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VIE DE SAINT JACUT PAR DOM NOEL MARS. |
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Introduction. — Notice sur Dom Noël Mars. — La Vie de saint Jacut, premier abbé du monastère de Landouard, autrement dit de saint-Jacut-de-l'Isle, Evêché de Dol.
Noël Mars, l'auteur de la notice que nous allons donner, vint habiter l'abbaye de Saint-Jacut, avec ses confrères de la Congrégation de Saint-Maur, l'an 1647. Ce fut durant le séjour qu'il fit dans ce monastère qu'il écrivit sa biographie de saint Jacut.
Elle n'est pas absolument inédite, en ce sens qu'on l'a utilisée sans la citer, pour composer la vie de saint Jacut qui figura pour la première fois dans la troisième édition de la « Vie des Saints de Bretagne », d'Albert Le Grand.
Nous avons voulu publier ces pages qui reproduisent fidèlement les histoires, aussi bien que les légendes qui s'attachaient, depuis le haut Moyen-Age, à la personne de saint Jacut. Nous avons tenu aussi à respecter non seulement l'orthographe de l'époque, mais surtout le style simple et naïf de Noël Mars qui donne à sa narration un charme de plus.
Mais avant de rapporter le récit de Noël Mars, voici sur ce saint religieux, qui fut aussi un infatigable chercheur, une courte notice. Elle fut rédigée naguère par D. Martène, dans son Histoire de Noirmoutiers, qui a été éditée en 1874, par M. le chanoine Ulysse Chevalier, membre de l'Institut.
« Dom Noël Mars était de la ville d'Orléans, neveu du vénérable Père Dom Noël Mars, la plus brillante lumière de la Société de Bretagne, dont nous avons parlé ailleurs. Il commença son noviciat dans cette société ; mais après la réunion qui en fut faite à la Congrégation de Saint-Maur en 1628, il le recommença à Redon, où il fit profession le 24 décembre 1630. Après ses études et sa recollection, il fut employé dans l'administration du temporel, et exerça pendant quarante cinq ans l'office de procureur en divers monastères. Il composa l'histoire de la plupart de ceux dont il fut officier.
Vieux et infirme, il se démit de ses emplois et se retira à Marmoutiers pour y vivre plus religieusement et se préparer à la mort. Il occupa son loisir à composer quelques petits ouvrages de piété et surtout à écrire la vie des saints du monastère. Sa mort arriva le 24 novembre 1702. Il était alors âgé de 90 ans et il en avait passé au moins 74 en religion ». (Tome XXVème des Mémoires de la Société Archéologique de Tourraine, page 543 et 544).
La vie de saint Jagu (Bib. Nat. Manus. latin 12.780, fol. 435), premier Abbé du Monastère de Landouart, autrement dit de Saint-Jagu-de-l'Isle, Evêché de Dol [Note : Voici le titre complet du travail de Noël Mars : « Recueil des choses mémorables qui se sont passées dans les monastères de Saint-Guennolé, de Landevennec et de Saint-Jacut-en-l'Isle, tirées des Histoires de ces monastères faictes par Fr. Noel Mars, religieux bénédictin, de la Congrégation de Saint-Maur ». Folio 419, manuscrit cité].
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Il faut advouer que si nous avons de l'obligation à la Bretagne de nous avoir conservé plusieurs saints, nous n'en avons pas moins à l'Angleterre de ce qu'elle nous les a envoyez ; car c'est chose certaine que la plupart de ceux qui y ont vescu, sont venus de ce païs, et sans faire icy une grande énumération, ne nous a-t-elle pas donné saint Paul de Léon, saint Meen, saint Sanson et autres que je passe sous silence, pour vous dire que saint Jagu en est venu.
Le père duquel se nommoit Fragan, (homme de tres grande authorité dans l'isle). Il épousa une dame non moins noble que vertueuse nommée Blanche, tous deux étaient Anglois de nation. Ces deux conjoints eurent quatre enfans : Guethenoc et Jagu (qui furent frères jumaux), une fille nommée Créirvie et Guénolé. Ils furent contraints à raison des malheurs qui étoient en Angleterre de quitter cette isle et de venir en la petite Bretagne, où ils abordèrent au port de Brehat, avec Guéthenoc, Jagu et leur fille. Ayant résidé en ce lieu quelques années, toutes choses prospérantes à Fragan, ils demandèrent à Dieu un troisième fils, qu'ils nommèrent Guen-nolé (c'est-il-dire, tout blanc). Son père le voyant d'un grand esprit, le voulut faire du monde, mais en ayant été miraculeusement détourné, il promit à Dieu de lui donner non seulement son cadet, mais aussi ses deux ainez. En effet, Guénnolé s'étant retiré chez un honneste précepteur nommé Budoc, ses frères l'y suivirent bientôt, où à l'envie, ils faisoient tous merveilles : mais pour ne parler des autres à présent, je dirai que Jagu était en singulière recommandation envers son maître, tant à cause de son bon naturel, qu'à cause de son assiduité a l'estude. L'on ne voyoit qu'innocence, prudence et simplicité en ce jeune homme ; à l'entendre discourir, vous l'eussiez pris pour un sage vieillard.
