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LES DERNIERS CORSAIRES MALOUINS : LES RÈGLEMENTS DE COMPTES |
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Liquidations particulières.
Lorsqu'un corsaire a fait une prise, le capitaine profite de toutes les occasions pour renseigner son armateur sur la valeur du navire et de sa cargaison [Note : Corresp. de Lemaître avec Aug. Thomas, n° 17]. Si le conducteur parvient à la terrir, les intéressés sont naturellement les premiers avertis. Quand le bâtiment capturé entre à Saint-Malo un pilote ou un autre voilier rapide s'élance à sa rencontre aussitôt qu'il apparaît au large de Cézembre [Note : Les armateurs malouins avaient, dit-on, coutume d'attendre l'arrivée des prises sur le côté ouest des Remparts au lieu dit : Tour de la Découvrance (Porte des Beys)] et ne tarde pas à rapporter des détails [Note : P. j. n° 74. Compte de désarmement du William : 24 francs à celui qui a annoncé l'arrivée de la prise]. Quand il aborde dans un autre port de France, la nouvelle en est vite transmise par les sémaphores établis le long des côtes [Note : Parfois « le brouillard empêche la transmission des dépêches »] ou par un messager spécial des correspondants de l'armateur.
Chaque prise doit faire l'objet d'une Liquidation particulière qui comprend quatre, opérations principales : l'Instruction, — le Jugement, — la Vente du navire et de sa cargaison [Note : On trouve aux Archives du Tribunal de Commerce de Morlaix une vingtaine de pièces concernant l'instruction (liasse 42) et le jugement (Registres 9, 10, 11, 12, 13, 14) de prises terries par des Malouins], — le Règlement des parts de prise.
L'INSTRUCTION
Elle doit commencer dans les 24 heures qui suivent le terrissage. D'après la loi du 14 juillet 1793 c'est le Juge de paix qui en est chargé. Un conflit s'étant élevé entre celui de Port-Malo et celui de Port-Solidor, un décret ministériel du 1er Sans-Culottide an II décida que chacun aurait connaissance des affaires concernant sa circonscription [Note : Corr. minist., 1er Sans-Culott., an II, St-S.]. L'arrêté du 6 germinal an VIII établit une procédure nouvelle en décrétant, article 8 : « L'officier d'administration de la marine du port dans lequel les prises maritimes seront amenées... sera chargé : 1° de l'apposition des scellés à bord des bâtiments capturés par les corsaires ; 2° de la réception et de l'affirmation des rapports et déclarations, de l'audition des témoins, de l'inventaire des pièces de bord et de l'instruction. Il sera assisté pour tous ces actes du principal préposé des douanes et appellera en outre un fondé de pouvoirs des équipages capteurs ». Dans les pays étrangers le commissaire des relations commerciales est seul chargé de l'instruction.
Le juge de paix ou le Commissaire de marine se font donc transporter immédiatement à bord de la prise. Là, en présence des intéressés, il est procédé à la vérification des scellés ou à leur apposition, si elle n'a pas été faite précédemment, sur toutes les écoutilles et fermetures du bâtiment [Note : Les corsaires avaient un cachet spécial. Il représentait le bâtiment lui-même, entouré d'une légende donnant, son nom et son port d'attache (DE LA NICOLLIÈRE. Les Corsaires de Nantes, p. 366). — Le cachet du Revenant se trouve encore dans la famille Surcout (SURCOUF. Un Corsaire malouin, p. 384)]. On nomme un gardien qui a pour mission d'empêcher le pillage [Note : Pour tous les détails relatifs à l'instruction et au jugement des prises voir, P. j. n° 69, La Cléopatra] Malgré ces précautions, des « déplacements et dilapidations d'effets ou deniers » appartenant aux prises furent constatées plusieurs fois durant les années VI et VII dans le port même de Saint-Malo. Une enquête prescrite par le Ministre de la marine ne donna aucun résultat [Note : Corresp. minist., 12 niv. an VI, St-S.].
