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LES DERNIERS CORSAIRES MALOUINS : LES PRISONNIERS FRANÇAIS

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Prisonniers français des derniers corsaires malouins.

Une constatation s'impose tout d'abord : Le nombre des prisonniers provenant des corsaires malouins dépasse presque toujours et parfois d'une façon très sensible celui des anglais introduits dans les ports de France. Il ne faut d'ailleurs pas s'en étonner. L'équipage d'un seul corsaire représente l'équivalent de plusieurs prises. D'autre part, beaucoup d'anglais rentrent directement chez eux après avoir signé des billets d'échange tandis que tous les français capturés sont transportés en Angleterre.

Le tableau suivant permettra de se faire une idée du nombre de malouins tombés chaque année au pouvoir de l'ennemi. On verra de plus, à partir de 1806, que la balance est généralement en faveur des anglais [Note : Cette disproportion n'affaiblit guère le contingent militaire français, car, parmi les marins des corsaires, il y a beaucoup d'invalides et d'étrangers, mais relativement peu d'inscrits. Selon CUNAT dans OGÉE, Dict. de Bret., II, 821, il y avait à Saint-Malo 6.479 marins en 1784. Il n'en reste plus que 3.000 en 1798. Les autres sont morts ou prisonniers. — Cette diminution n'est imputable aux corsaires que dans une faible proportion].

Les derniers corsaires malouins : 
Etats comparatif des prisonniers anglais et français. .

Ces prisonniers ont été faits, comme on le voit, sur le corsaire lui-même ou sur les bâtiments ennemis capturés mais repris avant d'avoir pu terrir.

(1) Chiffres obtenus en additionnant les équipages des corsaires pris. Il faudrait en retrancher les équipages des prises terries.
(2) Les documents ne parlent pas du nombre de prisonniers anglais.
(3) Chiffres donnés par les tableaux de Napoléon, augmentés des équipages des corsaires pris et omis dans ces tableaux.
(4) Etat manque pour 1809.
(5) Dans ce chiffre entrent les prisonniers anglais renvoyés avec des billets d'échange.

Conduits en Angleterre ils restent détenus dans plusieurs dépôts situés sur la côte ou dans l'intérieur du pays. Voici les noms cités le plus souvent dans la correspondance des malouins avec le Commissaire et leurs familles : Plymouth, Portsmouth, Waltham, Stapleton, Chatam, Falmouth, Dartmoor, Harlesford, Tawistock sur le Taff dans le Devonshire, à 16 lieues environ au sud-est d'Exeter. Norman-Cross est également un dépôt de terre. Quelques-uns sont envoyés jusqu'à Perth en Ecosse. Une liste de français internés à Portsmouth en date du 6 nivôse an V comprend 75 noms. Soixante proviennent de corsaires armés à Saint-Malo surtout du Guidelou (1793). Huit sont cautionnés à Waltham, sept se trouvent à la prison de fortune [Note : Je n'ai trouvé aucun renseignement sur la Prison de fortune, situation probablement intermédiaire entre le ponton et le cautionnement. Peut-être est-ce à Plymouth Mill-Prisons, sur la rivière Tamer. Il en est plusieurs fois question dans les Mémoires d'Angenard], les autres sont parqués à bord des pontons.

Le cautionnement est accordé de droit à tous les officiers commandant sur un corsaire qui possède un nombre de canons suffisant. Mais ils sont tenus de faire la preuve de leur grade, ce qui n'est pas toujours facile [Note : Mémoires d'Angenard. P. J. n° 103]. Ils jouissent d'une liberté relative, se nourrissent à leurs frais et sont régulièrement logés deux par deux dans des maisons spécialement surveillées par la police. Ils doivent se rendre tous les jours à l'appel.

Ordinairement les prisonniers cautionnés ne restent pas longtemps en Angleterre. Ils sont les premiers échangés lorsqu'il y a un « cartel » entre les deux nations et parfois même renvoyés sur parole avec promesse d'échange [Note : Corr. min., 17 prairial an VII, St-S. — Voir P. j. n° 94. Modèles de Certificats d'échange sur parole]. Les armateurs recommandent au Ministre les officiers qui leur sont utiles pour leurs corsaires quand ils ont eu le malheur d'être capturés et presque toujours ces demandes sont prises en considération [Note : Presque tous les capitaines des corsaires pris commandent à nouveau dans les campagnes suivantes. Voir Tableaux I-II]. Les capitaines s'aident aussi les uns les autres pour obtenir un tour de faveur [Note : Voir, P. j. n° 58, le post-scriptum de A. Leduc à ses amis Verron et Gauthier].

