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LES DERNIERS CORSAIRES MALOUINS : L'ÉQUIPAGE |
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Tout en activant
l'équipement du corsaire et avant même de demander une « Lettre de Marque » qu'il a
la certitude morale d'obtenir, le négociant malouin s'occupe de recruter un
équipage. Celui-ci comprend l'état-major, la mestrance et l'équipage proprement
dit, composé de matelots, volontaires, surnuméraires et mousses.
L'ETAT-MAJOR.
En premier lieu vient le capitaine. C'est une perle précieuse que l'armateur met tous ses soins à découvrir et sait défendre contre les convoitises des concurrents. Cet officier supérieur a une réelle autorité et sait au besoin se faire respecter. Robert Surcouf mécontent de Potier lui écrit : « Je vous observe que quand vous voudrez être totalement le maître d'un navire, il faudra l'armer pour votre compte ». Celui-ci répond poste pour poste : « Je mène votre corsaire à Mélus et je me rends avec mes papiers à Paimpol. Là j'attendrai mon remplaçant et lui remettrai toutes les indications concernant votre navire ».
En effet, la réputation et le caractère du capitaine facilitent beaucoup le recrutement de l'équipage et assurent le bon ordre à bord. Durant la campagne, le succès dépend presque toujours de son initiative, de sa prudence, de sa bravoure, de son audace. Une heureuse manoeuvre peut décider d'une prise ou sauver le bâtiment. Il connaît les bons parages et dans les circonstances périlleuses, il tient lui-même la barre du gouvernail ou entraîne les hommes à l'abordage.
Presque tous les capitaines ont servi durant les courses précédentes dans l'état-major de quelque bâtiment. D'après le Règlement, ils doivent posséder un diplôme toutes les fois qu'ils ont à commander un navire dépassant 50 tonneaux. D'ordinaire ce sont dés certificats d'officiers du commerce : capitaines au long-cours et au cabotage, ou de l'Etat : chefs de timonnerie, enseignes, etc. En l'an VI, plusieurs passent l'examen devant M. Le Cerf assisté de trois délégués du gouvernement [Note : Angenard passa son examen de capitaine au long cours à l'Ile de France, en 1805. Après 1814, on le fait se présenter pour un nouvel examen à Dunkerque. Il échoue. « Je me mis à étudier en 1816 et fus assez heureux pour réussir la seconde fois ». Annales de Bretagne, VI-378. — L'ortographe des capitaines, si l'on en juge par leurs rapports, laisse fort à désirer Ils n'en sont pas moins d'excellents marins]. Le ministre accorde aussi de temps en temps de courtes permissions, suffisantes pour une campagne, à des officiers de marine en activité, connus pour leur chance et leur capacité : Légué, Pagelet sont de ce nombre. C'est toujours sur la demande de quelque armateur influent et quand les besoins du service le permettent. Mais la seule qualité essentiellement requise est l'expérience. L'arrêté du 2 prairial an XI, art. 18-3, exigé seulement les conditions suivantes : « Les capitaines désignés pour commander des corsaires seront tenus de produire des certificats sur leur conduite et leurs talents, de la part des officiers sous les ordres desquels ils auront servi ou des armateurs, qui les auront déjà employés ». Plusieurs fois, d'excellents marins sans diplôme comme Dupont et Godefroy La Truite obtiennent avec une autorisation officielle le commandement de navires importants.
En demandant une Lettre de Marque pour un corsaire, le Commissaire de marine renseigne toujours ses supérieurs sur la moralité et la capacité du capitaine. Il écrit par exemple au Ministre le 10 frimaire an XIV : « Les capitaines proposés sont en général d'excellents marins. Votre Excellence distinguera particulièrement les sieurs :
Dupont, membre de la Légion d'honneur, heureux et bon marin, ayant toujours fait la course avec succès, quelquefois avec gloire ;
Toussaint Quemper, ayant servi comme lieutenant de vaisseau, blessé dans un combat où il força un ennemi très supérieur de l'abandonner, homme dont la sévère probité et l'honneur sont garantis par la voix publique et confirmés par l'opinion prononcée des plus honnêtes gens de ce pays ;
Alexandre Legrand, enseigne au service de l'Etat, qui commandant le corsaire Le Courageux armé seulement de 4 petits canons et d'une caronade réduisit et amarina après un combat de 2 heures un bâtiment ennemi portant 16 canons ;
Le Sr Morin qui, dans la guerre de 78, se distingua dans divers combats et fit beaucoup de prises.
