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LES QUAIS BRANCAS ET FLESSELLES - LE HALLE AU BLE DE NANTES.

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Ce que l'on a chaque jour sous les yeux est souvent ce que connaît le moins bien.

Cette assertion peut, au premier coup d'oeil, paraître hasardée et quelque peu ridicule, et cependant, dans bien des circonstances, elle est juste et parfaitement vraie.

Elle l'est surtout presque toujours pour tout ce qui concerne les constructions, les monuments, les simples établissements publics de nos villes. Chaque jour on les voit, et l'on sait d'une manière plus ou moins exacte quelle est leur destination actuelle ; mais si vous demandez au plus grand nombre quelles furent la date et la cause de leur origine, le but primitif de leur création, les phases diverses qu'ils ont subies, vous demeurez bientôt convaincu que sur tous ces points l'on est généralement dans l'ignorance la plus complète.

Et cependant nous insistons encore sur ce fait, l'histoire du pays est presque tout entière dans ces monuments. Tantôt de simples besoins de salubrité en provoquèrent la fondation, tantôt ce fut la nécessité d'agrandir, le désir d'embellir la cité ; plus souvent la religion, la charité en furent la cause et le but. La guerre eut ses moyens d'attaque et de défense ses châteaux forts, ses tours crénelées ; la victoire ses trophées, ses arcs de triomphe ; la paix, le commerce, leurs établissements industriels et d'utilité publique. Et il en résulte un fait qui demeure évident, c'est que, rappeler, étudier l'origine de ces fondations, c'est réellement étudier et rappeler les événements principaux de notre histoire. L'on peut dès lors se rendre compte de l'utilité de ces études et de l'intérêt qu'elles peuvent présenter.

On y trouve d'ailleurs les leçons du passé, et ces enseignements d'un autre âge ne sont certainement pas sans offrir des indications précieuses pour le présent et même pour l'avenir. Le véritable amour du bien public, le pur patriotisme, ne datent pas seulement de nos jours ; et dans ces temps que nous semblons parfois un peu dédaigner, nous en trouvons à chaque instant des témoignages que l'on ne peut trop admirer, des exemples que nous devons surtout chercher à imiter. Malheureusement, les documents qui ont trait à ces constructions, bien que soigneusement conservés dans nos archives, sont peu consultés et encore moins connus. Ceux qui ont écrit sur notre histoire locale en ont bien dit parfois quelques mots, mais ces détails succincts et incomplets sont loin de suffire pour faire connaître tout ce qu'il importe de savoir.

C'est pour combler cette lacune que nous avons entrepris de publier quelques notices particulières sur les principaux établissements de notre ville. L'accueil que l'on a bien voulu faire à ces publications nous a prouvé que ce n'était point là un travail sans utilité, et nous nous décidons à les continuer.

Aujourd'hui, nous venons parler de la construction des quais Brancas et Flesselles, qui sont aussi l'un des ornements de notre ville et qui datent encore du XVIIIème siècle.

Ville de Nantes : quais Brancas et Flesselles.

Cette époque est véritablement celle de la rénovation de Nantes. Jusqu'à la fin du XVIIème siècle, enserrée dans son mur d'enceinte, notre ville reste ce que le temps l'a faite, avec ses rues étroites ses maisons sombres et construites pour la plupart en bois. Mais à peine le XVIIIème siècle commence que nos pères sortent de cette indifférente apathie. L'esprit d'initiative d'un seul homme, de Gérard Mellier, exerce une influence immense sur l'opinion publique, et bientôt la population tout entière partage ses idées et seconde ses efforts.

Nous avons déjà eu l'occasion de parler des effets de cette impulsion donnée aux travaux publics par le maire Mellier. A sa mort, ce mouvement semble s'arrêter un instant. Mais l'élan était donné, et dans tout le cours de ce XVIIIème siècle, nous voyons les embellissements de notre ville se continuer pour ainsi dire sans interruption. Les diverses administrations qui se succèdent rivalisent de zèle ; et quand on songe aux résultats réalisés, aux faibles ressources dont on pouvait disposer, aux difficultés qu'il fallut vaincre, on ne peut s'empécher de rendre un juste et légitime hommage au dévoûment constant et éclairé, aux patriotiques efforts de notre édilité nantaise.

Bien que plusieurs fois déjà nous ayons dit ce qu'était Nantes vers 1700, pour l'intelligence du récit que nous allons faire, il est nécessaire que nous ajoutions encore quelques détails.

A cette époque, les limites de la ville étaient, à proprement parler, celles de son mur d'enceinte. Ce mur, partant du Château, gagnait l'entrée de la rue de la Poissonnerie et longeait ensuite la Loire jusqu'aux douves Saint-Nicolas, qui se trouvaient à la place qu'occupe en 1860 le Halle aux Blés. Là, faisant une courbe, ce mur venait traverser notre place Royale actuelle, s'étendait au bas du côteau Saint-Similien jusqu'à la route de Rennes, et de là allait traverser la motte Saint-André, puis celle de Saint-Pierre, pour se relier de nouveau au Château.

Dans tout ce parcours, ce mur d'enceinte n'avait que cinq issues :

La porte de la Poissonnerie, faisant face à la ligne des Ponts.

La porte Saint-Nicolas, s'ouvrant sur la petite place de ce nom, et donnant accès à la Fosse.

La porte Sauvetout, desservant le quartier du Marchix et la route de Vannes.

La porte de Rennes, communiquant à la route de ce nom.

La porte Saint-Pierre, enfin, située à l'entrée de notre rue de l'Évêché actuelle, pour le service de la route de Paris.

Au delà de cette enceinte fortifiée existaient cependant sous le nom de faubourgs, les quartiers de Richebourg, Saint-Clément et de Saint-Donatien, la ligne des Ponts, la Fosse, qui ne s'étendait que jusqu'à la rue de Launay, et le Marchix ; mais ces faubourgs, sauf celui du Marchix, n'avaient qu'un nombre assez limité d'habitations.

Voilà ce qu'était notre belle et grande ville de Nantes, il n'y a encore au début du XVIIIème siècle !
Comme on en peut juger par cette description, aucune voie publique n'existait aux lieux où s'élèvent actuellement nos beaux quais Brancas et Flesselles. Les eaux de la Loire venaient baigner le mur de ville, et pour communiquer au fleuve un seul accès était pratiqué, la porte de la Poterne.

A l'entrée de la rue de la Poissonnerie existaient deux tours ; l'une au Nord, celle de la Poissonnerie, l'autre au Sud, celle de la Prévôté.

A partir de cette dernière tour, le mur d'enceinte, comme nous venons de le dire, s'étendait d'abord jusqu'à l'Erdre ; à ce premier angle, une nouvelle tour, celle du Rateau ; de l'autre côté de l'Erdre, autre tour, celle de Sainte-Catherine. Puis, à la rencontre des douves Saint-Nicolas, la tour Barbacane, et un peu plus loin, celle du Connétable.

Ces tours dataient de 1472. Celles qui suivaient et défendaient la porte Saint-Nicolas, remontaient à 1227.

Si maintenant dans ce périmètre s'étendant de la rue de la Poissonnerie aux douves Saint-Nicolas nous pénétrons à l'intérieur du mur de ville, nous trouvons la rue de la Blaiterie, suivant une direction parallèle au mur et venant déboucher dans la rue de la Poissonnerie. Cette rue n'était point celle qui porte aujourd'hui ce nom ; elle disparut complètement lors de la confection des quais.

De l'autre côté de l'Erdre, égalemeut en arrière du mur, se trouvait la chapelle Sainte-Catherine, ayant façade sur une place du même nom. Ces emplacements sont également occupés maintenant par les maisons du quai Brancas.

Cet état de choses, il est facile de le reconnaître, présentait de graves inconvénients et surtout de très grandes difficultés pour la circulation. Pour aller, par exemple, des Ponts à la Fosse, même au Port-au-Vin, il fallait passer par la porte de la Poissonnerie, traverser toute la ville et gagner la porte Saint-Nicolas.

De plus, les fossés Saint-Nicolas, qui, comme nous l'avons dit, débouchaient d'un côté dans la Loire, et de l’autre communiquaient à l'Erdre, à l'endroit que nous appelons aujourd'hui l'Abreuvoir, recevaient le dépôt des immondices, étaient un foyer d'infection et une cause permanente d'insalubrité.

Enfin, le fleuve qui avait pour limite, d'un côté, le mur de Ville, et de l'autre, la grève de la Saulzaie, se comblait de graviers et devenait, dans ce canal, d'une navigation de plus en plus difficile.

Ces divers inconvénients étaient le sujet de plaintes nombreuses. Aussi, attentif à tout ce qui pouvait avoir un but d'utilité, Mellier conçut-il le dessein d'y porter remède. Avec son coup d'oeil si juste, il jugea qu'en rétrécissant le fleuve, on en rendrait le courant plus rapide et que l'on réussirait ainsi à le débarrasser des sables qui l'obstruaient. Mais un résultat plus important encore à obtenir de cette mesure, était que l'on pourrait utiliser le terrain gagné sur le fleuve pour ouvrir une voie de communication de la porte de la Poissonnerie au Port-au-Vin.

