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L’ACHAT PAR LE ROI DE L'ILE D'OUESSANT EN 1764 |
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Rolland de Neufville, puîné, de la maison du Plessis-Bardoul, évêque de Léon de 1562 à 1613, par un contrat signé le 26 juin 1589, échangea avec René de Rieux, marquis de Sourdéac, l’île d’Oixant, [Note : En langage breton, Ussa, Ouessant, isle adjacente au Bas-Léon, dans la Bretagne-Armorique fort connue des navigateurs. Il y en a qui disent Ussan... Suivant le génie de la langue bretonne Ussam est l'original tout pur. Ussanm serait fait de Uss-amn. Cet uss pent-être pour uc'h, haut et Amn, rivière. Ouessant serait donc le côté supérieur de l'entrée de Brest et l’île de Sein le côte inférieur. Isamn, bas de la rivière. D. Le Pelletier, Dict. de la Langue Bretonne, P. 926 Exsent en 1289 ; ushant, du breton uc'hamn, Heussaf en 1503, Oixant en 1589 et, enfin Ouessant] contre la terre de Porléac'h, en Trégarantec.
Porléac'h appartenait à l'origine à Ausoche, souverain de la Léonie (Petite-Bretagne). [Note : Vita. S. Judicalis, Bl.-Manteaux, n° 38, P. 667. Bibl. nat. Cartulaire de l'abbaye de Redon par Aurélien de Courson, P. CLXXVII. — Quemenet-Illy, Commendatio Illy, Lesia, Lesie et placèe entre les Pagi Leonensis et Achmensis] Les évêques de Léon [Note : Leonensis, sive Sancti Pauli [Note : Leonense monast. S. Pauli de quo annal. eccl. Franc. ad anno 390, P. 366, vulgo S. Paul de Léon ecclesia post modum episcopalis effecta in Armorica inferiori ad Oceann Britannicu. Suite de la Clef du grand Pouillé de France. Les Abbayes, t. II, P. 150. R. P. A. Lubin] in Leonicibus osismiis, episcopatus sub archiepiscopatu Turonensi et Parlamento Redonensi. St-Paul de Léon en B.-Bretagne. La clef du grand Pouillé de France, t. P. 74, par Doujat] étaient seigneurs d'Ouessant depuis saint Paul, surnommé Aurélien ; [Note : Lan-Paul..... qui locus usque hodie monasterium, sive qucd notius est lingua Britonum Lanna Pauli vocatur. Boll. Vita S. Pauli Aurel, t. II, mart. § 28, P. 116. Cartulaire de Redon P. CLXXXI] arrivé en 512 avec douze religieux, il s'y était fait bâtir un petit monastère, consistant en une chappelle et treize petites cellules de gazon couvertes de glays. Albert le Grand, Vie de saint Paul, P. 194, col. l. Nommé en 530 episcopus ossismiorum ou occismorum, par le roi franc Childebert, saint Paul fut autorisé à percevoir les revenus des Pagi Leanensis et Achmensis ou Agnensis [Note : D. Morice. Pr., t. 1, col. 191. — Saint Paul arriva en Léon vers l'an 511 et y mourut en 575 ou 579 d'après M. Manet ; ou, si l'on suit le père Albert le Grand, saint Paul prit terre en l'île d'Ouessant, l’an du Salut 517 et décéda dans l'île de Baz, l’an de grâce 594. Kerdanet, note à la page 497. Eglises et chappelles de N. D. en l'évesché de Léon. Albert le Grand] dont relevait l’île d'Ouessant. Occismor était la ville principale du Pagus achmensis.
Les travaux de MM. Halléguen et de Blois ne semblent plus laisser de doute sur l'identité d'Occismor et de Brest ; ils confirment les renseignements si précis donnés sur la ville d'Occismor, sa rade et ses abords par Pierre Le Baud, d'après une vie de saint Goueznou remontant à l'an 1019. « Occismor, y est-il dit, était situé dans la dernière partie d'occident — dans l'Armorique — au païs d'Aginense, au lieu où est de présent Brest... en celles parties est un trèspas de mer, Mungulus — gueulle de mer, — par lequel on passe d'Aginense [Note : Cette terre d'Aginense était, comme le reste de la Bretagne, couverte de petits souverains. C'est la remarque qu'en a faite Porphyre dans Gildas : Britannia fertilis provinsia tyranorum. Chose qui n'aurait d'apparence, dit aussi d'Argentré, si plusieurs ne l'avaient escrit et jusqu'aux vieilles lettres qui se trouvent entre les papiers des éveschez et abbayes : ce qui fait croire que ce tiltre de Roy estait alors à fort bon marché, puisqu'ainsi se faisoit sans querelle, comme il se trouve en ce mesme temps de celui d'Yvetot, etc. Hist. l. 2, ch. 2. Notes sur la vie de saint Paul. Kerdanet. Albert le Grand, P. 213, col. 1] en Crauzon ... elle — la mer — fait un pelage en manière d'un grand estang qui se départ par plusieurs ports et rivages ».
Albert le Grand, dans la vie de saint Thénénan, septième évêque de Léon, nous le montre entrant avec ses compagnons, par le Mulgull, dans le golfe de Brest et allant attérir au château de la Joyeuse-Garde, à la ville de Lan Ternock [Note : Landergneau. Donation à l'abbaye de Saint-Mathieu par H. de Léon. 1206. D. Morice. Mémoires, t. 1, col. 807. Landergneau « une ville qui est tenue de M. Hervé de Léon. » 1296].
Le terme de Pagus Achmensis, Agnensis ou Aginensis a été francisé ; on dit aujourd'hui le pays d'Ack. Au siècle dernier, dans le langage courant, en parlant des terres qui bordent le goulet de Brest, on disait : côte de Léon et côte de Cornouaille, c'est-à-dire de la dépendance des évêchés de Léon et de Cornouaille.
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"Les
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PRÉLIMINAIRES DE L'ACHAT DE L’ILE.
Dès le commencement de l'année 1763, Louis-Auguste, comte de Rieux, lieutenant-général des armées du roi, proposa à S. M. de faire la cession de l'île, à tel prix et sous telles conditions qu'il lui plairait de fixer. En conséquence le ministre fit parvenir la dépêche suivante au commandant et à l'intendant de la marine au port de Brest.
« Versailles, le 18 avril 1763.
M. le comte de Rieux, seigneur de l’ysle d'Ouessant, et qui, en cette qualité, a le droit de présenter au roi un sujet pour remplir la place de gouverneur vacante par la mort du sieur Kerjean-Mol, est dans la disposition, M. M., de vendre cette seigneurie, dont j'estime que l'acquisition conviendrait au roi. Il paraît, suivant un mémoire [Note : On y lit : Le tout rélève du roi à cause de son château de St-Renan [voir note : St-Renan du Tay (1486), nom de la rivière, D. Morice, Mém., t. III, P. 538. Transport au Duc de Bretagne, par Hervé de Léon, de St-Renan, de 1237-1317, Arch. de la Loire-Inf. ant. à 1790, t. III ; Arch. civiles, E. 161, cassette 64, P. 61, col. 1. — Les bienfaits concédés par les princes Bretons à St-Rohan de Léon ou Loc-Ronan ar Fancq — Fanc, Fang ou Fanck, Fange, Boue, ordure, — étaient de l'ordre civil. Jean III y vint en 1320 et y tint sa cour. Le 21 juillet 1340, il y établit une cour de justice qui subsista pendant plus de 2 siècles et fut honorée par plusieurs magistrats illustres. — Semaine religieuse du diocèse de Quimper et de Léon, année 1887, n° 16, P. 507. Locournan ar Fancq, le lieu de St-Renan du Marais, locus Ronani Lutosi, suivant le Chronicon Britanicum, Jean III y tint sa cour en 1320 ; curia Britanniæ S. Ronanum in, Lconia. Le prince par lettres du 21 juillet 1440 (erreur : 1340, — y établit une cour qui se maintint jusqu'en 1565 que le roi Charles IX la réunit à la cour suprême de Lesneven dont elle se sépara, vers l'an 1575 pour former un petit tribunal. (Erreur peut-être, voir acte du 31 a. 1593, Levot, Hist. de Brest, t. I. P. 85), lequel fut transféré en 1681 — Lettres-Patentes de Juillet — en la ville de Brest, devenue ville depuis l'édit de Henri IV, du 31 décembre 1593 [voir note : L'acte de 1593 accorda aux habitants de Brest, le droit de Bourgeoisie du Roi ; ceux de Recouvrance ne l'obtinrent qu'en 1681 et alors pour la première fois, Brest cet Recouvrance eurent les Droits de Communauté de ville] Kerdanet, note de la P. 289, Vie de St-Renan, par Albert Le Grand]. A l'égard du revenu, comme cette terre est depuis longtemps négligée et que le gouverneur s'est rendu le maître absolu ; on s'en est rapporté toujours à son administration et il en rend tous les ans 800 l. net ; mais il faut convenir que vu la bonté du terrain et des herbages, cette Isle entre les mains d'un homme intelligent et fidèle devrait produire plus de 4,000 l, au propriétaire. Les terres y sont très bien cultivées ; il y a une race de petits chevaux fort singuliers et fort beaux. On pourrait en faire le commerce ainsi que des moutons qui y réussissent très bien. Le principal commerce de l'isle est la pêche de la sardine. — Les Etats de Bretagne dit Thévenard, Mém. sur la marine ; t. II, P. 78, y avaient entretenu un étalon pour réformer l'espèce en la rendant de plus grande taille et plus vigoureuse ; mais cette tentative fit dégénérer l'espèce. Loc-Ronon de Cornouailles — Locronan — l’Int. de la marine Desclouzeaux établit, en 1683, une manufacture de toiles à voiles pour le port de Brest. — Anciennement St-Renan du Bois, le chanoine Moreau, P . 55, dit Locronan-du-Bois. Soc. Arch. du Finistère, 1884, P. 18, renvoi 2, in fine] qu'il m'a remis, que cette terre qu'il expose avoir sept lieues de tour, a été érigée en marquisat, par Henri IV, vers la fin du XVIème siècle et que le revenu en consiste en rentes seigneuriales ce qu'il vous sera aisé de reconnaître, si comme je le présume, elles sont affermées. Je désirerais aussi savoir en quoi consistent les bâtiments qui dépendent de cette terre et qui forment le logement du gouverneur ; s'ils sont en bon état et solidement bâtis et s'il y a beaucoup de réparations à faire. M. de Rieux prétend aussi qu'il avait pourvu l’île d'une quantité suffisante de canons de fer [Note : Extrait des Régres — registres — du Conseil d'Etat, tenu à Paris le 29 mai 1717. — Réclamation de Louise de Rieux... que si la garde de l’île était donnée à d'autres qu'à la maison de Rieux, sans doute, S. M. trouverait juste de lui rendre les canons et les armes qu'ils y ont mis à leurs frais et de les faire jouir de la Dixme de l’îsle d'Ouessant qu'ils n'ont cédé aux insulaires qu'à la condition de faire cette garde, ce qui engagerait l'Etat à de nouvelles dépenses], lesquels lui appartiennent en propriété, quoique les officiers d'artillerie s'en soient mis en possession. Vous voudrez bien faire prendre également des renseignements à cet égard, et me donner en même temps toutes les explications nécessaires pour me mettre à portée de convenir avec M. de Rieux du prix de l'acquisition, s'il y a lieu de la faire faire par S. M.
