Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

Manoirs de Plougonven : Kerloaguen et Disquéou.

  Retour page d'accueil       Retour " Ville de Plougonven "   

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Suivons le ruisseau échappé de l'étang du Cosquer. A un kilomètre en aval, nous atteignons le gros hameau de Disquéou, situé sur une hauteur, à l'Est du vallon. De l'autre côté de l'eau, il y a une ferme qu'on nomme encore le château de Disquéou, et qui est en effet bâtie dans l'enceinte d'un vieux castel. Celui-ci avait été solidement établi sur un mamelon en partie factice, aux flancs escarpés de main d'hommes à l'Est et au Nord. Sur ses autres faces, plus vulnérables en raison de l'élévation du terrain, il était protégé par d'énormes levées de terre qui mesurent 7 ou 8 métres de hauteur sur autant de large. Ces parapets bordent une terrasse d'environ un demi hectare, actuellement (1922) cultivée, et dont la ferme occupe l'angle Nord.

Le château de Disquéou était avec le « château de Dinan » (Castel Dinan), autre vieille forteresse gallo-romaine située en Plouigneau, et le manoir de Bodister, en Plourin, l'un des chefs lieux du fief de Poastel, Pouhastel ou Plougastel, possédée dès le XIème siècle par la famille de Dinan. Au nombre des Bretons qui, sous la conduite de leur duc, accompagnèrent Philippe-le-Bel contre les Flamands et prirent part à la bataille victorieuse de Mons-en-Puelle (1304) le chroniqueur Guillaume Guiard nomme, dans son récit de la campagne, en 21.150 vers :

... Monfort et de Coiquien Raou,

Dynan, Bodivez, Discaou,

Henri d'Avaugor, Beaumanoir, etc...

Les deux noms qui suivent celui de Dynan sont sans nul doute ceux, légèrement déformés, de Bodister et Disquéou, portés alors, soit par des frères cadets de Rolland de Dinan, cité le premier, soit par ses deux fils Geffroy et Jean. Cette rude race turbulente et guerrière s'est fondue au XVème siècle dans les Laval-Chateaubriand. Un aveu de 1527 (Archives du Finistère. E. 633) nous apprend que les vieux châteaux appelés Chastel Dinant et Chastel an Disqueiou étaient ruinés à cette époque, et le manoir de Bodister donna dès lors son nom à l'ancien fief, d'ailleurs fort démembré, de Plougastel.

Au début du XVIIème siècle, les Gondy, ducs de Rais, vendirent leur terre de Disquéou aux Le Cozic de Kerloaguen. Par lettres patentes d'avril 1644, Louis XIV l'érigea en châtellenie en faveur d'Yves Le Cozic de Kermellec, avec licence d'instituer des officiers de justice, de faire bâtir une prison et un auditoire au bourg, d'élever des patibulaires à quatre piliers, et d'établir deux nouvelles foires à Plougonven, à l'occasion des deux pardons annuels de la chapelle de Christ. Mais le Parlement se refusa à vérifier les lettres d'érection, et celles-ci semblent bien être demeurées lettre morte.