En quittant l'Angleterre, les officiers renvoyés sur parole promettent de ne pas servir dans les armées françaises jusqu'à ce qu'ils aient été régulièrement échangés. Ils s'engagent à se constituer de nouveau prisonniers, dans le cas où l'échange ne serait pas ratifié. Une lettre ministérielle du 13 nivôse an VIII défend de les admettre même dans la milice municipale [Note : Corresp. min., 13 niv. an VIII, St-S.]. Plus tard, cependant, nous voyons le Commissaire se plaindre que des capitaines reprennent du service avant que leur échange ait eu lieu. On lui répond de Paris : « C'est leur affaire, ils savent à quoi ils s'exposent en agissant de la sorte » [Note : Corresp. min., nov. 1814, St-S.].

L'immense majorité des marins capturés par les navires de guerre anglais reste sur les « pontons ». Ce sont d'anciens vaisseaux aménagés pour servir de prisons flottantes. Plymouth est la ville où les Malouins sont internés en plus grand nombre. Les pontons s'y rangent le long de la rivière de Chatam, la Moodway au milieu de vases dont « l'aspect seul fait frémir ». Les noms de ces tristes bâtiments, le Gange, le Vigilant, le Saint-Nicolas, la Princess-Crown, le Saint-Isidore, le Commerce, le Généreux, le Guildford, le Bristol, l'Europe, la Panther, le Rochester reviennent à chaque page dans la correspondance dès prisonniers.

La vie des détenus semble avoir été des plus misérables [Note : Le livre de Garneray, Mes Pontons, est un roman historique]. Au début de la guerre, nous l'avons déjà dit, les belligérants sont chargés de la nourriture et de l'entretien de tous leurs nationaux [Note : A cet effet la France possède à Londres deux commissaires, MM. Charretié et Nion]. Les armateurs s'engagent formellement, avant chaque campagne, à payer les sommes réclamées de ce chef pour leurs matelots tombés au pouvoir de l'ennemi [Note : Corresp. min., 26 ventôse an VI, et P. j. n° 95, Modèle de soumission]. Mais c'était une cause de retard pour les Liquidations générales. Aussi le gouvernement français décida de prélever un décime pour franc sur les bénéfices de la course. et de prendre à sa charge l'entretien de tous les prisonniers de guerre. Cet arrangement dura d'ailleurs fort peu. La convention de l'an VIII impose à chaque nation l'entretien des prisonniers qu'elle a faits. La France y trouvait son avantage, puisqu'en 1799 on compte 25.646 prisonniers français pour 1.470 anglais.

A cette époque de transition il y eut un moment terrible à passer. Un marin, nommé Masseau, fit en revenant des pontons un si effrayant récit des misères auxquelles étaient soumis les détenus, que le Ministre de la marine crut nécessaire d'atténuer l'impression fâcheuse produite sur les parents par ses révélations. Il obtint, dans ce but une rétractation qui fut aussitôt affichée dans tous les ports de Bretagne [Note : Corresp. min., 28 ventôse an VIII, St-S. — Clowes lui-même avoue, The Royal Navy, IV, 185 : The prisoners in Great Britain suffered great hard schip. — La mortalité devint effrayante]. Quatre familles de Saint-Servan s'unissent pour envoyer 150 livres de biscuit à leurs enfants. Mais le Ministre refuse l'autorisation d'embarquer ces provisions sur le parlementaire qui va partir « étant presque assuré que cette générosité tournerait complètement au profit de nos ennemis et que nos malheureux compatriotes n'en retireraient aucun soulagement ». Il indique la marche à suivre pour faire parvenir des secours en argent. La somme déposée entre les mains du directeur de la poste aux lettres à Saint-Servan est adressée directement à Paris. L'Administration générale des Postes a fait établir dans ses bureaux une caisse destinée à centraliser tous les envois faits aux prisonniers de guerre en Angleterre. Ces sommes sont ensuite versées par décades dans les caisses du citoyen Perregaux banquier qui, à son tour, les fait passer par des remises à ses correspondants de Londres, en leur envoyant l'état nominatif des prisonniers intéressés. Le commissaire français à Londres, muni d'un état semblable, s'entend avec ces banquiers pour la distribution des secours aux ayants droit [Note : P. j. n° 96. Corr. min., 28 ventôse an VIII].

Plusieurs prisonniers croyant avoir des parts de prise à toucher chez l'armateur écrivent au Commissaire de l'Inscription maritime, M. Pennelé, pour le prier de prendre en mains leurs intérêts et de leur faire parvenir quelque argent. Ils lui envoient pour cela un blanc-seing confectionné sur un modèle donné : Cette pièce doit-être signée par des camarades ayant dans la région malouine des parents susceptibles de reconnaître leur écriture [Note : P. j. n° 97-98, Lettres de Vigier, Garel, Jouan, Garnier].

