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LES REGAIRES DE L'EVECHE DE NANTES |
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Les régaires ou droits temporels de l'Evêché de Nantes |
On appelait régaires au moyen-âge l'ensemble des droits temporels attachés à un siège épiscopal ; on leur donnait ce nom soit par ce qu'ils provenaient de la libéralité des rois, soit parce qu'ils constituaient un pouvoir quasi souverain (abbé Guillotin de Corson). |
Les régaires
de l'évêché de Nantes étaient les plus importants du duché de Bretagne. «
De grant prééminence et noblesse », ils étaient «
moult plus advantaigeux que le fief ou seignorie d'une comté ou baronnie ».
Aussi l'évêque de Nantes était-il le plus riche des prélats bretons.
Cette
puissance ecclésiastique remontait à une haute antiquité : dès le VIème siècle
saint Félix, évêque de Nantes, «
portait tout à la fois la crosse et la main de justice ; il était simultanément
le pasteur des âmes et le juge suprême de la cité. On sait l'usage qu'il fit
de son autorité et de ses richesses ». Ses successeurs continuèrent à régner
en souverains sur un grand nombre de paroisses tant à la ville qu'à la
campagne. Nous en avons la preuve dans l'importante charte de Louis le Gros donnée
par ce prince en 1123 en faveur de Brice, évêque de Nantes (Dom Morice,
Preuves de l'Histoire de Bretagne, I 547).
L'authenticité
de ce document a été mise en doute par l'abbé Travers ; mais M. Léon Maître
plaide fort bien en sa faveur dans un intéressant mémoire publié par les
Annales de Bretagne (Tome II, 346-377) ; le docte archiviste explique pourquoi
l'évêque de Nantes, Brice, a pu demander au roi de France Louis VI, plutôt
qu'au comte de Bretagne Conan II, la confirmation des droits de son régaire.
D'après
cette charte, l'évêque de Nantes prétendait à la suzeraineté temporelle de
soixante-sept paroisses, dont une dizaine n'appartenaient point à son diocèse,
tandis que sept se trouvaient à Nantes même-et cinquante autres dans la
campagne du diocèse de ce nom. Voici les noms de ces paroisses : Vertou, Chémeré,
Saint-Père-en-Retz, Sainte-Opportune, Saint-Viau, Bouguenais, Gesté,
Sainte-Luce, Liré, Drain, La Varenne, Saint-Julien-de-Concelles,
Saint-Etienne-de-Mer-morte, Piriac, Besné, Guémené-Penfao, Conquereuil, Jans,
Fougeray, Fercé, Beré, Soudan, Erbray, Juigné, Blain, Issé, Nozay, Saffré,
Abbaretz, Moisdon, Joué, Saint-Julien-de-Vouvantes, Freigné, Belligné,
Montrelais, Varades, Teillé, Ligné, Thouaré, Mauves, Saint-Mars-du-Désert,
Nort, Sucé, Casson, Treillières, Orvault. Sautron, Saint-Similien de Nantes,
Aindre, Saint-Etienne-de-Montluc, Saint-Donatien de Nantes, Carquefou, Doulon,
Saint-Sébastien de Nantes, Rezé, Saint-Géréon, Mézangé, Anetz, Petit-Mars,
Nivillac, Baugé, Daon, Saint-Cyr et Sainte-Julitte de Nantes, Notre-Dame de
Nantes, Saint-Clément de Nantes, Saint-André de Nantes et Saint-Donatien d'Orléans.
Ce chiffre a paru inadmissible à l'abbé Travers parce qu'au XIVème siècle le
régaire épiscopal ne comprenait guère plus d'une vingtaine de paroisses.
Voici ce que répond M. Maître à cette objection : la charte de 1123, dit-il,
est plutôt un « acte de protestation
contre les amoindrissements dont souffre le plaignant (l'évêque Brice) qu'un
envoi en possession. L'évêque de Nantes est allé porter ses doléances aux
pieds du roi, il a représenté les dommages causés à son église et à son
clergé par la rapacité des comtes de Bretagne et de leurs vassaux, et, pour
mieux faire ressortir sa détresse, il a retracé le tableau complet du temporel
épiscopal tel qu'il existait sous les Mérovingiens. Louis le. Gros, agissant
comme successeur de Clovis, de Clotaire et de Charles le Chauve (note : du temps
de ces princes le diocèse de Nantes ne faisait point encore partie de la
Bretagne. Ce fut toutefois sous Charles le Chauve que Nantes fut conquis par
Nominoë), ne pouvait faire qu'une chose : c'était de reproduire fidèlement
dans sa charte de confirmation la liste des domaines que lui soumettait l'évêque
» (Annales de Bretagne, II, 357).
