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Plougonven : Miroir de la Mort (de Larcher).

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Je n'ai pas trouvé les noms des recteurs de Plougonven durant la première moitié du XVIème siècle, mais on connaît par ailleurs deux ecclésiastiques natifs de la paroisse qui réclament d'être mentionnés dans ce travail. L'un d'eux Christophe de Keraudren, vivait sous le règne de Louis XII, le second époux d'Anne de Bretagne, lequel avait repris en Italie la politique de son prédécesseur Charles VIII. Cette politique le mit en conflit avec le pape Jules II, qui voulait éloigner de ses Etats un souverain étranger aux envahissantes prétentions. Hésitant à faire la guerre au Souverain Pontife, le roi réunit à Tours, le 14 septembre 1510, une assemblée d'évêques et de dignitaires du clergé français, sous la présidence d'un Breton, l'archevêque de Lyon François de Rohan. Parmi les ecclésiastiques de Bretagne venus nombreux, Christophe de Keraudren, chanoine de Tréguier, représentait seul son évêché. L'épiscopat français, soucieux de satisfaire le monarque en dissipant ses scrupules, décida que l'affaire étant purement temporelle, il pouvait, sans charger sa conscience, faire la guerre à Jules II. Mais le clergé breton n'adopta point cette manière de voir. Il déclara que l'église de Bretagne entendait garder sa totale indépendance vis à vis de l'église gallicane et qu'elle protestait à l'avance contre tout ce que l'assemblée pourrait formuler de contraire aux intérêts de la Papauté. Lorsque Jules II eut opposé au concile schismatique de Pise le concile oecuménique de Rome en 1512, tous les évêques d'origine bretonne se rallièrent à lui sans hésitation, et l'un d'eux, Michel Guibé, ancien évêque de Tréguier, de Rennes et de Nantes devenu cardinal, encourut tellement, de ce chef la colère de Louis XII, que le roi fit saisir ses biens comme ceux d'un rebelle et d'un traître. Dès cette époque, on le voit, la Bretagne savait affirmer son invariable attachement au Saint-Siège.

Le second de ces deux prêtres est Maître Jehan an Archer ou Larclier, issu d'une des plus vieilles et nombreuses familles paysannes de la paroisse, encore représentée de nos jours. Il composa en 1519, sous ce titre français macabre : LE MIROUER DE LA MORT, un ouvrage en vers bretons qui fut imprimé en 1575, au couvent des Cordeliers de Cuburien, près de Morlaix. Plus rare encore que le Catholicon, puisqu'on n'en connaît qu'un unique exemplaire, aujourd'hui déposé à la Bibliothèque Nationale et naguère enfoui dans la fameuse et inaccessible bibliothèque de Kerdanet à Lesneven, d'où l'éditeur Champion a pu l'exhumer après des négociations laborieuses, le Mirouer de la Mort a été publié en 1914 par l'érudit celtologue M. Emile Ernault [Note : Le Mirouer de la Mort, poème breton du XVIème siècle, publié d'après l'exemplaire unique par E. Ernault. Champion, éd. Paris, 1914, in-8 de 333 p.], qui la enrichi d'une très intéressante préface, d'une traduction française et d'abondantes notes.

Le titre exact de ce curiéux ouvrage est :

LE MIROUER DE la Mort en Breton, auquel doctement et Devotement est trecté des quatre fins de l'home : c'est à scavoyr de la Mort, du dernier Jugement, du très-sacré Paradis : et de l'horible Prison de L'enfer et ses infinis tourments.

Au-dessous sont deux vers de 16 pieds, à quintuples rimes internes :

En Marv, en Barn, en Iffern, yen, preder map den, ha na enoe, - Ha nepret nep lech ne pechy, gat laquat da spy en ty Doe.

(A la mort au jugement, à l'enfer froid, pense, fils de l'homme, et ne te lasse point. — Et jamais nulle part tu ne pécheras, si tu mets ton espoir dans la maison de Dieu).

Puis vient une gravure sur bois figurant un crâne humain serrant un tibia entre ses mâchoires. C'est le symbolique miroir de la mort propre à inciter les chrétiens à de graves et salutaires pensées.

