Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

LES PETITES ÉCOLES DE NANTES

  Retour page d'accueil       Retour " Instruction Primaire à Nantes"   

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Pour faire l'histoire complète de l'instruction primaire à Nantes, il faudrait posséder assez de documents pour remonter jusqu'à l'origine de la constitution du Chapitre épiscopal et à l'organisation des solennités du culte. Dès que les évêques ont voulu régler l'ordre et l'harmonie dans la célébration des offices de leur église, ils ont été amenés à s'occuper de l'éducation des jeunes choristes destinés à mêler leur voix à celle des chanoines et des clercs. Une cathédrale sans école de chant et de lecture eût été regardée comme un édifice incomplet.

La dignité de chantre, toujours conférée à un chanoine, n'avait dans ses attributions que la haute surveillance du choeur : les fonctions de maître de chapelle et d'écolâtre étaient laissées à son inférieur le sous-chantre (succentor) dont l'office, suivant un acte de 1469, était l'un des plus anciens qui eussent été institués près de l'église Saint-Pierre [Nota : Officium succentoris de prioribus et antiquioribus ejusdem ecclesie officiis per ipsius ecclesie prelatos fundatum ac auctoritate apostolica confirmatum. (Concordat de 1469. Archives départementales, G 144)]. Dans l'école confiée à sa direction, il enseignait, moyennant salaire, le chant, la musique, l'alphabet, la lecture, les matines et le psautier, et aucun des maîtres de grammaire de la ville ne pouvait lui faire concurrence dans ces sciences élémentaires, sans s'exposer à la réprimande. Son privilège était si exclusif, qu'il pouvait contraindre les enfants de tous les quartiers à se réunir sous sa férule et confisquer les livres partout où il y avait contravention.

Il ne faut pas confondre cette classe élémentaire publique avec la psallette, fondée en 1412, par l'évêque Henri le Barbu : la création de ce prélat, uniquement inspirée par le désir d'assurer le recrutement des enfants de choeur de la cathédrale, était une sorte de petit collège auquel il avait constitué un patrimoine suffisant pour entretenir six écoliers, sous la conduite d'un maître de chant et d'un maître de grammaire [Note : La collégiale de Notre-Dame avait aussi sa psallette - Archives départementales, G 144].

Il existait dans le chapitre de Saint-Pierre un troisième dignitaire, nommé le scholastique qui, lui aussi, exerçait des fonctions pédagogiques. Sa charge lui conférait un droit de haute juridiction sur toutes les écoles de grammaire, il visitait les classes, examinait les livres, interrogeait les maîtres et corrigeait les abus. Le chanoine qui remplissait cet office, en 1351, Eon de Rougé, s'intitulait « mestre-escole » [Note : La collégiale de Notre-Dame avait aussi sa psallette - Archives départementales, E 954]. Pierre Briend se nomme, en 1396, rector scholarum grammaticalium (Histoire de Nantes, de l'abbé Travers, t. I, 457), et Raoul Moreau, qui vivait en 1450, reprend le litre de « mestre-escole » (Titres du Chapitre - Archives départementales, série G).

Les écoles de grammaire de Nantes sont nommées tant de fois dans les actes du XVème siècle qu'on est forcé d'admettre, qu'à cette époque au moins, malgré les troubles de la guerre de Cent ans, elles n'ont pas subi d'éclipse. Geoffroy de Callac, dans son testament de l'année 1400, exprime le voeu que le jour de la célébration de son anniversaire, les maîtres de grammaire et de chant soient convoqués avec leurs enfants pour prier sur sa tombe et il leur alloue à chacun 5 sous d'indemnité (Archives départementales, G 117) ; Jean de la Rive, chanoine de la Collégiale en 1410, veut aussi qu'on distribue 20 sous aux maîtres de grammaire et de chant, afin qu'ils fassent prier leurs écoliers le jour de sa sépulture (Fonds de la collégiale de Notre-Dame. Legs la Rive - Archives départementales, G). Le sous-chantre, en 1469, représente dans un débat que son école est distincte des écoles de grammaire [Note : Scolam ab aliis scolis grammaticalibus distinctam. (Concordat de 1469 – Archives départementales, G 144)] et Guillemin Delaunay, en 1471, laissa un don important pour fonder une nouvelle école du même genre (Archives départementales, série D).