Les autres, quoique n'ayant point en leur faveur des actions d'éclat, sont réputés cependant comme capables de commander des corsaires et l'on peut présumer que l'intérêt des armateurs ne s'est point mépris dans le choix qu'il en a fait » [Note : P. j. n° 1. Lettre du commissaire, 10 frimaire an XIV].
« Ce marin — Brebel — lisons-nous dans une autre lettre du 6 nov. 1807 — n'était pas moins honnête homme que brave. Il faisait la guerre plutôt en militaire qu'en corsaire » [Note : Corr. min., St-Serv.].
Les capitaines les plus célèbres de cette période sont, d'après Napoléon Gallois qui leur a consacré une courte notice dans son ouvrage sur la course en France durant les guerres de la République et de l'Empire [Note : Napoléon GALLOIS, op. cit., p. 306. — Pour l'histoire de J.-M. Cochet et de L. Quoniam, Voir E. FABRE, op. cit., p. 225 et suiv.] :
Cochet (J.-M.).
Débon (Jacques).
Garnier.
Hénon.
Herbert (Jean).
Legonidec (Nicolas).
Lenouvel (Malo).
Leroux.
Proder Niquet.
Pagelet
(Michel).
Potier.
Rosse (René).
Le Valton (J.-B.).
On peut y joindre Guillaume-Marie Angenard dont M. Delaunay a publié, les Mémoires dans les Annales de Bretagne, t. VI et VII. Il sera d'ailleurs facile de voir, en consultant les Tableaux d'armement et les Pièces justificatives, quels furent les marins du pays les mieux partagés par la gloire et la fortune en commandant des corsaires malouins. Il suffit de citer les Gautier, les Guidelou, les Légué, les Basset, les Verron, les Fromy, les Daguenet, les Rogerie, les Capel, etc. [Note : Il n'est point ici naturellement question des capitaines malouins partis de l'Ile de France pour faire la course aux Indes : Le Même, Bouvet, Robert Surcout. Ce dernier, ainsi que son frère Auguste, n'a commandé qu'un seul bâtiment sorti de Saint-Malo].
Plusieurs parmi ces capitaines sont les descendants directs des familles acadiennes déportées par les Anglais en 1755 sur la côte bretonne. Ainsi par exemple, René Rosse, Auguste Blanchard, Th. Leblanc, Pierre Cormier [Note : LEMOINE et BOURDE DE LA ROGERIE, op. cit., p. 65]. Les De Bon sont originaires de Saint-Pierre et Miquelon.
Le capitaine a sous ses ordres un nombre relativement considérable d'officiers : seconds capitaines, premiers et seconds lieutenants, enseignes. Cette particularité s'explique aisément par la nécessité de mettre à bord des prises faites sur l'ennemi un Etat-Major capable de les conduire en lieu sûr. Souvent l'armateur y fait entrer ses parents, amis ou protégés, car pour tous ces postes le nombre des parts est très élevé. Parfois il ne considère pas suffisamment les qualités professionnelles des candidats. Ainsi sur le Dinannais, deux enseignes, Jacques Daulant et Louis Letournel se montrent incapables de remplir les fonctions pour lesquelles ils sont engagés [Note : Voir P. j. n°. 10. Rôle d'équipage et Règlement de parts du Dinannais]. Certains lieutenants sont très recherchés des armateurs. Angenard pose les conditions suivantes à Amiel et Thomazeau avant de s'embarquer sur la Miquelonnaise, capitaine Prader-Niquet : « Il serait libre de débarquer à son gré, aurait 12 parts pour lui et son fils âgé de 11 ans, plus 1/2 % sur le net des ventes et 1/2 % sur le produit brut de la prise dont il serait conducteur » [Note : Annales de Bret., VII-197. Le tout, joint aux gratifications des armateurs, donna 34.000 fr., gagnés en 25 jours de mer].
