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Le Couvent Saint-Francois près de Tréguier et ses fondateurs : les KEROUSY

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En quittant Tréguier il suffit aujourd'hui, pour explorer les rivages de Plouguiel, paroisse voisine, de traverser le pont confortable qui enjambe le Guindy.

Il n'en fut pas toujours ainsi. En 1750, le Marquis de Marbeuf, héritier des Kerousy, rendant aveu au Chapitre de Tréguier dont il était vassal par le jeu de la hiérarchie féodale, mentionnait le « devoir de passage ».

« Il leur appartient (il s'agit des seigneurs de Kerousy) deux grands bateaux ou passage, sur le bras de mer qui est entre la ville de Lantreguer et le Couvent Saint-François, appelé le passage de Kerousy, pour passer et repasser charrettes, chevaux et gens à pied et pour lequel devoir de passage ont droit de prendre, cueillir et percevoir annuellement sur tous les estagiers (habitants) demeurant en la Paroisse de Plouguiel et Plougrescant, tant nobles que roturiers : savoir de chaque ménage entier de ceux de Plouguiel, un demi boisseau de froment, comble mesure de Tréguier, et un quart de boisseau de froment sur chaque veuf ou veuve ; et dans la Paroisse de Plougrescant, un quart de boisseau de gros bled. Et si les passagers (passeurs) qui servent aux dits passages s'avisent d'exiger d'autre droit ou coutume, soit de lait ou autrement, c'est sans la connaissance ni l'authorité des avouants, lesquels en ce cas déclarent les désavouer »...

Cette pratique moyennageuse contenait en germe la moderne institution de la carte d'abonnement, carte forcée il faut bien le dire.

Plouguiel (Bretagne) : manoir de Kerousy.

 

Plouguiel (Bretagne) : maison du Tiers-Ordre.

Il semble qu'en 1785, ce droit de passage était repris par l'Evêque, les Kerousy ayant quitté la région. D'après le livre de comptes de ce prélat, on remarque que le passeur toucha cette année là 3 livres le 31 décembre et 3 livres au mois de juin suivant.

Après avoir traversé le Pont et emprunté la route qui se dirige vers le bourg de Plouguiel, on la quitte presqu'aussitôt par le premier chemin à gauche qui descend vers la grève et l'on aborde quelques mètres plus loin le site mystérieux du « vieux couvent ».

Ce n'est pas un hasard si le Couvent Saint-François fut fondé au bord du Guindy, les pieds dans la rivière.

Deux éléments présidèrent à cette fondation. D'abord bien entendu la générosité de Raoul de Kerousy qui amputa ses terres et ses bois afin de permettre l'établissement de la communauté qui devait subsister jusqu'à la Révolution, mais aussi la vocation particulière de cette branche des Franciscains, les frères mineurs de l'Observance, qui avaient pris vis-à-vis de l'ordre une certaine autonomie, désirant observer plus strictement la règle de Saint-François. Afin de s'absorber dans leurs méditations, ils décidèrent de s'établir « dans les îles marines et lieux circonvoisins de la mer, aux parties de Bretagne, Angleterre et Normandie ».

Un autre établissement précéda celui de Plouguiel. Les frères s'installèrent d'abord au large de Perros, dans l'une des Sept-lles qui porte le nom de « l'Ile aux Moines » — après 1415, puisque c'est à cette date que le Concile de Constance leur accorda leur autonomie.

Cette île porta quelque temps le nom de « l'Ile du Frère », en souvenir du seul d'entre eux qui ne voulut jamais la quitter. Mais les moines avaient trop présumé de leurs forces et mésestimé le déchaînement des vagues sur la côte de Granit. Plusieurs d'entre eux périrent en mer, ils songèrent alors à trouver un asile plus clément.

Arthur de Richemont, Connétable de France et frère du Duc Jean V leur offrit l'île qu'il possédait au large de Port-Blanc, Saint-Gildas.

En 1451, le Pape autorisa les Frères Mineurs à y construire un nouveau couvent, près de l'église à moitié en ruines, avec les matériaux de l'ancien bâtiment qu'il les autorisait à emporter avec eux. Et pourtant les Frères Mineurs ne s'établirent jamais à Port-Blanc, ils vécurent aux Sept-Iles jusqu'en 1483.

Puis vint enfin la terre de Kerdéozer.