La création de l'Université de Nantes, contre l'attente générale, dérangea l'ordre établi depuis des siècles. Les docteurs régents de cette corporation, quoique chargés spécialement de distribuer l'enseignement supérieur, voulurent étendre la main jusque sur les petites écoles et, sans respect pour les prérogatives du sous-chantre, ils autorisèrent plusieurs maîtres, entre autres Guillaume Ramende, à donner des leçons de chant, de musique, de lecture et de psautier (Concordat de 1469 – Archives départementales, G 144). Le sous-chantre, lésé dans ses intérêts autant que dans ses privilèges, porta plainte naturellement à qui de droit, et appela ses concurrents devant la juridiction de l'officialité pour répondre sur le grief d'usurpation. Le procès eut sans doute traîné en longueur si le Chapitre de Saint-Pierre, saisi du débat, ne s'était prononcé en faveur d'une transaction. Le 27 décembre 1467, en présence du procureur général de l'Université et des délégués de chaque Faculté, il fut convenu que dorénavant il n'y aurait à Nantes qu'une seule école élémentaire dans laquelle on enseignerait avec le chant et la musique le psautier, les matines et l'alphabet ; qu'elle serait dirigée par deux maîtres dont l'un serait à la nomination du sous-chantre et l'autre institué par l'Université, et que tous deux seraient révocables par les mêmes autorités. L'acte portait également que le recteur de l'Université et le chantre de la cathédrale seraient les arbitres de tous les différends et que l'accord serait soumis à la double approbation de l'Evêque et du Pape (Archives départementales, G 144).

Ce que nous savons sur la tenue des petites écoles au XVIème siècle, se réduit à très peu de chose : les délibérations du conseil des bourgeois attestent seulement que la Ville versait des aumônes aux religieuses de Sainte-Claire, à la condition qu'elles recevraient, dans leurs maisons, les jeunes filles de la ville et des faubourgs, comme de coutume, afin « de les endoctriner et leur apprendre leurs créances et heures » (Archives de la mairie, BB3).

Au siècle suivant, les filles eurent certainement des maîtresses nombreuses à leur disposition, car les femmes de dévouement n'ont pas manqué à cette époque ; outre l'école gratuite ouverte dès 1630 (Fonds du Chapitre, G), au couvent des Ursulines, on cite la demoiselle Boufart. Son biographe  raconte qu'avant d'entrer au couvent des Visitandines, c'est-à-dire dans la période comprise entre 1634 et 1664, elle se livrait avec bonheur à l'instruction des petites filles avec l'assistance de l'une de ses nièces (Vie des Saints de Bretagne, de l'abbé Trévaux, t. V, 302). Quant aux garçon ?, je puis citer un de leurs professeurs qui avait beaucoup plus de connaissances qu'il n'en fallait pour tenir une école primaire : c'est M. de la Noue, maître ès-arts, auteur de deux traités, l'un sur l'arithmétique, l'autre sur l'art de découvrir les faux en écriture [Note : L'art de vérifier où sont enseignés les véritables moyens de découvrir les faussetés des écritures et la manière d'en faire de bons rapports par la théorie pratique et circonstance, par M. de la Noue, maître es-arts et d'écriture, auteur de l'arithmétique nouvellement abrégée et vérificateur ordinaire des écritures suspectes. Nantes, 1681, P. Querro, 1 vol. in-32. Ce petit volume rarissime est dans la bibliothèque de M. Boismen, architecte]. A défaut de documents explicites sur celle époque, nous invoquerons l'ordonnance de police de 1634, qui rappelle aux instituteurs de la jeunesse les conditions auxquelles ils sont obligés de satisfaire avant d'enseigner le programme de leurs leçons ; il est évident que si le maire a pris soin de publier des défenses, c'est qu'on voyait poindre des écoles nouvelles dans divers quartiers (Privilèges de l'Université, p. 10).