Si plus
tard les documents féodaux ne reconnaissent aux prélats nantais que la
suzeraineté d'une vingtaine de paroisses, c'est que l'autorité de Louis le
Gros a été impuissante à arrêter le cours des usurpations signalées par
Brice. « Les barons de Châteaubriant, de
Pontchâteau, d'Ancenis et de Raiz ont agrandi leurs domaines aux dépens de l'évêché
ils ne lui ont laissé sur leurs terres que des droits honorifiques. Quand un prélat
nouveau se présentait aux portes de Nantes pour être intronisé, ces quatre
barons consentaient à le porter sur leurs épaules jusqu'au maître-autel de la
cathédrale. Cet usage fut établi et ainsi réglé par l'ordre du duc Jean Ier,
c'est-à-dire dans le cours du XIIIème siècle, pour terminer sans doute un
accord et éteindre toute réclamation de la part de l'évêché » (Annales
de Bretagne, II, 357 et 358).
A partir
de cette époque et jusqu'à la Révolution l'évêque de Nantes demeura
suzerain de dix-huit paroisses dont voici les noms : Saint-Clément,
Saint-Donatien et Saint-Similien de Nantes, — Carquefou, Casson, Doulon, Guérande,
Malville, Mauves, Orvault, Saint-Etienne de Montluc, Saint-Géréon, Sainte-Luce,
Saint-Mars du Désert, Sautron, Sucé, Thouaré et Treillières. Toutes ces
paroisses se trouvaient sur la rive droite de la Loire ; sur la rive opposée l'évêque
ne possédait que des redevances à prendre en cinq paroisses : Bouin,
Bouguenais, Saint-Brévin, Saint-Cyr en Retz et Touvois (Léon Maître – La
Seigneurie des évêques de Nantes – Bulletin de la Société archéologique
de Nantes, XXI, 80).
Il faut
toutefois faire observer que d'après la Déclaration de l'évêché de Nantes
en 1682, le régaire épiscopal s'étendait, en outre, dans les paroisses de
Nantes : Saint-Jean et Saint-Pierre, Saint-Laurent, Sainte-Radegonde et
Saint-Nicolas. Le régaire de l'évêché de Nantes se trouvait divisé en cinq
châtellenies dont les sièges furent à Nantes, Guérande, Sucé, Saint-Géréon
et Saint-Etienne de Montluc. Ces seigneuries furent appelées châtellenies
parce qu'elles étaient régies chacune par un receveur ou châtelain ; mais
rien n'indique que certaines châtellenies épiscopales, telles que Saint-Géréon
et Saint-Etienne de Montluc, aient été dotées d'une forteresse. Nous allons
parler successivement de chacune d'elles.
-1° Châtellenie
de Nantes. —
L'acte le plus ancien des archives épiscopales de Nantes nous apprend qu'en
l'an 862 Erispoë, roi de Bretagne, rétablit l'évêque Actard en possession de
la moitié du tonlieu du port de Nantes, c'est-à-dire qu'il lui restitua la
moitié de la recette des taxes de coutume perçues sur toutes les marchandises
amenées à Nantes, par terre ou par eau, et qu'on nomma dans la suite les
droits de la prévôté (Léon Maître, Bulletin de la Société Archéologique
de Nantes, XXI, 67).
La Chronique
nantaise nous fait connaître que plus tard Alain Barbe-Torte, vainqueur des
Normands, voulant récompenser ses guerriers, reprit la totalité de la recette
du tonlieu, (qu'il partageait autrefois par moitié avec l'évêque) et la
divisa en trois parts : celle du duc, celle de l'évêque et celle des
seigneurs. Il en fit autant pour le territoire de la ville, mais cette fois sans
rien réserver pour lui : les deux tiers du sol (ou l'espace circonscrit par les
murailles) furent attribués aux hommes d'armes, et l'autre tiers contenant la
partie suburbaine, sauf la Fosse, fut donnée à l'évêque (Dom Morice, Preuves
de l'Histoire de Bretagne, I 28 et 146).