La Bibliothèque Nationale conserve un texte qui est la copie du texte original concernant la réception des Frères des Sept-Iles en la paroisse de Plouguiel. Ecrit en latin, on peut le traduire ainsi :

Vendredi 2 janvier de l'année 1483.
« Le trésorier Jo Johannin de Coetquendam, sieur de Tuoguindi, S Stephan, Loz et P. Lesné étant présents, les bulles et lettres reçues, vues et touchées, et en outre de celles-ci, avec une lettre placet émanant du Duc Notre Sire, celle du Père Gardien et l'accord de l'Ordre des Prêcheurs Mineurs des Sept-Iles, suppliant selon la nouvelle teneur des lettres des Prêcheurs d'être autorisés à édifier et construire une maison conventuelle à la manière des autres couvents, et ce sans préjudice de quiconque. Il est adjoint et ordonné à Maître Jean Jégot, Notaire, de conserver pour ce même Chapitre le double de ces lettres, dans leur forme et pour faire foi. ».

Sur le même feuillet mais d'une autre écriture et sans rapport avec le précédent sujet, ce qui confirme qu'il s'agit bien d'une copie, on lit « Noble Homme Maître Jean Scliczon seigneur du temporel de Kerallioz promet hommage au Vénérable Chapitre de Tréguier.

Les absents fuyant pour cause de peste ou autre ne seront pas admis aux distributions des anniversaires, ni aux distributions capitulaires à moins qu'ils ne soient représentés ou convenablement excusés. Mois de Novembre 1483 ».

En s'installant sur la terre ferme, les Observants ne se dérobaient pas autant qu'on pourrait le croire à leur vocation d'iliens.

Les rives du Guindy n'étaient pas comme aujourd'hui sillonnées par le réseau de routes que nous connaissons. Une carte marine de 1837 nous apprend que la rivière jetait alors dans cette direction un bras de mer qui baignait toute la lisière Nord du Couvent, d'une largeur suffisante pour nécessiter une longue passerelle très visible sur la carte.

Le couvent était donc blotti entre les deux bras de la rivière qui porta dès lors le nom de rivière Saint-François : rivière, pont, rue, couvent, la mémoire populaire ne conserve que le souvenir de l'Ordre d'origine bien que les Frères de Plouguiel aient porté d'abord le nom de « frères mineurs de l'Observance » puis celui de « Récollets » à partir de 1619 date d'une nouvelle réforme à laquelle se rallia le couvent de Tréguier et dont le but était de consacrer une plus grande part à la méditation. C'est sous ce nom que les Archives départementales conservent les quelques pièces qui les concernent.

Il est certain que la proximité de la Ville épiscopale changea complètement les conditions de vie des moines tant au point de vue de leur vie matérielle que de leur autorité.

Ils avaient leur mot à dire dans la nomination du chapelain de la chapellenie de Sainte-Catherine à la Cathédrale.

On trouve dans le livre de comptes de Monseigneur Le Mintier, évêque de Tréguier, la somme de 24 livres d'aumône aux Récollets pour chacune des fêtes de la Toussaint, de la Saint-Michel (qui est notée le 28 octobre), de Noël et de la Pentecôte.

Chaque année, le Jeudi Saint les Sœurs Paulines leur servait un repas de riz, en revanche ils offraient un repas au Chapitre de la Cathédrale et aux notables de Plouguiel et de Tréguier.

Des inhumations de laïcs eurent lieu dans le cimetière des Cordeliers mais avec l'autorisation du recteur de Plouguiel. On en retrouve un exemple dans un acte des registres paroissiaux :

« Le 27ème jour d'Avril mil six cent soixante neuf, damoiselle Alice Le Gualez, épouse de Louis Denys, sieur de Pradammo, est décédée. Le corps a été enterré le lendemain dans l'église conventuelle de Saint-François du consentement du soussignant recteur de Plouguiel et est décédée ladite demoiselle Alice Le Gualez au lieu noble de Pradammo ».

Par contre Louis de Kerousy décédé la même année, bien que descendant des fondateurs du couvent se fait enterrer dans l'église paroissiale « suivant testament de sa dernière volonté ».

Il ne semble pas que les frères aient été autorisés à administrer le sacrement de mariage.

Le cinq mars 1753 l'évêque donne l'ordre au recteur de Plouguiel de célébrer dans l'Eglise du Couvent des Récollets le mariage de Jean Jacob Marie de Poulcariou venant du Piémont et le dispense des trois bannies ordinaires.

La noblesse trécorroise semble comme le clergé avoir fait bon accueil à la nouvelle communauté. Parmi les seigneurs prééminenciers de l'église Saint-François on trouve le seigneur de Kervégant (paroisse de Plouguiel) du Carpont (paroisse de Trédarzec) les Arrel de Kermarquer (Pleumeur-Gauthier) qui possédaient à Plouguiel la chapelle Saint-Laurent annexée à la seigneurie de Lesquiel et qui porta dès lors le nom de chapelle de Saint-Laurent des Cordeliers. Autrefois un marché se tenait sur le placitre de la chapelle et l'on scellait le marché en posant l'argent sur une pierre levée cannelée qui révèle l'ancienneté de ce lieu de culte.