Il y a aussi d'ordinaire à bord un comptable chargé de représenter l'armateur pour tout ce qui touche à la nourriture, aux réparations, aux avances tant sur le navire que lors des relâches. Il faut également au moins un chirurgien sur tous les bâtiments portant plus de 15 hommes. Il cumule d'ailleurs presque toujours cette fonction avec celle de lieutenant en premier ou en second [Note : Rôle d'équipage du Dinannais, P. j. n° 10. — Sur la Malouine, an V, le chirurgien est en même temps écrivain. — Le poste d'écrivain est souvent donné à un jeune fils ou parent du capitaine]. Le célèbre malouin Broussais servit ainsi quelque temps à bord du Bougainville.
Un officier sachant l'anglais sert au besoin d'interprète.
LA MESTRANCE.
Constitue l'élite de l'équipage. Elle est aussi très nombreuse. Les inscrits maritimes peuvent y entrer en nombre illimité. Les armateurs en profitent souvent pour tourner l'une des plus graves difficultés du Règlement qui limite ou même interdit complètement leur présence parmi les simples matelots du corsaire. Le Ministre de la marine intervient plusieurs fois et avec vigueur pour combattre cet abus. Il recommande à ses subordonnés de veiller scrupuleusement à ce qu'aucun marin n'y soit compris s'il ne possède réellement et avec preuves à l'appui la qualité de « maître » sur un bâtiment de l'Etat et s'il n'est désigné comme tel aux rôles de « l'Inscription Maritime » [Note : Lettre du Ministre au Préfet maritime de Brest, 13 messidor an XI, communiquée au Commissaire de St-S. ].
Les officiers mariniers qui composent la « mestrance » se divisent en maîtres canonniers, voiliers, calfats, maîtres d'équipage et maîtres d'armes. Il n'est pas rare de les voir former 1/3 du total de l'équipage [Note : P. j. n° .10. Rôle d'équipage du Dinannais.].
L'EQUIPAGE.
Parmi les membres de l'équipage les Rôles distinguent ordinairement matelots, volontaires, novices, mousses [Note : La proportion des mousses et novices est considérable, relativement au reste de l'équipage. P. j. n° 10, Le Dinannais] et surnuméraires. Ces derniers sont le cuisinier et si l'importance du bâtiment l'exige le maître-coq.
Des prescriptions rigoureuses fixent, nous l'avons déjà dit, le nombre des inscrits autorisés à prendre du service sur chaque corsaire. Leur proportion ne doit pas dépasser 1/6, selon le Règlement du 31 janvier 1793 et même 1/8, d'après l'arrêté du 2 prairial an XI.
L'autorité supérieure rappelle fréquemment les termes de la loi. « Il ne sera embarqué à bord des corsaires aucun homme classé au-dessous du grade de contre-maître (23 fruct. an VI — Hors de l'Etat-Major et de la Mestrance nul inscrit maritime ne doit être admis à bord des corsaires (5 et 30 Véndém. an VII) ». De son côté le Commissaire écrit : « Il ne sortira ainsi que vous le prescrivez aucun corsaire, sans que l'équipage ait été passé en revue et, s'il s'y trouvait des marins qui ne fissent pas partie de l’Etal-major ou de la Mestrance, ils seraient débarqués et destinés pour les frégates en armement (28 frim. an VIII) ».
Un embargo général du 22 juin 1793 donne pourtant, sur 207 hommes présents à bord et prêts à partir pour la course, 67 officiers et marins. Des mesures analogues furent prises sans beaucoup plus de succès en l'an VI et le 17 brumaire an VIII.