Aussi Dieu fit bientost paraitre combien il avoit agréable la vie innocente du saint. Un jour donc que ses condisciples estoient allez se recréer à la campagne, il se sépara de leur compagnie et s'estant joinct avec son frère Guéthenoc, ils firent rencontre d'un aveugle qui les importuna tant qu'ils furent contraincts (émus aussi de pitié), de s'approcher de ce pauvre homme : l'un desquels prit un peu de sa sallive et en frotta les yeux de l'aveugle, l'autre fit le signe de la Croix dessus son visage, et incontinent il remit la vue. Les frères après avoir fait ce miracle, craignant d'être surpris et que l'on conneust qu'ils avoient fait ce prodige, se retirèrent promptement dans les cloistres du monastère où ils estoient ; mais l'aveugle reconnaissant commença à crier haut et clair qu'il venoit de recevoir la lumière par l'intercession de deux escholiers ; ce qu'estant rapporté au maistre, il voulut scavoir qui avoit fait ce miracle. C'est pourquoy il fit assembler ses escholiers et venir celuy qui avait été guary devant eux, lequel reconneust Jagu et Guéthenoc pour ses bienfaicteurs ; de quoy ces enfans furent tout confus n'osant nier ce miracle. Après lequel, saint Jagu ne s'en fit non plus accroire qu'auparavant, mais au contraire demeura plus humble et plus modeste.
Saint Jagu croissait en âge, aussi croissait-il en sainteté, car il s'adonnoit plus qu'à l'ordinaire à la vertu, mais surtout, il mettoit estrangement son corps par jeusnes et veilles continuelles, meslant parmi ces austéritez la pratique de l'oraison. Un jour, saint Jagu étant sorti dehors, il fit la rencontre d'un autre lépreux, lequel le pria instamment de lui donner l'aumosne et baisa sa main ; par lequel attouchement, il receut une entière guérison.
La renommée du saint vola par tout le pays à raison de ce miracle, et bon gré mal gré saint Jagu, l'on sceut qui en avait été l'autheur. Mais voulant fuir la vaine gloire, il se résolut de prendre l'habit de religieux avec son frère Guethenoc. Dans lequel estat, il seroit impossible de dire avec combien de rigueurs et d'austéritez, il y vescut : ses vêtemens estoient plus rudes, ses veilles plus continuelles, ses jeusnes plus fréquents, ses oraisons plus assidues, son manger n'estoit que des racines d'herbes ou du pain moitié cendre, et son breuvage que de l'eau. Il employait la pluspart du jour au travail manuel.
Un jour que saint Jacut étoit en la résolution d'aller trouver saint Patrice (qui vivait en Ecosse avec beaucoup de sainteté), pour apprendre de lui la forme de sa vie, il lui apparut la nuit suivante, le destourna de ce voyage et luy commanda de demeurer dans la petite Bretagne, afin qu'elle fut honorée de ses vertus, comme l'Ecosse l'estoit de ses miracles.
Saint Jagu et Guethenoc voulant vivre avec plus de solitude qu'ils ne vivoient avec leur supérieur Budoc, luy demandèrent permission d'aller en quelque autre lieu plus à l'écart. En ayant trouvé un selon leur voeu, ils y habitèrent ; mais comme il y avoit disette d'eau, ils se mirent en prière, après laquelle il sourdit une belle fontaine qui servit bien pour les necessitez, de ce lieu. La renommée de la sainteté de saint Jagu et Guethenoc s'étendit bientôt par tous les lieux circonvoisins, ce qui occasionna plusieurs personnes de venir implorer leur assistance, lesquels ne furent frustrez de leurs espérances, car ils recevoient tous soulagement de leurs infirmitez.