Au XVIIIème siècle, les renseignements abondent et nous montrent toutes les paroisses pourvues d'écoles. De toutes les maisons fondées alors, celle qui rendit le plus de services à la cause de l'instruction populaire, ce fut l'établissement créé par Mlle de la Bourdonnaie de Bras. C'est elle qui eut la première pensée de l'association des dames de Saint-Charles, qui en posa les bases et qui en assura l'existence par un don de 12.000 livres. Son but était de recueillir des jeunes filles orphelines ou pauvres, de leur montrer à lire et à écrire gratuitement, ou à travailler à l'aiguille, d'instruire les nouvelles converties et de former des gardes malades pour les campagnes. Dès que l'Evêque et le Gouverneur eurent connaissance de ses projets, ils s'empressèrent d'y applaudir ; les officiers municipaux lui accordèrent aussi, en 1704, l'autorisation nécessaire, à la condition que la nouvelle école serait établie dans les faubourgs (Délibérations du 17 février 1704 – Archives de la mairie, BB). Le procureur du Roi au siège présidial seul, souleva des difficultés en invoquant les défenses de la déclaration de 1666, et son opposition ne cessa que devant un ordre du Roi. Le ministre de Torcy, le 9 mai 1712, lui fit connaître les volontés royales dans les termes suivants : « La supérieure des écoles de charité de la ville de Nantes a demandé qu'il plust au Roi de faire cesser le trouble que vous lui faisiez, qui retardoit le fruit que le public reçoit de cet établissement. Sur le compte que j'en ai rendu à Sa Majesté, elle m'a ordonné de vous écrire que ce qui se faisoit à Nantes, pour l'éducation des jeunes filles, ne devant point être regardé comme un établissement de communauté, il n'y avoit rien de contraire à la déclaration de 1666 et que son intention étoit que vous fissiez cesser les poursuites que vous aviez commencées  » (Liasse Saint-Charles – Archives départementales, D). En effet, l'association des dames charitables de Saint-Charles se composait de personnes de bonne volonté qui n'étaient liées par aucun voeu et qui, par conséquent, ne pouvaient être assimilées aux membres d'une communauté religieuse. L'année 1704, que j'ai citée plus haut, n'est pas celle des débuts de l'oeuvre entreprise par Mlle. de la Bourdonnaie, comme on pourrait le croire ; il est dit dans un avis du gouverneur de Bretagne, daté de 1747, que les écoles charitables existent depuis 60 ans ; il faut donc supposer que cette institution n'est pas de beaucoup postérieure à la révocation de l'Edit de Nantes, qui est d'octobre 1685. Les filles des nouveaux convertis ont été sans doute les premières élèves qu'on s'est proposé d'instruire.

Après avoir débuté modestement, les dames de Saint-Charles achetèrent, en 1729, la tenue de Bloinville, située près du bourg de Saint-Donatien, dans l'emplacement qu'occupe aujourd'hui le Grand Séminaire. La ruelle de Saint-Charles marque toujours leur résidence dans ce quartier. En 1755, la maison étant insuffisante pour contenir les pensionnaires et les externes ainsi que les demoiselles gouvernantes, on fit l'acquisition de la tenue voisine, dépendante de la chapellenie du Puy-Percé (Liasse Saint-Charles – Archives départementales, D). Les vendeurs constatent, dans les considérants du contrat, que « l'établissement fait de grands progrès par la bonne éducation et les saintes instructions que les jeunes filles, de tout âge et de toute condition, y reçoivent ».