On lit à gauche, dans le sens vertical MIRE TOY LA, FIK. Ce dernier mot, inexplicable autrement, semble être une coquille pour FILS (sous entendu de l'homme). A droite, il y a une maxime latine empruntée à l'Ecclésiastique, et au pied : Imprimet é S Frances Cuburien, 1575.

Le folio 71 verso se termine ainsi :

Vivit post funera virtus. An Leffr man à voe composet en bloaz 1519 gant Maestr IEHAN an Archer coz, à parhos Ploegonven. Hac à voe Imprimet. E. S. Frances CUBURIEN. En bloaz MCCCCCL XXV. (Ce livre a été composé en l'an 1519, par Maître Jehan Larcher le vieux, de la paroisse de Ploegonven, et a été imprimé à St-François de Cuburien en l'an 1575).

Le folio 72 offre une seconde gravure sur bois, variante de la première. La tête de mort n'a plus de mâchoire inférieure et le tibia a disparu. Elle est escortée de deux distiques coupés en hémistiches, comme des quatrains, et d'une inspiration également funèbre :

Songaff peguen garv e'n Marv yen

Ha ret certen tremen dre'n pas,

A ra em Calon melcony

Ha deffry sourcy heny bras.

(Songer combien dure est la mort froide, et qu'il faut certainement franchir le pas, produit en mon coeur tristesse, et sérieusement un grand souci).

An Marv, han Barn han Yffern yen

Pan ho soing den ez dle crénaff.

Foll ev na preder é Spéret,

Guelet ez ev ret decedaff.

(La mort, le jugement, l'enfer froid, quand l'homme les médite, il doit trembler. Il est fou, celui dont l'esprit ne réfléchit pas, vu qu'il faut mourir).

Ces derniers vers ont été reproduits presque littéralement sur l'ossuaire de la Martyre (1619), et très diversement interprétés par Le Goffic, Le Braz, du Cleuziou, le chanoine Abgrall, Toscer, etc.

Le Mirouer de la Mort n'est pas une oeuvre originale. Missire Jehan Larcher l'a imité du Quattuor novissimorum liber de morte (le livre des quatre fins de la Mort), attribué à Denys de Leeuvis, dit Denys le Chartreux, et célèbre au XVIème siècle sous le nom traditionnel de Cordiale. On connaît de cet ouvrage plusieurs éditions latines et françaises. « Le rédacteur breton, dit M. Ernault, en s'attachant exclusivement à la forme poétique, ne pouvait manquer de prendre de grandes libertés avec son modèle. Mais la suite générale des idées est la même, et beaucoup de traits caractéristiques sont conservés dans le même ordre ». L'éditeur du Mirouer de la Mort a gardé l'anonymat ; c'est probablement un moine cordelier du monastère de Cuburien, où le prieur Christophe de Penfeunteniou avait installé une imprimerie en 1553. Mais il a rendu à son défunt devancier ce délicat hommage : La vertu survit aux funérailles, et il le désigne très explicitement au dernier feuillet du travail qu'il a pris le soin pieux de transmettre à la postérité.

Le poème de Jehan Larcher compte 3602 vers, presque tous alexandrins monorimes, sauf le début des deux parties, en vers de 8 syllabes. Les titres des chapitres et des subdivisions sont en français. Empêtré dans ce terrible mécanisme des rimes internes, qui mettait à la torture l'esprit de nos anciens auteurs bretons, il a dû recourir, comme eux, au triste expédient des chevilles, et il s'en tire péniblement en bourrant ses vers de : me goar (je le sais) — de chede (voilà) — de ez leaff (je le Jure) — de na ret sy (n'en doutez pas) — de certen (certes) — de hep contredy (sans contredit) — de nede gaou (sans mensonge) — de ham clevet (entendez-moi) — de me cred (je crois) — de cred rez (crois-le bien) — de ham cret seder (crois-moi sûrement) — de credet diff (croyez-le) — de credet lem (croyez-le vivement), etc.... Aussi son style, entortillé et diffus, n'a-t-il ni couleur ni limpidité, et est-il très difficile à traduire en français littéraire.