Malgré les dons qui leur parvenaient de toutes parts, la Communauté connaissait des difficultés financières comme en témoigne une reconnaissance de dette de deux mille livres envers le Sire de Bonabry.

Afin d'arrondir leurs revenus les Récollets cédèrent-ils à la tentation de se livrer à la contrebande, pratique à laquelle ne répugnait pas nombre de gentilshommes de la Côte. Ce serait accuser sans preuves que de l'affirmer, mais que l'endroit était propice ! Le mur du Couvent était percé d'une porte donnant directement sur la rivière et sous les bâtiments se trouvaient quelques caves propres à stocker des marchandises.

Le Chapitre de la Cathédrale crut bon de prendre ses précautions en éditant en l'an 1700 un décret que Max Courtecuisse a publié dans les « Tables Capitulaires des frères Mineurs de l'Observance »...

« Si malheureusement le Gardien (Supérieur) d'un Couvent régulier ou le Vicaire ont convenu ou connivé à recevoir quelque marchandise de contrebande ou aidé à frauder les droits du Roy, lesdits Gardien ou Vicaire seront privés de leurs Offices. Et si c'est l'inférieur, il sera mis en prison un an sans miséricorde... ».

La vie de la Communauté ne se déroulait pas toujours dans l'harmonie la plus complète. Une pièce conservée aux Archives relate la mésaventure d'un clerc...

« Un beau matin de 1659, profitant des mâtines pour se sauver du Couvent, Romuald Le Mesle, étudiant en philosophie, après qu'on l'eut cherché à grand bruit, fut rattrapé près de Pontrieux.

Il portait sur lui de quoi aggraver son cas, puisque non seulement on découvrit une fausse permission revêtue d'une signature contrefaite, mais encore certains papiers écrits de sa main et portant quelques secrets d'art magique et une pièce de trente sols qui, coupée en deux se révéla fausse, et pour comble il avait avant son départ subtilisé du pain et de l'huile ce qui avait causé un grand scandale ».

L'interrogatoire de Romuald Le Mesle révéla qu'il s'était sauvé en raison des mauvais traitements que lui infligeait le gardien « le vexant de pénitences et d'eau et de disciplines presque toujours pour des fautes très légères et le tenant comme prisonnier dans le Couvent ». Quant aux secrets d'art magique, il les avait appris dit-il, non pas dans un livre colonie on voulait le lui faire dire, mais d'un domestique du Couvent appelé Louis, dit « Le Basque », mais que jamais il n'aurait voulu les mettre en pratique car il y reconnaissait de la malice et du péché. En ce qui concerne la fausse pièce, il s'agissait d'un échange commis par un domestique appelé Antonio l'Espagnol à qui Le Mesle avait confié sa propre pièce de trente sols.

L'inculpé sut plaider sa cause puisqu'on le retrouve prédicateur au Couvent de Tréguier entre 1661 et 1667, puis Gardien au Couvent de Sainte-Catherine près de Port-Louis et à l'Ile Verte en 1679. Il mourut à Port-Louis en 1694.

Durant l'instruction de l'affaire Le Mesle, un de ses compagnons d'étude joua le rôle de témoin à charge, Célestin Le Gouz, qui prétendit que Le Mesle lui avait demandé de tuer une hirondelle pour se livrer à des pratiques magiques.

Existait-il une antipathie entre les deux clercs ou s'agissait-il des prémices d'une rivalité qui opposa à l'intérieur de l'Ordre les Gallos et les bas-bretons ?

Peu d'années plus tard nous retrouvons ce Célestin Le Gouz, parvenu au faîte de la hiérarchie puisqu'il est investi du Gouvernement de la Province, promoteur d'un tumulte qui résonna non seulement sur les rives du Guindy mais agita l'Ordre tout entier.

En 1924, G. Pondaven dans le Tome 35 de « l'Association Bretonne » analysa cette « Querelle des langues » qui dégénéra en guerre civile et que l'on peut résumer ainsi.

Les moines de langue française cherchaient de toutes les façons à barrer la route aux bretonnants dans la nomination aux postes importants.

Sur 10 couvents situés en Bretagne, 8 étaient situés dans des cantons de la langue bretonne. Après d'interminables discussions, il fut décidé que les ministres de langue bretonne dirigeraient la Province durant 6 années et les ministres de langue française 3 ans seulement.