En 1727, il communiqua ses idées à cet égard à M. Delafond, ingénieur en chef du Roi à Nantes, et le chargea de dresser un plan de ce projet. Ce plan fut bientôt établi, et le 18 juillet de la même année, il était soumis à l'Administration. Un mémoire que M. Delafond présenta à l'appui de son plan en faisait ressortir l'utilité et les heureux effets que l'on pouvait en attendre.

Voici, au surplus, ce que proposait M. Delafond. En avant du mur d'enceinte, d'environ 15 toises, il serait construit un mur de quai en forte maçonnerie, depuis le pont de la Poissonnerie jusqu'au pont de l'Ile-Feydeau alors en construction. Le terre-plein ainsi obtenu serait employé à peu près cinq toises à servir de voie urbaine, le surplus à construire des maisons appuyées au mur de ville.

Dans la longueur du quai, trois cales devraient être établies pour le service du commerce, et deux ponts dormants jetés l'un sur l'Erdre, l'autre sur les fossés Saint-Nicolas.

Deux nouvelles portes étaient aussi ouvertes dans le mur d'enceinte, l'une à la Poterne, un peu au-dessous de la rue de la Poissonnerie, l'autre donnant accès sur la place Sainte-Catherine. Ces portes étaient destinées à faciliter les communications avec l'intérieur de la ville.

La douve Saint-Nicolas qui, comme nous venons de le dire, ne présentait souvent qu'un cloaque infect, était creusée de manière à être nettoyée chaque jour par le mouvement des eaux du fleuve ; elle était aussi sensiblement rétrécie ; un mur de quai en enlevait une grande partie et laissait libre un certain espace destiné à recevoir soit des constructions, soit de petits jardins.

Les maisons à bâtir sur les quais devaient être composées d'un reg-de-chaussée, d'un étage et d'un grenier en mansarde. Pour plus d'économie, les propriétaires seraient autorisés à bâtir en pans de bois, attendu, disait le rapport, « qu'en cas d'incendie, le feu ne pourrait se communiquer aux maisons du dedans de la ville, à cause du mur d'enceinte qui les mettrait à couvert ».

Tel fut le premier projet de construction de nos quais Brancas et Flesselles, et l'idée, comme on le voit, en appartient tout entière au maire Gérard Mellier.

Le plan de M. Delafond ne fut sans doute point exécuté dans les conditions qu'il stipulait, et il se passa encore un assez grand nombre d'années avant la réalisation du projet telle que nous la voyons aujourd'hui. Mais enfin, dès cette époque, la construction de nos quais était arrêtée, et des circonstances que nous ferons connaître en retardèrent seules l'exécution.

A peine connu, ce projet avait du reste reçu une approbation unanime. Le maréchal duc d'Estrées, alors gouverneur de Bretagne, écrivait lui-même au maire Mellier :

« J'ai reçu la lettre que vous m'avez écrite et par laquelle je vois que M. Delafond a fini le projet de la construction des quais. Vous ferez là une chose très avantageuse et je vous saurai gré d'engager les négociants à contribuer à la dépense de ces ouvrages, conformément au plan qui en est dressé. Vous pouvez les assurer que M. le cardinal de Fleury, M. le Contrôleur général, et M. le comte de Maurepas, chacun en ce qui les concerne, donneront une attention particulière à ces travaux, dont l'importance leur est parfaitement connue. J'y aurai de même toute celle qui dépendra de moi ».

Dans cette lettre, M. le duc d'Estrées faisait allusion au mode proposé par M. Delafond pour assurer l'exécution du projet.

La ville n'avait, en effet, que de bien faibles ressources, et elle était déjà engagée dans d'autres travaux très importants. Il lui eût donc été bien difficile de se soumettre à de nouveaux sacrifices, et cependant il s'agissait là d'une dépense considérable. Mais aussi l'on a pu voir que le plan laissait libre dans toute la longueur des quais projetés un espace d'une assez grande étendue destiné à recevoir des constructions. L'exposition au midi en était heureuse ; et en outre, la vue et le voisinage du fleuve, la grande circulation qui ne pouvait manquer de s'établir sur cette nouvelle voie concouraient à donner à ces emplacements une valeur réelle, en même temps qu'un grand attrait. Il avait donc été arrêté que ces terrains seraient concédés aux personnes qui, par une soumission en règle, s'engageraient à contribuer pour une somme déterminée aux frais d'érection des quais.

Ville de Nantes : quais Brancas et Flesselles.

Cette décision fut très favorablement accueillie, et M. La Broulière, négociant, se présenta aussitôt pour faire à ses frais une assez notable partie des travaux. Il prenait l'engagement de faire exécuter :

1° La partie du quai sur la Loire depuis les douves Saint-Nicolas jusqu'au nouveau pont de l'Ile-Feydeau, ainsi que la cale figurée au plan.

2° Le quai en retour, qui devait longer les fossés, et le pont dormant sur ces fossés, destiné à établir le passage.

Il offrait aussi d'entrer comme souscripteur pour les autres travaux, et de payer au domaine du Roi la somme de 15s de rente féodale, en reconnaissance de sa mouvance.

En échange de ces propositions, il demandait la concession en toute propriété d'un terrain que l'on gagnerait par le rétrécissement de la douve et d'un autre emplacement vague encore, et qui formait l'angle de la place du Port-au-Vin.

Dès ce moment le projet semblait donc déjà avoir des chances assurées de succès. Aussi Mellier, à la date du 23 juillet 1727, s'empressa-t-il de soumettre à la sanction de l'intendant général Feydeau de Brou, et les plans de M. Delafond et la proposition de M. La Broulière elle-même.

« Ces travaux, disait-il, seront utiles au commerce, au transport et à la décharge des denrées ; ils donneront un aspect agréable à la ville ; ils remédieront à cet inconvénient insupportable de n'avoir qu'une seule porte de ville pour communiquer avec la Fosse. Enfin, la nouvelle voie que l'on se propose d'ouvrir, donnera toutes les facilités que peut désirer en cette occasion, sans qu'il en coûte rien ni au Roi, ni à la Communauté, ni au public ».

Il insistait également très vivement pour l'adoption de l'offre de M. La Broulière, qui assurait au projet un commencement d'exécution, et qui, dans sa conviction, ne pouvait manquer d'amener bientôt d'autres soumissions.

Enfin, persuadé par avance de l'adhésion de l'Intendant, il lui soumettait le projet de l'arrêt à obtenir du Conseil.

La réponse de M. Feydeau de Brou fut en effet toute favorable. Seulement, par sa lettre du 29 juillet, il insistait vivement pour que d'autres soumissions fussent immédiatement sollicitées, afin que tous les travaux pussent être commencés et conduits simultanément.

Saisi de cette affaire, le contrôleur général Le Peltier témoigna également de tout l'intérêt qu'il attachait à sa réussite ; il se montra même très disposé à l'appuyer près du Conseil. Cependant, dans sa dépêche du 27 janvier 1728, il faisait diverses observations qui peuvent être ainsi résumés :

Il y avait nécessité, avant de rien entreprendre, d'aviser à ce que tous les travaux se fissent dans les meilleures conditions ; il fallait aussi s'assurer si la soumission de M. La Broulière une fois acceptée, il serait possible de trouver d'autres entrepreneurs pour le complément des travaux, et si l'exécution de cette seule soumission, qui, en réalité, ne produirait aucun résultat, ne serait pas plutôt nuisible que profitable. Avant toute concession, le Contrôleur général jugeait au surplus convenable de consulter les entrepreneurs de l'Ile-Feydeau et les divers propriétaires intéressés, afin de recevoir leurs observations sur le projet qui pouvait être de leur part l'objet de réclamations et même d'oppositions qu'il fallait pouvoir apprécier. Il concluait donc à ce que « l'on communiquât préalablement le plan de M. Delafond et la soumission de M. La Broulière tant aux propriétaires des maisons avoisinant le Port-au-Vin qu'aux entrepreneurs de l'Ile-Feydeau, afin que si les uns ou les autres avaient quelques représentations bien fondées à faire, on pût en être informé avant que l'affaire, fût plus avancée ».

C'était ainsi une enquête qui allait s'ouvrir, et pour en accélérer les résultats, Gérard Mellier rendit une ordonnance à la date du 7 septembre, dans laquelle il enjoignait à tous les intéressés de se présenter sous huitaine à l'Hôtel-de-Ville pour prendre connaissance des plans et soumissions et fournir leurs observations, faute de quoi, il serait passé outre.

On répondit à cet appel, et une réclamation collective portant un certain nombre de signatures fut présentée.

Les opposants objectaient notamment, « que le plan soumis n'était point correct, qu'il présentait des lacunes et des erreurs captieuses de la part du sieur La Broulière, dont la proposition, toute favorable à ses intérets, ne tenait point suffisamment compte de ce qui les touchait eux-mêmes. Les constructions qu'il projetait devaient en effet nuire à leurs propriétés, et les entraîner eux-mêmes dans des frais assez considérables ».

Sur le fond même du projet, ils disaient :

« Dans l'état actuel des choses, les abords du fleuve sont faciles, et grand nombre de bateaux peuvent chaque jour effectuer le débarquement de leurs marchandises à la Poterne ; dans les grandes eaux, au moment des glaces, les bateaux sont en sûreté dans ce canal, abrités qu'ils sont surtout par les tours de la Poissonnerie.

En rétrécissant le canal, on rendra l'accès de ce point beaucoup plus difficile, vu la rapidité du courant ; l'espace manquera au mouvement de la navigation ; déjà même parfois, il y a encombrement ; le pont de la Bourse en construction ajoute à cet état de gêne ; enfin, en temps de glaces, le canal ne présentera plus aucun abri.

