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LES DERNIERS CORSAIRES MALOUINS : LA LETTRE DE MARQUE |
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Tout en activant les préparatifs du départ, parfois même avant de rien entreprendre, l'armateur sollicite du Gouvernement l'envoi d'une « Lettre de Marque ». C'est l'autorisation officielle de courir sus à tous les ennemis de l'Etat et de les capturer. Elle fait en réalité du corsaire selon l'expression anglaise un « private ship of war ». Cette pièce est naturellement indispensable pour établir la validité d'une prise [Note : Les prises faites sans lettre de marque par Surcouf sur l'Emilie furent confisquées par le gouvernement français et restituées plus tard par un décret du Directoire. — Voir A. N., ADVII 43, 2 mémoires très intéressants à cet égard]. C'est grâce à elle aussi que les hommes de l'équipage, au cas trop fréquent où ils ont le malheur de tomber au pouvoir de l'ennemi, ne sont pas traités comme pirates ou forbans, c'est-à-dire pendus haut et court, sans autre forme de procès, aux vergues de leur navire.
En 1793, l'Angleterre ne reconnaissant pas la Convention comme gouvernement légitime, émit la prétention de juger comme nulles et non avenues toutes « Lettres de Marques » accordées par ses représentants. Mais cette menace ne fut jamais exécutée [Note : DE PISTOYE, op. cit., p. 161].
Parmi les autorisations de faire la guerre qui sont accordées à de simples particuliers, il faut tout d'abord distinguer deux catégories : les « expéditions en guerre et marchandises » et les « armements en course ».
L'Aventurier ou « Lettre de Marque » est un bâtiment armé en « guerre et marchandises » qui s'expose sans escorte aux hasards d'un voyage de spéculations commerciales, en se réservant de profiter de toutes les occasions pour augmenter ses bénéfices par le produit des prises qu'il pourra faire.
De pareils voyages exigent naturellement des bâtiments d'un assez fort tonnage. Mais un équipage relativement faible suffit, car la lutte avec l'ennemi n'est que le but secondaire de l'entreprise.
A plusieurs reprises [Note : Le 11 fructidor an VI, le Ministre de la Marine demande déjà au Commissaire des renseignements confidentiels sur la vitesse et la solidité des bâtiments. Il veut savoir s'il est possible de les armer pour les colonies, d'y mettre des passagers et des soldats] sous le Consulat et l'Empire le gouvernement essaya de favoriser les expéditions de ce genre vers nos colonies, surtout vers les Antilles. On y ressentait alors, en effet, le plus urgent besoin d'objets de première nécessité tels que produits alimentaires.
Mais la condition précaire de nos possessions d'outremer [Note : Haïti est enlevé à la France à la suite de la Révolte des Noirs (1790). La Guadeloupe et La Martinique bloquées ou prises par les Anglais. L'île de France et l'île Bourbon définitivement occupées depuis 1810], les dangers d'un aussi long voyage au milieu des flottes ennemies [Note : Voir A. N., lettres de Decrès, 12 janvier 1807-26 mai 1807. — AFIV, 1197, marque, 4 therm. an V). — Voir A. N., ADVII 43, loi du 23 therm. an III], les sommes considérables à risquer empêchent la plupart des négociants malouins de se livrer à ce genre de spéculation. Une lettre du Commissaire Bleschamps au Ministre de la marine (29 pluviôse an VIII) résume assez bien leurs principales objections : « Il n'existe point ou du moins très peu de bâtiments à Port-Malo qui soient convenables pour de telles entreprises. Les marchandises essentiellement propres aux besoins actuels de nos colonies, comme farines, vins, salaisons, ne se tirent pas de ces contrées » [Note : P. j. n° 21. Lettre de Bleschamps au Ministre, 29 pluv. an VIII]. Les avantages consentis dans la suite par l'administration impériale aux « expéditions en guerre et marchandises » : Lettres de Marque d'une plus longue durée, intérêts pris par les « Parisiens » sur quelques bâtiments comme le Charles, ne produisent qu'un médiocre effet. Les armateurs de nouveau consultés répondent le 23 mai 1808 que pour ces sortes d'armement il faut beaucoup de réserve. On doit essayer d'abord avec quelques petits bâtiments, ne point imposer de transports forcés en hommes ou marchandises mais laisser aux négociants pleine liberté sur le choix du fret. De plus il est indispensable de permettre l'embarquement des marins inscrits et de supprimer les droits de douane et la saisie des marchandises prohibées [Note : Réponse de la Chambre de Commerce, de Saint-Malo transmise au Ministre, le 23 mai 1808, St-S.].