La forêt de Disquéou vint encore border les douves de la vieille forteresse et étend à l'Ouest, jusqu'à la rivière du Jarlot, ses taillis sur une soixantaine d'hectares. Elle était afféagée en 1569 aux seigneurs de Kerloaguen moyennant 50 livres de cheffrente (Archives du Finistère. E. 325). Dans la partie Est de ce bois existe une vaste enceinte rectangulaire mesurant près de 400 mètres de long sur 200 de large. Ses fossés ont par endroits, une profondeur de 3 mètres. Un autre retranchement du même genre, mais beaucoup moins considérable, se trouve au Nord-Ouest des ruines de la chapelle de Saint Souron, située à un kilomètre et demi à l'Ouest de Disquéou, près d'une voie pavée qui reliait jadis ce château à celui de Bodister. Cette petite chapelle, dite aussi Saint Surmin ou Saint Saturnin, avait été rebâtie au XVIIème siècle, et croulait de toutes parts lorsque je la visitai en 1895. Pourtant, dans la fenêtre placée à gauche du choeur, se voyaient encore deux écussons coloriés portant un mi-parti d'azur à 3 têtes d'aigle d'or, et d'argent à trois fasces de sable, armes de Jean de Kerguiziau, sieur de Kermellec en Plourin, et de sa femme Jeanne de Kergroadez, mariés à Garlan en 1627. Sur le pignon du chevet, daté de 1664, un grand écusson de granit, timbré d'une couronne comtale, portait un écartelé au 1 de 3 têtes d'aigle, qui est Kerguiziau, au 2 d'un fascé, qui est Kergroadez, au 3 d'une aigle éployée, qui est Kerloaguen, au 4 d'un fascé et vairé, qui est du Louet, sur le tout en abyme mi-parti d'une aigle éployée et de trois têtes d'épervier. Ces dernières armes sont celles de François Le Cozic, seigneur de Kerloaguen, et de sa femme Françoise Loz, morte en 1641 [Note : Vers 1922, cet écusson est conservé au manoir de Treuscoat, en Pleyber-Christ]. Enfin, sur le fronton de la fenêtre de droite, on lisait : ROHANTE FABe : DE : ST: SURMIN 1739.

L'inventaire dressé en l'an II par les officiers municipaux mentionne, parmi les effets de « Saint Saturnin », un calice avec sa patène, un ornement complet brodé de diverses couleurs, une tunique, une aube, quelques linges, un crucifix de bois, deux missels, quatre pots à fleurs, une cloche pesant 100 livres, un banc, deus armoires et 54 livres provenant d'offrandes. La chapelle fut acquise natinnalement, le 24 thermidor an III, par François Postic-Kerbriant. Elle appartint plus tard, m'a raconté Mme de Bergevin, née de Kermadec, à un vieux domestique du manoir de Rochou en Plouézoch. Tous les ans, à l'époque du pardon, il demandait un congé, allait recueillir soigneusement tout ce que les fidèles avaient déposé dans le tronc, faisait avec cet argent une petite bombance, puis revenait se remettre à l'ouvrage.

On trouve, paraît-il, aux environs de Saint Souron, des tuiles à rebord, d'origine gallo-romaine. La maison voisine était hantée, il y a une quarantaine d'années. Lorsque ses habitants rentraient des champs, ils trouvaient parfois tout le mobilier bousculé et mis sens-dessus-dessous. Une nuit, tous les draps des lits furent déchiquetés sans que personne se réveillât. Parfois, en présence même des gens, le lait était jeté à terre, les armoires s'ouvraient avec fracas. L'être invisible ne respectait que le pain. Enfin le vicaire, prévenu, vint dire une messe à la chapelle et bénit la maison. Depuis tout est rentré dans l'ordre (A. de la Herblinais. Au Montroulézis. 1908. p. 41).

Le village de Keranguéven, à un kilomètre au sud de Saint Souron, était le chef-lieu d'une des anciennes fréries de la paroisse. En 1678, l'un de ses convenants payait de rente convenancière au seigneur de Kerloaguen 21 livres 10 sols, 6 quartiers froment, 1 quartier seigle, 5 chapons et 25 livres de beurre, plus les corvées ; cette redevance en 1781, n'était augmentée que d'un quartier avoine (Archives du Finistère E. 325). Ledit convenant et un autre, dit convenant Benjamin, saisis tous deux sur la femme Tinténiac, émigrée, furent acquis en l'an VI par Nicolas Dubois.

Le lieu voisin de Penvern est un ancien convenant noble que Messire Alain Le Brizec, recLeur de Plougonven, acquit en 1630 d'écuyer Alain de Rospiec, sieur de Keromnès pour le prix de 736 livres, ce qu'il légua à la fabrique en assiette de la chapellenie que son testament fondait dans l'église paroissiale (Archives du presbytère). Aux environs, les lieux de Penanros et de Toul-an-Haye sont encore des débris de l'ancien domaine de Kerloaguen et de la fortune des Kersauson-Tinténiac.