Les prisonniers indiquent parfois les moyens les plus sûrs et les plus rapides pour leur faire parvenir les secours. Les uns choisissent Laffite et C°, banquier, rue du Moulin-Blanc, à Paris, les autres M. Blaize, négociant à Morlaix, dont tous vantent la bonté et la générosité. Plusieurs ont mis leur confiance dans la Révérende, sans doute femme d'un pasteur bienfaisant qui fait à différentes reprises le voyage de Saint-Malo pour recueillir les subsides et les offrandes. Cette femme n'est d'ailleurs pas riche et ses protégés recommandent bien au Commissaire de lui donner 20 francs pour ses frais de déplacement.

Malheureusement les parents des détenus sont presque toujours dans la misère, les parts de prises à peu près nulles ou déjà touchées par les familles. Cependant l'argent leur serait d'un grand secours pour se procurer des vêtements et quelques suppléments à l'ordinaire du bord. Ils ne gagnent en effet presque rien aux menus métiers que l'industrie et le besoin leur suggèrent. Aussi comprend-on la joie d'un certain Vigier auquel M. Pennelé a fait parvenir 500 francs ! [Note : P. j. n° 98].

Les plus malades sont soignés sur un ponton hôpital. A Plymouth c'est le Caton qui les reçoit. Un chirurgien anglais assisté d'un ou plusieurs médecins français prisonniers, fait de plus tous les jours une visite à bord des autres bâtiments. Certains abus et actes de cruauté vraiment trop manifestes sont parfois dénoncés aux autorités anglaises qui les punissent sévèrement. Ces autorités sont l'amiral de Plymouth et les membres de la « Commission pour prendre soin des malades, blessés et prisonniers de guerre ». Le capitaine et le chirurgien du Saint-Nicolas auraient été destitués sur une plainte d'Angenard [Note : P. j. n° 103].

Tous les quinze jours le Commissaire à Saint-Servan adresse, au Ministre de la marine, la correspondance destinée aux prisonniers d'Angleterre. La voie la plus rapide à l'aller comme au retour demande toujours beaucoup de temps. Une lettre partie de Plymouth le 30 juillet 1813, ne parvient à Pennelé que le 8 octobre.

Les corsaires malouins redoutent beaucoup les misères qui les attendent dans les prisons anglaises. Ils préfèrent subir un combat meurtrier quand ils ont des chances d'échapper, plutôt que de tomber dans cette odieuse captivité. « Etes-vous décidés à vous battre pour éviter les affreux pontons, la honte de l'Angleterre », demande Leroux, capitaine du Renard, au moment d'engager la lutte contre l'Alphea ? « Plutôt la mort que de nous rendre », s'écrie avec enthousiasme tout l'équipage [Note : SURCOUF. Histoire de Robert Surcouf, p. 437]. Aussi ne faut-il pas s'étonner si beaucoup de prisonniers essayent de fuir.

Mais les évasions réussissent rarement à moins qu'elles ne soient entreprises par des officiers en cautionnement ou dans la prison de fortune. La délation dont tous sont unanimes à se plaindre fait souvent échouer les tentatives les mieux combinées. De plus, impossible de rien entreprendre sans argent et les prisonniers n'en ont guère. Enfin l'ignorance de la langue anglaise expose les fugitifs aux plus fâcheuses rencontres s'ils ne parviennent pas à s'embarquer immédiatement.

Nous voyons pourtant le capitaine Le Peltier du Milan, pris en 1811 par la frégate l’Endymion, s'embarquer à bord d'un américain, passer aux Etats-Unis d'où il put revenir à Saint-Malo [Note : P. j. n° 103. — Voir A. N., ADVII, 45, le récit des évasions de Michel Garnier, du Bonaparte]. Deux officiers malouins surtout se rendirent célèbres par l'audace et le bonheur avec lesquels ils surent à plusieurs reprises conquérir leur liberté : Angenard et Jacques Debon. Le premier, dont on peut lire les mémoires aux pièces justificatives (P. j.), fut cinq fois prisonnier et réussit toujours à s'enfuir. Les aventures du second ne sont pas moins intéressantes.