Jusqu'ici les fossés Saint-Nicolas, d'une ouverture de 16 toises, offraient pareillement aux bateaux un refuge assuré, mais le projet réduit cette ouverture à 4 toises, diminuée encore par la pile en maçonnerie qui doit soutenir le pont ; l'accès de ces fossés sera ainsi impraticable.

Le nettoiement du canal se fait par les entrepreneurs l'Ile-Feydeau ; ce motif, donné à l'appui du projet, est ainsi sans valeur.

Les travaux projetés suppriment dans les fossés deux cales qui servent d'abreuvoir et sont pour cela fort utiles. L'infection d'ailleurs que l'on attribue à ces douves ne présente aucun danger, puisque les eaux du fleuve y entrent et en sortent chaque jour par les marées.

Enfin, si l'on veut créer à la circulation un nouveau moyen désirable sans doute, il est inutile d'exécuter tous les travaux prévus au plan de M. Delafond ; il suffirait de construire le long du mur d'enceinte un quai de 3 à 4 toises, de la Poterne au Port-au-Vin, et qui se terminerait par un pont de plusieurs arches sur les fossés Saint-Nicolas. Le nouveau pont de la Bourse, en tout cas, remplira le but qu'on se propose, puisqu'il rendra faciles les communications des ponts au quartier de la Fosse ».

Comme on le voit, ces objections n'avaient rien réellement de bien sérieux. Ce n'était là que l'opposition banale de ces gens qui, soumis à de vieilles habitudes, ne voient rien de mieux que ce qui existe, et s'effraient de toute innovation, si heureuse qu'elle soit.

Cette dernière observation ne pouvait s’appliquer aux entrepreneurs de l'Ile-Feydeau ; mais l'établissement de ces nouveaux quais mettait en jeu leurs propres intérêts. Ils venaient en effet d'ouvrir une voie, qui permettait à la circulation de s'établir des ponts à la Fosse, et ils pouvaient avoir de justes motifs de craindre que l'ouverture du quai projeté n'enlevât à leur quartier une bonne part de ce mouvement. Tout semble faire supposer que ce fut là le principal motif de leur opposition au plan de M. Delafond. Eux aussi firent donc paraître un mémoire dans lequel ils attaquaïent le projet avec une certaine vivacité ; mais, en réalité, les motifs d'objection qu'ils mettaient en avant n'étaient guère que la répétiton des doléances sans portée que nous avons déjà fait connaître.

Ce n'était évidemment point une pareille critique qui pouvait faire échouer un projet d'une utilité aussi incontestable. Cependant bien qu'il en reconnût toute l'importance, le contrôleur général Le Peltier, en présence des oppositions qui se produisaient, crut devoir soumettre ce projet à un nouvel examen. Il chargea donc M. Gabriel, premier Ingénieur du Roi, de se rendre à Nantes, de visiter les lieux et de donner son avis sur le plan de M. Delafond.

M. Gabriel n'hésita pas un instant à donner son approbation aux vues principales du projet. Nous croyons devoir donner un extrait de son rapport, car on y voit apparaître pour la première fois la proposition de l'établissement de nos quais dans les conditions de leur construction actuelle.

« Nous étant transporté le 29 du présent mois de septembre sur le Port-au-Vin, accompagné de MM. Charron et Delmas, échevins, de la Blanche-Cottineau, syndic de la Communauté et Delafond, qui a dressé ledit projet, pour examiner la situation des lieux, nous avons reconnu qu'ils sont tels que M. Delafond les a désignés par son plan, et nous estimons que la proposition de rétrécir le canal, entre la ville et l'Ile-Feydeau, ainsi que de l'approfondir, est bonne, et avantageuse au commerce, en ce que son courant, devenant plus rapide, empêchera les attérissements qui s'y font, et entraînera les vases qui se déposent le long du Port-au-Vin et vis-à-vis les quais de la Fosse.

Comme il doit, se former un terre-plein entre le mur d'enceinte de la ville et le mur de quai au moyen de ce rétrécissement du fleuve, il nous a paru plus convenable d'en profiter pour l'augmentation de la ville.

C'est ce qui nous a fait hasarder de proposer la démolition du mur d'enceinte, afin que la largeur de 5 toises prise pour le quai, il reste un terrain convenable pour bâtir des maisons considérables qui aient leur façade sur le quai. Ces maisons pourront faire symétrie avec celles de l'Ile-Feydeau, et former ainsi un beau quartier de la ville.

Nous n'avons pas cru que la démolition de cette enceinte pût porter aucun préjudice à la ville, en ce qu'elle se trouvera également fermée par le mur de quai qui aura le canal de la rivière approfondi pour lui servir de fossés.

Les avantages qu'on retirerait de cette proposition seraient :

1° D'ajouter une belle partie à la ville bordée d'un quai de 160 toises de longueur, sur un même alignement, qui déboucherait d'un côté à la Fosse, de l'autre à la porte de la Poissonnerie.

2° Par ce projet, on donne aux particuliers qui voudront s'engager à construire les murs de quais et de revêtements de cette nouvelle enceinte, 1.243 toises d'emplacements à bâtir.

3° Si Sa Majesté veut bien abandonner à la Communauté de Nantes ou aux particuliers qui se chargeront de la construction des quais, murs de revêtement et ponts, les matériaux qui proviendront de la démolition du mur d'enceinte, ils y en trouveront beaucoup qui pourront servir à la maçonnerie des nouveaux ouvrages, et les décombres de ces démolitions pourront aider au recomblement du terre-plein, ce qui donnera une grande facilité pour l'entreprise ».

Dans la suite de son rapport, M. Gabriel fait observer que si sa proposition n'était pas admise, le projet de M. Delafond ne pourrait pas moins s'exécuter, en donnant à tous les travaux une grande solidité. Il termine toutefois par cette observation

« A l'égard de la proposition de construire en bois les maisons à bâtir sur les emplacements, en dérogeant à l'arrêt du Conseil du 9 décembre 1725, et qui suppose que l'incendie ne pourrait se communiquer à la ville, à cause du mur d'enceinte, nous ne pensons pas qu'on puisse l'admettre. L'exemple de Châteaudun, ou le feu a pris dans le faubourg et s'est communiqué à la ville, prouve qu'un mur, si épais qu'il soit, n'empêche pas, la communication du feu, quand le vent y porte ».

Ainsi M. Gabriel, tout en admettant le projet de M. Delafond, en agrandissait considérablement les bases. On avait d'abord seulement songé à l'utile. M. Gabriel y ajoutait l'agréable, et, comme on le voit dans sa pensée, en face des belles constructions qui se faisaient sur l'Ile-Feydeau, s'élèveraient d'autres constructions régulières qui devaient créer à Nantes un quartier nouveau et du plus riche aspect.

Dans son mémoire, M. Gabriel ne s'occupait du reste que du plan proposé, seule mission qui lui eût été donnée. Quant aux voies et moyens d'exécution, il n'en disait rien. Mais dans sa lettre d'envoi du 28 décembre, il s'en expliquait ainsi confidentiellement avec Mellier :

« J'ajouterai, pour vous, un article que j’ai retranché, de crainte qu'on ne le jugeât concerté entre nous. Je ne croirais pas désavantageux à la Communauté de se charger de l'entreprise. Il y a dans mon projet 1.830 toises d'emplacements à bâtir que la ville pourrait vendre à son profit. Je ne les estime pas moins, suivant l'usage que l'on m'a dit de vendre les places à Nantes, de 150# la toise, ce qui produirait un fond de 275.000 #. Et, comme par ma supputation de la dépense des murs de quais, revêtements, ponts et recreusement, je trouve qu'elle n'excéderait pas 175.000 #, il y aurait 100.000 # de bénéfice pour la Communauté. Il ne lui faudrait pas d'avances de fonds, en ce qu'il y a déjà une partie de plus de 800 toises le long des fossés, que l'on achètera dès ce moment. Quand on ne les vendrait, comme les moindres, à 100 # la toise, que 80.000 #, cela ferait près de la moitié de la dépense, et vous ne bâtiriez des murs de quai qu'à mesure que vous vendriez des emplacements, en faisant de la terre le fossé. L'on m'a dit que c'est ce que comptent faire ceux qui veulent entrer dans cette entreprise ».

L'intervention de M. Gabriel donnait donc à l'affaire un aspect tout nouveau. Non-seulement son projet améliorait d'une manière sensible celui de M. Delafond, mais encore cette dernière ouverture donnait la certitude qu'au point de vue financier l'opération pouvait se faire d'une manière avantageuse à la Communauté.

Le Bureau de Ville et Mellier surtout le comprirent aisément, et dès ce moment ralliés à l'opinion de M. Gabriel, c'est son projet, dont ils se décident à poursuivre l'exécution.

Mais, pour atteindre ce but, un point important était à obtenir, c'était le sacrifice et la démolition du mur d'enceinte. Mellier s'empressa de soumettre au maréchal duc d'Estrées le nouveau plan de M. Gabriel, et appela sa sérieuse attention sur l'opportunité et les avantages de cette démolition. Le Maréchal sembla d'abord goûter les raisons du Maire de Nantes et disposé à appuyer sa demande. Mais des intérêts opposés, certaines influences hostiles ne tardèrent pas à s'agiter près de lui. M. Delafond lui-même, dont le projet se trouvait en quelque sorte écarté, eut la fâcheuse pensée de se mettre en lutte contre le but que poursuivait la Communanté. Bref, le duc d'Estrées sembla bientôt hésiter, ses bonnes dispositions changèrent complètement. Malgré le désir et les efforts du Bureau de Ville, toute solution parut ainsi ajournée.