En suivant au nord le chemin de Keranguéven à Coatélant, nous trouvons, à 1 kilomètre 1/2 de Saint Souron, le village de Saint Michel, qui avait une chapelle mentionnée dès 1492. Elle dépendait, comme la précédente, de la paroisse, et le corps politique en nommait le fabrique. En l'an II, c'était Mathias Saunier, de Crechuel, qui présenta aux officiers municipaux chargés de l'inventaire des édifices religieux un calice en or soufflé avec sa platine, un ornement complet, une, aube, une chasuble, un missel, deux flambeaux de cuivre, un confessionnal, une armoire, une cloche de 100 livres, etc.. (Archives du presbytère).

L'ancienne chapelle n'existe plus, mais on a rebâti à son emplacement un petit oratoire à peu prés carré, dans lequel on a réuni quelques statues, et que rien ne distingue extérieurement, sauf un simulacre de clocheton. A l'intérieur, l'unique autel de granit soutient un grand crucifix de bois. Une console, à gauche, porte l'image de Saint Michel, couvert d'une armure, tenant de la main une targe échancrée et plongeant son glaive dans la gorge d'un affreux diable cornu qu'il foule aux pieds et qui tient dans ses griffes deux âmes figurées par deux petits enfant nus. Sur le bouclier sont peintes les armes des Le Seneschal, seigneurs du manoir voisin de Coatelant, en Plourin : d'argent à une bande fuselée de sable accompagnée de 6 besants de même, 3 et 3. Le pardon de la Chapel Mikael a lieu le dernier dimanche de septembre, quand le mois compte 5 dimanches ; sinon, le 2ème dimanche d'octobre. Selon l'usage constant, cette chapelle est construite sur une éminence d'où l'on découvre, à l'ouest, le vallon du Jarlot, et, vers le Nord, les verdoyants terroirs qu'arrose le ruisseau de Kerloaguen.

Après avoir rejoint la route de Plourin à Plougonven, nous traversons bientôt le village de la Forêt, ainsi nommé des grands bois qu'il bordait. Les quatre ou cinq convenants qui le constituaient dépendaient tous de Kerloaguen. En 1540, l'un d'eux, maneuvré par Hervé Le Guinezre, valait de rente foncière 16 sols 8 deniers, 4 quartiers 1/2 froment et 3 journées de corvée. Le convenant de la Grande-Forêt, tenu en 1620 par Guillaume Pezron et Yves Le Guinezre, valait 11 quartiers froment, 2 d'avoine, 6 livres tournois, 2 moutons gras, 8 chapons et l'acquit de 3 renées froment au fief de Rosampoul, plus les corvées (Archives du Finistère, E.325). Saisi sur les Tinténiac, le lieu de la Forêt fut vendu en 4 lots le 17 pluviose an II, aux citoyens Homono (?) Maufras et Le Marigner fils. Quelques cadets de Kerloaguen en ont porté le nom, entre autres Olivier Le Cozic, sieur de la Foret, enterré en 1647 à Plougonven.

Près d'un moulin féodal rajeuni, nous rencontrons à droite l'entrée de l'ancienne avenue du manoir de Kerloaguen, monarque détrôné de cette région que couvraient jadis son domaine, ses bois, ses cinquante convenants, et qui ne règne, au début du XXème siècle, que sur quelques hectares de champs, de prés et de taillis. J'ai souvent parlé déjà des Kerloaguen, des Le Cozic, et des Kersauson, qui se succédèrent au cours des siècles dans la vieille demeure seigneuriale. Le moment est venu de faire connaître la filiation de ces familles et les souvenirs qu'elles ont laissés dans les annales de la paroisse. Le nom des Kerloaguen y apparaît avec Henry, seigneur de Kerloaguen, qui lègue en 1406 à la fabrique un quartier froment de rente pour fournir aux fidèles le pain bénit dominical (Archives du presbytère). Il faisait en 1427 partie de la garnison franco-bretonne du Mont-Saint-Michel et il resta prisonnier après l'engagement malheureux des Bas-Courtils contre les Anglais qui assiégeaient Pontorson (Dom Morice. Histoire de Bretagne, I. 501). Son fils Guillaume était seigneur de Kerloaguen en 1441. Noble écuyer Henri de Kerloaguen, seigneur dudit lieu et de Leurmen ou Leurven (en Ploumilliau) acquiert en 1483 l'étage de Kerglas (Archives du Finistère, E. 325). Sa fille ou petite-fille apporta par alliance la terre de Kerloaguen dans la maison de Goudelin, et elle était possédée en 1543 par Francois Goudelin, époux de Guillemette Le Cozic.