L'instruction comporte ensuite la réception du rapport fait par le capitaine conducteur. Il est en effet tenu d'en déposer un au commissariat le plus voisin aussitôt qu'il touche terre. Il y indique toutes les circonstances de la capture, le lieu où elle s'est produite, le nombre des prisonniers, etc. Quelques marins de l'équipage affirment la véracité de ce rapport et le signent.
Le conducteur remet alors au Commissaire tous les papiers trouvés à bord du bâtiment capturé [Note : La police impériale fait à l'occasion son profit des correspondances trouvées sur les prises. P. j. n° 80, Copie de lettres du sous-commissaire de Lannion. — Voir aussi Arch. nat., F7, 8048, un rapport de police sur un paquet de lettres et traites anglaises saisies en 1807 par la Clarisse sur un américain relâché. Il a si grand hâte de s'en aller qu'il oublie son paquet]. Souvent durant la période révolutionnaire le vaisseau capteur conservait lui-même ces documents. Dans plusieurs circonstances, l'expérience démontra les inconvénients et le danger d'un tel procédé. Certains corsaires ne rentraient que longtemps après le terrissage des prises. D'autres tombaient au pouvoir de l'ennemi. A partir du Consulat, les décisions ministérielles ordonnent formellement de laisser à bord des navires amarinés au moins les pièces indispensables pour éclairer la religion des juges. Le Commissaire les classe avec le plus grand soin. Ce sont ordinairement le Journal de bord, les connaissements, acquits de douanes, permis de naviguer, etc. Lorsque ces documents sont rédigés dans une langue étrangère, un interprète juré est chargé de les traduire. Thomas Caruel remplit cette fonction à Saint-Malo durant plusieurs années.
Pour clore l'instruction, il ne reste plus qu'à interroger les prisonniers. Le capitaine conducteur, nous l'avons déjà vu, doit toujours en conserver quelques-uns sur la prise. Après les questions ordinaires d'identité, le Commissaire enregistre leur témoignage sur le pavillon et les propriétaires du bâtiment capturé. Il se fait donner tous les détails possibles sur les circonstances de la capture et du combat, s'il y en a eu un, sur la force et le sort de l'équipage, sur la conduite des Français à l'égard des captifs [Note : P. j. n° 91. Procès-verbal de l'interrogatoire d'un prisonnier du Douro].
Tous les procès-verbaux et documents recueillis sont ensuite transmis au sous-inspecteur de marine. Ce fonctionnaire doit examiner le dossier ainsi constitué et donner par écrit son avis motivé sur la validité de la prise [Note : En 1809, Jurien était sous-inspecteur de la Marine à Brest].
JUGEMENT
Sauf les rançons, seules transactions prévues par la loi, tout accord direct entre capteurs et capturés est formellement interdit. Cette défense a pour but de sauvegarder les intérêts de l'équipage et de la Caisse des Invalides.
On trouve cependant quelques exemples curieux d'arrangements à l'amiable, surtout durant les guerres de la Révolution. Ainsi les armateurs du Courageux s'engagent à payer aux propriétaires hambourgeois de la Latona, sans attendre l'issue du procès alors pendant devant le Tribunal civil de Rennes, un million de livres tournois. Si les ventes produisaient davantage le bénéfice reviendrait aux capteurs. Le Ministre de la justice finit par consentir à l'exécution de ce traité. La cargaison du navire allemand ne donna point du reste la somme attendue. Duchesne et Pintedevin obtinrent alors de la partie adverse une nouvelle convention par laquelle ils n'étaient plus tenus que de verser le produit net des ventes, déduction faite de tous les frais [Note : P. j. n° 68, Liquidation du Courageux]. Le bateau suédois la Caren Maria fut relâché après une transaction conclue entre ses armateurs et le capitaine du corsaire capteur La Zélie. Le tribunal de commerce de Paimpol homologua cet arrangement le 9 frimaire an VI.