Célestin Le Gouz, leader du parti Gallo refusa d'appliquer ce Concordat. Sous la conduite du Père Nouel qui avait longtemps tergiversé, le parti bretonnant décida alors de faire valoir ses droits par n'importe quel moyen.

« Le Couvent de Plouguiel était alors dirigé par des moines Gallos. Le 27 octobre 1668, des confrères bretonnants, sortis de leurs communautés respectives et flanqués de coupe-jarrets font irruption dans le Couvent par la porte de derrière donnant sur la mer. Ils mettent des gens armés aux portes après avoir chassé leurs adversaires qui cherchent refuge en Ville. Les assaillants tinrent le Couvent 15 jours comme un fort avant que l'Evêque intervienne. Son arrivée inopinée surprit les assaillants qui se retirèrent laissant sur place 9 ou 10 mousquets.

Toutefois ni l'Evêque ni la municipalité de Tréguier n'avaient l'intention de les expulser, jugeant qu'à un milieu bretonnant il fallait des religieux qui le fussent aussi. Il décida donc que les assaillants seraient maintenus dans leur occupation ».

Les bâtiments de l'Ancien Couvent qui subsistent aujourd'hui sont bien modestes en comparaison de ceux qui furent construits il y a cinq siècles.

Deux actes conservés aux Archives départementales en donnent une description précise : un aveu rendu en 1783 par le Supérieur du Couvent et un minutieux inventaire établi le 25 Messidor An III lors de la vente des biens nationaux.

L'ensemble du domaine couvrait 432 cordes.

Ces descriptions nous permettent d'imaginer en pénétrant dans le domaine l'ancienne disposition des lieux : l'allée d'arbres bordée à gauche par le cimetière, à droite par l'étang, les dépendances et le logis subsistant aujourd'hui forment un des côtés du quadrilatère qui enfermait le cloître, composé de colonnes et de contreforts et couvert d'une charpente, dans une enceinte de bâtiments.

Au Nord s'élevait l'église, qui mesurait 85 pieds de long et 25 de large. Ces dimensions sont respectables si l'on compare à l'ancienne église de Langoat qui mesurait seulement 64 pieds sur 13.

L'église comportait deux ailes et était pavée de grosses pierres, elle était garnie d'un autel à la romaine balustre et balustrades, meublée de bancs et agenouilloires. Le chœur séparé de la nef par une cloison de menuiserie et garnie de stalles. Elle était éclairée par neuf ouvertures de taille garnies de vitrages. Il y avait aussi une chapelle décorée d'un autel et dans laquelle semble-t-il on pénétrait par l'église ; un autre édifice à étage au levant du cloître avec un vestibule et une sacristie. Il était ménagé dans les dortoirs 26 cellules. Sous plusieurs édifices se trouvaient des caves. Il y avait même un réduit servant de prison. Le tout entouré de jardins à fleur et potager, de vergers grands et petits, de beaux espaliers et surtout de bois qui étaient la richesse du couvent et dont les Kerousy les dotèrent largement d'abord au moment de la fondation, puis plus tard en 1623.

L'importance de ces bâtiments était commune à plusieurs couvents de Récollets en Bretagne. La plupart des descriptions qui nous sont parvenues citent un cloître, une église et une chapelle.

La communauté était destinée à dispenser un enseignement et comportait une bibliothèque importante : 2914 volumes (celle du couvent de l'île Verte en comportait un peu plus de 1000).

Sentant venir la tempête, les religieux les avaient-ils dispersés volontairement ? Lors de l'inventaire les commissaires en dénombrent 409 dont l'énumération mentionne une majorité de livres d'inspiration religieuse mais aussi de nombreux dictionnaires de médecine, d'agriculture, des origines, des ouvrages d'électricité et de physique, de mathématiques, et de plus tout un matériel banal à une époque où le goût des expériences de physique était très répandu : un globe terrestre, un globe céleste, une machine pneumatique sans récipient et plusieurs pièces rompues et détachées d'une ancienne électricité en cylindre, une sphère de Copernic et un aimant artificiel avec son armure (Vente des biens Nationaux-Bibliothèque des ci-devant Récollets de Saint-François près de Tréguier — supplément non côté — Archives départementales).

Une note mentionne que les livres de la bibliothèque étaient réservés. Ils ne furent probablement pas mis en vente avec les autres biens de la Communauté, mais réservés pour une Bibliothèque nationale.

En 1790, les religieux comparurent individuellement devant les Commissaires du district à qui ils déclarèrent tous vouloir continuer la vie commune de Religion.

Mais en 1791, ils durent abandonner définitivement Plouguiel car la loi exigeait qu'il y ait au moins 20 religieux dans chaque maison de réunion et celle-ci n'en comptait plus que huit.

