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LES DERNIERS CORSAIRES MALOUINS : LES PRISONNIERS ANGLAIS |
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Les Prisonniers anglais des derniers corsaires malouins.
Tous les marins ou passagers de nationalité anglaise trouvés sur un bâtiment capturé sont naturellement considérés comme prisonniers de guerre. Il faut en excepter seulement ceux qui par leur âge ou leurs infirmités ne peuvent plus à aucun titre appartenir à l'armée.
La législation permet également de traiter comme prisonniers les matelots des puissances neutres embarqués sur des navires de commerce anglais [Note : Corresp. minist., 8 brum. an VII, St-S., et Règlement du 2 prairial an XI]. En pratique, on les autorise, nous l'avons déjà dit, à prendre du service sur les corsaires. Ils n'entrent pas en ligne de compte dans le calcul des gains et pertes en hommes pour les deux nations. Une lettre du Commissaire au Ministre, en date du 8 septembre 1808 spécifie de plus : « La balance des hommes est établie seulement sur les prisonniers anglais introduits dans les ports. On n'y a point fait figurer les équipages des navires portugais, espagnols et américains arrêtés en vertu des décrets sur le Blocus des Iles britanniques d'après lesquels on ne peut les considérer comme prisonniers ».
A différentes reprises, l'autorité supérieure dut intervenir pour obliger les capitaines à observer le Règlement qui ordonne de garder les prisonniers, sinon sur le bâtiment capturé, du moins sur le corsaire et à ne les renvoyer que dans des circonstances déterminées et toujours après leur avoir fait signer un billet d'échange. Dès l’an V le citoyen Charretié, commissaire français à Londres, observe que leur négligence sous ce rapport est une générosité mal placée et produit à notre préjudice une diminution sensible dans la balance des échanges [Note : St-S., Corr. min., 24 ventôse an V]. Deux ans plus tard le Ministre Bruix revient sur le même sujet. Il prescrit aux commissaires d'exiger des corsaires à leur rentrée au port, soit le nombre effectif d'hommes portés au rôle du bâtiment capturé, soit leur équivalent constitué par des certificats d'échanges autant que possible garantis par des pièces officielles. Ces échanges ne doivent avoir lieu que dans certains cas prévus d'avance, à savoir : Lorsque le nombre des prisonniers dépasse le tiers de l'équipage du corsaire et quand les vivres ou l'eau ne sont plus à bord en quantité suffisante. Dans ce cas, il faut garder au moins le capitaine et les principaux officiers du bâtiment capturé. Les contraventions seront punies d'une amende de 100 francs pour chaque prisonnier indûment relâché [Note : St-S., Corr. min., 23 frimaire an VII]. Le Règlement du 2 prairial an XI maintient cette obligation et fixe la teneur et les conditions des billets d'échange. Pour encourager les capitaines à l'observer fidèlement il accorde de plus une gratification de 40 francs par prisonnier anglais remis entre les mains de l'autorité compétente dans un port français [Note : Voir les art. 36, 37, 38 et supra, p. 128. — Cf. Pièces justif. N° 90. Etats pour gratifications, canons et prisonniers de guerre].
Malgré ces avantages, les corsaires préfèrent de beaucoup se débarrasser, quand ils le peuvent, de ces bouches inutiles. La présence d'ennemis à bord peut aussi présenter de graves inconvénients au moment d'un combat, à mesure surtout que l'équipage français diminué par suite de la nécessité de garnir les prises. Afin de ne point arrêter la croisière, les capitaines profitent donc de toutes les occasions qui se présentent pour les renvoyer en Angleterre après leur avoir fait signer le Billet d'échange exigé par l'autorité militaire, formalité que les marins capturés acceptent naturellement très volontiers. On les dépose ordinairement de gré ou de force sur des bâtiments neutres rencontrés ou sur une prise de peu de valeur qu'on a préalablement désarmée et mise dans l'impossibilité de faire une longue croisière. Souvent même on ne laisse à bord que l'eau et les vivres strictement indispensables jusqu'au port le plus voisin de la côte anglaise.
Les capitaines profitent de toutes leurs relâches pour remettre aux mains des Commissaires les prisonniers faits durant la sortie précédente. Bréhat, Perros, Roscoff, Morlaix, Brest sont les ports le plus souvent choisis pour cette opération. Il n'arrive donc qu'un assez petit nombre de marins anglais à Saint-Malo, principalement sur les corsaires qui viennent y désarmer à la fin de la croisière.
Le Commissaire de marine les interroge immédiatement et leur demande toujours s'ils ont été bien traités par les Français [Note : P. j. n° 91. Procès-verbal de l'Interrogatoire d'un prisonnier du Douro]. Sauf de très rares exceptions [Note : St-S., Corr. min., 17 août 1793. Plaintes du gouverneur de Guernesey pour brutalités qui auraient été commises par quelques marins français et aussi. Corr. min., 17 mess, an VI, et P. j. n° 72, Mémoire pour défense de la prise de la Junon, la Mary-Anna] ils rendent un témoignage favorable à l'humanité des officiers malouins. Gaude, parlant au Ministre du capitaine Botterel, déclare : « Dans les années précédentes, les nombreux prisonniers qu'il a introduits en France ont tous rendu témoignage des bons procédés et des égards dont ils lui étaient redevables » [Note : P. j. Corr. min., 5 nov. 1807]. Nous avons déjà vu que parfois, à la fin d'une campagne, un banquet réunit les Etats-majors du corsaire et des bâtiments capturés [Note : Voir supra, p. 115].