Mais ordinairement les intéressés se gardent bien de publier ces accords à l'amiable dont ils réservent les profits pour eux et pour leurs actionnaires. Ainsi la prise américaine l'Entreprise du corsaire le Quinola donna lieu an VII à de longs et coûteux procès. En dernier ressort, il fut décidé que l'on procéderait par experts à la vérification de l'origine des marchandises. Pour ne point courir les chances d'une opération aussi douteuse, les propriétaires du bâtiment capturé consentirent à payer 248.000 francs aux capteurs et ne réclamèrent point, quoique, dans la suite les experts eussent déclaré le chargement de provenance française. Les armateurs du Quinola encaissèrent cette somme sans rien dire. Le traité ne fut connu de l'autorité que dix huit ans plus tard sur la dénonciation du sieur Servel, l'un des intéressés, et considéré alors comme produit de prise donnant lieu aux parts de l'équipage et à la perception du droit des Invalides [Note : P. j. n° 68. Extrait de la liquidation du Courageux]. Dans une supplique au général Bonaparte, 1er Consul (Revue du Pays d'Aleth, avril 1910) une partie de l'équipage de la Providence parle de « manœuvres frauduleuses concertées pour sa perte entre les armateurs et les propriétaires d'un navire prétendu danois, nommé Bona Fides, que le corsaire avait arrêté le 2 pluviôse an VII ». Les propriétaires de la Mary-Anna auraient également offert secrètement 300.000 francs aux armateurs de la Junon pour faire cesser les poursuites [Note : P. j. n° 72. Mémoire déposé au Conseil des prises en faveur des armateurs de la Junon].
Mais les transactions de ce genre furent assez rares. Les Règlements sont en effet formels : « Toutes les fois qu'il y a capture il faut un jugement pour fixer le sort du navire et de sa cargaison » [Note : Il faut un décret impérial (Voir A. N., AFIV plaq. 1500, 25 oct. 1806, n° 37) pour homologuer la remise de 50 guinées faite par Surcouf, armateur du Marsouin, sur la rançon de la Peggy].
Pendant deux années, (18 brumaire an II-3 brumaire an IV), le Comité du Salut public s'attribua le droit de juger en première et dernière instance toutes les contestations relatives aux prises maritimes. Il fit preuve d'ailleurs dans plusieurs décisions d'une ignorance et d'une désinvolture extraordinaires [Note : P. j. n° 64. Une liquidation sous la Terreur. V. aussi DE PISTOYE, II, 150.]. Cette période mise à part, il faut distinguer dans la législation en vigueur deux façons différentes de procéder au jugement des prises.
Au début clé 1793 et durant les années 3 brumaire an IV-6 germinal an VIII, le droit de prononcer en première instance appartient aux Tribunaux de commerce. Les appels sont portés devant les tribunaux civils des districts ou des départements [Note : P. j. n° 70. Il s'agit d'un procès jugé en 1ère instance par le Tribunal de commerce de Paimpol et renvoyé devant le Tribunal civil de Port-Brieuc].
On devine aisément les graves inconvénients d'une telle procédure. Ces tribunaux ne tiennent aucun compte dans leurs jugements sur les neutres des relations politiques de la France avec les puissances étrangères. Leur impartialité est parfois sujette à caution [Note : Les armateurs ne reculent pas devant un pot-de-vin pour obtenir une déposition favorable. P. j. n° 62, Compte de relâche du Tigre : 300 francs au second capitaine et officiers du navire américain pour leur déclaration. Voir aussi P. j. n° 73, Frais d'avocat]. Les capturés même les plus sûrs de leurs droits préfèrent aux procès des transactions ruineuses. Le passage par tous les degrés : première instance, appel, cassation, renvoi, rend, la procédure très longue et très coûteuse [Note : On trouve aux Archives de Morlaix, Trib. de comm., Registre 20, les documents très intéressants pour deux prises de 1793 faites par la Républicaine (Gorissen dé Brème contre Robert Mennais) et la Malouine (Canneva et Leyritz contre Colas-Guertin et Lorette, négociants à Nantes). Le procès du John, prise de l'Amitié, an V, dure 2 ans et passe par toutes les instances : Morlaix, Quimper, Cassation, Saint-Brieuc]. Les choses en vinrent à ce point, que selon Cambacérés, ministre de la Justice : « La course était devenue un brigandage parce que les lois qui lui étaient appliquées étaient insuffisantes ou mauvaises. On avait entendu s'élever de toutes parts les plaintes des négociants et des ministres étrangers et cependant le Gouvernement, pénétré de la justice de ces plaintes, avait toujours été sans pouvoir pour y faire droit » [Note : CARETTE. Collection de lois annotées, p. 354, note 3].