L'embarquement des inscrits devient plus difficile pour ne pas dire impossible depuis 1803 jusqu'au désarmement de la flotille de Boulogne et même plus tard.
Le 13 messidor an XI le Ministre écrit au Préfet maritime de Brest : « Il convient, lorsque vous jugerez que les armements particuliers pourraient nuire à ceux de l'Etat, que vous recommandiez aux administrateurs qui vous sont subordonnés d'écarter sous divers prétextes les demandes de Lettres de Marques ». Des autorisations particulières sont bien données à des armateurs influents ; pour le Duguay-Trouin, par exemple ou le Général Perignon ; mais , elles sont rares et s'appliquent presque toujours aux expéditions en guerre et marchandises. « J'ai, lieu de croire, Monseigneur, écrit le Commissaire, que ces armements (il s'agit de 13 corsaires) n'enlèveront aucun homme utile à ceux de l'Etat, si des précautions analogues à celles que j'ai prises sont observées dans tous les ports où les corsaires relâchent (12 nov. 1806). — Les corsaires ne donneront rien ou presque rien. La sévérité qu'on a mise dans la composition de leur équipage, ne leur a permis d'employer que des hommes hors d'âge ou des novices à leur permière campagne (27 mars 1809) ». Le faible contingent des matelots de la circonscription est en effet insuffisant pour les besoins du service national. L'administrateur de la Marine s'en plaint toutes les fois qu'on arme à Saint-Servan une nouvelle frégate [Note : En avril 1784, le relevé des gens de mer fournis par le quartier de Saint-Malo donnait un chiffre de 6.649 inscrits, qui se subdivisait ainsi : 3.146 marins au service de l'Etat, 1.898 au long cours où à la pêche, 96 au cabotage, 664 à terre et non embarqués, 665 absents ou sans nouvelles (CUNAT dans OGÉE, Dict. hist. de Bret., II, 813). — Durant la Révolution et l'Empire, les levées continuelles pour les armées de terre ou de mer diminuent considérablement le nombre des marins de commerce encore disponibles (V. CUNAT, op. cit., p. 819). En 1797, il n'y a plus que 4.764 inscrits, dont 1.295 prisonniers].
Les inscrits, préfèrent cependant beaucoup les risques de la course au service de l'Etat. Souvent ils se cachent et mettent tout en œuvre pour se soustraire aux levées jusqu'à ce qu'ils aient perdu tout espoir de faire la campagne. Quelques-uns n'hésitent même pas à déserter.
A l'époque du grand départ, on est obligé de consigner à bord les équipages de la flotte pour empêcher ces désertions. « A l'instant même où un corsaire vient de lever l'ancre, le commandant du stationnaire, un officier de la frégate l'Italienne et un commis de l'Inscription maritime se rendent à bord, accompagnés de deux gendarmes. On fait l'appel de l'équipage et les gendarmes exécutent les perquisitions que les officiers jugent bon d'ordonner. Si pour une raison quelconque, le départ du corsaire est retardé, il subit une seconde visite » écrit le Commissaire à son chef le 12 novembre 1806. Parfois même, on fait escorter les bâtiments jusqu'à 6 ou 8 lieues en mer pour empêcher l'embarquement des déserteurs le long de la côte depuis le cap Fréhel jusqu'au Grouin. C'était en effet, paraît-il, une manœuvre assez fréquente pour tromper la police [Note : Corr. min. 22 frim, an VIII, St-S.]. De nombreuses revues sont faites en outre à l'improviste dans les différents ports où les corsaires ont l'habitude de relâcher [Note : P.-j. n° 12. Précautions contre déserteurs].