Une pauvre femme qui ne demeuroit guère loin du lieu où estoient ces saints, estant aveugle vint demander secours à ces deux frères et se prosternant toucha de sa face leurs pieds, et voyla qu'au même instant, elle reçut la vue. A cause duquel miracle, les saints voyant qu'ils étoient par trop importunez en ce lieu, résolurent de le quitter sécrettement et de s'en aller à un autre plus solitaire. C'est pourquoy, ils vinrent à Land-douart (c'est-à-dire lieu de terre) appellé maintenant Saint Jagu de L'Isle, mais auparavant ils firent un beau miracle, car n'ayant personne pour les passer en ce lieu, qui est entouré de mer, ils se mirent en prière, apres laquelle, ils virent une sente en la mer, par laquelle ils passèrent en toute asseurance.
Estant en ce lieu, ils vescurent avec tant de sainteté et d'édification, qu'ils attirèrent plusieurs personnes à suivre leurs exemples. En effet, il s'y assembla tant de religieux que ces deux frères furent contraints de se séparer et de prendre chascun en son particulier la conduite de plusieurs religieux. Mais auparavant de ce faire, ils firent à Lan-douart les deux miracles suivants :
Des nautonniers estant dans un manifeste danger, ils invoquèrent saint Jagu et saint Guethenoc et tout aussitôt, les saints parurent l'un au devant du navire, l'autre au gouvernail, ensuitte de quoy la tempeste fut apaisée et ils furent delivrez du danger.
Une autre fois arriva qu'un certain passager proche Landouart, nommé Cadreuc, qui avoit cette louable coûstume que de ne rien prendre des pauvres personnes qu'il passoit, voulant un jour extorquer son salaire d'un pauvre misérable, il s'éleva sur le champ une si horrible tempête dans la mer que Cadreuc croyoit entre perdu ; puis le diable entrant dans le corps de ce passant, le tourmenta de telle sorte, qu'il tomba mort à l'heure - mesme aux pieds de Cadreuc, lequel bien étonné de ces accidens, passa la nuit en grande tristesse. Le matin estant venu, saint Jacut et saint Guethenoc, advertis de ce qui s'étoit passé, se transportèrent sur le lieu, où après avoir blâmé l'avarice de Cadreuc, faisant oraison sur le mort, luy obtinrent la vie et la santé meilleures qu'il n'avoit auparavant.
Ce malheur si manifeste donna tant d'efficace aux remonstrances faites à Cadreuc qu'il se proposa dès lors comme un autre saint Pierre de tout quitter pour se soumettre à la discipline et conduite de ces deux saints ; ainsi qu'il fit peu après, et y vescut en telle saincteté qu'il s'est acquis une place au catalogue des saincts.
Après que saint Guethenoc se fut séparé de saint Jagu, il seroit impossible de dire avec combien de ferveur et d'austeritéz saint Jagu vescut à Landouart. Grallon deuxième roi de Bretagne, visitant un jour sa province et ayant entendu parler de sa saincteté, il le voulut voir et conférer avec lui. De quoy il fut tellement édifié, qu'il lui donna toute l'île de Landouart et plusieurs autres terres pour y construire un beau monastère, duquel saint Jagu fut premier Père et pasteur. Plusieurs seigneurs à son exemple firent de même, entre autres un nommé Théotin, lequel donna plusieurs rentes au monastère. Enfin après que saint Jagu eut administré son monastère un long temps ; plein de jours et de mérites, il rendit l'âme à son Créateur, le 8 febvrier, environ l'an 440 [Note : Le Lecteur comparera sans doute la légende primitive de saint Cadreuc d'après la traduction de M. de La Borderie que nous avons donnée aux pages précédentes, avec le récit tout nouveau que D. Noël Mars fait de la conversion de ce personnage. Il le classe parmi les contemporains de saint Jacut, alors que l'auteur du manuscrit 5296 range la conversion de Cadreuc parmi les miracles opérés par saint Jacut après sa mort].
Il fit plusieurs miracles après sa mort, car plusieurs démoniaques ou fols estant arrivez en son monastère, aussi tost qu'ils avoient fait leurs prières en l'église de saint Jagu et qu'ils s'estoient baignez dans de l'eau béniste que l'on croit avoir été faite par saint Jagu, ils sortoient sains et gaillards, ce qui a duré jusqu'à notre temps [Note : Nous avons vu déjà la date approximative de la mort de saint Jacut. La date de 440 est fausse de tous points].
Telle a été la vie de saint Jagu que j'ai tirée de deux vieux bréviaires manuscrits, d'une vieille vie en vers francois tirée d'un légendaire qui estoit autrefois à Saint-Jagu de l'Ile, et des anciens manuscrits de saint Guennolé de Landevennec. (A. Lemasson).
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