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LES DERNIERS CORSAIRES MALOUINS : LA CAMPAGNE |
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Les Navires de guerre anglais.
Le corsaire se rit des fureurs de la tempête. Il les connaît depuis longtemps et sait au besoin se défendre contre elles. Il ne craint pas d'attaquer un navire de commerce d'une force égale à la sienne. Ce qu'il redoute par dessus tout, c'est la rencontre d'un navire de guerre, d'un « marchand de boulets » comme il les appelle. Or si la mer est grande, les vaisseaux ennemis n'en fourmillent pas moins sur tous les points de la Manche.
Les Anglais sont en effet les maîtres incontestables de la mer. A l’époque des grandes sorties, ils couvrent les côtes bretonnes d'une chaîne de petites corvettes ou de bricks canonniers qui croisent des semaines entières à l'entrée des ports les plus fréquentés et font une chasse acharnée aux bâtiments français [Note : Voir P. j. n°s 5, 23, 24, 51. — On trouve A. N., BB 4, 335, n° 13, un très intéressant rapport sur l'espionnage maritime anglais]. Le Commissaire, rendant compte au Ministre de l'enlèvement du bateau pilote le Saint-Louis de Saint-Jacut, présume qu'ils ont voulu se procurer des renseignements sur les corsaires de Saint-Malo [Note : Lettre du Commissaire, 2 janv. 1806, St-S.] Des navires de guerre accompagnent les navires du commerce plus richement chargés ou surveillent les parages favorables aux surprises. Ils embusquent des péniches bien armées jusque dans les rochers du cap Fréhel. C'est ainsi que le chasse-marée le Joubert fut, en 1807, capturé en cet endroit avec 10 hommes de son équipage qui n'avaient pu se sauver assez vite dans les sentiers à pic de la falaise [Note : Lettre du Commissaire, 5 mai 1807, St-S.]. Il est bien rare qu'à un moment ou l'autre de sa campagne, mais surtout au départ et au retour, le corsaire n'ait pas à subir la chasse d'un ou de plusieurs vaisseaux de guerre.
Il n'est pas toujours facile de reconnaître à distance la nature et la force du bâtiment rencontré : le pavillon ne signifie rien. D'un côté comme de l'autre, jusqu'au coup de semonce, l'emploi de couleurs étrangères est un procédé parfaitement admis et dont on use couramment [Note : Rapports des Capitaines, St-S., p. 28 : Anglais sous pavillon russe. Voir aussi plusieurs exemples aux P. j., Campagnes de La Junon et de La Miquelonnaise, etc.]. Les Anglais excellent tout particulièrement dans l'art de déguiser leurs vaisseaux armés. Le 15 janvier 1808 Gaude écrit au Ministre Dècrès : « Ils ont imaginé, pour tromper nos corsaires, une ruse dont il était bien difficile que ceux-ci ne fussent pas dupes dans le premier instant. Ils ont armé et mis en mer des bâtiments portant 20 et 24 caronades, les batteries sont soigneusement masquées, des balles de coton ou d'autres marchandises sont suspendues le long du bord et aux haubans ; des voiles déchirées, un gréement en désordre, une carène sale, un très petit nombre d'hommes sur le pont ou dans les manœuvres : tout annonce un bâtiment du commerce fatigué par une longue traversée. Si l'un de nos corsaires trompé par ces apparences court dessus, on le laisse arriver le long du bord. Alors le pont se couvre d'hommes, les balles et les ballots tombent à la mer, la batterie se démasque et un feu terrible écrase le trop confiant ennemi. Aujourd'hui que cette manœuvre est connue, il est probable qu'elle n'aura plus le succès qu'elle a eu d'abord » [Note : Lettre du Commiss., 15 janv. 1808, P. j. n° 53].
Il est rare qu'un corsaire attaque un navire de guerre d'une force sensiblement égale à la sienne.
« Et le proverbe dit : Corsaires à Corsaires - L'un l'autre s'attaquant, ne font
pas leurs affaires ».
