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LE CHÂTEAU DE LA ROCHE-MAURICE ET SES LÉGENDES

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A une lieue au-dessus de la ville de Landerneau, la rivière d'Elorn coule entre deux chaînes de montagnes parallèles, au milieu d'une vallée assez large, dont le fond est occupé par de vertes prairies sur lesquelles se dessine comme un long ruban la grande route de Rennes à Brest. Des cimes qui bordent la rive gauche se détache un rameau assez court, mais très-élevé, qui s'avance dans la vallée comme une sorte de promontoire dont l'extrémité se relève brusquement et prend la forme d'un mamelon abrupte et granitique qui domine le cours de la rivière de la manière la plus pittoresque. Si l'on a l'heureuse chance de découvrir ce site pour la première fois au moment où le soleil disparaît derrière les chênes qui l'encadrent, on voit les ruines informes qui le couronnent prendre un aspect étrange en présence duquel l'âme la plus prosaïque se sent entraînée malgré elle dans les régions du merveilleux. L'imagination fait revivre la lignée de ces fiers comtes de Léon, qui furent les défenseurs les plus héroïques et les plus constants de la nationalité bretonne aux IXème et XIème siècles. Albert-le-Grand, le naïf et crédule conteur de nos traditions populaires, n'a pas oublié la Roche-Maurice. On peut voir dans sa Vie de Saint-Rioc comment, du temps de l'impératrice Hélène, mère du pieux empereur Constantin-le-Grand, deux valeureux chevaliers de la Grande‑Bretagne, appelés Derrien et Neventer, revenant d'un voyage en Terre-Sainte, se trouvèrent à passer près de notre château au moment où son mythologique seigneur, le prince payen Elorn, se précipitait du haut de ses murailles dans la rivière, qui, selon le bon Dominicain, doit son nom à cet évènement. Après l'avoir repêché, les preux s'étant enquis du motif qui avait pu le porter à une telle extrémité, le prince leur raconte comme quoi il y avait dans le voisinage un monstre qu'on ne pouvait empêcher de ravager le pays qu'en le rassasiant de victimes humaines, ce qui avait décidé le roi Bristokus, qui régnait alors à Brest, à ordonner par un édit que chaque samedi on tirât au sort celui de ses sujets qui devrait lui être livré : « Or, ajoute tristement le pauvre Elorn, ce sort est si souvent tombé sur moy que j'y ay envoyé tout mon monde et ne m'est plus resté que ma femme et ce petit enfant (Rioc) qu'elle tient entre ses bras, agé seulement de deux ans sur lequel le sort estant tombé, j’ayme mieux estre suffoqué des eaux que de le livrer a une mort si cruelle ». Les deux pieux chevaliers, après avoir inutilement essayé d'obtenir du mécréant la promesse de se faire baptiser, s'engagent par commisération à le délivrer du monstre, à condition qu'il leur donnerait un terrain pour y bâtir une église destinée au culte du vrai Dieu, ce qu'il accepta avec empressement, en leur permettant de plus d'instruire dans la foi évangélique son fils Riok et tous les membres de sa famille qui y consentiraient. Ils se rendirent donc incontinent « en la caverne du Dragon auquel ils firent commandement de la part de J.-C. de paroistre ; il sortit donc et son sifflement epouvanta tous les assistans ; il estoit long de cincq toises, et gros par le corps comme un cheval, la teste faite comme un coq, retirant fort au basilicq, tout couvert de dures écailles, la gueule si grande que, d'un seul morceau, il avalait une brebis, la vêue si pernicieuse que, de son seul regard, il tuait les hommes. A la vëue du serpent, Derrien mit pied a terre, mais son cheval s'effraya si fort, qu'il se prit a courir a toute bride a travers païs. Cependant il avance vers le dragon et, ayant fait le signe de la croix, luy mit son écharpe au col, et le bailla a conduire a l'enfant Riok, lequel le mena au chasteau de son père, qui, voyant ceste merveille, remercia les chevaliers et les alla conduire a Brest, ou ils amenèrent le dragon au grand étonnement du roy Bristok. De Brest ils allèrent à Tolente, lors riche ville, voir le prince Jugonus pere de Jubault ou Jubaltus (que Conan Mériadec défit depuis) et de là s'allèrent embarquer au havre de Poul­beunzual ou leurs navires estoient a l'ancre, et, ou ils commanderent au Dragon de se précipiter dans la mer ».

