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QUIMPER SOUS LA TERREUR
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LE BRULIS DES SAINTS DE LA CATHÉDRALE -
(12 Décembre 1793)

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Le 22 frimaire an II (12 décembre 1793), Quimper vit sur son Champ de Bataille un spectacle inouï, l'autodafé officiel des statues et des reliques des saints les plus vénérés en Cornouaille. Un tel événement dans la métropole religieuse d'un pays foncièrement catholique scandalisa les contemporains et ne laisse pas d'étonner encore la postérité.

Cet épisode de la Terreur méritait par son caractère insolite l'attention des historiens. Cependant il est resté mal connu. On se le représente généralement comme un incident de cette anarchie spontanée dont parle Taine, le résultat d'une exaltation subite qu'expliquerait seule la psychologie des foules en période de crise, bref un fait sans lien de cause, sorti ex nihilo. La vérité est autre ; le brûlis des saints n'eut rien de fortuit. L'étude attentive des documents permet d'en saisir les causes et de le situer, dans la chaîne des faits historiques. Pour s'en rendre compte, il faut connaître les circonstances particulières où se trouvait Quimper au début de l'an II, connaître aussi quelques hommes qui y exercèrent à cette époque une véritable dictature. Ainsi apparaîtront des responsabilités, les unes collectives, les autres individuelles, qui n'ont pas encore été bien établies [Note : Les sources principales de cette étude sont : 1° Archives départementales, série L. (Dans les références, nous écrirons, en abrégé, AD). 2° Archives municipales de Quimper (en abrégé, AM)].

QUIMPER A LA FIN DE 1793. — L'année 1793, la plus sanglante de la Révolution avait été tout entière remplie par la guerre étrangère et la guerre civile. Vers la mi-décembre encore, nos frontières n'étaient pas délivrées. Toulon restait aux mains des Anglais, l'armée vendéenne se maintenait au nord de la Loire, menaçant de mettre la Bretagne en feu et d'en faire une seconde Vendée.

Dans le Finistère, tant de périls n'avaient pas arrêté les représailles montagnardes contre les fédéralistes vaincus ; or Quimper avait été l'une des capitales de la révolte girondine. Dans ces circonstances tragiques, tous les esprits s'exaltèrent. Une déviation du sentiment patriotique donna naissance à un mouvement déchistianisateur. C'est sous un régime de terreur que s'exécutèrent l'arrestation des suspects, la levée en masse, le maximum, la réquisition générale des hommes et des vivres.

***

Frimaire an II, miz kerdu ar spont bras ! Jamais Quimper ne connut des jours plus sombres. La ville, encore cernée de toutes ses vieilles murailles, semblait vide et morne. Plus rien de ce qui l'animait naguère. Le chef-lieu du département avait été transféré à Landerneau ; trente administrateurs accusés de fédéralisme, jetés dans les prisons, attendaient de comparaître devant le tribunal révolutionnaire. Dans la ville, plus de noblesse ni de clergé, plus de couvents, plus de collège, plus de garnison, plus de foires ni de marchés. Les hommes valides étaient aux frontières.

La plupart des fonctionnaires publics avaient été destitués et emprisonnés. En prison, l'évêque Expilly, le président et le secrétaire général du département, de Kergariou et Aimez, le président du tribunal criminel, Le Guillou-Kerincuff, le président du district, le curé Lagadec, les avocats Olivier Morvan et Doucin, le maire Magnan, le capitaine de gendarmerie Daniel, le médecin-chef de l'hôpital Vinoc, le principal du Collége Guillaume, l'inspecteur des douanes Tardy [Note : Ces arrestations avaient été opérées, pour la plupart, du 7 au 20 octobre. A cet effet, Jean-Marie Perrin, administrateur du Finistère, l'ennemi acharné des fédéralistes, vint passer 15 jours à Quimper].

Quelques-uns de ceux qu'on pouvait ranger au nombre des fondateurs de la République avaient pris la fuite, ainsi le procureur-syndic Abgrall, l'accusateur public Roujoux, l'officier municipal de La Hubaudière, l'ancien maire Le Goazre, frère de Kervélégan : ils se trouvaient errants dans les campagnes comme Kervélégan lui-même.

Nul n'étant sûr du lendemain, il y eut. pour ainsi dire, des évasions préventives. Des bourgeois inquiets, craignant d'être à leur tour inculpés, déclaraient à la municipalité, en bonne et due forme, vouloir sortir de la ville et s'établir désormais dans les communes rurales. L'exode commença en octobre par les plus riches. Jean-François Le Déan et son frère François-Jérôme, ex-Constituant, ancien maire de Quimper, quittèrent leur hôtel de la rue du Sel pour habiter le paisible éden de Bodivit. Le magistrat Le Dall de Kéréon et l'avocat Coroller allèrent se fixer, l'un à Plomeur, l'autre à Clohars- Fouesnant. Jacques Dumesnil, négociant en vins sur le Quai, se fit laboureur au manoir du Loch en Kerfeunteun. Le citoyen Debon lui-même, maire en exercice, voulut déposer son écharpe ; par une déclaration écrite dont il demanda acte, le 2 décembre, il manifesta son intention d'aller demeurer à Ergué-Armel où il possédait une propriété. Ceux-là du moins prenaient congé en y mettant des formes, mais bien d'autres déménagèrent sans tambour ni trompette [Note : AM. Reg. des arrêtés du Bureau municipal, 18 octobre et 13 novembre 1793].

LES AUTORITÉS CONSTITUÉES. — Les autorités constituées de Quimper avaient été régénérées les 16 et 17 octobre par Marc-Antoine Jullien et Royou-Guermeur, agents du Comité de Salut public et délégués des représentants du peuple à Brest. Les hommes notoirement compromis dans le mouvement fédéraliste avaient été destitués. Ainsi sortirent de l'administration du district Nicolas Veller, Charles Kerdisien et François Abgrall, remplacés par Louis Bonet négociant, le peintre Valentin et l'avocat Jean-Jacques Le Breton de Ville-blanche. Ainsi épurée et parée de l'étiquette montagnarde, cette administration resta modérée : deux ex-nobles, Ambroise Duhaffond et Hervé de Silguy, deux curés constitutionnels, Jean Lagadec et Dominique Le Breton, y conservèrent leurs fonctions [Note : AD, Reg. délib. du district (28 L 8*), 18 octobre].

La municipalité quimpéroise tout entière avait été ardemment girondine. Elle avait fait amende honorable dès le début d'août. Jullien et Royou-Guermeur en éliminèrent les Girondins les plus marquants : le maire Henri Magnan, ancien directeur des Devoirs, Antoine de La Hubaudière manufacturier, Sébastien Billette garde du timbre, Jean-Marie Le Roux négociant, neveu de l'évêque Le Coz, Calloc'h de Kerillis notaire et procureur, Perrin, ancien receveur général des Fermes, et Derrien imprimeur. L'épuration faite, le Conseil de la commune se trouva composé d'hommes pondérés, amis de l'ordre. A peine y comptait-on trois ou quatre sans-culottes authentiques : le brasseur Claude Boutibonne, le boucher Pierre Morvan, l'ancien procureur René Coïc et le chapelier Bernay [Note : AD, Reg. délib. du conseil général, 17 octobre].

Les fonctions de maire furent imposées à Jacques-Thomas Debon, marchand de draps, soieries et galons, rue Keréon. Riche mais peu instruit, Debon fut plus d'un an maire malgré lui. Sa résistance au sans-culottisme lui vaudra d'être incarcéré par les clubistes Hérault et Le Clerc.

L'influence de Jullien et de Royou-Guermeur fut plus marquée sur deux autres organismes de la vie communale : le Comité de surveillance et la Société populaire. Les éléments avancés s'y trouvèrent en majorité.

Le Comité de surveillance, chargé par la loi de la désignation et de l'arrestation des suspects, était aux mains d'une dizaine de terroristes grisés de la toute puissance. Trois hommes de loi, Girard, Desnos et Louis Charuel, en furent les membres pondérateurs ; mais généralement les plus violents l'emportaient : les bouchers Nicolas Eulriet et Pierre Morvan, les perruquiers Julien Kerroch et Jean-Baptiste Rose, le tailleur Louis Bécam, le jardinier Le Moine, le typographe Lhotte et surtout le ferblantier François Le Roy, qui se nommera bientôt Montagne [Note : AD, Reg. I, Comité de surveillance de Quimper, 16 octobre].

Enfin, la Société populaire qui s'intitulait « Société montagnarde des sans-culottes de Quimper » siégeait presque chaque soir à la chapelle du Collège. C'était la pépinière des fonctionnaires, l'institutrice et la gardienne de l'esprit public. Qui n'y paraissait point devenait suspect. Les sans-culottes y dominaient depuis l'épuration d'octobre ; mais sous le masque montagnard, quelques bourgeois, comme l'ingénieur Detaille, s'efforçaient de freiner la démagogie envahissante. En novembre, nous trouvons Jean-Vincent Desnos, ancien procureur, président, Boutibonne, vice-président, et Dagorne secrétaire de la Société.

Les oracles de ce temple étaient, le plus souvent, le père Girard, avocat, l'ennemi juré des meuniers et des boulangers, Dagorne, Montagne, Lhotte capitaine des canonniers, l'ex-procureur René Coïc, l'avocat J.-M.-C. Gaillard aîné qui, dépouillé du sans-culottisme, fera une longue et belle carrière dans la magistrature, et enfin le jeune greffier municipal Raoulin.

A la Société populaire se lisaient les papiers publics et l'on commentait les nouvelles. Là aussi s'élaboraient les pétitions et motions. Nous verrons bientôt que la proposition relative à l'interdiction du culte et au brûlis des saints, portée le 11 décembre au Conseil de la commune, avait été délibérée la veille au club des sans-culottes.

LA DISETTE DU MAXIMUM. — Les lois des 17 et 29 septembre, sur le maximum des grains d'abord, puis sur le maximum général des denrées, produisirent à la fin de 1793 une disette factice. En Basse-Bretagne, la récolte de 1793 avait été assez bonne, sauf pour le blé noir. Les grains ne manquaient pas, mais leurs détenteurs ne voulaient pas les vendre, n'ayant pas confiance en l'assignat.

La loi fixait le prix maximum du froment à 14 l. le quintal de 100 l., du seigle à 10 l. En novembre, à Quimper, le bœuf était taxé à 9 s. 4 d. la livre, le lard au pot 10 s. 8 d., le beurre 12 s. Or au mois de juin 1793, la loi de l'offre et de la demande avait déjà porté le prix du froment à 24 l. 7 s., le seigle à 8 l 8 s., le bœuf à 12 ou 14 s., le lard à 15 s., le beurre à 17 et 18 s. Par contre, la loi eut pour effet de faire renchérir le seigle et l'avoine, dont les prix étaient restés jusque-là au dessous du maximum [Note : AD, délib. du district, tableau du maximum, 14 octobre. — Ibid. correspondance du district, 26 brumaire an II (16 novembre 1793)].

La loi du maximum fut difficilement appliquée. Elle ne reçut un commencement d'exécution que dans les derniers jours d'octobre. Alors, les paysans cessèrent d'alimenter les marchés. Désormais, ils ne vinrent en ville que pour s'approvisionner de toutes sortes de marchandises, bien au delà de leurs besoins immédiats. Boutiques et magasins d'épicerie, de tissus, de quincaillerie furent vidés en moins de deux semaines.

A Concarneau, les grains manquaient dès la fin d'octobre. A Quimper, à Douarnenez, les marchés étaient déserts. De temps immémorial, les paroisses de Plovan, Peumerit, Tréguennec, Plonéour, Lababan et Plouhinec approvisionnaient Quimper de leurs froments. Elles cessèrent tout envoi, sous le prétexte qu'elles ne relevaient pas du district de Quimper. Les citadins gémissaient. La Société populaire de Quimper dénonçait, le 14 novembre, d'innombrables infractions à la loi du maximum. On s'en prenait à la cupidité des paysans. Le 16 novembre, le directoire du district écrivait :

« Depuis la loi qui fixe le maximum des denrées et marchandises de première nécessité, ils ont vidé tous nos magasins. On pourrait même les regarder comme des accapareurs, à l'avidité et empressement avec lesquels ils ont été dans nos boutiques. Cependant, à cette époque, nos marchés sont restés dégarnis et nous allons être obligés de prendre de force les denrées nécessaires à l'approvisionnement de notre ville. Les campagnes, jusqu'à ce moment ont été seules à profiter de la Révolution, sans rien faire pour elle, pendant que les villes qu'elles semblent vouloir affamer ne cessent de faire des sacrifices pour la cause de la liberté et de l'égalité ».

Les bouchers étaient dans l'impossibilité de livrer la viande au prix de la taxe car, par une inconséquence de la loi, le bétail sur pied devait s'acheter de gré à gré. Le commerce devenant impossible, bon nombre de marchands fermèrent boutique. Malgré les visites domiciliaires, le beurre, le suif, la chandelle, le savon, le sucre, objets de transactions clandestines, restaient introuvables.

La corde de bois était taxée à 15 l. Les paysans consentaient à la céder à ce prix, mais ils exigeaient 9 à 10 l. pour le transport en ville. A la fin d'octobre, le pain était encore à 3 s. la livre (froment) et 2 s. le seigle. Les boulangers n'y trouvaient plus leur compte. On les autorisa à vendre deux qualités de pain de froment, l'une à 4 s., l'autre à 3 s. Un mois plus tard, on en viendra au pain de l'égalité (trois quarts de froment, un quart de seigle) à 3 s. la livre.

Mais les boulangers ne trouvaient plus de grains. Le 11 décembre, l'administration départementale reconnaissait que « les approvisionnements ne se font qu'avec une difficulté extrême. Les abus se multiplient avec une rapidité qui nous menace d'une disette générale ». Et le district de Quimper lui faisait écho, disant : « Ce n'est qu'à force de réquisitions que nous parvenons à assurer la subsistance des villes et nous craignons bien d'être obligés d'en venir aux moyens violents. Les marchés de Quimper sont absolument dégarnis de froment et de seigle, à peine y vient il 7 à 8 boisseaux de chaque espèce. L'avoine seule y vient encore passablement ».

Les boulangers de Quimper, indépendamment des particuliers qui faisaient leur pâte (environ la moitié de la population) consommaient plus de 500 quintaux de froment ou de seigle par semaine Or dans la dernière semaine de décembre, ces boulangers ne disposaient plus que de 185 quintaux. Le déficit était de 300 quintaux et l'on craignait la famine [Note : AM, Correspondance de la municipalité (fin reg. délib. 1786-89), 15 nivôse, an II (4 janvier 1794)].

Cette situation angoissante explique la nervosité et les colères de la population quimpéroise. On sait qu'aux périodes révolutionnaires, les appréhensions relatives aux subsistances ont toujours été à l'origine des mouvements violents.

LA LEVÉE EN MASSE. — Aux difficultés de la réquisition des denrées s'ajoutèrent celles de la levée en masse décrétée par la Convention le 23 août. Cette levée comprenait tous les hommes valides de 18 à 25 ans, célibataires ou veufs sans enfants, environ 1.300 hommes pour le district dont la population n'atteignait pas 49 000 âmes. C'était, pour l'époque une charge inouïe, triple de celle imposée au mois de mars précédent, lors de la levée des 300.000 hommes.

