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JEAN Ier dit LE ROUX (1237-1286)

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Le duc Jean Ier est un caractère curieux à étudier. Pierre de Dreux avait bataillé toute sa vie. Jean ne prit guère l'épée que dans les deux croisades de saint Louis. Pour augmenter son autorité et arrondir ses domaines, le père avait employé la violence, qui ne lui réussit pas. Le fils fut un homme d'affaires au sens fâcheux du mot. Entamer des procès qu'il avait l'art de perpétuer, si bien que par lassitude, ses adversaires se résignaient à d'onéreuses transactions ; acquérir les domaines de ses vassaux par des ventes qui ressemblent à des expropriations forcées ; encourager la prodigalité de puissants seigneurs en leur prêtant libéralement de grosses sommes, sûr d'avance qu'ils ne s'acquitteraient que par l'abandon de leurs seigneuries : tels étaient les moyens ordinaires qu'employa le duc... et avec quel succès ! En cinq années, il fit passer dans le domaine ducal le comté de Léon avec la place de Brest [Note : Voir dans Lobineau, 274 et 280, l'histoire d'Hervé le Prodigue, dernier comte de Léon, et l'histoire de son digne ami, Pierre de Bretagne, petit fils de Jean le Roux, fou de chevaux, retenu comme prisonnier à Paris pour avoir paiement de 9.000 livres (environ 900.000 francs de notre monnaie en 1897) prix de chevaux qu'il vient d'acheter, (p. 280-296)].

Jean eut plus de peine et eut besoin de plus de temps pour obtenir la restitution de son comté de Richemont.

En 1242, il entama cette affaire, mais il débuta par une maladresse. Henri III venait d'être battu au pont de Taillebourg et devant Saintes, (21 et 22 juillet). Il n'avait tenu qu'au Roi de France de pousser ses avantages et d'enlever aux Anglais toutes leurs possessions de France. Il ne le voulut pas par un scrupule exagéré, et avec l'espoir que sa condescendance envers le vaincu amènerait une paix durable fondée sur la reconnaissance [Note : Ces dispositions du Roi vivement combattues et avec trop de raison par le conseil du Roi amenèrent le traité de Saint-Denis dont nous allons parler. Traité fatal qui allait avoir pour conséquence non la guerre de cent ans ; mais certainement la prolongation de la guerre pendant prés d'un siècle. Voir la critique de ce traité dans le Recueil, des guerres et traités d'entre les rois de France et d'Angleterre, par du Tillet, 171-183]. Le saint Roi jugeait des autres par lui-même. Henri III ne fut pas touché de cette générosité pieuse et chevaleresque ; et il ne songeait qu'à la revanche. C'est en ce moment que Jean lui redemanda Richemont.

Il députe au Roi l'abbé de Saint-Gildas [Note : Il y avait en Bretagne deux abbayes de Saint-Gildas. Saint-Gildas-des-Bois (évêché de Nantes) aujourd'hui canton de l'arrondissement de Saint-Nazaire, ancienne Loire-Inférieure ; — Saint-Gildas-de-Rhuys (évêché de Vannes) aujourd'hui commune dans le canton de Sarzeau, arrondissement de Vannes, Morbihan, dont Abailard avait été abbé un siècle auparavant. Il s'agit probablement ici de l'abbé de Saint-Gildas-de-Rhuys, abbaye voisine de Vannes et avec laquelle le duc entretenait des relations : il y avait la sépulture de deux enfants. — Le député du duc pouvait être l'abbé Rivald qui, quelques années auparavant, avait été juge d'un débat entre l'évêque et le chapitre de Saint-Malo. (Morice Hist. II. XCIII. Jean Ier habitait le plus souvent Vannes ou la côte du Morbihan. On a dit qu'il avait bâti Succinio (canton de Sarzeau) et le château de l'Isle, à l'entrée de la Vilaine. Il s'agit sans doute de reconstruction pour l'Isle, comme pour Succinio que Pierre de Dreux habitait. (Morice. Pr. I. 879). Jean Ier partit de Succinio pour la croisade. Il fonda l'abbaye de Prières (Billiers, canton de Muzillac) 1252 (Morice. Hist. II, CLIV), et il y fut inhumé]. Mais son envoyé n'a d'autre écrit à présenter que ses lettres de créance énonçant seulement l'objet de sa mission ; et c'est verbalement qu'il exposera la requête du duc. Le Roi l'écoute... ; mais il ne donnera rien pour rien. Il a besoin d'un engagement que l'abbé ne peut prendre. Le 10 novembre, il lui remet sa réponse au duc. Dans cette lettre il demande, quel serait le prix de la cession de Richemont, et il conclut ainsi :

« Entendez-vous avec votre père sur l'aide que vous pourriez me donner pour me faire recouvrer mes droits, si je vous rendais Richemont. J'attends votre réponse pour la fête de la purification de Notre-Dame (2 février 1243) » [Note : Lobineau. (Hist. p. 247) n'est pas clair sur ce point. Il ne donne (Pr. 394) qu'un extrait trop abrégé de cette curieuse lettre. Il faut la lire entière dans Morice. Pr. I. 921].