Les
successeurs d'Alain ne confirmèrent pas ces dispositions et firent un nouveau
partage de la ville de Nantes. Ils reprirent la plus grande partie du sol
abandonné aux grands vassaux pour former le grand fief de la prévôté ducale
; ils cédèrent à l'évêque les environs de sa cathédrale, « c'est-à-dire le territoire compris entre les rues Chauvin, Ogée,
Saint-Denis, des Carmélites, du Château et le cours Saint-Pierre » (Léon
Maître, Bulletin de la Société Archéologique de Nantes, XXI, 72). En dehors
de l'enceinte urbaine, l'évêché fut maintenu en possession des paroisses de
Saint-Similien et de Saint-Donatien.
La première
demeure épiscopale de Nantes se trouvait au midi de la cathédrale, à
l'endroit même où sont aujourd'hui les douves du château de Nantes. Bien
avant les invasions normandes, les évêques demeuraient là dans un logis
fortifié auquel la Chronique donne le
nom de castrum (Léon Maître,
Bulletin de la Société Archéologique de Nantes, XXI, 72). Lorsque Guy de
Thouars construisit son château de la Tour-Neuve, il le bâtit, dit la Déclaration de 1680, là « où
estoit autrefois le manoir épiscopal ». Ce fut donc au XIIIème siècle
que l'évêque de Nantes, abandonnant les bords de la Loire, transféra sa
demeure au nord de sa cathédrale, là où s'élève encore maintenant le palais
épiscopal dont la tour de style gothique offre tant d'intérêt.
Vers la
fin de ce même XIIIème siècle les prélats nantais acquirent le fief de la
Fosse de Nantes et y construisirent, dans la paroisse Saint-Nicolas, une maison
de plaisance, nommée la Touche, restaurée de nos jours et faisant partie du
musée Dobrée.
L'évêque
de Nantes possédait, en outre, aux portes de na ville un troisième manoir qui
se trouvait même au XVIIIème siècle la seule habitation épiscopale
entretenue en dehors de Nantes. C'était le château de. Chassais dans la
paroisse Sainte-Luce ; il subsiste toujours, mais en mains séculières depuis
la Révolution ; en voici la description actuelle : « Chassais se compose d'un donjon carré, flanqué sur la façade de
deux tourelles également carrées et terminées en encorbellement. Deux
pavillons en retrait ont été adjoints à ce massif de la Renaissance. On y
arrive par un pont jeté sur les douves dont l'évêque Amaury d'Acigné entoura
sa demeure lors de ses démêlés avec le duc François II. Le même évêque
fit construire des fortifications dont il ne reste plus que deux tourelles »
(Bretagne contemporaine, Loire Inférieure, 43). Chanté par le poète Fortunat,
Chassais fut au VIème siècle l'habitation de saint Félix, évêque de Nantes,
et en 1598 un successeur de ce prélat, Philippe du Bec, y reçut Henri IV.
Le palais
épiscopal de Nantes, le manoir de la Touche et le château de Chassais
constituaient avec leurs dépendances, les quatre moulins de Barbin, les étangs
de l'Erdre et la forêt de Sautron, le domaine proche de la châtellenie épiscopale
de Nantes. Abordons maintenant les prérogatives et droits féodaux dont
jouissait l'évêque, tant à Nantes qu'aux environs ; ils étaient nombreux et
importants.
D'après
une enquête faite en 1206 (Dom Morice, Preuves de l'Histoire de Bretagne, I,
803), l'évêque de Nantes possédait « la prérogative d'avoir une armée désignée
sous le nom de harelle harella quand
ses vassaux marchaient seuls, et sous le mot général d'armée, exercitus
quand les troupes épiscopales étaient jointes à celles du comte de Nantes ».
D'après
cette même enquête, aucune assemblée commune ou municipale ne pouvait avoir
lieu à Nantes sans l'assentiment de l'évêque. Ce prélat jouissait aussi
pendant quinze jours chaque année du privilège exclusif de débiter le vin
dans sa ville épiscopale et toutes les mesures à vin étaient déposées à l'évêché
; il avait encore pendant quinze autres jours un droit de crédit et d'échange
(Léon Maître, Bulletin de la Société Archéologique de Nantes, XXI, 85).
D'autres
actes prouvent qu'aux régaires de l'évêché de Nantes appartenaient : la levée
des dîmes des paroisses de Saint-Donatien, Bouguenais, 'Doillon, Treillières
et Orvault — un droit de terrage au Pont-Saint-Martin — le droit de pêche
prohibitive dans l'Erdre depuis Barbin jusqu'à la Trémissinière, etc.