Le rassemblement des recrues se fit sans enthousiasme à Quimper le 12 novembre, sous la direction d'un agent spécial du district, Pierre Porquier. Ces jeunes gens furent casernés pendant près d'un mois aux Capucins, à Saint-Joseph, à la Retraite, couvents désaffectés situés aux abords de la place actuelle de la Tour d'Auvergne. — Le couvent des Ursulines (partiellement occupé par la caserne actuelle) n'était pas encore disponible. Les religieuses Ursulines s'étant soumises à toutes les lois révolutionnaires avaient été autorisées à demeurer dans leur maison dans des conditions assez singulières. Elles tenaient un pensionnat et une école publique et ne furent expulsées qu'à la fin de février 1794, un an et demi après la fermeture de tous les autres couvents.

Il y eut parmi les recrues bon nombre de réfractaires et bientôt beaucoup de déserteurs qui ne rallièrent leur bataillon que contraints par des gendarmes ou des détachements de cavalerie. La colère grondait dans les campagnes au point de faire craindre une insurrection générale. Le district jugea prudent d'éloigner au plus tôt des conscrits si peu diposés au métier des armes. Il obtint du représentant Bréard de les faire caserner à Brest à partir du 9 décembre, ce qui d'ailleurs n'empêcha pas les désertions pendant quelques semaines encore [Note : AD, Correspondance du district, 17 septembre, 4, 9 octobre, 19 et 23 novembre].

Remarquons en passant que de 1791 à la fin de 1793, le seul district de Quimper (889 km2 et 48.600 âmes en 1790) avait fourni aux armées de la Révolution, armée navale comprise, 3.100 hommes, proportion très forte de 63 hommes pour 1,000 âmes, alors que dans l'ensemble de la France, abstraction faite de la Vendée, la moyenne ne dépassa pas 36 hommes par 1.000 âmes. Ainsi dans le palmarès des sacrifices consentis à la patrie, sous la Révolution comme à toutes les époques de notre histoire, notre Basse-Bretagne a toujours tenu une place d'honneur.

LA DÉCHRISTIANISATION. — Le mouvement anti-religieux qui se propagea à Paris en octobre et novembre fut attentivement suivi par les clubs à Brest, Landerneau, Morlaix, Carhaix et Quimper. Dans l'entourage du représentant Bréard, il se constitua une équipe de « déchristianisateurs » qui à l'instar de Paris travaillèrent à détruire l'ancienne religion comme on avait détruit l'ancienne royauté, à remplacer le culte catholique par le culte de la Raison. En Basse-Bretagne, à l'exception de Brest et de Lorient où les besoins de la Marine avaient attiré une nombreuse colonie de déracinés, le nouveau culte rencontra peu d'adeptes.

A Quimper deux hommes, d'ailleurs ennemis acharnés l'un de l'autre, prétendaient porter le coup suprême au « despotisme sacerdotal ». Guillaume Girard et Pierre Dagorne. Girard, vieux démocrate, appartenait à l'école voltairienne. Dagorne, un néophyte, « aristocrate retourné, protégé de Calonne », disait Girard, ralliait les convertis, les jeunes, les plus exaltés.

A la Société populaire, séante à la chapelle du Collège, des orateurs véhéments électrisaient chaque soir les sans-culottes des deux sexes, car les femmes étaient admises dans les tribunes. L'orateur attitré, spécialisé dans les prêches anticléricaux était Girard, président du Comité révolutionnaire et juge au tribunal du district.

La prédication laïque de Girard était d'ordinaire insinuante et doucereuse [Note : Il est plaisant de voir cependant Dagorne dénoncer Girard pour « la grossiéreté de son langage, qu'un lieu public mal noté n'entendrait pas sans la plus extrême répugnance ». Dagorne ajouta « La Société populaire va se purger, mais il faut de la décence, parce que sans mœurs, pas de républicains et, sans républicains, pas de République ». AM, délib. du 25 octobre 93]. Il cherchait dans les Evangiles les thèmes de ses homélies familières et, avec bonhomie, les accommodait au goût de son auditoire « Mes rogations, dit-il modestement, firent le plus grand plaisir aux patriotes qui aiment les bonnes prières et les prompts exaudi nos ».

Dans un de ses discours, intitulé Prophéties des cagots aristocrates, nous avons cueilli quelques phrases caractéristiques de sa manière. « Vous allez voir que la guillotine est aussi ancienne que l'aristocratie. Des saints de race royale ont été guillotinés. Jean-Baptiste et Jacques, tous deux parents de Jésus, l'ont été par ordre de deux tyrans de pareille race. Holopherne l'a été par une femme courageuse ». — « Mais pourquoi ne pas nous dire qui a empêché Joseph et Marie, si bons citoyens dans leur temps tout monarchique, d'apprendre un métier à leur fils plus pauvre qu'eux ou au moins à lire et écrire, première science nécessaire pour porter soit une couronne soit une tiare ? » [Note : Arch. nationales, AD XVI 36, imprimé in-8°, 8 p., 7 ventose II].

Guillaume-Jacques Girard avait alors 65 ans. La profession d'avocat, qu'il excerçait depuis quarante ans, ne l'avait pas enrichi. Il habitait avec sa femme et une servante dans une petite maison qui lui appartenait au n° 616 de la rue du Rossignol (aujourd'hui rue Saint-Mathieu, la deuxième maison à l'est de la venelle de la Gaze). Ses revenus devaient être bien modiques, car il ne payait que 9 l. de capitation en 1790, alors que 20 de ses confrères du barreau de Quimper payaient plus de 25 l. [Note : AD, C. 60, Capitation. — AM. Etat des sections établi en l'an VI].

Girard avait au moins trois fils. L'aîné, Guillaume-Pierre, également avocat et montagnard fut juré au tribunal révolutionnaire de Brest ; les deux cadets étaient aux armées.

Girard est certes le Quimpérois qui a le plus travaillé à répandre en Cornouaille les idées nouvelles et la philosophie du XVIIIème siècle. Longtemps avant la Révolution, l'administration de l'ancien régime l'accusait de pousser les paysans à la révolte, parce qu'il demandait la réforme ou la suppression du domaine congéable, mode de tenure alors universel en notre région et dont les paysans se plaignaient amèrement depuis des siècles. En 1774, il publia un Traité des usements ruraux de Basse-Bretagne, qui lui valut une certaine popularité parmi les domaniers.

Après avoir été destitué et incarcéré par Hérault et Le Clerc, Girard écrivit à Jeanbon Saint-André : « Girard père, quinze ans avant la Révolution, a osé combattre tous les abus qu'elle a détruits. Le franc-fief, le partage noble, les droits féodaux et surtout les domaines congéables sont les abus contre lesquels il a travaillé toute sa vie. Enfin notre heureuse Révolution est pour ainsi dire pour lui une victoire, qu'il a remportée en voyant réaliser par elle ses principes.

Ami du genre humain, parfaitement honnête homme, il était né vraiment républicain ; aussi l'a-t-il démontré avec la plus grande énergie. C'est lui qui s'est montré à Quimper le premier ami de Marat, le premier défenseur des braves Montagnards. C'est lui qui a lutté avec courage contre les administrateurs fédéralistes du Finistère et qui a constamment éclairé le peuple de Quimper égaré et prévenu contre la sainte Montagne par les faux patriotes.

C'est le citoyen Girard qui, à la Fédération du 10 août dernier à Quimper, a osé, seul avec le citoyen Boutibonne, crier : Vive la Montagne ! sans que ce cri fût répété par personne, mais au contraire plaisanté et ridiculisé par les administrateurs fédéralistes.

C'est cependant ce brave républicain que des délégués mauvais sujets, peut-être même contre-révolutionnaires comme Dagorne, ont osé peindre au représentant Bréard comme un fanatique, comme un ami des prêtres et des religieuses, lui qui toute sa vie n'a fait que les ridiculiser » [Note : AD, 10 L 128].

Voilà Girard peint par lui-même, tel qu'il voulait paraître aux yeux de Jeanbon. C'est une apologie que l'on peut pardonner a un homme qui a beaucoup souffert pour ses opinions. Persécuté sous l'ancien régime, emprisonné tour à tour par les Hébertistes et les modérantistes, pelaudé de toutes mains, Girard devint un maniaque.

Réformateur universel, il dissertait de omni re scibili, rédigeait mémoire sur mémoire pour éclairer les administrateurs, les députés, les ministres, Robespierre surtout. En l'an VI encore, il disait naïvement : « Il n'est pas de ministre qui ne puisse attester mon constant travail. Nos aristos en conviennent indirectement en qualifiant tous mes mémoires d'illustres folies ».

Jacobin, montagnard et anticlérical, Girard ne versa pas dans le sans-culottisme, dont il eut d'ailleurs à souffrir. Honnête homme au sens où on l'entendait sous l'ancien régime, c'est-à-dire homme de bonne éducation, les manières débraillées et grossières lui répugnaient. Quand il fut de nouveau incarcéré en l'an III, on trouva dans ses papiers, à côté d'un mémoire à Robespierre, un discours contre le sans-culottisme.

Malgré son anticléricalisme, il n'est pas certain que Girard ait approuvé le brûlis des saints. Il est même probable qu'il condamna ce projet, non seulement comme illégal et inopportun, mais encore comme contre-révolutionnaire parce que Dagorne en avait pris l'initiative et que tout ce qui venait de cet aristocrate en bonnet rouge lui paraissait suspect.

Ces deux hommes ne se rencontraient que sur le terrain de la propagande anti-religieuse : l'un en disciple de Voltaire, l'autre en imitateur du Père Duchesne. Aussi le brûlis des saints ne réconcilia-t-il pas les deux rivaux : le 15 décembre le pontife Dagorne fera emprisonner le patriarche Girard.

LES MÉFAITS DES DÉLÉGUÉS DE BRÉARD. — A Brest, des clubistes au passé douteux, pour la plupart étrangers au département, avaient surpris la confiance de Bréard. Le représentant, circonvenu par des intrigants, leur confia à maintes reprises des missions mal définies. Ces jeunes tyranneaux, dont la place eût été aux frontières se présentaient dans les districts en missi dominici, commettant d'intolérables abus de pouvoir, semant sur leur passage l'anarchie.

Le 21 novembre, Hérault et Le Clerc allèrent à Landerneau épurer le Comité de surveillance, bon teint cependant puisque Leissègues et Davon administrateurs du département y figuraient. Pour montrer le peu de cas qu'ils faisaient des premiers magistrats du département, ils écartèrent de la Société populaire tous les membres de la Commission administrative du Finistère.

Outre Hérault et Le Clerc, il y en eut bien d'autres. A Morlaix, le 3 décembre, les délégués Cuny, Colinet, Hériès et Garnier, formant une soi-disant « commision de recherches de salut public » terrorisèrent la ville sans motif plausible et désorganisèrent les autorités constituées. A la même époque, les commissaires Roxlo et Le Nôtre opéraient avec le même sans-gêne à Carhaix.

Courageusement, la Commission administrative du département dénonça les méfaits de ces énergumènes. Le 7 décembre, au moment où Hérault et Le Clerc préludaient aux saturnales quimpéroises, elle écrivit à Bréard :

« Notre impuissance [à bien administrer], il faut le dire, vient de toi ou plutôt des nombreux délégués qui agissent en ton nom dans l'étendue de notre ressort. Cette multitude de commissaires qui se prétendent revêtus de la plénitude de tes pouvoirs, qui organisent et destituent les administrations secondaires, dont enfin nous ne connaissons pour la plupart ni la mission, ni les opérations, mettent, faute d'ensemble et de concert avec nous, des entraves invincibles au mouvement uniforme et rapide que nous voudrions imprimer à l'administration de notre département.

Les autorités constituées, entourées, harcelées de toutes parts par des commissaires qui agissent en vertu de pouvoirs supérieurs aux nôtres, oublient les tâches essentielles que nous leur imposons, s'embarrassent dans les mesures contradictoires qu'on leur commande et les lois restent sans exécution.

Enfin, nous te prions de réfléchir qu'il est peut-être imprudent et souvent dangereux de confier de grands pouvoirs à des hommes qui n'ont pas pour eux l'avantage même d'en avoir exercé de moindres avec succès ».

Ces observations sages et clairvoyantes n'eurent pas le don de plaire à Bréard qui fit la sourde oreille. En désespoir de cause, les mêmes administrateurs s'adressèrent, le 10 décembre, à Prieur de la Marne alors à la poursuite des Vendéens. « Une multitude de commissaires, revêtus des pouvoirs de Bréard, parcourent le département et, faute de concert dans leurs opérations, portent, sans le vouloir sans doute, mais enfin portent le trouble et le désordre dans toutes les parties de l'administration et ne se donnent même pas le soin de communiquer avec les autorités constituées ni d'exhiber leurs pouvoirs » [Note : AD, 7 L 10*, Commission administrative, correspondance. 17 et 20 frimaire, an II (7 et 10 décembre 1793)].

DAGORNE ET MONTAGNE. — Deux hommes à Quimper personnifièrent l'hébertisme le plus grossier et le plus violent, Dagorne et Montagne, l'un fonctionnaire, l'autre ouvrier. Dagorne surtout fut le mauvais génie de la bande. Instruit, autoritaire et pervers, il exerça une influence funeste sur les terroristes quimpérois, sur les délégués Hérault et Le Clerc eux-mêmes dociles à suivre ses suggestions.

Pierre-René-Félix Dagorne, né à Rennes en 1758, était contrôleur des domaines à Lesneven en 1789, puis à Brest en 1790. Député de la garde nationale à la Fédération parisienne de 1790, il fut pourvu, le 18 juillet 1791, de l'emploi d'inspecteur des domaines et de receveur principal à Quimper. Il prêta serment devant le tribunal du district de Quimper, le 2 avril 1792.

En 1793, à peine âgé de 34 ans, Dagorne habitait Quimper, rue Keréon. Il avait épousé Elisabeth Minay dont il eut un fils, Henri-Louis-Félicité, né à Quimper le 1er septembre 1793. Nous ne savons si l'enfant fut baptisé. L'acte de naissance fut dressé en présence de Louis Lesné, receveur des domaines, gendre et beau frère d'émigrés et de deux femmes, Marguerite de Lannegrie, épouse Conan, et Jeanne Marquer, marchande de tabac et d'épicerie, rue Keréon [Note : AM, Etat civil 1793].

Au début de 1792, Dagorne passait encore pour un aristocrate outré. Au témoignage de l'abbé Sérandour, vicaire épiscopal, il se flattait, en 1787, d'être un protégé de M. de Calonne. Son apparente conversion avait coïncidé avec la chute de la Gironde.

Après le coup d'Etat du 2 juin 1793, il salua avec enthousiasme l'aurore de la Montagne. Le plébiscite sur la constitution montagnarde ayant été différé par l'administration fédéraliste du Finistère, il adressa individuellement à la Convention son vote d'adhésion. Pour que sa lettre ne pût être interceptée à Quimper, il l'a fit mettre à la poste à Quimperlé.

Dès lors il travailla à la perte des administrateurs accusés de fédéralisme et concourut à la recherche des députés fugitifs. Ayant reçu, en octobre, la mission de contrôler les comptes des administrations, il se présenta partout dans l'attitude d'un inquisiteur arrogant, plus soucieux de terroriser ses adversaires politiques que de constater leurs dilapidations ; on ne savait pas encore qu'il était lui-même coupable de malversations. A Quimperlé, l'ancien maire Bienvenu et l'ex-bénédictin Daveau, alors maire, eurent particulièrement à se plaindre de ses manières impérieuses et insolentes. Après une scène orageuse, Dagorne les menaça de sa vengeance. Les quittant, il leur dit d'un ton mystérieux, parodiant la prophétie de Jonas : adhuc decem dies... [Note : Arch. municipales de Quimperlé, délib. 6 octobre 93 et 3 ventôse an II (21 février 1794)]

Bréard le savait intrigant, menteur et ivrogne. Hérault et Le Clerc, peu scrupuleux cependant, éprouvèrent d'abord quelque répugnance à s'associer à un tel individu ; ils finirent toutefois par se laisser circonvenir.

