête, les deux théâtres, rue Rubens et rue du Moulin, un peu restaurés pour la circonstance, furent ouverts, et on y donna spectacle gratis.

A la salle du Moulin, on joua Claudine de Florian et les Jeux de l'amour et du hasard.

A la salle Rubens, l'Epreuve villageoise et Félix ou l'Enfant trouvé.

Ce dernier opéra fut suivi d'une scène lyrique, à spectacle et à grand orchestre, que M. Blanchard de la Musse avait composée pour la circonstance ; la musique était de M. Scheyermann.

Cet impromptu fut naturellement couvert d'applaudissements.

Le voici :

Le théâtre représente une place publique ; le peuple entre de tous côtés ; la scène commence à l'aube du jour.

CHOEUR.
On annonce, de toutes parts,
Qu'un Héros, favori de la gloire et des arts,
Se rend bientôt à notre impatience.
Cité trop heureuse ! en ce jour,
Enfin ton zèle et ton amour
Vont recevoir sa récompense.

On entend une musique douce, qui se renforce par degré.

Après un moment de silence :

UN HOMME DU PEUPLE.
Mais, quels sons enchanteurs ont frappé nos oreilles ?
Une divinité se présente à nos yeux,
C'est Iris ! ... Écoutons, écoutons les merveilles,
Que vient nous annoncer l'interprète des Dieux.

Iris descend du ciel, et, du sein des nuages, chante le récitatif suivant :

Il luit enfin ce jour prospère,
Qui met le comble à tous vos voeux.
Nantais, vous possédez un Souverain, un père,
Qui ne vient dans vos murs que pour vous rendre heureux :
Quand on voit un Héros, du sein de la Victoire,
Des arts qui lui sont chers relever les autels,
C'est aux arts réunis à célébrer sa gloire,
C'est aux arts à fêter ses bienfaits immortels.

UNE FEMME.
Puissent l'amour, la franchise, le zèle
D'une cité, toujours à ses devoirs fidèle,
Dans nos murs fortunés fixer Napoléon !

UN BRETON.
Ah ! qu'il sache que le Breton,
Tout en changeant de nom,
N'a pas changé de caractère ;
Que, franc et loyal et sincère,
Il met sa gloire la plus chère
A chérir, à servir le Grand Napoléon.

CHOEUR.
Puissent l'amour, la franchise, le zèle
D'une cité, toujours à ses devoirs fidèle,
Dans nos murs fortunés le fixer à jamais.

IRIS.
Napoléon se doit à ses sujets ;
Tous de le posséder réclament l'avantage ;
D'avance je prévois vos trop justes regrets ...
De la bonté des Dieux recevez son image.

Iris remonte au ciel, et les nuages, en s'élevant, laissent voir, au fond du théâtre, le temple de l'immortalité, au milieu duquel est placé le buste de Napoléon. Tous s'empressent de le couvrir de lauriers. Des paysans et des jeunes filles forment des danses auprès du temple.

UNE FEMME.
De la bonté des Dieux nous recevons ce gage ;
O Roi ! de tes sujets justement adoré,
Un jour, du monde entier tu seras révéré,
Et nos derniers neveux te rendront leurs hommages.
De tes nobles travaux
Telle est la récompense.
O toi ! digne Héros,
Dont s'honore la France.

CHOEUR.

De tes nobles travaux, etc.

CORYPHÉES.
Dans tes vastes projets,
Toujours grand, toujours juste,
Tu vas rendre aux Français
Le beau siècle d'Auguste.

CHOEUR.
Dans tes vastes projets, etc.

CHOEUR GÉNÉRAL.
Veillez sur notre appui,
Dieux ! dont il est l'image ;
Et conservez en lui
Votre plus bel ouvrage.
Daus ses vastes projets,
Toujours grand, toujours juste,
Il va rendre aux Français
Le beau siècle d'Auguste.

UN HOMME.
Si ton bras s'arme encor, c'est pour punir l'Anglais.
L'univers t'a chargé du soin de sa vengeance ;
C'est de toi qu'il attend le plus grand des bienfaits :
Le repos et l'indépendance.
Assez et trop longtemps par le tyran des mers,
O Nantes ! tu fus outragée ;
Libérateur de l'univers,
Napoléon l'ordonne et tu seras vengée !!

DEUX MILITAIRES ET DEUX MARINS.
Du Grand Napoléon secondons le génie.
Des despotes des mers souffrir la tyrannie !
O nous ! les descendants des Duguay, des Jean-Bart,
Jusqu'au sein d'Albion, frappons le léopard.

UN SEUL.
Frappons, exterminons un ennemi perfide,
Le cri des nations nous servira de guide ;
Qu'il fasse pour nous fuir des efforts superflus ...
Bientôt que l'oeil le cherche et ne le trouve plus !

CHOEUR GÉNÉRAL.
Du Grand Napoléon, etc.

La scène se terminait par un ballet analogue au sujet.

Toute d'actualité, cette scène perdait nécessairement son intérêt au départ de l'Empereur; cependant, elle fut demandée et jouée bien des fois après, et provoqua toujours de vifs applaudissements.

Rentré dans son Palais, Napoléon se remit au travail avec son secrétaire habituel, M. Maret. Le rapport que ce dernier avait préparé sur les affaires d'Espagne fut lu et retouché. Napoléon y attachait beaucoup d'importance, et il entrait naturellement dans ses vues d'atténuer l'effet que devait produire la funeste affaire de Baylen.

Au moment de son départ de Bayonne, Napoléon avait eu l'intention de comprendre Rennes parmi les villes qu'il devait visiter. Cette intention avait même été signifiée à la vieille cité bretonne qui s'était empressée d'organiser ses préparatifs et avait, elle aussi, formé une garde d'honneur.

Mais les événements d'Espagne étaient survenus, et Napoléon, qui désirait rentrer à Paris, avait supprimé Rennes de son itinéraire.

Toutefois, cette garde d’honneur désira être présentée à l'Empereur, et elle fit à cet effet le voyage de Nantes. Le Maire et le Conseil municipal de Rennes se joignirent à elle, et la présentation eut lieu le 11 au matin.

Une députation de la Cour d'appel de Rennes fut également admise ensuite à l'audience de Sa Majesté.

En réponse aux discours qui lui furent adressés, l'Empereur exprima le regret que les circonstances ne lui permissent pas, dans ce moment, de visiter Rennes, mais ajouta qu'il espérait pouvoir s'en dédommager bientôt.