Ces Goudelin tombèrent vite en quenouille ; Gilette de Goudelin, leur fille héritière, épousa avant 1560 Rolland Le Cozic, sieur du Mur en Plouigneau, frère cadet de Pierre Le Cozic, sénéchal de Morlaix et Lannion en 1543, juriste distingué qui fut l'un des rédacteurs de la Coutume de Bretagne. Leur fils Pierre, époux en 1572 de Renée de Kerloaguen, commanda les paroisses de Plouigneau et de Plougonven sous la Ligue, et mourut avant 1594, date à laquelle sa mère, faisant son testament, lègue à l'église le convenant de Poulfoen, à charge d'un service annuel (Archives du presbytère). François Le Cozic, fils de Pierre, qualifié en 1637 de seigneur de Kerloaguen. Rosampoul, Kermellec, Keraudren, épousa Françoise Loz de Kergouanton, qui lui donna plusieurs enfants, entre autres Claude, sieur de la Haye, sous-diacre et recteur de Plourin, mort à Paris en 1640, et Guy, sieur de Guergay, sénéchal de Bodister, mort à Morlaix en 1658. Leur fils aîné Yves Le Cozic, seigneur de Kermellec, marié en 1646 à Gillette de Kerguiziau, ne laissa qu'une fille héritière, nommée Françoise. Il mourut à Kerloaguen en 1651. Son père lui survécut 9 ans et trépassa en 1661 à 81 ans, en léguant par testament à l'église une rente de deux boisseaux froment pour faire chanter chaque dimanche l'antienne Inviolata devant la statue de N. D. de Pitié. Le champ sur lequel se levait cette rente à Kerpuncze, s'appelait naguère encore Pradennic an Inviolata (Archives du presbytère).

Le 8 septembre 1669, Missire Derrien Mer, confesseur des Ursulines de Morlaix, bénit dans la chapelle du manoir un brillant mariage qui unissait les rejetons et les biens de deux très anciennes familles du Léon et du Tréguier. Messire Prigent de Kersauson, baron dudit lieu, y épousa la charmante pennherez de Kerloaguen, demoiselle Françoise Le Cozic, devant une nombreuse et noble assistance. Leur bonheur fut de courte durée. Le jeune baron de Kersauson vit naître en 1670 sa fille Claude Barbe, puis en 1673 son fils aîné Jacques-Gilles : il décéda peu après et s'en alla reposer dans l'église de Plougonven, le 6 mai 1675 ; un fils posthume, Prigent-Joseph-André, lui naissait le 5 décembre suivant.

En 1678, sa veuve épousa en secondes noces Messire Germain de Talhouët, seigneur de Bonamour, président à la Chambre des Enquêtes du Parlement de Bretagne. Son alliance avec ce haut magistrat ne put lui faire abandonner, pour l'hôtel vannetais de son mari, le cher manoir ancestral de Kerloaguen, auquel, sauf de rares absences, elle demeura obstinément fidèle. Les pauvres du pays en savaient bien la route ; ils y affluaient avec confiance, certains de s'en aller repus, reposés et le bissac bien garni. Mais à sa générosité naturelle, la présidente de Bonamour avait le tort de ne pas joindre cette prudence qui est l'adjuvant nécessaire. Sa « trop grande bonté » l'entraînait à des largesses inconsidérées et coûteuses. En 1688, elle avait gratifié de 300 livres de rente le couvent des Minimes de Saint Fiacre en Plourin, qu'elle affectionnait au point d'aller passer de longs mois dans une maison peu confortable, mais toute proche de l'église de ces bons Pères. Empruntant aussi facilement qu'elle dépensait, elle avait grevé son patrimoine de rentes constituées atteignant un total de 5.000 livres. Cette prodigalité alarma son fils aîné Jacques-Gilles, marquis de Kersauson. En 1701, il exigea de sa mère une démission générale de ses biens, en lui laissant toutefois la jouissance du manoir de Kerloaguen, de ses cheffrentes et de 61 convenants aux environs (Archives du château de Lesquiffiou. Fonds Kersauson).

