LA RIVIERE DE PONT-AR-YAR

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(article publié dans le journal ‘Le Lannionnais’ et daté du 9 juin 1866)

Ce qui se passe aujourd’hui dans la grève de Saint-Michel-en-Grève donne un fondement de vérité aux traditions populaires et aux rapports des historiens sur la transformation de cette grève, de terre ferme en sol marin.

Il y a environ six ans, il existait dans cette grève, depuis la limite de Plestin (Roc’h-Kerlas) jusqu’au bourg de Saint-Michel (3 kilomètres) une dune de sable que la mer ne couvrait jamais.

Depuis deux ans, la rivière dite de Pont-ar-Yar, au lieu de contourner la grève, a pris son cours dans les sables mobiles.

Quoiqu’il soit vrai que les nombreux cultivateurs qui viennent prendre du sable à Pont-ar-Yar aient hâté l’irruption de cette rivière dans la grève, en chargeant toujours dans le même endroit de la dune et en y formant ainsi une dépression par où la mer est entrée dans le chenal et a entraîné à suite les eaux douces.

Il est probable que cette rivière eût toujours fini par percer cette dune, à moins que de temps en temps on eût rapproché sont lit du rivage, travail facile (creuser quelques mètres dans la vase). En se jetant en ligne droite dans la dune, ses eaux la minaient dans leur détour vers Saint-Michel et empiétaient insensiblement sur le sable : c’est sans doute ce qui s’est passé autrefois et ce qui a fait disparaître des dunes qui, non exploitées en ces temps par l’agriculture, devaient être immenses avant le commencement de leur destruction par les eaux douces ; il est possible qu’elles aient été habitées et même boisées, comme on le dit.

La rivière de Pont-ar-Yar, dans son nouveau cours, s’est creusée dans les sables un lit profond que la mer à chaque marée et que la rivière récure entre le flux et le reflux : la preuve que la mer remplit de sable le lit de la rivière, c’est qu’après chaque grande marée on voit celle-ci changer de place à plus de cinq cents mètres à droite ou à gauche, de sorte qu’elle a charrié, en deux années seulement, à la haute mer, un banc de sable d’au moins 1,0 kilomètres carrés de superficie sur 2 mètres de profondeur.

De plus , le cours actuel de la rivière cause l’abaissement de toute la partie de la grève dont les dunes sont le produit des sables enlevés par le vent de la surface de cette grève, et non entassés par la mer puisqu’elles sont beaucoup plus élevées que le niveau des hautes marées. Quand la grève était sèche, surtout en saison de glace, les vents du nord emportaient des masses que les herbes marins retenaient, et réparaient ainsi, en partie, l’exploitation faite par l’agriculture. Aujourd’hui les eaux douces se répandent en nappes sur la grève, la tiennent toujours humide et empêchent d’y avoir aucune prise ; aussi, sur tous les points, les sables ont baissé, même à Saint-Michel, à 2 kilomètres de Pont-ar-Yar, où la mer ne les couvrait naguère qu’aux grandes marées, tandis qu’elle les immerge présentement presque tous les jours : de sorte qu’ils sont devenus presque toujours inexploitables, les cultivateurs ne pouvant que difficilement transporter le sable mouillé. Les ravages faits à Saint-Michel par la mer depuis deux ans, démontrent quelle force destructive donne à ses flots l’abaissement des sables (destruction du mur du cimetière, de la nouvelle voie d’accès et du mur du jardin de Clou).

Le ruisseau du Roscoat, ne recevant plus les eaux de celui de Pont-ar-Yar, ne peut curer son lit entre la grève et les rochers du rivage et commence à déverser sur la grève. Comme celui de Pont-ar-Yar, il entraîne, suivant ses forces, du sable à la haute mer, de sorte que la destruction de la dune se fait à ses deux extrémités.

D’après les ravages faits en deux ans, on peut prédire :

Que dans peu, toutes les dunes de Roc’h-Kerlas à Saint-Michel seront emportées à la haute mer, perte incalculable pour l’agriculture, surtout quand il s’agit d’une grève si précieuse par sa position avancée dans l’intérieur des terres et pour l’accès de laquelle on a dépensé et l’on dépense encore tant de milliers de francs en frais de routes ;

Que ces dunes, défenses naturelles des propriétés du rivage et de la grande route, ayant disparu, il sera impossible de défendre celles-ci contre les flots de la mer , qui entre avec tant d’impétuosité dans la baie de Saint-Michel : la voie romaine, qui a nécessairement passé par l’endroit où est la grande route actuelle, puisque ses traces subsistent dans ses deux extrémités (Ploumilliau et Plestin), doit sans doute sa destruction à un cataclysme semblable.

Les flots de la mer dans la grève de Saint-Michel poussent constamment vers l’est tout ce qu’ils peuvent remuer, preuve : les débris des carrières d’ardoises de Saint-Efflam qui sont arrivés à plus d’un kilomètre de l’endroit où on les dépose. Il serait facile d’expliquer qu’ainsi la mer, après la destruction des dunes existantes, en recommencerait de nouvelles et forcerait les eaux douces à longer de nouveau le rivage, si toutefois l’exploitation des sables ne venait contrarier son action.

Mais dans tous les cas, il faudrait des siècles pour refaire ce qui existe et qu’on peut conserver en ramenant la rivière à son ancien lit, travail encore facile et qui bientôt deviendra impossible par la destruction avancée, du terrain qui seul peut servir de digue.

Avant les amendements de nos terres de l’intérieur par les sables, elles ne produisaient pas de froment ; pour conserver à nos descendants le pouvoir d’avoir du pain de froment de leur pays, il me semble qu’il faut leur conserver ce qui aide à le produire : le sable de mer.

Les ravages faits par le Cuesnon dans la grève de Dol et par la rivière de Pont-ar-Yar dans celle de Saint-Michel, en prenant leur cours dans les sables mobiles, prouvent que, s’il y a intérêt à conserver une grève, il faut maintenir aux eaux douces qui y débouchent, un cours le plus solide, le plus long et partant le moins rapide possible : le moindre ruisseau d’eau creuse en un instant les terrains en pente à sol sablonneux. Que doivent donc entraîner de grands cours d’eau continus dans des sables beaucoup plus légers que ceux de terre ?

Signé : L. G. (Le Goffic ?)