Ce fut aussi dans la matinée du 11 que furent admis près de l'Empereur, les députés au corps législatif pour le département de la Loire-Inférieure :
MM. Gedouin, procureur impérial au Tribunal de Nantes.
Dufeu, conseiller de Préfecture.
Kervégan, négociant.
De Talhouet, maire de Soudan.

L'Empereur leur annonça que, sous peu, ils allaient être appelés à Paris ; que des affaires importantes nécessitaient la réunion des Chambres, et qu'il comptait toujours sur leur patriotisme pour seconder l'action de son Gouvernement.

Nos députés protestèrent naturellement de leur zèle et exprimèrent à l'Empereur tout le bonheur qu'ils éprouvaient de son passage à Nantes, puisque ce séjour donnait à Sa Majesté l'occasion de connaître les sentiments de dévouement pour sa personne qui animaient notre brave population. Napoléon répéta alors ce qu'il avait dit au Maire « qu’il était en effet flatté de la réception qu'il avait reçue à Nantes, et qu'il en conserverait un bien bon souvenir ».

Un instant après, le duc de Frioul remettait à M. Bertrand-Geslin, au nom de l'Empereur, une boîte d’or, enrichie de diamants et ornée du chiffre impérial. Le général Duroc était en même temps chargé d'exprimer au Maire de Nantes toute la satisfaction de Sa Majesté.

Cependant, le départ de Napoléon était fixé pour une heure, et toutes les mesures avaient été prises par avance. Cinquante-six chevaux vigoureux avaient été choisis pour ce service, et déjà les voitures s'attelaient.

A midi, la garde d'honneur et la garde impériale se rangèrent en bataille sur la place Joséphine.

En tête, et près du Palais impérial se trouvaient aussi rangés quarante hommes, beaux, bien faits et dans le costume le plus pittoresque. C'était une députation des paludiers de Batz et de Guérande qui venaient aussi saluer l'Empereur.

M. Meresse, maire de Guérande, avait eu la pensée de cette députation et avait espéré qu'elle eût pu être présentée à Napoléon ; mais le préfet, M. Decelles, accueillit cette demande par un refus, et tout ce que M. Meresse put obtenir, c'est que sa députation serait ainsi rangée sur le passage de Sa Majesté.

Ce refus de M. Decelles surprit et fut généralement blâmé. Napoléon, en effet, n'eût pas manqué d'accueillir avec intérêt ces paludiers, qui, fidèles au souvenir de leur antique nationalité, en ont conservé le costume, les usages, et qui, par leur figure, leur taille, leur caractère, rappellent toujours leur vieille origine.

L'Empereur ignorait ce qui s'était passé à leur sujet. Vigoureusement salué à son passage par ces hommes, dont le costume lui était inconnu, il demanda quelques renseignements à M. Maret, qui lui expliqua tout. Napoléon témoigna alors son regret de n'avoir pas vu de plus près ces types de notre ancienne Bretagne, et protesta que le Préfet s'était grandement trompé sur ses dispositions.

A une heure, Leurs Majestés montaient dans la même voiture et prenaient la route de Paris, sous l'escorte de la cavalerie nantaise. Le Maire, le Conseil municipal, le Préfet, les avaient précédés et les attendaient aux limites de la commune. L'Empereur s'y arrêta ; d'une voix émue, M. Bertrand-Geslin, interprète des sentiments de ses concitoyens, renouvela à Sa Majesté l'assurance du dévouement de la ville de Nantes, qui n'oublierait jamais l'honneur qu'elle venait de recevoir.

Napoléon, touché lui-même, remercia M. Bertrand-Geslin, et, d’un air satisfait et de manière à être entendu de tout le corps municipal, il le chargea d'assurer à ses administrés qu'il était content de sa bonne ville de Nantes et sensible à l’accueil qu'il y avait reçu.

Une partie, de la garde d'honneur à cheval avait été échelonnée par détachements jusqu'à Ingrande. Cette garde fit ainsi le service d'escorte jusqu'aux limites du département. M. Deurbroucq, excellent cavalier, se tint constamment à la droite de la voiture impériale.

L'Empereur s'arrêta quelques instants au château de Serrent, où des rafraîchissements lui furent servis ; il arriva à Angers à neuf heures du soir ; il en repartit le 12, s'arrêta le 13 à Tours, et le 14, à quatre heures de l'après-midi, il arrivait à Saint-Cloud.

Ainsi, le passage de Napoléon à Nantes n'était plus qu'un souvenir, mais ce souvenir devait être profond et durable. Pendant longtemps, ce fut dans notre ville le sujet de tous les entretiens. Peu à peu sans doute, le temps emporta ceux qui y avaient figuré comme acteurs ou comme témoins ; en outre, les vicissitudes politiques, les changements qui s'opérèrent successivement dans la forme du Gouvernement, en comprimant, en modifiant l'opinion, eurent nécessairement pour effet d'en détourner l'attention. Mais néanmoins, ce souvenir s'est conservé, s'est perpétué, et en dehors même des contemporains qui survivent encore, notre population sait toujours le passage de Napoléon à Nantes en 1808, et l'enthousiasme qu'il fit naître.

Chez Napoléon, ce souvenir se conserva pareillement : en bien des occasions, il se plut à rappeler et à dire l'impression que lui avait faite sa réception à Nantes. Cette impression même était telle, qu'après le désastre de Waterloo et sa seconde abdication, il eut un instant le dessein de se rendre à Nantes, afin d'y trouver une occasion de s'embarquer pour les Etats-Unis. Qui peut dire ce qui fût arrivé, si Napoléon eût suivi cette bonne inspiration ?...

Mais au livre des destinées, il en était écrit autrement.

Nous avons déjà vu que l'Empereur avait donné la décoration de la Légion-d'Honneur à M. Drouin, vénérable doyen des négociants de Nantes ; en quittant notre ville, Sa Majesté accorda la même distinction au préfet, M. Decelles, et à M. Bertrand-Geslin.

M. Deurbroucq, chancelier de la 12ème cohorte de la Légion-d'Honneur, était déjà officier de cette légion. Il reçut, comme M. Bertrand-Geslin, une boîte en or, ornée du chiffre de Napoléon et enrichie de diamants. Cette boite lui fut également remise par le grand-maréchal du Palais, duc de Frioul, au nom de l'Empereur et en témoignage de la satisfaction que lui avait donnée la garde d'honneur.

