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LES DERNIERS CORSAIRES MALOUINS : LA CAMPAGNE |
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La vie à bord des derniers corsaires malouins lors des campagnes.
L'équipage du corsaire est naturellement soumis à une discipline des plus sévères. Il eut été impossible de maintenir autrement dans l'ordre et dans l'obéissance un pareil assemblage d'éléments disparates, d'hommes pour la plupart sans éducation, sans fortune, entassés sur un étroit bâtiment. Presque toujours [Note : Ordinairement les marins s'embarquent cependant par quartiers sur le même bâtiment. V. P. j. n° 10. Rôle d'équipage du Dinannais] ils n'ont entre eux d'autre lien que l'intérêt immédiat et l'espoir des parts de prises. De plus, ils risquent à chaque instant sinon leur vie, du moins leur liberté.
L'énergie et l'autorité font donc partie des qualités essentielles requises de tout bon capitaine. On l'accuse même parfois de brutalité [Note : P. j. n° 3, Lettre du citoyen Thomas, 30 août 1793]. Mais c'est une exception sans doute, bien rare, car il a tout avantage à se faire aimer de ses hommes afin de pouvoir compter sur eux au moment décisif.
La nourriture des matelots laisse souvent à désirer. Les plaintes à cet égard sont fréquentes et parfois justifiées. Si la chaleur fait avarier les barils de sardines, il faut manger son biscuit sec [Note : Correspondance de Lemaître, capitaine du Duguay-Trouin. Il fait distribuer ces sardines aux soldats qu'il transporte comme passagers]. L'équipage envie surtout la table ordinairement mieux servie des officiers. Témoin le trait suivant emprunté à l'un des récits du combat soutenu par le Revenant contre La Conception. Le chef de pièce surnommé Grand-Gosier, voit tout à coup tomber le cuisinier du bord frappé d'un biscaïen. Sans perdre un instant, il se met à genoux, le fouille et lui dérobe la clef du buffet dont il rapporte sous sa blouse un magnifique poulet tout cuit. Puis il reprend son poste après avoir mis sa trouvaille en lieu sûr [Note : Vigie de l'Ouest, 19 mars 1839].
Les soins de propreté sont nécessairement réduits au minimum parmi des hommes, embarqués presque sans linge et sans effets de rechange. Aussi la gale est-elle une maladie fréquente sur les navires armés en course [Note : Correspondance du capitaine Le Maître, n°s 7 et 10].
Surtout au début de la campagne, le travail quotidien à bord du bâtiment réclame beaucoup d'énergie et d'endurance. Plusieurs volontaires ignorent à peu près complètement leur métier. Le capitaine profite des premiers jours du voyage et des relâches sur la côte française pour les exercer au maniement du canon et aux feux de mousqueterie. Le maître d'armes leur apprend à se servir du sabre et de la hache d'abordage. Toujours quelques novices à leur première sortie ont besoin d'être familiarisés avec la maœnuvre et le service intérieur du navire.
L'hiver est évidemment la saison favorable pour la course. Les longues nuits sans lune, les grains fréquents, la mer presque, toujours mauvaise séparent les voiliers anglais de leurs convois, rendent plus difficile la surveillance des stationnaires et des croiseurs ennemis et permettent souvent au corsaire lui-même d'échapper aux dangereuses rencontres. Mais c'est aussi l'époque des tempêtes et les bateaux malouins sont les premiers à en souffrir.
Les descriptions les plus tragiques des ravages ainsi causés par le mauvais temps abondent presque à chaque page des Rapports de capitaines : « Le brick fuit devant l'ouragan sous son seul mât de misaine, avec une vitesse de 10 milles 1/2 à l'heure. Il bondit sur des vagues monstrueuses, descend avec la rapidité de la flèche au fond de l'abîme. Tantôt incliné sur le flanc tantôt à pic sur sa poupe, il retombait bientôt sur sa proue submergée à son tour. L'eau entre par toutes les coutures du navire, forçant l'équipage à travailler sans cesse aux pompes. Des cordages et des lambeaux de voiles déchirées frappent avec un sifflement sinistre les mâts qui ploient, sous l'effort du vent. Tout à coup un craquement se fait entendre. Vite on largue le filin qui sert de bosse à l'embarcation. Des palans sont frappés sur la chaloupe et le canot pour les lancer à la mer avant que la mâture ne vienne les écraser dans sa chute » [Note : Dans les Rapports de capitaines. Voir Revue d'Aleth, 1907, p. 210, le récit du sauvetage de François Gallais, capitaine de La Laure (an VI), par René Rosse, second à bord du même corsaire, durant une terrible tempête].