Malgré ce luxe de précautions, les désertions ne sont pas rares. L'obligation où se trouve l'autorité de renouveler les défenses et les pénalités contre le délit d'embauchage, le prouve suffisamment [Note : Corr. min. 22 frim. an VI et Circulaire de Bruix]. Les armateurs, quand ils peuvent le faire sans danger, n'ont aucun scrupule d'attirer sur leurs navires les matelots et les soldats capables. Il arrive assez souvent que sur les rôles présentés par eux, le Commissaire trouve des individus qu'il recherchait depuis longtemps [Note : Corr. min. 15 brum. an XIII, St-S.]. Les ruses les mieux combinées sont employées pour échapper lors de la visite aux officiers et aux gendarmes. Un invalide par exemple prête son nom et se présente à la place du vrai matelot. Ce dernier reste caché jusqu'à la dernière minute qui précède le départ et trouve toujours le moyen de rejoindre son bord [Note : P. j. n° 13 Découverte d'un déserteur à bord du Coursier (1810)]. Aussi les cas de flagrant délit sont-ils rarement constatés. Le capitaine du Furet fut en l'an V destitué de son commandement pour un fait de ce genre [Note : Archives municipales de Saint-Malo, LL. 157, F4]. Dans ses Mémoires, Angenard mentionne la présence à bord de l'Aventurier (an IX) de 12 déserteurs de la frégate la Didon embarqués clandestinement à Cancale. Ils se dénoncèrent eux-mêmes pour ne pas être obligés de continuer la course sur un mauvais bâtiment. Il ne fut d'ailleurs pas donné suite au rapport du commandant de la canonnière de Perros qui les avait fait emprisonner [Note : P. j. n° 28. Mutinerie à bord d'un corsaire]. En 1809, le Harpalos embarque trois marins de l'Etat auxquels l'armateur et le capitaine avaient fourni de faux papiers [Note : Corr. min. 12 avril 1809, St-S.]. La Lettre de Marque du corsaire fut annulée. En réalité la loi dut être assez souvent violée. D'après une Liquidation générale de 1825, quatre matelots inscrits sur le rôle du Courageux (4ème course 1812) réclament des parts de prise, alors qu'ils n'auraient fourni que leurs noms à des camarades en quête d'état civil [Note : Liquid. générale du Courageux, 1825].
Pourtant les pénalités portées contre le délit d'embauchage : retrait de la lettre de marque, amende et même emprisonnement pour le coupable et ses complices [Note : Arrêtés du 3 germinal et 1er floréal an XII. — Une décision du 12 avril 1812 porte l'amende infligée pour chaque déserteur à 3.000 fr. — 1.000 fr. sont réclamés pour tout homme embarqué sous un faux nom ou sans être présenté à l'Inscription maritime] étaient bien de nature à faire réfléchir les armateurs et les capitaines les moins scrupuleux sous ce rapport. C'est donc ailleurs qu'ils doivent aller chercher les volontaires indispensables pour composer un équipage.
Ils enrôlent tout d'abord les marins non classés, tels que novices à leur première campagne ou invalides rayés des cadres, soit à cause de leur âge, soit pour une infirmité qui ne les empêche cependant pas de naviguer. « Il existe, écrit le Commissaire, une quantité considérable d'hommes de mer non classés, de déportés de Saint-Pierre et Miquelon [Note : Ces malheureux avaient, subi le même sort que les Acadiens en 1755] que la continuation de la guerre force à prendre parti sur les corsaires. Il est même à ma connaissance que plusieurs de ces individus se rendent dans les ports où il existe des corsaires en armement » (15 brumaire an XIII) [Note : A. CORRE. Un Corsaire brestois (Bulletin de la Société archéolog. du Finistère, t. XXII, 1895, p. 353) mentionne également le succès des racoleurs brestois à Saint-Malo]. « Les matricules de Dinan, Granville, Saint-Malo présentent plus de 2.500 individus qui ne sont plus susceptibles d'être appelés au service, soit à raison de blessures soit comme étant hors d'âge. Dans ce nombre 1/3 au moins peut encore naviguer et s'empressera de se jeter sur les corsaires » (10 frimaire an XIV). Ils s'embarquent en effet en grand nombre et par quartiers comme on peut le constater en consultant les rôles d'équipage [Note : Rôle d'équipage du Dinannais. P. j. n° 10].