Je vous prie de me mander au juste quel est le prix de la place de gouverneur de cette île, soit en gages, soit en émoluments, par qui ils se paient et sur quoi ils se prennent, M. de Rieux assurant qu'ils forment un objet de 2,400 l. par an, attendu que les fermiers généraux donnent au gouverneur une certaine somme, sans doute, pour l'engager à prêter son autorité contre la contrebande.
Je vous serai obligé de me donner des réponses positives et circonstanciées sur tous ces points, le plus promptement qu'il vous sera possible.
Signé : le Duc de Choiseul ».
L'intendant Hocquart de Champargny [Note : Et non de Champerny. Liste chronologique des Intendants, etc. Revue maritime et col. 1879, PP. 772, 779, et son père désigné ainsi à la page 779 : Hocquart de Seules nous semble devoir se lire Dessenlis ou Desseulis. Registres de la paroisse St-Louis de Brest. — Acte du 1er mai 1708 ; naissance de Hyacinthe-François Marin] mit plus de diligence que le commandant de la marine dans l'envoi des renseignements ; ils parurent suffisants au ministre pour l'éclairer. En conséquence, le duc de Choiseul traita avec M. de Rieux, et le port avait reçu depuis le 12 août 1764, la notification de l'achat, lorsque le comte de Roquefeuil écrivit sous la date du 17 septembre :
« Je viens d'apprendre que M. Hocquart avait déjà fait prendre possession de l'île d'Ouessant par les simples praticiens [Note : [Note : Qui étudie la procédure. L'orthographe primitive était pragmatique. — Je crois bien que du temps qu'on appelait les gens de justice pragmaticiens, en retenant l'origine du mot, les choses allaient autrement ; mais depuis qu'on a retranché une syllabe de leur nom, en les appelant praticiens, ils ont bien su se récompenser de ce retranchement sur les bourses de ceux qui n'en pouvaient mais. (H. Estienne.) Dictionnaire Larousse, t. XIII, P. 36, au mot Praticien] ordinaires et n'ay pas eu occasion d'y envoyer d'officiers de port pour l'examen que je projetais.
Comme vous avez bien voulu me demander ce que je pensais sur l'usage de cette acquisition du roy, je puis seulement avoir l'honneur de vous en marquer mon opinion, sauf les erreurs du local, ne jugeant de Ouessant que par un plan fort peu détaillé que j'en ay et sur les rapports qu'on m'en a fait ».
Le comte de Roquefeuil exposait ensuite les avantages de Ouessant au point de vue marin et il continuait ainsi :
« L'île d'Ouessant est du district particulier du commandant de cette place et elle me paraît plutôt être de celui du commandant de la marine, ainsi que la prise de possession ordonnée de votre part, par les officiers de plume, semble aussi l'annoncer, le commandement ou le gouvernement ayant toujours été donné à quelqu'ancien officier du corps, tous les avantages qu'on peut retirer d'Ouessant se trouvant relatifs à la marine et ne pouvant être mis en valeur que par un homme instruit dans les connaissances du métier. Cela n'empêcherait pas, qu'en temps de guerre, on ne put envoyer un officier de terre d'expérience pour le commandement de la garnison qu'on y enverrait et l'administration de la deffense de l'isle ».
De Roquefeuil demandait la construction d'une jetée.
« Ouessant s'est trouvé autrefois entrepôt d'un petit commerce qui s'est peut-être abandonné, faute d'un abri suffisant ».
L'ACHAT.
La notification s'en fit dans les termes suivants :
« Versailles, le 12 août 1764. Le roi a jugé à propos, Monsieur [Note : L'intendant Hocquart], d'acquérir l’île d'Ouessant appartenant à M. le comte de Rieux, par rapport à la situation de cette île et à l'utilité dont elle peut être pour le service du roi. J'en ai passé, avec M. le comte et Mme la comtesse de Rieux, le contrat d'acquisition moyennant la somme de 30,000 livres une fois payée et 3,000 de pension à M. le comte de Rieux, reversibles à sa femme et à son fils. Je vous en envoie le contrat avec les lettres-patentes qui ont été adressées par S. M. à la Chambre des Comptes de Bretagne pour confirmer et ratifier cette acquisition ; j'y joins aussi, en deux liasses, les titres de propriété de cette isle qui ont été remis. Vous voudrez bien les faire déposer au contrôle et procéder à la prise de possession de cette isle, au nom de S. M., en vous y transportant, s'il est nécessaire, avec le contrôleur de la marine.
Les termes du contrat et les titres de propriété vous indiqueront les formalités à suivre à cet égard. Vous prendrez aussi les mesures nécessaires pour établir convenablement la régie des biens de cette isle, en vous entendant à cet égard avec le gouverneur, et il en sera fait recette au profit du roi, dans les comptes des trésoriers généraux de la marine. Je vous prie de ne pas perdre de tems pour terminer cette affaire et de m'informer de ce que vous aurez fait. Je préviens M. le comte de Roquefeuil de cet arrangement. Signé : le Duc de Choiseul ».
Le roi aurait pu se dispenser de remplir à l'égard de l'acquisition quelques-unes des formalités requises par le titre XV, articles CCLXIX et CCLXX de la coutume de Bretagne pour les bonnes et valables possessions d'héritages, c'est-à-dire, celles de prise réelle, actuelle et corporelle, suivie de trois bannies consistant dans la lecture du contrat de vente, par trois dimanches consécutifs, du procès-verbal de chacune de ces bannies et enfin de l'acte d'appropriance ou d'appropriement.
Aussi le contrat de 1764 contient-il la mention. ci-après : « S. M. fera faire, si elle juge à propos de l'ordonner, conformément aux us et coutumes de la province de Bretagne, les trois bannies, lecture, publication et proclamation, tant des présentes que de l'acte de prise de possession qui s'en suivra, à l'issue des grandes messes de l'église paroissiale de ladite île d'Ouessant, dont procès-verbaux seront dressés et certifiés aux prochains généraux Plaids [Note : Leur forme. D. Lobineau, t. II, col. PP. 56, 62, 65, 125, 142 ; ne se peuvent remuer — changer — du jour indiqué. Arrêt du Parlement général de Bretagne commencé à Rennes, le lundi IX, jour de septembre, l'an MCCCXCVIII (1398), col. 802] du siège royal de Brest, afin d'appropriement, et pour quelque cause que ce soit, sur lesdits biens vendus ; et dans le cas où il surviendrait des oppositions auxdites bannies et certifications, du chef dudit seigneur et dame, comte et comtesse de Rieux ou de leurs auteurs, lesdits seigneur et dame, comte et comtesse de Rieux, s'obligent solidairement, comme dessus, d'en rapporter et remettre les mains-levées et radiations, à mon dit seigneur le comte de Choiseul, pour S. M., quinzaine après la signification et connaissance légale qu'ils auront desdites oppositions, comme aussi d'acquitter S. M de toutes surenchères et de consignation et de tous les frais extraordinaires que lesdites oppositions pourraient occasionner ».
Enfin le contrat de vente régla la question des canons placés dans l'île par les Rieux.
« Déclarent de plus, lesdits seigneur et dame, comte et comtesse de Rieux que les indemnités qu'ils pourraient prétendre vis-à-vis de S. M., pour raison de plusieurs batteries de canons dont la maison de Rieux avait muni ladite île et qui, pendant la dernière guerre, ont été transportés en la ville de Brest, au nombre de trente environ, demeureront compensés avec partie du prix de la présente vente, en sorte qu'ils renoncent à égard pouvoir jamais rien répéter, ni demander à cet égard ».
FORMALITÉS DE LA PRISE DE POSSESSION.
En conséquence des instructions du ministre, et sur l'ordre du comte de Rieux, le dimanche de Pâques 22 avril 1764, après les vêpres, le gouverneur de l’île, Michel de Kermeno de Gouzillon, par le ministère du sieur Jean Lessen [Note : Bourgeois, faisant fonctions de syndic aux classes, à Camaret, moyennant 100 l. par an, 23 juin 1732], syndic aux classes de ladite île, fit remettre au sieur Jean Cabon, prêtre, recteur de la paroisse, un avertissement ainsi conçu : « De la part de M. le comte de Rieux, le sieur recteur publiera au prosne de sa grande messe, demain, 23 de ce mois, que tous ceux ou celles de l'isle, vassaux dépendant de la seigneurie du marquisat de Ouessant, sont avertis de venir payer au gouverneur, les rentes, loods, et ventes dûs à cette seigneurie et de porter avec eux leurs quittances ».
La publication n'ayant pas été faite, le lendemain, 24, de Gouzillon se présenta chez les notaires de l'île, les sieurs Lessen et Bernard, .et leur donna mission de se rendre près le recteur, accompagnés du syndic aux classes, pour connaître les motifs de son abstention.
Le sieur Cabon exposa alors, par écrit, et sous son signe, les motifs pour quoi il n'avait pas fait la publication.
« Malgré les respects que nous portons à M, de Rieux et l'inclination que nous avons de lui prouver notre attachement et soumission, avons refusé le dit Gouzillon et refusons, conformément à l'édit du mois d'avril 1695, registré au Parlement le 14 mai de la même année, art. 32 ; conformément à l'ordonnance du roy du 16 décembre 1698 ; à l'arrêté du Conseil d'Etat du roy, du 24 septembre 1743 ; à l'arrêté rendu à la Tournelle le 1er mars 1727 ; demandons que nous y soyions maintenu et que le dit sieur Gouzillon aie à s'y conformer, ne m'apposant pas à ce qu'il publie ou fasse publier, à l'issue de la grande messe, dans le lieu où il ne pourrait troubler le service divin, ses ordonnances, avis, qui pourraient concerner son gouvernement de la dite île d'Ouessant et je signe en présence des notaires soussignés ».