Françoise Le Cozic mourut le 27 mars 1714, à l'âge de 63 ans. Son corps, veillé durant deux nuits par le clergé paroissial dans la chapelle domestique, fut porté à l'église le 29, au milieu d'une énorme affluence de peuple, et inhumé en grande pompe dans le mausolée de ses aïeux. Le cahier des services contient une longue et curieuse liste de ceux que ses enfants, parents et amis firent chanter à cette occasion. Au Jour du grand service, il y eut 22 prêtres au choeur, 2 Capucins, 2 Dominicains, 2 Récollets et 2 Minimes.

Par ce décès, le marquis de Kersauson, fils aîné de la défunte, conseiller au Parlement depuis 1696, devint seigneur de Kerloaguen. Sa première femme, Marie-Anne Huchet de Langouet, mourut à Rennes à 27 ans, en 1699. Il épousa en second lieu, en 1710, Marie-Angélique de Bréal, dame héritière dudit lieu, et cinq de leurs enfants naquirent de 1711 à 1720 à Kerloaguen. L'un d'eux, Jean-Jacques-Claude, qui devait devenir chef de sa maison par la mort en bas âge de ses trois frères aînés, eut pour parrain, en 1714, écuyer Jean de Kersauson, seigneur du Roscoët, capitaine général garde-côtes de la capitainerie de Morlaix. On rencontre ce personnage, dès 1702, au manoir de Kerloaguen, dont il avait affermé une partie à la présidente de Bonamour. Marié en 1712 à Catherine-Ursule Siochan, douairière de Bourouguel, il se laissa entraîner dans la conspiration bretonne de 1719 par M. de Talhouët-Bonamour, beau-fils de Françoise Le Cozic, qui en était l'un des chefs avoués, et fut pour cette raison supplicié en effigie à Nantes, au lendemain de l'exécution du marquis de Pontcallec, et de ses infortunés compagnons. Peut-être Pontcallec, fuyant devant les dragons du Régent, a-t-il séjourné à Kerloaguen, puisqu'on retrouve ses traces au manoir voisin de Kermorvan en Plouigneau. M. de Kersauson du Roscoët dut lui-même s'enfuir et les commissaire royaux le condamnèrent par contumace. Mais son exil en Hollande fut d'assez courte durée, et il réapparut dès 1722 à Plougonven, où sa signature figure jusqu'en 1733 sur les registres de la paroisse.

D'après le minu fourni en 1744 par Jean-Jacques Claude, marquis de Kersauson, au comte de Goesbriand, afféagiste du domaine de Morlaix-Lanmeur, pour le rachat de son père, décédé à Paris en 1743, la terre de Kerloaguen comprenait le manoir avec ses logis, tour, pavillon, chapelle, colombier, jardins, vergers, bois de décoration, métairie, moulin, de nombreux convenants, le château ruiné du Disquéou, les manoirs de Garspern, Keraudren, l'Isle, les maisons de Mondésir, Monplaisir et du Vieux-Chastel, au bourg, les bois taillis de Garspern et de la Forêt, affermés 100 livres par an, le fief de Bodister-Garspern-Kerloaguen, avec haute et basse justice, etc... Le tout était évalué en 1760 à 6.700 livres de rente (Archives du Finistère, E. 326).

De son mariage avec Marie-Renée de Saisy de Kerampuil, le marquis de Kersauson ne laissa que deux filles, nées à Kerloaguen en 1751 et 1753. Ces opulentes héritières, baptisée à Plougonven, ont pour parrains et marraines d'humbles paysans et ménagères « qui ne scavent signer ». L'aînée, Marie-Yvonne-Guillemette, épousa en 1775, au château de Brézal, Hyacinthe-Joseph, marquis de Tinténiac, baron de Quimerch, officier au régiment du Roi-Infanterie, et apporta dans cette famille la terre de Kerloaguen.

