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LE COLLÈGE DE QUIMPER AUX XVIIème et XVIIIème SIÈCLES.

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I. — LA FONDATION DU COLLÈGE (1621).

Maître Guidomar, au début du quatorzième siècle, était « recteur des écoles de grammaire de Quimper-Corentin » ; il donnait ses leçons en sa maison sise rue Guenniou ou Viniou, entre la place Médard et la place au Beurre (la rue actuelle des Gentilshommes). Munis des premiers éléments de la science littéraire, ses élèves allaient se cultiver au sein des grandes Universités de France : les écoliers bas-bretons, souvent dans le plus grand besoin, étaient accueillis par le Collège de Cornouailles, à Paris, où des âmes charitables avaient en leur faveur fondé quelques bourses.

Jusqu'au XVIème siècle, les autres villes de Bretagne ne semblent pas avoir mis à la disposition de la jeunesse des ressources plus étendues, excepté Nantes où le duc Francois II avait fait ériger une sorte d'université ; les trois évêchés de Cornouailles, de Léon, de Tréguier « étaient tellement désolés et abandonnés de secours spirituels qu'à peine se trouvait-il, des prêtres pour dire la messe au peuple, que c'était une chose inouïe d'entendre un prêtre prêcher ou faire une instruction populaire dans la langue du pays ».

Le concile de Trente ordonne en toutes les cathédrales et églises métropolitaines l'érection d'un collège ; l'ordonnance de Blois (1579) confirme ces ordres : une petite institution, dotée des revenus d'un des candidats de la cathédrale, s'établit rue Verdelet, sous la direction du Chanoine scholostique, sous la surveillance du clergé et du corps de ville ; on n'y comptait que trois ou quatre professeurs entretenus partie aux dépens de la ville, partie aux frais des habitants.

L'insuffisance de cette école ne devait pas tarder à apparaître : l'évêque de Quimper, Charles du Liscoët, avait été élève des Jésuites du Collège de Clermont, à Paris ; après de nombreux entretiens avec ses anciens maîtres, il se décida à faire le voyage de Rome et reçut du Pape Grégoire XIII l'ordre d'établir à Quimper un Collège de la Compagnie de Jésus (1584). Les guerres de la Ligue arrêtèrent quelques années la réalisation de ce projet et ce ne fut qu'en 1597, après la capitulation d'Angers, que Charles du Liscoët put se mettre à l'œuvre ; les Pères Jésuites vinrent prêcher à Saint-Corentin en 1610 et 1611, et la question du Collège fut sérieusement étudiée. Les habitants de Quimper semblent avoir passionnément désiré l'établissement de ce Collège : c'est, par acclamation que les députés du clergé, de la noblesse, de la justice et de la bourgeoisie le votent, à Pâques 1611.

Leur vœu sera transmis à Sa Majesté par Messire Jacques Lhonoré, chanoine de Cornouailles et secrétaire de l'Evêque. Plusieurs années s'écoulent : la question des revenus qu'il faudrait attribuer au Collège était difficile à régler, et Guillaume Le Prestre, successeur de Charles du Liscoët, se préoccupant beaucoup de ses propres droits spirituels et temporels, se montrait hostile à l'installation des Jésuites à Quimper. Pourtant, une Commission de douze membres, à laquelle les habitants de la ville donnent pleins pouvoirs et qui choisit pour président l'abbé de Landévennec, s'entend rapidement avec la Compagnie de Jésus, et le 18 Octobre a lieu l'inauguration solennelle du Collège de Quimper.

De Juin 1621 sont datées les lettres patentes du Roi Louis XIII : « Nos chers et bien-aimés les nobles, bourgeois, manants et habitants de notre ville de Quimper-Corentin, nous ont, dès l'année mil six cent treize, instamment supplié et requis leur vouloir octroyer et permettre l'établissement d'un Collège des Jésuites en icelle, et que nous croyons comme eux qu'il est grandement utile et nécessaire pour le général de nos sujets tant de ladite ville que de tout le pays circonvoisin, en ce que leurs enfants seront par ce moyen conjointement instruits à la piété et ès bonnes lois par les Jésuites ».