(Lafontaine, Fables, IV, 62, citant Régnier, satire
XII).
Les capitaines qui font la course en « militaires » sont rares et le Commissaire leur réserve un éloge tout spécial [Note : Voir supra, p. 18, et, pièces just. n°s 40 et 56]. « Nous ne sommes point en mer, dit Leroux à l'équipage du Renard, pour combattre les navires de guerre. Mais si le cas échéait d'avoir à nous défendre contre un bâtiment de notre force, seriez-vous disposés à me seconder [Note : SURCOUF. Histoire de Robert Surcouf. — Voir ci-dessus P. j. 46. La Miquelonnaise attaque une frégate anglaise, mais c'est pour défendre ses prises. Voir la « Chanson des marins de Surcouf »] ? » Presque toujours, lorsqu'il fait une mauvaise rencontre, le corsaire cherche d'abord son salut dans la fuite.
Elle réussit d'ailleurs souvent. Construit de manière à fournir une vitesse supérieure, disposant de tous les bras nécessaires pour la manœuvre, le petit bâtiment semble se jouer de la poursuite de l'ennemi quand il n'est pas rétardé par quelque accident imprévu. On en voit enlever à l'abordage des navires de commerce en vue même des croiseurs anglais, tant ils sont sûrs d'avoir le temps, de s'échapper [Note : P. j. n° 58. L'Incomparable].
Au premier commandement la barre est amenée au vent. Les vergues se couvrent de gabiers et de matelots. Basses voiles, huniers et perroquets se déployent en secouant la mâture. Un second coup de sifflet et toutes les voiles sont amarées, bordées, hissées. Le navire atteint toute l'inclinaison qu'il peut supporter sans chavirer au point que la gueule des canons va parfois jusqu'à tracer un sillon dans la mer. L'ennemi distancé cesse bientôt la poursuite.
Dans certains cas pourtant la chasse est longue et dangereuse. Le Milan fut ainsi suivi deux jours durant par la frégate l’Endymion et finit par se rendre étant pour la troisième fois à portée de mitraille [Note : P. j. n° 57. Le Milan]. La Junon lutte de vitesse pendant 14 heures avec une autre frégate anglaise [Note : P. j. n° 42. La Junon]. Tout en essayant par un boulet bien dirigé d'atteindre l'ennemi dans sa mâture, le commandant du corsaire n'hésite pas à jeter à la mer tout ce qui peut alourdir sa marche : canons, ancres, canots, drome, batterie de cuisine [Note : Rapports des capitaines, St-S. L'Eléonore, p. 2, le Spéculateur, p. 17, et Archives de Morlaix, liasse 40, pour la Gazelle, 1809, et SURCOUF, op. cit., p, 432, pour l'Edouard. — On va jusqu'à décoincer les mâts pour augmenter le jeu de la voilure. V. P. j. n° 40 ter]. Quelquefois, par calme plat, on met les embarcations à l'eau. Les meilleurs matelots essaient en nageant de toutes leurs forces d'imprimer quelque impulsion au bâtiment. Le reste de l'équipage réparti sur les avirons de galère, réunis ensemble par une aussière, leur vient en aide. La vitesse obtenue de la sorte permet à l'occasion de résister à la force de la marée ou d'accomplir une manœuvre urgente pour le salut commun.
Il est rare qu'une ruse, si bien combinée soit-elle, réussisse à tromper un ennemi toujours sur ses gardes. La Miquelonnaise pourtant, sauve un jour ses prises, menacées par une frégate, en déposant dans un mauvais canot 19 prisonniers anglais tirés de l'entrepont. Le retard occasionné par leur sauvetage permit aux conducteurs de prendre une avance suffisante [Note : P. j. n° 46. La Miquelonnaise. — Même ruse de la Junon. Rapport du 22 nov. 1811, A. N., BB3, Marine, 358, p. 49].
