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LES DERNIERS CORSAIRES MALOUINS : LE BÂTIMENT ARMÉ

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Le premier soin de l'armateur est d'acheter ou de faire construire un navire capable d'entreprendre la course [Note : Le 30 vendémiaire an VI, le ministre autorise la Marine à mettre à la disposition des particuliers, plusieurs bâtiments de l'Etat inutiles pour le service. C'était un usage fréquent sous l'ancien régime. Mais on n'a point d'exemple que cette permission, la seule de toute la période, ait été mise à profit par les armateurs malouins].

Une marche rapide est la qualité essentielle du corsaire. On choisit donc de préférence des bâtiments susceptibles de porter beaucoup de toile. Mais il y en a de toutes les formes et de toutes les dimensions : lougres, bricks, brigantins, goëlettes, cutters, sloops, dogrès, un petit nombre de trois mâts, quelques péniches, une tartanne, un côtre [Note : V. Tableau des Armements, I, an V]. Il faut en second lieu qu'il tienne bien la mer et puisse à l'occasion résister au gros temps, car les campagnes se font ordinairement durant la mauvaise saison.

Quelques-uns de ces bâtiments prennent à dessein pour mieux tromper l'ennemi les apparences d'un bateau de pêche. Une circulaire ministérielle du 14 messidor an V engage le Commissaire à défendre cette ruse qui porte les anglais à inquiéter nos pêcheurs. Mais quelques années plus tard nous voyons Gaude recommander l'armement de la Sorcière « qui est, dit-il, très propre à donner le change à l'ennemi parce qu'elle a toutes les apparences d'un bateau de pêche » [Note : P. j. n° 23, Lettre du 19 avril 1806].

Les dimensions varient depuis 6 jusqu'à 400 tonneaux. Le tableau suivant permettra de s'en rendre un compte exact.

Au-dessous de 16 tonneaux....... 1793 an IX : 25 ; an XI-1813 : 5.

De 16 à 50 tonneaux........ 1793 an IX : 25 ; an XI-1813 : 39.

De 50 à 100 tonneaux...... 1793 an IX : 40 ; an XI-1813 : 32.

De 100 à 200 tonneaux.... 1793 an IX : 12 ; an XI-1813 : 41.

Au-dessus de 200 tonneaux..... 1793 an IX : 11 ; an XI-1813 : 9.

Ainsi sur près de 250 navires sortis du port, une vingtaine à peine dépassent 200 tonneaux. Par contre 30 n'en ont pas 15 [Note : C'est à peu près la moyenne des grandes bisquines cancalaises]. On s'étonne vraiment de la témérité des équipages risquant leur vie sur de pareilles coques de noix, qui d'ailleurs, pour la plupart, devaient tomber au pouvoir de l'ennemi. C'est surtout durant la période révolutionnaire, qu'eurent lieu les armements de cette nature [Note : BOURDE DE LA ROGERIE, op. cit., série B, art. IV, p. CXV. « Découragés par les lois révolutionnaires qui prohibaient ou gênaient la course... les armateurs ne mettent plus en mer que de petits corsaires »]. Sous l'empire on constate un accroissement notable des bâtiments de 100 à 200 tonneaux. Mais la moyenne reste toujours inférieure à ce chiffre. Quelques armateurs ont une prédilection spéciale pour les petit bateaux. Ainsi Duchesne et Pintedevin. Des 9 navires armés par R. Surcouf de 1804 à 1814, 4 dépassent 100 tonneaux. La Caroline (130), La Ville de Caen (113), La Revanche (111) et l'Auguste (150). La Confiance est de 100, Le Renard de 70, Le Marsouin de 55, L'Edouard de 50. La Biscayenne le plus petit corsaire de toute cette période n'a que 12 tonneaux.