La communauté estimée 8.359 livres fut vendue le 11 Thermidor An III. Les acquéreurs furent trois lannionnais : Antoine Besien, agent d'affaires, Armand Dominiac, homme de loi, et Charles Geffroy, marchand.

A partir de ce moment les bâtiments commencent à disparaître. L'église fut démolie en 1800. Il subsiste aujourd'hui un corps de logis et quelques dépendances en voie de restauration.

En ressortant du couvent on aperçoit de l'autre côté de la route une petite maison que la tradition considère comme la première demeure des Frères mineurs pendant la construction de leur Couvent. Un calice gravé sur un linteau de fenêtre pourrait bien le confirmer.

On poursuit à gauche la jolie route qui conduit au domaine de Kerdéozer, dont les Kerousy étaient propriétaires et sur la terre duquel était assise la fondation de Saint-François.

Au bout de l'allée nous attend le traditionnel manoir du 15ème. Au rez-de-chaussée les deux pièces principales flanquent la porte d'entrée en arc brisé surmontée d'un petit blason effacé. A l'arrière la tour achève de mourir dans un linceul de lierre. Mais si l'on avance de quelques pas on est saisi par la splendeur du paysage qui creuse la vallée du Guindy. Kerdéozer qui porte aussi le nom de Roz-Déozenne, surplombe une boucle de cette rivière navigable largement ouverte sur la mer.

Là les bretons du Moyen Age se devaient d'établir une surveillance sans faille, un verrou sur l'arrière-pays et c'est pourquoi s'y dressait un vaste donjon de 27 mètres environ de diamètre dont la base oubliée subsiste, bien arrondie dans ses douves profondes. Le cadastre de 1834 mentionne encore cette parcelle sous le nom de « la douve ». L'inventaire des biens nationaux mentionne des fossés de défense non seulement autour du donjon mais autour des pièces de terre qui formaient le domaine et descendent jusqu'à la rivière.

Cette forteresse appartint-elle dès l'origine aux Kerousy ? Il est difficile de le savoir car les archives sont muettes à son sujet.

Il faut se garder de plus de confondre avec un autre Kerdéozer plus connu, à Pleudaniel.

La tour était probablement déjà en ruines au 15e siècle, époque de la construction du petit manoir. Fut-elle victime de la guerre de sucession ou d'une guerre plus ancienne encore ou simplement de son inconfort et de son inutilité ?

Kerdéozer semble avoir été habité par une branche cadette des Kerousy puis transformé en métairie bien avant la Révolution.

On signalait alors le jardin fermé de murs et de douves et le colombier ruiné près dudit jardin.

L'influence de l'Ordre de Saint-François à Tréguier fut d'emblée suffisante pour que vingt ans après leur installation sur les rives du Guindy on voie éclore à Plouguiel une communauté féminine du tiers-Ordre.

En quittant Kerdéozer par la route qui rejoint le bourg de Plouguiel le regard accroche une grande et belle pierre au bas d'une maisonnette, pierre éloquente comme un acte notarié et parfaitement lisible, récemment débarrassée de son badigeon de ciment, une calice est suivi des mots RENOVATA A : P : GOUG P. TERTIARI O.DOF. ce que l'on peut traduire par : RESTAURE PAR P. GOUC POUR LES TERTIAIRES DE L'ORDRE DES FRANCISCAINS.

Cette maison porte dans le pays le nom de Ty-Barous ce qui signifie « la maison commune » et se trouve à côté de la Fontaine de Kérilis.

L'aveu rendu en 1750 au Chapitre par le seigneur de Kerousy précise que le droit de dixme de cette Chevalerie « s'étend en un cerne à prendre de la maison des sœurs du Tiers-Ordre de Saint-François, au-dessus de la Fontaine de Kerillis ».

Les sœurs étaient d'ailleurs exemptées de la dîme et devaient juste déposer une gerbe sur le socle de la Croix au bout du chemin.

La fondation de cette communauté revient à Catherine de la Bouessière qui fit don de cette maison le 1er janvier 1504 « à dévotes créatures Anne Lesquemer et Pezron du tiers-ordre du benoist Monsieur Sainct-François... et pour les obliger de prier Dieu pour elle ».

Plusieurs copies de cet acte, 1600, 1640, 1752 sont conservés dans le fonds de la Paroisse de Plouguiel.

Les termes de la donation prévoyaient que dans le cas où aucune dévote ne voudrait demeurer dans ladite maison celle-ci reviendrait au Recteur de Plouguiel.