Debon fut capturé une première fois sur une prise de la Républicaine en 1793. Interné à Plymouth, il s'arrangea avec cinq camarades pour percer une muraille avec des clous. Après avoir erré toute une nuit dans les champs, ils s'emparèrent au matin d'une petite embarcation. Au bout de 40 heures de voyage ils arrivèrent enfin à Cherbourg exténués de faim, de froid et de fatigue. Le canot fut vendu 100 francs, et on les autorisa à se partager cette somme [Note : Les Règlements maritimes n'autorisent pas cette générosité. Les prises appartiennent à l'Etat (Voir P. j. n° 100) qui donne seulement une gratification plus ou moins forte aux capteurs]. En 1796, deux frégates anglaises s'emparèrent de la Providence où Jacques Debon servait comme lieutenant. On l'enferma dans une prison située à trois milles d'Harlesford. Quelques grenadiers français promirent de le suivre dans une nouvelle tentative d'évasion. Ils réussirent tous ensemble à franchir la muraille, passèrent plusieurs jours cachés dans les taillis, ne marchant que la nuit. Ils parvinrent enfin sur le rivage et s'embarquèrent sur un bateau pêcheur. Ils n'avaient pour toutes provisions que des galettes de biscuit, un compas et une hache trouvés à la dernière minute sur un canot abandonné. Des cavaliers qui les poursuivaient depuis leur sortie de prison arrivèrent trop tard et leurs balles n'atteignirent pas les fugitifs. Un bâtiment de commerce anglais se trouva sur leur route. Ils s'en emparèrent à l'abordage et arrivèrent enfin à Paimpol après avoir échappé à une foule d'autres dangers. En 1797 Debon fut encore pris sur l'Audacieux et interné à Bristol. Le général Rook qui avait entendu parler de ses bons procédés vis-à-vis des pêcheurs du pays lors d'une campagne précédente le traita avec bonté et lui assura le cautionnement. Pourtant l'intrépide malouin voulut tenter une nouvelle évasion. Dénoncé par un espion, il fut traité avec beaucoup de rigueur durant plusieurs mois, au bout desquels il obtint enfin son échange. Retombé une dernière fois en 1806 aux mains des anglais avec le Jeune Bougainville, Debon rencontra à Mill-Prisons Angenard et Gautier, de Saint-Malo. Une tentative de fuite échoua par suite de la trahison d'un soldat anglais qu'il croyait avoir séduit. Mis au cachot, il tomba malade et fut admis à l'hôpital. Il acheta d'un camarade son tour d'échange, mais dénoncé une fois de plus il fut transféré à Dartmouth, puis sur un ponton à Plymouth, après une autre tentative d'évasion désespérée et qui faillit bien réussir. Enfin le parlementaire l'Union le débarqua à Morlaix, le 19 juin 1812. Il était en prison depuis près de six ans [Note : CUNAT. Les Malouins célèbres, p. 451 et suiv.].

Si les officiers eux-mêmes ont tant de peine à rentrer en France dans des conditions relativement favorables, on devine aisément les difficultés d'une telle entreprise pour de simples matelots. Elles donnent de plus toujours lieu quand elles échouent à un redoublement de rigueur : cachot, demi-ration, etc. Les officiers perdent leur droit à l'échange et au cautionnement : Debon reste en Angleterre de 1806 à 1812, Angenard de 1810 à 1814.

Les renvois de simples matelots, sur parole sont très rares. En février 1806, les habitants de Guernesey ayant plusieurs parents détenus en France, débarquèrent à Cézembre l'équipage d'une reprise du Courrier de la Manche, demandant seulement en échange la liberté des leurs. On ignore la suite que les autorités françaises donnèrent à cette pieuse initiative [Note : P. j. n° 99. Interrogatoire de six prisonniers français].

Par contre, des cartels plus ou moins importants ont lieu de temps en temps entre la France et l'Angleterre. Il y en eut à trois reprises an IV, le 26 fructidor an VI, et an VII pour les marins du quartier de Saint-Malo. La capitulation d'Alkmar an VIII délivra d'un seul coup 6.500 détenus français, parmi lesquels beaucoup provenaient des corsaires de Saint-Malo.

L'ordre des échanges est réglé par la loi. Les équipages appartenant à des particuliers ne prennent rang qu'après les marins de l'Etat [Note : Circulaire du 26 ventôse an VI et Corresp. minist. 7 prairial an VII, St-S.]. Mais il faut aussi tenir compte des recommandations. Souvent aussi les prisonniers achètent un tour de faveur en prenant le nom et la qualité d'un compagnon moins fortuné. Quand cette fraude est découverte par les autorités elle est sévèrement punie [Note : P. j. n° 102. Circulaire de Fouché, pluviôse an VIII, et Corresp. Minist., 27 niv. an VI, 3 ventôse an VII, 17 et 21 niv. an VIII, 26 frim. an VIII].