A plusieurs reprises,, on trouve sur les registres de la marine une mention dans ce genre à la suite de l'enregistrement d'une lettre de marque : « Démoli par vétusté ». « La course, n'a pas eu lieu, le bâtiment tenant mal la mer ». Les matelots se plaignent eux-mêmes parfois du mauvais état de leur navire et refusent de continuer la course [Note : Voir deux exemples aux pièces just n° 3 pour l'Hirondelle (1793) et n° 28 pour l'Aventurier (an VIII)]. Des abus regrettables pouvant être ainsi commis par des armateurs plus soucieux d'économie que de la sécurité de leurs hommes, un décret du 23 thermidor an III charge un ingénieur d'examiner le bâtiment. Son certificat doit être joint aux pièces requises pour la délivrance d'une « Lettre de Marque ». Mais trop souvent, malgré de nouvelles prescriptions ministérielles [Note : Corr. min, 11 fruct. an VI, St-S.], on se contente d'un minimum. Le Commissaire promet par exemple, au nom de l'armateur, qu' « un navire peu fait pour une longue croisière d'hiver ne s'éloignera pas des côtes » [Note : Corr. min. 7 brum. an VIII, St-S.]. A partir de l'an XI cependant la visite semble avoir été plus sérieuse [Note : Corr. min. 18 prair. an XI, St-S. V. aux P. j. n° 16 le certificat du Dinannais, an XI]. L'Administrateur de la marine renseigne toujours l'autorité supérieure sur la solidité et la vitesse des bâtiments qui se préparent à quitter le port [Note : C'est aussi le premier renseignement donné après la sortie par le capitaine à l'armateur (Corr. de Lemaître)].

Un grand nombre de ces bateaux sont neufs [Note : P. j. n° 1, Lettre de Gaude, 10 frim. an XIV]. Ils sortent des chantiers qui s'étendaient depuis la porte Saint-Vincent jusqu'au milieu du Sillon, à peu près sur l'emplacement du Sillon actuel. Etheart et les frères Gautier s'étaient acquis comme constructeurs une réputation méritée. De même, Charles Basset, que les Morlaisiens eux-mêmes consultent. Il y a aussi des chantiers à Saint-Servan, depuis Trichet, Châles jusqu'au Talard. Ceux du Mont-Marin appartiennent à la famille Dubois [Note : V. Revue du pays d'Aleth, 1908, article de L. ESNOUL pour le Spéculateur].

On utilise aussi d'anciens bâtiments du commerce ou des prises ennemies vendues aux enchères. Les procès-verbaux de vente montrent avec quelle ardeur les armateurs se disputaient ces prises à l'époque de la course [Note : P. j. n° 77. Vente du William (an IX)]. Le coût de la coque pour un navire usagé de la sorte est relativement peu élevé. Il n'a en tous cas rien de comparable à celui des bateaux construits de toutes pièces [Note : P. j. n° 7, Compte de bâtisse du Tigre (161 t.). La coque et le gréement reviennent à plus de 70.000 fr. (1793)]. Le William (120 t.), prise du Bougainville (an IX), fut vendu 15.100 fr., la Cléopâtra (également 120 tonneaux), 15.000 fr. L'Alerte dont on fit le Courrier de la Manche ne coûtait que 8.000 fr. aux armateurs. Voici d'après les « Liquidations générales » les prix atteints par les corsaires vendus selon la coutume après la campagne avec les restes de leur armement. Quelques-uns servirent à nouveau, dans les campagnes suivantes.

Le Passe-Partout, an V, 15 tonneaux : 1.225 fr. [Note : P. j. n° 8. Inventaire du Passe-Partout (an IX)].
Le Vengeur, an IX, 11 tonneaux : 1.800 fr.
Le Malouin, an IX, 49 tonneaux : 8.500 fr.
Le Dinannais, an XI, 101 tonneaux : 7.608 fr.
La Sorcière, an XI, 45 tonneaux : 10.000 fr.
La Confiance, an XIII, 100 tonneaux : 20.000 fr.
Le Spéculateur, 1808, 50 tonneaux : 16.000 fr.
Le Turbulent, 1810, 15 tonneaux : 1.650 fr.