Le zèle de ces institutrices s'étendait bien au-delà des quartiers de Saint-Clément et de Saint-Donatien. Les dames de charité de la paroisse de Saint-Nicolas, voyant avec quel succès elles gouvernaient les enfants, les attirèrent de leur côté en leur donnant la somme de 2.276 livres, à la condition qu'elles entretiendraient deux écoles et qu'elles auraient au moins trente filles pauvres. L'acte est du 2 décembre 1729. La même année, au 20 décembre, la dame Le Guay, veuve Brodu, leur laissa aussi une somme de 3.000 livres pour favoriser ce projet et doter aussi une fille de famille qui voudrait se consacrer à l'enseignement dans leur maison (Liasse Saint-Charles – Archives départementales, D). Telle est l'origine des écoles charitables de Sainte-Marie établies près de la place Bretagne, qui, pendant plus de 50 ans, furent l'asile des filles du peuple dans la paroisse Saint-Nicolas. En 1787, par un motif qui nous est inconnu, les dames de Saint-Charles résilièrent leur traité avec le général de cette paroisse, et comme elles étaient dans l'impossibilité de restituer les capitaux versés entre leurs mains, elles souscrivirent l'engagement de servir une rente de 263 livres. Le recteur de Saint-Nicolas les remplaça par la demoiselle Corbaux, supérieure de la maison de convalescence fondée sur la motte Saint-Nicolas, en faveur des filles qui sortaient de l'Hôtel-Dieu. Elle fut installée le 26 octobre 1788 avec l'assentiment des marguilliers, qui se réservaient un droit d'inspection sur cette école (Registre de la maison de convalescence - Archives de l'Hôtel-Dieu).

En se retirant des écoles de Sainte-Marie, les dames de Saint-Charles n'avaient sans doute qu'un but : celui de se consacrer plus spécialement à la prospérité de leur maison centrale de Saint-Donatien. Dans les lettres patentes de confirmation, que le Roi leur octroya au mois de février 1782, on lit : qu'elles donnaient leurs leçons à plus de 400 jeunes filles et soulageaient aussi les malades (Livre des mandements LVIII, f° 40 - Archives départementales, D). Ce chiffre est certainement exagéré, il est réduit de moitié dans un autre document, néanmoins il est encore considérable. Lorsque la supérieure, Mlle. Letort, répondit en 1792 au questionnaire adressé par le district de Nantes, elle déclara que l'école contenait seulement 70 filles. « Il y en aurait plus de 200, ajoute-t-elle, si des menées qui vous sont connues ne détournaient des parents trop simples d'envoyer leurs enfants prendre les leçons de personnes qui se sont fait connaître par leur attachement à la Constitution » (Carton instruction, Archives départementales, L ; Inventaires de titres, Archives départementales, série Q). Le personnel enseignant se composait, à la même époque, d'une assistante et de onze soeurs.

Chez les Ursulines, outre le pensionnat de 70 élèves réservé pour les familles riches, il existait un local spécial dans lequel les soeurs recevaient ordinairement de 120 à 150 jeunes filles, et qu'on nommait l'école gratuite : c'est un fait consigné dans la déclaration de la supérieure, que les commissaires de la Nation insérèrent dans leur procès-verbal de 1790 (Inventaires de meubles et de titres - Archives départementales, série Q). Chaque quartier comptait alors deux et trois écoles de filles, quelquefois plus, comme la paroisse Saint-Saturnin, qui en déclare cinq en 1780. Nous pourrions les citer toutes si les brevets des recteurs du temps nous étaient parvenus ; la collection de ces documents est malheureusement incomplète ; ce qui est rapporté par quelques recteurs nous permettra cependant de suppléer par induction à ce qui nous manque et de dresser, à peu de chose près, la statistique des maîtres de cette époque. « A l'égard des petites écoles de garçons et de filles, il y en a en si grand nombre, dit le curé de Saint-Nicolas en 1780, qu'il serait comme impossible d'en faire ici le détail exact. Dans plusieurs de ces écoles, plusieurs écoliers des deux sexes y sont mêlés sous prétexte que les garçons ou les filles sont encore trop jeunes pour qu'on puisse en appréhender quelques inconvénients » (Brevets des recteurs – Archives départementales, G 56).