« Les privilèges
judiciaires dont jouissait l'Evêque de Nantes étaient très étendus.
Personnellement il ne pouvait-être cité que devant le métropolitain ou devant
le pape. Quant aux juges qu'il instituait à Nantes, à Guérande et à Saint-Géréon,
pour rendre la justice à ses vassaux en son nom, ils étaient égaux aux sénéchaux
du duché. Sa juridiction, érigée en pairie en 1315, ne relevait que des
Grands-Jour de l'évêché et du Parlement général de la province. Quand ses
prisons renfermaient un criminel condamné à la peine capitale, les vassaux de
la Fosse et du Bignon-Létard étaient obligés de venir le chercher avec des bâtons
et de le conduire jusqu'à la barrière Saint-Donatien où d'autres vassaux de
Sainte-Luce et de Doulon le prenaient à leur tour pour le conduire au gibet de
la Haye-l'Evesque près de Saint-Georges. Son pilori était au Marchix, de même
que celui du duc était an bas de la Grande-Rue sur la place qui porte sen nom
» (Léon Maître,
Bulletin de la Société Archéologique de Nantes, XXI, 91).
L'office
de sergentise de l'évêché de Nantes était inféodé à quatre terres : la
Bourdinière en Melville, la Bigeottière où Fief-Gentil en Orvault, la
Hunaudaye ou Fief-Gaubert en Mauves et les Fosses en Treillières. « Dès le jour où les seigneurs de ces quatre domaines nobles
entraient en possession, ils devenaient par là-même les sergents fieffés de
l'évêque, et en cette qualité ils étaient tenus d'opérer la recette des
rentes féodales sous leur responsabilité, d'en verser le montant au receveur général
de l'évêché, de faire acquitter les corvées dues par les vassaux, et de
faire signifier les semonces pour les plaids ordinaires. Aux assises des
Grands-Jours de l'évêque qui avaient lieu une fois l'an, on les voyait apparaître
à côté du sénéchal et de l'alloué, la baguette à la main. Quand un
nouveau prélat avait à faire son entrée solennelle dans sa ville épiscopale,
les mêmes sergents fieffés ouvraient la marche » (Léon Maître, Bulletin
de la Société Archéologique de Nantes, XXI, 88).
Cette cérémonie
de la première entrée de l'évêque de Nantes se faisait avec la plus grande
pompe. « Au jour assigné, quatre grands
seigneurs se rendaient à l'aumônerie de Notre-Dame-hors-les-Murs, où l'évêque
les attendait dans la retraite. Le prélat, assis sur un siège d'apparat, revêtu
de ses ornements sacerdotaux, la mitre en tête, la crosse en main, était enlevé
sur un brancard richement orné qu'on plaçait sur les épaules des barons de Châteaubriant,
de Retz, de Pontchâteau et d'Ancenis. Jean de Montrelais, en 1384, se présenta
ainsi à la porte de la cathédrale. Au XVème siècle le cérémonial fut
modifié. Le prélat montait sur une haquenée blanche et s'avançait vers l'église,
entouré des barons placés dans l'ordre suivant : le baron de Châteaubriant
tenait la bride gauche, le baron de Pontchâteau la droite et, derrière, les
barons d'Ancenis et de Retz portaient les deux longes de la croupière. Jean d'Espinay,
en 1494, et Guillaume Guéguen, en 1500, n'entrèrent pas autrement. En
reconnaissance l'évêque donnait au baron de Châteaubriant l'étrier qu'il
avait tenus, et le baron de Retz, auquel appartenait l'honneur de lui verser
l'eau sur les mains au début du repas et de lui présenter la serviette,
recevait en retour tout le linge de table » (Léon Maître, Bulletin de la
Société Archéologique de Nantes, XXI, 89).
En 1681
l'évêque de Nantes jouissait encore de nombreux autres droits féodaux dans sa
ville épiscopale : « droit d'esmage »
sur diverses marchandises arrivant au port de Nantes — droit de «
nomblage » sur les bouchers et droit «
d'establir six bouchers, dont trois à la Fosse et trois dans la paroisse
Sainct-Similien », — droict de « sèche
» sur les conserves vendues en carême — droit de «
coutume » au Marchix pendant les quinze jours que durait la foire de
l'Angevine, commençant à la fête des saints Donatien et Rogatien (24 mai) —
droit de faire entrer en franchise dans la ville les sels et autres produits de
l'évêché — droit de ban et étanche à vin dont nous avons déjà parlé,
etc., etc. (Déclaration de l'évêché de Nantes en 1681).