Au bas de cette protestation, de Gouzillon fit écrire par les notaires la décision qui suit :
« De laquelle réponse, le dit sieur de Gouzillon, de la part du dit sieur comte de Rieux a déclaré protester de nullité et de ne pas se départir de ce qu'il a avancé, conformément aux intentions du dit seigneur, comte de Rieux auquel il se réserve de donner avis de ce que devant ».
Le sieur Cabon était dans son droit, et agissait conformément à la déclaration du roi du 16 décembre 1698 qui, « pour empescher que le service divin ne soit interrompu, ordonne qu'à l'avenir les publications qui seront faites, mesme pour ses propres affaires, ne pourront l'estre qu'à l'issue de la messe ». [Note : Circulaire du 13 juin 1700, du comte de Pontchartrain, chancelier de France, à tous les intendants de province et pays d'Etat. — Correspondance administrative sous le régne de Louis XIV, t. II, P, 321.— Mémoire de Nic.-Joseph Foucault, P. 334] Le sieur Cabon ayant accompli son devoir s'inclina sans doute devant l'ordre du gouverneur et nous le verrons ultérieurement accueillir avec bienveillance les délégués de l'administration lorsqu'ils se présenteront dans l’île.
L'intendant fit parvenir au ministre, conformément à ses ordres du 12 août 1764, l'état des rentes de l'île et prit les dispositions qui suivent :
Gilles Hocquart de Champargny, intendant de justice, police, finances et fortifications en Bretagne à Brest.
« Ordre à de Saint-Haouen Le Coat, procureur du roi de la marine en ce port de se rendre à l'île d'Ouessant pour y prendre, avec deux notaires, possession au nom du roi, de tous les biens, droits qu'y avait M. le marquis de Ouessant et de faire toutes les formalités prescrites par les us et coutumes de Bretagne, pour en rendre Sa Majesté propriétaire incommutable. Brest, le 4 septembre 1764. Signé : Gilles Hocquart ».
Jacques-Yves Le Coat de Saint-Haouen [Note : Substitut de MM. les Juges royaux 1714. Jacques Le Coat de Saint-Haouen, ci-devant notaire et procureur du roi de la prévôté de la marine, demeurant à son hôtel, rue de la Rampe, époux de Jeanne Rolland, décédé en 1779. Remplacé par de Préville-Martret 480 l., à compter du 1er de ce mois, 3 avril 1779], avocat en Parlement [Note : Il y avait des avocats au Parlement et en Parlement], procureur du roi de la prévôté de la marine, accompagné de Noël Siviniant et de Noël-Pierre Le Ru, notaires royaux en la sénéchaussée de Saint-Renan et Brest et apostoliques en Léon [Note : Primitivement nommés par le Pape ou par les évêques, avaient pour fonctions de recevoir les actes en matière bénéficiale. Un édit de 1691 les institua en titre d'office. Dans la plupart des villes, les notaires royaux rachetèrent ces titres et les réunirent aux leurs. Note de la page 295 des Mémoires de Nic.-Joseph Foucault], s'embarquèrent à la cale du rocher [Note : Cale du Rocher au sel, sur l'ancien quai Tourville, aujourd'hui dans l'arsenal. – Bull. de la soc. Ac. de Brest, 1889-90, P. 213], le 7 septembre, à 7 heures du matin, dans le bateau du nommé Pierre Malgorn, maître du bateau de ladite île, armé de 4 hommes d'équipage, « pour y mettre et introduire le roi en la possession réelle, actuelle et corporelle de la dite île consistant en un château, maison et manoir seigneurial avec les bâtiments en dépendant, avec haute, basse et moyenne justice, s'étendant dans les paroisses de Notre-Dame et de Saint-Paul, en cens, rentes, chef-rentes et autres redevances, tant en deniers, grains, qu'autres espèces et droits seigneuriaux et féodaux et honorifiques ; ensemble avec tous les autres droits, franchises, privilèges, prérogatives, prééminences et immunités de la dite île d'Ouessant, tels que les ancestres du dit et dame comte et comtesse de Rieux en ont pu jouir, sans du tout, circonstances et dépendances, rien retenir ni réserver ».
Le calme obligea les délégués à mettre pied à terre, près le château de Bertheaume, distant du Conquet d'une demi-lieue. Ils se rendirent au Conquet à pied et y passèrent la nuit chez le nommé François Lamarche, hoste, demeurant sur le port.
Avenu le 8 septembre, ils se firent conduire à Ouessant. Ils débarquèrent à un endroit nommé Ru-Glas, distant du bourg de trois grands quarts de lieu. Le dimanche, 9 septembre, ils allèrent se présenter au gouverneur de Gouzillon auquel ils communiquèrent leurs pouvoirs ; celui-ci leur déclara n'avoir moyen empêchant. Ils se rendirent ensuite chez le sieur Cabon, recteur de la paroisse. Enfin, disent les délégués, dans leur procès-verbal, « après avoir fait les déférences convenables, tant au dit sieur Gouzillon, gouverneur, qu'à messire Yves Cabon, prêtre, sieur recteur de l’île, et les avoir prévenus qu'à l'issue du prosne de la grande messe, nous entendions annoncer aux paroissiens et habitants de l’île l'effet notre commission, nous nous sommes rendus, sur les 9 heures, à la chapelle de Notre-Dame du Rozaire, pour y entendre le service divin ». Cette chapelle servait de paroisse, l'église Saint-Paul ayant été convertie en caserne pendant la dernière guerre.
A la clôture du prône, l'un des notaires, « à haute et intelligible voix, déclara et annonça au peuple, tant en langage français qu'en breton, qu'en vertu du contrat du dit jour, 30 avril 1764, S. M. avait acquis la dite seigneurie et qu'en conséquence ils faisaient sommation et commandement aux habitants de l'île d'avoir à reconnaître, à l'avenir, le roi comme seul propriétaire et seigneur directeur de cette île et des droits qui appartenaient ci-devant au dit sieur comte de Rieux ».
Puis les notaires entamèrent la série des formalités prescrites par la coutume de Bretagne [Note : ..... Pour en vertu des dites lettres et dit pooir à luy donné par icelles, maistre Jehan Bonnel, fait pour le dict seigneur et dame et duchesse prins et aprébendé de faict l'actuelle et réelle saisie, jouissance et possession de la dite seigneurie et chastelleny de Milly, 2 aoust 1449. — Soc. Ac. d'ach. sc. et arts du département de l'Oise, t. XIV, 3ème série, P. 638].
« La seule prééminence appartenant au dit seigneur comte de Rieux, disaient-ils, était un banc dans la chapelle du Rozaire qui a 5 pieds en quarré et en mauvais état étant très vieux, a sur l'accoudoir les armes de la maison de Rieux et est placée contre une petite fenêtre, du côté de l'épistre, à 6 pieds de distance des balustres... laquelle possession, pour et au nom du roi, le dit sieur de Saint-Haouen Le Coat a pris, par nos ministères, pour s'y être mis et dit ses prières, l'avoir ouvert et fermé, et déclaré, à haute voix, y prendre possession, pour et au nom du roi ; en laquelle possession n'a été ni troublé, ni opposé par qui que ce soit, en façon quelconque. Nous déclarons qu'il nous a été rapporté que ce banc était ci-devant dans l'église paroissiale de Saint-Paul, placé en haut de la dite église, aussi du côté de l'épistre et qu'il a été transporté en la dite chapelle, dans le tems où l'on a été forcé d'abandonner la dite église paroissiale pour le logement des troupes, et qu'il y avait un autre banc de prééminence en la dite chapelle du Rozaire ; adossé au pilier le plus proche du maistre-autel, du côté du midy, en avant du chœur, lequel banc a été tiré parce que l'on a trouvé qu'il gênait le passage pour MM. les prestres et qui doit par conséquent être rétabli et mis en place au premier ordre que l'on donnerait si on le jugerait à propos et nécessaire ».
Ce fut ce qui eut lieu peu après. Nous verrons ultérieurement que le gouverneur avait un banc dans l'église et que ses domestiques jouissaient de la même faveur.
De l'église du Rozaire, les délégués passèrent à celle de Saint-Paul « qu'ils trouvèrent totalement délabrée, sans autre marque d'église que l'édifice. Là ils accomplirent les formalités habituelles pour les prises de possession d'immeubles ordinaires... avoir entré et sorti, ouvert et fermé les portes et fenêtres, fait feu et fumée, bu et mangé, ambulé et désambulé, dans le dit terrain, arraché mottes et herbes, et fait tous autres actes requis et nécessaires pour bonne et valable possession, prendre et acquérir les droits réels, le tout sans avoir été troublé en la possession par qui que ce soit ».
Le 10 septembre, Saint-Haouen et les notaires se rendirent au manoir et maison seigneuriale [Note : La maison titrée de manoir par contrat d'acquet, est en très mauvais état. La partie principale de ce local est occupée, ainsi qu'un jardin y attenant, par le commandant de l'’île, 21 mars 1822. — Rapport de l'administrateur des classes au Conquet]. « Au coin du nort de la dite maison, y a un pilier planté avec un carquan pour marque de justice et de police qui doit s'exercer dans l'île ». Ils en prirent possession dans la forme ci-dessus indiquée. Ils allèrent ensuite à Pen-ar-Lan, distant du bourg de trois grands quarts de lieue. « Nous y avons vu les vestiges de l'ancien château du seigneur comte de Rieux... dans un enclos deux morseaux de vestiges du dit ancien château n'ayant que 6 pieds de hauteur et autant de largeur et à 10 ou 12 pieds de distance l'un de l'autre... dans lequel vieux château, enclos et dépendances, parc ou jardin, nous avons introduit ledit Saint-Haouen Le Coat, en la possession réelle, actuelle et corporelle, pour y avoir vagué, ambulé, désambulé et fait tous autres actes requis et nécessaires pour bonne et valable possession ».
Les ruines du château qui se trouvaient à la pointe de Pen-ar-Lan, au levant de l'île, servirent en 1520, selon M. Flagelle, à rebâtir celui de Trémazan, situé au Bourg de Kersaint-Trémazan, en Landunvez et dont les restes dominent l'anse de Porsal. Le château de Trémazan était la propriété des du Chastel et avait été construit par Bernard, époux de Constance de Léon, à son retour de la croisade en 1248 [Note : Notes archéologiques sur le département du Finistère. B. de la Soc. Ac. de Brest, 1876-77, PP. 20 et 28].