***

Montagne, de son vrai nom François Le Roy fils, fut le plus illustre des terroristes quimpérois. Agé de 33 ans, comme Dagorne, ferblantier de profession, il était en 1793 veuf et père de quatre enfants. En 1790, il demeurait au n° 96 de la rue Kéréon, près la place Médard, et payait une capitation de 2 l. 5 s., juste suffisante pour être rangé au nombre des citoyens actifs. Son père, Pierre Le Roy, ferblantier rue Obscure n° 276 (près la vieille prison) lui avait fait donner une bonne instruction, supérieure à celle de la plupart des ouvriers de sa condition, au point peut-être d'en faire une sorte de déclassé [Note : AAD, C 60, capitation de Quimper 1790].

Le Roy fils jouissait d'une certaine considération dans son quartier car en octobre 1789 il était député de la paroisse de Saint-Julien au Comité permanent de la ville. Sa sœur aînée, Marie-Thérèse, était factrice dans un magasin de la rue Keréon, Une autre de ses sœurs, marchande de biscuits et de pâtisserie, avait épousé François Laperrière, cloutier rue Mescloaguen.

Le 28 août 1792, Le Déan étant maire, le Conseil général de la commune de Quimper nomma François Le Roy concierge de la maison d'arrêt, « ce citoyen très honnête, très sage, ayant la fermeté que peut exiger la surveillance de cette maison » [Note : AM, Délib. Conseil général, 28 août 1792].

Le 16 octobre 93, Marc-Antoine Jullien nomma Le Roy membre du Comité de surveillance et, le lendemain, membre du Conseil du district. Comme Le Roy s'excusait de porter un nom qui rappelait l'ancien régime abhorré, Jullien le nomma Montagne. L'exemple fut contagieux et, le lendemain, Jullien dut procéder à de nouveaux baptêmes civiques. Un autre Le Roy (Claude-François), chirurgien militaire, vint abjurer son nom et prendre celui de Liberté. Séance tenante, ce Le Roy, un peu brouillé avec l'orthographe, signa bravement Libertée [Note : AM, Reg. des arrêtés du Bureau municipal]. Trois citoyennes, appelées Chevalier, Le Baron et Louise, « voulant abjurer des noms qui retracent des titres abolis de l'ancienne noblesse ou qui rappellent le dernier de nos tyrans » prirent les noms de Victoire Nationale, Liberté Républicaine et Aimée Liberté.

Pendant quelques mois, Montagne fut le personnage le plus puissant de Quimper, cumulant au moins trois fonctions redoutables et en principe incompatibles, celles de membre du Conseil de district, membre du Comité révolutionnaire et geôlier de la maison d'arrêt, les deux dernières étant rétribuées, la première donnant lieu parfois à des indemnités fort appréciables.

Dagorne et Montagne ne furent pas les seuls terroristes quimpérois. Il y en eut au moins une douzaine d'autres qui acquirent en l'an II une certaine notoriété. Nous en nommons quelques-uns au cours de ce récit, mais nous en parlerons plus longuement dans une prochaine étude sur Quimper pendant la Terreur.

HÉRAULT ET LE CLERC A QUIMPER. — Hérault, qui se qualifiait de « commissaire du Comité de Salut public de la Convention nationale », avait été envoyé en Bretagne, au mois de septembre, pour rechercher les députés girondins fugitifs. Dans cette mission, il avait été adjoint à Royou-Guermeur. Le représentant Bréard le prit à son service, ainsi que Le Clerc, sous lieutenant des troupes de la Marine. Hérault et Le Clerc se distinguèrent parmi les plus violents meneurs du club des sans-culottes brestois [Note : Levot, Brest pendant la Terreur, p. 111].

Dagorne, chargé par les représentants de vérifier les comptes de gestion des biens nationaux dans les divers districts, avait eu l'occasion de rencontrer les deux clubistes dont il admirait le zèle hébertiste. Il les invita à venir régénérer les autorités quimpéroises restées aux mains des modérantistes. Sans doute, il fallait un prétexte à cette épuration, un motif à l'intervention de Bréard ou plutôt de ses délégués. Dagorne se chargea de trouver ce prétexte. Il chercha une querelle d'allemand au Comité de surveillance de Quimper, l'accusa de protéger des suspects comme le ci-devant Tardy, inspecteur des douanes.

Girard et Charuel, particulièrement visés par la dénonciation de Dagorne, firent bonne contenance. Dagorne n'avait pas à s'immiscer dans leurs attributions de police et de sûreté, à moins d'exhiber préalablement un ordre formel du représentant Bréard. Convaincu d'imposture, l'astucieux Dagorne ne renonça pas pour si peu à sa manœuvre perdide. Il écrivit à Hérault que le Comité révolutionnaire de Quimper mettait des entraves à sa mission, l'avait menacé d'arrestation et que déjà le même Comité lui avait fait manquer une mission importante et secrète. Hérault laissa croire à Bréard que l'arrestation de Dagorne était un fait accompli [Note : AD. Reg I. du Comité de surveillance de Quimper, 3-5 décembre 1793].

Le 30 novembre, Bréard envoya Hérault et Le Clerc en mission à Quimper, avec ordre de « demander compte au Comité de surveillance des raisons qui l'ont porté à mettre en état d'arrestation Dagorne, chargé d'une mission secrète et importante. Les dits émissaires sont autorisés à prendre vers les membres composant le Comité de surveillance les mesures qu'ils croiront convenables. Les autorités civiles et militaires sont requises sous leur responsabilité individuelle de déférer aux réquisitions qui pourront leur être faites par eux » [Note : AM. Reg. des arrêtés du Bureau municipal, 12 frimaire an II (2 décembre 1793)].

Dagorne triomphait. De concert avec son acolyte Montagne, il allait diriger l'épuration des autorités dans un sens hébertiste, régénérer la ville et assouvir ses vengeances personnelles.

A L'AUBERGE DU LION D'OR (ANCIEN EVÊCHÉ). — Hérault et Le Clerc arrivèrent à Quimper le 2 décembre. Après avoir notifié à la municipalité les pouvoirs dont ils étaient porteurs, ils s'installèrent à l'auberge du Lion d'Or, c'est-à-dire à l'ancien évêché. Le Lion d'Or était, au dire de Cambry qui y prit pension, une des plus belles et des plus confortables auberges de la Bretagne. Jacques Bonnaire, acquéreur de ce bien national, à vil prix, y avait transporté son enseigne. « On y recevait les étrangers dans des appartements vastes, propres, bien éclairés, meublés avec recherche » [Note : Cambry, Voyage dans le Finistère, éd. Fréminville, p. 335]. Les délégués de Bréard y furent reçus en hôtes de marque.

Le Lion d'Or fut pendant un mois le foyer du terrorisme. Les plaintes et surtout les dénonciations y affluaient de tous les coins du district. Chaque soir, après un copieux souper, on y élaborait le programme du lendemain et l'on distribuait les rôles. Pierre Porquier, marchand de vin, rue Orfèvre, qui assista à l'une de ces soirées et qui eut plus tard à s'en disculper, nous a laissé une relation fidèle d'un de ces conciliabules nocturnes [Note : AD, 10 L 136, 14 mai 1795 (25 floréal an III)]. Dagorne, Montagne, Boutibonne, Raoulin, Lhotte typographe, Eulriet boucher, Laurençot, capitaine des douanes, les plus assidus à ces séances, passaient pour les confidents et les intimes conseillers des délégués. Ceux-là participaient aux délibérations secrètes ; d'autres, simples agents d'exécution, ne venaient que lorsqu'ils étaient appelés pour recevoir des ordres ou des instructions.

Huit jours se passèrent en démêlés avec le Comité de surveillance. Hérault et Le Clerc avaient affaire à forte partie. Girard, Charuel et Desnos, procéduriers retors, s'étaient tenus sur leur garde et l'on ne trouvait contre eux aucun grief précis. On ne pouvait décidément les accuser de modérantisme, ils avaient donné trop de gages de leur foi montagnarde. On ajourna donc la destitution du Comité Girard.

On pensa d'ailleurs qu'une tâche plus urgente s'imposait aux sans-culottes. N'était-ce pas un scandale qu'il y eût encore à Quimper des prêtres à proscrire, des églises à fermer ? Depuis le 10 novembre, Notre-Dame de Paris était devenue temple de la Raison ; depuis le 23 novembre, toutes les églises de la capitale étaient fermées au culte catholique. Certes, la commune de Quimper « élevée maintenant à la hauteur de la Sainte Montagne » devait suivre l'exemple de Paris et anéantir enfin jusqu'aux moindres vestiges du fanatisme. C'était l'idée fixe de Dagorne; il en poursuivait avec acharnement la réalisation. Delenda Carthago répétait-il à ceux de ses confidents qui entendaient le latin. Désormais, il dirait son programme en langage clair : saisir toute l'argenterie servant encore au culte, incarcérer tous les prêtres, fermer toutes les églises, brûler tous les saints. Pour cette grande manifestation d'athéisme, une occasion solennelle se présentait, le 12 décembre, jour de la fête de saint Corentin, patron de la ville et de la Cornouaille.

L'OCCASION SOLENNELLE : FÊTE ET FOIRE DE SAINT CORENTIN. — Pour mesurer l'étendue du scandale causé par l'autodafé des saints, il faut savoir en quelle vénération les Quimpérois tenaient saint Corentin, protecteur de la ville et du diocèse. Lors des grandes calamités publiques, après avoir éprouvé tous les remèdes, on recourait à saint Corentin. Les reliques conservées dans une châsse d'argent, au-dessus du Jubé de la cathédrale, étaient descendues et portées en procession solennelle à travers la ville. Cette tradition avait survécu aux sarcasmes des philosophes.

Le dimanche 28 août 1768, non pas sur l'initiative du clergé ni d'un peuple superstitieux, mais à la demande de bourgeois riches et instruits, la Communauté de ville prit une délibération officielle : « La Communauté touchée des malheurs dont le peuple est menacé par la continuité des pluies qui font germer et pourrir les blés sur les champs a arrêté de prier le Révérend Evêque et Messieurs du Chapitre de faire descendre incessamment le bras de saint Corentin pour, par son intercession, solliciter et implorer la miséricorde de Dieu de nous accorder un temps favorable pour sauver les moissons » [Note : AD, Reg. délib. de la Communauté de ville de Quimper, 1768].

La fête de saint Corentin, célébrée de temps immémorial le 12 décembre, attirait à Quimper une foule de pèlerins. La foire du lendemain, dite grande foire de Saint-Corentin (foar-Gorentin-vras) et aussi foire des gages (foar ar houmananchou), était, après celle de la mi-avril, la plus importante de l'année. Pendant ces deux jours, l'affluence était telle à Quimper qu'elle nécessitait des mesures exceptionnelles de police. On en jugera par les dispositions prises à cet égard en 1789. Cette année-là, le 13 décembre tombant un dimanche, la foire fut remise au lendemain 14.

Le Comité permanent (remplaçant la Communauté de ville depuis la révolution municipale) :

« Considérant que les fête et foire de Saint Corentin rassembleront une nombreuse population extraordinaire des campagnes dans la ville pendant les 11, 12, 13 et 14 décembre, ce qui pourrait occasionner des troubles, des rixes entre les ivrognes et troubler l'ordre et la tranquillité publique et jugeant qu'il est de sa sagesse et de sa prudence de prendre les précautions d'usage pour prévenir de pareils désordres ;

A arrêté que les gardes et patrouilles seront doublées et ces dernières multipliées de jour et de nuit dans la ville et les faubourgs et que l'officier major de semaine serait prévenu de faire commander en conséquence le double de bas-officiers et soldats de la milice nationale pendant les quatre jours indiqués ci-dessus ;

A arrêté de plus que M. de Vaudricourt, major commandant le régiment de Rouergue, serait également prié et requis de doubler sa garde pendant les mêmes jours. Pareille invitation sera aussi faite à M. de Pompery pour que la brigade de maréchaussée qu'il commande maintienne l'ordre et la tranquillité publique et redouble de surveillance pendant ces quatre jours » [Note : AM, Reg. délib. du Comité permanent, 7 décembre 1789].

LES OBJETS DU CULTE. — Déjà les églises avaient été dépossédées d'une partie de leur argenterie et de leurs cloches. Les décrets de la Constituante (29 septembre 1789) et de la Législative (10 septembre 1792) avait envoyé à la Monnaie l'argenterie des églises non indispensable à la célébration du culte. Le décret de la Convention du 22 juillet 1793 ordonnait de fondre en canons les cloches, en n'en laissant qu'une dans chaque paroisse ou succursale.

Au cours de l'automne 1793, la confiscation de l'argenterie au profit de la Nation devint une règle pour les sans-culottes. En général, les fidèles s'opposèrent à cette confiscation. Malgré les terribles santions encourues par les recéleurs, beaucoup d'objets précieux, cachés pendant la tourmente, ne furent rendus aux paroisses qu'à la restauration du culte. Ainsi ont été conservés, çà et là, quelques chefs-d'œuvre d'orfèvrerie aujourd'hui classés parmi les monuments historiques.

La loi du 22 juillet 93, relative à la réquisition des cloches, cuivre, étain, fers, plomb etc .. des églises, chapelles et édifices nationaux fut difficilement appliquée. Dans les campagnes, les officiers municipaux s'ingénièrent à en éluder les prescriptions ; la main-d'œuvre locale aussi se déroba. Pour remédier à cette force d'inertie, le 2 décembre (12 frimaire an II), le district de Quimper institua des équipes spécialisées dans cette besogne.

« Considérant que les agents qui seront employés dans l'enlèvement des métaux existant dans les différents domaines nationaux et à la descente des cloches pourraient courir des risques, qu'il leur sera d'ailleurs très difficile de se procurer des subsistances et des logements dans les campagnes ; arrête que les ouvriers en chef pour ces expéditions seront payés à 10 l. par jour, les ouvriers à 6 l. et le détachement de gendarmerie chargé de protéger leurs opérations à 7 l., parce que les uns et les autres pourvoiront, comme ils le jugeront convenable, à leur subsistance et logement » [Note : AD, Reg. des délib. du district, 12 frimaire an II].

Dès lors, cloches et métaux affluèrent chaque jour à Quimper. Le tout fut transporté à Brest, au début de 1794.

Il arriva qu'un certain nombre de cloches, demeurées inutilisées dans l'arsenal, furent plus tard restituées aux paroisses qui les réclamèrent.

L'ARRÊTÉ ICONOCLASTE. — Les mesures relatives à la suppression du culte avaient été arrêtées par les meneurs dès le 9 décembre. Mais on pensa qu'il convenait de leur donner une apparence de légalité ou du moins de les mettre au compte du peuple, censé souverain, en les faisant adopter par la Société populaire et par la municipalité. Il y avait un double avantage à cette procédure : on affectait de rendre hommage à la souveraineté du peuple et l'on se déchargeait d'une responsabilité éventuelle. Et, de fait, Dagorne invoquera cet argument quand on lui demandera compte de ses exploits C'est ainsi que le 10 on demanda l'adhésion de la Société populaire et le 11, celle du Conseil général de la commune spécialement convoqué.