M. Roux, chef des mouvements maritimes, et qui avait accompagné l'Empereur à Paimbœuf, reçut également comme marque de souvenir, une bague en diamants. Enfin, l'Empereur fit donner une gratification de 3.000 fr. à l'équipage du yacht qui l'avait conduit à Paimbœuf.

Les indigents, les manufacturiers, dont les circonstances paralysaient l'industrie, les établissements de bienfaisance, reçurent aussi des dons considérables que le Maire et la Chambre de Commerce furent chargés de répartir. Ces dons furent pareillement remis par le duc de Frioul, comme marque d'estime de Sa Majesté pour la ville de Nantes.

Quelques faveurs particulières furent aussi accordées.

M. Huet de Coetlisan, secrétaire-général de la Préfecture, fut entre autres nommé sous-préfet à Bazas. On prétendit toutefois que ce changement fut provoqué par l'influence plutôt hostile que bienveillante du préfet Decelles.

Le 12 août, le Maire fit paraître la proclamation suivante :

« NANTAIS,
Vous avez honoré la nation bretonne ; vous avez célébré dignement le séjour de votre Empereur. Son coeur a pris part à vos fêtes ; il a apprécié la sincérité de vos hommages ; il en a remarqué l'unanimité, et la confiance glorieuse qu'il vous a témoignée en se mêlant parmi vous, en est le prix flatteur.

Nantais, Napoléon le Grand me charge de vous dire qu'il est content de sa bonne ville de Nantes, qu'il est sensible à l'accueil qu'il y a reçu.

De nombreux bienfaits sont promis à votre cité ; plusieurs de vos concitoyens ont reçu des preuves de la munificence et de la bonté de Leurs Majestés impériales et royales ; vos magistrats sont honorés de leurs dons ; de fortes sommes sont accordées à la classe indigente ; d'autres plus considérables à l'industrie malheureuse ; d'autres à vos établissements de secours publics.

Vos voeux et vos efforts se sont réunis sans exception, pour marquer l'époque la plus glorieuse et la plus fortunée pour votre ville. La récompense en sera générale, et déjà vous avez joui de celle qui vous était la plus douce, de celle qui pouvait seule payer votre amour, dans la satisfaction de votre incomparable Empereur.

Nantais, je viens de voir le plus beau jour que puisse compter un administrateur. Votre immense population n'a pas donné le moindre exemple de désordre, n'a pas présenté le moindre excès repréhensible ; le plus léger accident n'a pas troublé votre joie ; ce témignage que j'ai tant de plaisir à vous rendre, honore vos sentiments, fait l'éloge de l'esprit qui vous anime et commande toute ma reconnaissance ».

Ainsi que le constate cette proclamation et que le prouve du reste l'événement, un double résultat avait été obtenu par le séjour de Napoléon à Nantes. Sa présence avait certainement réuni dans un sentiment commun les opinions diverses, devenues sans doute moins ardentes, mais qui subsistaient encore, et l'esprit national s'en trouvait ravivé, fortifié.

D'un autre côté, et ce résultat avait peut-être encore plus d'importance, certaines préventions que l'on avait cherché à inspirer au chef de l'Etat et à son gouvernement, se trouvaient complètement dissipées.

A cette époque, en effet, un assez grand nombre de déserteurs existait dans notre département, et ces déserteurs, parfois réunis en bandes, tenaient alors tête aux gendarmes chargés de les poursuivre. Des rencontres avaient ainsi eu lieu, et parfois même, le sang avait coulé. Un certain esprit d'indépendence, résultat de cette longue guerre civile que nos campagnes avaient soutenue, un attachement peu raisonné, mais vif, mais profond pour leurs champs et leurs foyers, la crainte des dangers d'une guerre lointaine, dangers souvent grossis par la malveillance, l'influence enfin de l'ancien esprit de parti qui vivait toujours, surtout dans les campagnes, telles étaient les principales causes de cette insoumission à la loi de la conscription. Chaque année, au moment fixé pour le départ, un certain nombre manquaient à l'appel, et se lançaient dés lors dans la vie errante et agitée du réfractaire.

Ce n'était certainement point là une insurrection qui pût mettre en danger la tranquillité du pays, mais c'était parfois le sujet de quelques inquiétudes ; c'était en tous cas une plaie que l'on avait un intérêt réel à guérir. Aussi, le Gouvernement agissait-il à cet effet avec une certaine vigueur, et la gendarmerie, quelques troupes mêmes, parcouraient la campagne et avaient la mission de se livrer de la manière la plus active à la recherche des déserteurs. Il n'était pas, du reste, facile de les saisir, car on les craignait, on les cachait, et malgré la rigueur de la loi, on se serait bien gardé de les trahir.

Disons-le aussi avec vérité, à cette époque, la loi de conscription pesait bien lourdement sur la population de la France. Nous pouvons en citer une preuve qui donnera une juste idée de son effet.

Au commencement de 1808, un recensement de la population de Nantes eut lieu. Ce dénombrement donna le résultat suivant :
Population effective : 67.553 individus.
Militaires aux armées : 6.607 individus.
Marins au service : 3.196 individus.
TOTAL : 77.356 individus.
Cette population municipale de 67.553 individus, présentait :
29.681 hommes.
37.872 femmes.

Ainsi, sur une population virile de 39.484 individus,
29.681 formaient la population sédentaire, composée surtout des hommes mariés, vieillards, enfants, infirmes.
9.803 soit le 1/4, ou, pour mieux dire, à peu près toute la population valide était aux armées.
TOTAL, 39.484 individus.

Il faut l'avouer, en présence de pareils chiffres, on est bien forcé de reconnaitre que la gloire militaire a sans doute un éclat qui peut séduire, mais qu'en réalité, elle coûte cher aux nations.

Mais alors, le prestige de cette gloire enivrait toutes les têtes, et l'on croyait même devoir se montrer fier des sacrifices que l'on s'imposait. Cet état de recensement que nous venons de reproduire et qui nous paraît aujourd'hui si affligeant, porte en marge, comme un titre d'honneur, ces mots écrits à l'encre rouge :

« Mis sous les yeux du Chef du Gouvernement, à son passage à Nantes, le 9 août 1808 ».

Quoi qu'il en soit, de cet état réel de rébellion et des rapports du Préfet, deux choses étaient résultées : des mesures de plus en plus sévères avaient été prises contre les réfractaires, leurs familles et ceux qui pouvaient leur donner asile, et une espèce de défaveur, de prévention même, s'était élevée dans l'esprit du Gouvernement contre tout notre pays.