 L'ouvrage débute par une invocation à la Sainte-Trinité : En hano an Tat, han Map apret,

Roc ha croer, han Glan speret,

Un Doe avoéet drez credaff,

Pere en personnou cogant

So try fier ha diferant,

Ha se presant a assantaff.

(Au Nom du Père, du Fils ensuite — Roi et créateur, et du Saint-Esprit — Un Dieu reconnu, comme je le crois — Lesquels en personnes assurément — Sont trois réels et distincts — Voilà ce qu'ici je professe).

Puis l'auteur explique et justifie son titre :

Mezellour an Maro an Garfaff,

So entre an pobl à credaff

An Lefr man à vezo hanvet :

Ardant, Luysant, evyt gantaff,

Nos, dez, en em consideraff

Ha humiliaf Tut an bed.

(Le Miroir de la Mort le plus sévère — qui soit, je crois, parmi le peuple — Ce livre sera nommé : — Ardent, luisant, pour avec lui — Nuit et jour s'examiner — Et humilier les gens du monde).

Ensuite, il expose le sujet et les divisions du livre : « Ce livre souverain, dit-il, parle des quatre fins dernières qui sont établies expressément pour les hommes par Dieu, le roi du monde, le créateur universel. Dans le premier point, tu entendras parler clairement de la fin que tous, sur terre et sur mer, appellent la mort corporelle. On arrive au second point, où l'on parle d'une fin infinie ; croyez, ne doutez plus qu'au plomb et à l'équerre on juge les pécheurs.

En troisième lieu, on verra et on entendra les peines infernales dans la demeure de punition. C'est la fin à laquelle aboutiront ceux qui terminent leur vie dans le péché. Dans la quatrième fin, vous verrez achever par la maison céleste, qui est durable et suprême, à laquelle nous devons espérer aller purs et sans tache après cette vie. Ce sont là, en tout temps, quatres roues assurées sous le char de chacun. S'il en prend souci, il ira vite, à la course, sans difficulté, à la vie éternelle. Lorsque notre ennemi vient, terrible, nous assaillir, la chair, l'esprit malin et le monde, nous devons aussitôt, nous rappeler les quatre roues et la mort de Jésus-Christ, pour qu'il nous aide à résister » (Le Mirouer... p. 31-39).

On conçoit qu'un tel ouvrage n'ait rien de folâtre. La Mort, la mort froide, la mort âpre, la mort très dure y apparaît sinistrement à chaque page et y règne en maîtresse. « Il n'y a pas d'Anglais si rusé, ni, sur la terre, de Breton qu'elle ne poursuive ». De la « première fin », je détache cette description, d'un réalisme sauvage qui, tel le cantique de l'Enfer commenté par La Villemarqué, pousse l'horreur jusqu'au dégoût :

« Après avoir été homme, tu deviendras une matière immonde, affreuse à décrire. Tu habiteras parmi les vers, vêtu d'une robe misérable. Sourds et crapauds seront, crois-le, tes compagnons. Ta langue, tes lèvres, tes yeux, tes poignets, les sourds indolents et les crapauds les mangeront en long et en large, et ils empliront ta bouche de leurs froides ordures. Qu'y a-t-il de plus fétide que la chair et la peau de l'homme, après sa mort ? Il n'y a pas de charogne, près d'une vieille souche, qui ne soit aussi répugnante que son cadavre putréfié. Les mets délicieux dont tu fais usage ne te préserveront pas des vers ; tous les honneurs du monde ne te garderont pas de puer avant trois jours » (Le Mirouer... p. 55).

L'enfer froid, expression maintes fois employée par Jehan Larcher, peut sembler peu orthodoxe ; mais elle est aussi conforme aux Livres Saints que l'enfer-fournaise. « Que le damné, dit un Docteur, passe en un instant du froid le plus rigoureux à la chaleur la plus excessive ! ». Après avoir décrit le feu infernal et les souffrances qu'il inflige aux réprouvés, notre poète ajoute :

Yenien goude tan, ho goan quen avanant

An muihaff a guell ket, bout soinget competant :

Dimoder tan ha dour, disaour ho tourmant

Dour erch ha dour grisill, ho pill re peur cillant.