A cette époque, Mellier était tout entier aux grands travaux qu'il avait entrepris ou provoqués dans notre ville. Les bâtiments de l'Ile-Feydeau s'élevaient ; les cours Saint-Pierre et Saint-André étaient, en pleine exécution ; le quai d'Estrées se construisait, etc., son activité suffisait à tout. Mais ce n'était pas sans une certaine anxiété qu'il voyait s'approcher le moment où il aurait à quitter ses fonctions de Maire. Il eût été heureux de les conserver encore quelques années, afin de pouvoir achever ce qu'il avait si courageusement commencé, et son amour propre, disons mieux, son patriotique dévoûment s'alarmait de voir s'affaiblir l'influence qui lui était si nécessaire, et que lui donnait naturellement sa position de chef de l'Administration.

Dans sa correspondance intime avec l'intendant général de Brou, avec M. Valincour, avec M. Gabriel lui-même, il laisse ouvertement percer ce désir. Voici, à ce sujet, ce que nous trouvons dans une lettre confidentielle que lui adressait M. Gabriel :

« J'ai parlé publiquement de vous à M. le Maréchal, en exaltant toutes les excellentes qualités que vous possédez pour les affaires publiques. Il convient de tout, mais il m'a paru qu'il n'était pas d'accord avec vous sur bien des choses, me disant que vous aviez besoin d'être retenu ; que vous vouliez toujours employer l’autorité et que son dessein était de conserver les droits et les priviléges des villes ».

Ce que disait là le maréchal d'Estrées, sous forme de reproche, était certainement un éloge à donner au Maire de Nantes. Supérieur à tout ce qui l'entourait, animé d'une ardeur aussi vive qu'éclairée pour tout ce que touchait au bien public, Mellier se trouvait, par ces raisons mêmes, souvent contrarié et combattu dans ses vues par une population indifférente et quelquefois même par ceux qui avaient mission de le seconder. Alors sans doute il n'hésitait pas à invoquer le principe d'autorité ; il en usait même au besoin, et c'était chose heureuse, car autrement il n'eût certainement point fait les grandes choses que nous lui devons.

« J'ai constamment à lutter, écrivait-il à M. Gabriel, contre l'apathie qui m'entoure. Nos meilleurs habitants sont effrayés des grands projets, ou du moins ils n'y pensent pas et je suis forcé de les entraîner par une volonté qui, dans leur propre intérêt, doit toujours être ferme et persistante. Les travaux que vous avez considérés n'eussent jamais été faits, si mes opérations dans ce genre ne se fussent succédé les unes aux autres, à commencer depuis 20 années que je me suis mélé des ouvrages publics en cette ville ».

Cette préoccupation d’améliorer, d'embellir la cité était incesante chez Mellier et s'étendait à tout. Qu'on en juge par ce seul fait.

Des maisons avaient été incendiées sur la Fosse et sur la place du Bouffay, et pour une cause ou pour une autre les propriétaires laissaient subsister ces ruines et ne rebâtissaient pas. Il sollicita et obtint, à la date du 20 juillet 1728, un arrêt du Conseil, qui mettait en demeure ces propriétaires de reconstruire leurs maisons dans le délai de six mois, faute de quoi l'Administration était autorisée à procéder elle-même pour leur compte à l'adjudication des emplacements, à la charge aux acquéreurs d'élever immédiatement des constructions.

L'intendant général de Brou savait, du reste, apprécier la haute capacité de Mellier, et ce fut surtout à ses instances que le bon Maire de Nantes fut maintenu dans ses fonctions.

Cependant, la Communauté, d'accord avec M. Gabriel, travaillait activement à lever les obstacles qui venaient s'opposer à l'exécution de nos quais. L'intendant de Brou agissait de son côté dans le même sens, mais à Paris les objections ne cessaient de se succéder. Pour l'instant, le projet de M. Gabriel semblait mis à l'écart, et la question de démolition du mur d'enceinte demeurait ainsi suspendue. Le Contrôleur général ne se montrait point éloigné de donner sa sanction au plan de M. Delafond ; la proposition de M. La Broulière pouvait également être acceptée. Mais on imposait, de nouvelles conditions, et, comme dans l'origine, on tenait à ce que tous les travaux pussent être simultanément commencés.

L'année 1728 se passa ainsi sans amener de résultat. M. La Broulière, qui avait fait une offre sérieuse, insistait toujours pour qu'elle fût acceptée et disait être dans ce cas prêt à commencer ses travaux. Mais la Communauté n'était point libre d'agir et se trouvait d'ailleurs arrêtée par l'opposition des propriétaires voisins, qui prétendaient toujours que les constructions projetées leur enlèveraient les vues et les issues qu'ils possédaient, et les obligeraient à de grandes dépenses pour conduire leurs égoûts dans les fossés.

Mellier cherchait à concilier ces divers intérêts, et, à force de soins, il y réussit. Un certain nombre de propriétaires des maisons du Port-au-Vin et de la rue de Gorges se réunirent et s'engagèrent à compléter les travaux des fossés Saint-Nicolas, moyennant l'abandon à leur profit de tout le terrain que l'on gagnerait. Cette proposition, jointe à celle de M. La Broulière, assurait l'exécution du projet dans toute la partie avoisinant le Port-au-Vin.

La répartition de la dépense à faire s'établissait ainsi entre les soumissionnaires, en raison de l'espace que chacun obtenait :
M. La Broulière, 220 tses 5 pds 2 pces : 9.682# 1s 2d.
Ve Hachin, 33 tses 2 pds : 785# 14s 2d.
Sauvaget, 33 tses 2 pds : 785# 14s 2d.
Michel, 66 tses 4 pds : 1.571# 8s 4d.
Dme Richard, 33 tses 2 pds : 785# 14s 2d.
Dme Renoult, 75 tses : 1.744# 4s 4d.
Danguy, 52 tses 3 pds : 1.220# 19s.
Du Gouyon, 50 tses 8 pces : 987# 3s 6d.
Dme Leroux, 62 tses 2 pces : 1.260# 19s.
Ve Remy, 41 tses 2 pds 6 pces : 867# 1s 10d.
Ve Guerinet, 26 tses 5 pds 9 pces : 586# 5s 2d.
Total : 20.277# 5s 9d.

Tout porte à croire que Mellier eût bien préféré agir d'après les vues de M. Gabriel, mais on ne lui en laissait pas la liberté. Cette partie des travaux pouvait d'ailleurs se faire sans altérer sensiblement le projet de M. Gabriel, qui s'appliquait plus particulièrement à la partie supérieure du quai. Enfin, il y avait convenance à commencer les travaux, car cela paraissait un moyen sûr de leur donner bientôt une impulsion générale. Mellier avait donc cru devoir user de toute son influence pour amener les choses à ce point. Il était fondé à croire que l'autorisation nécessaire ne serait pas plus longtemps refusée et que cette oeuvre, à laquelle il attachait un si grand intérêt, ne tarderait pas à être en pleine voie d'exécution.

Malheureusement, il ne devait pas lui être donne de voir ce voeu se réaliser. Après une courte maladie, Mellier mourut le 29 décembre 1729. Cette mort fut un véritable deuil public, car chacun sentait l'importance d'une pareille perte et quel vide elle allait laisser dans l'Administration de la ville.

Et en effet, à sa mort, tout s'arrête, tout demeure suspendu. La Communauté avait à satisfaire à quelques engagements et le Bureau de Ville jugea qu'il y avait là motifs suffisants pour ajourner tous les projets qui, bien qu'arrêtés, n'avaient pas reçu un commencement d'exécution. Celui de la construction de nos quais va donc sommeiller et rester dans un oubli à peu près complet.

Onze années en effet se passent, et rien ne vient témoigner que l'on songe même à y donner suite.

Ce n'est qu'en 1740 que, sollicité par l'opinion publique, le maire Darquistade réveille enfin la question. Par ordre de la Communauté, M. Portail, architecte-voyer, dresse un plan et fait un devis estimatif pour l'exécution du projet d'un accroissement de la ville, du côté du quartier de la Poterne et de Sainte-Catherine, en dehors des murs de ville, à prendre depuis la tour de la Poissonnerie jusqu'au Port-au-Vin.

Le plan de M. Portail n'était guère qu'une seconde édition de celui présenté en 1727 par M. Delafond. Tous les travaux devaient encore se faire en dehors du mur d'enceinte, et la question de la démolition de ce mur, pas plus que celle des maisons à construire, n'était même soulevée. Il ne s'agissait, à proprement parler, que de l'édification du mur du quai. Seulement, l'idée de M. Gabriel de faire ces travaux au compte de la ville était admise et l'on sait que, dans ce système, si la Communauté faisait la dépense, elle avait aussi à profiter des emplacements devenus propres à recevoir des constructions.