M. Decelles, en effet, soit qu'il fût de bonne foi dans les craintes qu'il manifestait, soit que plutôt il voulût mettre son zèle en évidence, semblait se préoccuper vivement de cette situation que, dans toutes ses dépêches, il peignait au Gouvernement sous les plus sombres couleurs.

Aussi le ministre de la police, Fouché, avait-il paru s'inquiéter un peu du voyage de Napoléon à Nantes, et avait même cherché à l'en détourner. Sa Majesté, qui avait une grande confiance dans M. de Fermont, conseiller d'état, lui avait parlé de ces inquiétudes du ministre Fouché, et M. de Fermont, qui connaissait parfaitement le pays, les avait énergiquement combattues. L'événement prouva que M. de Fermont avait pleinement raison, et Sa Majesté, à son retour à Paris, saisit l'occasion de le lui dire.

Cependant, le Ministre avait cru devoir prendre quelques mesures, et l'on ne peut l'en blâmer, car sa responsabilité lui en faisait un devoir. Des instructions détaillées, qui devaient être sévèrement remplies, furent données à la police locale. Nous n'entrerons évidemment dans aucun détail à cet égard. Cependant, pour prouver le peu de confiance que l'on avait dans notre esprit public, nous citerons cette lettre du Préfet au Maire, en date des premiers jours d'août :

« Le Ministre de l'intérieur me fait demande de quelques renseignements sur le personnel des officiers et des soldats de la garde d'honneur établie à Nantes, à l'occasion du passage de Sa Majesté. Pour les lui donner aussi étendus que le désire Son Excellence, j'ai besoin de connaître les règlements faits pour son organisation et la liste des individus qui en font partie.

Je vous prie donc, Monsieur le Maire, de m'envoyer, dans le plus court délai possible, une copie de la liste et des règlements, et dans le cas où ils auraient été imprimés, de m'en faire remettre deux exemplaires ».

Il eût été très facile à M. Decelles de se procurer les pièces qu'il désirait, sans être obligé de dire au Maire l'usage qu'il en voulait faire ; cela même, évidemment, eût été plus convenable. Si donc M. Bertrand-Geslin s'empressa de satisfaire à la demande du Préfet, tout, donne à penser qu'il fut blessé, tout au moins, de sa forme.

On sent ce sentiment percer dans cette lettre du 15 août, que M. Bertrand-Geslin crut devoir écrire à M. Decelles. Cette lettre n'apprenait certainement rien au Préfet, mais d'un bout à l'autre ; elle semble être une réponse et un reproche à cette espèce de soupçon, qu'il avait aussi injustement que maladroitement laissé apercevoir.

« Monsieur le Préfet,
Vous savez combien les Nantais aspiraient au moment où Sa Majesté impériale aurait comblé leurs voeux par sa présence dans leur ville. Aujourd'hui, Nantes ne se trouve plus dans le cas d'une exception affligeante. Elle s'enorgueillit d'avoir possédé dans son enceinte le héros du siècle et du monde, avec son auguste compagne.

Vous avez été comme moi, monsieur le Préfet, témoin des événements qui ont signalé le séjour parmi nous de Sa Majesté impériale. — Chaque pas, chaque parole, ont été de sa part une faveur pour la commune que j'ai l'honneur d'administrer, ou un bienfait, une grâce pour les particuliers qui ont imploré sa protection.

Vous avez été témoin également de la manière obligeante dont Sa Majesté a accueilli la garde d'honneur que je lui ai présentée et les fêtes qui lui ont été offertes par sa bonne ville de Nantes.

Pendant le séjour de Leurs Majestés, les habitants de toutes les classes ont manifesté une joie qui tenait de l'enthousiasme ; le peuple s'est porté en foule sur leur passage ; vous avez sans doute remarqué que l'affluence était prodigieuse quand l'Empereur est sorti pour visiter les édifices et les établissements publics ; quand il est revenu de Paimbœuf, la foule était également immense.

Malgré la faiblesse de mes ressources, je n'ai rien negligé pour l'amusement public et l'exercice de la police pendant les deux jours de présence dont Leurs Majestés ont honoré notre ville. Des comestibles ont été distribués au peuple, et des danses ont été établies sur la plupart des places.

Qu'un événement aussi heureux ait produit sur nos coeurs une pareille sensation, c'est à quoi l'on devait s'attendre ; mais que, dans une grande ville dont la population s'est spontanément augmentée de moitié, un seul accident ne soit venu altérer un instant la joie publique, c'est ce qui a vraiment lieu d'étonner.

Telle est cependant l'exacte vérité. — Aussi, puis-je vous assurer, monsieur le Préfet, que le passage à Nantes de Leurs Majestés n'a laissé dans toutes les âmes que des souvenirs délicieux, et j'éprouve une bien douce satisfaction, en pensant que j'ai été assez heureux dans mes mesures de surveillance, pour empêcher qu'une aussi grande époque pour les Nantais, n'ait été ternie par quelques désordres ou quelques calamités ».

Ce ton de triomphe n'était point ordinaire à M. Bertrand-Geslin ; mais, dans cette circonstance, il voulut évidemment faire ressortir le bon esprit de notre population, et en même temps faire sentir au Préfet que l'action municipale avait largement suffi pour remplir le but proposé.

M. Decelles, il faut le dire, avait en effet une certaine vanité qui contrastait grandement avec le caractère franc et ouvert de nos administrateurs municipaux. En toute occasion, il voulait dominer et se mettre en évidence.

Il en donna une preuve, à l'occasion de la réception de l'Empereur, mais aussi sa prétention exagérée reçut la leçon qu'elle méritait. Il s'était partout assigné le principal rôle et avait même voulu être le premier à recevoir Napoléon à son entrée dans la commune. M. Bertrand-Geslin s'y opposa très-nettement et fit observer avec autant de fermeté que de raison, que si le droit du Préfet était de recevoir l'Empereur aux limites du département, celui du Maire était de recevoir Sa Majesté à son entrée dans la ville. M. Decelles insista, mais il avait affaire à un homme qui connaissait les prérogatives du premier magistrat de la cité et qui avait toute l'énergie de caractère pour les maintenir. M. Bertrand-Geslin dit que, sur une pareille question, il en appellerait à l'Empereur lui-même. M. Decelles discuta longtemps et pourtant finit par céder ; mais ce conflit eut du retentissement, et sa popularité, qui déjà n'était pas grande, ne s'en augmenta pas.