Celle source n'est pas intarissable. Elle ne suffit pas au recrutement d'équipages relativement très nombreux. La force numérique est en effet pour le corsaire une des conditions essentielles du succès. Les armateurs se trouvent fréquemment dans l'embarras surtout à mesure que les guerres continuelles de Napoléon font une consommation d'hommes de plus en plus considérable. « Presque tous les hommes valides de nos quartiers sont depuis longtemps au service à Boulogne, à Anvers, dans les armées ; la plupart ont été enrégimentés. On ne nous renvoie que des malades ou des hommes hors service » écrit le Commissaire avec tristesse, le 27 mars 1809. Il faut donc avoir recours soit aux étrangers neutres, soit même aux prisonniers de guerre.
D'après le règlement du 21 septembre 1793, art. 2, l'Etat-major tout entier et les 3/4 au moins de l'équipage doivent être de nationalité française. Mais l'arrêté du 2 prairial an XI permet d'élever la proportion des étrangers jusqu'aux 2/5 de la totalité de l'équipage. Ce chiffre est d'ailleurs rarement atteint [Note : P. j. n° 9. Tableau de la course d'hiver, 1812].
Parmi les étrangers neutres, les uns ont été déposés à Saint-Malo par des bâtiments du commerce. C'est l'amour des aventures et l'espoir des parts de prise qui les attirent sur les corsaires. D'autres proviennent de bâtiments arrêtés en mer en prévention de fraude contre la loi. Abandonnés sur le port dans le plus grand dénuement après le terrissage, ils ne peuvent guère attendre dans l'oisiveté la fin du procès qui réglera le sort de leur navire. Dans l'incertitude du résultat final de la procédure engagée devant les tribunaux, ni leurs propres armateurs ni le propriétaire du bâtiment capteur ne veulent prendre à leur charge l'entretien de ces marins [Note : Corr. min. 9 mai 1808, St-S. — Voir égal. A. N., BB3 190, avril 1811, réclamation en faveur d'Américains dont le bâtiment a été repris par les Anglais]. Une lettre du ministre de Danemark, communiquée au Commissaire le 25 Messidor an VI déplore la triste situation dans laquelle gémissent plusieurs de ses malheureux concitoyens arrêtés de la sorte. Le 4 juillet 1808, par ordre supérieur, le capitaine du navire américain la Catherine, est autorisé à vendre une partie de la cargaison pour nourrir son équipage.
Aussi la plupart de ces étrangers acceptent-ils volontiers, afin d'échapper à la misère, les propositions des armateurs malouins. Le 10 frimaire an XIV, Gaude écrit à son chef : « Quelques-uns d'entre eux ont à leur disposition des étrangers. MM. Surcouf et La Vieuxville sont particulièrement dans ce cas. Le premier a engagé des hommes du Nord, le second dispose d'un assez grand nombre de matelots espagnols ».
Dix-neuf marins portugais frappés par l'embargo du 21 octobre
1807, sur les 27 présents à Saint-Malo, s'embarquent ainsi pour la course [Note
: Corr. min. décembre 1807].
A plus forte raison les neutres arrêtés sur les navires anglais et qu'une
décision du 20 germinal an XII autorise à traiter comme prisonniers de guerre,
n'hésitent-ils guère à prendre du service sur les corsaires. A chaque instant
l'on rencontre dans la correspondance du Commissaire des notes dans le genre de
celle-ci : « Outre les 35 prisonniers anglais conduits dans les dépôts de
l'intérieur, le Saratu et le San Joseph ont débarqué dans ce port des neutres
de diverses nations, des italiens et un juif se disant sujet du roi du Maroc.