Dès le début du Consulat, l'arrêté du 6 germinal an VIII [Note : Un décret du 26 ventôse précédent portait déjà : Art. 1er. A compter de la publication de la présente loi, tous les tribunaux saisis de contestations relatives aux prises maritimes et antérieures au 4 nivôse, époque de la promulgation de la Constitution, cesseront d'en connaître] modifia de la façon la plus heureuse la législation antérieure. Par la création de la Commission des ports et du Conseil des Prises il rend à l'autorité administrative la connaissance de toutes les affaires relatives aux prises maritimes.
La « Commission des ports » se compose de l'officier d'administration, du Contrôleur de la marine et du Commissaire de l'Inscription maritime [Note : Dans les ports étrangers, la Commission se compose du commissaire des relations commerciales, assisté de deux assesseurs choisis, si possible, parmi les citoyens français. Leurs jugements sont conformés par le Conseil des Prises]. Elle statue sur la validité des prises faites sous pavillon ennemi et sur celles dont l'instruction montre avec évidence le caractère ennemi. Une expédition de ses jugements doit être transmise au secrétariat du « Conseil des Prises ».
Le Conseil des Prises siège à Paris. Il comprend un président, huit membres, un commissaire du Gouvernement, un secrétaire et deux huissiers. Il est exclusivement chargé de toutes les contestations dans les trois cas suivants :
1° Lorsque l'instruction n'a pas démontré avec évidence le caractère ennemi du bâtiment ;
2° Lorsqu'il y a réclamation de l'une des parties dans la décade qui suit l'instruction ;
3° Lorsque la Commission des Ports ne prononce pas la validité de la capture.
Alors toutes les pièces trouvées à bord et les procès verbaux recueillis à la suite du terrissage lui sont immédiatement communiqués.
L'inslruction se fait devant le Conseil des Prises sur simples mémoires respectivement communiqués par le Secrétariat aux intéressés ou à leurs défenseurs [Note : P. j. n° 72. Mémoire de la Junon contre la Mary-Anna]. Pérignon est l'avocat généralement choisi par les armateurs malouins pour défendre leurs intérêts devant ce tribunal. Il touche ainsi 3.000 francs pour ses soins dans une instance du Spéculateur (2ème course) [Note : Liquidation du 8 décembre 1813. — Le Ministre de la Justice s'oppose d'ailleurs au paiement de cette somme qu'il trouve exagérée. —Voir Etat des Archives de la Marine, quai Debilly]. Les délais pour cette instruction sont fixés à deux mois pour les navires conduits dans les ports de la Manche et de l'Océan. Mais la procédure complète demande beaucoup plus de temps. Ainsi le Reward, terri à Perros le 10 janvier 1808 par le Tillsit, n'était pas encore jugé le 24 mai 1810. Le bâtiment se trouvait alors dans un état de délabrement déplorable [Note : Copie de lettres du sous-commissaire de Lannion, 24 mai 1810].
Un décret du 11 juin 1806 attribua au Conseil d'Etat la connaissance par appel des décisions du Conseil des Prises qui dévinrent plus fréquentes à la suite du Blocus continental. Mais, à partir de 1810, Napoléon se réserva personnellement ce genre d'affaires. C'est ainsi qu'il accorda directement mainlevée au navire américain Two Brothers capturé par le Brestois (1810).