Cela est-il bien exact ? L'amiral Thévenard, dans ses Mémoires sur la marine. Remarques sur la rade de Brest [Note : T. II, P. 1 et suivantes], lors d'une excursion faite en 1772, a signalé les faits suivants :
« Revenant de cette pointe du S. O. (celle de Loc-Estas), pour aller à celle du N. O. de l’île, en suivant le rivage, faisant face à la mer de l'ouest, j'apperçus les vestiges raz terre et quelquefois au-dessus de 12 à 20 pouces, d'un édifice considérable, dont la tradition presque éteinte chez les insulaires actuels dit que ce sont les fondements d'un temple de payens ; ce sont les propos tenus en réponse à la surprise que je manifestai... J'appris par les plus anciens de ces habitants... que les matériaux du monument dont je voyais les traces [Note : L'amiral en donne la figure à la page 67. — Temple de Saturne ou Esus, d'où le nom de Eusaff donné à Ouessant, Kerdanet. Notes sur la vie de saint Paul, Albert le Grand, P. 206] avaient servi aux seigneurs de Rieux… pour bâtir un château-fort (il y avait plusieurs siècles), sur une petite péninsule au sud-est de l'île. J'alléguai alors que ce château n'existait plus puisqu'on n'en voyait à présent que des vestiges... Oui, disent les notables, il fut démoli en 1520 [Note : T. II, P. 68], et les matériaux furent transportés en grande partie sur la côte de Léon pour rebâtir le château de Trémazan que l'on voit aujourd'hui à l'entrée du pont Usvale. L'autre partie servit alors pour l'édification d'un château non fortifié, vers la pointe N. E. de l’île d'Ouessant, tel qu'il est désigné sur les anciennes cartes, notamment sur une de celles du Neptune françois, et qui fut démoli en 1725 ».
Le transport des matériaux de Ouessant à Trémazan semble bien problématique. En 1520, les Rieux n'étaient pas propriétaires d'Ouessant ; ils ne l'en devinrent que par acte du 26 juin 1589. A ce moment il existait une forteresse puisque René de Sourdéac, premier propriétaire, fit envoyer dans l'île les canons nécessaires pour la défense. Le château était vraisemblablement situé à Pen-ar-Lan ; c'est celui que M. Flagelle désigne ainsi : au levant de l'île et l'amiral Thévenard au N. E. et dont Saint-Haouen Le Coat parcourut les ruines en 1764.
Une lettre de l'administrateur du Conquet, datée du 21 mars 1822, contient ce qui suit :
« Le château de Pen-ar-Lan dont il reste à peine quelques vestiges, avait été vendu ainsi que ses dépendanses, comme bien national, à un habitant de l’île ».
Les délégués passèrent enfin aux isles et islots ; ils prirent possession de Pen-an-Roch et de Cors, à l'embouchure de la baie de Hors-Paul.
« Pen-an-Roch a 80 toises en carré d'étendue, servant à y mettre 5 à 6 moutons paistre dans le tems que les terres sont labourées et ensebmencées. ».
« Cors est dans les grandes marées et les gros tems couvert de mer, n'étant qu'une roche de 36 toises de long à l'est et de 24 toises à l'ouest ».
L'administrateur du Conquet, dans sa lettre déjà citée, en fait la description suivante :
« Les deux petites îles nommées Corps et Penanroch n'ont pas de propriétaire. La première est tout-à-fait déserte et sans utilité pour les habitants ; la seconde leur sert quelquefois, dans le beau temps, pour y faire paître des moutons ».
Saint-Haouen Le Coat en prit possession, au nom du roi ; ce fut la dernière opération qu'accomplirent les notaires.
« Ayant parcouru la grande île, nous avons trouvé que, suivant le rapport que nous en ont fait les habitants, qu'à prendre de la pointe de Kerdorant qui est au midy de l'isle de Queler, pour aller à Pors-Guen, une lieue et de Pors-Paul, à l'anse nommée Le Stiff près laquelle est située la tour où l'on fait le feu la nuit pour marques aux bâtiments, une lieue et quart, aussi de long du ouest à l'est, la dite île ayant en tout sept lieues de tour en dehors d'icelles ».
« Dès 1650, trois feux étaient allumés sur le sommet de la côte de Cornouaille, côté tribord — droit — du goulet de Brest, en entrant, dit l'amiral Thévenard, dans ses Remarques sur la rade de Brest, 1772. Les trois massifs de pierre de taille sur lesquels on tenait ces feux, existent encore. Ils ont six pieds en carré sur trois de hauteur ; on en allumait un autre sur la pointe N. E. de l'île d'Ouessant ».
En 1695, Vauban bâtit la tour à feu [Note : Thévenard. Mém. sur la marine, t. II, P. 71]. En 1712, ce feu était entretenu à l'aide de bois et de charbon de terre... « Il faut pour le feu de la tour de Ouessant du bois et du charbon de terre et pour le fanal de Saint-Mathieu, de l'huile d'olive, et à peine pouvons-nous avoir ce qu'il faut d'huile de poisson pour les corps de garde... la barrique de cette dernière espèce valait 150 l. ; on en achetait provenant des prises à raison de 30 l. la barrique de 14 à 15 veltes » [Note : Lettres de l'intendant de la marine, 4 janvier, 2 mars 1712].
Le 24 juin 1715, le ministre reçut une proposition d'établissement d'un fanal à Ouessant et à Bréhat, moyennant un droit à percevoir sur les navigateurs ; elle n'eut pas de suite. Le 22 mars 1720, l'allumage des feux de Saint-Mathieu et de Ouessant fut autorisé à partir du mois d'octobre : le trésor ne pouvait faire face à cette dépense, disait l'intendant. « On a beaucoup de peine à trouver de l'argent en Bretagne pour des billets de banque et d'ailleurs les particuliers n'en veulent pas prendre en paiement de leurs fournitures ; ils aiment mieux garder leurs marchandises que de les donner pour être payés en billets de banque » [Note : Lettre de l'intendant du 13 mars 1719]. La situation était la même en 1739. « J'approuve qu'en prévision du retour de l'escadre commandée par M. de marquis d'Antin, vous ayiez écrit à Ouessant pour qu'on y allumât le feu, dès à présent et avant le 1er du mois prochain, auquel on commençait d'ordinaire à l'allumer » [Note : Le ministre à l'intendant, 17 octobre 1739]. Cet état de choses fut enfin modifié sur les réclamations de l'amiral Thévenard. « Le phare, utile à toutes les nations de l'Europe n'était allumé la nuit que pendant huit mois de l'année ; mais sur mes observations, il fut allumé pendant les quatre autres mois de longs jours, etc. » [Note : Thévenard. Mém. sur la marine, t. II, P. 72].
Les délégués de l'intendant Hocquart reprirent la route de Brest. Ils prirent passage dans un canot de l’île et furent obligés de se faire débarquer sur un point de la côte d'où ils gagnèrent la ville pédestrement.
Le procès-verbal de leurs opérations fut envoyé au ministre et il en accusa réception.
« Versailles, le 20 octobre 1764.
J'ay reçu, Monsieur, avec
votre lettre du 1er de ce mois, l'acte de prise de possession de l'ysle
d'Ouessant, pour et au nom du roi, par le sieur Haouen Le Coat, procureur du
roi de la prévoté de la marine, assisté de deux notaires royaux que vous avez
commis à cet effet. Je ne puis que m'en rapporter à ce que vous avez
fait à cet égard et à ce que vous ferez pour parvenir à l'appropriement de
cette ysle, suivant les coutumes du pays.
Il paroist par le cahier des rentes et chef-rentes qui est en bas de cet acte, qu'elles montent en tout à 787 l. 11 s. 1 d. Je pense, comme vous, que le dixième que M. le comte de Rieux payait sur ces rentes, est dans le cas d'être supprimé, et il y a apparence que les Etats de Bretagne le feront rayer des rolles, c'est ce que je vous prie d'examiner. Le sieur Kermeno-Gouzillon, gouverneur, qui faisait la recette de ces rentes pour M. le comte de Rieux, continuera de la faire, comme vous le proposez, et en comptera au trésorier de la marine.
Vous me marquez que la maison du gouverneur tombe en ruines et aurait besoin d'être relevée totalement et je remarque aussi dans l'acte de prise de possession que l'église paroissiale serait dans le cas d'être rebâtie. C'est ce qu'il faudra examiner en ayant attention de ne point proposer de dépenses considérables qui seraient hors de proportion avec les revenus de cette ysle. Signé : le Duc de Choiseul ».
FORMALITÉS DE L'APPROPRIEMENT.
Pour que le roi demeurât propriétaire incommutable de l'île, selon l'expression employée par l'intendant de la marine Hocquart, dans son ordre du 4 septembre 1764, ou encore suivant la formule des juges ordinaires, pour constater la bonne et valable possession, il restait une dernière formalité à remplir, celle de l'appropriement.
En exécution de l'ordre ministériel ci-dessus, l'intendant de la marine désigna, le 25 juin 1765, le sieur Jean-François Roudaut, huissier-audiencier au siège royal de Brest, demeurant paroisse Saint-Louis, quartier de L'abreuvoir, pour aller dans l’île avec ses deux assistants, faire les trois bannies prescrites par les coutumes de Bretagne, afin de parvenir à l'appropriement.
La première eut lieu le 7 juillet, à 10 heures du matin.
« Ayant entendu la messe, à l'église du Rozaire avec mes assistants, Michel Daubouin et Yves Roudaut, je me suis placé à l'issue d'icelle au devant de la porte et principale entrée de la dite église et y étant avec mes dits assistants, lorsque le peuple qui sortait en grande affluence d'ouir et entendre le service divin, s'est assemblé, congrégé dans le cimetière, autour de moi, j'ai à haute et intelligible voix, tant en langage français qu'en breton, lu, banni, publié, proclamé, donné à entendre au peuple tout l'effet et teneur du contrat d'acquest.
Après quoi, j'ai donné lecture au long et explication, tant en français qu'en breton, de l'acte de prise de possession.
J'ay ensuite, pour et au nom du roi, donné terme et aon — assignation — à tous prétendants droits et intétêts dans cette isle, terre, etc., d'être, de comparoir aux prochains Plaids du siège royal de Brest, huitaine franche après ma dernière bannie, et par exprès à ceux qui se tiendront en l'auditoire du dit siège, situé au dit Brest, rue Saint-Pierre — de Siam, — le vendredi, 23 prochain, à 10 heures du matin, pour s'opposer, fournir et déduire leurs moyens d'opposition.