La copie de l'acte 1600 est signée d'un prêtre du nom de P. Goic qui semble chargé de conserver l'acte original de donation. Ce nom est à rapprocher de celui gravé dans la pierre et il semblerait bien légitime que les prêtres de Plouguiel aient pris soins de restaurer une maison qui constituait un éventuel héritage. Les deux derniers noms cités sont Juliette Vincent, dame Granier et Alicette de Trogoff, dame de Pont-Even.

Il faut traverser le bourg et prendre la route de Plougrescant pour se trouver enfin face à face avec cette famille de Kerousy dont l'ombre nous suit depuis les rives du Guindy.

La toiture du manoir apparaît au-dela d'un étroit chemin bordé d'arbres. Cette toiture a été très remaniée à la suite d'un incendie dont nous verrons plus loin les circonstances. Le corps de logis était auparavant flanqué d'un large et haut pavillon surplombant la toiture et le manoir devait alors présenter une silhouette analogue à celle du manoir du Bot en Trédarzec.

Comme au Bot se trouvait probablement à l'étage supérieur de ce pavillon un oratoire, car aucune autre chapelle n'est rattachée au manoir. La chapelle Saint Laurent dépendait de Lesguiel et n'est qu'un acquêt.

Le pignon droit communiquait au niveau de la toiture actuelle avec ce pavillon aujourd'hui réduit au strict minimum, juste la largeur de la porte d'entrée, à peine la hauteur d'un petit étage. La corniche formée de pierres à encorbellement semblables à celle de la tour de Keralio, du 15ème, faisait alors le tour de l'ensemble du bâtiment. Des pierres éparpillées ont été retrouvées autour du logis. La façade semble dater de deux époques différentes la partie droite est beaucoup plus soignée : fenêtres grillées surmontées de linteaux scupltés de têtes d'anges et de dessins géométriques. Chacun des appuis de ces quatre fenêtres couvre une meurtrière.

La cour entourée par l'alignement des dépendances s'ouvrait par le traditionnel porche à deux baies : porte piétonne et porte charretière dont la clé portait les armes des Kerousy. A gauche de ce porche, un colombier disparu, à droite un étang « alimenté par l'eau de la fontaine dans lequel se trouve quantité de poissons comme tanches, carpes et anguilles ». Au-delà l'étendue considérable du fief des Kerousy ; des bois, des métairies, des moulins l'un sur le Guindy et le moulin d'Yvon qui fonctionnait à mer existent encore tous les deux, et bien entendu tous les droits inhérents à une seigneurerie en particulier « le droit de pêche de toutes espèces de poissons avec filet ou autrement depuis un rocher qui paraît au dit bras de mer, sous le lieu noble de la Roche Noire, nommé Roch an Diaoul, à continuer de faire la pêche jusques au moulin du Guindy avec aussi droit de couper les goemons qui croissent de temps en temps aux deux côtés du bras de mer qui est entre les dits rochers et le dit moulin du Guindy ».

Ce manoir somme toute modeste prend quelquefois le nom de « château ». Il ne semble pas qu'il doive ce titre à l'envergure de son architecture, mais plutôt à celle de ses propriétaires qui pendant un siècle firent résonner leur nom à la faveur de tous les événements qui ébranlèrent la Province.

Il serait fastidieux d'entreprendre une généalogie complète des Kerousy qui portaient « d'or au lion de sable » et avaient pour devise « Tout pour le mieux ». Laissons les événements éclairer leur visage.

Sachons seulement que dès 1378 un acte reconnaissait à Alain de Kerousy le droit d'épaves et qu'Yves est nommé parmi les nobles de Plouguiel à la réformation de 1427. La réformation de 1668, beaucoup plus riche complète ce renseignement en y ajoutant ses alliances. Ces deux manuscrits sont conservés à la bibliothèque municipale de Saint-Brieuc.

Les pesantes archives de cette maison où Dom Morice a largement puisé reflètent non seulement les péripéties d'une famille mais aussi l'histoire tragique d'une souveraineté à son déclin cherchant auprès des nobles de la Province, secours et assistance.

Pendant tout un siècle où la Bretagne connut d'abord la perte de son indépendance puis les troubles de la Ligue, les Kerousy apparaissent sur la scène militaire.

En 1483, François, Duc de Bretagne institue Bizien de Kerousy capitaine de la Grande Nef du Vicomte du Fou, Amiral de Bretagne, ce que celui-ci confirme en l'instituant « Lieutenant Général de l'Amirauté » par toute la mer et Capitaine de la nef nommée « Le Grand Lion ».