Les neutres eurent certainement à subir un certain nombre d'injustices de la part des armateurs de corsaires peu soucieux de laisser échapper une belle prise [Note : Les prises neutres sont de beaucoup celles qui rapportent le plus] et des tribunaux trop favorables pour leurs concitoyens. Presque tous les faits constatés remontent à l'époque révolutionnaire. Tel neutre a si peu confiance dans la justice française qu'il néglige de réclamer le prix alloué pour le transport de marchandises captées [Note : Liquidation du Tigre, 29 prairial an II]. Les propriétaires de l’Entreprise paient une somme de 248.000 francs plutôt que de s'exposer aux risques d'un procès et pourtant, au dire des experts, la cargaison était bien d'origine française [Note : Voir supra, p. 99]. La procédure nouvelle introduite par le Consulat devait donner aux étrangers des garanties bien supérieures.
Presque tous les jugements ordonnant mainlevée des navires saisis ou de leur cargaison datent de cette époque. Dans le but de réagir contre les abus antérieurs et peut-être aussi pour faciliter les relations diplomatiques de la France avec les nations maritimes étrangères, Bonaparte fait donner au Tribunal des Prises les instructions les plus sévères. Les captures faites antérieurement et encore en litige doivent être jugées conformément à la nouvelle législation sur les neutres [Note : Voir supra, p. 101]. Ainsi le 2 pluviôse an VII, le corsaire La Providence s'était emparé du bâtiment de commerce La Bona Fides, portant sous pavillon danois des marchandises appartenant à des sujets du duc de Toscane. Ce pays était alors en guerre avec la République. La cargaison, semblait donc devoir être confisquée. Cependant le Conseil des Prises, par un arrêt du 19 messidor an VIII, fait restituer aux propriétaires le navire et le fret. Dans deux pétitions adressées au Premier Consul les armateurs et les équipages des corsaires malouins protestent avec énergie contre l'effet rétroactif ainsi donné à la loi : « Une telle procédure, écrivent-ils, ne peut que décourager toutes les bonnes volontés » [Note : Revue d'Aleth, mars et avril 1910, publie ces deux documents qui sont très intéressants et montrent bien la mentalité des corsaires et le traitement qu'ils voudraient infliger aux neutres].
Bonaparte ne se laissa point émouvoir par ces arguments. Le Conseil des Prises continua de fonctionner jusqu'à la fin de l'empire et il ne semble pas que les neutres aient eu jamais à s'en plaindre. Sans doute le sieur Joung de la Mary-Anna reproche en vain aux armaleurs de la Junon (1813) d'avoir influencé, peut-être même suborné le capitaine auquel il avait confié ses marchandises et de l'avoir fait ensuite disparaître avec tout l'équipage. Mais ces accusations ne semblent pas suffisamment fondées [Note : P. j. n° 72. Mémoire de la Mary-Anna (1813) et supra, p. 60].
Voici la liste, peut-être incomplète [Note : Voir P. j. n° 72 bis, pour les jugements du Conseil des Prises de l'an VIII à 1816], des prises jugées mauvaises par les tribunaux de 1793 à 1814. Il y en a 14 sur 40 neutres environ dont la capture fut suivie de procès.
(1) Un décret impérial du 8 juillet 1807, n° 77, Arch. nat, AFIV, plaq. 1811, accorde un sursis pour l'exécution du jugement.
DÉCHARGEMENT ET VENTE DES MARCHANDISES
Parmi les marchandises composant la cargaison des prises, une certaine quantité est régulièrement « préhendée » pour les besoins du service national. En 1793 le Gouvernement réquisitionne surtout des denrées alimentaires destinées à l'entretien des troupes de terre et de mer. En l'an VII tous les produits manufacturés sont saisis et, vu la pénurie du trésor, on en tient rarement compte aux capteurs. L'année suivante le général Quentin, bloqué à Belle-Ile par les Anglais, s'empare des sucres, tabacs et canons provenant de la Columbia, prise du Juste. Les armateurs réclamèrent longtemps en vain de l'Etat le règlement de leur note qui se montait à 15.170 francs. En 1809 le bœuf salé de l’Ellen, prise du San Joseph, fut également réquisitionné pour la troupe. Enfin la marine impériale réclama pour son service tout le chargement en mâture et bois de construction du Lynx (terri à Fécamp par l’Amélie 2ème course) (1813) et de la Royal Princess capturée par le Coursier (1813).