C'est le mauvais temps, un brusque changement de direction pendant la nuit qui le plus souvent favorisent la fuite du corsaire. Parfois aussi il se retire dans une anse de la côte ou son faible, tirant d'eau et la protection des forts lui assurent au moins un abri provisoire. En 1811 une frégate anglaise poursuit l'Edouard jusqu'à Cézembre [Note : SURCOUF Histoire de Robert Surcouf, p. 432].
Souvent aussi la retraite est impossible. Le corsaire s'est trop aventuré. Un vent défavorable, une fausse manœuvre, un accident dans la mâture, un boulet, dans le gouvernail ne lui permettent plus de s'éloigner à temps. Après une poursuite plus ou moins longue il se trouve à la discrétion de l'ennemi. Alors il faut ou bien se résigner au combat ou bien amener le pavillon.
Les rencontres d'ailleurs assez rares avec les corsaires anglais [Note : Les Anglais arment également des corsaires. Selon un rapport de prisonniers (St-S., corr. min., 1793) il y en avait 16 à Jersey, en 1793, dès le début de la campagne. Trois d'entre eux sont mentionnés aux Archives de Morlaix, Registre 9 et liasse 46 : L'Alligator, le Conway, l'Entreprise. — Le Dinannais rançonne, an XI, pour 3.000 francs le corsaire Joseph et Grâce] offrent naturellement des alternatives de revers et de succès. Le Général Pérignon s'empare de la Revanche, armé à Plymouth ; mais en 1808 le Rovers, corsaire de Guernesey, capture à son, tour le Zéphyr. Surchargé de prisonniers et craignant une révolte à bord il renvoie directement à terre sous condition d'échange les quatre officiers français Pilvesse, Allègre, Peltier, Henri [Note : Tableaux de Napoléon, 1807-1808].
Il y eut quelques rudes combats avec les cutters et les corvettes anglaises. Citons seulement les principaux [Note : Les Rapports de capitaines manquent pour plusieurs années (1793-1809)].
Le 17 prairial an XII le Courrier de Terre-Neuve soutient un engagement terrible avec un navire de guerre bien supérieur en forces. Son commandant Luc Gilles Le Valton saute le premier à l'abordage et reçoit une grave blessure. Le Ministre de la Marine lui fait remettre une hache d'honneur en récompense de ce brillant fait d'armes [Note : Corr. min., 6 vend. an XII, St-S.].
Le 18 avril 1806, près des Sorlingues, l'Intrépide n'amène son pavillon qu'après une lutte acharnée de 4 heures. Le capitaine fut tué ainsi que deux des principaux maîtres. Il ne restait à bord que 20 hommes valides dont 6 mousses. Le corsaire ne pouvait plus gouverner ayant son grand mât de hune rompu, sa vergue de civadière cassée, plusieurs haubans coupés et des boulets au-dessous de la ligne de flottaison. Le pont était surchargé de débris et la mitraille manquait [Note : P. j. n° 54, Procès-verbal des officiers de l’Intrépide].
Le capitaine Brebel, se trouvant le 28 septembre 1807 par le travers, de Cork en Irlande, chassa et atteignit vers les 4 heures de l'après-midi un grand brick qu'il jugea être un bâtiment du commerce. Il prit aussitôt ses dispositions pour l'attaquer. A 4 heures 1/2, étant à portée de pistolet, il le héla et le somma d'amener. Pour réponse l'anglais arbora la flamme royale et démasquant sa batterie couvrit de mitraille le corsaire français et fit sur lui un feu de mousqueterie extrêmement vif et soutenu : ce bâtiment portait des troupes. Brebel, qui dès la première décharge avait été frappé au genou par une balle, se décida, à allonger l'ennemi par le côté de bâbord dans l'intention de l'aborder. Mais l'anglais mettant, tous ses soins à l'éviter continua un feu terrible que sa grande élévation sur l'eau rendit très meurtrier. Malgré le désavantage de sa position, le capitaine français maintint le combat avec la plus grande bravoure. Il ne désespérait pas de forcer l'ennemi à souffrir l'abordage et de l'enlever de vive force quand, atteint d'une seconde balle qui lui traversa la poitrine et lui fracassa l'omoplate, il dut abandonner le commandement. Cédant la place à l'un de ses seconds lieutenants, il lui recommanda de laisser arriver afin de s'écarter d'un ennemi qu'il n'y avait plus espoir de vaincre. La manoeuvre réussit et le Marsouin rallia la côte de France mais Brebel mourut des suites de ses blessures [Note : P. j. n° 55. Corresp. min., 5 nov. 1807].