II. — La vie matérielle.

Le Collège se développe lentement ; l'hostilité de l'évêque se fait plus vive à l'égard des Jésuites : Guillaume Le Prestre leur reproche de s'être « tumultuairement et par la faveur du peuple introduits dans la ville de Quimper-Corentin », les accuse de violer ses droits spirituels et temporels, de vouloir bâtir leur Collège dans un lieu qui comprend les deux tiers de la ville. D'autre part, la cité quimpéroise, qui avait tant désiré son Collège, n'est pas riche : elle doit faire face à des dépenses extraordinaires occasionnées par une épidémie de peste ; les bâtiments, dont la construction commence en 1621, ne seront complètement édifiés qu'en 1748. Ne nous étonnons pas de la mauvaise impression rapportée de Quimper par le Père Coussin : ce religieux célèbre, confesseur du Roi Louis XIII, avait été exilé dans la capitale de la Cornouailles par Richelieu et se trouvait sans doute bien dépaysé...

Quels étaient, aux XVIIème et XVIIIème siècles, les revenus du Collège de Quimper ? (Fiervine : Histoire du Collège de Quimper - Hachette 1864)

1° Une rente de 2.600 livres sur les deniers d'octroi ;
2° Le prieuré de Locamend (près de Fouesnant) avec dépendances du manoir du Chef-du-Bois, les villages de Saint-Augand-Guyodet, Goulantolin, Kerdaniou, Keriroual, Leufilly, Kernafflin, Kerougan, le manoir de Mesmeur, le moulin et le bourg de Langous ; le manoir de Stang-Moulin, du Boulay, le village de Lézinadou et le moulin de Kermatrix, fournissant une rente qui variera de 400 à 1.460 livres.
3° Prieuré de la Bretonnière (paroisse de l'Hermitage, diocèse de Rennes) ;
4° Une rangée de maisons sur la place du Collège ;
5° La maison dite de l'Ecu, au haut de la rue Obscure (actuelle rue Elie-Fréron) ;
6° Une maison et des boutiques place Maubert ;
7° La maison du Pavillon, sise place du Beurre-du-Pot.

Si l'on ajoute la tenue de Trébannec (en Plovan), des rentes constituées par des particuliers, les revenus du Collège des Jésuites s'élevaient à 7.000 livres environ ; déduisons de cette somme 2.500 livres pour remboursement d'emprunts, il restait au Collège 4.500 livres ; en 1702, ses directeurs se plaignaient d'être dans une grande pénurie et réclamèrent à plusieurs reprises des dégrèvements d'impôts ; leur gestion financière semble avoir été très sage.

Les Pères Jésuites durent quitter Quimper en 1762, en exécution d'un arrêt du Parlement de Rennes en date du 21 Juillet ; le 11 Janvier de la même année, ils avaient en vain protesté de leur attachement aux lois, usagés et maximes du royaume, condamné comme pernicieuse toute doctrine contraire à la sûreté et à la personne des rois, reconnu l'autorité des évêques, promis d'enseigner les quatre propositions du Clergé de France en son Assemblée de 1682. La ville de Quimper. attestait leur conduite régulière, la pureté de la doctrine chrétienne enseignée par eux, insistait sur la nécessité de conserver ces éducateurs que l’on, pourrait difficilement remplacer. Rien n'y fit : la Compagnie de Jésus, expulsée de France, dut naturellement abandonner son Collège de Quimper. Denis Bérardier, de Locmaria, prêtre, docteur en Sorbonne, fut nommé principal de l'Etablissement, dont il devait être une des gloires. En Juin 1767, des lettres patentes du Roi portaient confirmation du Collège de Quimper : « Le Collège de notre ville de Quimper sera et demeurera conservé, confirmant en tant que de besoin l'ancien établissement dudit Collège..., sera composé d'un principal, d'un sous-principal, de deux professeurs de philosophie, d'un professeur de rhétorique et de cinq régents pour les seconde, troisième, quatrième, cinquième et sixième classes... ; lesdites places de principal, sous-principal, professeurs et régents seront remplies par des personnes ecclésiastiques ou séculières et l'enseignement sera gratuit dans ledit Collège... ; tous les biens qui ont appartenu jusqu'ici au dit Collège, à quelque titre que ce puisse être, continueront de lui appartenir à l’avenir comme par le passé... ; ... sur la somme de 7.000 livres anciennement attribuées au Collège royal de La Flèche sur les impôts et billots de notre province de Bretagne, (il seral) payé à perpétuité, entre les mains du receveur dudit Collège de Quimper, une somme de 2.000 livres par an... ».