Dans la petite paroisse Saint-Vincent, Louise-Marie Jaulain, était institutrice des filles, dans celle de Sainte-Radégonde, c'était la Dlle. Colin, dans celle de Saint-Similien, c'était les Dlle. Melet et Loyan. Il est à présumer que les paroisses de Saint-Clément, de Saint-Donatien, de Sainte-Croix, de Saint-Denis, de Saint-Jean et de Saint-Léonard, avaient au moins chacune leur école de filles : en admettant un minimum de douze écoles de filles pour la ville de Nantes, on ne dépassera certainement pas les limites de la vraisemblance (Archives départementales, G 56).

A l'égard des écoles de garçons, je suis parvenu à recueillir quelques détails assez précis. Au commencement du XVIIIème siècle l'institut du frère Jean-Baptiste de la Salle n'était connu à Nantes que par la renommée des services qu'il rendait dans les villes de Reims, de Paris et de Rouen, et pourtant les enfants du peuple qui se dépravaient dans l'oisiveté n'étaient pas moins nombreux dans notre ville que dans les autres. La municipalité qui s'était empressée de proscrire la mendicité et le vagabondage en renfermant les fainéants valides dans un hôpital général, où ils étaient forcés de travailler, bornait son action à un rôle répressif, et ne faisait pas le moindre effort pour élever la moralité des indigents en leur offrant des écoles gratuites. Pour les garçons, comme pour les filles, ce fut l'initiative particulière qui prit les mesures commandées par les circonstances et fixa le choix des instituteurs dont la population avait besoin. Un magistrat de la Chambre des Comptes de Bretagne, M. de Barberé, fort de l'appui de quelques amis généreux, acheta, le 27 juillet 1720, une petite maison composée de deux chambres basses, et située près de la chapelle Saint-André, il y installa deux frères des écoles chrétiennes qu'il fit venir de la communauté de Saint-Yon, vers 1722 (Minute de Pelotot, notaire). Il leur procura également, dans l'intérieur de la ville, deux locaux pour tenir la classe, l'un dans la paroisse Saint-Léonard, peuplée d'ouvriers, et l'autre dans la paroisse Saint-Nicolas, où ils se rendaient tous les matins (Archives de la mairie, GG). Lorsque la nouvelle institution fut en plein exercice, ses patrons crurent qu'ils pouvaient la recommander à l'attention du maire et des échevins, avec des chances de succès. La maison de la rue Saint-André étant très caduque, réclamait des réparations dispendieuses. M. de Barberé saisit l'occasion pour demander un secours. La municipalité répondit à sa requête en accordant une gratification de 300 livres, qu'elle renouvela plusieurs fois, à titre éventuel, sans se lier par aucun engagement. Elle considérait l'institut des Frères comme une communauté ecclésiastique ordinaire qui aurait l'ambition d'acquérir de nombreux immeubles dans l'intérieur de la ville ; elle ne voulait pas favoriser son développement, de peur de nuire aux intérêts du commerce. La population était si compacte à Nantes, qu'on était réduit alors à contrarier la naissance des créations les plus utiles dans la crainte de manquer d'espace. On était d'ailleurs persuadé, au conseil des bourgeois, que les maîtres des écoles charitables ne manquaient de rien ; qu'ils recevaient de toutes mains, et que leurs protecteurs avaient soin de pourvoir à tous leurs besoins. La subvention fut votée de nouveau en décembre 1737, avec cette réserve habituelle « sans tirer à conséquence ».