L'armement du bateau exige des 7 sommes beaucoup plus considérables [Note : P. j. n° 7. Compte de bâtisse et d'armement du Tigre. Le seul doublage en cuivre de ce navire pour une seconde campagne, qui devait avoir lieu en 1793, coûtait 16.551 fr] surtout pour ce qui concerne les articles artillerie, armes pour la campagne.

Fort peu de bâtiments en effet, entreprennent la course sans artillerie [Note : On en trouve 2 ou 3 exemples au cours de cette période, par exemple en 1810, La Biscayenne, armateur R. Surcouf, a seulement de menues armes]. Ils ont presque tous des canons ou caronades de différents calibres depuis 1 jusqu'à 11 livres de balle, montés sur affûts [Note : L'artillerie reste à peu près ce qu'elle était au milieu du XVIIIème siècle. On trouve : 1° Des canons de fer de différents calibres, montés sur affûts très bas, que l'on manœuvrait à l'aide de poulies et palans ; 2° Des pierriers de fonte, montés sur chandeliers, se chargeant par la culasse au moyen d'une boîte à cartouche, retenue par une goupille, petites pièces souvent plus nuisibles aux servants qu'à l'ennemi ; 3° Un petit nombre de courtes caronades aisément maniables]. Le nombre des canons varie naturellement beaucoup selon l'importance des navires. Les instructions du Ministre en l'an XI menaçant de ne plus accorder de « Lettres de Marque » aux corsaires insuffisamment armés semblent avoir porté quelques fruits. Beaucoup ont de 10 à 14 pièces d'artillerie. Les exceptions sont encore assez nombreuses, mais au moins l'on ne trouve plus guère, comme en 1793, des bâtiments uniquement munis de pierriers. A noter la coutume fréquente d'installer bien en vue sur le pont, afin sans doute d'en imposer à l'ennemi, quelques canons en bois [Note : P. j. n° 8. Inventaire du Passe-Partout].

A l'artillerie il faut ajouter sous le nom de « menues armes » un certain nombre d'espingoles, fusils, pistolets, haches d'armes, lances, piques, sabres, poignards, boîtes à mitraille, grenades. Chaque homme de l'équipage a d'ordinaire au moins deux armes à sa disposition [Note : P. j. n° 9. Tableau des armements d'hiver, 1812].

Les provisions de bouche se composent naturellement de biscuit, de bœuf ou de lard en conserves et de quelques barils de sardines. On y ajoute des légumes secs, un peu d'épicerie et pour boisson du cidre, du vin et surtout de l'eau-de-vie. Les relâches étant fréquentes et les sorties d'assez courte durée, il n'est pas nécessaire de trop bien garnir la cambuse. Durant ces relâches, le pain, la viande et les légumes frais sont les aliments qui semblent manquer le plus aux marins. Ils forment avec les différentes boissons la plus grosse part des mémoires adressés dans ce cas par les commissionnaires, aux armateurs [Note : P. j. n° 62. Compte de relâche du Tigre (1793)].

La caisse du chirurgien et le matériel de couchage pour blessés ou malades sont réduits à leur plus simple expression surtout sur les bâtiments de faible tonnage [Note : P. j. n° 7. Compte d'armement du Tigre]. Toujours d'ailleurs, après un engagement meurtrier, le corsaire rallie la côte française la plus voisine pour mettre à terre ses blessés.

L'armateur achète : tout ce qu'il trouve de mieux comme lunette marine [Note : Compte d'armement de la Gazelle, Trib. de Comm. St-M.]. Le sort et les profits du navire en dépendent en effet dans une large mesure. Les autres instruments à l'usage du capitaine sont souvent très défectueux. « Je me trouvai, dit Lemaître, plus ouest que mon navire de 30 lieues, différence qui arrive journellement. Cependant j'attribue cette différence à la mauvaise confection des horloges » [Note : Correspondance suivie de Lemaître, n° 10. — Voir aussi-AN, BB3, Marine, 244, p. 30. En arrivant à La Martinique, les calculs nautiques des officiers du général Perignon diffèrent de plusieurs degrés. Rapport dE l'aspirant Martin].