Le Collège perdit en 1791 ces 2.000 livres, comme les 2.600 livres provenant des octrois de la ville ; ses biens fonciers furent mis en vente comme biens nationaux mais ; les bâtiments restèrent, après maintes discussions, propriété. communale.

III. — L'Enseignement. Les Elèves.

Le succès du Collège de Quimper fut dès le début éclatant ; les écoliers, si l'on en croit un document de 1623, s'y rendaient de vingt à trente lieues, de trois ou quatre évêchés voisins ; seul le Collège de Rennes, bien éloigné, eût pu lui faire concurrence. L'on a pu compter à Quimper jusqu'à 800 élèves, et même après le départ des Pères Jésuites, les classes de 50, 60, 68 élèves ne sont pas rares.

Ces centaines d'écoliers ne pouvaient loger au Collège ; ils prenaient pension chez des particuliers et formaient une sorte de corporation ayant sa place bien marquée dans la cité ; certes, ils ne passaient pas inaperçus à Quimper, et la police municipale dut s'occuper plus d'une fois de ces jeunes gens turbulents : en 1675, elle entreprend une enquête contre les écoliers qui portent les armes, chassent, courent les pavés la nuit ; en 1682, les écoliers, alliés aux clercs du palais, armés de pistolets et autres armes, exercent des violences sur un sieur Gaulard, donneur des menus plaisirs de Monseigneur Le Dauphin, et veulent entrer par force et sans payer dans la salle de spectacle ; la même année, deux ordonnances interdisent aux écoliers de porter des armes à feu, épées et bâtons, de maltraiter les passants la nuit, et rendent responsables de leurs méfaits leurs logeurs ; en 1770, les écoliers qui ont coutume de se battre dans les rues se voient infliger vingt sous d'amende !

A ces jeunes gens, le Collège de Quimper offre l'enseignement classique des XVIIème et XVIIIème siècles ; la matière fondamentale des études, ce sont les langues anciennes ; le latin est la langue de tous les autres enseignements et même celle de la conversation courante.

Avant d'entrer au Collège, il fallait savoir lire, écrire, calculer et connaître les éléments du latin, bien savoir le « Rudiment » et expliquer l'Appendice.

En Cinquième, l'on expliquait les Fables de Phèdre, le Sulpice-Sévère, ou les « Selectae veteris Testamenti... », l'on étudiait l'abrégé de l'Histoire Sainte, la Mythologie, la Grammaire de Vailly, et la Géographie de Crozas.

En Quatrième, on traduisait Cornélius Nepos, les Eglogues de Virgile, les Elégies d'Ovide ; le professeur donnait les principales règles de la Prosodie Latine, faisait continuer l'étude de Vailly et Crozas et apprendre l'abrégé de l’Histoire Ancienne.

En Troisième, les élèves traduisaient Végèce, Florus, les Commentaires de César, les Métamorphoses d'Ovide, les trois premiers livres de l'Enéïde, les Epîtres d'Horace, les Discours de Cicéron, et apprenaient l'abrégé d'Histoire Romaine.