Quelques-uns des prisonniers anglais obtiennent le cautionnement. Ce sont les capitaines et officiers des navires ayant un tonnage suffisant [Note : Voir Copie de Lettre du sous-commissaire de Lannion, 19 oct. 1810. « Un capitaine anglais commandant un navire de 82 tonneaux a droit au, cautionnement »]. Ceux de Jersey trouvent à l'occasion des amis dans la région malouine. A bord du Conway, capturé le 17 mai 1793 par le Républicain de Morlaix, on découvrit des lettres de l'armateur Ahier à ses correspondants Bertin, négociant et Jenouf, employé de la douane, tous deux de Saint-Malo, pour leur demander d'avancer chacun 600 livres au capitaine Limpson au cas où son navire « aurait le malheur d'être pris » [Note : Archives de Morlaix, Tribunal de commerce, liasse 45, et P. j. n° 93. Une évasion de cinq anglais : L'opinion publique parle de connivence].
Mais la plupart sont enfermés à la Tour Solidor à Saint-Servan. Il y en a 80 en janvier 1809, 4 seulement en août, 5 en septembre, 6 en octobre et novembre, 13 en décembre. Ils sont 20 en janvier 1811, 36 en février [Note : St-S., Registre d'écrou du geôlier de la Tour Solidor et A. N., BB3, 338. Etablissement par Gaude d'un poste de 12 gardiens payés 2 francs par Jour pour remplacer les soldats de la marine rappelés à Brest, lettre de Gaude (15 juillet 1810)].
Le geôlier réclame pour eux 0 fr. 10 de gîte par jour et une ration. Cette ration est fixée par un Règlement [Note : P. j. n° 92. Ration quotidienne des prisonniers anglais] et semble très suffisante. A partir de l'an VIII, les réclamalions du Commissaire britannique et l'assurance que les officiers français jouissent de ce traitement en Angleterre déterminent le Ministre à faire payer une solde de 1 fr. 80 ou 1 fr. 70 selon le grade à tous les officiers et employés brevetés anglais enfermés dans la Tour [Note : St-S., Corr. min., 13 pluv. an VIII]. Mais alors ils ne touchent pas la ration.
Durant les premières années de la guerre, ce sont les gouvernements respectifs des prisonniers qui supportent les frais d'entretien de leurs nationaux [Note : St-S., Corr. min., 29 mars 1793. 20 francs par mois sont donnés à tous les prisonniers anglais, officiers ou matelots, et sans doute remboursés par le gouvernement anglais]. A partir du 1er nivôse an VIII la France et l'Angleterre s'engagent à prendre à leur change la nourriture des captifs faits par leurs marins. Toutefois les otages provenant des navires rançonnés doivent être entretenus par les armateurs [Note : Voir supra, 73].
Les évasions sont bien rares. Une curieuse lettre du Commissaire raconte cependant en détail la fuite de six anglais restés sur le donjon de la Tour après la promenade quotidienne. Ils réussirent à descendre par l'un des créneaux et à s'emparer du bateau de la douane qui les transporta sans doute à Jersey [Note : P. j. n° 93, Evasion de cinq anglais].
D'ailleurs les prisonniers ne restent pas longtemps à Solidor. On les expédie aussi vite que possible vers les dépôts de l'intérieur, d'abord Dinan [Note : Voir A. N, F2, 72, un très intéressant rapport sur le traitement des Anglais prisonniers aux tours et château de Dinan au XIIIème siècle] et Rennes, puis Saumur, Valenciennes, Gisors, Cambrai, Mézières, Arras et Lille. L'équipage de la Mary-Anna fut envoyé jusqu'à Longwy [Note : Voir A. N, F2, 72, un très intéressant rapport sur le traitement des Anglais prisonniers aux tours et château de Dinan au XIIIème siècle]. Quelques hommes essaient de s'évader durant le transfert, mais ils sont toujours repris à la côte. Trois réussirent ainsi à tromper leur escorte à Saint-Pierre-de-Plesguen en l'an VII. Deux furent arrêtés par la police aux environs de Dinan, le troisième par le passeur du bac de Dinard à Saint-Malo [Note : St-S., Corr. min., 17 prair. an VII].
Assez fréquemment des cartels d'échange permettent aux prisonniers anglais de retourner dans leur pays. Dès le 8 juillet 1893, Dalbarade pense à en renvoyer ainsi un certain nombre, mais il juge finalement cette mesure prématurée, le gouvernement de la République n'étant pas encore reconnu par les Belligérants [Note : St-S., Comm. min., 8 juin. 1793. Les premiers échanges se font uniquement par Morlaix]. En l'an V, le parlementaire l’Actif transporte plusieurs anglais à Guernesey [Note : St-S., Lettre de Dobrée, commissaire des prisonniers à Guernesey, en réponse aux plaintes du capitaine de l’Actif, St-S. — En 1811, c'est le sloop l'Adèle, cap. Hulot, qui part de Morlaix pour Darmouth avec les Anglais échangés, (A. N., BB3, 358, p. 132)]. Il eut, paraît-il, beaucoup à se plaindre de ses passagers. Le citoyen Charretié, Commissaire français à Londres, raconte en effet que fréquemment les Anglais s'insurgent dès qu'ils découvrent la côte d'Angleterre. Ils s'emparent alors des chaloupes et canots avec leurs agrès et apparaux, pillent les vivres, maltraitent l'équipage français et débarquent dans les criques, le long des côtes pour échapper à la presse qui les enrôlerait de force à leur arrivée dans les ports [Note : St-S., Corr. min., 17 fruct. an V]. Or le service est très dur dans la marine anglaise. Un déserteur trouvé aux îles Minquiers, déclare qu'on ne lui avait pas permis une seule fois d'aller à terre depuis trois ans qu'il était embarqué.
(abbé F. Robidou).
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