Château de la Roche-Maurice (Bretagne).

Le parfum exquis de romantisme qu'exhale cette vieille légende, extraite sans doute des livres de chevalerie, peut servir à éveiller la muse des poêtes qui visitent les ruines de la forteresse des comtes et des vicomtes de Léon. Ils pourront aussi lire avec fruit les nombreuses notes et commentaires dont l'a enrichie le dernier éditeur d'Albert-le-Grand. Mais l'histoire et l'archéologie proprement dite n'ont bien certainement rien à y voir. Je les laisserai donc étudier les minutieuses dissertations de cet écrivain érudit, rechercher avec lui les royaumes microscopiques d'Aginense, de Tolente et d'Illy, la situation du château du prince Elorn et la véritable couleur du chapeau bigarré qui tenait lieu de diadème au grand roi Bristokus, et je rentrerai dans le domaine de la réalité.

Le château de la Roche-Maurice a primitivement porté le nom de Roc'h-Morvan (la Roche-Morvan), selon l'opinion de M. de Blois (Biographie Bretonne), appuyée sur un acte de l'an 1263, inséré au tom. I des Preuves de l'histoire de Bretagne de D. Morice, col. 989. C'est un accord par lequel Nuz, fils de Sen, s'engage à garder, au nom de Hervé IVème du nom, vicomte de Léon et seigneur de la Roche-Morice, le château de Coetmeur, en la paroisse de Plougourverst, pendant la minorité de l'héritier, vassal et peut-être parent dudit Hervé. Il y est stipulé que le vicomte ne pourra pas poursuivre ledit Nuz pour certains objets qui se trouvaient à la Roche-Morvan (in rupe Morvan) lors de la mort de son père (Hervé III), et qui avaient, à ce qu'il paraît, été soustraits. Bien que le lieu dont il est question ne soit pas désigné d'une manière plus explicite, on ne peut pas douter qu'il ne s'agisse de la Roche-Morice, car en 1394 on la trouve encore mentionnée sous ce même nom dans les mêmes Preuves, ibid., col. 73.

Cette étymologie une fois constatée, M. de Kerdanet n'a pas hésité à admettre que c'est en ce lieu que se passa en 814 la fameuse scène entre le moine Frank Wilchaire et le comte de Léon Morvan Ier, roi suprême des Bretons. Il fonde son assertion sur le passage tant de fois cité du poème d'Ermold-le-Noir, dans lequel est racontée l'expédition que Louis-le-Débonnaire fit en Bretagne pour réduire nos ancêtres, qui avaient poussé le cri de liberté et secoué le joug que Charlemagne leur avait imposé. Il y est dit que le moine envoyé par l'empereur pour amener le prince breton à payer le tribut accoutumé le trouva dans une forteresse décrite en ces termes : « Est locus hinc sylvis, hinc flumine cinctus amœno, Sepibus et sulcis atque palude situs. Intus opima domus, hinc inde recurserat amnis, Forte repletus erat milite seu vario. Hœc loca prœcipue semper Murmanus amabat ; Illi certa quies, et locus aptus erat ». [Note : Je donne ce texte d'après M. A. de Courson].

M. de Kerdanet ayant lu à la fin du troisième vers armis au lien de amnis, a traduit ce passage d'une manière inexacte, et a cru qu'il pouvait s'appliquer à la position de la Roche-Maurice. Je crois que le véritable sens est celui-ci : Il est un lieu fortifié par des haies (sepibus), des fossés (sulcis) et un marécage qu'entourent d'un côté une forêt, de l'autre un beau fleuve. A l'intérieur s'élève une riche habitation que le fleuve, revenant sur lui-même, enveloppe dans son repli ; elle était remplie de soldats de toutes armes. Morvan avait une prédilection particulière pour ce lieu, où il trouvait une demeure commode et un asile assuré.

