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L'accueil fait aux premières réformes de l'Assemblée Nationale en 1789.

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L'on sait l'abstention du clergé et de la noblesse à l'ouverture des Etats-Généraux, les difficultés qui suivirent et la substitution de l'assemblée nationale aux dits Etats, malgré les efforts de l'aristocratie qui, par l'organe du roi, ne cessa de réclamer la séparation des trois ordres. Arrive l'insurrection de juillet ; les Malouins courent aux armes ; la garde bourgeoise, 500 citoyens, se constitue en garde nationale, mais en dépit de leur générosité, les habitants de la petite cité, dans ce bouleversement général du royaume, dans cette désorganisation universelle des pouvoirs, dans ce moment où le peuple irrité pouvait tout (Arch. com., LL. 88 (H .3), n° 2), savent se contenir. « Ils ne souillent le triomphe de la liberté d'aucun acte de vengeance ». L‘on prend seulement des mesures de prudence. Les forts extérieurs de la Conchée et des Rimains sont armés, on place deux pièces de campagne à la porte Saint-Vincent (Arch. com., BB 40, fol. 40) ; on prête des armes aux villes voisines (Arch. com., fol. 60, 63, 73), on leur envoie du renfort ; les rues de la ville restent éclairées toute la nuit et les portes des allées doivent être fermées à dix heures du soir (Arch. com., fol. 146).

A la crainte se mêle la disette ; les approvisionnements se font difficilement, le prix du blé monte ; aussi fait-on visiter les paroisses voisines, afin d'en extraire pour le marché de Saint-Malo tout ce qui n'est pas nécessaire ; il faut se défendre contre les accapareurs (Arch. com., fol. 67). Heureusement, il y a dans la ville de généreux bienfaiteurs comme M. de la Mennais qui, pour rendre service à leurs concitoyens, détaillent au-dessous de leur prix d'achat du blé et du riz, ou, comme contribution patriotique, offrent pour 4.000 livres de « patates » (Arch. com., fol. 114).

Toutefois règne encore un calme relatif ; ce qui le prouve, c'est que plusieurs familles nobles essaient de se réfugier à Saint-Malo. Le conseil exprime ses regrets de ne pouvoir les y admettre, mais il est contraint de s'y opposer pour ne pas créer de précédent (Arch. com., fol. 69). Cela n'empêche pas la ville d'être accusée de passer dans la province pour la plus favorable à l'aristocratie. Des lettres anonymes sont adressées à l'assemblée nationale en ce sens (Arch. com., LL 21 , fol. 32), et l'assemblée de la municipalité proteste contre ces allégations mensongères avec une véhémence significative. Un libelle « furieux et criminel l'a plus particulièrement touchée ». Elle fait faire des recherches pour retrouver l'auteur ; « il a l'audace de dire que l'aristocratie y a le plus d'empire, tandis que le commerce qui rassemble et met au niveau toutes les conditions est presque le seul état de tous les habitants, qu'il n’y a dans cette ville que peu de gentilshommes ayant droit d'assister aux Etats et qu'ils ont donné au conseil leur déclaration de révoquer les serments faits à Rennes et à Saint-Brieuc, et d'adhérer aux décrets de l'assemblée nationale » (Arch. com., fol. 54).

Des lettres particulières du même esprit induirent en erreur M. de Lanjuinais qui annonça à l'assemblée nationale que la noblesse de Bretagne allait se rassembler à Saint-Malo et tenter d'y constituer des Etats suivant l'ancienne forme : la municipalité écrit à M. Lanjuinais en le priant de déclarer que « jamais les habitants de Saint-Malo ne souffriraient cela » (Arch. com., BB 57, fol. 60).

Les émigrations commencent d'être signalées (Arch. com., BB 40, fol. 41) et bientôt vont se multiplier.

Pourtant le conseil exprime son désir de voir un rapprochement entre des citoyens qu'une malheureuse opposition d'intérêts tient depuis longtemps divisés. Le moyen d'y arriver ne serait-il pas pour les nobles « d'abjurer les serments, protestations et déclarations qu'ils avaient faits tant à Rennes qu'à Saint-Brieuc, d'adhérer sans reserve aux arrêtés pris et à prendre par l'assemblée nationale et de désavouer la relation calomnieuse des faits arrivés à Rennes les 26 et 27 janvier 1789 » (Arch. com., BB 40, fol. 129).