En Seconde, on expliquait Salluste, les Catilinaires, les Odes d'Horace, l'Eneide ; on apprenait par cœur un petit ouvrage tres estimé : le guide des humanistes ; une description géographico-historique de la Bretagne completait le cours.

En Rhétorique, les auteurs fondamentaux étaient Tire-Live, Tacite, Cicéron (Les Philippiques), Horace (L’Art poétique) ; les élèves composaient des vers, des fables, des épitaphes, etc….

Les deux dernières années sont consacrées à la Philosophie : Etude de la logique, dela métaphysique, de la morale ; étude des systèmes de physique générale.

Le Collège de Quimper se distingue des établissements analogues par quelques particularités : l’étude du grec semble y avoir été florissante, Egger, dans le tome II de son Histoire de l’Hellénosme le note, quelques versions parvenues jusqu’à nous sont certainement très bonnes et l’on n’attribuait pas les prix les moins beaux aux lauréats de « discours grec ». De plus, les Jésuites de quimper donnent à leurs élèves quelques notions de physique expérimentale et les principes généraux de l’arithmétique, de l’algèbre et de la géométrie ; les prêtres séculiers qui leur succéderont en 1762 développeront ces enseignements.

La classe du matin dure 2 h.1/2, celle du soir de 2 h 1/2 également ; les élèves ont, dans leurs pensions, des répétiteurs qui les aident à préparer leurs auteurs.

L’enseignement est gratuit, chaque élève verse six francs d'inscription chaque année, les Quimpérois e payent que trois frances. Le jour de la Saint-Nicolas (6 Décembre), un des garcon faisait une quête dans les classes, et chaque élève lui donnait vingt-quatre sols [Note : M. Ogez : (Bulletin dela société Archéologique du Finistère (1936), utilisant un rapport du 15 Vendémiaire an X adressé à Chaptal].

Enfin, n’oublions pas que les Jésuites poursuivent avant tout un but religieux, l’enseignement religieux occupe la première place et toutes les autres matières n’existent qu’en fontion de cet enseignement. Cette mission religieuse de l’école prend à Quimper un sens tout particulier, si l’on songe que la Basse-Bretagne était au XVIIème siècle redevenue partiellement païenne ; les préjugés les plus étranges, les superstitions les plus grossières avaient remplacé les croyances et les pratiques du Christianisme ; l’un des professeurs du Collège, le Père Maunoir, régent de Cinquième de 1630 à 1633, ayant, suivant la tradition, miraculeusement appris le Breton au cours d’un pèlerinage à la Mère-de-Dieu (en Kerfeunteun), évangélisa de longues années le centre de la Bretagne, mourant à la tâche au milieu des Montagnes-Noires ; son coeur fut rapporté au Collège (où il devait rester jusqu'en Février 1931) : « On enferma ce dépôt sacré dans une boîte de plomb en forme de cœur, et après un service auquel toute la ville assista, on le mit au milieu du balustre, sous une plaque d'argent, vis-à-vis du tabernacle ».

X.

Le Collège de Quimper donnait à l'élite intellectuelle de la Basse-Bretagne instruction et éducation ; il fournissait à la France des gens de lettres, des marins, des explorateurs, des soldats, des religieux, dont quelques-uns ont acquis une juste célébrité.