Fait procès-verbal de première bannie afin d'appropriment, copie par extrait du quel et du contrat d'acquest, actes d'insinuation et de prise de possession y datées, j'ay attaché et affiché à la porte et principale entrée de Notre-Dame-du-Rozaire, avec défense de l'ôter ni biffer. Le tout en présence du public et de Michel Daubouin et Yves Roudaut, mes témoins et mes assistants ».
Les mêmes formalités se renouvelèrent les dimanches 14 et 21 juillet.
A la date du 20 août 1765, maître Noël-Pierre Le Ru, procureur pour le roi, demeurant rue Cariou [Note : Adolphe Cariou de la Tour, avocat, ancien médecin, mort le 30 décembre 1687. Malgré ce que dit Levet, t. I. P. 259, Cariou se trouvait dans une situation régulière pour la question de la réunion, de la cure de Brest au séminaire des Jésuites. Ce n'était pas, comme le dit Levot, le procureur-syndic de la ville que Seignelay avait pu et voulu indiquer pour présenter la requête, mais le procureur du roi de la ville. Dép. du 10 nov. 1687 et lettre de l'intendant du 24 novembre. — Il était à Vannes occupé d'un procès. Cariou, son substitut légal, objecta d'abord qu'il lui fallait un ordre précis pour agir à la place de son chef et fit connaître plus tard à l'intendant qu'il se considérait comme régulièrement investi du mandat. Lettre de l'intendant du 28 novembre. La requête fut présentée le 3 décembre. Il mourut le 30 du même mois, il est vrai, mais s'ensuit-il qu'il fut moribond. La veille de sa mort, et à ce moment même, il pouvait être en parfaite santé] — rue du Petit-Moulin dont il ne reste plus qu'un tronçon — se présenta au siège royal de Brest, en qualité de demandeur, suivant les 3 procès-verbaux de bannies des 7, 14, 21 juillet, contre tous prétendants, droits et intérêts, sur ladite île et droits acquis par S. M., défendeur.
Le vendredi 23 et second jour des généraux Plaids du siège royal de Brest, le sénéchal, premier magistrat civil et criminel et de police dudit siège, déclara lesdites bannies bien et duement faites et certifiées à la coutume « ... après acte de la déclaration de Pichon de s'opposer pour les chanoines de Kersaint, afin d'être maintenus dans leurs droits et privilèges en la dite île ; ordonné qu'il fournira moyen dans le tems de l'ordonnance et aussi avons donné défaut vers tous autres non opposants et par le proffit, déclaré S. M. bien et duement appropriée vers et contre tous, fors les extraprovinciaires, en la dite île d'Ouessant et dépendances ».
ADMINISTRATION DE L’ILE PAR LA MARINE.
En passant de l'administration de leurs anciens seigneurs sous celle des agents de l'autorité royale, les Ouessantins avaient espéré, conformément à la promesse formelle du roi, conserver le maintien des privilèges divers dont ils étaient en possession de temps immémorial.
Dès 1764, ils présentèrent une requête au ministre, afin d'en rappeler le souvenir.
« Voici un mémoire, écrivait le duc de Choiseul, le 17 décembre 1764, que j'ai reçu des habitants de Ouessant qui demandent que la justice continue de leur être rendue par le gouverneur de l’île et d'être exempts, comme par le passé, de toutes les formalités de la justice ordinaire, attendu leur position et les embarras qu'ils auraient pour recourir à la juridiction de Brest.
Il me paraist très juste de les maintenir dans tous les privilèges à cet égard. Je vous prie d'examiner leurs représentations et de me dire votre avis, de me marquer si pour y satisfaire il serait besoin de quelque acte émané de l'autorité royale. Vous voudrez bien me renvoyer le mémoire ».
Ces bonnes intentions demeurèrent lettre morte, ainsi que nous le verrons ultérieurement.
Le 1er décembre 1775 on s'occupa de l'église, reconnue par de Choiseul, dans sa lettre du 20 octobre 1764, avoir besoin de grandes réparations. Une dépêche de même date autorisa la concession, par l'arsenal, de 957 pieds cubes 1/2 de bois de chêne pour la charpente, « dont la valeur, suivant l'estimation que vous en avez fait, est de 1,840 l. Je consens que lorsqu'ils auront mis la main à l'œuvre, vous les leur fassiez délivrer avec les ferrures dont ils pourront avoir besoin ».
Cette même année, 1775, les habitants d'Ouessant renouvelèrent leurs doléances sur l'état d'abandon dans lequel ils se trouvaient. Ils firent parvenir leur supplique à l'intendant de la marine à Brest et M. de Villeblanche [Note : Jacques Denis, commissaire chargé des ordres du roi, à l'effet de pourvoir à la subsistance, police et discipline des prisonniers anglais, dans les provinces d'Anjou et de Touraine, château de Saumur, à Thouars, château d'Angers. Tours et Loches, 1779. Jean-François Xavier, commissaire général des ports et arsenaux, ordonnateur de la marine en Bretagne], commissaire de la marine, envoyé sur les lieux, remit à son chef direct l'état suivant :
ETAT des Droits levés sur les habitants de l'île d'Ouessant, sans qu'on leur ai fait connaître à quel titre ils sont exigés.
Pour le roi qui est seigneur de l’île : 769 l. 2 s. 6 d.
Pour le séminaire de Léon (pour la grande dixme à MM. du Séminaire) : 300 l.
Pour Ste-Melaine (de Morlaix — la dixme et les chefs-rentes de l'abbaye) : 70 l.
Pour St-Mathieu et Beuzic (voir Note 1) (la dixme et les chef-rentes de l'abbaye de Beuzic, 80 l.) : 120 l.
[Note 1 : Prieuré de Beuzit-Cognonan ou de la Boessière et vicariat de Beuzit-Cognonan dépendant de Saint-Mathieu. Aveu du 16 octobre 1686. Il ne reste plus que le clocher portant la date de 1591 et le tombeau d'un Olivier de la Palue. Kerdanet, Albert le Grand, P. 625. Fréminville, Ant. de la Bretagne, Finistère, P. 267. Cadet de la maison de la Pallue, près de Landerneau, propriété des ancêtres de ce saint par concession de Hilibert, roi d'Armorique, ou tout au moins de Landerneau, et vivant en 453 ou 461, Kerdanet. Albert le Grand, Vie de saint Cognogan ou Guénegan, P. 623. D. Morice, pr. t. I, col. 179 § 4, ligne 5. Il avait succédé à saint Corentin sur le siège épiscopal de Quimper, Albert le Grand. P. 625. D. Taillandier, Catalogue, etc., P. 34, en note. Kerdanet, en note. Albert le Grand, P. 625, estime qu'il est le même que Vénérand, présent au concile de Tours en 461 et Albinus à celui de Vannes en 468. Selon Albert le Grand, Guénegan mourut le 15 octobre 459, ce qui est plus probable. Belle collégiale, (D. Morice, Mém., t. 2, col. 1670) dédiée en l'honneur de la Très Sacrée Mère de Dieu ; elle est servie par des chanoines-chapelains, fondée et rentée par les anciens seigneurs du Chastel. Ce lieu est l'une des plus belles marques de la rare piété de ceux de cette grande maison. Albert le Grand, Eglises et chapelles de N.-D. en l'évesché de Léon, P. 513].
Pour Kersaint — (à la dixme de St-Mathieu) : 36 l.
Pour les chaoines de Kersaint (voir Note 2) : 964 l.
[Note 2 : Eglise collégiale, placée sous le vocable de saint Tanguy et de sainte Haude. On y remarque les armes de Jeanne de Carman ou Kermavan, épouse en 1434 de François du Chastel, sieur de Leslein, Lescoët Lezoreby, chevalier banneret le douziesme novembre l'an 1455 ; de Marie du Poulmic, mariée le 27 janvier 1459 à Olivier du Chastel, fils du précédent ; de Louise du Pont qui, le 21 octobre 1492, épousa Tanguy, sire du Chastel et du Poulmic, fils du précédent ; elle mourut en 1495. Conservée pendant la Révolution par les soins d'une pieuse et excellente veuve, Mme Bazil-Kerdanet. Le Père Albert le Grand a mal écrit ce nom, Ker-Seant, et devait dire Ker-Sænt, nom auquel on ajoute ordinairement celui de Trémazan, pour le distinguer de Ker-Sænt-Plabennec, paroisse qui a pu, dans l'origine, être dédiée aux mêmes saints, mais qui se trouve aujourd'hui sous l'invocation de saint Etienne, premier martyr. Kerdanet. Albert le Grand, P. 773, col. 2].
Pour vingtième : 325 l. 10 s.
Pour Fouage à Morlaix : 207 l. 5 s. 11 d.
Pour Fouage à Landerneau : 370 l. 11 s. 6 d.
Pour Capitation : 151 l. 9 s.
Pour droits de fief de M . le comte de Donges — seigneur de Rieux — lequel n'a pas été demandé depuis 10 ans : 29 l.
Pour Garnison : 62 l.
Total : 3.404 l. 8 s. 11 d.
M. de Villeblanche écrivait : « Plusieurs autres particuliers s'attribuent d'autres droits seigneuriaux qu'ils perçoivent en nature, comme blé, volailles, grains de diverses espèces, etc. Les habitants d'Ouessant supplient instamment M. l'intendant qui, comme représentant du seigneur de l'île, est leur protecteur naturel, de vouloir bien leur accorder ses bontés pour qu'ils puissent connaître quels sont ceux de ces droits qui sont réellement exigibles d'eux. La plupart de ces droits sont regardés comme des vexations par les insulaires, et cette opinion est extrêmement préjudiciable à l'industrie des cultivateurs qui tremblent au seul nom d'huissier, dont on a soin de les effrayer, paient ce qu'on leur demande, sans oser même se faire représenter les titres sur lesquels on se fonde et se bornent au seul nécessaire, évitant d'augmenter leurs cultures dans la crainte de nouveaux droits dont ils sont persuadés qu'on les accablerait » [Note : Rapport du 26 juillet 1775 — Le nom de ce commissaire-contrôleur est peut-être Lantier de Villeblanche, commissaire de la marine, 1755, contrôleur 1771, retraité 1777. Maire de Toulon à diverses reprises. — Son rôle — Ac. du Var, 1892, t. XVI, 2ème fasc. Gustave Lambert, PP. 430 et suivantes].