A plusieurs reprises, le Ministre en accordant une autorisation de ce genre envoie au capitaine des paquets de lettres et de journaux destinés aux autorités coloniales. Mais au dernier moment il y a contre-ordre de l'armateur. Le Commissaire doit retourner à Paris lettres et journaux et solliciter une « Lettre de course » pure et simple. C'est à peine si, durant ces vingt années de guerre, l'on trouve une quinzaine « d'aventuriers » réellement sortis du port, l'un en l'an VII, les autres de 1804 à 1810. Le résultat, souvent funeste des expéditions en « guerre et marchandises » permet d'ailleurs d'affirmer que les hésitations des commerçants malouins n'étaient pas sans fondement [Note : P. j. III. Tableau des armements en guerre et marchandises]. Cinq de ces bâtiments tombent aux mains des anglais, deux ne parviennent pas au but de leur voyage. Le Duguay-Trouin fait naufrage auprès d'Audierne et le Charles dans le port même de Saint-Malo. Les autres ne produisent que de médiocres bénéfices [Note : Voir P. j. n° 22. La cargaison de la Gazelle à son retour de l'Ile de France].
Les armateurs préfèrent de beaucoup les Lettres de Marque autorisant simplement la course, sans astreindre leurs navires à de lointains voyages. C'est une sorte de jeu où ils risquent assez peu, plusieurs fois, s'il le faut, avec chance de gagner beaucoup. Une seule prise heureuse peut en effet les indemniser largement de deux ou trois armements désastreux.
On peut affirmer que toutes les demandes adressées au Ministre furent favorablement accueillies. Sans doute le 29 pluviôse an VIII Bleschamps écrit à ses chefs : « Au lieu d'autoriser comme par le passé toutes les expéditions, il convient de n'accorder de « licences » qu'aux bâtiments qui par la quantité de vivres qu'ils prendraient, la force de leur artillerie, la vitesse de leur marche pourront- être employés à des expéditions éloignées, résister à l'ennemi ou échapper à sa poursuite ». Forfait n'en expédie pas moins, dès le 13 prairial an XI, aussitôt après la déclaration de guerre, des Lettres de Marque dans tous les ports où il était possible qu'il se fit des armements [Note : P. j. n° 4. Lettre de Forfait au Commissaire, 13 prairial an XI]. Peut-être exige-t-on de la part des armateurs des garanties plus sérieuses que durant la période révolutionnaire. Le Commissaire indique toujoui's leurs états de service et le Ministre lui-même en tient compte, « Par l'audace et le succès de ses entreprises durant la dernière guerre, écrit-il par exemple à propos de Robert Surcouf, il a mérité des faveurs et des encouragements particuliers. Sur sa seule réputation j'ai dû lui accorder la Lettre de Marque qu'il a sollicitée » [Note : P. j. n° 5. Lettre du Ministre au Commissaire, 22 messidor an XI]. Mais il n'existe pas un seul exemple qu'une demande de ce genre ait été rejetée. Le 9 juillet 1810 le Commissaire renvoie même à Paris sept licences dont il n'a pu trouver le placement. Delorme-Villedaulé en reçoit deux pour sa part [Note : Corresp. min., 1810, St-S. ].
Parfois cependant l'on trouve dans les Liquidations générales certaines sommes destinées à couvrir les frais d'un voyage à Paris pour « appuyer la demande d'une lettre de marque ou hâter son envoi ». Duchesne et Pintedevin y envoient un officier de l’Ambitieux, les courriers étant souvent arrêtés par les chouans. En l'an XIII Thomazeau séjourne aussi quelque temps dans la capitale aux frais des intéressés à l'armement du Malouin.
Toutes les demandes doivent être transmises par le Commissaire de marine « juge le plus compétent de la solvabilité des cautions » [Note : Arrêtés du 23 therm. an III et du 2 prair. an XI]. Le Préfet maritime de Brest centralise de son côté toutes celles qui viennent des différents ports de l'arrondissement [Note : Corresp. min., an XI, St-S.]. Pourtant le 7 septembre 1807, plusieurs prolongations sont expédiées directement de Paris [Note : Registre d'enregistrement des Lettres de marque].
Les Lettres de Marque sont accordées selon les époques au nom du Conseil exécutif provisoire, du Gouvernement de la République, de Napoléon Ier empereur, par le Ministre de la marine et des colonies. Celles de 1793 portent en outre la signature des Administrateurs Syndics du district de Saint-Malo [Note : P. j. n° 17. Lettre de marque de la Républicaine, 1793].
Le capitaine en est le seul titulaire. Son remplacement au cours de la campagne par un officier étranger à l'équipage est une circonstance qui peut faire annuler les prises. C'est l'un des motifs invoqués contre les capteurs par les armateurs du Salomon et Betty (an VII) [Note : Jugement du tribunal de Port-Brieuc. P. j. n° 70]. Il y a un nouvel enregistrement pour le Téméraire (11 prairial an V) lorsque Etienne Ladure embarque à la place de Nicolas L'Hôtellier. Par contre, si l'armateur cède son navire à un autre, la Lettre de marque conserve toute sa valeur. C'est le cas pour l’Espérance (an V), la Surprise (an VI), l'Ajax (an VIII).
La Lettre de Marque rappelle les lois les plus importantes sur la course : 31 janvier 1793, 23 thermidor an III, 2 prairial an XI et en particulier celle qui oblige le capitaine, seul responsable, à fournir une caution en argent ou garanties pour couvrir au besoin les amendes provenant des infractions à la police maritime et des torts injustement causés aux neutres.