Dans les milieux littéraires de la fin du XVIIème siècle ; le Père Hardouin se fit une place curieuse ; son père était libraire à Quimper, et, favorisé sans doute par la profession paternelle, Hardouin fit preuve, dès son jeune âge, d'une érudition immense ; admis très jeune à la Société de Jésus, il apprit plusieurs langues, l'histoire, la numismatique, la connaissance des Saintes-Ecritures. Après avoir donné une excellente édition de Pline l'Ancien, il se sentit envahir par un scepticisme auquel rien ne put résister « De toute l'antiquité, il ne nous est rien parvenu d'authentique en dehors d'Hérodote, d'Homère..., de Plaute, de quelques œuvres de Cicéron, des Bucoliques et des Géorgiques de Virgile, des Satires et des Epîtres d'Horace et de l'Histoire Naturelle de Pline » [Note : Galletier, doyen de la Faculté des Lettres de Rennes : Un breton du XVIIème siècle à l'avant-garde de la critique (Annales de Bretagne, tomes 26 et 28)]. Avec une science prodigieuse, le P. Hardouin essaie de prouver qu'Horace n'a pu écrire Les Odes et que l'étude critique de ces poésies trahit à maintes reprises les erreurs et les maladresses d'un écrivain moderne ; l'Eneide n'a pas été composée par Virgile : c'est une œuvre indigne d'un grand poète, certaines allusions permettent de la placer au XIIIème siècle. Ce travailleur acharné, ce précurseur de la critique moderne, se plaît dans le paradoxe : « Ci-gît, dans l'attente du jugement dernier, le plus paradoxal de tous les hommes, français de nation, jésuite de religion, phénomène littéraire, adorateur et destructeur de la vénérable antiquité. Déraisonnant savamment, il enfanta éveillé des rêves et des visions fantastiques ; jouant pieusement le sceptique, il fut un enfant pour sa crédulité, un jeune homme pour son audace, un vieillard pour ses radotages. En un mot : ci-git Hardouin ».

En 1727, un ouvrage sur le traité de Westphalie apportait à un autre élève du Collège de Quimper une solide réputation : le Père Bougeant était né à Quimper en 1690, et sa famille habita longtemps le manoir de Trequefellec (les trois bécasses), en Kerfeunteun ; ses œuvres littéraires sont très nombreuses et diverses ; ses mérites d'historien devaient être bien reconnus, car la Chalotais, peu suspect d'indulgence, dans son Réquisitoire contre les Jésuites, déclarait que les deux ouvrages du P. Bougeant sur les traités de Westphalie étaient les meilleurs publiés par la Société de Jésus. Hardi et spirituel, ce Quimpérois causa un gros scandale par la publication de ses Amusements philosophiques sur le langage des bêtes. Poète, auteur dramatique, il mit au service de son Ordre ses talents, et plusieurs de ses pièces (Le Saint déniché, Les quakers français) nous montrent certains aspects bien particuliers des querelles religieuses et politiques de la première partie du XVIIIème siècle.

Plus célèbre est Elie Fréron, ennemi redouté du « patriarche de Ferney » [Note : François Cornou : Elie Fréron, 1718-1776 (Paris-Quimper, 1922)]. « Quimper, dit son biographe, possédait un Collège tenu par les Jésuites. Une nombreuse population scolaire, fils de gentilshommes, de bourgeois, d'artisans, y pénétrait chaque matin. Elie ne tarda pas à en prendre lui-même le chemin. Déjà il n'était plus un débutant. Il savait lire. Il montrait d'heureuses facilités favorisées par une excellente mémoire. On en parlait dans la famille. Un jour, les cousins Malherbe se souvinrent que le grand poète, leur parent, leur avait fait don d'un exemplaire de ses œuvres. Le livre, conservé pieusement, fut offert au petit Elie, on devine avec quels commentaires et quelles exhortations au travail. Docile à ces conseils, l'enfant eut vite fait de déchiffrer le vieux livre poudreux et, mieux encore, de l'apprendre. Lui-même nous le dira plus tard à cinq ans, il le savait tout entier « par cœur ». Ce petit-neveu de Malherbe tint les promesses de son enfance ; pendant de longues années, avec un beau talent d'écrivain et de polémiste, il se heurta sur tous les terrains, littéraire, religieux, politique, social, aux « Philosophes » ; son journal, l'Année Littéraire, ne craignit pas de railler le prince des railleurs, et Voltaire n'est pas sorti grandi de sa lutte avec notre compatriote : Elie Fréron savait trop bien discerner les côtés mesquins, parfois même méprisables du grand homme. « Fréron, dit un critique célèbre.., le seul représentant de la critique du XVIIIème siècle, le seul organe, quand tout le monde se taisait…, du bon sens et du bon goût de la nation » (Jules Janin).