Les Frères, qui avaient nourri l'espoir de conserver cette ressource pendant de longues années, rédigèrent une supplique dans laquelle ils représentèrent que l'appui de la ville leur était plus nécessaire que jamais, puisqu'ils étaient six instituteurs au lieu de deux. Le supérieur n'obtenant aucune réponse porta plainte devant l'Intendant et jusque devant le ministre Saint-Florentin avec l'insistance d'un créancier lésé par un débiteur récalcitrant. Instruit de ce qui se passait à Nantes, le Roi fit écrire à la mairie qu'il était surpris de son mauvais vouloir et qu'il lui ordonnait de payer.

Après avoir rétabli le crédit pendant les années 1739 et 1740, les officiers municipaux refusèrent de nouveau leur concours avec la résolution d'attendre encore un ordre de la Cour pour s'exécuter. Le curé de Saint-Nicolas, qui s'était engagé à verser une somme de 150 livres par an, en reconnaissance des leçons données à 250 enfants de sa paroisse, se mettait lui-même en retard, il devait aux Frères les arrérages de 6 années en 1742. Poussé par la détresse, le supérieur exposa sa situation à l'Intendant et au Gouverneur de la province, en demandant qu'on obligeât la ville à continuer ses charités. Le ministre Saint-Florentin intervint en 1745, comme en 1739, demanda des explications et le maire trouva cette fois de si bonnes raisons pour s'excuser, qu'il vit cesser toute tentative de pression [Note : Registre des délibérations. (Archives de la mairie, BB) — Voir aussi Ecoles, série GG (Archives d'Ille-et-Vilaine, C 1317)].

Les officiers municipaux ne pardonnèrent pas facilement aux Frères les instances qu'ils avaient faites pour leur forcer la main, et la contrainte à laquelle ils avaient eu recours pour obtenir leur allocation. Quand ceux-ci sollicitèrent la permission de chercher un logement dans l'enceinte de la ville, pour se rapprocher de leurs écoles, de Saint-Léonard et de Saint-Nicolas, ils firent la sourde oreille et demeurèrent inflexibles. Sans l'appui de l'évêque d'alors, M. Turpin de Crissé, les Frères auraient sans doute cédé au découragement, tant était grande la difficulté de trouver alors un local convenable. Le quartier de la Ville-Neuve, en la paroisse Saint-Similien, était le seul où il fut possible de s'établir à proximité des quartiers populeux. On supplia l'Intendant de la province d'intervenir auprès du Roi et du Conseil pour avoir la concession d'un emplacement de ce côté, et après bien des démarches un arrentement de 45 cordes de terrain dans les fossés Mercoeur, entre l'enclos des dames du Calvaire et le cimetière des Protestants, fut obtenu le 26 juin 1742 (Titre de l'évêché – Archives départementales, G 4).

Pour parer aux frais des édifices à construire, les fonds de secours ne manquèrent pas : dans tous les temps les habitants de Nantes se sont portés avec empressement au devant des oeuvres charitables et utiles aux classes laborieuses. Dès 1735, M. de Barberé, le premier protecteur des écoles chrétiennes, avait donné l'exemple de la générosité en leur abandonnant la petite maison de la rue Saint-André (Minutes de l'étude Forget, 1735). Sa donation portait que, dans le cas où les écoles charitables seraient fermées, les revenus de l'immeuble passeraient au profit du bureau de charité de la paroisse Saint-Clément. A l'aide de diverses collectes faites en plusieurs occasions, on avait pu recueillir 3.000 livres qu'on avait envoyées à la maison-mère de Saint-Yon et, malgré cela, on rencontra encore plusieurs personnes disposées à faire des offrandes importantes (Voyez le concordat de 1752, G 4).

Par son testament en date du 26 mars 1746 (Minutes de l'étude Lelou, 1746), l'évêque Turpin de Crissé fit un legs de 2.000 livres, un anonyme remit aux curés de Saint-Jean et de Sainte-Radégonde une somme de 1.000 livres, la marquise de Coëtmadeuc laissa 2.000 livres, la veuve Marchand, Claire Lebreton, légua, le 27 février 1747, 1.000 livres (Minutes de l'étude Lelou, 1746), enfin, en 1749, une personne pieuse, restée inconnue, s'engagea par testament à verser 200 livres de rente pour l'entretien de l'un des maîtres des écoles charitables [Note : Tous ces dons sont énumérés dans le concordat passé avec la communauté de Saint-Yon – Archives départementales, G 4].

