|
Bienvenue ! |
LES DERNIERS CORSAIRES MALOUINS : L'ARMATEUR |
Retour page d'accueil Retour "Les derniers corsaires malouins" Retour "Ville de Saint-Malo"
L'armateur est la cheville ouvrière de l'entreprise. Son activité se fait sentir dans chacune des multiples opérations qu'exige un armement en course.
La plupart des armateurs sont des commerçants de la région : Saint-Malo, Saint-Servan, Paramé, Saint-Méloir, Dinan, Pleurtuit. On verra facilement en consultant les « Tableaux des armements » [Note : Voir à l'Appendice tableaux I-II-III] quels furent les plus entreprenants, les plus opiniâtres dans la bonne comme dans la mauvaise fortune. Voici d'ailleurs la liste de ceux dont on rencontre le plus souvent les noms et qui se distinguèrent davantage par le nombre et l'importance de leurs expéditions [Note : On trouvera sur plusieurs de ces personnages des renseignements intéressants dans : PARIS-JALLOBERT. Anciens Registres paroissiaux. Ville de Saint-Malo, III.- KERVILLER, Bio-bibliographie bretonne, et, dans le t. III, des Cahiers des doléances de la Sénéchaussée de Rennes pour les Etats généraux de 1789 (Henri SÉE et H. LESORT)].
Liste des principaux armateurs de la région malouine :
Amiel
(Jean-Baptiste).
Blaize et fils (Louis).
Bourdas.
Coste.
Delastelle (Michel).
Delorme-Villedaulé.
Despeschers frères.
Dubois
(François).
Dubois (Théodore).
Dubois (Benjamin).
Dubois (Alexis).
Dubois (Alexandre).
Dubois (Jean-Baptiste).
Duchesne (François).
Duhamel.
Dupuy-Fromy.
Erussard.
Fichet (Joseph).
Fichet (Louis).
Fontan jeune.
Fortin aîné.
Gautier.
Gaultier jeune et fils (J.-B.).
Gauttier (Louis).
Gaultier.
Gilbert frères.
Godfroy (Pierre).
Guibert fils.
Guillemaut (François).
Havart (Guillaume).
Havart (Pierre).
Harembert.
Jallobert frères.
Kermel (Pierre).
Kerpoisson aîné.
Lachambre (Charles).
Lebreton de Blessin.
Lebreton de la Vieuxville.
Lemême (Bertrand).
Lemoine.
Lesnard.
Letellier
(François).
Vieuville (Magon).
Villehuchet
(Magon).
Marion frères.
Martin.
Maucron.
Nicol aîné.
Pintedevin.
Protet (Alexandre).
Ravaleux (Jean).
Roussel.
Santerre.
Sainton.
Surcouf
(Robert).
Thomas aîné.
Thomas (Augustin).
Thomazeau (L.).
Thomazeau
jeune et fils.
A peine trouve-t-on durant ces vingt années une douzaine de noms étrangers. Ils ont d'ailleurs presque tous sur place parmi les négociants malouins des représentants chargés des détails de l'armement. Les principaux sont :
Dauchy, de Nantes ou Granville, représenté par Fontan.
Deslandes, de Granville.
Labbé (Joseph).
Lamartisière et Floch, de Brest, représentés par Thomazeau.
Bersolle et Torrée, de Brest, représentés par Blaize.
Corvel, de Brest, représenté par Duchesne et Pintedevin.
Fourchon, de Lorient, représenté par Amiel.
Gast (François), de Caen.
Pontrève et C°, de Rouen.
Parfois ces armateurs prennent un nom de guerre [Note : Le Commissaire de marine est d'ailleurs au courant. Voir DE PISTOYE, op. cit., I-183, les pénalités dans le cas où l'armement est fait sous un faux nom.]. Ainsi Bastide cache Augustin Thomas.
Quelques-uns, surtout au début de leur carrière, commandent eux-mêmes le bâtiment auquel ils sont intéressés. C'est le cas de A. Clérault, Lauriot, Boutruche, Neel et Delastelle. D'autres comme Le Même, Potier et Capel sont d'anciens capitaines enrichis par la course. Ils ne craignent point à l'occasion de remettre la main à l'œuvre. En 1807, Robert Surcouf conduit lui-même à La Martinique un beau trois mâts Le Revenant et ramène à Saint-Malo, l'année suivante, la frégate Le Charles avec une cargaison de 5 millions. Mais presque tous restent, à terre où ils préparent et attendent en commerçants avisés et prudents le résultat de ces expéditions toujours très dangereuses.
Un petit nombre de ces armateurs débutent dans les affaires. Le Commissaire de marine mentionnant Guillaume Havart, écrit au ministre inquiet pour la caisse des Invalides : « Il n'est pas riche mais l'armement n'a pas grande conséquence », et dans une autre circonstance : « Ce sont de petits capitalistes qui ne travaillent qu'avec les fonds des actionnaires ».
Les autres ont au contraire une situation de fortune solidement assise. Magon de la Villehuchet, père de l'armateur, était maire de Saint-Malo à la fin de l'Ancien régime. Les familles Jallobert et Bourdas ont donné des députés aux Etats de Bretagne en 1788.