D'autres marchandises sont prohibées en France et comme telles immédiatement brûlées ou soumises à la réexportation. Cependant pour favoriser la course Napoléon, par un décret du 24 juin 1808, autorisa l'introduction par certains ports sur le territoire de l'empire des marchandises anglaises même manufacturées qui proviendraient des prises. Seuls certains articles comme le tabac restent absolument proscrits [Note : Cet article formait la majeure partie des cargaisons du Lively, prise du Malouin, et de la Mary-Ann, prise du Coursier (1811)].
Sauf ces exceptions d'ailleurs assez rares la cargaison des bâtiments capturés est vendue aux enchères par l'armateur et ses représentants au lieu même du terrissage ou sur un marché voisin.
Les négociants de Saint-Malo ont des consignataires dans la plupart des ports où les corsaires ont l'habitude de conduire leurs prises. Ceux d'Augustin Thomas par exemple sont Malhurin Le Pommelec à Paimpol, Mège à Roscoff, Jacques Diot, etc…. Ristiou est le mandataire d'Amiel, Tanquerey celui de Dubois à Lannion. Le citoyen Rateau représente Fontan à l'île de Ré.
Très souvent les capteurs n'attendent pas la décision des tribunaux pour faire procéder au déchargement et à l'inventaire des marchandises supposées de bonne prise [Note : La loi les y autorise expressément : Arrêté du VI Germinal an VIII, art. XV, rappelant la législation antérieure]. Sous prétexte que la cargaison pourrait souffrir d'un séjour prolongé dans la cale du bâtiment, ils demandent et obtiennent fréquemment du Commissaire l'autorisation d'agir immédiatement [Note : P. j. n° 69, La Cleopâtra, et n° 80, Le Todos Santos y Animas]. Ils n'y gagnent d'ailleurs pas toujours. Le chargement de l’Union ne produisit à la vente que 252.000 francs et les propriétaires du corsaire capteur Le Tartare durent en verser 380.000 après le jugement ordonnant restitution du navire et de sa cargaison (an VI). Toutes les sommes provenant de ces ventes sont versées provisoirement à la Caisse des Invalides.
L'un des armateurs s'occupe d'ordinaire plus spécialement des ventes. Il se déplace volontiers quand la capture en vaut la peine. Quelques gratifications habilement distribuées facilitent et accélèrent la marche des affaires. Les frais de voyage sont d'ailleurs presque toujours admis dans les liquidations.
Après avoir déchargé les marchandises, on en dresse un inventaire détaillé et on les met en magasin [Note : P. j. n° 74. Déchargement d'une prise: Le William, an IX]. Toutes les précautions sont prises par les autorités pour que ni la douane, ni les équipages, ni la Caisse des Invalides n'aient à souffrir dans leurs intérêts. Les armateurs essayèrent en vain de s'opposer à l'ingérence des officiers de marine dans ces diverses opérations : Le ministre insista et le commissaire au moins y assiste toujours [Note : P. j. n° 75. Liquidation de l'Ann. Le Commissaire reçoit 12 fr, par jour].
Une constatation frappante c'est l'écart qui existe entre l'évaluation primitive des cargaisons saisies par les corsaires et la somme réellement produite par leur vente. Ainsi Lemaitre, capitaine du Duguay-Trouin, estime sa prise l’Amitié à 89 ou 90.000 francs. Elle n'en donna en réalité que 9.000. Pour le Packet de Plymouth, il écrit à son armateur Augustin Thomas : « Le capitaine anglais m'a assuré que le tout pouvait valoir de 90 à 100.000 livres ». Or la liquidation enregistre seulement 19.700 francs. La même différence se retrouve fréquemment dans les Tableaux de Napoléon. Il suffit pour s'en convaincre de consulter les chiffres suivants :
(1) Ces chiffres sont empruntés aux tableaux de Benaerts.
(2) Tableaux de Napoléon (1810).