En 1487, le Duc de Bretagne, aux prises avec l'appétit de conquête de Louis XI lance un appel au secours vers la noblesse bretonne (Dom Morice Preuves Tome III — col 546). C'est chancelier de Villéon qui s'adresse à Bizien de Kérousy et à Le Guillouset, son second : « Capitaine et vous Maistre, je me recommande à vous tant que je puis. Vous connaissez comme tous les Français tachent à totale destruction du Duc et du Pays et veulent mettre le siège à Nantes, et est tout commun que Mardy dernier il y fut mis... et dès dimanche le Duc dépêcha un chevaucheur d'écurie avec une lettre qu'il m'a envoyée pour que je faisse faire une bonne et grande armée de mer pour l'aller secourir. Et pour ce qui Monsieur d'Admiral est à Nantes pourquoi il ne peut présentement y donner provision et qu'il est requis mettre le « Grand Lion » hors, pour servir à cette nécessité qui plus grande ne saurait être. Je vous prie que vous ou l'un de vous venez par deça tout incontinent car jamais plus grand service ne pourrez faire au Duc ».

Le danger croissait aussi sur les côtes du Trégor puisque le 19 juin 1487 Jehan de Rohan rallié à l'armée française, jugeait bon de prendre sous sa sauvegarde les habitants de Tréguier et de Lannion et défendait à tous les gens de guerre de l'armée du Roy de se trouver dans les dites villes et faubourgs.

L'année suivante les choses s'aggravèrent encore puisque ce n'est plus seulement vers la noblesse, mais aussi vers les habitants des villes et des campagnes que le Duc d'Orléans envoie une supplique : « A Messieurs les gens d'Eglise, gentilshommes, Officiers, Bourgeois, Marchands et autres demeurant en l'Evêché de Tréguier » les exhortant à faire assembler tout espèce de gens qui peuvent porter armes et bâtons... car à cette fois gît le recouvrement ou la perdition du pays.

Si cette lettre reçue à Guingamp se trouvait dans les titres de la Maison de Kerousy, c'est parce qu'un membre de cette famille, Raoul avait été institué en 1486, lieutenant de la Capitainerie de Guingamp.

Le 12 avril 1488, Bizien de Kerousy reçoit une lettre du Duc lui-même lui enjoignant de mettre à la mer dix navires chacun garni de sa barque.

Dom Morice cite encore plusieurs lettres adressées par le Maréchal de Rieux ou par la Duchesse Anne à l'un ou l'autre des deux frères, en particulier au sujet d'une sédition ayant éclaté à Tréguier.

Ainsi pendant toute la période troublée où François II puis sa fille Anne voyaient avec angoisse s'effriter la puissance ducale sous les assauts du Roy de France, qu'un événement militaire survienne sur terre ou sur mer, un Kerousy était présent.

Un siècle plus tard, les guerres de religion furent l'occasion de voir un de leurs descendants reparaître sur la scène politique. Comme au temps des guerres contre la France, la noblesse bretonne se divise au moment de l'avènement d'Henry IV.

La ville de Tréguier à la suite de son Evêque et de la plupart du clergé prend le parti du Roi, suivant en cela l'exemple du Parlement de Bretagne, alors que dans les alentours, les habitants excités par le Duc de Mercœur, soutiennent la Ligue.

François de Kerousy, Capitaine de l'Evêché de Tréguier, député pour la réformation de « la Coutume de Bretagne » embrasse résolument lui aussi le parti de la Ligue et n'hésite pas à se ranger sous la bannière de Guy Eder de La Fontenelle, pillard autant qu'homme de guerre qui avait établi son quartier général au manoir de Kersaliou à Pommerit-Jaudy.

C'est de là que les Ligueurs vinrent à plusieurs reprises harceler Tréguier.

La déposition de François de Kerguézec nous éclaire sur le rôle joué par François de Kerousy le 8 août 1590 dans le ravage de la ville de Tréguier qui avait déjà eu à subir les pillages des ligueurs à maintes reprises.

.... « et depuis les dits habitants de Tréguier au prochain printemps, après ayant trouvé moyen de recourir aux armes se pirent aux champs pour le service du Roy, à la suite du Sieur de Kergomar, où ils se trouvèrent en plusieurs combats comme des paroisses de Langoat, Ploeguiel, Plestin et près des villes de Penpoul et de Binic où il en mourut plusieurs d'iceulx, la victoire demeurante aux serviteurs du Roy, tellement qu'en haine de ce, ledit Duc de Mercœur, fist par le Capitaine de Kerousy, de rechef piller et ravaiger ladite ville le huitième jour d'Aouste, an mil cinq cent quatre vingt dix... ».

Mais tandis que François de Kerousy parcourait la campagne aux côtés des Ligueurs, son manoir de Plouguiel tombait aux mains des royalistes.

Un des plus notoires d'entre eux, le Comte de la Magnanne reçut l'autorisation de l'occuper avec sa famille et même de le fortifier.