Deux années après, le 19 novembre 1777, le comte d'Orvilliers et l'intendant de la marine répondant à un mémoire présenté au ministre par le sieur de Carn, gouveineur de l'île, s'exprimaient ainsi :
« Nous ne pensons pas que l'on doit songer à en faire — aucun établissement militaire, — les ennemis n'auront jamais l'idée d'attaquer Ouessant, tant qu'ils ne regarderont point cette île que comme un point d'attérage qu'assurent les phares et qu'ils n'y verront pas un point de défense. Mais nous ne pouvons trop insister, Monseigneur, sur la nécessité de rendre aux habitants les anciens privilèges dont ils jouissaient lorsque Messieurs de Rieux étaient les seigneurs et qu'ils n'ont perdu que depuis que le roi en acquit la seigneurie, quoique S. M. leur en eût fait promettre la conservation. Les nouveaux droits de l'amirauté n'ayant été introduits que depuis huit à dix ans, sans qu'il y eut une loi positive qui en ordonne l'établissement, mais par une extension de ce qui se pratique dans le royaume, il ne faut par conséquent point de loi quelconque pour les abroger : un mot du ministre des finances pour les premiers, et un ordre aux officiers de l'amirauté pour ceux-ci, suffit pour rendre à ces insulaires toutes leurs anciennes prérogatives, peut-être leurs anciennes vertus [Note : Voir les détails donnés par l'amiral Thévenard. Mémoire sur la marine, t. II, PP. 75 à 78] et rétablir la tranquillité dans l’île ».
A la réception de cette lettre, et sous la date du 1er décembre, le ministre de Sartine écrivit à Necker, directeur général des Finances, pour le prier de s'intéresser en faveur de la conservation des franchises et privilèges divers des Ouessantins. Il lui proposa de faire un arpentage général du terrain de l’île, afin de distinguer les possessions de chaque particulier de celles du domaine seigneurial. « On pourrait, écrivait-il, concéder quelques journaux au gouverneur, qui donnerait l'exemple de la bonne culture et faire aux habitants concession du surplus, suivant une redevance payable au domaine. Il serait à propos de suivre à Ouessant, le même plan que les Etats de Bretagne avaient adopté et exécuté en 1766, à Belle-Isle en mer, et qui consistait à afféager aux diférents colons, et par lots de trente journaux, tout le terrain qui appartenait au roi ».
Ces colons étaient les habitants de l'Acadie qui avaient été transportés en France [Note : Historique, par La Réveillère-L'épaux. Encycl. Diderot et d'Alembert. Assemblée nat. et const., t. II, P. 34]. Ceux de Belle-Ile provenaient de Morlaix [Note : Lettres de Brest. Marine, 7 janvier 1759, 26 décembre 1762, 21 décembre 1765, 23 décembre 1766, pour ceux résidant à Morlaix. Lettre de Necker relative à un mémoire par lequel ceux de Morlaix se plaignent de ne pas recevoir la solde de 3 sous par jour qui leur a été promise, 1779] et de Saint-Malo [Note : B. de la Soc. M. de Brest, 1864-65, P. 178]. Ils étaient au nombre de 80 familles [Note : Archives du Morbihan. Rozenweig, P. 28]. « Par leur moyen, on établit dans l'île la culture de la pomme de terre, d'où elle semble se propager sur le continent à l'avantage du peuple » [Note : Mémoire sur la marine. Thévenard, t. II, P. 331. Introduction en Bretagne de la ponme de terre en 1776, par le douanier Taass. Annales Armoricaines, etc., par Ch. Le Maout, P. 451].
Ces expatriés étaient disséminés dans diverses localités de la France ; on en trouvait à Boulogne-sur-Mer [Note : Soc. Ac. de Boulogne-sur-Mer, 1869, P. 400, 410 ; 1887-88, P. 314 ; 1888, P. 223 ; 1890, P. 314] ; à Dinan [Note : Annales Armoricaines, etc., du département des Côtes-du-Nord. Le Maout, P. 176] ; à Nantes [Note : Ils passèrent à la charge de l'Espagne, le 1er juin 1785] ; à Châtellerault [Note : Revue de Saintonge et d'Aunis, 1888, nos 20 et 21. Histoire de Chatelleraud, Labaume, t. II, PP. 249 et suiv.] ; et l'intendant de la marine Daniel-Marc-Antoine Chardon fut chargé d'examiner les moyens de les établir en Corse [Note : Revue des soc. savantes, 5ème série, t. VIII, septembre et octobre 1874, P. 290, chevalier conseiller da roi en son conseil, maître des requêtes ordinaire en son hôtel, premier président de son conseil supérieur de Corse, intendant de justice, police et finances près de ses troupes et commissaire départi pour S. M. pour l'exécution de ses ordres dans l'étendue de cette île, 1768]. Quelques-uns de ces Acadiens [Note : Voir Arch. Ille-et-Vilaine ant. à 1790, t. II, c. 2453. Lois relatives à la marine, t. I, P. 155, t. II, P. 433] s'étaient retirés à Saint-Pierre-et-Miquelon. Mais à la fin de 1767 , l'Inconstant, commandé par Tronjolly, conduisit à Brest quince familles Acadiennes, émigrant de Saint-Pierre-et-Miquelon, en raison des tracasseries des Anglais [Note : Espion, Anglais, t. VIII, P. 205]. Il existe encore à Brest, croyons-nous, quelques-uns de leurs descendants.
Reprenons la suite de notre récit. Le port de Brest reçut l'ordre, le 2 avril 1779, d'expédier à la cour le dossier complet de l'acquisition de l’île pour être remis à M. de Necker. L'affaire demeura en souffrance. Elle fut reprise en 1782. Le 25 avril de cette année, l'intendant général de la marine Arnaud de la Porte, en service à la cour, informa le port que le dossier de l’île d'Ouessant ne se retrouvait plus ; il donna l'ordre de le reconstituer pour être mis à la disposition de M. de Beaumont [Note : Jean-Louis Moreau de Beaumont, né à Paris en 1715, mort au Mesnil le 22 mai 1785. Conseiller d'État et ordinaire au Conseil des dépêches et au Conseil royal des finances et au Conseil royal du commerce, du comité pour les affaires contentieuses au département des finances. Almanach royal, 1782, P. 214]. Mais les Ouessantins n'obtinrent aucun allégement à leurs charges.
Les seules faveurs accordées aux habitants par l'autorité royale, à partir de ce moment, furent bien légères. Le 24 avril 1787, le ministre autorisa l'intendant de la marine à recevoir de l'évêque de Quimper-Corentin ou Cornouaille deux sommes provenant de restitutions opérées, l'une par l'Amirauté, l'autre au profit du roi — en confession — et à affecter l'une d'elles au relèvement de la jetée de Pors-Paul ; quant à la seconde, montant à 140. l. 7 sols, elle était réservée pour le soulagement des plus pauvres malades de l'île. « Ces deux sacrifices, ajoutait le ministre, qu'on ne peut compter pour dépenses réelles, ne sauraient être mieux placés qu'au soulagement de ces malheureux insulaires ».
Nous voici maintenant rendus à l'époque de la convocation des Etats Généraux.
Dans le supplément aux Doléances locales, insérées au Cahier commun des Doléances et représentations des différents corps, communautés et corporations composant le Tiers-Etat de la ville de Brest, 8 avril 1789, on lit :
Article 2. — On demandera l'affranchissement absolu de tous devoirs et impositions, sous telle dénomination que ce soit, sur toutes les boissons et liqueurs qui se consomment dans les îles de Molène et d'Ouessant, par les habitants.
Enfin l'administrateur du Conquet, dans son rapport du 21 mars 1822, faisait la réflexion suivante :
« Les chefs-rentes s'élevant à 607,12 se payaient jadis par des propriétaires, à titre de contribution foncière ; aujourd'hui elles se trouvent, ainsi que la dixme, le vingtième et l'affouage, composer la contribution directe, laquelle, suivant l'attestation de plusieurs habitants, est d'un tiers plus élevée que ne l'étaient les quatre autres ensemble ; à cette surtaxe, il faut encore ajouter les droits de mutation et d'enregistrement imposés depuis peu ».
Les habitants de Ouessant ne furent pas les seuls à avoir été oubliés.
La situation pécuniaire du gouverneur n'avait pas été réglée au gré des désirs de Kermeno de Gouzillon. Il avait formulé diverses demandes, dès le 15 septembre 1766, et porté des accusations contre le recteur, le chirurgien, le garde-magasin de la tour à feu et l'employé au vin, le représentant du fermier des Devoirs qui y tenait la cantine.
Le ministre chargea le commandant de la marine de profiter du voyage qu'il projetait de faire dans l'île, pour voir quels seraient les arrangements à prendre en vue de faire cesser les discussions. En ce qui concernait les demandes du gouverneur, le duc de Praslin y répondait comme suit :
« 1° Demande de lettres de service, avec le brevet de capitaine de vaisseau. Vous lui direz que cela est impossible ; que le gouvernement d'Ouessant n'est pas un gouvernement militaire ; que le roi, en faisant l'acquisition de cette île, se trouve purement et simplement aux mêmes droits que M. le marquis de Rieux, précédent propriétaire, et que ce changement de propriété ne peut donner au gouverneur d'autres prérogatives que celles dont jouissait le sieur Kerjean-Mol, son prédécesseur.
2° Qu'une nouvelle commission est inutile, puisque celle par laquelle il est pourvu, a été expédiée par S. M. La seule différence qui sera observée à l'avenir, c'est la mention de la présentation d'un sujet par le propriétaire, le roi confondant aujourd'hui par sa propriété, ce droit de présentation dans celui de nomination qui lui appartient. Si cependant vous pensez que des lettres de confirmation soient nécessaires, je vous prie de me le mander et je les ferai expédier.
3° Il ne peut être question d'attacher d'autres émoluments à cette place que ceux dont jouissait le prédécesseur de M. de Kerméno et S. M. n'est point disposée augmenter sans motifs ses dépenses.
4° Enfin, il n'y a jamais eu de troupes dans cette île, en tems de paix, et je n'en aperçois pas la nécessité. On ne peut donc avoir égard à cette demande. Dans le cas de guerre, S. M. y pourvoirait et prendrait alors les arrangements convenables au bien de son service et à la sûreté de l’île ».
Kermeno de Gouzillon garda le silence ; mais au bout de huit années d'exercice, il insista pour que l'on fixât d'une manière définitive le traitement dont il devait jouir en sa qualité de gouverneur. Dans cette nouvelle demande, il mit en avant, nous n'avons pas trouvé cette lettre, les frais de représentation auxquels sa position pouvait l'entraîner. Nous verrons plus loin comment il fut répondu cette prétention.