Ses instructions aux Maires du département furent également, en cette occasion, minutieuses et hautaines ; il leur dictait leur conduite de la manière la plus impérieuse et ne laissait absolument rien à leur spontanéité.

Il n'en agit pas même autrement vis-à-vis des personnes que n'avaient à remplir que des devoirs de pure bienfaisance.

En adressant aux administrateurs des hospices l'invitation que recevaient de lui tous ceux qui devaient être présentés à l'Empereur, il terminait sa lettre par cet avertissement tout au moins déplacé : « Il faut s'interdire toute exagération des besoins, et presenter la situation fidèle des services ».

Etonnés d'une pareille injonction, les administrateurs des hospices crurent devoir faire observer au Préfet, qu'il semblait leur prêter une intention qu'ils n'avaient jamais eue ; qu'ils avaient à faire de l'état des hospices un tableau assez triste, sans qu'il fut nécessaire de l'exagérer, qu'enfin pareil avertissement, inutile au fond, avait dans la forme quelque chose qui portait atteinte à leur indépendance.

Bien que juste, cette observation des Administrateurs des hospices dénotait peut-être un peu de susceptibilité de leur part, mais aussi la réponse du Préfet mérite d'être connue.

Au lieu d'une explication qui eût pu tout concilier, il se borna à leur écrire : « Mes paroles et les expressions signées de moi, sont toujours les mêmes ; il n'y aurait qu'un sot capable de parler dans un sens et d'écrire dans un autre ».

Il faut avouer que c'était là un singulier style.

Napoléon, du reste, connaissait bien M. Decelles ; et s'il savait apprécier son zèle, il savait aussi combien peu ses manières répondaient au besoin de conciliation si nécessaire alors, et notamment dans notre pays. Au commencement de 1811, M. Decelles, alla occuper la Préfecture du Zuyderzée, et l'excellent baron Jan Van Styrum fut appelé à la Préfecture de la Loire-Inférieure où il devait laisser la réputation d'un homme de bien et la mémoire la plus honorée.

Ainsi donc, le séjour à Nantes de Napoléon, en le mettant à même d'apprécier le véritable esprit de notre population, fit cesser aussitôt d'injustes préventions, et l'on put remarquer qu'à partir de cette époque, les rapports du Gouvernement avec nos contrées perdirent ce caractère de défiance qui n'avait que trop existé jusque-là.

Comme on a pu le voir, la commune n'avait rien épargné pour donner à cette réception de l'Empereur tout l'éclat, toute la pompe qu'il était possible de déployer. En agissant ainsi, on ne s'était sans doute que bien faiblement préoccupé du crédit de 60.000 fr. voté par le Conseil municipal ; mais l’on sait qu'en pareille circonstance, l'hésitation n'est pas même permise. Il faut faire, bien faire, et faire vite ; et, dans ces conditions, on dépense naturellement, forcément beaucoup. Aussi quand l'Administration eut pu recueillir tous les mémoires primitifs, supplémentaires, complémentaires, il se trouva que le total laissait bien loin en arrière le chiffre de 60.000 fr., et, qu'en définitive, il s'élevait à la somme de 100.490 fr. 35 c., se décomposant comme suit :
Monuments élevés en l'honneur de Sa Majesté : 19.976 fr. 38 c.
Dépenses de la garde d’honneur : 15.815 fr. 77 c.
Illumination des édifices publics : 4.700 fr. 76 c.
Fête au cirque : 22.339 fr. 27 c.
Distribution de comestibles : 3.202 fr.
Ameublement du Palais impérial : 18.716 fr. 24 c.
Feu d'artifice, illumination des Cours : 6.636 fr. 80 c.
Armement de la garde nationale, service d'artillerie et divertissements publics : 9.103 fr. 13 c.
Total : 100.490 fr. 35 c.

La dépense était faite ; il fallait bien l'acquitter, et le budget de 1809 dut en supporter la charge.

Après le départ de l'Empereur, le Public exprima le désir de pouvoir visiter les appartements qu'avaient occupés Leurs Majestés. Le Maire et le Préfet s'empressèrent d'acquiescer à ce désir. On s'y porta en foule, et l'affluence fut telle que le dernier jour on força les portes, malgré les sentinelles qu'on y avait placées. Chacun ainsi put admirer la richesse et l'élégance de cet ameublement, dû à M. Deloynes, tapissier, sous la direction de M. Ogée, architecte du département.

Avant de clore ce travail, nous croyons devoir donner encore quelques détails sur ce qui suivit le départ de l'Empereur, et notamment sur le résultat des voeux exprimés par le Conseil municipal.

M. Bertrand-Geslin, nommé, comme nous l'avons dit, chevalier de la Légion-d'Honneur, fut reçu solennellement le 26 septembre suivant par le général Dufour. Notre ville entière applaudit à cette distinction donnée à son Maire, qui avait toute son estime et toutes ses sympathies.

Au mois de février 1810, M. Bertrand-Geslin fut nommé par l'Empereur président du Collége électoral de la Loire-Inférieure. En cette qualité, il se rendit à Paris à la tête d'une députation.
Le 15 août suivant, il reçut le titre de baron de L'Empire.

En 1813, M. Bertrand-Geslin, dont la santé se trouvait momentanément altérée, donna sa démission de Maire. Avant de quitter ses fonctions, il voulut résumer dans un tableau les faits et les travaux les plus importants de son administration. Ou lit ainsi aux registres de la Mairie, à la date du 21 avril 1813 :