Parmi les
nombreuses redevances du régaire de Nantes, dont le détail serait trop long,
citons les suivantes : « Deux livres de
cire dues par le Curé de Saint-Nicolas sur son presbytère — deux lamproies
le premier jour de carême par le chapelain de Saint-Julien à la Fosse — un
demi mouton gras, le jour de l'Ascension, par chacun des trois bouchers établis
à la Fosse ». — Une maison située rue du Puits d'Argent et, ayant façade
sur la grande rue de la Fosse devait fournir « un tabliers (table) couvert
de tapy et de beau papier, plume et encre, pouldre et jettons pour calculer, le
tout requis à faire la récepte, des rentes et debvoirs des seigneurs évesques
de Nantes, à cause de la juridiction des régaires ». (Déclaration de l'évêché
de Nantes en 1681).
Dans les fiefs du prélat nantais les nouveaux mariés, habitant les paroisses de Saint-Nicolas, Saint-Similien, Saint-Clément et Sainte-Radegonde, étaient tenus au devoir de quintaine, mais ils la couraient sur l'eau. A la Fosse, en face de la chapelle Saint-Julien, on dressait dans la Loire le poteau de quintaine surmonté de l'écusson de l'évêque, et les jouteurs montés en barque s'escrimaient à tour de rôle avec leurs lances ferrées, sous peine de soixante sols et demi monnaie d'amende. Tous ensemble devaient, en outre, un saumon frais à l'évêque leur seigneur. « Et pour la course de ladite quintaine » le propriétaire d'une maison au bas de la Fosse (il se nommait Guillaume Cassard en 1681) devait « fournir et planter ledit écusson de bois, fournir une barque, vingt nageurs et avirons pour ladite course, et le fer et ardon des lances de ceux qui courent ». En revanche il avait droit d'exiger quatre deniers monnaie de chacun de coureurs (Déclaration de l'évêché de Nantes en 1681).
Quittons
maintenant la ville de Nantes et occupons-nous des autres parties du régaire épiscopal,
c'est-à-dire des châtellenies rurales appartenant à l'évêque de Nantes.
-2° Châtellenie de Guérande. — Il ne faut pas confondre cette seigneurie épiscopale avec la châtellenie ducale de Guérande dont nous avons précédemment parlé.
La
formation de ce temporel ecclésiastique resserré entre la Grande Brière et
l'Océan, nommé le régaire de Guérande, remonte au IXème siècle. Quand l'évêque
Actard, chassé de Nantes par Nominoë, recouvra son siège, l'intrus Gislard
voulut une compensation ; il alla se fixer dans le pays de Guérande et y
conserva des domaines et une juridiction. Mais, après sa mort, cette seigneurie
guérandaise fit retour à l'évêché de Nantes.
La création
postérieure d'une sénéchaussée ducale à Guérande ne restreignit en rien
les privilèges de l'évêque en cette ville. « Quand il se transportait dans cette seconde capitale du comté
nantais il y trouvait, comme au chef-lieu de son diocèse, un manoir rue de l'Évêché
(note : la déclaration des biens de l'évêché de Nantes en 1790 mentionne le
palais de Guérande et les halles de cette ville), un sénéchal qui le représentait au milieu de ses vassaux, un
procureur fiscal qui administrait ses domaines et un receveur qui recueillait
ses revenus. Là, non moins qu'à Nantes, il marchait de pair avec le souverain,
il avait ses foires, ses prisons, son pilori, ses boucheries et prenait une part
des impôts publics » (Léon Maître, Bulletin de la Société Archéologique
de Nantes, XXI, 79).
Veut-on
savoir ce que le fief des régaires de Guérande rapportait à lui seul à l'évêché
?. Voici le dénombrement de divers
articles de recette qui figurent dans un compte de six années (1500-1506) :
argent, 2167 livres,— redevances : 420 mesures, 1 trulée et 3 quartaux de
froment ; 24 trulées d'avoine ; 13 chapons et 19 poules ; 5 paires de gants ;
285 pipes de vin et 1100 muids de sel (Archives de Loire Inférieure, E37 et
38).