Le Conseil siégea sous la présidence du maire Debon assisté du procureur de la commune Nicolas Le Gendre, en présence, c'est-à dire sous la pression de Hérault, Le Clerc et des membres du club. A vrai dire, il n'y eut point de débat. Un membre, préalablement stylé, lut un projet de délibération ; il ne s'agissait que de l'entériner. Quelques mains se levèrent et le vote fut considéré comme acquis. Nous verrons qu'au fond la majorité du Conseil était hostile aux mesures proposées ; elle ne les vota que par contrainte.

Le maire et cinq membres du Conseil — qui seront bientôt incarcérés - eurent même le courage « de remontrer à ces hommes furieux contre des statues et des tableaux que les démarches qu'ils projetaient étaient, en ce moment, inconsidérées et que le peuple fanatique du Finistère n'était point encore assez éclairé pour supporter, de sang-froid, le brûlement de ses saints et de ses images auxquels ses préjugés l'attachaient ; qu'on pouvait les ôter de sa vue sans tout l'étalage qu'on y mettait ; que d'ailleurs une raison, qui devait avoir plus de poids sur leurs démarches, était que parmi les objets dont on se proposait de faire un incendie plusieurs pouvaient être vendus au profit de la République » [Note : Rapport de l'accusateur Donzé-Verteuil, cité dans Motifs d'arrestation et réfutations du citoyen Pierre Dagorne, Brest, Gauchlet, in-8°, 26 p., 20 fructidor an II].

L'institution du calendrier républicain (5 octobre-24 novembre) avait supprimé les dimanches et jours fériés remplacés par le decadi. La fête de Saint-Corentin tombant un duodi se trouvait proscrite par le nouveau calendrier. Sur ce point, le Conseil se borna à enjoindre au bureau municipal de tenir la main à l'exécution de la loi.

L'arrêté municipal du 21 frimaire an II (11 décembre) était ainsi conçu :

« Sur la demande faite par les citoyens Hérault et Le Clerc et appuyée par les Montagnards composant la Société populaire nouvellement régénérée et d'après l'exposé fait par un membre ;

Le Conseil général de la commune,
Considérant que la Raison et la Vérité doivent enfin reprendre leur empire ; qu'un peuple libre et éclairé doit proscrire à jamais les prêtres, ces hommes qui en imposent depuis 1500 ans ; qu'il est temps de placer l'autel de la Liberté sur celui du fanatisme et d'anéantir jusqu'aux moindres vestiges de ces statues qui souillent encore nos bâtiments nationaux ;

Considérant que le nom de Quimper-Corentin ne peut convenir à une commune montagnarde et élevée à la hauteur des circonstances ;

Par ces motifs, et le procureur de la commune entendu en ses conclusions, a arrêté ce qui suit :

1° Dès demain, les prêtres cesseront leurs fonctions publiques ;

2° Le même jour, il sera dressé un bûcher sur le Champ de la Fédération où seront livrées aux flammes toutes les effigies qui se trouvent encore dans les ci-devant églises et chapelles ;

3° La commune portera désormais le nom de Montagne-sur-Odet.

Le Conseil a ensuite arrêté de faire un inventaire de l'argenterie qui existe encore dans les ci-devant églises et chapelles et de demander l'autorisation de l'échanger ou de la vendre. Le citoyen Elly est désigné pour cette opération » [Note : AM, Reg. délib. du Conseil général, 21 frimaire an II (11 décembre 1793)].

Le citoyen Jean-François Elly, dont il est ici question, était perruquier et sa femme marchande épicière, place de la Nation aujourd'hui place Terre-au-Duc. Il avait alors 44 ans, jouissait d'une certaine aisance car en 1790, au moment où il fut élu premier notable, il payait une capitation de 18 l., supérieure à celle des vingt autres perruquiers.

LE SAC DES ÉGLISES. — Le sac des églises avait commencé le mercredi 11 décembre au matin, antérieurement à l'arrêté du Conseil général de la commune pris dans l'après-midi du même jour, ce qui prouve que cette délibération fut de pure forme. Cela résulte du témoignage d'un des collaborateurs du pillage, réclamant un salaire pour son travail. En effet, Charles Maréchal, charretier rue Sainte-Catherine, n° 438, muni d'un certificat de Raoulin, déclara avoir employé « deux journées de charroi au transport des saints des différentes églises sur le Champ-de-Bataille pour y être brûlés » [Note : AM, Reg. délib. du Conseil général, 28 nivôse an II (17 janvier 1794)].

Dagorne avait ordonné le charroi et promis de payer. En l'absence de Dagorne, Maréchal se retournera vers la municipalité qui, le 17 janvier 1794, le déboutera de sa demande « sauf le recours de Maréchal vers Dagorne ».

Maréchal tenait l'auberge de La Croix d'Or, rue Sainte-Catherine ; il était aussi marchand de bois. Il paraît avoir été quelque temps le charretier attitré de l'administration. En 1792, il fut chargé de transporter à Quimper le mobilier saisi chez Alain Nédélec, l'ex-juge de paix révolté de Fouesnant.

***

Pendant deux jours, sous la conduite de Dagorne, des équipes de manœuvres et de gardes nationaux avinés, armés de haches, de masses et de leviers visitèrent toutes les églises et chapelles pour y détruire « les pagodes prétendues sacrées ». Des soldats d'un bataillon de volontaires du Loir-et-Cher, alors en garnison à Quimper, furent aussi occupés à cette besogne. A la fin de la journée, on leur distribua de l'argent, parce que, disait Dagorne, « il fallait encourager ces militaires qui allaient bien ». On ne saurait dire tous les actes de vandalisme alors perpétrés, car sur les lieux il ne se trouva personne pour en dresser inventaire.

Dans la cathédrale, les tombeaux des évêques furent renversés, brisés et leurs ossements jetés hors de l'église. Les statues, mutilées, décapitées, les stalles, les confessionnaux mis en pièces jonchaient le sol. Les armoiries et les figures des vitraux volèrent en éclats. Les tableaux, dont quelques chefs-d'œuvre de la peinture, furent lacérés. C'était une fureur iconoclaste, telle qu'on n'en avait pas vue depuis les guerres de religion. On ne s'arrêtait que pour échanger quelques plaisanteries grossières et pour boire. Pour se donner du cœur à l'ouvrage, on buvait dans des calices et ciboires et l'on se frottait les bottes avec les saintes huiles [Note : Cf. ci-dessous la lettre de Jullien au Comité de Salut public, 8 janvier 1794].

Tandis que les blocs désormais informes de Kersanton, de marbre ou d'albâtre restaient sur place, les métaux étaient récupérés pour la fonte. Au dire de Dagorne, qui s'en fit un mérite, « la chapelle dite de la Vierge devint le dépôt de tous les objets dont on pouvait tirer parti et le patriote Bernay, membre du Conseil de la commune, présent, fut chargé de la clef ». La chapelle dont il est question était celle de Notre-Dame de la Victoire qui forme l'abside de la cathédrale. A cette époque, elle était fermée par une belle grille en chêne sculpté du XVIIème siècle. Tout le reste, plus ou moins combustible, fut porté au bûcher. La cathédrale fut le théâtre principal mais non pas unique de ces beaux exploits. L'église de Saint-Mathieu, celle de Locmaria et toutes les chapelles, même celles qui étaient devenues propriétés privées comme l'église des Cordeliers, durent fournir leur contingent de « pagodes ». La statue de Notre-Dame de Locmaria, œuvre du XVème siècle, fut brisée en deux tronçons recueillis par Mme de La Hubaudière, — la statue a été depuis restaurée.

Ça et là, grâce à d'heureux hasards, à de pieux larcins, à des ruses de bonne guerre, quelques objets échappèrent au vandalisme.

Dans la chapelle du Penity, un bel Ecce-homo de 6 pieds et quelques statues en bois peint et doré restèrent en place parce qu'ils se trouvaient dans le transept droit converti en poudrière close de toutes parts. Une vierge noire de Notre-Dame du Guéodet disparut comme par enchantement et bien à propos, la veille du brûlis ; elle orne encore aujourd'hui la chapelle du Lycée.

Le 10 décembre, Daniel Sergent, menuisier rue Neuve, et Dominique Mougeat, sous-diacre, transportèrent de nuit les reliques de Saint Corentin chez Yves-Claude Vidal, curé d'Ergué-Armel. Deux ans plus tard, le 11 décembre 1795, un procès-verbal authentique constatera leur transfert à la cathédrale [Note : Le Men, La cathédrale de Quimper, p. 358].

Daniel Sergent était propriétaire de la maison qu'il habitait au n° 465 de la rue Neuve (côté Nord, à environ 44 mètres de la rue Sainte-Catherine). Cette maison avait appartenu a l'abbaye de Kerlot. Sergent l'avait acquise, le 19 février 1791, quand elle fut vendue comme bien national. Sergent avait épousé Marie-Françoise Renault. Il était patriote en 1789, jacobin en 1792. En 89, il représenta le faubourg de la rue Neuve au Comité permanent de ville. Le 18 décembre 92, il lui naquit une fille qui eut pour parrain François-Hyacinthe Le Goazre, ancien maire, alors membre du directoire du département.

On sait par quelle supercherie le peintre Valentin préserva de la destruction les portraits des évêques aujourd'hui conservés au Musée départemental. L'artiste couvrit ces portraits séditieux par des toiles de sa façon, traitées au goût du jour, représentant Apollon et les Muses.

Parmi les œuvres d'art anéanties, Cambry cite deux tableaux : une Descente du Saint Esprit d'après Le Brun, le Purgatoire d'après Rubens et une belle statue de la vierge de la Chandeleur [Note : Cambry, Catalogue des objets échappés au vandalisme, édition Trévédy, p. 12, 20, 269]. Par contre, la chaire, quoi qu'en ait dit Cambry, fut conservée ; sans doute la jugea-t-on propre à servir aux prédicateurs du decadi. Il en fut de même du grand autel de marbre noir : c'était un piédestal tout trouvé pour la déesse Liberté. Une Assomption par Loir « trop élevée pour y atteindre » resta en place ; on se contenta « de la crever en quatre endroits ». Une Descente de Croix, grand tableau de l'école flamande, en restauration dans l'atelier de Valentin, dut à ce hasard d'être préservée.

Le charretier pourvoyeur du bûcher remplissait tellement son tombereau que les cahots du véhicule faisait choir le trop plein le long des rues. C'est ainsi que la statue de saint Jean Discalcéat, Santic-Du, l'émule breton de saint Antoine,
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tomba dans la rue Sainte-Catherine. Une femme pieuse, la dame Boustouller, boutiquière et « tenant pensionnaires », se trouvant sur le pas de sa porte, ramassa furtivement la statue. Désormais, elle hébergea Santic-Du et le compta au nombre de ses pensionnaires jusqu'à ce que des jours meilleurs lui permissent de le restituer à la cathédrale. — Mme Boustouller jouissait d'une petite aisance car elle avait une servante et payait 10 l. de capitation. Elle habitait au n° 448 rue Sainte-Catherine, (au sud, près la rue Sainte-Thérèse) [Note : Rôle de la capitation et état des sections déjà cités]. Elle était la voisine du charretier Maréchal, ce qui permet de croire que la chute de la statue ne fut peut-être pas toute fortuite et que Maréchal y mit quelque complaisance.

LE CHAMP DE BATAILLE. — L'autodafé devait avoir lieu sur le Champ de la Fédération qui s'appellera désormais Champ de Bataille. C'est le maire Kerillis, un Girondin pris soudain d'un zèle tout montagnard, qui proposa, le 27 décembre, le changement de nom. « La dénomination de Fédération, dira t-il, est impropre, parce qu'elle tient du fédéralisme si éloigné du cœur de tous nos concitoyens ».

Cette place, créée en 1741, fut d'abord appelée place de Viarme, du nom de l'Intendant de Bretagne Pontcarré de Viarme qui en favorisa la création. Le pont qui y donnait accès du côté du Parc-Costy, à la hauteur de la rue Saint-François, s'appela par un jeu de mots Pont-Carré. Ces dénominations furent bientôt oubliées et, longtemps avant la Révolution, le nom de Champ de Bataille prévalut jusqu'à la Fédération de 1790.

Le Champ de Bataille servait aux exercices militaires de la garnison et aux réjouissances publiques. Là se faisait chaque année, le premier dimanche de mai, le tir du Papegaut. La cible, affectant la silhouette d'un grand oiseau, se plaçait sur un chêne au pied du Frugy. Le jeu du Papegaut ayant été supprimé dans toutes les villes de Bretagne en 1770, le vieux chêne du Papegaut fut abattu en 1772 et son tronc servit à la confection de barrières pour le Parc-Costy [Note : AD, Reg. délib. de la Communauté de ville (1741-1772)].

La chapelle et le cimetière de Sainte-Thérèse occupaient l'emplacement actuel du plateau de la Déesse. Le cimetière fut désaffecté le 4 mai 1792 et la chapelle démolie quelques mois plus tard.

La première grande manifestation révolutionnaire sur le Champ de Bataille eut lieu le 21 mars 1790 à l'occasion de la prestation du serment civique.

En somme, en 1793, le Champ de Bataille présentait à peu près l'aspect actuel. Au levant, le couvent des Hospitalières de Sainte-Catherine s'était transformé en Hôtel de ville, siège du directoire du district — et du département jusqu'en août 1793. Un énorme bonnet de la liberté se dressait au-dessus du toit de la maison commune. Depuis peu, on lisait sur la façade cette inscription [Note : AM, Reg. délib. 4 nivôse an II (24 décembre 1793)] :

« Unité et indivisibilité de la République.
Liberté, égalité, fraternité ou la mort »
.

Comme il n'y avait pas encore de garde-corps le long de l'Odet, il arrivait assez souvent qu'au cours des fêtes des enfants, échappant à la surveillance des parents, tombaient dans la rivière.

Les ormes des allées de Locmaria, plantés vers 1760, étaient devenus de beaux arbres. Au flanc du Frugy, sur l'emplacement de l'ancien cimetière de Sainte-Thérèse, s'élevait une statue de la Liberté. Sur son piédestal avait été gravé ce quatrain [Note : AM, Reg. délib. 4 nivôse an II (24 décembre 1793)] :

« Périssent les tyrans,
Périssent les despotes,
Crèvent les ci-devants,
Vivent les sans-culottes ! »
.

L'AUTODAFÉ. — Les brûlements officiels n'étaient pas une nouveauté à Quimper. Le 10 août 1793, comme on commémorait en grande pompe l'abolition de la royauté, il y eut sur le Champ de Bataille un feu de joie original. On y brûla, en exécution du décret du 17 juillet précédent, un monceau de registres et de liasses relatifs aux droits féodaux de rachats, francs-fiefs, lods et ventes et autres droits casuels [Note : AD, Reg. délib. district, 11 août 1793]. La destruction de ces papiers et parchemins conservés dans les bureaux des domaines et de l'enregistrement importait surtout aux bourgeois anciens possesseurs de francs-fiefs ou récents acquéreurs de biens nationaux.

Dagorne, en sa qualité d'inspecteur des domaines, eut vraisemblablement à s'occuper du triage de ces papiers ; il assista à leur incinération. Dès lors, sans doute, il rêva d'un autodafé plus sensationnel. L'anéantissement des monuments du passé religieux ne serait-il pas le complément ou le corollaire naturel de la destruction des vestiges du passé féodal ? Dagorne se réserva cette initiative, qui n'exigeait pas grands frais d'imagination. Le précédent du 10 août fournissait le cadre et la mise en scène ; il suffirait d'attendre des circonstances favorables et une occasion solennelle.