« Le Maire de la ville de Nantes, baron de l'Empire, chevalier de la Légion-d'Honneur, au moment de cesser ses fonctions administratives, désirant réunir dans un seul cadre l'état de tous les travaux publics entrepris ou terminés pendant les huit années de son administration, afin de servir de renseignements authentiques dans l'histoire de Nantes, arrête ledit état, suivant les époques progressives des différentes entreprises, depuis le 1er janvier 1805 jusqu'à ce jour, ainsi qu'il suit :
1° Plantation du cours Saint-André.
2° Plantation de la chaussée de Barbin.
3° Reconstruction du pont Maudit.
4° Construction de la Poissonnerie, à l'extrémité Est de l'île Feydeau.
5° Construction de la Morgue.
6° Construction du pont des Petits-Murs.
7° Etablissement de la Bibliothèque publique de la ville dans le palais Marchand.
8° Achat et établissement d'un Muséum d'histoire naturelle.
9° Achat du Musée de MM. Cacault, de Clisson, composé de tableaux, sculptures et gravures.
10° Etablissement et construction du Lycée impérial, dans les ci-devant couvents des Ursulines et du Séminaire.
11° Achat et établissement du Temple du culte réformé.
12° Plantation du Port-Maillard, depuis la rue de ce nom jusqu'à Richebourg.
13° Etablissement de la rue Bouchardon et débouché de cette rue sur la place du Bon-Pasteur.
14° Ouverture de la rue Napoléon.
15° Grosses réparations et clôture du cimetière de Miséricorde.
16° Achèvement de l'hôtel de la Bourse.
17° Grosses réparations au Parc aux Fumiers.
18° Pavage des chemins vicinaux et communaux de Saint-Herblain et de Couëron à Nantes, et du chemin du Douet-Garnier.
19° Plantation du cours Napoléon, ci-devant terrain des Capucins.
20° Plantation de quelques parties de la Fosse, non encore plantées.
21° Pavage de la chaussée de Barbin.
22° Etablissement de la grande salle de spectacle.
23° Clôture de la cour de l'Hôtel-de-Ville.
24° Etablissement d'une Ecole gratuite de dessin.
Lequel état nous avons clos et arrêté ce jour, pour être inscrit sur le registre de nos arrêtés, aux fins énoncées ci-dessus »
.

En 1814, lorsque la patrie semblait en danger, M. Bertrand-Geslin n'hésita pas à accepter le commandement de notre garde urbaine, appelée à un service actif.

Le retour de Napoléon en France, en 1815, fut suivi de la démission de l'Administration municipale qui siégeait alors. Toutes les opinions firent de nouveau appel au patriotisrne de M. Bertrand-Geslin, qui consentit a reprendre les fonctions de Maire.

Peu de temps après, il fut nommé officier de la Légion-d'Honneur.

Au mois de juillet suivant, il dut quitter de nouveau ses fonctions administratives, et se retira dans l'une de ses terres, dans le département de la Sarthe. Nommé Maire, de la Fléche en 1830, il conserva ses fonctions jusqu'en mai 1835, époque à laquelle son état de santé le força à se retirer.

En 1832, il avait été élu membre du Conseil général de la Sarthe.

Enfin, après avoir rempli de hautes fonctions, l'ancien Maire de Nantes, toujours bon citoyen et simple conseiller municipal de son village, mourut au Luc, lieu de sa naissance, le 6 octobre 1843, dans sa 74ème année, laissant une mémoire qui, certainement, ne périra pas.

M. Deurbroucq, nommé membre du Corps législatif en décembre 1809, reçut, en février 1810, le ruban de commandeur de la Légion-d'Honneur. A la Restauration, il quitta la vie politique, pour s'occuper d'agriculture. Il est mort vers 1835.

Le général Normand, détenu depuis quatre ans comme impliqué dans l'affaire du général Moreau, lorsque l'Empereur lui accorda sa grâce, reprit aussitôt du service, après la carrière la plus brillante et la plus honorable, il mourut à Wilna, le 13 janvier 1813, des suites de ses blessures.

Après le passage de l'Empereur, la question s'éleva si les gardes d'honneur pouvaient continuer à se rassembler et à porter leur uniforme et leurs marques distinctives.

Le Ministre de l'intérieur, consulté à cet égard, trancha la question par la négative. Dans sa dépêche du 15 septembre, il disait que : « les corps, auxquels l'Empereur avait permis de se former, pour donner aux habitants de chaque ville une occasion d'approcher de sa personne et de lui montrer son attachement, n'avaient d'autre destination que celle pour laquelle ils avaient été institués, et qu'ainsi leur existence finissait avec la circonstance qui y avait donné lieu ».

Chaque garde reçut du reste un brevet, délivré par le Maire et également signé des chefs du corps. Ce brevet était accompagné, d'une lettre du Maire, dans laquelle ce magistrat, au nom de la commune, félicitait celui à qui elle était adressée, du service qu'il avait fait près de la personne de Sa Majesté, et en même temps lui témoignait sa satisfaction pour son zèle et sa conduite dans ces glorieuses fonctions.

Le Corps municipal tout entier voulut aussi donner à la garde d'honneur un dernier témoignage de sympathique affection. Le 23 août, il lui offrit un banquet dans l'enceinte même du cirque du Chapeau-Rouge. Les principales autorités y assistaient, et parmi elles Monseigneur Duvoisin, qui avait voulu s'associer à cette manifestation à l'adresse de nos braves jeunes gens.

Une gaîté de bon aloi présida ir ce banquet où des toasts à leurs Majestés provoquèrent les élans les plus patriotiques.

Enfin, comme dernier souvenir à notre garde nantaise, nous dirons qu'une épée d'honneur fut remise à M. Demonti Saint-Pern, lieutenant-colonel et commandant de la garde à pied.

M. Demonti, par la bonté de son caractère et la franche simplicité de ses manières, avait su se concilier l'estime et l'affection de tous ses frères d'armes, placés sous ses ordres. D'un mouvement spontané ils décidèrent de lui offrir une épée, en souvenir de son commandement.

Le 25 octobre ils se réunirent et se présentèrent chez M. Demonti. M. de la Jarriette, quartier-maître, trésorier général du corps, lui offrit cette épée, en lui adressant quelques paroles bien senties de félicitation et de remerciement. M. Demonti fut vivement touché de cette démarche, et, les larmes aux yeux, il serra avec effusion la main de M. de la Jarriette et des membres de la députation, en leur disant combien il était heureux et reconnaissant du témoignage honorable qu'il recevait de ses anciens frères d'armes.

La famille de M. Demonti peut être fière de conserver cette épée, témoignage d'une confiance justement méritée, car alors, comme en toutes circonstances, M. Demonti sut ajouter à la noblesse de son nom le mérite des vertus d'un bon citoyen.

Nous avons vu que le décret du 11 août autorisait la ville de Nantes à reconstruire la salle du Grand-Théâtre et à contracter à cet effet un emprunt de 400.000 fr.

La commune ne perdit point de temps pour mettre à profit ce décret ; cependant, les travaux ne purent commencer que dans les premiers mois de 1811, et ce ne fut qu'a la fin de 1812 que la salle actuelle put être inaugurée. Les pièces d'ouverture furent Aline, reine de Golconde et Maison à vendre.