« Ses droits à recouvrer », ce sont les provinces de France que Philippe-Auguste enleva à Jean Sans Terre, en punition de l'assassinat d'Arthur ; et que Henri lui-même a vainement tenté de ressaisir. Pierre et Jean veulent-ils s'unir à lui pour combattre le Roi de France son vainqueur ? Voilà ce qu'Henri demande à mots couverts et ce que le jeune duc de Bretagne n'accordera pas.

Toutefois la bonne intelligence ne fut pas rompue entre les souverains d'Angleterre et de Bretagne. Peu de temps après, Jean, fils aîné du duc, encore enfant [Note : Né le 4 janvier 1238], fut fiancé à Béatrix, fille de Henri ; mais Richemont ne fut pas rendu.

Saint Louis avait fourni à Henri III un prétexte pour refuser Richemont. En 1244, pendant une trève, le Roi avait statué en parlement que ses sujets ayant des biens fonds en France et en Angleterre devraient opter entre les uns ou les autres, « afin que le Roi sût quels étaient ses amis et les adhérents du Roi d'Angleterre » [Note : En réponse à la décision du Roi de France, Henri III confisqua tous les domaines que des Normands avaient en Angleterre. Des seigneurs français optèrent pour leurs biens de France. Lobineau. Hist. 247].

L'ordre royal n'obligeait pas le duc de Bretagne qui n'était pas seigneur français ; mais, lorsque, en 1245, Jean redemanda Richemont, Henri ne manqua pas de répondre (ce qu'il ne pouvait croire) qu'après la décision du Roi de France la restitution de Richemont ne pouvait se faire. Toutefois, en même temps, soucieux de ne pas déplaire au duc, il promit de payer au lieu de Richemont une rente annuelle de 1.800 marcs représentant l'évaluation du revenu [Note : Le texte dit 1.200 livres sterling ; mais de ce qui suit il résulte que cette somme équivaut à 1.800 marcs. Je compte par marcs pour plus de simplicité. Morice, Pr., I, 929. Lobineau, p. 182. Hist. 248. Pr. 394]. A cette somme, il ajoute « en pur don », 200 marcs pour compléter les 2.000 ; tant il tient à garder Richemont !

Les 2.000 marcs qui représentent environ 660.000 francs monnaie actuelle en 1897 seront payés en deux termes, et versés nominalement aux mains de Jean, fiancé de Béatrix, que le Roi appelle par avance son fils bien aimé (18 juin 1245).

Quatorze années passèrent. — En 1259, Jean de Bretagne avait vingt ans, Béatrix quinze. Le moment de les marier était venu. Le duc envoya en Angleterre plusieurs députés pour régler les conditions du contrat. Ils furent froidement accueillis. Le Roi sentait qu'il aurait mauvaise grâce à refuser Richemont à son gendre ; et prétendant le garder il hésitait à conclure. Les députés bretons s'obstinèrent et obtinrent enfin la discussion des articles du contrat.

Il fut convenu que Richemont serait échangé contre le comté d'Agenois dont le Roi d'Angleterre demandait la restitution [Note : L'Agenois répond à peu près au département de Lot-et-Garonne. Comté, héréditaire depuis le XIème siècle, et appartenant aux ducs d'Aquitaine. J'écris, selon l'orthographe ancienne, Agenois ; on devait prononcer Agenais : je trouve le mot était Ageneis]. En attendant cette restitution, le Roi s'obligea à payer à son gendre les 2.000 marcs de rente annuelle promis en 1245. De plus les possessions du duc éparses en Angleterre hors du comté de Richemont devaient être échangées contre le manoir de Hinton et la ville et seigneurie de Hastings (E. 114) ; et, comme ces seigneuries n'étaient pas en ce moment à sa disposition, le Roi, en attendant leur remise effective, abandonnait au duc « la jouissance des terres et revenus de Albrough, Landenham et Warmwel » (E. 114).

Cependant les trèves succédant aux trêves semblaient un présage de paix entre la France et l'Angleterre. Dès que le contrat de mariage fut arrêté (novembre 1259), Henri passa la mer et vint à Paris où le Roi saint Louis lui fit un affectueux accueil ; et, un mois après, la paix était signée à Saint-Denis.