Cette description convient admirablement à nombre de forteresses en terre dont on voit les restes en différentes parties du territoire occupé par les Bretons dès les premières années du IXème siècle ; je citerai particulièrement celles de Castennec et de Castel-Finans dans le Morbihan, mentionnées l'une et l'autre par Cayot-Délandre (articles Bieuzy et saint Aignan) ; mais il est impossible d'y reconnaître la Roche-Maurice ou la Roche Morvan. La constitution géologique du terrain sur lequel est assis ce château ne permet pas, en effet, d'admettre qu'il ait jamais pu être entouré par un repli de l'Elorn ni défendu par aucun marais. On est donc obligé de renoncer à y placer l'entrevue de Morvan et de Wilchaire, qui au reste a fort bien pu avoir lieu partout ailleurs dans le pays des Bretons.

Tout ce que l'on peut légitimement induire de la synonymie des noms de la Roche-Maurice et de la Roche-Morvan, c'est qu'il a dû ses commencements sinon à Morvan Ier, du moins à Morvan II, comte de Léon, qui vivait en 1070, et dont les descendants mâles le possédèrent jusqu'à Hervé VIIIème du nom, vicomte de Léon, qui mourut sans postérité en 1363. Alain VIIIème du nom, vicomte de Rohan, qui avait épousé en 1349 la soeur dudit Hervé, appelée Jeanne, recueillit sa succession, et la seigneurie de la Roche-Maurice fut possédée par les aînés de sa race jusqu'au milieu du XVIIème siècle, que Marguerite, seule et unique héritière de Henri, premier duc de Rohan, la porta dans la famille Chabot par son mariage avec Henri, sieur de Sainte-Aulaye.

Voilà ce que les légendaires et les historiens nous disent de cette forteresse, et il serait à désirer que l'on pût aussi facilement reconstituer le plan de ses vieilles murailles. Malheureusement, leur état de dégradation avancée ne permet de le faire que d'une façon très-conjecturale. La partie principale du château proprement dit, dont il ne reste plus que quelques pans de murs, s'élevait, véritable nid d'aigle, sur le rocher qui occupe la pointe extrême de la langue de terre dont j'ai parlé en commençant. Sa forme paraît avoir été très-irrégulière, à cause du soin que l'architecte avait pris de suivre toutes les anfractuosités du granit, afin d'utiliser pour la défense tous les avantages de la position naturelle, qui est véritablement formidable. Les ouvertures qui existent encore ne présentent aucun caractère appréciable, mais la grossièreté de l'appareil, qui se compose de moëllons schisteux unis par un ciment de chaux, l'emploi presque constant des formes angulaires et l'absence de tours de moyen diamètre me porteraient à placer la construction de cette partie à une époque antérieure au temps de l'architecture rayonnante.

On voit encore à l'Est, et sur un plan moins élevé, un ouvrage extérieur dont l'appareil est beaucoup plus soigné et qui affecte très-sensiblement la forme des bastions de la fin du XVème siècle et du commencement du XVIème. De ce côté, la roche étant coupée à pic et inabordable, on n'a pas eu besoin de rendre l'accès plus difficile à l'aide d'un double rempart. Du côté opposé la pente du terrain étant au contraire moins rude, on avait construit une seconde enceinte, dont les traces sont encore assez reconnaissables, et qui, partant de l'angle Nord-Ouest du rocher, allait se relier à l'angle Sud-Ouest, et enveloppait sa base d'une espèce de demi-cercle assez irrégulier, dans lequel il serait peut-être possible de retrouver l'équivalent du bayle extérieur des châteaux de plaine.

Enfin, au Sud, un fossé, qui coupait transversalement l'isthme dans toute sa largeur, complétait le système de défense, autant du moins qu'il est possible d'en juger d'après les vestiges informes que le temps et la main des hommes ont laissé parvenir jusqu'à nous.

Je terminerai donc cette notice aussi incomplète que les ruines du monument à la description duquel elle est consacrée, en disant que le château de la Roche-Maurice, malgré l'intérêt appréciable qu'il peut offrir aux archéologues, mérite surtout d'attirer l'attention des amateurs de la belle et poétique nature animée par les légendes du temps passé. (Charles de Keranflec'h).

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