Au mois de janvier 1808, la Glaneuse résiste courageusement à la corvette le Scorpion. Son commandant, le brave Quoniam, tombe à son poste dès la première décharge et n'a pas la douleur de voir le navire capturé [Note : Corr. min., 15 janv. 1808, St-S., et FABRE, op. cit., p. 406].
En 1810 la Pauline n'amène son pavillon qu'après avoir, dans un combat acharné contre une frégate anglaise, perdu son capitaine Lesnard et 12 hommes sur les 32 qui formaient l'équipage.
Le 18 juin 1812, l'Incomparable amarina un grand brick chargé de fer, en vue du cutter le Wind qu'il espérait distancer facilement. Mais il fut obligé de céder l'avantage du vent à son adversaire pour sauver quelques-uns de ses hommes en danger. La première bordée de l'anglais lui tua cinq matelots, en blessa plusieurs et démâta complètement le corsaire qui ne tarda pas à couler. Neuf hommes seulement purent se réfugier à bord du Wind où ils furent reçus à coups d'anspect [Note : P. j. n° 58. Campagne de l'Incomparable].
Mais l'engagement le plus meurtrier de toute cette période fut peut-être celui du Renard contre la goélette de guerre anglaise l'Alphea [Note : 16 canons, 69 hommes d’équipage, à la hauteur de Starpoint] dans la baie de Plymouth, le 9 septembre 1813. On se battit longtemps bord à bord. Le capitaine Leroux eut un bras emporté, la plupart des officiers et les deux tiers de l'équipage furent mis hors de combat. L'ennemi réussissait toujours à repousser l'abordage. Les lieutenants Herbert et Lavergne continuaient cependant la lutte lorsque deux coups de canon partant en même temps du corsaire atteignirent un baril de poudre sur l’Alphea qui sauta le 10 septembre 1813 à 11 heures du soir. Pas un seul homme ne put être sauvé. Herbert, avec les 13 matelots validés qui lui restaient, parvint à rallier la côte normande et reçut de l'empereur la croix de la Légion d'honneur. Le capitaine Leroux mourut presque aussitôt de ses blessures [Note : Un émouvant récit de ce combat, rédigé sur des notes communiquées par M. l'abbé Herbert, fils du lieutenant du Renard, a été publié par Ch, CUNAT dans Saint-Malo illustré par ses Marins, p. 420. — Voir aussi SURCOUF, Histoire de Robert Surcouf, p. 229, op. cit., page 435 et suiv., et P. j. n°s 59 et 60 : Corresp. minist., 27 sept. 1893, St-S.].
Si les combats ne furent pas plus nombreux c'est que souvent tout essai de résistance eut été pure folie. Que faire contre un vaisseau de ligne portant 50 ou 60 pièces et 400 hommes d'équipage ? Alors la rage au cœur, sous la gueule des canons, le capitaine doit se résigner et fait amener le pavillon tricolore. Elle est longue la liste des navires malouins ainsi tombés chaque année au pouvoir de l'ennemi ! On y trouve à peu près la moitié des bâtiments sortis du port. On s'en rendra compte aisément si l'on veut bien consulter la liste suivante empruntée aux registres officiels de la Marine à Saint-Servan.
Chaque capture de corsaire excite chez les Anglais une joie bien naturelle. Les journaux la racontent et la commentent, amplifiant à l'occasion l'importance et l'équipage du bateau capturé [Note : Corresp. min., 16 fr. an XII. Les journaux anglais donnent à l'Espoir 152 hommes au lieu de 62. Voir aussi Mémoires d'Angenard, Annales de Bret., VII, 186].
(abbé F. Robidou).
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