Durant plusieurs années la dépréciation des assignats devait rendre les affaires particulièrement difficiles [Note : Voir Liquidation de la Républicaine, an X. On peut y suivre très clairement les fluctuations dans la valeur du papier monnaie pendant la Révolution]. L'accumulation sur une seule place d'une grande quantité de marchandises de même nature présente aussi de graves inconvénients. Pour y remédier, la loi ordonne une grande publicité. Le ministre Truguet demande ainsi l'envoi de 50 affiches destinées à être placardées à Paris. D'autres le sont à Nantes, Brest, Lorient, Rennes et Granville [Note : Corr. minist., 7 germ. an IV, St-S.]. Il fait effacer sur les prospectus de vente les mots « payables en monnaie ayant cours et au comptant ». L'acheteur n'a pas toujours en effet sur lui, surtout en ces temps troublés, une grosse somme d'argent, quand il n'est pas sûr, en se déplaçant, de conclure un marché [Note : Corr. minist., 7 germ. an IV, St-S.]. Il prie enfin le Commissaire de l'avertir promptement lorsqu'une prise sera terrie à Saint-Malo, afin d'être en mesure de répondre aux commerçants qui se présentent chaque jour dans ses bureaux pour avoir des renseignements. Mais le plus grave obstacle à ce que les marchandises atteignent leur prix normal, c'est la connivence et l'association des acheteurs. Ils s'arrangent souvent pour ne point pousser aux enchères. Le Ministre ayant reçu des plaintes à cet égard recommande instamment aux officiers de la marine de veiller à ce qu'un tel abus ne se reproduise plus. Il faut punir sévèrement les employés qui s'y prêteraient [Note : Corr. minist., 12 niv. an VI, St-S., et A. N., BB2, 189, plaintes de commerçants anonymes]. Quelquefois, pour soutenir les prix, l'Etat-major et l'armateur du corsaire capteur s'unissent et achètent pour leur compte une portion notable de la cargaison [Note : P. j. n° 83. Corr. min., 29 juin 1810].
L'administration impériale diminua dans une certaine mesure ces sources de pertes considérables tant pour les équipages que pour la Caisse des Invalides, mais elle ne réussit jamais à les supprimer complètement.
Les armateurs sont souvent eux-mêmes les principaux acheteurs et font de la sorte des bénéfices qui augmentent sensiblement ceux de la course. A Saint-Malo les ventes se font au Ravelin ou bourse du commerce [Note : Etablie à Saint-Malo par arrêté des Consuls le 25 août 1801, ouverte le 13 décembre suivant et transportée quelques jours après sur la plate-forme appelée Raveline, en avant de la Grand'Porte. C'est au même endroit que les ventes se faisaient antérieurement]. Les intéressés paient un droit toutes les fois qu'ils ont besoin de ce local. Les armateurs et les négociants présents discutent tout d'abord les conditions de la vente, la quotité des lots, les délais de paiement. D'ordinaire les billets ne doivent pas dépasser deux mois. Il est rare que les marchandises ne soient pas toutes vendues de suite [Note : P. j. n°s 75 et 76. L'Ann. Le Duc d'York, et aussi 67, La Latona]. Sous l'empire les denrées coloniales atteignent souvent des prix fort rémunérateurs.
Lorsque la cargaison est vendue et livrée, c'est le tour du navire. L'opération a lieu également au Ravelin à « éteinte de bougie ». Les commerçants malouins se disputent parfois âprement les bateaux susceptibles de servir pour une nouvelle champagne [Note : P. j. n° 77].
Toutes les pièces comptables concernant le Règlement de la prise sont alors remises au juge de paix ou au Tribunal de Commerce qui procèdent à la Liquidation particulière en fixant le bénéfice net revenant à l'équipage et aux associés du corsaire. Les dépenses dont on ne connaît pas encore le détail, par exemple celles des relâches, sont réservées. Elles prendront part sous le titre Dépenses communes des intéressés dans la Liquidation générale. Pour les prises terries et vendues dans un autre port le cosignataire reçoit 2% et l'armateur 1/2 % pour négociation des traites. Les 2 % reviennent naturellement à ce dernier lorsque la vente a été faite à Saint-Malo par ses soins [Note : Il y a aux Archives du Tribunal de commerce de Saint-Malo 35 minutes de liquidations particulières toutes faites sur le même modèle. On en trouve également une vingtaine à Morlaix pour la période 1793, an IX].