L'intendant de la marine ne sachant trop comment déterminer les émoluments de cette place, chargea son secrétaire particulier, le sieur Guillemard [Note : Epoux le 8 décembre 1767 de demoiselle Branda, familles de Brest, — Auteur de Poésies fugitives, de Caton d'Utique, de l'Odyssée ultramontaine, le Dervis et Le Loup. — Notices chronologiques sur les théologiens jurisconsultes, etc. de Bretagne, Miorcec de Kerdanet, P. 406], écrivain de la marine, de s'aboucher avec la dame de Lesparler de Coatcaric, veuve de Kerjean-Mol, prédécesseur de Gouzillon. Elle fournit de vive voix les indications ci-après :
« La ferme des tabacs, lui accordait, par an, pour la protéger contre les fraudeurs, la somme de 400 livres. Cette somme était payée par M. Delbove, [Note : Nicolas-Joseph, ancien entreposeur des tabacs, époux de Thérèse Marie Marchand, mort à Kérellé, Lambézellec, près de Brest, à l'âge de 71 ans, 4 juin 1788. Mariage du 4 novembre 1743, Saint-Sauveur de Recouvrance] entreposeur des tabacs à Brest. La Ferme avait évalué la consommation des tabacs dans l’île à 80 livres ; le gouverneur l'achetait 20 sols la livre et était autorisé à le débiter à raison de 32 sols. ».
Nous croyons utile de donner quelques détails sur cette organisation. Antérieurement à 1697, la Ferme des Tabacs faisaient partie des Fermes-Unies du Royaume ; mais le 16 novembre, le ministre de la marine écrivit à l'intendant à Brest, « le roy a distrait des Fermes-Unies, celle des Tabacs, pour en faire un bail particulier, sous le nom de Duplantier [Note : A la caution de Maynon et Cie. Mém. de Nic.-J. Foucault, publié par F. Baudry, P. 322]. L'intention de S. M. est que vous donniez à ce fermier et à ses commis tous les secours et la protection dont ils peuvent avoir besoin pour empêcher les fraudes et les versements de faux tabac qui se peuvent faire et ce qui s'est fait jusqu'à présent, avec impunité, par les troupes de terre et de mer et par les matelots, au grand préjudice de cette ferme ».
L'entrepôt était situé à L'Archantel aujourd'hui caserne à Recouvrance. L'un des prédécesseurs de Delbove fut Dupleix-La Prisonnière, père du gouverneur général de l'Inde, né à Landrecies le 1er janvier 1697. Peu après sa naissance Dupleix, Joseph-François, fut emmené à Brest par son père, qui s'y trouvait en 1699. Les Massac, parents de sa femme, l'avaient accompagné et l'un d'eux fut l'un des membres fondateurs de la Société des Vêpres (15 décembre 1792). Les registres de la paroisse de Saint-Sauveur — Recouvrance — contiennent des actes de naissance au nom de Dupleix ; un mariage avec Choquet, commissaire général de la marine, a eu lieu à l'église de Treninez — Saint-Marc ; — à Ploujean, près de Morlaix, s'est accompli celui de Desnos [Note : Anne Dupleix, tutrice de Jacques, Charles, Marie-François et Jean Desnos, ses enfants de son mariage avec noble homme Jacques Desnos., sieur de Kerjean, demeurant en sa maison de Kerjean, en la trève de Treninez. Paroisses de Brest, 28 octobre 1746], sieur de Kerjean, propriétaire du lieu de Kerjean aux portes de Brest. Depuis 1702, Dupleix père était passé à la manufacture des tabacs de Morlaix.
Quant à la répression de la fraude, voici quelques exemples de la sévérité déployée.
Lamarche, tambour de la compagnie d'Obrien, Lallemand, soldat de la compagnie de Gouyon-Ravillers, condamnés hier matin par le conseil de guerre aux galères à perpétuité, convaincus d'avoir été trouvés saisis de 10 l. de tabac acheté en fraude [Note : Ordonnance de février 1712] ..... ils s'y sont abandonnés pour gaigner de quoy « avoir des hardes dont ils manquent depuis longtemps ». Une demande de commutation de peine fut immédiatement établie à la suite de laquelle ils furent condamnés à servir dans les compagnies qui sont aux isles de l'Amérique. 1er juillet 1718.
En 1719, le 23 octobre, l'Achille et le Mercure partaient de Brest pour la Louisiane avec chacun 100 et quelques passagers de cette catégorie. Un convoi était arrivé le matin de Landerneau et antérieurement de Dinan ; il se composait de 93 hommes, 20 femmes et 4 enfants.
La surveillance s'exerçait pour l'arsenal de Brest, par le Bivac, édifié en 1697. Il était situé à l'extrémité de la rampe de l'ancien bagne, aboutissant au magasin général. Il disparut en 1756, lors de la construction du mur de clôture du bagne à la Voûte et de l'établissement, rue Richer, de la porte de l'arsenal précédemment placée à l'extrémité de la rampe dont nous venons de parler.
Les gens de la Ferme déployaient une grande activité pour la recherche des coupables ; mais l'autorité maritime trouvait bien fréquemment le moyen de les tirer d'embarras [Note : Les Mém. secrets pour servir à l'histoire de la République des Lettres, etc., t. XXl, P. 21, mentionnent l'enregistrement, à la date du 12 juin 1785, par la Cour des Aides, de lettres patentes données à Versailles le 7 mai, portant défense de nourrir ou de vendre des chiens mâtins propres à la fraude du sel et du tabac. Tabac en andouilles (à fumer) 1746... Délivrance de 16 à 17 milliers de tabac en cordes (à chiquer) à l'escadre du duc d'Enville, 1746. Tabac filé, dit de cantine (à chiquer) ; tabac en carottes (à fumer), 1784].
Reprenons la communication de Madame veuve Kerjean-mol.
« La ferme des Devoirs [Note : Le grand et le petit devoir. Contributions indirectes. Des frégates garde-côtes étaient armées par le roi pour le compte des fermiers, 1711] lui accordait 400 l. par an, pour veiller à ses intérêts. M. Motay, receveur à Brest, les payait. M. de Trévignon, ci-devant gouverneur, tenait chez lui la cantine ; mais elle ne lui coûtait pas 400 l. ; c'est actuellement le directeur des Devoirs qui la tient [Note : L'employé au vin, mentionné par ailleurs]
Le gouverneur avait le droit d'acheter, chaque semaine, un mouton ou plutôt le choississait en payant 40 sols et outre 5 sols au boucher pour le tuer ; il avait également le droit d'une poule par jour en la payant 5 sols.
M. l'intendant de Brest lui avait accordé neuf cordes de bois par an [Note : Concession faite le 3 juillet 1739 à de la Rue de la Fresnaye]. On les envoyait dans l’île ; elles étaient livrées par le fournisseur de bois de chauffage sur les batteries de la côte.
Le gouverneur avait deux hommes d'ordonnance chez lui, pris parmi les insulaires. Il les employait à des occupations de service et aussi quelquefois à la pêche, en leur accordant moitié de son produit. Il avait un canot armé par les gens de l’île. Il ne les payait que des traversées au continent ; 10 l. en été, et 15 l. en hiver. Il avait un banc de distinction à l'église pour sa personne [Note : Le banc acquis par la marine est occupé par le commandant de l’île. Rapport du 21 mars 1822 de l'administration de la marine au Conquet] et un autre pour ses domestiques.
Mme de Kerjean-mol assura que jamais M. le comte de Rieux, précédent propriétaire de l’île, n'avait accordé de traitement à son mari de quelque nature que ce fût ».
Lorsque ces indications furent fournies au commandant de la marine, par l'intendant, il écrivit au ministre, à la date du 3 mars 1775.
« ..... Quant aux demandes que fait M. le gouverneur, je les trouve fort déplacées. Ses dépenses de représentation sont très peu de chose et je le trouve fort heureux, lorsque la bonne fortune lui amène ce que l'on appelle un honnête homme pour partager avec lui une poule ou un mouton [Note : ... Un habitant qui tuait un mouton [voir note : La bonté de ces moutons et celte de ces vaches firent désirer au ci-devant Condé de les faire pulluler dans une île située au-dessous du palais nommé Bourbon, alors qu'il faisait bâtir ; mais les tentatives faites pour remplir ses vues n'eurent point d'effet, etc. Mémoire sur la marine. Thèvenard, t. II, P. 79] par exemple, le suspendait à sa porte, où chacun pouvait dépecer et emporter la part qui lui convenait le mieux. Mémoire sur la marine, amiral Thèvenard t. II. P. 75] qu'on lui fournit dans l'île à meilleur marché qu'à tout autre. Il a l'impôt du tabac qui lui vaut 400 l. Ainsi en lui payant 400 l. comme honoraires de ce gouvernement et de ses recettes [Note : Au nom du roi] pour huit années, à 3,200 l., il doit être d'autant plus content qu'il jouit de deux pensions, l'une de 1,000 l. sur le fond des invalides, l'autre de 200 sur le trésor royal. Je pense au surplus qu'il est juste d'accorder, chaque année, le même traitement au gouverneur d'Ouessant ».
Fut-il fait droit à la demande du commandant de la marine ? Il est à présumer qu'aucune décision ne fut prise ou que l'on fit des réductions puisque nous voyons fixer, comme ci-après, en 1786, le traitement du sieur de Carn, successeur de Gouzillon, et cela à la suite de plusieurs réclamations de l'intéressé.
En fonctions depuis le 8 janvier 1777, il avait formulé une première demande à laquelle le ministre répondit comme suit :
« 5 avril 1777.
Le sieur de Carn, ancien lieutenant de vaisseau, m'a fait quelques demandes
relativement à son établissement à Ouessant, où il a été nommé gouverneur.
Il m'a paru juste d'avoir égard à celle qu'il fait de bois de chauffage [Note : ... Mais les grands vents de mer s'opposent à la végétation des arbres ; le seul qui existait depuis 30 ans est un chêne planté dans le cimetière, dont la hauteur n'a pu parvenir qu’à douze pieds ; le sommet en était comme tranché et courbé par l'effort des vents et le tronc et les branches rabougries, font connaître l'impossibilité d'une bonne végétation. Mémoire sur la marine. Thévenard, t. II, P. 74], ainsi qu'en ont pu jouir quelques-uns de ses prédécesseurs. Je marque à M. d'Orvilliers de s'entendre avec vous [Note : Le commandant et l'intendant de la marine] pour lui allouer la quantité nécessaire.
En marge de cette dépêche se trouve l'annotation ci-après :
300 l. en place de bois [Note : On y supplée par des algues de mer ou goëmons que l'on étend sous la pluie pour les dessaller et au soleil pour les dessécher. Cette production sert pour cuire le pain que l'on enveloppe sous ses cendres, méthode dont on se sert à Ouessant, où l'on brûle des mottes de terre ou tourbes. Mémoire sur la marine, t. II, P. 58] et de la chandelle en nature ».