Le 15 octobre, M. Portail déposa son rapport ; le 23 novembre suivant, le Bureau de Ville en délibéra et l'adopta. Les États siégeaient alors à Nantes. Le Maire profita de cette occasion pour entretenir de l'affaire M. le marquis de Brancas, gouverneur, et M. Pont-Carré de Viarmes, intendant de Bretagne, qui, tous les deux, se montrèrent disposés à lui donner leur appui.

Le travail de Portail comprenait le plan et le devis du quai à établir sur la Loire et de celui qui devait s'étendre le long des fossés Saint-Nicolas. Par suite de circonstances que nous aurons à faire connaître, ce dernier quai ne fut jamais exécuté ; quant à celui sur le fleuve, il reçut bientôt son exécution, et voici quelles étaient les conditions fixées par le devis :

Tous les travaux devaient être établis sur pilotis de 9 à 10 pouces de diamètre en couronne, de 18 pieds de longueur et plus s'il était nécessaire ; ceux de premier rang placés les uns contre les autres, sans laisser de distance entre eux ; les autres établis en échiquier, de manière que, y compris ceux de garde, il s'en trouvât 21 par toise courante ; ces pilotis enfoncés par un mouton de 400#, manoeuvré par 22 hommes.

Le mur devait être revêtu de pierres de taille à la hauteur de 8 pieds et formé d'assises de 15 pouces au plus et de 12 pouces au moins ; le surplus, jusqu'au cordon, fait en forte maçonnerie à pierres froides. Il devait avoir 6 pieds d'épaisseur et 15 pieds 1/2 de hauteur jusqu'au niveau du terre-plein, le parapet au-dessus, 2 pieds ¼ de hauteur sur 2 pieds ½ d'épaisseur.

Les cales simples devaient avoir 14 toises de longueur de rampe et 16 pieds de largeur.

Ce devis fut sanctionné le 18 décembre 1740, par l'intendant général ; et comme témoignage de gratitude envers le marquis de Brancas, la Communauté décida que son nom serait donné au quai qui allait s'élever.

Le 6 novembre 1741 eut lieu l'adjudication de ces travaux, et le sieur Etienne Briault fut déclaré adjudicataire pour le prix de 66.000 # payables au fur et à mesure de l'avancement desdits ouvrages. Il était tenu d'en rendre le renable dans 3 ans.

En 1744, en effet, ces travaux étaient terminés et ils furent reçus et agréés le 15 décembre par une commission présidée par écuyer Godefroy Gellée, magistrat échevin, en présence de l'architecte de la ville, Portail.

Nous avons vu que la Communauté s'était à plusieurs reprises occupée du projet de canaliser les fossés Saint-Nicolas. En 1745, la question fut encore agitée. La Communauté obtint, par arrêt du 16 mars, la concession de 35 cordes de terrain à prendre sur ces fossés, moyennant une redevance de 2 s. par corde. Elle était en même temps autorisée à rétrocéder ces terrains aux propriétaires riverains, à la condition, qu'outre le remboursement de la rente au domaine, ils contribueraient, en raison de l'espace donné à chacun, aux frais d’érection des quais et cales projetés au devis de M. Portail.

Cette transaction eut lieu, et déjà même les habitants voisins avaient fait jeter des terres dans les fossés, mais tout se borna là. Le Bureau Ville fit constater le fait et ne prit même aucune mesure pour faire cesser cette nouvelle cause d'insalubrité.

Pour terminer ce qui a trait à ces fossés, disons de suite qu'en 1751, la Communauté en acquit par adjudication et à raison d'une rente de 6# 10s. le complément depuis la Loire jusqu'à la tour des Espagnols. La ville se trouva ainsi propriétaire de tous ces emplacements. Mais 20 années se passent encore sans que l'on se décide à prendre un parti. Enfin, l’infection de ces douves à demi comblées devient telle, qu'une clameur générale s'élève de toute la ville. Le Bureau de Ville descend sur les lieux en 1771, et reconnaît que le seul remède praticable est le comblement complet de ces fossés, ce qui fut exécuté. Dès cette époque, du reste, l'on avait des vues sur cet emplacement et nous dirons plus tard à quel usage il fut consacré.

Cependant, le quai bordant la Loire était achevé. La porte Brancas, s'ouvrant sur la place Sainte-Catherine, s'élevait et l'inscription qu'elle devait porter était déjà arrêtée. On se disposait même à construire quelques maisons aux approches de cette porte, et le Bureau de Ville favorisait ces divers travaux qui, en réalité cependant, n'étaient point destinés à s'achever.

Ville de Nantes : quais Brancas et Flesselles.

D'un autre côté, le terre-plein du quai s'était formé, sans qu'il en résultât précisément de dépense. Durant le cours des travaux, les entrepreneurs de la ville avaient été invités à y venir déposer leurs décombres, et l'on avait si bien répondu à cet appel, que, dans les premiers mois de 1746, le tout se trouvait suffisamment remblayé. Le 4 septembre, le Maire fut même obligé de prendre un arrêté pour défendre d'y apporter de nouveaux délivres sous peine de 10# d'amende au profit des hôpitaux.

Ainsi, à cette époque de 1746, le passage sur nos quais pouvait s'établir, et ce premier but, que s'était propose Mellier, était atteint.

Mais restait toujours la question des constructions à y édifier, et à cette question se rattachait naturellement celle de la conservation ou de la suppression du mur d'enceinte. L'insuccès des démarches faites dans ce dernier but, en 1728, donnait à craindre que la même demande ne fût pas mieux accueillie, et dans cette incertitude, l'on n'avait pas cru devoir la renouveler. Le seul bâtiment que l'on s'était décidé à commencer sur ces quais, était celui d'une Poissonnerie pour remplacer la cohue de l'Ile-Feydeau, qui avait été supprimée.

Les choses demeuraient en cet état, lorsqu'en 1754, Le duc d'Aiguillon, nommé gouverneur de Bretagne, vint pour la première fois à Nantes. Il fut frappé de la belle situation de notre ville et de l'état de prospérité où elle était parvenue par son activité commerciale. Mais en même temps il éprouva une véritable surprise à la vue de son état intérieur. Il y trouvait une population nombreuse, et cependant les rues étaient étroites, tortueuses, surtout aux principales entrées, ce qui amenait forcément des embarras continuels et beaucoup d'accidents. De plus, le défaut de places publiques obligeait de tenir les marchés dans les rues les plus fréquentes, ce qui les rendait encore plus impraticables.

Pour remédier à ces inconvénients, quelques arrêts avaient bien été sollicités et rendus, mais ces arrêts ne s'appliquaient qu'à des améliorations partielles. Les dispositions d'ailleurs en avaient été ou négligées ou mal exécutées, et il en résultait que l'on n'en avait point obtenu les avantages qu'il eût été possible d'en attendre. De grandes dépenses de constructions avaient sans doute été faites, mais toutes en dehors du mur d'enceinte ; — pour ce que concernait la ville proprement dit, le duc d'Aiguillon jugea qu'elle manquait non-seulement d'embellissements, mais même des commodités les plus indispensables.

Le Gouverneur de Bretagne fut donc d'avis que le moyen le plus sûr de procurer à la ville de Nantes les améliorations qui lui semblaient indispensables, était de faire dresser un plan général comprenant tous les changements et augmentations reconnus utiles ; puis de faire approuver par le Conseil ce projet, qui recevrait son exécution à mesure que les ressources de la ville le permettraient.

A cet effet, il fit venir de Paris M. de Vigny, architecte du Roi, et lui communiqua son désir et ses propres idées. M. de Vigny prit une connaissance exacte de la ville et des divers plans et projets dressés jusque-là. Il fit, ensuite un travail d'ensemble et un plan général, indiquant les changements dont l'exécution lui semblait avantageuse et praticable.

M. de Vigny déposa son rapport au mois d'avril 1755. Pour que l'on puisse apprécier les vues intelligentes de ce rapport, nous croyons devoir en indiquer les conclusions. Deux des propositions qu'il formulait s'appliquaient du reste d'une manière toute particulière au sujet que nous traitons.

Enfin l'on pourra se convaincre que, si parmi ces propositions il s'en trouve un assez grand nombre que depuis lors ont reçu leur solution, il en est aussi plusieurs qui, reconnues utiles il y a plus d'un siècle, sont restées à l'état de lettre-morte et dont nous poursuivons encore l'exécution. M. de Vigny demandait :