Le bûcher s'èlevait en face du plateau de la Déesse. Conformément à l'usage établi pour les cérémonies officielles, toutes les autorités constituées, civiles, judiciaires et militaires, furent conviées à la cérémonie [Note : AD, Reg. du Comité de surveillance, 26 prairial an II (14 juin 1794), délib. certifiant que toutes les autorités assistèrent en corps à la cérémonie du 12 décembre précédent]. Tous les fonctionnaires certes n'y vinrent pas de bon gré, mais en ce temps-là une invitation était un ordre. On peut croire que tous furent exacts au rendez-vous, car il n'y eut pas d'arrestations le jour même ni le lendemain.

Les deux bataillons de la garde nationale, drapeaux déployés, arrivèrent sur la place vers trois heures. Leurs chefs, Boutibonne marchand de vins et brasseur, Poupenez marchand, et Eulriet boucher les formèrent en carré. La compagnie des canonniers commandée par le capitaine Lhotte typographe se plaça au débouché du pont Saint-François.

Ces dispositions prises, les autorités déjà assemblées à la maison commune pénétrèrent dans l'enceinte formée par les troupes. En tête, précédés de la maréchaussée et des hérauts de la ville, marchaient Hérault, Le Clerc et Dagorne, tous trois honorés des pouvoirs du proconsul. Suivaient : le directoire du district alors composé de Alain Kernaflen-Kergos, Dérédec, Bonet, le peintre Valentin et Jean-Jacques Le Breton, procureur syndic ; le corps municipal : Debon maire, Nicolas Le Gendre procureur de la commune, Pierre Morvan boucher, Tahon perruquier, Bernay chapelier, Bonnaire maître de poste et hôte du Lion d'Or, Compagnon fils couvreur, etc... ; le Comité de surveillance : Girard, Desnos, Charuel, gens de loi, Kerroch et Rose perruquiers, Le Moine jardinier, Poulizac [Note : Poulizac (Jean-Louis), né en 1748, commis-juré au Présidial avant la Révolution. Elu officier municipal en 1791, il appartenait alors à la majorité modérée ennemie des Jacobins. Le 19 novembre 1793, il fut nommé secrétaire appointé du Comité de surveillance, puis le 16 décembre, suivant membre titulaire du dit Comité. En septembre 1794, Poulizac était huissier au tribunal criminel. — Son fils, Louis-Guillaume- Hemi, né en 1775, sera avocat, membre de la Chambre des représentants en 1815, puis conseiller à la Cour d'appel de Rennes en 1831], Louis Bécam tailleur, et enfin l'illustre Montagne.

Naturellement, le noyau du club des sans-culottes montagnards fut aussi de la fête : Gaillard aîné, accusateur public, René Coïc avoué, Mollet armurier, Raoulin greffier municipal. Venaient enfin les fonctionnaires convoqués à titre individuel : le juge de paix Pierre Porquier, le capitaine des douanes Laurençot, etc...

Une foule immense, accourue au spectacle, occupait la promenade du Parc-Costy, les allées de Locmaria et les flancs du Frugy. On y voyait en grand nombre des gens de la campagne, venus dans le dessein d'assister à la fête traditionnelle. Muets et tremblants, ils n'osaient crier leur indignation devant un tel sacrilège. Les canons braqués, mèche allumée, en imposaient aux plus audacieux.

Suivant le cérémonial pratiqué lors des feux de joie, des torches enflammées furent distribuées aux personnages éminents de l'assistance, qui allumèrent le bûcher vers 4 heures de l'après-midi. Cela se fit aux cris de : « Vive la République une et indivisible ! Vive la Montagne ! Vivent les sans-culottes ! ».

Quand, la nuit venue, la foule s'écoula, les flammes intermittentes du brasier jetaient encore des lueurs fulgurantes sur les murailles de la ville, sur les pentes du Frugy. De ce spectacle, les paysans gardèrent longtemps une vision d'épouvante. Des chaumières, une malédiction monta vers la ville, tandis que la ville elle-même, opprimée au nom de la Raison et de la Liberté, gémissait sous la tyrannie.

LA RÉACTION POPULAIRE. — Dès le lendemain du sac des églises et du brûlis des saints, il y eut à Quimper un revirement du sentiment populaire, une réaction du bon sens. On avait froissé les consciences comme à plaisir. De paisibles citoyens, qui avaient applaudi naguère à l'arrestation des prêtres réfractaires, blâmèrent hautement les sacrilèges commis en violation de la loi et des articles 5 et 10 de la Déclaration des Droits de l'Homme.

Des protestations s'élevèrent même au sein du club. Dès le 13 décembre, le citoyen Jean Castel, menuisier rue Obscure, monta à la tribune de la Société populaire et « fit tous ses efforts pour soulever le peuple en demandant par quelle autorité on avait osé brûler les saints et surtout saint Corentin ». Appelé au Comité révolutionnaire, Castel reconnut les faits. Il dit que cinquante voix l'appelaient à la tribune et déclara, au surplus, ne reconnaître ni la Montagne ni les Montagnards. Castel fut conduit à la maison d'arrêt. — Cet ouvrier, dont la femme était « boutiquière », avait figuré au rôle de la capitation pour 7 l. 10 s., ce qui révèle une petite aisance, les simples ouvriers ne payant d'ordinaire que 2 l. 5 s. [Note : AD, Reg. I Comité de surveillance, 26 frimaire an II (16 décembre 1793). Capitation, op. cit.].

Trois jours plus tard, au cours d'une séance tumultueuse du club, Hérault, Le Clerc et leurs séides furent insultés au point qu'il fallut en hâte lever la séance. Des femmes surtout se distinguèrent alors par leurs imprécations. La femme Auray, épouse d'un employé des Fermes, inspecteur des tabacs, reconnut « avec une espèce d'ostentation fanatique » qu'elle avait applaudi les insulteurs, ce qui lui valut d'être conduite à la maison de Kerlot.

D'ailleurs, un fait nouveau arrivait à point pour enhardir les protestataires : un décret de la Convention, tout récent, mais cependant antérieur au sac des églises de Quimper, venait de condamner les profanations du 12 décembre.

La déchristianisation violente conduisait infailliblement à la guerre civile. Elle suscitait de nouveaux ennemis à la Révolution et scandalisait les peuples étrangers. Danton, Robespierre, et le Comité de Salut public étaient persuadés que les violences anti-religieuses affaiblissaient la défense nationale. Certes, ils n'entendaient pas maintenir la religion catholique, mais ils estimaient que des raisons politiques et patriotiques commandaient de réfréner l'ardeur déchristianisatrice des nouveaux fanatiques.

La Convention, un moment trop complaisante aux mascarades anti-religieuses, jugea opportun de consacrer par un décret la liberté des cultes. Ce décret adopté le 6 décembre était ainsi conçu :

« La Convention nationale considérant ce qu'exigent d'elle les principes qu'elle a proclamés au nom du peuple français et le maintien de la tranquillité publique, décrète : 1° toutes violences et mesures contraires à la liberté des cultes sont défendues. 2° La surveillance des autorités constituées et l'action de la force publique se renfermeront à cet égard, chacune pour ce qui la concerne, dans les mesures de police et de sûreté publique » [Note : Aulard, Histoire politique de la Révolution française, p. 476].

Ce décret du 6 décembre, complété par un paragraphe voté seulement le 8, ne parvint à Quimper que le 14 décembre au soir ou même le 15, au matin, trois jours trop tard pour empêcher, peut-être, cette explosion du fanatisme.

Dès la réception de ce décret, le maire Debon convoqua le Conseil général de la commune pour le soir même. Le maire, assisté de Le Gendre, procureur de la commune, donna lecture du procès-verbal de la séance du 11 décembre contenant le texte du dernier arrêté municipal. Il lut ensuite les deux premiers articles du décret de la Convention. Alors, il s'éleva de nombreuses réclamations. Plusieurs membres, surtout les citoyens Debon, Mougeat, Daniel, Bérard, Castellan et Bonnemaison, « élevèrent la voix contre l'arrêté du 11, protestant n'avoir pas été libres lors de la dernière délibération ».

Trois propositions furent faites. Mougeat demanda que les articles 1 et 2 de l'arrêté municipal, contraires à la Déclaration des Droits de l'Homme et au récent décret de la Convention, fussent rapportés. — Cette motion valut à Mougeat d'être arrêté le soir même. — Pierre Morvan émit le vœu que l'arrêté « fût envoyé aux Sections assemblées pour en décider ». Porquier, qui n'aimait pas les résolutions audacieuses, insista malicieusement pour que « le tout fût renvoyé aux lumières des délégués des représentants du peuple pour avoir leur décision ». Cette solution élégante n'eût pas manqué d'embarrasser les délégués.

A l'encontre du courageux Mougeat et du perfide Porquier ce fut le sot Morvan qui l'emporta. Après délibération, il fut arrêté que les sections seraient convoquées le 20 décembre « pour avoir leur approbation ou improbation sur l'arrêté pris le 11 décembre » [Note : AM, délib. du Conseil général, 25 frimaire an II (15 décembre 1793)].

DESTITUTIONS ET ARRESTATIONS. — Cependant l'activité épuratrice de Hérault et Le Clerc ne s'arrêta pas ; il fallait, au plus tôt, briser toutes les résistances. Le même jour, 15 décembre, ils régénérèrent le Comité de surveillance, dont 7 membres furent destitués. Montagne, Eulriet, Lhotte et Morvan y furent maintenus, tandis que Boutibonne passait à un autre poste de confiance, au noyau de la Société populaire. Dagorne entrait au Comité avec Laurençot, Raoulin et Poulizac et quatre autres membres, Louis Le Bris syndic des gens de mer, Cariou tailleur, Touzé serrurier et Jacques Duhamel timbreur à l'enregistrement, qui tous avaient donné des preuves de leur zèle et de leur savoir-faire au cours des derniers événements [Note : AD, Reg. I Comité de surveillance, 25 et 26 frimaire an II (15 et 16 décembre 1793)].

Comme entrée de jeu, quelques arrestations furent immédiatement décidées. On ne pouvait pardonner à Girard, à Mougeat apothicaire et officier municipal, leur résistance ouverte. Ils furent incarcérés avec d'anciens fédéralistes, l'abbé Huraut [Note : Huraut, ex-chanoine, vicaire épiscopal d'Expilly, accusé de fédéralisme, fut mis en arrestation à Quimper vers le 15 octobre 1793 et transféré à la prison de Landerneau. Ayant fait amende honorable et reconnu « que la révolution du 31 mai était nécessaire pour assurer le bonheur public », il fut libéré le 29 novembre suivant. Le 30 avril 1794, il abdiqua toutes fonctions sacerdotales et devint, sous le Directoire, bibliothécaire de l'Ecole centrale du Finistère], le medecin Vinoc, le commis du timbre Lelong.

***

Le mot d'ordre fut de garder le silence sur les événements des 11 et 12 décembre. Il convenait de laisser croire à la Convention et au Comité de Salut public que tout marchait à souhait au pays de Quimper. A l'instigation de Hérault, désireux de faire valoir ses services, les administrateurs du district rédigèrent, le 16 décembre, une adresse à la Convention :

« Citoyens représentants, tous les instruments du fanatisme se déposent chaque jour à l'administration de ce district : les cloches, les croix, les calices, les ciboires, tous ces hochets de la superstition, disparaissent des temples de la Raison. Nous avons à votre disposition environ 900 marcs, tant argenterie que vermeil. Nous en attendons d'autres...

« Persévérance et fermeté et ça ira. Restez à votre poste : c'est sauver la République, c'est le cri des Français, c'est le nôtre » [Note : AD, Correspondance du district, 26 frimaire an II (16 décembre 1793)].

Copie de cette adresse fut naturellement envoyée à Bréard pour l'encourager à soutenir ses excellents délégués.

Le 17 décembre, Hérault et Le Clerc commencèrent la régénération de la Société populaire « conformément au vœu exprimé par les sans-culottes montagnards révolutionnaires de la commune de Quimper ». Pour former le « noyau » du nouveau club, ils nommèrent Montagne, Mollet, Raoulin, Dagorne, Lhotte, Tahon perruquier, Gaillard aîné accusateur public au tribunal criminel, Rose, Pierre Morvan, Le Moyne jardinier, Coïc et Boutibonne.

Sur le placard imprimé portant ces noms à la connaissance du public, on lisait cet avis des délégués : « Nous appelons sur ces douze élus la censure la plus sévère de leurs concitoyens et les invitons, au nom de la patrie, à prononcer, sans aucune considération, la vérité. Nous recevrons toutes déclarations verbales ou écrites en notre demeure jusqu'à demain au soir ».

L'ARRESTATION DU MAIRE DEBON. — LE NOUVEAU MAIRE KERILLIS. Le 18 décembre, les tyranneaux s'attaquèrent à la municipalité. Le maire Debon fut destitué, emprisonné et remplacé par Calloc'h, plus connu sous le nom de Kerillis. Celui-ci ne pouvait s'attendre à cet excès d'honneur, car il n'était rien moins que sans-culotte, pas même Montagnard, mais seulement plus souple que Debon.

Jacques-Félix Calloch, sieur de Kerillis, originaire d'Audierne, où il naquit en 1744, épousa à Quimper Madeleine Horellou de Kergos. Avant la Révolution, notaire royal et procureur au Présidial de Quimper, greffier des insinuations ecclésiastiques et procureur fiscal de la Commanderie de Saint-Jean, il entra à la Communauté de ville le 23 janvier 1789. Elu en 1790 officier municipal, il remplissait encore ces fonctions, le 16 octobre 1793, quand il fut destitué, comme ses collègues fédéralistes, par M.-A. Jullien.

Riche bourgeois, gros acquéreur de biens nationaux (du moulin de l'évêché entre autres), Kerillis était d'opinions fort modérées. En 1790, il habitait rue de l'Evêché. Peu de temps après, il alla demeurer à l'entrée de la Terre-au-Duc, près le Pont Médard (alors n° 547, aujourd'hui n° 30) dans une grande maison construite en 1768, après la démolition des masures qui pendant deux siècles avaient intercepté toute communication directe entre la rue du Chapeau-Rouge et le Pont Médard. A la fin du Directoire Kerillis alla s'établir au manoir de Trébanec en Pont-l'Abbé, fut maire de cette ville sous le Consulat, puis revint à Quimper, dont il fut maire de 1808 à 1815.

Le soir même. 18 décembre, le Conseil général de la commune s'assembla pour l'installation du nouveau maire.

« Calloc'h, mandé au sein du Conseil, s'est présenté et, connaissance prise de l'arrêté des délégués des représentants du peuple, il a déclaré avoir formé, depuis longtemps, le projet de fixer son domicile à Pont-Libre (Pont-l'Abbé) mais qu'étant appelé à une magistrature aussi importante, aucun sacrifice ne lui coûte, qu'en conséquence il accepte les fonctions qui lui sont confiées et il a prêté aussitôt le serment d'être fidèle à la Nation, de maintenir de tout son pouvoir les décrets de la Convention nationale et la République française une et indivisible et de remplir avec zèle et courage le poste qui lui est désigné pour le bonheur du peuple » [Note : AM, délib. du Conseil général, 28 frimaire an II (18 décembre 1793)].