Durant la période révolutionnaire cette caution est ordinairement [Note : J.-B. Renou cautionne pourtant Aimable Clerault, armateur du Vengeur, pour une somme de 50.000 livres (Registre d'enregistrement des Lettres de marque, 4 therm. an V)] fixée à 15.000 livres et doit être fournie par les armateurs. Cette somme était le plus souvent insuffisante pour réparer les préjudices causés aux étrangers par les corsaires français. Les américains surtout eurent à s'en plaindre de 1793 jusqu'à l'an VIII, et usèrent souvent de représailles. Sans être en état de guerre déclarée les deux nations pouvaient être considérées comme dans un état constant d'hostilités réciproques [Note : Ce sont les termes mêmes employés par les plénipotentiaires choisis pour négocier la convention]. Pour mettre fin à cette situation anormale, une convention passée entre les Etats-Unis et le Gouvernement de la République française, le 5 vendémiaire an IX, déclare : « Tous les capitaines de corsaires devront s'engager, avant de recevoir leur commission, à donner une garantie au moins par deux cautions responsables, lesquelles n'auront aucun intérêt sur le dit corsaire et dont chacune s'engagera particulièrement et solidairement, ainsi que le capitaine, pour la somme de 7.000 dollars ou 36.820 francs qui serviront à réparer les torts ou dommages que les dits corsaires, leurs officiers, équipages ou quelqu'un d'eux auraient faits ou commis pendant leur croisière » [Note : Traité du 5 vendémiaire an IX]. En exécution de ce traité, Duchesne et Pintedeyin fournirent les premiers ce cautionnement pour leur corsaire le Petit Quinola, le 28 brumaire an IX. Cette clause fut maintenue par l'arrêté du 2 prairial an XI. Ainsi durant toute l'époque impériale la garantie reste fixée à 36.820 francs, sauf les cas très rares où l'équipage dépassant 150 hommes elle doit être doublée.
Les armateurs se servent réciproquement de cautions. Un manuscrit consacré à l'enregistrement de cette formalité existe à Saint-Servan et reproduit presque toujours les mêmes noms : Robert Surcouf pour Blaize, Lachambre pour Cudenec, Duchesne pour Thomazeau, Magon-Vieuxville pour Magon-Villehuchet, Fontan pour Kermel ou Coste, etc., et vice-versa.
Les Lettres de Marque sont ordinairement valables pour trois ou six mois, rarement davantage. Le ministre n'en donne de plus longues qu'à des armateurs influents comme Robert Surcouf ou pour les expéditions en « guerre et marchandises ». Pourtant en 1806 et 1807 il accorde par exception une prolongation générale à toutes celles qui se trouvaient sur le point d'expirer [Note : P. j. n° 23. Lettre de Gaude au Ministre, 11 avril 1806].
En les remettant aux capitaines, le Commissaire y joint un exemplaire des principaux règlements sur la course et plusieurs commissions de « conducteurs de prises ». C'est la copie de la Lettre de Marque, destinée aux officiers du corsaire qui pourront être chargés du terrisage des bâtiments capturés au cours de la croisière.
Toute transaction est rigoureusement interdite par la loi entre armateurs et capitaines d'une part et les propriétaires des navires amarinés de l'autre [Note : Voir pourtant P. j. nos 67 et 68 deux exemples de transactions de ce genre au détriment de l'équipage et des intéressés]. Il peut cependant se présenter des circonstances où la prise faite est trop insignifiante ou trop difficile à terrir. Dans ce cas les corsaires sont autorisés à « rançonner ». Mais ils ont besoin pour cela d'une autorisation spéciale et préalable que l'on désigne sous le nom de « Billet de rançon ». Avant son départ le capitaine en reçoit toujours plusieurs exemplaires. Cette formalité se continue même après l'an XI, alors que les tribunaux anglais ne reconnaissent plus la validité de ces transactions et punissent ceux de leurs nationaux qui les ont acceptées [Note : Le 6 janvier 1812, Blaize en demande 6 pour la Gazelle. Voir aux P. j. n° 20, Modèle, des billets de rançon. Un registre de billets ainsi remis aux capitaines existe à St-S.].
La Lettre de Marque et les autres pièces officielles ne sont remises aux armateurs qu'au moment où les préparatifs de la course sont à peu près terminés. Il reste une dernière formalité à remplir : celle de l'enregistrement de ces pièces au Commissariat de marine [Note : St-S. : Registre d'enregistrement des Lettres de marque et P. j. n° 18 un modèle pour le Duguay-Trouin, 1713]. Le capitaine fournit, à cette occasion un double de son rôle d'équipage et s'engage à déposer à son retour au bureau de l'Inscription maritime un rapport où seront consignés tous les événements du voyage. C'est alors seulement que le bâtiment peut quitter le port et commencer sa campagne.
(abbé F. Robidou).
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