Quoique ces legs fussent destinés à favoriser la création d'écoles dans les paroisses de Sainte-Croix et de Saint-Clément, le produit en fut réuni en un seul fonds, qui servit à parfaire les constructions de la rue Mercoeur ou à constituer un avoir à l'établissement nouveau. M. Turpin de Crissé n'eut pas la joie d'assister à l'inauguration de la maison dont il avait posé la première pierre ; ce fut M. Mauclerc de la Musanchère, son successeur et son exécuteur testamentaire, qui installa les Frères dans la demeure édifiée par les aumônes de leurs patrons. La prise de possession eut lieu par mandement épiscopal du 9 février 1751. Il était indispensable de conclure un traité avec l'association des Frères. L'évêque en prépara les bases et le fit rédiger par devant notaires, le 7 juillet 1752 (Minutes des notaires Lelou et Gouais, 1752. — Voir aussi Archives départementales, G 4). En voici les principales clauses : il est stipulé que les Frères jouiront de la maison de la rue Saint-André, que la charité publique leur offre 1.600 livres de rentes constituées, provenant de divers dons anonymes, et qu’en échange, ils entretiendront, sous la surveillance de l'Evêché, six classes gratuites, deux dans la paroisse Saint-Clément, deux dans la paroisse Sainte-Croix, et deux dans la maison de la rue Mercoeur. Ces engagements ne furent pas tenus rigoureusement. Après avoir enseigné dans les trois paroisses indiquées, pendant quelques années, les instituteurs du peuple se renfermèrent dans leur établissement principal. D'après la notice de Brun, de 1765, ils continuaient d'instruire gratuitement, mais ils ne dirigeaient pas d'autres classes que celles de la rue Mercoeur (Nantes ancien, par Dugast-Matifeux, p. 323). Cette dérogation au traité de 1752 ne déplut pas à l'Evêché, puisqu'en 1774 M. Mauclerc de la Musanchère, pour les récompenser de leur zèle et de la bonne éducation qu'ils donnaient à la jeunesse, déclara qu'il leur abandonnait la propriété de l'immeuble qu'ils occupaient (Titres de l'Evêché - Archives départementales, G 4). Le même prélat leur avait également concédé la permission de quêter pour les mettre à l'abri du besoin.

Les ressources que ce casuel leur apportait n'étant pas abondantes, ils se virent obligés de donner une grande extension à leur pensionnat et mirent tout en oeuvre pour attirer chez eux des élèves payants. « C'est une pension plutôt qu'une école gratuite, dit un mémoire contemporain, ils ne reçoivent gratuitement qu'un nombre très limité d'écoliers : il faut se précautionner de bonne heure et employer des protections pour y avoir place. Les augmentations qu'ils ont faites, en différents temps, à leur maison, ont toujours eu pour objet de fournir de nouveaux logements pour des pensionnaires et nullement de rendre leur école gratuite plus vaste ; au contraire, elle s'est resserrée de plus en plus et se resserre tous les jours » (Liasse des écoles - Archives départementales, C).