1° Une rue alignée à la rue Saint-Clément, et conduisant à la place Saint-Pierre.
2° Une place régulière devant la Cathédrale.
3° De cette place, une rue se reliant directement à la Grande-Rue.
4° Une place nouvelle dans l'emplacement de l'Église Saint-Saturnin, qui serait reportée dans un lieu plus convenable.
5° De cette place, une rue en ligne droite, jusqu'à la place Saint-Nicolas, en passant sur un pont jeté sur l'Erdre.
6° Une place plus grande et plus régulière où est celle de Saint-Nicolas.
7° Une halle aux blés, dans l'emplacement des fossés Saint-Nicolas, depuis la tour des Espagnols jusqu'à celle du Connétable.
8° De la porte du Port-Communeau une rue, la plus droite qu'il se pourra, à la porte de la Poissonnerie.
9° De la place de l'Hôtel-de-Ville, une rue avec un pont de deux arches sur l'Erdre, pour arriver à la place Bretagne.
10° Une rue de la petite rue des Carmes à l'Erdre.
11° Une nouvelle église Saint-Nicolas sur la place du Calvaire.
12° Une nouvelle rue de la porte Brancas, en droite ligne, à la rue Saint-Nicolas.
13° Une rue de communication de la place des Jacobins au Port-Maillard.
14° Une communication de la rue haute du Château, le long de la contrescarpe, à la promenade de la motte Saint-Pierre.
15° La construction de cette promenade jusqu'à la rivière d'Erdre, près de laquelle on construira un corps de caserne.
16° Un quai du Port-Maillard aux tours de la Poissonnerie.
17° Un autre quai du Port-Maillard à Richebourg.
18° Des quais le long de la rivière d'Erdre.
19° Une salle de concert et une salle de spectacle aux deux côtés du quai Brancas ; les bâtiments qu'on y a commencés ne pouvant servir de Poissonnerie, attendu l'exposition au midi.
20° Un pont nouveau pour joindre l'Ile-Feydeau à l'Ile-Gloriette, dont les maisons, à mesure qu'elles s'élèveront, seront alignées sur un plan donné.
21° Un hôtel de la Bourse sur l'éperon de l’Ile-Feydeau.
22° Une nouvelle promenade sur la prairie de la Magdeleine.
23° Une nouvelle Poissonnerie vis-à vis l'ancienne, qui sera détruite pour prolonger le quai de l'Ile-Feydeau.
24° Une nouvelle église, au bout du quai de l’Ile-Feydeau et du pont de la Belle-Croix, pour être la paroisse de l'Ile-Feydeau et de l'Ile-Gloriette, et remplacer celle de Saint-Saturnin dont les paroissiens seront réunis à ceux de Sainte-Croix.
25° Enfin, l'élargissement et le redressement des rues, tant de la ville que des faubourgs, la suppression de la tour du Port-Communeau et des murs et tours de ville, entre autres depuis la porte Saint-Nicolas, le long de la rivière jusqu'aux Jacobins et du Cavalier de la porte Saint-Pierre, ces murs étant fort caducs et paraissant d’ailleurs inutiles aujourd'hui et contribuant de plus à empêcher les abords de la ville.

Comme nous l'avons dit, c'était le duc d'Aiguillon lui- même qui avait pris l'initiative de ce projet. Aussi s'empressa-t-il de le soumettre au Contrôleur général et de l'appuyer de toute son influence. Le résultat ne se fit pas attendre, et le 22 avril parut un arrêt du Conseil, approuvant dans toutes leurs parties et le plan et les propositions de M. de Vigny. Divers arrêts antérieurs s'appliquant à des travaux partiels étaient annulés pour tout ce qui ne s'y trouvait pas conforme.

En transmettant cet arrêt à la Communauté, l'Intendant général Lebret lui promit son concours le plus dévoué. Il prit soin aussi de faire ressortir le service véritable qu'en cette occasion M. de Vigny avait rendu à la ville de Nantes. Sur son invitation le Bureau de Ville vota une somme de 2.400#, qui fut comptée par le miseur à M. de Vigny à titre de gratification.

Une disposition de l'arrêt du 22 avril était tout-à-fait insolite, et si elle était propre à assurer l'exécution des travaux, elle était aussi de nature à blesser un peu les susceptibilités des membres de la Communauté :

Voici cette disposition :

« Ces opérations devant être de longue durée, et le changement continuel des officiers dans le Bureau de la Communauté de Nantes produisant aussi un changement de vues et de goûts, encore bien que Sa Majesté voulût approuver ces projets, on ne pourrait compter sur leur exécution, tant qu'on s'en remettrait aux soins de ces officiers. Il est donc à propos d'en charger immédiatement et uniquement les Commandant et Intendant de la province aux ordres desquels les Maires et échevins auront à se conformer, tant pour l'exécution desdits projets que pour les traités qui pourront y avoir rapport ».

Ainsi, aux termes de cet arrêt, la Communauté ne devait avoir aucun droit d'action sur les travaux, et son unique mission était d'acquitter la dépense, quand et comme elle le pourrait. Nous le répétons, ce mode pouvait être le plus sûr pour arriver au résultat ; mais, en réalité, le rôle laissé à l'Administration était peu flatteur et en tout cas par trop nul.

Du reste, l'on peut croire que ce n'était là qu'une arme mise aux mains du Gouverneur et de l'intendant qui, au besoin, auraient pu en faire usage. Ce qu'il y a de certain, c'est que, dans la suite, nous voyons le Bureau de Ville délibérer, agir en toute liberté et s'occuper d'une manière active et toute spéciale de ces intéréts dont, en effet, il était le représentant naturel.

Nous n'avons point à le suivre dans l'exécution des divers travaux indiqués au projet de M. de Vigny. Nous nous bornerons uniquement à parler de ceux relatifs à nos quais Brancas et Flesselles.

L'arrêt du 22 avril avait tranché deux questions importantes :

L'emplacement des fossés Saint-Nicolas devait être employé à la construction d'une halle aux blés.

Les murs d'enceinte, dans toute la longueur de la Poterne, devaient être démolis.

Cette dernière décision permettait de consacrer aux constructions un espace beaucoup plus considérable que celui qui y avait été d'abord destiné, puisque l'on pouvait disposer de toute la profondeur des murs. La Communauté voulut naturellement profiter de ces avantages, et, à cet effet, elle adressa, en 1756, à l'Intendant général Lebret, la requête suivante :

« Par arrêt du Conseil du 22 avril 1755, Sa Majesté a approuvé et autorisé les plans et les projets de M. de Vigny, architecte du Roi, pour la commodité et l’embellissement de la ville de Nantes. L'un de ces projets était de faire une salle de concert et une salle de spectacle à la place des bâtiments commencés sur le quai Brancas pour servir de halle aux poissons.

L'une des raisons qui ont détourné d'exécuter cette halle est la beauté singulière de la situation de ce quai, au centre des opérations du commerce, qui pouvaient être troublées par le mouvement et l'embarras inséarables de ces lieux publics. La même raison semble s'opposer à l'établissement des salles de concert et de spectacle sur ce même quai, ce qui a été reconnu par le duc d'Aiguillon, commandant de Bretagne. Ces quais d'ailleurs doivent être plutôt consacrés au commerce, en y construisant des maisons propres à y loger des négociants. L'on parviendra même par ce moyen à rapprocher le commerce de l'intérieur de la ville d'où il s'éloignait successivement.

Mais les revenus de la Communauté de Nantes sont presque tous consommés par les charges locales et les dépenses annuelles et nécessaires ; elle n'est pas en état de faire sur ses fonds les frais de construction de ces maisons, ayant d'ailleurs de grandes dépenses à faire pour l'exécution du plan qui a été ordonné.

Dans cette situation, il n'a pas paru qu'il y ait de moyens plus prompts et moins onéreux que de vendre, sous le bon plaisir de Sa Majesté, les emplacements desdites maisons, suivant le plan qui en sera arrêté.

Pour donner aux maisons projetées une profondeur suffisante, il conviendra de les avancer par derrière sur la place Sainte-Catherine. Mais entre cette place et le mur d'enceinte, il se trouve quelques petites maisons, appartenant à des particuliers et qui sont sous le fief de la commanderie de Sainte-Catherine, ordre de Malte ; la Communauté sera obligée de les acheter, pour en revendre aussitôt l'emplacement.

Mais les droits de ces acquisitions, si l'on était obligé de les payer, feraient perdre tous les avantages que la ville se promet de cet arrangement. Le domaine du Roi sera augmenté d'ailleurs, ainsi que celui de la commanderie, par ces dispositions, en ce que des terrains presque sans valeur seront couverts d'habitations grandes et précieuses, dont les mutations, dans la suite, produiront des droits considérables à chaque fief, etc. ».

Par ces motifs, la Communauté demandait :

1° A faire la vente des emplacements des quais Brancas.

2° A acquérir et à revendre ensuite les petites maisons adossées au mur de ville, du côté de la place Sainte-Catherine.

3° A être exonérée de tous droits qui pourraient être dus pour ces diverses opérations.

L'intendant Lebret appuya cette demande, à laquelle fit droit un arrêt du Conseil, du 10 mai 1757.

En vertu de l'autorisation qui lui en était donnée, l'Administration passa marché pour diverses maisons situées à l'intérieur des murs. Elle eut aussi à traiter de l'acquisition de la chapelle Sainte-Catherine, et ce fut le duc d'Aiguillon lui-même qui se chargea de cette négociation près du bailly de Froulay, commandeur de Malte à Nantes. La ville dut payer le sol de la chapelle, à raison de 7 # le pied carré. Les matériaux provenant de cette démolition, ainsi que de celle de trois maisons acquises également de la commanderie, devaient être estimés et payés aussi par la ville, qui, du montant du tout, aurait à constituer une rente perpétuelle en grains.

C'est à la suite de ce traité que disparut la chapelle Sainte-Catherine, dont l'origine remontait à des temps fort reculés.

La Communauté était lancée alors dans de nombreuses entreprises de travaux publics, et elle sentit le besoin d'avoir à sa disposition un homme actif et intelligent, qui pût diriger et surveiller tous ces travaux. Elle fit choix de Ceineray, et le 21 mai 1759, elle prit la délibération suivante :

« Sur les bons témoignages qui ont été donnés du sieur Jean-Baptiste Ceineray, le Bureau de Ville arrête qu'il substituera le sieur Portail dans les fonctions d'architecte-voyer de la Communauté et qu'il lui sera payé chaque année la somme de 500# d'appointements, à la charge par ledit Ceineray, de veiller avec assiduité à la conduite de tous les ouvrages qui seront faits par la Communauté, de donner tous les plans et devis qui lui seront demandés, et de se trouver au Bureau de Ville pour y recevoir les ordres qui lui seront donnés et les mémoires des ouvriers dont l'examen et le règlement seront par lui faits avec l'attention la plus grande ».