Le Commissaire de marine surveille avec le plus grand soin toutes ces opérations afin de sauvegarder les droits des matelots et de l'Etat. On peut s'en convaincre en examinant aux Pièces justificatives les renseignements transmis par celui de Lannion à M. Pennelé, fonctionnaire chargé de l'Inscription maritime à Saint-Malo [Note : P. j. n° 79. Lettre du 11 avril 1809] et sa longue correspondance relativement à la prise du Spéculateur, Los Todos Santos y animas [Note : P. j. n° 80].
RÈGLEMENT DES PARTS DE PRISE
Chaque prise doit faire l'objet d'un Règlement de parts spécial. Le nombre des marins peut en effet varier d'une course à l'autre.
C'est l'Elat-major du corsaire qui fixe le nombre de parts revenant à chacun. A cet effet, le capitaine et deux ou trois officiers se réunissent lors des relâches ou plus souvent à la fin de la campagne devant le juge de paix, en présence d'un représentant du Commissaire de marine. Après avoir prêté serment. ils procèdent au partage. Si le corsaire a été capturé par les Anglais après avoir terri des prises, le Chef de l'Inscription maritime procède d'office à cette opération, en s'aidant des renseignements fournis par les armateurs ou les membres de l’Etat-major qui auraient pu revenir d'Angleterre.
La législation et l'usage fixent le nombre de parts attribuées à chacun. La loi du 2 prairial an XI consacran d'ailleurs ce qui avait lieu jusqu'alors déclare (art. 101) : Il ne pourra être accordé plus de :
1° Au capitaine : 12 parts.
2° Au capitaine en second : 10 parts.
3° Aux deux
premiers lieutenants : 8 parts.
4° Au premier maître, à l'écrivain
ou commis aux revues et aux autres lieutenants : 6 parts.
5° Aux enseignes, au maître chirurgien et au second maître : 4 parts.
6° Aux
conducteurs de prises, pilotes, contre-maîtres, capitaines d'armes, maître
canonniers, canonniers, charpentiers : 3 parts.
7° Aux seconds canonniers,
charpentiers, calfats, maîtres de chaloupe, voiliers, armuriers,
quartiers-maîtres et seconds chirurgiens : 2 parts.
8° Aux volontaires une part ou deux au plus.
9° Aux matelots une
part ou part et demie.
10° Aux soldats une demi-part ou une part.
11°
Aux novices une demi-part ou trois quarts de part.
12° Aux mousses un quart
de part ou demi-part, suivant leurs services respectifs et leurs forces.
Les raisons alléguées. d'ordinaire pour augmenter ou diminuer dans la limite
permise le nombre des parts affectées à chaque grade ou office sont les services
rendus, pendant la campagne, surtout la belle conduite, quand il y a eu combat,
ou l'incapacité à remplir le poste pour lequel on s'est embarqué. Les
surnuméraires reçoivent en général double part : le maître-coq est toujours un
personnage important à bord d'un navire [Note : P. j. n° 10. Règlement des parts
de prise du Dinannais.].
On se rendra compte aisément en consultant les tableaux d'armement que la grosse part revient à l'Etat-major [Note : P. j. Tableaux d'avancement ans VI et VII]. Ainsi pour la Malouine qui a 57 hommes d'équipage les 11 officiers reçoivent 73 parts sur 133 1/2. Il en est de même pour tous les armements.
Les parts des déserteurs ayant participé aux prises sont partagées entre les équipages et l'armateur.
Des acomptes parfois assez importants sont distribués sans plus tarder soit aux intéressés à l'armement, soit aux membres de l'équipage ou aux familles munies de procurations à cet effet.
(abbé F. Robidou).
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