Kerillis savait faire contre mauvaise fortune bon cœur. Il en fut sur le champ récompensé par les cris mille fois répétés de : « Vive la montagne ! Vive la République une et indivisible ! Vivent les sans-culottes ! ».

Cependant on arrivait à une échéance redoutable, le 20 décembre. On se rappelle que, sur une motion inconsidérée de Pierre Morvan, le conseil avait arrêté de convoquer, ce jour-là, les assemblées de sections pour se prononcer sur l'arrêté municipal du 11 décembre. Etait-il opportun, ou seulement possible, de procéder à un référendum sur une telle question ? C'eût été plébisciter Hérault, Le Clerc et Dagorne. Les livrer à coup sûr au plus grand affront. Conscients de leur impopularité, nos héros résolurent d'écarter cette éventualité. On invita donc Morvan à corriger sa propre sottise et, à cet effet, le conseil fut encore assemblé le 19 décembre.

« Le citoyen Morvan prenant la parole a dit qu'après avoir mûrement approfondi la motion par lui faite dans l'avant-dernière séance, il a reconnu les inconvénients qui peuvent en résulter dans les circonstances actuelles et qu'il demande qu'elle soit rapportée et regardée comme non avenue.

Le Conseil général, après une mûre discussion, et le procureur de la commune entendu, considérant que l'arrêté du 11 décembre est conforme aux principes éternels de la Raison et de la Vérité, que celui du 15 entraine les inconvénients les plus graves et peut nuire infiniment à l'ordre et à la tranquillité publique dont le maintien lui est confié ; considérant que son premier devoir est de prendre des mesures efficaces à cet égard, a arrêté et arrête d'annuler et annule l'arrêté pris dans la séance du 15 courant ».

Le même jour, on prit quelques nouvelles mesures contre l'exercice du culte, sous des prétextes humanitaires, il est vrai.

« Sur la proposition d'un membre et les conclusions du procureur de la commune, le Conseil autorise le commissaire des prisons à faire démolir la chapelle qui existe encore dans un des appartements de la maison de justice, à mettre les débris à la disposition du concierge ainsi que tous les autres monuments inventés par la tyrannie qui peuvent subsister dans les dites prisons. C'est pour y placer des lits utiles aux détenus » [Note : AM, délib. du Conseil général, 29 frimaire an II (19 décembre 1793)].

NOUVELLES ARRESTATIONS. — Si dociles que fussent devenues maintenant les autorités constituées de Quimper, les commissaires de Bréard ne se tenaient pas pour satisfaits. Le 24 décembre, ils se rendirent au Conseil de la commune et lui notifièrent l'arrêté suivant :

« Au nom des représentants du peuple, nous Hérault et Le Clerc, commissaires délégués des dits représentants, autorisés par eux à requérir l'arrestation provisoire des personnes qui nous paraîtraient suspectes, ayant jugé utile au salut public d'écarter des autorités constituées les personnes qui n'ont pas toutes les qualités requises par la loi et dont le civisme n'est pas bien prononcé, après un examen scrupuleux sur tous les individus composant les dites autorités constituées de Montagne-sur-Odet, ci-devant Quimper, et pour opérer une régénération salutaire au bien public et conforme aux vues des dits représentants, avons destitué et destituons de leurs fonctions les membres composant actuellement le Conseil général de la commune et pour que le public n'éprouve aucun retard qui pourrait nuire, tant aux grands intérêts de la République qui nous sont confiés qu'aux intérêts personnels des administrés ;

Nommons et installons provisoirement pour remplir les fonctions suivantes les dénommés ci-après : maire : Calloch ; procureur de la commune : Raoulin ; officiers municipaux : Le Gendre cadet, Tahon, Cadiou huissier, Bernay, Compagnon fils, Bonnaire, Bouilly, Bodin perruquier ; notables : Laurençot, etc... ». Onze membres seulement de l'ancien Conseil furent conservés ; trois, Morvan, Boutibonne et Coïc passèrent au fameux « noyau », treize furent destitués et parmi ceux-ci, quatre, Bonnemaison pharmacien, Castellan entrepreneur, Daniel maître d'écriture et Bérard médecin allèrent rejoindre Debon et Mougeat en prison.

Séance tenante, les membres du nouveau Conseil prêtèrent le serment en ces termes : « Je jure exécration aux rois et à leurs suppôts, fidélité entière aux lois de la République une et indivisible, ralliement éternel à la représentation nationale ; je jure de remplir avec le zèle et l'exactitude d'un ardent républicain les fonctions qui me sont déléguées par le vœu de mes concitoyens ; je jure enfin de préférer mille morts à l'infamie d'abandonner le poste que la patrie me confie » [Note : AM, délib. du Conseil général, 4 nivôse an II (24 décembre 1793)].

Les commissaires se retirèrent après avoir invité leurs concitoyens à l'union la plus intime et leur avoir donné l'accolade fraternelle.

Le même jour, il fut procédé à l'épuration du directoire et du Conseil de district. L'arrêté qui les concernait fut conçu dans les mêmes termes que l'arrêté précédent ; même serment, mêmes accolades [Note : AD, délib. district, 4 nivôse an II].

Jean-Nicolas Dérédec, Louis Bonet et Valentin demeurèrent au Directoire. On en chassa Alain Kernaflen-Kergos pour faire place à Arnoult dit Penfond, notaire à Pont-l'Abbé. Ambroise Duhaffond, secrétaire général, dut céder sa place à Michel Queneudec, greffier de la jutice de paix de Plonéour.

Arnoult-Penfond et Michel Queneudec, intimes du terroriste Royou-Guermeur, qui venaient d'être appelés à l'administration du district, ne purent entrer en fonction, le premier étant malade et le second absent. Barazer, orfèvre, déjà membre du Conseil, passa au directoire en remplacement d'Arnoult ; le secrétariat demeura provisoirement vacant.

Parmi les administrateurs destitués se trouvaient Alain Kernaflen, honnête homme, instruit et expérimenté, Ambroise Duhaffond, cadet noble à la vérité, mais serviteur dévoué de la Révolution depuis 1789, deux curés constitutionnels qui avaient donné maintes preuves de leur zèle républicain : Dominique Le Breton curé de Pont-l'Abbé et Lagadec curé de Plomelin et président du district. Duhaffond et Lagadec furent mis en arrestation et transférés au château de Brest. Il en fut probablement de même pour Kernaflen-Kergos, quoique nous n'ayons pas trouvé mention de l'arrestation de ce dernier.

Les deux arrêtés du 24 décembre paraissaient d'une légalité douteuse, — il est vrai qu'en ce temps-là les limites de la légalité restaient souvent flottantes. Les arrêtés venaient in extremis, comme parfois de nos jours les testaments ministériels, sur la lisière du code. — En effet, le grand décret du 14 frimaire (4 décembre 1793), qui modifiait profondément la vie administrative, interdisait aux représentants de déléguer des pouvoirs. Hérault et Le Clerc devenaient de simples inspecteurs.

Le décret, promulgué le 8 décembre, parvint officiellement à Landerneau le 23 décembre. A Quimper, il fut reçu le 24 et publié le 25 [Note : AD, 4 L 13*, délib. de la Commission administrative, 3 nivôse (23 décembre 1793). — Correspondance du district, 8 nivôse an II]. Vraisemblablement à l'heure où ils notifiaient leurs arrêtés, Hérault et Le Clerc avaient déjà connaissance du décret qui leur enlevait leurs pouvoirs. Pour eux, il s'agissait d'une liquidation frauduleuse, mais il ne se trouva personne pour les rappeler à la pudeur.

C'est en manière de liquidation aussi et pour présenter à Bréard le précieux butin de leur mémorable campagne que, le même jour, ils ordonnèrent le transport à Brest de l'argenterie recueillie à Quimper. Le 25 décembre, en effet, le directoire du district écrivait à Bréard :

« Citoyen représentant, d'après la réquisition à nous faite par les délégués Hérault et Le Clerc, nous te faisons passer par un de nos collègues les dépouilles de nos églises que la superstition et le fanatisme avaient entassées et que la Raison restitue partout à la circulation dont elles n'auraient jamais dû sortir » [Note : AD, Correspondance du district. 5 nivôse (25 décembre 1793)].

Cela fait, Hérault rentra à Brest, à la fin de décembre, pour faire ses adieux à Bréard, peut-être aussi avec l'espoir de suivre le proconsul dans sa nouvelle carrière, car Bréard allait quitter Brest le 2 janvier. Dagorne, semble-t-il, accompagna Hérault, tandis que Le Clerc restait à Quimper pour surveiller la mise en train de la nouvelle machine révolutionnaire. En cette fin d'année, Jeanbon Saint-André, sa mission achevée à Cherbourg, revenait à Brest avec le ferme dessein de réagir contre certains errements de Bréard.

***

Au milieu de ces ombres, un rayon de lumière. Pendant que ces tristes événements se déroulaient à Quimper, à Paris, Denis Bérardier, grand-maître du Collège Louis Le Grand, ancien principal du collège de Quimper, s'occupait, au-dessus de la mêlée, à défendre les intérêts de sa ville natale. Usant de son ascendant sur Robespierre, son ancien élève, il se donna à tâche de faire rendre à Quimper le chef-lieu qui venait de lui être ravi par le décret du 19 juillet. Le 17 décembre, il écrivait à son frère demeurant à Locmaria. « Des députés de Landerneau, présentés au Comité de Salut public par des Jacobins de Paris, ont fait les derniers efforts pour fixer définitivement le chef-lieu à Landerneau. Ils n'y ont pas été favorablement écoutés et il y a lieu d'espérer que les justes réclamations des Quimpérois prévaudront » [Note : AM, délib. Conseil général, 7 nivôse, an II (27 décembre 1793)]. Pour hâter cette solution, Bérardier se proposait d'intervenir à nouveau auprès du Comité de Salut public.

DU RUN DÉNONCE LES COUPABLES. — Le département du Morbihan étant menacé d'une invasion des Vendéens, le 15 décembre, les autorités constituées de Vannes demandèrent secours au département du Finistère. Aussitôt, le 17 décembre, la Commission administrative du Finistère, approuvée par le représentant Bréard, arrêta l'envoi d'une force armée dans le Morbihan. Toutes les troupes disponibles dans les districts reçurent l'ordre de se mettre en route dans le plus bref délai.

Yvonnet du Run, membre de la Commission administrative, fut désigné par Bréard pour suivre, en qualité de commissaire civil, la force armée du Finistère mise en réquisition pour le Morbihan, avec mission « d'entretenir avec la Commission administrative et le Représentant du peuple une correspondance active sur les mouvements des rebelles et les besoins de ses frères d'armes ».

Le 20 décembre, du Run était à Quimper, où le district mettait à sa disposition pour l'accomplissement de sa mission un des meilleurs chevaux d'une récente levée, « armé et équipé de tous points » [Note : AD, délib. du district, 30 frimaire (20 décembre 1793)].

Du Run, lui-même Quimpérois, apprit de ses concitoyens tout ce qui s'était passé dans la derniére décade, les saturnales du 12 décembre, la destitution du maire et les arrestations opérées par Hérault et Le Clerc. Il détestait ces tyranneaux, qu'il avait déjà vus à l'œuvre à Landerneau et qu'il avait dénoncés à Bréard dès le 7 décembre. Grâce à lui, les justes doléances des malheureux Quimpérois allaient bientôt trouver un écho près du Comité de Salut public et de Jeanbon Saint-André.

Après trois jours de marche, la force armée du Finistère arriva à Lorient le 23 décembre. Le lendemain elle prit un jour de repos avant de se remettre en route sur Vannes. Du Run en profita pour conférer avec Jullien, délégué du Comité de Salut public, alors en mission en cette ville. Il ne manqua pas de lui rapporter fidèlement ce qu'il venait de voir et d'entendre à Quimper.

Jullien, on le sait, avait, les 16 et 17 octobre précédents, régénéré les autorités constituées de Quimper. Il se plaisait à répéter qu'il gardait un bon souvenir des Quimpérois. Il fut indigné de la conduite des énergumènes Hérault, Le Clerc et Dagorne. Il partageait l'opinion de Robespierre à l'égard des déchristianisateurs, les plus dangereux agents de la contre-Révolution. Mais Jullien fut surtout vexé de ce qu'on eût osé détruire son œuvre, osé incarcérer des hommes choisis par lui et qui jouissaient de la confiance publique. Sans retard, il résolut de dénoncer ce scandale au Comité de Salut public.

JULLIEN DÉNONCÉ AU COMITÉ DE SALUT PUBLIC. — A la même époque, des plaintes étaient parvenues à M.-A. Jullien de certains districts du Morbihan, où des agents de Carrier commettaient les mêmes abus. Le 25 décembre, Jullien écrivit au Comité de Salut public :

« ... La conduite de l'armée soi-disant révolutionnaire et des prétendus commissaires militaires et civils revêtus de pouvoirs illimités qui la dirigent dans le Morbihan, a bien justifié le mot de patriotiquement contre-révolutionnaires dont Robespierre a qualifié les agents de Pitt. C'est par la Révolution même qu'on a voulu tuer la Révolution. On a vu des hommes sortis de je ne sais où, dont un avait été valet de moine et l'autre un intrigant nommé par Beurnonville, chargés tout à coup d'une grande mission par un représentant du peuple [Carrier] dont ils avaient usurpé la confiance, et ces délégués, soi-disant révolutionnaires, ont pillé, incendié, assassiné ; ils appelaient cela révolutionner. En incendiant les églises, ils ont réveillé le fanatisme qu'ils persécutaient ; ils ont acquis de nouveaux partis aux prêtres et à l'aristocratie.

Dans le Finistère, on suivait le même système ; à Quimper où j'avais été charge de renouveler les corps constitués et où mes opérations avaient été sanctionnées par les représentants du peuple, où j'avais vu pendant mon séjour triompher La Montagne, on vient d'arrêter les patriotes, de remettre en place les fédéralistes, de susciter une persécution atroce contre les fanatiques en brûlant les églises et les saints, et Quimper est en proie à la contre-révolution par l'effet même des mesures soi-disant révolutionnaires qu'on a voulu y prendre. C'est un agent de Bréard qui a fait là tout le mal. Les représentants du peuple, à peine arrivés dans un pays, sont entourés de tous les intrigants qui s'y trouvent, et dans le nombre des agents choisis par eux, il est difficile qu'il s'y rencontre un seul patriote. Il faut donc interdire toute élection d'agents particuliers qui, en subdivisant les pouvoirs, multiplient les abus, rendent la responsabilité nulle, le peuple malheureux et le crime impuni.

Il n'y a pas de temps à perdre. Je vous ai fait connaître les blessures ; c'est à vous de les sonder et de les guérir. Le pays où Kervélégan trouve un asile et compte des amis, le pays dans lequel se dispersent les débris de la Vendée a grand besoin que vous y fixiez vos regards » [Note : Lockroy, Une mission en Vendée 1793, Paris, Ollendorf, 1893, p. 163].