De temps
immémorial, quand l'évêque de Nantes venait pour la première fois en la
ville de Guérande et y faisait son entrée solennelle, à son arrivée près de
la chapelle Saint-Michel le seigneur du Grand-Cleux devait prendre par la bride
le cheval de l'évêque et le conduire jusqu'à la grande porte de l'église
collégiale Saint-Aubin de Guérande. Arrivé là, l'évêque mettait pied à
terre et le seigneur du Grand-Cleux emmenait le cheval « tout accoutré et oreillé, lequel lui appartenoit dès lors de par
son droit » (De Sécillon, Bulletin de la Société Archéologique de
Nantes, XXIII, 191).
Au même
seigneur du Grand-Cleux appartenait un droit de quintaine sur les sujets de l'évêque
de Nantes « tant en la ville qu'aux
faubourgs de Guérande » (De Sécillon, Bulletin de la Société Archéologique
de Nantes, XXIII, 191).
Notre prélat
levait des dîmes dans les paroisses de Guérande, Piriac, Saint-Nazaire,
Mesquer et Saint-Molf (Abbé Grégoire, Etat du diocèse de Nantes en 1790, p.
20).
Il est à
croire qu'à l'origine l'évêque de Nantes eut en Piriac, sur un promontoire
s'avançant en mer, un château appelé Cariacum et mentionné dans la charte de Louis le Gros en faveur de
l'évêque Brice en 1123 (Annales de Bretagne, II, 367).
Enfin,
d'après M. Maître, l'évêque de Nantes possédait encore en Guérande, avant
le XVIème siècle, le manoir appelé jadis Saint-Thomas et aujourd'hui
Villeneuve (Bulletin de la Société Archéologique de Nantes, XXI, 81).
-3° Châtellenie
de Sucé. —
Suivant certain aveu relaté par l'abbé Grégoire, Sucé fut érigé en châtellenie
en 1456. Sa haute justice s'étendait en cinq paroisses : Sucé , Casson ,
Carquefou, Mauves et Saint-Mars-du-Désert. Toutes ces paroisses figurent, au
reste, dans la charte de 1123 et nous trouvons en 1252 et 1260 l'évêque de
Nantes jouissant de la seigneurie de Sucé ; il est même fait mention en 1266
du manoir qu'y possédait ce prélat (Dom Morice, Preuves de l'Histoire de
Bretagne, I 953).
Cette résidence
épiscopale qu'affectionnait l'évêque Simon de Langres en 1382, devint une
place forte, que fit garder en 1395 le duc Jean IV pendant l'absence de l'évêque
Bonabes de Rochefort (Abbé Grégoire, Sucé, 11 et 12).
D'après
la tradition, le château de Sucé fut attaqué et endommagé au XVIIème siècle
par les Huguenots qui avaient élevé un temple à Sucé. Au lieu de réparer
son château, Gilles de la Baume Le Blanc, évêque de Nantes, le fit démolir
en 1677 (Abbé Grégoire, Sucé, 11 et 12).
Cette
petite forteresse était bâtie sur un rocher dominant la rivière d'Erdre, en
face du bourg de Sucé. « L'enceinte en
était étroite, un double fossé circulaire taillé dans le roc garantissait
les avenues. L'entrée ou le pont-levis regardait le sud ; les eaux de l'Erdre
alimentaient les douves. Aujourd'hui ces ruines sont à peu près disparues : on
ne voit plus que les fossés à demi comblés et les fondements de quelques
tours. Une gracieuse villa couronne maintenant le sommet de Montretraict »
; c'était, ajoute l'abbé Grégoire, le nom (Mons
retractus, montagne solitaire) que portait cette demeure champêtre des évêques
de Nantes (Abbé Grégoire, Sucé, 10). Toutefois notons que M. Maître
l'appelle simplement le Plessix de Sucé (Bulletin de la Société Archéologique
de Nantes, XXI, 81).
Dans sa
châtellenie de Sucé l'évêque de Nantes avait, en outre, deux autres terres
nobles avec manoirs : Saint-Thomas en Saint-Mars-du-Désert, aliéné avant le
XVIème siècle — et Pellan en Carquefou. Ce dernier domaine, décoré d'un
beau bois et acheté en 1251 par l'évêque. Galeran, appartenait encore à l'un
de ses successeurs Gilles de Beauveau en 1683 (Archives de Loire Inférieure, C
7).
Le
domaine proche des régaires comprenait aussi un four à ban et un pressoir
banal au bourg de Sucé, des moulins
à vent et à eau, des garennes et
une fuie.