Les individus neutres sur lesquels il n'y avait aucun doute à élever ayant
demandé à prendre parti sur les corsaires français ont été répartis d'après leur
choix et le consentement des agents de leur nation sur le Saratu, le San Joseph
et le Spéculateur. Les armateurs ont souscrit l'obligation de représenter ces
individus une fois la course terminée. Quant au juif se disant marocain et qui
en effet paraît être de cette nation, ne connaissant pas l'état actuel des
relations, entre le Maroc et la France, j'ai pris le parti de le conserver ici
jusqu'à nouvel ordre » (2 février 1809).
Les neutres ne suffisent pas toujours pour combler les vides des équipages. Les armateurs demandent alors et obtiennent l'autorisation de prendre parmi les prisonniers de guerre, dans les dépôts de l'intérieur, les hommes dont ils peuvent avoir besoin. Pour la campagne 1808-1809 un grand nombre d'étrangers viennent du dépôt de Rennes [Note : Corr. min. 30 oct. 1808, St-S.]. En 1812 Thomazeau engage 60 marins portugais ou espagnols, tirés pour la plupart d'Auxerre. Potier en embarque 10 sur le Furet [Note : Corr. min. 11 août et 13 juillet 1812]. L'année suivante Harembert en choisit 23 du même dépôt pour le Revenant ; Lachambre 25 pour l'Inconnu. Le dernier corsaire armé, le Renard, armateur Robert Surcouf, en compte 24 à bord [Note : Pour le Dinannais et armements d'hiver, 1812. V. P. j. nos 9 et 10].
Le Préfet Maritime défend d'enrôler directement sur les corsaires les marins capturés sur les vaisseaux ennemis. Il faut régulièrement s'adresser aux dépôts [Note : Correspondance du sous-commissaire de Lannion, 29 oct. 1810]. Cependant les portugais du Renard se battent admirablement pour l'armateur du bâtiment qui les a capturés [Note : SURCOUF. Histoire de R. Surcouf, p. 439]. Les mieux disposés pour les Anglais parmi ces étrangers ne se font d'ailleurs aucun scrupule d'accepter un engagement sur les corsaires : ils ont toujours la ressource de déserter à la première occasion favorable. Des 28 espagnols embarqués sur le Rôdeur en 1813, neuf quittent ce navire dans la rade même de Saint-Malo, la nuit du 13 au 14 décembre ; quatre autres ainsi que deux portugais disparaissent à Dielette. Les répartitions de parts, de prise comprennent toujours un certain nombre d'absents en majeure partie étrangers [Note : P. j. n° 10. Rôle d'équipage, etc., du Dinannais]. Dans une circulaire du 14 septembre 1813 le Ministre de la marine doit défendre certains abus dans le choix de ces prisonniers de guerre. Il signale en particulier l'enrôlement comme simples matelots d'officiers du commerce qui profitent de la première relâche pour s'enfuir.
Avant d'introduire des étrangers sur son corsaire, l'armateur doit présenter au Commissaire un engagement volontaire signé par eux et visé par la police. Il s'engage personnellement à les entretenir, à les faire observer toutes les lois sur la course et à les remettre une fois la campagne terminée entre les mains de la force publique, au lieu que le gouvernement aura désigné. On trouve aux Archives de la Marine à Saint-Servan, pour une assez courte période, le registre d'engagement de ces marins étrangers. Il comprend surtout des Américains, des Portugais, des Espagnols et des gens du Nord.
Le capitaine profite au besoin de ses relâches dans les ports neutres pour remplacer les hommes qui lui manquent surtout quand il a fait des prises. Le 25 messidor an V, Fouché se plaint vivement des abus de l'embauchage pratiqué sans aucun discernement en territoire étranger [Note : Pratiquement, pour les corsaires malouins, il ne s'agit guère que des ports espagnols (Voir ch. II, p. 46, au paragraphe : Parages fréquentés par les corsaires)]. En effet avec un certificat de service à bord d'un corsaire, un règlement de parts de prises, les consuls donnent toujours un sauf-conduit pour rentrer en France. Ce sont là des procédés dangereux pour la paix intérieure du pays et que les agents du gouvernement devront désormais sévèrement interdire. A partir du consulat, la police se montre moins exigeante. Le Dinannais (an XI) embarque 11 remplaçants à La Corogne, 4 à Vigo [Note : P. j. n° 10. Rôle d'équipage du Dinannais].