Pour première mission Ceineray reçut l'ordre de dresser le plan des maisons qui devaient s'élever sur nos quais, et dans ce travail, le jeune architecte fit certainement preuve d'autant d'habileté que de goût. Il fournit le plan exécuté depuis, que nous avons sous les yeux, et qui n'a jamais cessé d'exciter une juste admiration.

Ce projet fut, comme il devait l'être, agréé par le Bureau de Ville, qui, par une délibération du 22 octobre 1757, décida que le mercredi 16 novembre suivant il serait procédé à l'adjudication, au plus offrant et dernier enchérisseur, des emplacements sur le quai Brancas, à la condition d'y bâtir suivant le plan dressé par Ceineray.

Voici quelles étaient les conditions de cette adjudication :

« La vente des terrains du quai Brancas se fera au pied carré de superficie ; on pourra acheter une ou plusieurs arcades de face, avec toute la profondeur qui y répond.

On sera tenu de suivre exactement l'élévation arrêtée pour le côté du quai, et le sieur Ceineray sera chargé de veiller à ce qu'elle soit fidèlement observée dans toutes ses parties.

Le devant du terrain relève du fief de la Prévôté réuni au Présidial, le derrière de la commanderie de Saint-Sean de Sainte-Catherine.

Les pierres étant sur le terrain seront vendues à juste prix à la toise cube, à l'exception des arcades de grison.

Les murs de ville, dans l'étendue de chaque portion, seront démolis par l'acquéreur et à son profit.

Les murs de fondation existant, demeureront aussi au profit des acquéreurs.

Le prix de la vente sera payé dans la quinzaine à la caisse du Miseur ».

Pour faciliter la vente, Ceineray avait divisé ces terrains en sept emplacements.

Le 1 A, du côté des fossés Saint-Nicolas de 4.320 pieds superficiels.
2 B, à la suite 3.863 pieds.
3 C, à la suite 3.748 pieds.
4 D, à la suite 3.704 pieds.
5 E, à la suite 4.643 pieds.
6 F, à la suite 2.263 pieds.
7 G, bordant le quai d'Erdre 2.668 pieds.
Total : 25.209 pieds.

La première adjudication eut lieu, comme il avait été décidé, en novembre 1757, mais cette adjudication n'eut qu'un résultat partiel. En 1761, la ville, ayant des dettes échues et dont le paiement lui était vivement réclamé, se décida à faire une seconde adjudication qui termina la vente des emplacements.

M. de Lantimo, l'un des échevins, avait été désigné pour toucher le produit des ventes et tenir la comptabilité de l'opération. Voici le rapport qu'il fournit sur la veine des cinq premiers lots :
No 1, adjugé à M. de Lantimo, pour 13.179# 16s 3d.
2, id. Mrs Secrétain et Douaud, pour 11.765# 17s 8d.
3, id. M. Chaurand pour 11.291# 7s.
4, id. M. Housset et Harman, pour 11.299# 14s 10d.
5, id. M. Grou, pour 14.182# 10s.
Total : 61.719# 5s 9d.

Ce qui représentait un prix. moyen de 3# à 3# 1s. le pied superficiel.

Quant aux emplacements portant les nos 6 et 7, ils furent l'objet d'une cession amiable, et voici à quelle occasion :

A cette méme époque, la Communauté s'occupait des travaux du cours des Etats, et elle s'était trouvée dans l'obligation de faire l'acquisition de divers terrains et maisons qui entraient dans le périmètre de cette promenade. La ville avait entre autres acquis ainsi divers emplacements sur la motte Saint-Pierre, du sieur Raimbault et de la demoiselle Pineau, et leur devait pour cet objet une somme d'environ 25.000#. Comme il lui était fort difficile de faire face à tous ses engagements, elle proposa de leur donner en échange de leur créance deux emplacements sur le quai Brancas. Cette transaction fut acceptée et le prix demeura fixé à 5# le pied. L'emplacement G, formant l'angle du quai d'Erdre, fut ainsi cédé à M. Raimbault pour à peu près 13.000 #, et le suivant à mademoiselle Pineau, pour environ 12.000 #.

Mais cette transaction donna lieu plus tard à une très vive réclamation. Les acquéreurs prétendaient que le Prix de 5# le pied fixé pour eux était exagéré et qu'ils ne devaient payer que 3# comme les autres adjudicataires. L'affaire fut soumise à l'Intendant, qui décida que les termes du traité devaient être maintenus, ce traité ayant été fait de bonne foi et d'un libre consentement.

De 1760 à 1765, la construction des maisons du quai Brancas se poursuivit. A cette dernière époque déjà, plusieurs parties étaient achevées, et l’on pouvait juger de l'aspect monumental que présenterait l'ensemble de cette belle création. L'édification de la maison à l'angle de l'Erdre présenta le plus de difficultés. Le quai était fort étroit, et l'on eut à craindre que les fondations ne pussent s'établir d'une manière convenable. La tour du Rateau fut démolie, quelques précautions furent prises pour consolider les abords, et vers 1771, la maison put s'élever sans avoir donné lieu à d'autre accident qu'un léger éboulement du quai, qui n'eut aucune conséquence. Un peu plus tard, le quai d'Erdre fut élargi et le mur actuel fut établi en rétrécissant le lit de la rivière.

A cette époque de 1765, le passage ouvert par cette voie nouvelle était déjà fréquenté, mais il présentait des difficultés et le pavage devenait d'une urgente nécessité. La Communauté eût bien désiré faire la partie qui lui incombait, mais la même objection se présentait toujours, on manquait d'argent. Les propriétaires n'hésitèrent pas alors à proposer d'exécuter à leurs frais la totalité du pavage, et le Bureau de Ville, en acceptant cette offre, fixa à deux ans le remboursement à leur faire de leurs avances, sans intérêt.

Les exemples de ce patriotique désintéressement se reproduisent très souvent dans tout le cours du XVIIIème siècle. Les recettes annuelles de la ville, vers 1750-1760, n'allaient pas au delà de 220.000#, et cette somme, avec laquelle il fallait pourvoir à tous les services, laissait évidemment bien peu de ressources à consacrer aux grands travaux publics qui s'exécutaient. Mais aussi lorsque des besoins trop urgents se faisaient sentir, la population venait en aide à sa Communauté, lui faisait des avances sans intérêt, et l'époque du remboursement était fixée par le Bureau de Ville lui-même. Ce concours aussi dévoué qu'utile avait certes bien son mérite.

Le pavage des quais donna lieu plus tard à un règlement entre la ville et les propriétaires. En 1769, par une délibération du 23 décembre, il fut arrêté que les propriétaires auraient la charge du pavage à 15 pieds en avant de leurs maisons et que le surplus serait au compte de la Communauté.

Alors aussi on s'occupa de mettre en état le pont jeté sur l'Erdre. Ce pont, construit en 1743 par l'entrepreneur Briault, était en bois et se trouvait en contrebas du nivellement des quais. On eût bien désiré le reconstruiré en pierre, mais par économie, on décida seulement : « de raccorder ce pont au niveau des quais de Brancas et Flesselles, de lui donner une étendue et une solidité proportionnées à la quantité de voitures de toutes espèces qui y passaient journellement, de l'élargir et l'exhausser à la demande des deux quais, et de le faire revêtir de pavés, le tout suivant le plan dressé par Ceineray ».

Ce pont en bois, ainsi réparé, resta longtemps dans le même état, et ce ne fut que beaucoup plus tard que le pont actuel fut établi.

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Ville de Nantes : quais Brancas et Flesselles.

Jusqu'ici nous nous sommes plus particulièrement occupés des constructions de notre quai Brancas. Nous devons parler maintenant de celles du quai Flesselles, qui prit son nom de M. de Flesselles, intendant général de Bretagne, en 1766.

Ce fut, en effet, seulement dans le cours de cette année que la Communauté put entamer les arrangements qui devaient amener les constructions sur la partie haute de la Poterne. Ce n'est pas qu'elle eût jamais cessé de poursuivre ce but, mais là les choses devaient se passer autrement que pour le quai Brancas.

Dans cette partie, le terre-plein avait beaucoup moins de largeur que dans la partie basse, et, dès le principe, le Bureau de Ville avait pu juger que, pour donner aux maisons de façade la profondeur désirable, il y avait nécessité, non seulement de démolir les murs d'enceinte et les tours de la Poissonnerie elles-mêmes, mais encore de supprimer la rue de la Blaiterie.

Quant à ce qui concernait la démolition des murs, les arrêts des 22 août 1755 et 19 mars 1766 en avaient bien donné une autorisation générale. Néanmoins, le Maire crut devoir en écrire au marquis d'Argenson, ministre secrétaire d'État, et solliciter notamment une autorisation spéciale pour les deux tours de la Poissonnerie. Voici les deux lettres qu'il reçut à ce sujet de M. d'Argenson :

Compiègne, 10 juillet 1755.
« Je viens, Monsieur, de rendre compte au Roi des représentations que vous m'avez faites sur les incommodités que causent les deux tours de la Poissonnerie à Nantes. Sa Majesté veut bien accorder à la ville la permission qu'elle demande de les faire démolir ».