L'évêque
était seigneur fondateur des églises paroissiales de Sucé, Saint-Mars-du-Désert
et Carquefou ; il était seulement supérieur de l'église de Casson. De
nombreuses terres nobles relevaient de lui : la Pervanchère, le Plessix de
Casson, les Diablères, la Seilleraye, le Bois de Kergrois, etc. Le seigneur de
Launay, en Casson, lui devait « une paire
d'esperons blancs » ; celui de la Barillère une rente dite « vache à l'évesque » et le propriétaire de l'Onglette en Sucé
« quatre plats de poisson d'eau douce,
aux vigiles de Noël, Pasques, Pentecoste et Toussaints, chacun plat d'une
valeur de 3 écus, plus gasteau de froment la veille de l'Epiphanie » (Déclaration
de l'évêché de Nantes en 1683).
Terminons
en disant que l'évêque de Nantes levait une portion des dîmes de Casson et de
Sucé, et jouissait des coutumes du passage de Sucé et du bourg de Casson,
ainsi que de celles des foires de Saint-Michel à Sucé et de. Saint-Jacques à
Bréchalan (Déclaration de l'évêché de Nantes en 1683).
4° Châtellenie
de Saint-Géréon.
— La paroisse Saint-Géréon est une vieille localité remontant à l'époque
gallo-romaine. On a trouvé des tombeaux mérovingiens autour de son prieuré,
membre de l'abbaye de Bourgdieu (Maître, Annales de Bretagne II, 375).
Dès
1123, l'évêque Brice réclamait des droits à Saint-Géréon, mais l'un de ses
successeurs Daniel Vigier augmenta l'importance de son régaire en cette
paroisse en y faisant plusieurs acquisitions féodales, tant en 1305 d'Yves
Rigaud de Mézangé qu'en 1337 de Simon d'Omblepied (Archives de Loire Inférieure,
H 109).
A la
suite de ce développement du pouvoir épiscopal à Saint-Géréon, Pierre
Girouart, prieur du lieu, chercha chicane à Daniel Vigier ; il y eut entre eux
une procédure terminée en 1320 par l'attestation des évêques de Rennes et de
Vannes et par celle du duc Jean V relatant, «
d'après les dépositions de divers témoins, que les hommes du prieuré avaient
l'habitude de cuire leur pain au four de l'évêque et faire leur vin à son
pressoir et de porter leurs procès devant ses officiers » (Archives de
Loire Inférieure, H 109).
Les
moines de Saint-Géréon n'en continuèrent pas moins leurs empiétements sur
les droits de l'évêque de Nantes, et la Déclaration de 1683, nous apprend que
« le prieur de Saint-Géréon ayant jadis
élevé furtivement des fourches patibulaires, quoiqu'il n'eut qu'une basse
justice, il fallut à l'évêque de Nantes les faire détruire » (Archives
de Loire Inférieure, H 109).
Le prieur
de Saint-Géréon parvint toutefois à se soustraire en partie à la juridiction
épiscopale et à rendre ses aveux directement au roi.
Aliénée
en 1563 par Antoine de Créquy, évêque de Nantes, la châtellenie de Saint-Géréon
rentra dès 1565 dans le régaire épiscopal et en fit partie jusqu'en 1789.
Cette
seigneurie comprenait la paroisse entière de Saint-Géréon et «
mesme à l'origine le prieuré dudit lieu ». L'évêque y avait un sergent
féodé et y jouissait d'une haute justice. Le domaine du prélat comprenait au
bourg même de Saint-Géréon, outre l'auditoire et les four et pressoir banaux,
« une maison épiscopale avec grange,
jardin, vigne et prairies, l'une d'icelles prairies, sise au bord de la Loire,
contenant quinze journaux de terre, et dont les vassaux doibvent fanner et
charroyer le foin » (Archives de Loire Inférieure, B. Nantes, 23e vol.).
-5° Châtellenie
de Saint-Etienne de Montluc.
— D'après M. de Cornulier, la châtellenie de Saint-Etienne de Montluc
appartenait en 1187 à Guérin de Saint-Etienne, chevalier (Dictionnaire des
terres du comté nantais, 255). Il n'en est pas moins vrai que dès l'an 1063 l'évêque
de Nantes avait des intérêts dans cette paroisse puisqu'il en donna la moitié
des dîmes à son Chapitre cette année-là (Dom Morice, Preuves de l'Histoire
de Bretagne, I414) ; aussi Saint-Etienne de Montluc figure-t-il dans la liste
des terres épiscopales en 1123 (Annales de Bretagne, II, 373).