Plusieurs jouent un rôle considérable lors des événements de 1789 et pendant les premières années de la crise révolutionnaire. Jean Bodinier fait partie des électeurs chargés de nommer les députés de la Sénéchaussée de Rennes aux Etats généraux. Etheart, Guillemaut, Jallobert sont membres du conseil permanent de Saint-Malo. De la Mennais, Despeschers, Blaize, Lebreton de Blessin, Duchesne, Fichet, Canneva avancent ou donnent aux municipalités malouines et servannaises des sommes importantes pour équilibrer leurs budgets. Dubois est élu lieutenant-colonel de la garde municipale de Saint-Servan. Dupuy-Fromy et Leyritz sont les premiers chefs de celle de Saint-Malo. En 1790, Gauttier est procureur syndic de cette ville. En l'an VIII, Duchesne et Pintedevin prêtent 50.000 francs ; Blaize 60.000 à la marine alors très en retard pour ses paiements [Note : La plupart de ces renseignements, sont empruntés aux ouvrages cités par ailleurs, à savoir : PARIS-JALLOBERT. Anciens Registres paroissiaux. Ville de Saint-Malo, III.- KERVILLER, Bio-bibliographie bretonne, et, dans le t. III, des Cahiers des doléances de la Sénéchaussée de Rennes pour les Etats généraux de 1789 (Henri SÉE et H. LESORT), et à : Bertrand ROBIDOU, op. cit., p. 285-331, etc. CUNAT, op. cit., p. 813 et suiv. LEVOT. Biographie bretonne].
A partir du Consulat ils gardent une place à part dans l'aristocratie de la cité malouine. Le commissaire les consulte avant de répondre à la circulaire de Bonaparte sur les modifications qu'il convenait d'apporter à l'Acte de navigation et sur l'avenir commercial de Saint-Malo (an VIII). Ils forment presque toujours à eux seuls le Tribunal de commerce. En l'an XI, J. Marion, A. Despeschers, A. Thomas, Santerre y sont juges. En 1806, A. Despeschers est nommé président, J.-B. Marion, L. Gautier, P. Dupuy-Fromy, juges. Ce sont des personnages importants ayant dans l'administration locale et même à Paris des amis et des protecteurs tout-puissants. Sous l'administration pourtant éminemment bureaucratique de l'empire, les Commissaires de marine et leurs subordonnés sont obligés de les ménager et ne s'épargnent point pour leur être agréables. En cas de besoin les armateurs s'adressent d'ailleurs avec succès directement aux ministres et aux plus grands fonctionnaires. Augustin Thomas, mécontent d'une décision de l'inspecteur Jurien, écrit au Préfet Maritime de Brest Caffarelli : « Je suis fâché que M. l'Inspecteur confonde ainsi tous les hommes et ne veuille pas distinguer ceux-qui, comme moi, attachent peu d'importance à la possession d'une modique somme de 28.000 fr. ». Malheureusement ce « brave Préfet » ne peut rien faire pour lui et en a grand regret. En 1808, Augustin Thomas fut nommé par Napoléon maire de Saint-Malo. Il conserva ce poste jusqu'après les Cent jours. Il avait alors un Thomazeau pour adjoint.
« Ce sont des négociants [Note : En plus de la course, beaucoup d'armateurs s'occupent de commerce. Lemoine vend des salaisons, Dubois et Despeschers des fers, Delastelle et Lachambre font les fournitures générales pour navires, Gaultier et L. Blaize sont marchands de grains, Jallobert artificier, Etheart et Alexis Dubois sont de grands constructeurs de bateaux, etc…] fort bien famés ». « L'honorabilité et la solvabilité de ces armateurs sont connus sur la place ». Telles sont les formules de l'administrateur sollicitant pour eux des Lettres de marque [Note : Lettre du commissaire, 10 frim. an XIV, P. j. n° 1]. Quelques-uns pourtant ont une mention spéciale. Ainsi Lebreton de la Vieuxville est un « marin recommandable » par des traits de bravoure, par des services utiles et par une probité qui n'a jamais connu l'atteinte du plus léger doute [Note : Lettre du commissaire, 28 octobre 1806, St.-S.]. Tous sont « pleins de zèle pour les intérêts de leur pays et de dévouement pour le gouvernement ».
Pourtant le Commissaire de marine blâme à l'occasion l'âpreté au gain de certains d'entre eux. Ils ne sont que trop disposés à majorer leurs commissions et à retarder les Liquidations générales afin de conserver entre leurs mains des sommes importantes. Le Ministre doit agir auprès des tribunaux pour défendre les transactions consenties au détriment de l'équipage et de la caisse des Invalides, faire rayer des Mémoires les frais de voyage formant double emploi avec les commissions régulières [Note : Corresp. minist. 12 nivôse an VI, 7 septembre 1806, 21 septembre 1812]. Ils se jalousent mutuellement et ne manquent jamais d'accuser les juges de partialité quand ils examinent trop soigneusement leurs comptes. Ils imputent cette sévérité à des motifs de haine ou de rivalité, assurant qu'on agit avec beaucoup plus d'indulgence envers d'autres [Note : Corresp. minist. 16 févr. 1807, St-S.]. On leur reproche aussi parfois de corrompre les employés de la marine pour frauder plus facilement la douane [Note : Corresp. minist. 12 nivôse an VI].