LA RÉSISTANCE A L'OPPRESSION. — Cependant les Quimpérois s'efforçaient de résister à l'oppression par tous les moyens légaux. L'appel au peuple leur paraissant le plus sûr moyen de salut, ils demandèrent, le 26 décembre, la convocation des sections. « L'agent national Raoulin a annoncé que quelques citoyens au nombre de 54 signataires ont déposé une pétition à l'effet de convoquer les sections. Il a exposé le danger qu'il y aurait actuellement à assembler les sections dans un moment où les esprits paraissaient agités. Il a dit ensuite que les pétitionnaires ne s'étaient pas conformés aux décrets ni à l'Acte constitutionnel. Les formes ont été violées. La loi exige le cinquième de ceux qui ont le droit d'y voter ; or la pétition ne porte pas la dixième partie des citoyens qui ont le droit de voter. Il a ajouté que cette pétition était l'ouvrage de quelques faiseurs qui l'avaient colportée pour avoir des signatures, ce qui est encore proscrit par les décrets. Il a dit que la pétition serait déposée au secrétariat et que les souscripteurs seraient admis à rétracter leurs signatures ».

Les réclamations des détenus n'eurent pas plus de succès.

« Le Maire [Calloc'h de Kerillis] a dit que des citoyens détenus et dernièrement arrêtés demandaient des certificats de civisme, que leurs places les avaient jusqu'à ce jour dispensés de demander.

L'agent national Raoulin expose que le Conseil ne doit point s'occuper des personnes prévenues et détenues pour quelque cause que ce soit ; qu'il est sans doute persuadé que ces détenus sont innocents et qu'ils le justifieront hautement, mais que c'est à eux à donner les preuves de leur innocence sur les faits qu'on peut leur imputer et que le Conseil ignore. D'ailleurs les certificats de civisme qu'ils pourraient obtenir, ou seraient arrêtés au Comité de Surveillance ou, s'ils y passaient, ne changeraient en rien leur situation, puisqu'il leur faudrait toujours détruire les inculpations pour lesquelles ils sont détenus.

En conséquence, l'agent national a requis qu'il soit arrêté par le Conseil qu'il ne sera passé à aucun scrutin en obtention du certificat de civisme pour aucun détenu ni pour ceux qui seraient sous le coup d'accusation » [Note : AM, délib. du Conseil général, 6 nivôse (26 décembre 1793)]. — Adopté à la majorité seulement des suffrages.

LE RÉTABLISSEMENT DU CULTE. — Le 2 janvier, Le Clerc eut la mission désagréable de lire en public une proclamation de Jeanbon Saint-André, qui blâmait implicitement le brûlis des saints. Cette proclamation avait été adressée, le 11 décembre, aux citoyens de Cherbourg. Jeanbon pensa qu'elle pouvait être utile à Quimper, où il ordonna de la publier. Le Clerc la lut avec dépit, car il y ajouta des commentaires tendancieux. En somme, dit-il, le représentant se borne à exposer « le danger des opinions religieuses exagérées et la nécessité de renfermer la liberté des cultes dans l'intérieur des maisons » [Note : AM, délib. du Conseil général, 13 nivôse (2 janvier 1794)].

Or Jeanbon disait autre chose : « Et vous, consciences timorées, rassurez-vous. La Convention nationale ne veut point vous ravir les objets de votre vénération ; elle sait tout ce qu'une longue habitude, une éducation théologique peuvent avoir d'empire sur l'âme de l'homme. Elle sait qu'un cœur sensible et faible a besoin d'un appui, et si, cet appui, vous croyez le trouver encore dans les vieux préjugés que vos pères vous ont inspirés, elle ne veut point le briser entre vos mains... Elle ne gêne point vos opinions, elle n'interroge point vos consciences, elle reconnaît la liberté de tous les cultes » [Note : Lévy-Schneider, Le Conventionnel Jeanbon Saint-André, t. I., p. 614].

La proclamation fut accueillie par « les applaudissements les plus vifs », sans doute parce qu'on y trouvait un désaveu des iconoclastes, et l'on décida de la déposer aux archives afin d'y recourir au besoin.

Séance tenante, de nombreux citoyens manifestèrent le désir « d'avoir un local pour célébrer le culte catholique, vœu souvent exprimé ». L'église du Guéodet fut accordée, à la condition que les citoyens s'y rassembleraient paisiblement.

LE COMITÉ DE SALUT PUBLIC INTERVIENT. — Le 6 janvier au matin, M. A. Jullien reçut à Lorient un courrier extraordinaire du Comité de Salut public. Par une lettre du 13 nivôse (2 janvier), en réponse à la dénonciation du 25 décembre, ce Comité chargeait Jullien « de faire cesser sur-le-champ les pouvoirs des délégués du représentant du peuple Bréard et de poursuivre ceux qui se sont rendus coupables d'atrocités contre-révolutionnaires dans les temples, qui, par une persécution apparente contre le fanatisme, ont contribué à le réveiller, dont la conduite semblait devoir ressusciter la Vendée anéantie, qui paraissent avoir été les complices des rois et des prêtres ».

Pour étayer par des pièces officielles le mandat d'arrêt qu'il allait lancer, Jullien demanda un rapport écrit au district de Quimper et à du Run.

Il disait à du Run : « Je te prie, citoyen, et te requiers même de m'envoyer de suite, à la réception de ma lettre, tous les détails que tu m'avais donnés verbalement sur Quimper et les actes contre-révolutionnaires commis dans le département du Finistère, sous prétexte de poursuivre le fanatisme.

Ce sont de vrais agents de Pitt, d'infâmes complices des rois et des prêtres, ceux qui ont incendié les églises et les saints et qui se sont rendus coupables d'atrocités contre-révolutionnaires dans les temples. Ils ont cherché à réveiller la superstition en feignant de la combattre. La Vendée n'existe plus ; ils ont voulu la ressusciter. Agents contre-révolutionnaires, nobiliaires, anglo-ministériels, ils doivent être punis : ils le seront.

Telle est l'intention formelle du Comité de Salut public, qui vient, pour cet objet, de m'envoyer un courrier extraordinaire, et c'est au nom de ce même Comité que je te somme, sous ta responsabilité personnelle, de me rendre compte sur-le-champ, à Lorient, — par la voie de la gendarmerie pour que ta réponse m'arrive sans délai — de tout ce que tu as vu ou su relativement aux actes dont je viens de te parler » [Note : Lockroy, op. cit., p. 175].

La lettre adressée au district parvint à Quimper le 6 au soir. Nous n'avons pas retrouvé cette lettre ; mais, comme la réponse du district s'y réfère, il est certain que cette demande de renseignements était conçue en des termes identiques à ceux de la lettre à du Run.

La lettre au district, dont les administrateurs n'eurent connaissance que le 7 au matin, avait été ouverte la veille par Le Clerc, toujours aux aguets. Depuis le 18 décembre, en effet, aucun courrier ne pouvait être distribué à Quimper sans une visite préalable d'un commissaire du Comité de surveillance. Cette précaution, on le voit, intéressait la sauvegarde personnelle des despotes plus encore que le salut public.

Ainsi instruits des intentions de Jullien, Le Clerc et les meneurs du Comité se concertèrent. Menacés d'arrestation, ils jugèrent prudent de jeter du lest en libérant quelques détenus. Aussi, le soir même, tandis que Le Clerc décampait, le président du Comité révolutionnaire faisait-il observer à ses collègues que Le Clerc lui avait déclaré dans une conférence particulière que le Comité pouvait prononcer la mise en liberté de huit détenus, « parce que leur détention avait duré assez longtemps » [Note : AD, Reg. I Comité de surveillance, 17 nivôse (6 janvier 1794)].

Le 7 janvier au matin, les administrateurs du district répondirent à Jullien :

« Citoyen, nous avons reçu ce matin ta lettre arrivée hier soir par un courrier. Nous nous sommes de suite occupés de rassembler tout ce qui pourrait t'instruire de ce qui s'est passé dans nos murs et nous nous empressons de te transmettre tout ce que nous avons recueilli. Tu y verras tout ce qui a précédé et suivi l'autodafé des saints. L'administration du district n'en a été instruite que deux heures avant le brûlis. Les citoyens Dagorne, Montagne et Moustache sapeur des canonniers, vinrent inviter les administrateurs, au nom du noyau du club, d'assister à l'autodafé. L'administration pensant que c'était le vœu des citoyens, descendit à la commune qu'elle trouva réunie. La commune députa deux de ses membres vers les délégués Hérault et Le Clerc, qui se rendirent au sein de la municipalité et de là ensemble au bûcher.

Quant aux arrestations, nous joignons ici la liste des détenus. La plupart, fonctionnaires publics, ont, depuis le commencement de la Révolution, constamment manifesté les sentiments du plus pur patriotisme et nous n'avons encore pu savoir les motifs de leur arrestation. Mais les représentants, toujours justes quand ils sont éclairés, sauront distinguer les dénonciations sans preuves de celles fondées sur les faits, et les citoyens de Montagne-sur-Odet, qui se rappellent toujours avec plaisir les moments que tu as passés au milieu d'eux, comptent assez sur ton républicanisme pour attendre que tu les aideras à dévoiler les perfides calomniateurs qui ont si légèrement compromis la liberté des bons citoyens. Salut et fraternité » [Note : AD, Correspondance du district, 18 nivôse (7 janvier 1794)].

Ce rapport et les pièces y jointes, transmis par un exprès, durent parvenir à Lorient vers quatre heures de l'après-midi. Suffisamment édifié, Jullien, sans attendre le rapport de du Run, décerna, le soir même, un mandat d'arrêt contre Le Clerc et Dagorne, qu'il croyait encore à Quimper.

MANDAT D'ARRÊT CONTRE LES COUPABLES.« M. A. Jullien, commissaire du Comité de Salut public, envoyé dans les départements maritimes...

Ayant, pour remplir les intentions du Comité de Salut public, chargé le district de Quimper, aujourd'hui Montagne-sur-Odet, de lui envoyer un rapport circonstancié des derniers événements dont cette commune a été témoin ;

Considérant, d'après le rapport officiel qui lui a été envoyé, que les décrets de la Convention nationale pour assurer la liberté des cultes ont été méconnus, que la force armée, qui doit protéger l'exécution de la loi, a été sans le savoir appelée à concourir à la violation de la loi ; que des canons avec la mèche allumée ont été placés vis-à-vis la maison commune pour intimider le peuple et ses magistrats, quand les armes de la raison et de la douceur doivent seules être opposées aux préjugés de la superstition et du fanatisme ; qu'on a choisi pour exercer ces attentats un jour solennel où le peuple des campagnes devait se rendre en foule dans la commune de Quimper, comme si l'on eût eu dessein d'allumer la discorde entre les habitants des campagnes et ceux des villes ; qu'on a brûlé en public les effigies des saints après les avoir mutilées, que les tableaux, ornements d'églises, ont été pris et pillés, que des soldats ont été payés pour commettre mille horreurs dans les temples et tenir les discours les plus propres à soulever le peuple ; que ceux des officiers municipaux qui avaient eu le courage de s'opposer à de pareils actes, pour demander la stricte exécution des décrets de la Convention nationale, ont été incarcérés et mis au secret ;

Que les auteurs de ces délits constatés dans les différents rapports des autorités constituées de Montagne-sur-Odet sont Hérault, Le Clerc, délégués du représentant du peuple Bréard, et Dagorne, qui paraît avoir été leur agent ;

En vertu des pouvoirs délégués par le Comité de Salut public de la Convention nationale et en exécution de sa lettre ci-dessus du 13 nivôse ;

Arrête : Qu'à la diligence de l'agent national du district de Montagne-sur-Odet, en exécution de l'article 11 du décret sur le mode de gouvernement révolutionnaire, les citoyens Le Clerc et Dagorne seront mis eu état d'arrestation comme coupables de violation du décret de la Convention nationale du 18 frimaire relatif à la liberté des cultes et prévenus des autres délits ci-dessus rapportés ; que les scellés seront apposés sur leurs papiers ; que le présent arrêté sera de suite envoyé au représentant du peuple Jeanbon Saint-André à Brest, avec invitation de l'approuver et d'en étendre l'exécution au citoyen Hérault actuellement à Brest, coupable des mêmes actes » [Note : Lockroy, op. cit., p. 175 et suiv.].

Le 7 janvier, Jullien, envoyant copie de cet arrêté à Jeanbon Saint-André à Brest, disait à ce représentant : « Les plus grands maux ont dû résulter de ces mesures patriotiquement contre-révolutionnaires, et tu dois avoir eu l'oreille frappée des plaintes qui se sont élevées à ce sujet. Des agents de Bréard ont abusé de la confiance, excédé leurs pouvoirs et servi, peut-être involontairement mais puissamment, l'aristocratie. Ces missions ne doivent plus exister. Néanmoins il importe de réparer les funestes effets qu'elles ont entraînés. Toi et tes collègues Laignelot et Tréhouart, vous aurez sans doute jeté un coup d'œil sur cette cause trop féconde de maux et j'ai cru devoir t'en écrire pour t'avertir de ces faits, si tu les as ignorés, ou pour apprendre de toi par quel moyen on peut ramener les bons paysans, trop longtemps opprimés, sans donner de nouvelles armes au fanatisme, car le Morbihan réclame à cet égard les mêmes remèdes que le Finistère.

Une lettre qui m'arrive du district de Quimper me détermine à prendre l'arrêté ci-joint, que je te prie d'approuver en l'appliquant aussi, si tu le juges convenable, à Hérault qui est à Brest. J'ai les pièces entre les mains et t'en enverrai copie. Je te prie de me faire savoir ton avis...

Je te prie de jeter encore un coup d'œil sur Quimper et, comme toi et Bréard aviez sanctionné toutes mes opérations dans cette ville, tu pourras rendre à leurs fonctions les magistrats destitués ou renfermés sans motifs et par des ordres arbitraires et rétablir toutes les choses sur le pied où elles étaient. C'est le vœu de tous les patriotes et celui de la justice. Je te prie instamment de me répondre sans délai sur cet objet ».

Le 8 janvier, Jullien rendait compte au Comité de Salut public des mesures qu' il venait de prendre :

« J'ai agi conformément à vos intentions et les détails que j'ai recueillis m'ont de plus en plus prouvé qu'on voulait par les troubles religieux faire la contre-Révolution dans la ci-devant Bretagne.

Vous verrez, par les pièces ci-jointes, une idée des moyens employés pour fanatiser : violation ouverte du décret de la Convention sur la liberté des cultes, arrestation des magistrats fermes qui ont voulu que le décret fût exécuté, argent semé parmi les soldats pour leur faire piller les églises, brûler les saints, déchirer les images du Christ, boire dans les calices, ciboires et vases dits sacrés, frotter leurs bottes avec l'huile aux sacrements, canons avec mèche allumée pour intimider le peuple. Que peut-on faire de plus ? — J'espère que vous sanctionnerez ma conduite. Ça ira et ça tiendra ».

LES DÉTENUS LIBÉRÉS PAR JEANBON. — Conformément au vœu de Jullien, par un arrêté du 8 janvier signé de Jeanbon Saint-André et Tréhouart, Debon maire, Daniel, Bonnemaison et Castellan, officiers municipaux de Montagne-sur-Odet, furent remis en liberté et rendus à leurs fonctions.

Jeanbon n'avait pas attendu la stimulation de Jullien pour s'occuper de Dagorne. Dès son retour de la Manche, le 26 décembre, son attention avait été appelée sur cet individu, probablement par des plaintes venues de Quimper. Jeanbon interrogea Dagorne et le consigna à son domicile. Le 2 janvier, après le départ de Bréard, il le fit incarcérer au Château de Brest, sous l'inculpation « d'avoir à dessein exagéré les mesures de répression à l'égard du culte catholique ».

Hérault et Le Clerc, mandés aussi par Jeanbon, eurent à justifier leur conduite. Nous ignorons quelles sanctions immédiates les représentants prirent à leur égard ; nous savons que peu après Hérault fut renvoyé à Paris et Le Clerc rendu à son corps de troupe.