Le Roi d'Angleterre renonçait à la Normandie, au Maine, à la Touraine, au Poitou ; il gardait la Gascogne, la Guienne, le Limousin, une part de la Saintonge, sous le nom de duché d'Aquitaine, qui devenait pairie de France, et il s'obligeait à l'hommage.

La paix conclue, Henri III signa le contrat de mariage de sa fille et repassa la mer. Jean de Bretagne se hâta de se rendre en Angleterre ; le Roi et la reine le retinrent plusieurs mois « pour son plaisir et le leur » [Note : « Ad suam pariter et nostram recreationem... ». Lettre du roi Henri III. (Morice Pr. I, 978. — 9 mars 1260, ou 1261. n. s.)] ; le Roi le fit chevalier dans une grande solennité ; le mariage fut célébré vers Noël à Westminster ; et les époux revinrent en Bretagne.

Les conditions de la paix, quelqu'avantageuses et même inattendues qu'elles fussent pour lui, ne donnaient pas entière satisfaction au Roi d'Angleterre. — Il avait réclamé l'Agénois autrefois légué par Pierre de Savoie à son aïeule Eléonore de Guyenne, et l'Agénois était en ce moment à la comtesse de Toulouse. Saint Louis ne pouvait le rendre ; mais il promit de le rendre s'il en redevenait maître, et en attendant il s'engagea à payer une rente annuelle de 1.200 marcs qui en représentait le revenu [Note : Tout cela n'est pas clair chez nos historiens. Il faut sur ce point lire du Tillet. 175. En 1261, l'Agenois fut évalué « en valeur annuelle » 3.720 livres, huit sols six deniers, au moins 372.000 fr. de notre monnaie en 1897. Du Tillet, 176. — C'est de cette indication que j'ai tiré la valeur en livres du revenu de Richemont].

Dans ces conditions l'échange de l'Agénois contre Richemont ne pouvait se faire, et Henri restait débiteur de la rente de 2.000 marcs promise à son gendre.

Cette obligation lui était lourde, paraît-il, et il essaya d'obtenir de saint Louis que la rente de 1.200 marcs due sur l'Agenois fût payée aux mains de Jean de Bretagne à compte sur la rente de 2.000 due sur Richemont. Pour complaire au Roi d'Angleterre, saint Louis avait admis Jean à l'hommage pour l'Agenois ; mais il n'accepta pas cette délégation [Note : Lettre de saint Louis (Morice. Pr. I. 977) du lundi de l'épiphanie. Dès l'année suivante, Henri III renouvelait ses instances auprès du Roi, avouant qu'il a eu, les temps passés, de grands besoins d'argent. Morice. Pr. I. 983. De même en 1262. Morice, Pr. I. 987].

Or Henri III laissait souvent passer les échéances sans s'acquitter ; en vrai capitaliste, le duc Jean n'admettait pas ces paiements tardifs ; peut-être espérait-il retirer plus de 2.000 marcs du comté ? Quoiqu'il en soit, il insistait pour la restitution de Richemont.

Au printemps de 1266, Jean de Bretagne passa en Angleterre avec Béatrix et leur fils aîné Arthur, qui était dans sa troisième année [Note : Sauf conduit du 15 mars 1265, (1266 n. s. Pâques tombant le 5 avril). Morice. Pr. I. 1001]. La duchesse de Bretagne, sa grand'mère, annonce son petit-fils au Roi d'Angleterre comme « moult bon et suffisant et moult bel » [Note : Morice. Pr. I. 997. C'est-à-dire très fort et bien portant. Le mot bon est encore employé en ce sens par les mères du Bas-Maine parlant de leurs jeunes enfants]. Peu après, le duc alla lui-même rendre visite au Roi ; et celui-ci, vaincu par ses instances ou peut-être ayant quelque peine à trouver l'argent de la rente, s'engagea, le 8 juin 1266, à rendre Richemont deux jours plus tard. Un acte solennel du juillet dressé en présence d'Edouard, fils aîné du Roi, constate que la restitution a été faite ; et, par un acte postérieur, le Roi ordonne aux officiers de Richemont de remettre le comté au duc de Bretagne [Note : 8 juin 1266 est la date vraie. Morice. Pr. I. 1002. La date du 15 juillet donnée par Lobineau (Hist. p. 260) est la date de l'ordre donné par le Roi aux officiers de Richement. Morice, 1003. Voyez la confirmation des ces arrangements. Morice, Pr. I. 1012-1013. — Le second acte du 16 juillet 1268 est signé de Henri et de Edouard. — Richement fut remis solennellement à Alain d'Asserac, chevalier, procureur du duc de Bretagne].

Entrant en possession le duc s'empressa de donner le titre du comté à son fils Jean, héritier de Bretagne.