Ce fut aussi en 1812, le 15 aout, que fut ouverte la Bourse, bâtie sur les plans de M. Mathurin Crucy, et que nous possédons aujourd'hui. L'administration municipale avait convié à cette cérémonie toutes nos autorités ; le commerce en foule s'y pressait aussi.

M. Bertrand-Geslin prononça un discours où, suivant les nécessités et l'habitude de l'époque, les allusions aux événements politiques du jour tenaient la plus forte-place. Enfin, après avoir proclamé les succès de nos armées et avoir tracé le tableau des résultats que l'on pouvait en attendre, il terminait ainsi :

« Mais à quoi ont tendu vingt années de constance, de sacrifices et de triomphe ? A la prospérité de notre patrie. A qui est réservé d'assurer le résultat final du plan le plus vaste et le mieux conduit qu'ait jamais enfanté le génie ?

Au commerce.
Oui, Messieurs les négociants, c'est à vous qu'il appartient de fixer le complément des succès inouïs de nos armées et des vues sublimes de leur chef incomparable. Vous ne tarderez pas à être appelés à remplir cette tâche glorieuse ; pénétrez-vous de bonne heure de son importance.

S'il m'était permis de vous donner des conseils, pour ce grand avenir, je vous présenterais pour modèle à vous-mêmes ; je vous rappellerais les temps où la Loire suffisait à peine pour porter les trésors dont votre active industrie enrichissait la France et par lesquels vous saviez pourvoir aux besoins des peuples que séparent les mers ; ces temps où votre modération et votre loyauté fondaient votre opulence et la rendaient si respectable ; où la seule parole d'un négociant nantais cimentait les opérations les plus importantes, et avait la force religieuse des contrats ; où la richesse, fruit d'un long et utile travail, se conservait par les vertus qui l'avaient acquise, où l'infortune honnête voyait voler au devant d'elle les secours de l'estime et de la bienveillance. Pour être dignes de votre avenir et répondre aux intentions du chef auguste de l'État, négociants de Nantes, vous n'aurez besoin que de ressembler à vos pères et à vous-mêmes ».

Comme président de la Chambre de Commerce, M Delaville répondit au Maire de Nantes.

Dans ce discours, M. Delaville traça de la manière la plus heureuse les devoirs du commerçant, pour qui la probité, la fidélité à ses engagements sont des obligations dont il ne doit jamais s'écarter ; il flétrit en termes aussi justes qu'énergiques les opérations qui manquent d'aliment, ou ne reposent que sur des éventualités hasardeuses ; enfin il fit ressortir les soins continuels qu'un véritable négociant doit donner à ses affaires et les connaissances qui lui sont indispensables pour diriger utilement son commerce.

Ce discours, écrit de conviction, d'une grande justesse d'idées et prononcé par un homme qui jouissait de la plus haute estime, produisit un grand effet et fut couvert d'applaudissements, auxquels se mêlèrent les cris de vive l'Empereur !

Un peintre distingué, M. F. Sablet, avait été chargé de reproduire divers épisodes du séjour de Napoléon à Nantes. Ces tableaux, destinés à la décoration de la Bourse, étaient déjà en place, et à un signal donné, les toiles qui les couvraient tombèrent, et l'on put alors juger de l'heureuse inspiration du peintre et de l'admirable effet de son travail.

Ces tableaux, peints en grisaille et imitant le bas-relief, donnaient le portrait fidèle et ressemblant des personnages qui avaient figuré dans les scènes reproduites, et chacun pouvait aisément les reconnaître.

Le premier tableau était l'entrée de Napoléon à Nantes.

Le second reproduisait la réception des autorités par l'Empereur dans le salon de l'hôtel d'Aux.

Dans le troisième, MM. Bertrand-Geslin, maire, et Crucy, architecte, présentaient à l'Empereur le plan de la Bourse.

Le quatrième rappelait la scène qui s'était produite au Lycée. Mme Normand demandant et obtenant la grâce de son mari.

Dans le cinquième, Napoléon, à qui M. Kervégan donnait la main, s'embarquait, pour Paimbœuf dans le yacht offert par le commerce.

Dans le sixième enfin, l'Empereur, visitant la ville, était sur la place Graslin et montrait la salle de spectacle, dont il ordonnait la reconstruction.

Ces tableaux ornèrent, ainsi la grande salle de la Bourse jusqu'en 1814. A la rentrée des Bourbons, ordre fut donné de les faire disparaître. En 1815, ils furent momentanément rétablis mais bientôt on dut les enlever de nouveau pour les soustraire à la destruction qui les attendait On nous a dit qu'ils furent alors expédiés aux Etats-Unis.

Mais les premiers croquis de ces grisailles existent encore, et l'on pourrait facilement s'en servir pour la composition d'un nouveau travail. Pourquoi ne rétablirait-on pas aujourd'hui ces tableaux, qui rappelaient un événement mémorable dans nos fastes nantais et notamment l'origine de la construction de la Bourse ? Pour nous, nous en exprimons le voeu et souhaitons que ce voeu soit entendu.

En 1818, l'ancienne Monnaie et les ignobles baraques que obstruaient le quai du Bouffay disparurent, et en 1819, l'ouverture complète de nos quais put avoir lieu. Ce fut sans contredit l'un des plus utiles travaux de l'époque et qui contribua le plus à l'embellissement de notre ville.

Jusqu'en 1831, le Bouffay continua à servir de prison, et en même temps de palais de justice. Les prisons actuelles furent construites en 1830, et sitôt leur achèvement, celles du Bouffay furent évacuées. Le vieux bâtiment du Bouffay, incommode à tous les points de vue pour l'usage auquel il était destiné, et qui n'était plus réellement qu'une ruine, continua cependant encore quelque temps à recevoir les tribunaux ; mais enfin, ils purent bientôt s'établir dans le nouvel Hôtel des Monnaies, propriété communale que le département loua à cet effet. Ils y demeurèrent jusqu'en 1852, époque à laquelle ils vinrent s'installer au Palais de Justice actuel. En 1848, la vieille tours du Bouffay fut abattue, et le bâtiment lui-même, qui datait du Xème siècle, disparut complètement en 1849.