En 1904, Monsieur A. Raison du Cleuziou publia dans les mémoires de la Société d'Émulation des pièces extraites des Archives du château de Lesquiffiou qui nous montrent quelles furent pour le manoir de Kerousy les conséquences d'une discorde qui s'éleva au sein du parti royaliste de Tréguier.

L'affaire naquit d'une imprudence du Prince de Dombes qui après avoir confié au Comte de la Magnanne les fonctions de Capitaine de la noblesse de Tréguier, des ports, havres et côtes de l'évêché, confia en 1590 à Ollivier Pavic, sieur de Keralec et de Crech-an-Goué des fonctions presque similaires en le nommant Capitaine chargé d'assembler la noblesse de la Ville. C'était compter sans la susceptibilité des deux capitaines.

Bientôt s'éleva entre les deux hommes une farouche rivalité. Profitant de l'absence de la Magnanne, retenu prisonnier par les ligueurs, Keralec et quelques compagnons mirent au point une vengeance.

Après avoir accusé Anne de Sanzay et les siens d'intelligence avec l'ennemi, ils prétendirent avoir recu l'ordre de raser la maison.

Voici en quels terme Madame de Sanzay raconte l'affaire à son mari dans une lettre du 5 février 1592 (archives du château de Lesquiffiou) :

« Some le 4e mardy de ce mois tout fut myns parterre, que la salle et le pavillon brûlèrent, tant portes que fenêtres et tout le reste du bois sans me bailler une seul minute de temps pour tirer le peu qui me restait après le ravaige de tout notz maison, n'y notz personnes mêmes...

Je m'en vais de ce pas à Guernalyo où je fais ma retraite et mon petit petit baguaige, jusques à savoir votre volonté. La maison est forte et belle. C'est auprès de la Roche »...

Le manoir de Guernalyo existe toujours à Minihy ; une partie des dépendances, la tour en particulier, est antérieure aux guerres de la Ligue.

Le Prince de Dombes fut fort mécontent de l'initiative de Keralec et de ses amis et le fit savoir au lieutenant de Lannion dans une lettre du 20 février 1592.

« Monsieur le Lieutenant, j'avais cy-devant permis au Sieur Comte de la Magnanne de se retirer et faire sa demeure en la maison de Kerousy en laquelle je lui avais aussi verbalement permis de faire quelques garites et un tambour au-devant de sa porte.. Ce qu'ayant par lui été faicte, sur plusieurs requêtes et remontrances faites au Sieur de Crapado de l'importance de ladite maison, de son assiette très forte et qui eut pu incommoder les villes de Lannion et de Lantreguer si elle fut tombée aux mains des ennemis, ne lui estant d'ailleurs apparu de mon intention, aurait faict abattre lesdites garites et autres fortifications, mesmes à ce que j'ai entendu, les portes, fenestres et autres choses que le dict sieur comte y avait fait construire tant pour sa sûreté que pour sa commodité ».

Quelques temps après, le Comte de la Magnanne passa du côté des Ligeurs. Quant aux Kerousy ils ne retrouvèrent sans doute leur demeure qu'après la réconciliation générale.

Ils ne restaurèrent jamais leur manoir dans son état original mais se servirent des pierres du pavillon pour construire en 1660 au Sud de la cour une maison plus modeste que l'inventaire des biens nationaux nomme « la maison neuve ».

A partir de cette époque le manoir de Plouguiel fut abandonné par ses propriétaires au profit du château de Kerhir qui leur était échu dès 1575.

On trouve en effet dans les registres paroissiaux de Plouguiel l'acte de décès de Louis de Kerousy, décédé dans son manoir de Kerhir, paroisse de Trédarzec, le 14 février 1669 mais enterré en l'église paroissiale de Plouguiel selon sa volonté.

En 1723, la branche aînée des Kerousy s'éteignit par le mariage d'Anne-Marie de Kerousy avec Claude, François, Marie de Marbeuf, Chevalier, conseiller au Parlement de Bretagne.

Leur fils, Yvves-Alexandre de Marbeuf, archevêque de Lyon, était dépositaire de leurs biens au moment de la Révolution. Il émigra et la totalité de ses biens fut vendue comme bien national.

C'est ainsi qu'au 18ème siècle disparurent presque simultanément le Couvent Saint-François et ses fondateurs : les uns dans la nostalgie des familles qui s'éteignent sans héritier, l'autre balayé par la tourmente révolutionnaire.

Aujourd'hui le manoir et le couvent, aux deux extrémités de la Paroisse de Plouguiel ont survécu à leurs occupants, témoins silencieux d'une histoire vivante et tourmentée. (auteur : ?).

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