Après les gens de lettres, voici les marins et les explorateurs : Yves de Kerguélen, né à Quimper en 1740, se montra bon élève au Collège ; il déclare lui-même avoir eu « le goût du travail et de l'application », « avoir fait des études assez heureuses », et savoir « presque tous les auteurs latins ». Les 12 et 13 Février 1772, par 50° 5 de latitude Sud et 60° de longitude Ouest, Kerguélen découvrait l'archipel qui porte aujourd'hui son nom, en prenait possession au nom du Roi de Fronce ; il devançait Cook qui retrouvera plus tard une bouteille laissée par Kerguélen et contenant l'acte de prise de possession ; le 26 Juillet 1772, Louis XV décorait l'explorateur de la Croix de Saint-Louis. Après une longue suite de déboires, Kerguelen devint corsaire et fit avec « La Brionne » une croisière épique en mer du Nord. En 1781, il repartait pour faire le tour du monde avec le « Liber Navigator », mais son navire fut confisqué par l'amirauté anglaise, en dépit de toutes les promesses : la Grande Bretagne, craignait sans doute que Kerguélen n'apportât à la France de nouvelles possessions...

Charles Ducouédic de Kergoaler était le condisciple de Kerguélen ; le combat de sa frégate « La Surveillante » contre la frégate « Le Québec » (6 Octobre 1779) est demeuré légendaire dans les annales de la marine française. Enfin, Dupleix, de Landrecies, dont le père était venu à Morlaix diriger la ferme des tabacs, suivit les cours du Collège ; il logeait chez une bonne dame de Quimper, qui l'appelait Joson et qu'il ne cessa jamais d'appeler « ma chère maman » ; quelles études fit le conquérant de l'Inde ? Nous l'ignorons.

L'on reste étonné du grand nombre d'hommes célèbres sortis du Collège de Quimper vers les années 1750-1765 : La Tour d'Auvergne y connut Claude Le Coz son ami intime, qui fut principal du Collège, évêque de Rennes et archevêque de Besançon. « Le Coz n'oublia jamais son ancien condisciple. Il rappelait plus tard avec un légitime orgueil leur liaison de Collège, et jusque dans sa vieillesse, il se plaisait à raconter leurs interminables promenades, les jours de congé, sur les bords pittoresques de l'Odet, le long des sentiers ombreux, où ils s'entretenaient de leurs projets d'avenir qui ne visaient guère que l'étude, l'un et l'autre ne se doutant ni des périls glorieux, ni des honneurs qui l'attendaient » [Note : A Roussel : Un Evêque assermenté : Claude le Coz... (Paris, 1898)]. Nous ne retracerons pas la biographie du héros dont le Lycée de Quimper devait plus tard prendre le nom ; il nous suffira de rappeler la lettre qu'adressait, le 5 Floréal an VIII, à La Tour d'Auvergne, le ministre de le guerre Carnot : cette lettre marque les grands traits de la physionomie du « Premier Grenadier des Armées de la République » : « En fixant mes regards sur les hommes dont l'armée s'honore, je vous ai vu, citoyen, et j'ai dit au Premier Consul : « La Tour d'Auvergne-Corret, né dans la famille de Turenne, a hérité de sa bravoure et de ses vertus. C'est un des plus anciens officiers de l'armée, c'est celui qui compte le plus d'actions d'éclat. Partout les braves l'ont surnommé le plus brave.

Modeste autant qu'intrépide, il ne s'est montré avide que de gloire et a refusé tous les grades.

Aux Pyrénées..., le général commandant l'armée rassembla toutes les compagnies de grenadiers et, pendant le reste de la guerre, ne leur donna point de chef. Le plus ancien capitaine devait commander : c'était La Tour d'Auvergne, il obéit et bientôt ce corps fut nommé par les ennemis la colonne infernale.