Une carte marine, un tableau des pavillons complètent l'équipement du corsaire. Enfin quelques beaux drapeaux anglais, américains, suédois ne manquent jamais à bord. Ils serviront à l'occasion pour tromper l'ennemi, l'attirer ou lui donner le change [Note : Correspondance suivie de Lemaître, n° 10].

Le lest se compose de sable et de pierres. Une ordonnance de Forfait (an X) sur la police du port et de la rivière de la Rance fixe les conditions dans lesquelles les armateurs pourront gratuitement s'en procurer. On prendra le sable dans la grève en ayant soin de « reboucher les trous ». Les pierres sont déposées en tas après chaque campagne sur le rivage à l'endroit occupé actuellement à Saint-Servan par le quai Trichet et jusque sur les grèves de Chasle. C'est là que les capitaines iront renouveler leurs provisions.

Il est naturellement impossible de fixer une moyenne pour le prix de revient de bâtiments si différents sous tous rapports. En 1793 le répartiteur du Sans-Culotte, armateur G. Havart, monte à 6.000 francs ; celui du Duguay-Trouin à 206.000. En, 1811, le Turbulent coûte à Délorme-Villedaulé 15.000 et la Junon 150.000 à Thomazeau. La valeur totale des bâtiments armés oscille dans les bonnes années aux environs d'un million.

Le civisme de quelques armateurs s'affirme jusque dans les noms qu'ils donnent à leurs navires. Durant la période révolutionnaire on trouve une Républicaine, un Sans-Culotte, un Patriote, deux Liberté, une Egalité. En 1807 une lettre du Ministre de la marine fait remarquer au Commissaire l'inconvenance qu'il y aurait à donner les noms de Leurs Majestés à des bâtiments du commerce. Le Napoléon successeur d'un Bonaparte (an IV) ne fut pas remplacé. Certains noms semblent, considérés comme des porte-bonheur. Les Furets, les Sorcières abondent. Aussitôt désarmés, d'autres leur succèdent. Aux beaux temps de la Sorcière, on vit naître un Sorcier, qui d'ailleurs, fut capturé par les Anglais dès sa première sortie. Chaque armateur a naturellement ses préférences. La génération des Clarisse appartient à Villehuchel-Lachambre, celle des Quinola, des Coursier à Duchesne et Pintedevin, les Malouins à Thomazeau, les Confiance à Gautier ou Surcouf. Le Comte d'Hunebourg est un ministre de la guerre. Le Général Perignon est un hommage des Malouins à l'avocat de ce nom, défenseur attitré de leurs intérêts devant les tribunaux [Note : Perignon était déjà le conseil de Surcoût et de Benjamin Dubois dès l'an V. — Voir A. N., ADVII-43, divers mémoires en faveur de ces armateurs]. L'Amiral Decrès rappelle le ministre, ami de Robert Surcoût.

Quelques-uns de ces bateaux font plusieurs courses avec le même armement. On en compte après l'an XI :

4 du Spéculateur.

4 du Coursier.

4 du Turbulent.

5 de la Junon.

7 du Général Perignon.

Mais en règle générale et surtout lorsque l'entreprise n'a pas réussi, ils sont vendus après chaque campagne. La société se trouve en effet régulièrement dissoute et l'armateur doit aussitôt rendre ses comptes [Note : DE PlSTOYE, op. cit., I, p. 226. L'arrêté du 2 prairial an XI, art. 8, déroge encore sur ce point à la coutume antérieure. L'armateur peut forcer ses associés à prendre part au réarmement lorsque la campagne a produit des bénéfices suffisants. Il ne peut d'ailleurs, leur refuser cette part. Voir ESNOUL, Revue d'Aleth, 1808, p. 5, le procès-verbal de vente du Spéculateur (1813). Elle met aux prisés Robert Surcouf, Magon, Villehuchet, La Chambre, Thomazeau, Amiel et C°].

(abbé F. Robidou).

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