D'autres accusations plus graves n'atteignent qu'un petit nombre d'individus. « L'intérêt et la cupidité de ces armateurs — il s'agit de MM. B. et fils de Saint-Malo — leur fait désirer trop fortement une interprétation favorable à leurs vues pour ce qui est du traitement à infliger aux Neutres » écrit le Commissaire le 6 mars 1806, après le décret de Berlin. Et le 10 mars 1810, il s'exprime en ces termes sévères : « Si je ne connaissais depuis longtemps tout ce que l'amour sacrilège de l'or peut inspirer et faire faire à certaines gens, si M. D. (de Granville) ne m'eut donné dans des circonstances antérieures la mesure de sa probité, j'aurais été vivement affecté de son audace ». Une dépêche du 22 messidor an XI recommande à l'administrateur de ne pas céder, en autorisant des campagnes insuffisamment préparées, « au zèle indiscret des armateurs qui ayant à l'avance la précaution de mettre leurs intérêts à couvert ne montrent que plus d'empressement à entreprendre des expéditions » [Note : Corresp. minist. 7 sept. 1806]. Enfin, s'il faut en croire les plaintes de quelques prisonniers détenus en Angleterre, certains d'entre eux manqueraient d'humanité et même de justice à l'égard de leurs équipages malheureux [Note : P. j. n° 98, lettre de Joseph Jouan. Pour transactions conclues au détriment des équipages, V. P. j. nos 67 et 68].
Les multiples attributions de l'armateur exigent de sa part beaucoup d'intelligence, de savoir-faire, d'ordre et de travail. « Il a des travaux d'une nature très compliquée. Ces travaux demandent de nombreuses écritures, une correspondance très étendue, des déplacements fréquents. Ils comprennent tous les détails de bâtisse et d'armement, la composition des équipages, les soins économiques et la surveillance à apporter tant à l'équipement qu'à l'entretien des navires et à la nourriture de l'équipage lors des relâches du corsaire ou de l'arrivée des prises, la mise en magasin des marchandises, leur classement, leur vente, leur livraison, enfin les avances de fonds occasionnés dans tous ces cas ». De plus les aléas sont si grands dans de telles entreprises que la fortune la plus solide d'un particulier peut y sombrer [Note : Les tribunaux de commerce eurent à enregistrer plusieurs faillites, surtout durant la période révolutionnaire (V. ch. III, p. 125, et P. j. n° 65)].
Aussi presque toujours deux ou plusieurs commerçants s'unissent pour lancer un armement. L'un d'eux s'occupera par exemple de la préparation de la campagne et des règlements de compte. L'autre « soignera » en se déplaçant au besoin toutes les affaires concernant les prises. Régulièrement on trouve associés les noms suivants :
Amiel et Thomazeau.
Duchesne et Pintedevin.
Kermel et Delorme Villedaulé.
Despeschers et Dupuy-Fromy.
Fontan jeune et Thomas l'aîné.
Guibert et Fichet.
Marion frères et Duguen.
Presque jamais d'ailleurs les armateurs n'agissent uniquement pour leur compte. Ils sont et veulent être avant tout les mandataires de plusieurs intéressés. « Ils ne travaillent qu'avec les fonds des actionnaires » dont ils reçoivent les capitaux pour les faire fructifier au mieux des intérêts communs. Cependant de riches négociants comme Surcouf ou Blaize son beau-frère, Thomazeau, Gaultier, Augustin Thomas prennent dans les armements dont ils s'occupent la plus grosse part. Parfois même ils s'en réservent à peu près complètement les risques et les avantages.
Des prospectus alléchants indiquent les garanties et les chances de succès du bâtiment sur lequel on veut placer des actions. Le Duguay-Trouin, par exemple, aura un revêtement d'acier, une artillerie supérieure, un excellent capitaine, etc.
La législation sur la course réglemente minutieusement les moindres conditions de cette opération commerciale. L'arrêté du 2 prairial an XI (favorable aux armateurs) modifie sur un point la simple commandite jusqu'alors en usage. Il y a désormais obligation pour tous les associés de parfaire leurs versements au cas où les frais d'armement et de relâche dépasseraient la somme primitivement fixée par le Répartiteur [Note : P. j. n° 6, Prospectus et part d'actionnaire (1.000 fr.) sur le corsaire Les 4 Amis, an VII. — Sur les Sociétés pour la Course, V. DE PISTOYE, op. cit., I, p. 214 et suiv.]. Pourtant il n'y a guère de placements plus recherchés que les intérêts sur les corsaires. C'est un acompte fréquemment donné pour compléter la dot des filles d'armateurs malouins ce dont souvent les gendres n'ont qu'à se louer [Note : FRAIN. Vitréenne et Malouine].
(abbé F. Robidou).
© Copyright - Tous droits réservés.