Un de ses amis n'avait qu'un fils dont les bras étaient nécessaires à sa subsistance ; la conscription l'appelle ; La Tour d'Auvergne, brisé de fatigue, ne peut travailler, mais il peut encore se battre. Il vole à l'armée du Rhin, remplace le fils de son ami et, pendant deux campagnes, le sac sur le dos, toujours au premier rang, il est à toutes les affaires et anime les grenadiers par ses discours et par son exemple ».

Pauvre mais fier, il vient de refuser le don d'une terre que lui offrait le chef de sa famille ; ses mœurs sont simples, sa vie sobre ; il ne jouit que du modique traitement de capitaine-à-la-suite et ne se plaint pas.

… Parlant toutes les langues, son érudition égaie sa bravoure et on lui doit l'ouvrage intéressant intitulé les « Origines Gauloises ».

Tant de vertus et de talents appartiennent à l'histoire ; mais il appartenait au Premier Consul de la devancer. Le Premier Consul, citoyen, a entendu ce récit avec l'émotion que j'éprouvais moi-même, il vous a nommé sur-le-champ Premier Grenadier des Armées de la République et vous a décerné un sabre d'honneur ».

« ... Cette épée d'honneur, déclara La Tour d'Auvergne, je la montrerai de près à l'ennemi, j'inspirerai à mes frères d'armes le désir d'obtenir la même récompense ; à 57 ans, la mort la plus désirable est celle d'un grenadier sur le champ de bataille et j'espère que je l'y trouverai ». Quelques jours plus tard, le 27 Juin 1800, tombait à Neubourg, le cœur percé par la lance d'un cavalier autrichien, au cours d'un furieux corps-à-corps.

N'est-il pas juste de faire rejaillir sur le Collège de Quimper un peu de la gloire de ses anciens élèves ?

Ce Collège eut la bonne fortune d'être dirigé par deux principaux de haute valeur : Bérardier, puis Claude Le Coz.

Denis Bérardier, de Locrnaria, fit chez les Jésuites de Quimper de très brillantes études, si l'on en juge par les devinettes et les vers latins qu'il propose dans les exercices académiques ; ordonné prêtre, reçu docteur en Sorbonne, il est en 1762 nommé principal du Collège de Quimper ; curieux de toutes les nouveautés, il crée un cabinet de physique unique en Bretagne. Ayant quitté Quimper à la suite de discussions avec son évêque, il devient principal de Louis-Le-Grand et va désormais se trouver mêlé aux premiers actes de la Révolution Française : Camille Desmoulin, boursier du Chapitre de Laon, Maximilien Robespierre sont ses élèves et ne l'oublieront jamais. Très monarchiste, catholique d'une stricte orthodoxie, Bérardier ne sacrifie aux idées nouvelles aucune de ses convictions : il est arrêté le 19 Août 1792, mais Robespierre et Desmoulin (dont il a béni le mariage avec la douce Lucile) l'éloignent du danger lors des massacres de Septembre. Camille et Lucile montent à l'échafaud ; mois Robespierre continue à son ancien maître sa protection et fait graver sur sa tombe le vers suivant : « Justum ac tenacem propositi virum ».

Claude Le Coz succéda à Denis Bérardier à la tête du Collège de Quimper ; il avait fait d'excellentes études et ses maîtres l'avaient si bien remarqué, qu'à vingt-deux ans il devenait leur collaborateur ; tour à tour régent des classes de Quatrième, de Troisième, de Seconde, il enseigne de 1773 à 1776 en classe de Rhétorique, devient sous-principal en Septembre 1776, et dirige le Collège pendant treize ans, de 1778 à 1791. Claude Le Coz a, en matière d'enseignement, quelques vues originales : un enfant doit étudier, en premier lieu, les langues, la littérature, l'histoire et la géographie ; les sciences ne seront abordées que beaucoup plus tard, lorsque l'intelligence de l'élève sera assez ouverte pour suivre, sans se rebuter, leur sentier ardu. Chaque année, un certain nombre d'élèves de Le Coz partaient suivre à Brest le cours de Marine (correspondant à l'actuelle Ecole Navale) ; ils ne tardaient pas à dépasser ceux de leurs compagnons qui se livraient exclusivement et depuis longtemps à l'études des mathématiques, la discipline suivie à Quimper leur ayant fortifié, et aiguisé l'esprit — selon Claude Le Coz, un règlement sévère doit graduer les études : une sélection impitoyable doit empêcher tout élève faible d'accéder à la classe supérieure. — Il faut réprouver toutes « méthodes facilitantes et abréviatives » comparables aux drogues des charlatans. Enfin, l'éducation doit avoir pour base la religion, sans laquelle l'étude des lettres et des sciences n'est qu'un danger de plus pour l'enfant.