Aussi, sans parler des nombreux matelots dont il est fait mention lors des liquidations générales sous cette rubrique : « Tombé à la mer et noyé en accomplissant par mauvais temps une manœuvre difficile et très utile pour le salut commun » plusieurs bâtiments reçoivent chaque année des avaries plus ou moins graves : câbles rompus, voiles emportées, mâts abattus, etc. D'autres, forcés de naviguer au milieu des écueils qui protègent la côte bretonne où d'aller chercher leurs prises jusque dans les eaux territoriales anglaises, se perdent corps et biens, lorsqu'ils ont le malheur d'être surpris par un coup de vent inattendu. C'est ainsi que le 19 février 1807 la Clarisse, fuyant une frégate anglaise, vint s'ouvrir sur un rocher des « Ebihens ». Des 36 hommes qui composaient l'équipage, 16 périrent et plusieurs furent grièvement blessés [Note : P. j. n° 27. Lettre de Gaude à Decrès, 22 fév. 1807]. Les tableaux, d'armement pour la période 1793-1815 mentionnent une douzaine au moins de sinistres du même genre [Note : Voir par ailleurs Tableaux d'armement, I-II].
Parfois, au contraire, ce sont de longs jours d'une navigation ennuyeuse et maussade. L'imagination finit par s'attrister d'une attente continuellement déçue. Le moral de l'équipage s'ébranle par suite du désappointement.
Aussi les désertions sont-elles nombreuses presque à toutes les relâches, non seulement parmi les étrangers, mais encore parmi les marins du pays. Les Liquidations générales en donnent la preuve. Les parts de prise des déserteurs sont en effet partagées entre la caisse des Invalides et le reste de l'équipage et rarement ce chapitre fait défaut [Note : En l'an IX Le Malouin a 8 déserteurs, Le Bougainville 5, Le Jeune Malouin 12. Voir aux Liquidations générales].
La loi punit sévèrement la désertion. Elle condamne, les coupables à la « bouline » [Note : Punition corporelle maintenue dans la marine jusqu'en 1848] et, s'ils sont inscrits, à huit jours de prison et à un service supplémentaire de six mois ou d'un an sur un vaisseau de l'Etat. Mais une fois qu'ils ont touché leurs avances, rien ne les arrête surtout si la campagne s'annonce mal [Note : Copie de lettres du sous-commissaire de Lannion, 13 février 1809, et Rôle d'équipage du Dinannais. Plusieurs désertions à l'Aberwrach, P. j. n° 10]. L'agent du gouvernement qui s'empare d'un déserteur a toujours droit à une prime versée par l'armateur ou ses représentants [Note : Copie de lettres du Sous-commissaire de Lannion, oct. 1809. Le lieutenant des douanes de Granville ayant arrêté le sieur Morissot, déserteur du San Joseph, réclame sa prime]. Ces derniers règlent également les frais de geôle [Note : Le tarif pour la prison der Lannion est de 0.75 par jour] et de conduite.
Les cas de rébellion sont rares à bord des corsaires malouins. La Liquidation du Jeune Bougainville (an VIII) accorde 1.000 fr. aux héritiers de René Forestier, tué dans une révolte de l'équipage dont il était capitaine conducteur [Note : Liquidation du 13 prairial an IX]. Les mémoires d'Angenard citent un autre cas d'insubordination fomentée à bord de l'Aventurier (an VIII) par quelques soldats de marine [Note : P. j. n° 28]. Enfin, Jean Le Voyeu fut débarqué du Dinannais pour un acte semblable à La Corogne [Note : P. j. n° 10. Rôle d'équipage du Dinannais]. Ce sont d'ailleurs les seuls faits de ce genre qu'il ait été possible de constater au cours de la période étudiée.
Mais si l'équipage se soumet sans trop murmurer à une discipline de fer, s'il accepte courageusement les fatigues et les risques d'une entreprise toujours hasardeuse, il sait aussi à l'occasion faire valoir ses droits. Dans plusieurs circonstances, il refuse formellement de continuer la course, quand il croit à tort ou à raison que son engagement est expiré ou qu'il redoute les dangers d'une croisière mal préparée [Note : Rapports des capitaines St-S. pour La Biscayenne, p. 10 ; pour Le Brestois, p. 26 ; pour l'Edouard, p 31. Voir aussi P. j, n° 29, Procès-verbal du capitaine du Furet].
Parfois quelques marins obtiennent du capitaine l'autorisation de débarquer au cours de la campagne. Dans ce cas ils renoncent évidemment à toute part de prises. Ils ne manquent presque jamais d'ailleurs de réclamer plus tard — toujours en vain — directement ou par quelqu'un de leur famille auprès de l'Inscription maritime [Note : Corresp. minist. Lettre de Gaude, 15 juin 1811].
(abbé F. Robidou).
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