La police exerce une surveillance rigoureuse sur tous ceux qui reviennent ainsi d'Angleterre, quand ils n'ont pas un certificat du Commissaire français des prisonniers à Londres. Ils sont maintenus en état d'arrestation jusqu'à ce qu'on ait reçu de leur domicile des renseignements satisfaisants.

Enfin, deux ou trois fois chaque année, des « navires parlementaires » débarquent sur la côte bretonne les incurables jugés incapables de servir désormais dans l'armée française. Une liste des archives de la marine St-S. donne ainsi les noms des incurables renvoyés de Chatam le 24 décembre 1812. On y trouve au milieu d'une foule de marins détenus depuis la bataille de Trafalgar un certain nombre de corsaires :

Charles Lefèvre, du Sans-Souci, pris en 1810, ankylose de l'avant-bras.

Olivier Roulais, du Brestois, pris en 1811, poitrinaire.

Jean Rouault, du Milan, pris en 1809, vieillesse.

Marcel Granger, du Tilsitt, pris en 1808, poitrinaire.

Jean Seigneur, du Milan, pris en 1809, vieillesse.

Six autres de ces malheureux sont morts durant la traversée.

La plupart des marins capturés restent longtemps sur les pontons anglais. Le batelier du bac de Dinard, Pierre Dupont, arrête en l'an VII un prisonnier anglais qui s'était évadé à Saint-Pierre-de-Plesguen pendant son transfert sur un dépôt de l'intérieur. Il demande comme récompense l'échange de son frère Thomas Dupont pris sur le Laborieux en 1793 et détenu à Stapleton près de Bristol [Note : St-S., Corr. min., 17 prair. an VII]. Plusieurs marins du Duguay-Trouin + 1793, Julien Gérard, du Vivier, matelot du Guidelou + 1793, Laurent Lefèvre de la Zélie + an VI ne sont relâchés qu'à la paix d'Amiens. Une vingtaine de marins du Brave + 1803, de la Sorcière + 1804 et détenus à Portsmouth, sont rapatriés le 6 mai 1814, sur le parlementaire Le Rambler avec quelques autres provenant du Duguay-Trouin + 1805. Gilles Marie Lemesle de la Clarisse + 1806 ne rentre à Saint-Malo que le 15 mai 1814.

Les trois quarts des corsaires prisonniers doivent attendre la paix pour revoir le sol natal. Des registres [Note : St-S., Registre des prisonniers revenus d'Angleterre] de l'an X et de 1814 en contiennent des centaines débarqués à Morlaix, Cherbourg, Dunkerque, Saint-Malo, presque toujours dans un état de santé déplorable. Une lettre du Commissaire de marine au Ministre, 9 janvier 1811, déclare que les prisonniers qui reviennent ainsi des pontons sont pour de longs mois dans l'incapacité absolue de prendre du service [Note : St-S., Corr. min., 9 janv. 1811. — Voir aussi FABRE, op. cit., p. 413. Une lettre de M. Rivière, chef de division au Ministère de la Marine, adressée au Transport Office (1810). « Sur 468 prisonniers amenés par les derniers cartels, 30 sont morts en route et 260 ont été mis à l'hôpital en descendant à terre. Depuis le début de la guerre 4.000 invalides ont été débarqués à Morlaix »].

Une fois débarqués ils reçoivent quelques effets et une conduite pour regagner leurs foyers. La somme est fixée par l'usage et varie naturellement selon les distances à parcourir.

De Saint-Malo à Nantes : 8 fr. 80
De Saint-Malo à Lorient : 9 fr.
De Saint-Malo à Granville : 4 fr. 20
De Saint-Malo à Cherbourg : 7 fr. 05

Le Commissaire y ajoute 0 fr. 75 pour frais de séjour à l'arrivée et des billets de logement dans les différentes localités que les prisonniers auront à traverser.

Tous hélas ne reviennent pas. En 1816 une liste de marins du quartier sur lesquels l'Inscription maritime demande des renseignements porte entre autres les indications suivantes :

Dominique Quémerais, du Friedland, mort à Portsmouth, 1808.

Jean Gouallot, de l'Hirondelle, mort à Plymouth, 1810.

Charles Rouillé, du Friedland, mort à Plymouth, 1808.

Jean Picaudais, du Friedland, se trouvait à Plymouth en 1809. N'est porté sur aucune liste des morts.

Mais combien d'autres dorment de leur dernier sommeil dans les cimetières anglais ! Combien furent ensevelis, un boulet au pied, sous les flots de la Manche en présence de leurs compagnons attristés et se demandant si un sort pareil ne leur serait pas bientôt réservé !.

(abbé F. Robidou).

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