Les Tinténiac ayant émigré sous la Révolution, leurs immenses biens furent saisis nationalement. Le 26 brumaire an III, le citoyen Pezron, négociant à Morlaix, acquit moyennant 43.900 livres les deux lots du manoir et de la métairie de Kerloaguen, pour le compte du citoyen François Postic-Kerbriant, aussi négociant à Morlaix. Celui-ci trancha quelques années du châtelain dans la vieille demeure seigneuriale, mais sans pouvoir empêcher la dévastation du bois de haute futaie, exploité pour les besoins de la marine à Brest. Il tomba plus tard en déconfiture, et en l'an XII, la terre de Kerloaguen était aux mains de ses créanciers, les citoyens Schroder, Shyller et Cie, de Bordeaux qui la revendirent en détail à divers particuliers.

Au début du XXème siècle, le manoir de Kerloaguen, bien dégradé et déchu, est intéressant encore en sa pittoresque vétusté. Un double portail Renaissance donne accès dans sa large cour, décorée d'un joli puits à dôme de pierre reposant sur quatre colonnettes. La maison, abaissée d'un étage, a été amputée d'une belle tour ronde dont les amorces sont visibles à l'extrémité ouest de la façade. Les deux portes d'entrée sont gothiques : les voussures de la plus grande sont richement ornées de feuilles découpées, de pampres de vigne, de souples banderoles, entre lesquelles se jouent deux petites hermines.

Dans la cuisine, une énorme cheminée à frise végétale, timbrée de l'aigle héraldique des Kerloaguen, évoque merveilleusement ces scènes de veillées, récits de contes fantastiques et d'histoires de revenants, que Luzel a décrites avec tant de complaisance et de charme. L'escalier tournant enroule sa vis de granit dans un pavillon aux murs de six pieds d'épaisseur, et mène aux chambres de l'étage, sur les boiseries desquelles s'effacent de naïves peintures. Lors de ma première visite, au tout début du XXème siècle, on voyait sur le plancher d'une de ces pièces un amas de papiers et de parchemins qui étaient les archives du manoir ; tout a disparu depuis. La chapelle, édifiée au XVIème siècle, située à l'angle du vieux jardin enclos, au bord de l'avenue, voit s'effondrer sa toiture et se disjoindre ses fenêtres béantes ; jadis dédiée à Saint Joseph, c'est sans doute le plus ancien oratoire du diocèse qui soit placé sous l'invocation du Saint Patriarche. Sa statue en pierre a trouvé un asile dans l'église paroissiale. Devant le portail de la cour est une grange ancienne de vastes dimensions.

Jadis, dit la légende, le manoir de Kerloaguen était hanté par un lutin ou korrigan, qui avait pris en amitié un des valets d'écurie et l'aidait de son mieux. La nuit, il s'occupait des chevaux, les pansait et les étrillait soigneusement, renouvelant leur litière, nettoyant leurs stalle, enlevant le fumier, remplissant seaux et mangeoires, s'amusant même parfois à tresser la queue ou la crinière de ces bonnes bêtes. On ne le voyait jamais, mais on l'entendait travailler et rire. Quand sa besogne était terminée, et tout le monde couché dans la maison, il aimait à venir s'asseoir au coin du foyer, sur un gros galet de mer ou billic, placé là exprès pour lui, devant les cendres où son ami avait toujours la précaution de laisser quelques tisons afin qu'il pût s'y chauffer. Tout prospérait au manoir, et les chevaux si bien soignés étaient magnifiques. Malheureusement, un autre valet et une des servantes, jaloux de la chance de leur camarade, voulurent jouer un mauvais tour au korrigan. Un soir, ils roulèrent la billic au milieu des charbons, la laissèrent devenir brûlante, puis la remirent à sa place habituelle. A minuit, les gens furent réveillés par un cri de douleur épouvantable, suivi d'un fracas d'ustensiles brisés. C'était le lutin qui s'enfuyait en renversant tout sur son passage. Le lendemain, on trouva les deux complices étranglés dans leurs lits, et de ce jour le génie du manoir ne revint plus. De ce jour aussi, les chevaux se transformèrent en misérables rosses, les vaches perdirent leur lait, les récoltes séchèrent sur pied, et le fermier, presque riche auparavant, tomba bientôt dans une noire misère.  (L. Le Guennec).

 © Copyright - Tous droits réservés.