Lors du passage de l'Empereur Napoléon à Nantes, l'Hôtel-de-Ville n'était point dans les conditions actuelles. De vieilles maisons le cernaient, notamment du côté de la rue St-Léonard. Par suite du décret du 11 août, des acquisitions furent faites, l'aile gauche fut rétablie, la cour fut régularisée et clôturée d'une grille ; plus tard enfin, sous la mairie de M. Dufou, en 1816, la porte d'entrée fut érigée. Seulement, l'isolement demandé en 1808, est jusqu'ici resté incomplet.

La reconstruction de l'Hôtel-Dieu !!

En 1808, nos administrateurs municipaux disaient, comme nous l'avons vu, à l'Empereur : « que l'hôpital était caduc et condamné, et il y a plus de soixante ans que sa reconstruction était nécessaire ... ».

Et cependant, cet hospice, depuis si longtemps dans d'aussi mauvaises conditions, dure et sert encore !

Mais enfin, cette question de reconstruction de notre hospice a reçu une solution.

En 1834, le vieil hospice du Sanitat, qui datait de 1582, disparut. L'achèvement de notre bel Hospice général permit alors d'y déverser : les vieillards indigents, infirmes, incurables des deux sexes ; les orphelins pauvres, les enfants trouvés et abandonnés ; les enfants de familles indigentes, orphelins de père ou de mère ; des vieillards, des infirmes, à titre de pensionnaires ; enfin, les aliénés indigents des deux sexes de la Loire-Inférieure, quelques aliénés indigents d'autres départements et des aliénés pensionnaires.

L'Hôtel-Dieu conserva ainsi presque uniquement le service des malades. Bien des fois, la pensée de reconstruction de ce vieil édifice se fit jour au sein du Conseil de la commune, mais toujours quelques empêchements surgissaient ; la question de dépenses surtout arrêtait. Enfin, en 1842, la question fut franchement abordée, et, après bien des phases diverses, elle fut tranchée en 1850.

Malgré le désir exprimé en 1808, notre ville est restée depuis sans fontaines publiques. Ce besoin, il est vrai, a été en quelque sorte satisfait par l'établissement du service d'eau en 1856. La création d'une fontaine monumentale sur la place Royale a de plus été votée et s'exécutera sans doute. Mais cela-est-il suffisant ? Nous ne le pensons pas, et nous nous rallions encore au voeu de 1808, pour que quelques fontaines soient établies sur diverses de nos places publiques.

En 1809, le pont des Petits-Murs fut construit sur l'Erdre, mais ce pont ne fut jamais achevé. Cependant il servit pendant plusieur années, et un droit de péage y était établi. Mais bientôt il fut condamné et détruit par suite de son défaut de construction.

Depuis lors, le pont de l'Ecluse l'a remplacé.

Cependant, un projet existe, suivant lequel le pont des Petits-Murs reparaîtrait à la même place ou à peu près où il existait d'abord. C'est la création de la rue de l'Hôtel-de-Ville, qui, partant de la place Saint-Pierre, dans l'axe de la Cathédrale, couperait la vieille ville, longerait l'hôtel de la Mairie, traverserait l'Erdre, en reliant ainsi les anciens et les nouveaux quartiers. Ce projet a été arrêté par plusieurs délibérations du Conseil municipal, mais quand et comment s'exécutera-t-il ? Malgré son incontestable, on ne peut le dire, car c'est là une grosse question d'argent.

Nous avons cru devoir ainsi jeter un coup-d'oeil sur les principales questions soulevées dans le rapport municipal de 1808, afin d'en faire connaître la solution. Cela nous a paru un complément nécessaire de notre travail ; car, ne l'oublions point, cette solution dont nous jouissons aujourd'hui, est due principalement à l'initiative de nos administrateurs de 1808, secondée par la présente et le bon vouloir de Napoléon.

L'Empereur, avons-nous dit, avait été content de l'accueil qu'il avait reçu à Nantes. En témoignage de cette satisfaction, au mois de décembre suivant, il fit don à notre ville de son buste en bronze par Vivant Denon, membre de l'institut, d'après le modèle de Chaudet. Le 2 décembre, jour commémoratif du couronnement impérial et de la bataille d'Austerlitz, ce buste fut inauguré avec beaucoup de solennité, dans la grande salle de l'Hôtel-de-Ville. Mais il ne devait pas y figurer longtemps. Quelques années plus tard (ingratitude et aveuglement des partis !) ce buste devait être brisé sur les dalles mêmes de la cour de l’Hôtel-de-Ville.

Nous avons dit en commençant que le passage à Nantes de l'Empereur Napoléon avait été un véritable événement. L’on peut voir, par les résultats qu'il produisit, que notre assertion se trouve pleinement justifiée. Aussi, le sentiment qu'éprouvait notre ville était-il justement exprimé par ces vers de M. Latour, professeur au Lycée :

Heu ! dilectus abit ! Pinget quoe musa dolores,
Urbs afflicta, tuos ? quoe medicina malis ?
Nullum solamen superest, nisi pectore fixa
Munera, spes reditûs, illius atque salus.

Ce voyage de l'Empereur s'était fait, du reste, dans un moment heureusement choisi. La paix obtenue récemment, bien que partielle, laissait aux esprits un peu de repos ; l'avenir semblait s'éclaircir, et l'on aimait à se flatter que cette paix pourrait se généraliser et devenir définitive ; c'était réellement un moment de grandeur et d'espoir.

Mais ces espérances ne devaient durer qu'un instant.

L'affront de Baylen devait être effacé et la guerre d'Espagne poussée avec vigueur. D'un autre côté, l'attitude de l'Autriche devenait de plus en plus menaçante, et il paraissait évident que là aussi une nouvelle lutte allait s'engager. A peine arrivé à Paris, l'Empereur s'empressa de réunir les Chambres et de les saisir de ces graves questions. Le 11 septembre, parut un décret que appelait sous les drapeaux une nouvelle levée de 160.000 hommes, et dans cette levée était comprise pour 80.000 hommes la classe de 1810, composée de jeunes gens qui comptaient à peine dix-huit ans.

La France épuisait ainsi ses forces, — mais la victoire continuait à couronner ses nobles efforts, et le terme de ses jours de gloire n'était pas encore venu.

Cependant, ces jours étaient comptés, et le moment arriva où, accablée plutôt que vaincue par les efforts de l'Europe entière, elle dut succomber...

Mais ne réveillons pas ces tristes souvenirs ... La France s'est relevée ; aujourd'hui elle est grande, elle est forte, et elle présentera toujours comme un de ses plus beaux titres d'honneur et de gloire, le nom et le règne de Napoléon le Grand.

(M. J.-C. RENOUL).

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