L'opinion qui dominait alors au Parlement de Rennes n'était pas favorable au développement des établissements de main-morte : vers 1775, le procureur général avertit les Frères qu'ils devaient renoncer à tout accroissement de domaine [Note : Voyez le plan d'éducation nationale, par Caradeuc de la Chalotais : les frères en sont éliminés]. Ceux-ci prirent leur revanche en élevant la portée de leurs leçons et en soignant d'une façon particulière le cours de mathématiques, afin de préparer des jeunes gens aux examens de capitaines de navires. Cet envahissement sur le domaine du cours d'hydrographie leur causa de nouveaux désagréments : le professeur officiel prétendant qu'il était seul en droit d'enseigner, en vertu d'un arrêt de 1767. L'opposition à leur tentative réussit : le 15 octobre 1782, un nouvel arrêt du Parlement défendit aux Frères, comme à tous les maîtres, d'enseigner, en public ou en particulier, l'hydrographie, attendu que ce cours était du ressort exclusif du professeur institué par l'Amiral de France (Liasse des écoles - Archives départementales, C).

L'état de situation remis au district, en 1792, par le frère Josaphat, directeur, est un tableau qui nous représente fidèlement les efforts déployés par la communauté pour édifier un établissement convenable. A l'aide des charité de leurs protecteurs et des bénéfices du pensionnat, ils étaient parvenus à construire une maison de 17 pièces, avec une chapelle, une infirmerie, des caves et greniers. Le réfectoire pouvait contenir 80 personnes, les cinq dortoirs 70 petits lits, et les classes gratuites renfermaient 230 jeunes gens de différents âges. L'enseignement, qui comprenait la lecture, l'écriture et les matières commerciales, était donné par six professeurs assistés de trois Frères novices. « La maison n'a aucune espèce de revenus, dit le rapport, elle se soutient et s'entretient sur les économies qu'elle peut faire sur son pensionnat » (Carton instruction - Archives départementales, L). Le prix de la pension était de 400 livres.

Après l'école gratuite de garçons de la rue Mercoeur, nous ne pouvons en citer qu'une autre à Nantes, celle que le curé de la paroisse Saint-Clément était chargé d'entretenir en vertu d'un legs, dont le donateur n’est pas connu (Déclarations de 1790 - Archives départementales, Q). « Il devrait exister encore beaucoup d'autres écoles charitables à Nantes, très bien fondées et rentées, dit Brun, par d'anciennes familles, mais les fonds font actuellement partie de plusieurs bénéfices » (Notice de 1765. — Nantes ancien, par Dugast-Matifeux, p. 323).

Dans les paroisses dont nous possédons la statistique religieuse, on signale, en 1780, un bon nombre d'écoles de garçons, dont les maîtres vivaient de leur profession. En la paroisse Saint-Vincent, Joseph Kerhervé, maître ès-arts, tenait école à l'hôtel de Briord ; Antoine de Pannard, maître ès-arts, en l'Université de Caen, rue de Verdun (Brevet de Saint-Vincent - Archives départementales, G 56). Le brevet de Saint-Saturnin cite cinq écoles de garçons dans cette paroisse, ouvertes rue des Halles, rue de la Barillerie, rue de la Casserie et rue des Carmes, par un prêtre, un sacriste et trois laïques (Brevet de Saint-Saturnin - Archives départementales, G 56). Au quartier de Saint-Similien, les abbés Brice Le Prévost et Nicolas Fortin instruisaient aussi les garçons, en concurrence avec le sieur Le Pré. Si nous comptons 9 écoles de garçons, en trois paroisses, on nous accordera bien sans difficulté qu'il en existait au moins autant dans les huit autres paroisses de la ville et des faubourgs : c'est donc à un minimum de 18 écoles qu'il faut porter le chiffre des établissements ouverts aux garçons. Il serait intéressant de déterminer à peu près la quantité d'écoliers contenue dans chaque classe, et de savoir, en somme, dans quelles proportions les notions élémentaires étaient répandues, chaque année, dans la population des bourgeois et des ouvriers. Sur ce point, comme sur tant d'autres, nous sommes livrés aux conjectures : c'est-à-dire qu'en fixant à 50 le chiffre des enfants reçus dans chaque école, nous arrivons, en comprenant ceux des Frères, à un total de 1.950 garçons pour une ville contenant 80.000 habitants, en 1790 (L. Maître).

 © Copyright - Tous droits réservés.