Enfin, en 1786, le traitement du sieur de Carn fut définitivement arrêté.
Pension sur le trésor royal : 260 l.
Pension sur les invalides
: 300 l.
Pension en retraite : 800 l.
Comme
gouverneur, rentes, chef-rentes et redevances : 780 l.
Pour le bois et la
chandelle : 300 l.
Les 5 grosses fermes [Note : Institution de Sully en 1598.
Note explicative. Soc. des Sc., B.-Lettres et Arts
de Lyon, année 1888, P. 5. — Une demi-brigade d'employés à Ouessant. Mém. sur la
marine, t. II, P. 60] — gratification annuelle : 400 l.
Total : 2.840 l.
Le traitement du gouverneur allait toujours en diminuant. Kerjean-Mol, de 1747-1756, avait eu 3,374 l. 9 s. 8 d. ; Kermeno de Gouzillon percevait probablemente 3,200 l. ; de Carn ne touchait plus que 2,840. Quant au bois de chauffage, de la Rue de la Fresnaye recevait 9 cordes en 1739, Kerjean-Mol avait joui de la même faveur ; de Gouzillon en fut sans doute privé ; elle fut convertie en une allocation à l'égard de de Carn.
Pour terminer la série de nos indications sur l'île d'Ouessant, il nous reste à montrer que l'administration de la marine fut en partie privée des avantages qu'elle comptait retirer de l'acquisition de l'île. En effet, malgré les termes formels de l'arrêt du Conseil d'Etat du 4 février 1764, l'administration de la guerre maintint l'île dans le district particulier du commandant de la place de Brest assez longtemps après l'acquisition par la marine. Le 26 septembre 1767, M. de Bonnefons recevait une commission de major des ville et château de Brest et de l’île d'Ouessant [Note : Bonnefons, Jean-Gaspard, capitaine au régiment de Vermandois, chev. de St-Louis, le 9 février 1763. — Mazas. Hist. de l'Ordre de St-Louis, t. II, P. 98]. Quelques années après, le département de la guerre consentit à laisser à la marine la paisible jouissance de cette île ; mais en 1776, il y eut une nouvelle main-mise par la guerre, ce qui amena la juste et énergique protestation du comte d'Orvilliers que l'on va lire et qui conserve encore une certaine actualité.
« Brest, 15 avril 1776.
Je viens de voir dans le règlement concernant les
gouverneurs, lieutenants de roi, majors, etc. des places du royaume, l'île
d'Ouessant enlevée à la marine et comprise dans le camp de Quelern, dans le
commandement du lieutenant de roi de Brest.
Je dois à mon état, plus encore à mon amour pour le bien du service et la gloire de votre ministère, les observations que je vous supplie, Monseigneur, de lire la carte sous les yeux ; vous y verrez, Monseigneur, que la petite île d'Ouessant est une avancée que la Providence semble avoir placée pour éclairer tout ce qui entre ou sort dans la Manche, faire la sûreté de l'arsenal de Brest et préparer le succès aux forces rassemblées dans ce port par le jour qu'elle peut répandre sur la marche et les positions de l'ennemi. Elle est enfin située de manière que si la nature nous avait privé de ce secours, vous seriez obligé, en tems de guerre, de suppléer par un vaisseau en station, autant qu'il serait possible, à la place qu'elle occupe. Je dis autant que possible car il est évident qu'il ne pourrait y tenir longtemps et qu'il serait fréquemment exposé à se perdre [Note : D'ailleurs, la mer de cette île est souvent terrible et inabordable par les courants rapides qui l'environnent dans les vives eaux, par leurs écarts menaçants et les fréquents naufrages ; choses qui peuvent lui avoir justement mérité cette épithète repoussante, celle de Euz-Enez, île de la Terreur. Mém. sur la marine, t. II, P. 63, Am. Thévenard], mais enfin le sujet de la conservation de Brest et des succès des entreprises l'exigerait et on la risquerait en y mettant des officiers éclairés parce que pour juger des manœuvres de mer, il faut être marin et en parler le langage.
L'île d'Ouessant est donc précieuse à l'Etat et à votre ministère [Note : Ile si intéressante pour Brest et la France entière. Mém. sur la marine, t. II, P. 60], non par son étendue et sa force, mais uniquement par sa position relative aux opérations maritimes. Il est surprenant qu'il soit venu dans la pensée d'un citoyen de la rendre inutile en la donnant à la terre, et encore plus surprenant que les conseillers du roi aient consenti à ce nouveau déplacement qui contrarie encore plus le bien du service qu'il ne nous humilie. M. de Choiseul avait tellement bien senti, Monseigneur, l'importance d'Ouessant pour les entreprises navales que, quoique ministre de la guerre, il avait fait acheter au roi cette île de M. de Rieux, sur les fonds de la marine, et uniquement pour la marine, ce que vous pouvez constater par les papiers dépôsés au contrôle de ce port ».
Le 18 novembre, même année, en annonçant la mort du gouverneur Kermeno de Gouzillon, d'Orvilliers écrivait au ministre de Sartine :
« J'ai l'honneur de vous rendre compte de la mort de M. de Gouzillon-Kermeno, ancien lieutenant de vaisseau, retiré avec 1,400 l. de pension qui a terminé sa carrière, samedi 16 de ce mois. Il était pourvu du petit commandement d'Ouessant qui, conséquemment devient vacant et pourrait vous servir à placer un officier dont les talents et la santé ne vous conviendront plus pour le service à la mer. Il ne faut, pour bien remplir ce poste, qui est essentiel à la sureté de Brest, à cause de la découverte, que des connaissances du métier et de la sagesse pour conduire avec douceur un peuple, peu nombreux, dont la bonne foi et les mœurs tiennent de la simplicité des premiers temps. Mais, comme j'ai eu l'honneur, Mgr. de vous en informer le 15 avril de cette année, l’île d'Ouessant quoique achetée de M. de Rieux des fonds de la marine et pour la marine, a été comprise, sous le ministère de M. le maréchal de Muy [Note : Louis-Nic.-Victor de Félix, comte de Muy, né à Marseille en 1711, lieutenant général des armées du roi en 1748, ministre de la guerre du 5 juin 1774 au 10 octobre 1775, date de son décès, ayant été nommé maréchal de France le 24. mars 1775], dans les dépendances de la lieutenance de roi à Brest et par là cet objet est devenu de toute nature à être traitée de l'échanger avec M. le comte de Saint-Germain [Note : Claude-Louis, comte de Saint-Germain, lieutenant général des armées du roi, en 1748, ministre de la guerre du 27 octobre 1775 au 27 septembre 1777, mort en 1778, à 71 ans]. M. le marquis de Langeron vous en offrira certainement le moyen par la sagacité de son esprit et les connaissances qu'il a du local de la côte ».
Ces représentations ne furent pas plus écoutées que ne l'avaient été celles faites par le comte de Roquefeuil. Dans un ordre du 12 octobre 1789, Henri-Charles de Thiard de Bissy, comte de Thiard, 1er écuyer de Mgr le duc d'Orléans, lieutenant-général des armées du roi — 25 juillet 1787 — se qualifiait de gouverneur des ville et château de Brest et des îles d'Ouessant. Il avait en plus reçu pouvoir, par ordre du 24 août 1789, de commander la marine à Brest, concurremment avec le comte d'Hector, lieutenant-général des armées navales.
« Les circonstances, M., écrivait le ministre de la marine à ce dernier officier général, ayant déterminé le roi à réunir dans le même officier général le commandement de la marine et celui de la province de Bretagne, S. M. a chargé de ces doubles fonctions M. le comte de Thiard. — 22 août 1789 ».
A plusieurs reprises, le comte d'Hector avait exposé au ministre la situation difficile de son poste, en raison des exigences croissantes du Conseil général de la commune de Brest et il s'exprimait ainsi dans sa lettre du 27 juillet :
« Aucune partie de mon autorité n'est entamée ; je commande aussi complètement que je l'ai jamais fait ; mais cette manière de conserver m'a quelquefois été bien pénible, j'ai évité qu'on s'en aperçut et quand j'ai cédé, j'ai fait en sorte qu'on ne put croire que je cédais à la force..... J'ai l'honneur de vous assurer que j'aimerais mieux faire dix campagnes de guerre que d'entretenir dix jours d'une pareille paix ».
A la réception de l'ordre relatif au comte de Thiard, le comte d'Hector écrivit au ministre :
« ... Mais votre lettre particulière, M. le comte, me fait connaître que le nouveau titre de M. le comte de Thiard est plus relatif à la position actuelle qu'aux affaires de la marine. Je conviens avoir avancé qu'un chef qui réunit toute l'autorité était nécessaire à Brest, mais j'ajoutais que c'était dans le cas que ce port fut attaqué à force ouverte [Note : Gazette nationale ou le Moniteur universel du 27 au 28 juin 1789, n° 26. Séance de l'Assemblée nationale du 27 juillet, P.111, col. 2 et 3, — Gazette du 3 au 4 août 1789, n° 33. Séance du mardi 4 août au matin, P. 139, col. 2 et 3], comme les députés de la province l'annonçaient ici ; mais dans le cas actuel des choses, je ne prévois pas que le nouveau titre de ce commandant ajoute aucune facilité à ses opérations. Soyez persuadé, M. le comte, que dans le cas contraire, je ne négligerai rien de ce qui pourra seconder ses vues ».
Enfin, en 1822, le rapport de l'administrateur du Conquet dont nous avons donné quelques extraits, contient la réflexion suivante :
« Comment se fait-il que la marine ait été supplantée par la guerre dans la jouissance de la partie la plus importante du local qui lui appartenait. Il faut de toute nécessité qu'il y ait eu une concession régulièrement consentie par la marine : c'est ce dont les archives du génie de terre peuvent facilement donner la preuve, ce que la marine, à défaut de documents, ne semble pas pouvoir faire. S'il faut donner quelque créance à des rapports indirects, la marine aurait voulu, il y a quelque vingt ans, revendiquer l'ensemble de cette propriété, d'où il serait résulté entre les deux départements une discussion qui aurait tourné à l'avantage de celui de la guerre ». 22 mars.
Cet historique d'Ouessant ramène la pensée vers les batteries de côte, élevées sur le domaine maritime et le commandement dans les diverses possessions d'outre-mer, d'où la marine est exclue et cependant là elle est chez elle. La logique commande d'accoler au mot marine celui de colonies et non de les séparer.
(A. Kerneis).
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