Nantes, 3 septembre 1755.
« Vous m'avez représenté qu'il serait encore nécessaire de supprimer une partie des murs d'enceinte, depuis les tours de la Poissonnerie jusque vis-à-vis l'escalier du Palais : le Roi veut bien permettre cette nouvelle démolition. Sa Majesté trouvera même bon que l'on détruise aussi, si on le juge à propos, la partie qui s'étend jusqu'au bout du Port-Maillard ».

Ainsi, sur ce premier point, la Communauté avait toute sa liberté d'action.

Restait la question de la rue de la Blaiterie. Le Bureau de Ville fit visiter les lieux, et il fut reconnu que la plupart des maisons menaçaient ruine et pouvaient être condamnées. L'alternative fut donc posée aux propriétaires de ces maisons, ou de les démolir ou d'en effectuer la vente à la Communauté.

Mais alors les propriétaires s'entendirent et vinrent proposer de se charger eux-mêmes de la construction de toutes les maisons qui devaient border le quai, en se conformant au plan arrêté, à la condition que cession leur fût faite des terrains dont la ville avait la disposition, et qui se composaient de la rue de la Poterne, de la cohue aux blés et des murs d'enceinte. Cette proposition entrait évidemment dans les convenances de la ville ; mais, de leur côté, les propriétaires y trouvaient eux-mêmes un grand avantage, puisqu'en échange de constructions vieilles et sans valeur, ils devaient obtenir façade sur un beau quai.

Pour faciliter une transaction qui conciliait ainsi tous les intérêts, la ville crut donc devoir se montrer de facile composition, et elle s'engagea à démolir à ses frais la cohue aux blés, et à céder aux intéressés la totalité de ses terrains au prix très modique de 2# le pied carré. Un traité, passé le 12 août 1767, stipula toutes les conventions arrêtées entre les parties. Seulement, comme dans l'état, le toisé des terrains ne pouvait se faire que très difficilement, le prix total fut fixé provisoirement à 14.219 # 3s 4d. pour 7.109 pieds 7 pouces, cette estimation conventionnelle ne devant en aucun cas préjudicier aux droits des intéressés. Comme pour le quai Brancas, la démolition du mur de ville devait être faite par les acquéreurs et à leur profit.

En 1769, le nivellement du terrain étant achevé, Ceineray put procéder au mesurage, et par délibération du 9 juin, la répartition suivante fut définitivement arrêtée :

Mlle Lagedamont, 361 pieds, pour 722 #.
Mme ve André, 718 pieds, pour 1.436 #.
Simon Jarry, 976 pieds à 2# et 155 pieds à 1#, pour 2.107 #.
Etienne Maussion, 754 pieds, pour 1.508 #.
Jacques Beconnais, 1.634 pieds, pour 3.268 #.
Fouqueré Duvau, 2.390 pieds, pour 4.780 #.
Total : 6.988 pieds, pour 13.821. #

Bientôt les constructions commencèrent ; les entrepreneurs étaient tenus de les achever en deux ans, et en effet, vers 1772, le quai Flesselles se présentait tel que nous le voyons au milieu du XIXème siècle, et la création de nos deux beaux quais était terminée.

Le changement de nivellement, força en outre grand nombre de propriétaires à réparer et même à reconstruire leurs maisons, et ce fut un bien réel pour ces vieux quartiers.

Au mois de janvier 1770, une crue extraordinaire du fleuve causa une brèche au quai Flesselles. La Communauté songea d'abord à en rendre responsable le sieur Briault, entrepreneur de ces quais, mais il fut reconnu et par l'Intendant lui-même que cet accident était dû à une cause toute fortuite, et par une délibération du 12 septembre 1772, il fut décidé que les travaux de réparation seraient faits au compte de la Ville.

Tels sont les renseignements que nous avons pu recueillir sur rétablissement de nos quais Brancas et Flesselles, qui portent encore le nom qu'ils reçurent à leur origine. Cependant, à l'époque de la révolution, on jugea à propos de leur donner des noms moins aristocratiques : le quai Flesselles s'appela quai des Gardes françaises ; celui de Brancas, quai Bourguer et Tourville. Ce ne fut qu'en 1815 qu'ils reprirent leurs anciennes dénominations.

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Il nous reste maintenant à dire un mot de la construction de notre halle aux blés.

Nous avons vu qu'au nombre des propositions faites d'abord par M. de Vigny et plus tard par Ceineray, se trouvait celle de l'établissement d'une halle aux blés sur l'emplacement des fossés Saint-Nicolas. Dans le but de donner suite à ce projet, la Communauté prit, le 9 décembre 1758, une délibération qui décidait que le montant de la dépense pour la construction de cette halle serait pris sur un emprunt de 300.000 # que la Ville se proposait alors de contracter. Mais l'emprunt fut réalisé et absorbé en entier par d'autres travaux. L'exécution de cette halle fut donc ajournée.

En 1771, les fossés furent comblés. Bientôt les propriétaires voisins trouvèrent à leur convenance de s'emparer de ces terrains pour y faire des jardins et de petits enclos. La Communauté dut intervenir pour faire constater cette usurpation et maintenir ses droits de propriété, mais elle ne se trouvait point encore en mesure de donner suite à ses projets de construction.

En 1782, cet emplacement fut sur le point d'être employé à l'édification d'une salle de spectacle. La ville n'avait alors que la salle du Bignon-Lestard, étroite, incommode, et présentant de véritables dangers dans le cas d'incendie. Depuis longtemps l'on désirait ainsi construire une nouvelle salle, mais on manquait emplacement convenable ; l'argent surtout faisait défaut. Le sieur Longo, qui exploitait la salle du Bignon-Lestard offrit alors de construire à son compte une salle en bois sur l'emplacement de la tour des Espagnols et des fossés Saint-Nicolas. Il s'engageait à mettre cette salle en exploitation dans un an, et à se charger de tous les frais, moyennant un privilège de neuf années.

Déjà Graslin s'occupait de la construction de son quartier et avait fait des propositions au sujet d'une salle à établir sur la place principale. Mais le Bureau de Ville hésitait à accepter l'offre de Graslin, car les travaux de ce quartier étaient encore fort peu avancés, et l'on ne pouvait prévoir quand le terrain serait suffisamment préparé pour recevoir cette salle.

La Communauté se décida donc à traiter avec Longo, et une délibération du 12 octobre 1782 sanctionna ces conventions.

Mais alors Graslin renouvela ses offres en les accompagnant de conditions tellement avantageuses que le Bureau de Ville ne pouvait se dispenser de les accepter. D'un autre côté, Longo avait trop compté sur ses forces, et les difficultés d'exécution l'effrayaient. Son projet fut ainsi abandonné.

Ce ne fut cependant qu'en 1786, que la Communauté s'occupa sérieusement de la halle projetée. Dans une réunion du Bureau de Ville du 16 septembre, le Maire rappela que, depuis 1766, l'exécution de cette halle était arrêtée et que si des circonstances avaient jusque là arrêté la création d'un établissement reconnu éminemment utile, le moment était venu de donner une solution à cette question d'intérêt public.

Un devis des bâtiments à faire avait été dressé par M. Crucy, architecte en chef de la ville. Ce devis montait à la somme de 161.078 #. 14 s 14 d.

Le plan avait été communiqué au Général du commerce, qui s'était empressé de solliciter des négociants une souscription, afin de venir en aide à la ville. Cette souscription était formée d'actions de 500# remboursables au sort, en 3 années, sans intérêt. Elle avait déjà produit 95.000#, et l'on avait lieu d'espérer qu'elle se compléterait pour la somme entière. En tous cas, la Ville offrait de combler la différence soit par ses ressources ordinaires , soit au moyen d'un emprunt dont elle servirait les intérêts à 5 p. %.

Dans ces circonstances, le Bureau de Ville arrêta :

1° Qu'il y avait lieu de procéder au plus tôt à l'adjudication.
2° Que les sommes souscrites seraient uniquement employées à l'érection de cette halle.
3° Que les travaux une fois commencés ne seraient plus interrompus.
4° Que sitôt son achèvement, la halle serait affermée par adjudication, soit en totalité, soit par place.

Cette délibération reçut la sanction de M. de Bertrand, le 1er novembre suivant.

Pour dégager les abords, la tour des Espagnols fut alors démolie, et l'adjudication put enfin avoir lieu le 26 février 1787.

M. Douillard, architecte, fut déclaré adjudicataire pour le prix de 158.500# payables en 3 années. Cette somme lui fut en effet comptée :
1/3 en 1787, en commençant les travaux.
1/3 en 1788, lorsque ces travaux étaient avancés à moitié.
1/3 en 1789, à l'achèvement de la construction.

L'intérieur de cette halle était divisé par places ou magasins, dont la location fut très recherchée. On y exposait en vente toutes sortes de marchandises, et la vogue y attirait et les curieux et les acheteurs. Mais peu à peu cette vogue cessa, les magasins furent délaissés, et à partir de 1820, cette halle ne sert plus qu'au marché aux grains et à la vente du pain qu'y apportent les boulangers forains.

La partie supérieure du bâtiment fut consacrée, en 1807, à notre Bibliothèque publique.

(J.-C. Rénoul).

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