(Le froid après le feu les torture (les damnés) aussi bien, — Le plus qu'il est possible de penser sérieusement. — Excessifs, le feu et l'eau cruellement les tourmentent. — Eau de neige et eau de grêle les frappent violemment). (Le Mirouer... p.186-181).

Et plus loin : « Là, il y aura sans fin un froid impitoyable — Et un feu inextinguible qui les châtiera bien terriblement, — Des vers sales et mortels pour quiconque les verra — Et une puanteur intolérable qui les punira atrocement ». (Le Mirouer... p. 213).

A ces effrayantes visions de l'enfer, le poète breton oppose les joies du paradis, « édifié solidement de pierres précieuses, sur une place d'or fin, avec douze portes agréables pour y entrer, qui sont les douze commandements de Dieu ». Mais son tableau du ciel est faible et terne ; on sent que sa sombre verve s'est complue davantage à peindre la terrifiante géhenne où la fureur divine châtie les pécheurs impénitents, au point de lui dicter quelquefois de beaux vers imagés et sonores :

 Hac an yffern dyndan, leun a tan ha poanyou,

Da receff eneff den, digor plen he guenou.

(Et l'enfer au-dessous, plein de feu et de souffrances, Pour engloutir l'âme de l'homme, sa gueule grande ouverte). (Le Mirouer ... p. 146-147).

Il n'y a dans le Mirouer de la Mort aucun trait spécifiquement breton. M. Ernault a joint à son édition des notes substantielles, mais purement philologique et grammaticales. Il resterait à étudier l'oeuvre de Jehan Larcher au point de vue inspiration, forme et procédés. Mais ce travail excéderait le cadre de la présente étude, que je termine par une dernière citation montrant quelle idée se faisaient nos ancêtres des devoirs de leurs souverains. « Les princes, affirme l'auteur, seront blâmés (par Dieu), s'ils ne maintiennent la raison et le droit, ne corrigent les méchants et ceux qui le méritent, et ne font en tout, temps, nuit, et jour, bonne justice. S'ils agissent autrement, ils seront punis, s'ils molestent en aucune façon leurs sujets, s'ils dépouillent des pauvres et des orphelins, s'ils les grèvent d'impôts et de taxes onéreuses ». (Le Mirouer ... p. 405).

Sur la personnalité de Jehan Larcher, on ne sait pour ainsi dire rien. L'épithète de vieux (coz), accolée à son nom, le différenciait sans doute d'un autre prêtre plus jeune, de mêmes nom et prénom, faisant aussi partie du clergé paroissial, probablement ce Jehan Larcher qui était en 1569 chapelain et gouverneur de Saint-Eutrope. Antérieurement, on trouve un Guillaume Larcher, notaire-passe en 1504, et un Hervé Larcher, prêtre de Saint-Eutrope en 1518.

Un vieil inventaire mentionne sans le dater le testament par lequel Missire Jehan Larcher, ancien recteur de Trefgondern, donne à l'église de Plougonven une rente de 6 livres hypothéquée sur le convenant de Gueletreoff. Cet acte concerne-t-il l'auteur du Mirouer de la Mort, devenu ensuite recteur de Saint-Jean-Trégondern, l'une des sept paroisses du Minihy de Léon ? On peut le croire avec une grande vraisemblance. Il est très remarquable que Plougonven ait produit, à 50 ou 60 ans d'intervalle, deux de nos rares anciens écrivains bretons dont les noms soient connus. Peut-être Missire Jehan Larcher avait-il été, dans sa jeunesse, le disciple de Jehan Lagadec et a-t-il voulu utiliser les ressources du Catholicon pour dresser, en l'honneur de la langue celtique, un monument conforme à la tournure d'esprit de ses compatriotes, si portés vers les choses d'outre-tombe, si préoccupés des mystères de l'au-delà. Il dut naître au village de Gueletreo, trève de Saint-Eutrope, ou résida longtemps sa famille ; en 1640, c'est encore une Marie Larcher qui paye à la fabrique la rente de 6 livres léguée par lui sur l'un des convenants de ce hameau. (L. Le Guennec).

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