Il recherche le moyen d'améliorer le rendement de son institution et propose de ne plus s'astreindre à l'ordre d'ancienneté dans la nomination aux places de professeurs, de procurer aux jeunes régents les livres qui leur permettront d'avoir les connaissances variées et nécessaires à leurs fonctions, d'inviter les professeurs à présenter des mémoires sur leurs classes et sur les moyens de perfectionner les études.

Claude Le Coz, en dépit du grand prestige dont il jouit, aspire à une vie cachée ; on le voit solliciter de l'évêque de Quimper l'autorisation de se rendre sur le rocher désolé de Sein pour évangéliser les pêcheurs.

Ses idées sont franchement libérales : c'est avec un grand enthousiasme qu'il adopte les idées nouvelles ; le 4 Août 1790, dans un discours vibrant de patriotisme, il demande à la municipalité de distribuer à ses élèves des cocardes aux couleurs nationales.

Nous ne pouvons retracer en détail la carrière magnifique du principal du Collège de Quimper ; marquons-en seulement les épisodes remarquables : une brochure sur la Constitution Civile du Clergé, par Claude Le Coz, défend l'œuvre religieuse de la Constituante : les administrateurs du Finistère décident de la faire parvenir à tous les districts, à toutes les municipalités, à chacun des 82 autres départements, à l'Assemblée et au Roi.

Elu évêque d'Ille-et-Vilaine le 28 Février 1791, il prend possession de son diocèse avec pour programme : la paix et l'union. Député à la Législative, ce prélat constitutionnel ne cache pas son dévouement à la monarchie. En 1793, il est emprisonné au Mont Saint-Michel. « Le Coz emportait, cousus dans la doublure de son habit, vingt-cinq louis qu'il avait reçus en dépôt de son ami Corret de La Tour d'Auvergne, lorsque celui-ci était parti pour l'armée d'Espagne... ; cette somme était destinée à une nouvelle édition des Antiquités gauloises, car l'intrépide guerrier était doublé d'un érudit » (Roussel : op. cit.) ; l'escorte ne laissa pas fouiller les prisonniers et plus tard, lorsque La Tour d'Auvergne rentra en France après avoir passé plusieurs années sur les pontons d'Angleterre, ce fut entre les deux amis une lutte de générosité, l'évêque voulant restituer les vingt-cinq louis, le soldat refusant de les accepter : Le Coz garda la moitié de la somme, qu'il distribua aux pauvres.

Libéré après Thermidor, l'ancien principal de notre Collège poursuivit une carrière de luttes et de déceptions ; la mort de La Tour d'Auvergne lui causa beaucoup de chagrin ; le 1er Fructidor an XIII, il écrivait au secrétaire de l'Académie Celtique et lui signalait la passion avec laquelle l'intrépide soldat avait poursuivi ses études sur les Celtes et la langue celtique, et la nouvelle Académie inscrivait sur la liste de ses anciens membres le nom du premier grenadier.

Le 20 Germinal an X, Claude Le Coz était nommé archevêque de Besançon, et apportait aux populations du Jura le secours de sa foi et de sa charité ; le 3 Mai 1815, il mourait, laissant le souvenir d'un prélat chargé de toutes les vertus.

(Louis NICOLAS).

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