Jeanbon visait certes Dagorne, Hérault et Le Clerc, quand, le 8 janvier, il écrivait au Comité de Salut public : « Quelques personnes avait usurpé une confiance qu'elles ne méritaient pas. Depuis le départ de Bréard, j'ai fait arrêter trois ou quatre de ces hommes perfides et l'on rassemble les preuves de conviction pour les livrer à la justice nationale. Cet acte de sévérité inattendu a soulevé contre moi bien des parleurs » [Note : Aulard, Actes du Comité de Salut public, t. X, p. 133].

L'heureux résultat de l'intervention de Jullien réconforta les autorités quimpéroises. Justice venait d'être rendue à la municipalité. Le directoire du district, en dépit de l'accolade fraternelle reçue de Hérault, il y avait à peine quinze jours, osa lui aussi réclamer la libération de ses anciens membres incarcérés sur la dénonciation de Dagorne. Le 12 janvier, Dérédec, Bonet, Valentin et Barazer firent auprès des représentants en mission à Brest une courageuse démarche en faveur de Duhaffond.

« Une lettre de vos collègues, membres du Comité de Sûreté générale de la Convention nationale, nous prescrit impérieusement de leur envoyer pour le 30 nivôse (19 janvier 1794) l'état de tous les détenus du district et les motifs de leur arrestation. Plusieurs de nos concitoyens, de nos collaborateurs, nous ont été enlevés. Nous en ignorons les causes et le Comité de surveillance de cette commuue nous a assuré ne pas les connaître davantage.

Nous venons d'apprendre avec plaisir que vous aviez rendu à plusieurs la justice et la liberté. Le citoyen Duhaffond est demeuré au Château de Brest ; nous ignorons les motifs. Nous désirerions les connaître, car il a toujours manifesté parmi nous le plus pur patriotisme. Nous réclamons pour lui la justice la plus sévère, Les fonctionnaires publics coupables doivent être doublement punis. Mais les ci-devant nobles qui ont constamment manifesté leur attachement à la Révolution sont exceptés de l'arrestation prononcée par la loi des 12 et 17 septembre dernier.

Veuillez éclairer une administration qui ne souffrira jamais de traitres dans son sein, mais qui fera tout ce qui est en elle pour procurer à ses anciens membres les moyens de justifier leur innocence » [Note : AD, Correspondance du district, 23 nivôse (12 janvier 1794)].

Ainsi, une réaction salutaire s'était opérée depuis la fin de décembre ; Jullien le constatait avec fierté en écrivant, le 16 janvier, à la Société populaire de Quimper. « Quand j'appris l'espèce de contre-révolution qui venait de s'effectuer à Quimper, j'écrivis aux représentants du peuple à Brest, au Comité de Salut public à Paris. J'avais recueilli les faits, je m'empressai de les dévoiler, et, depuis, les patriotes ont été rendus à la liberté.

Le coupable Hérault à été rappelé à Paris pour être jugé sévèrement. Dagorne a été traduit au tribunal révolutionnaire et la mission donnée à Le Clerc vient de lui être retirée.

Ainsi, républicains de Quimper, vous obtiendrez justice. Dans un Etat libre comme le nôtre, le règne de l'oppression est court.. La patrie compte sur vous. Habitants de Quimper, élevez-vous à la hauteur de la Révolution » [Note : Lockroy, op. cit.].

La modération devenait contagieuse, comme l'avait été l'exaltation. Au club même, des sentiments de pitié pour les détenus pouvaient maintenant s'exprimer et se traduire en interventions bienveillantes. Le 21 janvier, une députation de la Société populaire se présenta à la municipalité. Le citoyen Detaille, ingénieur, « l'un des députés, portant la parole, a dit que la Société avait été douloureusement affectée en apprenant que le Conseil avait pris un arrêté qu'elle croyait contraire aux principes de justice et d'équité naturelle et aux lois. Cet arrêté qui l'affecte est celui par lequel il a été déclaré, le 26 décembre, que le Conseil ne passerait à aucun scrutin en obtention de certificat de civisme pour aucun détenu. La Société populaire, surveillante et sentinelle active de l'exécution des décrets et de la défense des droits de tous les individus, réclame contre cette mesure interdite par l'Acte constitutionnel à tous les corps constitués ».

A une très grande majorité, le Conseil, docile cette fois à la voix de la raison, rapporta son arrêté inhumain [Note : AM, délib. du Conseil général, 2 pluviôse (21 janvier 1794)].

Cependant la fureur iconoclaste n'était pas encore entièrement tombée. Raoulin, agent national, et Bodin. perruquier, qui avaient été spécialement chargés de « supprimer les images et les marques du culte catholique qui paraissaient en dehors des édifices », et qui avaient à peu près achevé leur mission demandèrent, le 17 janvier, si les enseignes des commerçants : Croix blanche, Croix rouge, Croix d'or, etc..., devaient être aussi détruites comme marques d'idolâtrie.

Le Conseil, après une vive discussion, répondit par la négative. Mais une auberge de la rue du Rossignol avait pour enseigne un poisson sur la tête duquel figurait une couronne surmontée d'une inscription : Le Dauphin couronné. Le Conseil arrêta que le mot couronné et la couronne seraient effacés [Note : AM, délib. du Conseil général, 28 nivose (17 janvier 1794)].

L'ANCIENNE MUNICIPALITÉ RÉTABLIE. — L'arrêté du 8 janvier, relatif à la réintégration de Debon, Bonnemaison, Castellan et Daniel dans leurs fonctions municipales, connu officieusement à Quimper dès le 10, ne parvint officiellement que le 23, avec un retard inexplicable. Aussitôt, le Conseil, réuni sous la présidence de Calloch. appela dans son sein l'ancien maire et les trois officiers municipaux, qui furent reçus avec de vifs applaudissements.

S'adressant à eux, Calloch s'exprima ainsi :

« Citoyens, la calomnie vous a poursuivis ; elle vous a outragés, elle vous a persécutés. Mais vous l'avez confondue et vous avez triomphé de nos ennemis parce que l'intégrité de votre conduite, vos vertus civiques et morales, votre patriotisme enfin et votre républicanisme, devaient percer à travers le voile du mensonge et de l'imposture.

L'arrêté des représentants du peuple qui vous rappelle à vos fonctions proclame hautement votre justification. Que dis-je ? il rend justice à votre zèle, à votre dévouement pour la chose publique et il couvre de honte et d'ignominie tous vos délateurs, tous les conspirateurs, tous les calomniateurs qui, sous un masque trompeur et hypocrite, ont en vain essayé de vous diffamer pour vous perdre, en attendant que le glaive de la loi tombe sur leurs têtes criminelles ».

Debon, en prenant le fauteuil de la présidence, répondit au citoyen Calloch : « Citoyen, je n'ai pas moins de zèle que toi pour la chose publique, mais tes talents, ta capacité et tes connaissances te rendaient plus digne de cette place que moi. Nous connaissons ton civisme épuré. Le peuple, comme nous, l'a toujours reconnu et le reconnaîtra dans toutes les circonstances et nous jouissons de l'espoir que tu ne tarderas pas à venir partager nos travaux et notre responsabilité et à nous secourir de tes lumières ».

Un membre fit observer qu'il paraissait équitable de réintégrer aussi dans leurs fonctions tous les membres de l'ancien Conseil destitués par Hérault et Le Clerc, parce que l'arrêté des représentants était une improbation ouverte de leurs délégués. Cette proposition mise en délibération, il fut arrêté à l'unanimité que tous les citoyens qui formaient l'ancien Conseil rentreraient dans leur poste et qu'ils seraient invités à se rendre à la première séance pour y être installés [Note : AM, Délib. Conseil général, 4 pluviôse (23 janvier 1794)].

Raoulin, qui s'était absenté au début de la séance, remit sa démission d'agent national. On tarda à statuer sur sa réintégration dans les fonctions de secrétaire greffier. Il s'était en effet bien compromis avec Hérault, Le Clerc et Dagorne.

***

Telle est l'histoire abrégée d'une crise d'hébertisme et de déchristianisation dans une petite ville de province en l'an II. L'accès, nettement caractérisé, ne dura que trois décades, mais il fut si violent que la population entière terrorisée eut peine à s'en remettre.

Il n'entre pas dans notre dessein d'exposer ici ce que devinrent plus tard les terroristes quimpérois. Tous ceux d'entre eux qui furent poursuivis en l'an III comme « terroristes » répudièrent cette qualification, disant qu'ils avaient été eux-mêmes terrorisés, qu'ils s'étaient bornés, en fonctionnaires soumis, à appliquer des lois qu'ils n'avaient pas votées ou à exécuter des ordres dont ils n'étaient pas responsables. En général, atteints par la réprobation publique et frappés, à leur tour, d'ostracisme, ils n'eurent qu'un souci : se faire oublier.

DAGORNE INCULPÉ DE MALVERSATIONS. — Avant de finir, ajoutons cependant quelques mots sur Dagorne. Depuis son incarcération, un autre grief, d'ordre professionnel, avait été formulé contre lui. Dagorne, jadis inspecteur redouté des comptables des deniers publics, était lui-même coupable de malversations [Note : Dans un rapport, Fabre, directeur des Domaines à Quimper, expose que Dagorne négligeait totalement son service, ne faisait pas les tournées réglementaires ni les vérifications de caisses. De sa propre autorité, Dagorne, par lettre du 6 novembre 1793, avait même délégué pour le remplacer Lesné receveur des Domaines]. On ne s'en doutait guère car, au moment de son arrestation, on négligea d'apposer les scellés à son domicile.

Le 15 mars seulement, à la requête du directeur départemental de l'Enregistrement et des Domaines, l'administration du département chargea Dérédec, membre du directoire du district de Quimper, de dresser un inventaire des pièces de comptabilité et des fonds qui pouvaient se trouver au domicile de Dagorne, rue Keréon à Quimper [Note : AD, 4 L 15 *, délib. Commission administrative, 25 ventôse (15 mars 1794). L'inventaire fut fait le 22 mars 1794 par Desnos, juge de paix, accompagné de Dérédec. Jacques du Feigna, inspecteur des domaines nationaux, et de Jean-Baptiste Rose, membre du Comité de surveillance].

Le 13 août 1794, le citoyen Fabre, directeur des Domaines, ayant appris que Dagorne réclamait instamment sa mise en liberté, rappela à l'administration du département que le débet de l'ex-inspecteur des Domaines s'élevait à 18.171 l. Il demandait en conséquence que Dagorne fût retenu dans la maison d'arrêt de Brest jusqu'à la reddition de ses comptes et le paiement des sommes dues à la République.

La Commission administrative, considérant que les administrateurs chargés de veiller aux intérêts de la République doivent s'assurer de la personne de ceux qui ont eu le maniement de ses deniers jusqu'au parfait paiement des sommes dont ils peuvent être reliquataires, invita l'agent national du district de Brest à maintenir l'écrou de Dagorne [Note : Ibid. 6 fructidor (23 août 1794)].

A ce moment même, Donzé-Verteuil, accusateur public, instruisait l'affaire Dagorne, qui devait venir prochainement devant le tribunal révolutionnaire. Mais déjà la réaction thermidorienne se déchaînait. Des clameurs s'élevaient à Brest contre « les crimes du tribunal révolutionnaire » et les continuateurs de Robespierre. Les échos qui lui parvenaient dans sa prison réconfortèrent Dagorne. Redevenu hautain et cynique, il eût voulu faire chorus avec les modérantistes dont il recherchait sans doute l'appui. Il manifesta à sa façon en publiant, le 6 septembre, au lendemain du départ du représentant Prieur de la Marne, un factum d'une rare impudence : Motifs d'arrestation et réfutations du citoyen Pierre Dagorne, Brest, Gauchlet, in-8, 26 p., 20 fructidor an II.

Dans cet écrit, Dagorne accuse et ne se justifie guère. Ses prétendues « réfutations » n'entraînent pas la conviction. Il ment parfois et, le plus souvent, ne répond pas aux inculpations dont il a été l'objet.

Dagorne coupable ? C'est qu'on a calommié « ce citoyen vertueux ». Les arrestations d'officiers municipaux ? Elles ont été ordonnées par Hérault et Le Clerc. Le brûlis des saints ? Il a été décidé par la Société populaire et le Conseil de la commune. « Dagorne ne parut dans l'église que lorsque le déménagement était presque fini ». Les cultivateurs n'ont pu être scandalisés car « ils s'étaient retirés dès le matin ». — Comment Dagorne « simple fusilier » dans la garde nationale « aurait-il pu disposer de l'intégrité de la force armée » ? Enfin, argument suprême, les autorités constituées ont tout couvert. « Le brûlis a été fait sur la Place publique, en présence du Conseil général de la commune, de l'administration du district et de la garde nationale en armes et Dagorne n'y assista que comme membre d'une autorité constituée ».

Quant « aux dilapidations prétendues, elles ont pris naissance dans l'imagination de Verteuil et n'existent que dans la volonté du tribunal ».

Tout cela est entremêlé d'injures grossières ou de railleries impertinentes à l'adresse de ses accusateurs, des représentants, des juges, du clergé constitutionnel. « Ignace, patron de Verteuil, fut aussi hypocrite ; mais il n'existe nulle part un aussi impudent menteur que l'accusateur public du tribunal ». — « Doucereux Verteuil, donne un œil de plus à Bonnet — on sait que ce substitut était borgne — et cache ta griffe ».

Ceci enfin est à l'adresse des vicaires de la cathédrale :

« Convenons-en, de bonne foi : ce sont moins les joujoux que ces messieurs regrettent que la forte pension dont ils jouissaient comme vicaires épiscopaux pour avoir jadis tenu un bréviaire romain ».

Il ne paraît pas que Dagorne ait été jugé par le tribunal révolutionnaire de Brest. On sait que ce tribunal fut supprimé, le 7 octobre 1794, par le Comité de Salut public. Les prévenus non encore jugés à Brest devaient être traduits devant le tribunal révolutionnaire de Paris. Nous ne savons ce qu'il advint de Dagorne. L'historien Le Guillou-Penanros dit qu'en l'an III, le représentant Faure autorisa sa mise en liberté provisoire [Note : Le 17 nivôse an III (6 janvier 1795), la Commission des revenus nationaux approuve les précautions prises par le département pour assurer à la République le paiement du débet du citoyen Dagorne, ci-devant inspecteur de l'agence de l'enregistrement. Mais Dagorne ayant déposé une somme de 19.000 francs pour remplir son débet, le Directeur de l'agence nationale a été autorisé à consentir à sa mise en liberté. (AD, L Reg. 107, f° 50). Note de D. Bernard]. Il est possible, tant l'homme était dénué de scrupules, qu'à la faveur de la réaction thermidorienne, il ait réussi à se faire passer pour une victime de la tyrannie de Robespierre et bénéficié, peut-être, d'une des nombreuses amnisties accordées à cette époque.

Quoi qu'il en soit, Dagorne ne fut pas absous par la population quimpéroise. Quand, en mai 1795, la Société populaire et le Conseil général de la commune de Quimper dressèrent, conformément à la loi du 21 germinal an III, la liste des terroristes à désarmer, les Quimpérois, qui avaient vu Dagorne à l'œuvre, n'omirent pas de le ranger, quoique absent, parmi les plus dangereux terroristes, ayant été « l'âme de tous les mouvements qui ont eu lieu à Quimper » dans les premiers mois de l'an II.

(Jean Savina).

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