L'engagement de l'équipage pour les marins français se fait ordinairement devant notaire. Sauf exceptions il est toujours de 60 jours pleins [Note : P. j. n° 15. Certificat d'engagement devant notaire. — Pour un engagement de 20 jours, Voir FABRE, op. cit., p. 257, l'Audacieuse, an V. L'engagement part du moment où le navire passe le cap Fréhel. Glaneur, p. 382].
Bertrand Robidou décrit en ces termes l'uniforme des volontaires corsaires partis de Saint-Malo les 1er et 2 février 1789 à l'appel des délégués de Rennes pour « aider leurs frères à faire rentrer dans le devoir les maîtres et les valets ». — « Ces auxiliaires étaient au nombre de 250, vêtus en uniforme de volontaires corsaires, chapeau rond, veste et longue culotte bleues, hache d'abordage, en bandoulière, mousquets au bras et pistolets à la ceinture » [Note : Bertrand ROBIDOU, op. cit., p. 264]. En réalité, s'ils sont toujours bien armés, un grand nombre de ces marins s'embarquent dans le plus grand dénuement. L'armateur est souvent obligé de leur avancer, en plus de la « conduite » jusqu'au lieu du départ, les sommes nécessaires pour acheter les effets les plus indispensables. Il doit aussi payer leurs derniers jours de pension à terre quand ils n'ont pu obtenir crédit de leur hôtesse en spéculant sur les parts de prises [Note : P. j. n° 86, Billet souscrit par un marin à sa logeuse]. Rien de plus fruste que le coffre d'un de ces marins si l'on en juge par l'inventaire des effets de deux d'entre eux, décédés au cours de la campagne [Note : P. j. n° 14. Inventaire des effets de deux marins décédés. — V. aussi n° 10. Rôle d'équipage, etc., du Dinannais]. La vente des hardes d'Yves Lemanchot mort an X à bord de l'Heureuse Espérance produisit tout juste la somme de 6 fr. 15.
Les avances faites par l'armateur au moment du départ sont en effet — si l'on excepte le capitaine et son Etat-major — des plus minimes. Elles n'atteignent certainement pas 100 francs en moyenne et restent souvent au-dessous de ce chiffre (4). L'équipage du Patriote (an IV) reçoit en tout 500 francs. Pour le Général Pérignon 3ème course (1806) les 94 hommes ont à se partager 4.000 francs [Note : Pour le montant des Avances, V. Tableau des armements, I, an VII]. Souvent d'ailleurs les sommes avancées de la sorte sont employées tout autrement qu'à la préparation d'une campagne dont nul ne peut prévoir l'issue.
Comme il est assez difficile de recruter un bon équipage, les armateurs ne s'en séparent pas volontiers. Ils le nourrissent parfois d'une croisière à l'autre afin de l'avoir toujours sous la main.
Le tableau suivant permettra de se faire une idée du nombre d'hommes généralement employés à bord des corsaires malouins. Sur 295 armements contrôlés on trouve :
Jusqu'à 20 hommes d'équipage …… 1793 an IX : 29 ; An XI-1814 : 5.
De 20 à 50 hommes …… 1793 an
IX : 47 ; An XI-1814 : 73.
De 50 à 100
hommes …… 1793 an IX : 35 ; An XI-1814 : 79.
Au dessus de 100 hommes ……
1793 an IX : 12 ; An XI-1814 : 21.
A partir de l'an XI, on le voit, conformément aux prescriptions ministérielles, les équipages deviennent plus nombreux. Mais durant toute cette période, la moyenne des présences à bord oscille entre 40 et 70 marins ou combattants.
(abbé F. Robidou).
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