Après la restitution de Richemont, Jean de Bretagne et son père n'avaient plus à attendre l'Agénois. Or l'hommage auquel saint Louis avait admis Jean de Bretagne pouvait faire obstacle à l'hommage que Henri III allait demander à rendre. C'est pourquoi Jean de Bretagne et le duc son père, en renonçant à la rente de 2.000 marcs désormais sans cause, s'engagèrent à obtenir du Roi de France  « la relève de l'hommage » pour l'Agénois, consentant d'avance — et cette clause était bien inutile — à la saisie de Richemont, s'ils manquaient à leur promesse [Note : Morice. Pr. I. 1013-1014 (7 juillet) (52ème année du règne d'Henri III). — Les conditions furent fidèlement exécutées et Henri III donna décharge du traité (E. 119)].

Sur ces entrefaites, saint Louis convie les chevaliers de France et d'Angleterre à la croisade. Le duc de Bretagne, le comte de Richemont, son beau-frère Edouard prennent la croix ; et Henri III autorise son gendre à engager son comté pour une somme de 2.000 marcs destinée à couvrir les frais de son voyage (E 114) [Note : Morice. Pr. I. 1018 (53ème année du règne de Henri III, 27 janvier). — Cette somme équivaut à celle de 682.000 fr., monnaie actuelle en 1897].

Ces dispositions prises, le comte de Richemont reçut du Roi Henri l'exemption de service personnel pendant cinq ans pour se rendre à Rome et en Terre-Sainte [Note : Morice. Pr. I, 1048. — Il s'agit de la dernière croisade de saint Louis (1270). Morice met par erreur d'impression, la date de l'acte à 1279 ; il faut lire assurément 1269, année qui précéda celle du départ].

Trois ans plus tard, le comte de Richemont revenait de la croisade. Passant en Morée, au mois de février 1273, il signa un acte de donation de 112 livres pour la fondation de trois chapelains à son manoir de Caistron (E. 114) ; et il continua sa route laissant son beau-frère Edouard qui allait guerroyer en Sicile.

Il rentra en Bretagne dans le courant de l'année. Henri III allait mourir le 16 novembre ; son successeur était encore en Sicile : c'est seulement au mois d'août 1274 qu'il fut couronné. Jean de Bretagne et Béatrix assistèrent aux fêtes du couronnement ; à peine rentrée en Bretagne Béatrix trompant les heureux pronostics des « physiciens », mourut prématurément (mars 1275) [Note : Lobineau. Hist. 269. Quelques années auparavant Béatrix avait été malade et la duchesse Blanche, sa belle-mère, écrivait au Roi d'Angleterre : « ... Sachiez, Sire, que ma dame Béatrix vostre chière fille et la nostre est encore deherte de la feivre : mais elle en est moult amandé, la Dieu merci, et nou dient les fisechiens que sa feivre ne li puet pas longtemps durer... ». Morice, Pr. I. 997].

Jean avait impatiemment sollicité et joyeusement recouvré le comté de Richemont, en 1266. Peut-être, treize ans plus tard, eut-il quelque regret de l'avoir obtenu ? La mort du comte et de la comtesse de Toulouse avait fait rentrer l'Agénois aux mains du Roi ; et, tenant la parole de son père, Philippe le Hardi le rendait à Edouard Ier (Traité d'Amiens, 29 mai 1279) [Note : Recueil des guerres et des traités de Jean du Tillet. II, p. 182-183].

La possession de l'Agénois, même avec un moindre revenu, aurait mieux valu que celle de Richemont pour la descendance de Jean le Roux. A ce moment, il est vrai, l'Agénois enclavé dans les possessions anglaises et bientôt annexé au duché d'Aquitaine aurait été pour Jean de Bretagne un gage aux mains du Roi d'Angleterre, au même titre que Richemont. Mais, un siècle et demi plus tard, il devait, comme l'Aquitaine, devenir français ; de ce jour nos ducs comtes d'Agénois, au lieu d'être comtes de Richemont, n'auraient plus eu qu'un seul suzerain, le Roi de France.

La suite nous montrera combien d'embarras et d'ennuis leur a valus le titre trop souvent nominal de comte de Richemont.

La restitution de Richemont ne fut donc pas la plus heureuse affaire que Jean le Roux ait menée à fin : en tout cas, ce n'est pas celle dont le souvenir pouvait à ses derniers jours alarmer les scrupules du duc, et lui dicter la clause de son testament par laquelle il ordonna « d'accueillir toutes les plaintes qui seraient portées contre lui » ; et elles ne manquèrent pas.

Le duc Jean mourut le 8 octobre 1286 (extrait de J. Trévédy).

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