Les évêques
de Nantes constituèrent donc d'assez bonne heure leur châtellenie de
Saint-Etienne. Elle se composa des deux paroisses de Saint-Etienne de Montluc et
de Malville. Saint-Etienne relevait encore en 1683 toute entière de l'évêque «
partie en domaine, partie en proche fief et partie en arrière fief, avec droit
d'avoir un chastelain receveur, deux sergents féodés et une haute justice ».
Mais à la même époque le fief proche de l'évêque en Malville se trouvait
aliéné « depuis longtemps » (note
: dès 1412, Miles de Thouars possédait le Fief-à-l'Evêque en Malville -
Dictionnaire des terres nobles du Comté Nantais, 188) ; le prélat conservait néanmoins
des droits féodaux en cette paroisse et y avait pour sergent féodé le
seigneur de la Bourdinière (Déclaration de l'évêché de Nantes en 1683).
Au milieu
du XVème siècle le compte de Jean de Maumusson, receveur des paroisses de
Saint-Etienne de Montluc et de Malville, rendu pour seize mois, nous apprend que
la châtellenie de Saint-Etienne rapporta alors à l'évêque de Nantes : 117
livres 6 sols d'argent, 12 quartes de vin, 8 mesures d'avoine, 8 chapons et 2
poules (Archives de Loire Inférieure, G37).
Les
nombreuses terres nobles situées en Saint-Etienne de Montluc relevaient des régaires
: les seigneurs de Montluc et de la Muce leur devaient à Noël, chacun une
rente de 10 sols appelée le « manger-à-l'Evesque
» : les seigneurs du Châtelet, de la Noue et de la Sénéchallaye étaient
tenus de leur verser chacun, une autre rente féodale nommée la «
vache-à-l'Evesque ». Les seigneurs de la Juliennaye, de Langle, de la
Biliaye et bien d'autres tenaient également leurs fiefs du prélat.
Aussi l'évêque
de Nantes était-il seigneur supérieur de l'église de Saint-Etienne. Ses
vassaux du village de l'Abbaye devaient conduire les prisonniers à Nantes : «
les officiers de l'évesque ayant bien lié lesdits prisonniers, les remettent
aux mains de six hommes dudit village, lesquels les doibvent conduire és
prisons des régaires de Nantes, mais le chastelain de Sainct-Estienne doibt à
chacun desdits hommes 5 sols monnoie pour ledit liages » (Déclaration de
l'évêché de Nantes en 1683).
Le
domaine proche de l'évêque de Nantes à Saint-Etienne de Montluc avait de
l'importance à l'origine. Il consistait surtout en la terre et le manoir de
Saint-Thomas (Léon Maître, Bulletin de la Société Archéologique de Nantes,
XXI, 81), dont la chapelle fut fondée, croit-on, par l'évêque Amaury d'Acigné
(1462-1477) (Archives de Loire Inférieure, G 571) ; cette terre fut aliénée
vers la même époque, et le domaine épiscopal « autrefois grand et à présent petit » — dit la Déclaration
de 1683 — ne comprit plus dès lors « que les prés des Grandes et Petites
Rivières, les champs de l'Isle, le Grand marais et la chaussée de l'Abbaye et
la grande lande de Huan » (Archives de Loire Inférieure, G 571).
Terminons cette étude sur les régaires de l'évêché de Nantes par le sommaire de leurs revenus au moment de la Révolution. En 1790 l'évêque Charles de la Laurencie déclara avoir un revenu brut de 95 300 livres (note : les domaines de Nantes, Sainte-Luce et Sautron rapportaient 3 300 livres – les autres domaines ruraux et les dîmes : 29 000 livres – les droits de fiefs : 60 000 livres – et le greffe de la juridiction : 3 000 livres), avec 37 999 livres de charges ; ce qui lui constituait un revenu net de 57 308 livres. Aussi avons-nous dit qu'il était de beaucoup le plus riche des évêques de Bretagne. On pourrait ajouter qu'il en était aussi un des plus chargés d'honneurs, puisqu'il était de droit pair de France, conseiller-né au Parlement de Bretagne, conseiller-né et maître à la Chambre des comptes de Bretagne et chancelier-né de l'Université de Nantes (De la Nicollière, Armorial des évêques de Nantes, 34 et 35).
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