Mais comme son appel n'est pus entendu, il prend une délibération dont les conclusions sont : « 1° que tous les membres des corps ci-devant privilégiés, connus sous le nom d'ordres du clergé et de la noblesse résidant à Saint-Malo y sont maintenus dans la possession de tous les droits et prérogatives attachés à la qualité de citoyen ; 2° que, sous huitaine, au plus tard, ils produiront d'une manière convenable soit à l'assemblée générale, soit au conseil permanent, un acte en forme, par lequel ils désavoueront la relation calomnieuse des attentats commis à Rennes contre l'honneur et la loyauté des jeunes citoyens de la commune de Rennes ; ils abjureront les engagements, protestations. etc..., adhéreront aux arrêtés…. faute de quoi il sera pris par l'assemblée générale telle mesure que la sûreté pourra exiger ».

Mais avant d'enregistrer et publier sa déclaration, le conseil jugea bon d'essayer si, une fois de plus, par voie conciliatoire, il pouvait arriver à avoir satisfaction.

Il était huit heures du soir ; deux commissaires, MM. de Longeville et Le Baillif se rendent sur le champ d'abord chez Monseigneur l'Evêque, chef du clergé (Mgr. de Cortois de Pressigny), ensuite chez M. de Robien, doyen des membres de la noblesse, pour leur faire part de l’arrêté qui vient d'être pris et les inviter à ne plus différer de prendre le tout dans la plus sérieuse considération. Chez l'évêque on leur promit de faire réponse le lendemain. Chez M. de Robien, reçus seulement le lendemain, ils trouvèrent le même bon accueil. Le 16 octobre (Arch. com., BB 2, 80), les gentilshommes résidents à Saint-Malo font la déclaration demandée : « Les gentishommes bretons, soussignés, résidents à Saint-Malo qui ont assisté ou avaient droit d'assister aus Etats de la Province, notamment aux assemblées tenues à Rennes et à Saint-Brieuc, dans les mois de janvier et avril dernier, ayant pris en considération la délibération de l'assemblée générale de la commune et de la municipalité de Saint-Malo réunies du 22 août dernier, laquelle les invite à s'assembler pour aviser aux plus sûrs moyens de rétablir efficacement la paix dans cette province et désirant manifester leurs sentiments et leur opinion sur les événements actuels, le font avec d'autant plus de satisfaction qu'animés du zèle du bien public, ils n'ont qu'à exprimer le désir de le voir s'opérer et l'intention d'y coopérer pour tout ce qui peut dépendre d'eux. En conséquence, ils déclarent :

1° Adhérer purement et simplement et sans aucune réserve aux desiderata de l'assemblée nationale qu'ils reconnaissent légalement constituée, laquelle adhésion ils donnent dans le même esprit que renferme la délibération de la municipalité de la commune de Saint-Malo du même jour, 22 août dernier, relative à la soumission aux décrets de l'assemblée nationale, laquelle délibération ils adoptent en tout son contenu et à laquelle ils réfèrent absolument.

2° Révoquer sans restriction les engagements, protestations, délibération et déclaration qui seraient contraires à cette adhésion faits à Rennes et à Saint-Brieuc et qui sont connus sous la dénomination de serments, lesquels sont annulés pour toujours comme vides d'effet.

3° Sur la relation publiée par les membres de la noblesse des événements arrivés à Rennes les 26 et 27 janvier derniers, ils affirment n'avoir aucune connaissance personnelle des faits qui y sont exposés contre l'honneur et la loyauté des jeunes citoyens de la commune de Rennes et n'avoir jamais donné aucun mandat ou pouvoir de publier cette relation ».

Cette déclaration était signée de : MM. le chevalier de Robien, de Lesquen, Goret de la Grandrivière. Magon de l'Epinay, Ferron, de la Pirronnais. Magon de la Villehuchet fils, Bernard de Courville, T. de Russy, Charles de Russy, le chevalier de Pennelé, Bouan, de Lys, Le Forestier, Lachoue (Arch. com., série II, 2. p. 67). MM. de Carcaradeuc et de Ponthual adhèrent quelques jours plus tard à cette déclaration (Arch. com., BB 40 , fol. 147).

De leur côté, les membres du clergé apportent à l'assemblée leur adhésion aux décrets (Arch. com., BB 2, fol. 80) ; elle était signée de l'évêque, du doyen, l'archidiacre de Dinan, Le Chantre, Marion, Frostin, de la Grezillonaye, Rousselin, Couste, Le Breton, Rozy, Collet, Baudry, Le Gentil-Bernard, du Monteil.

La soumission au décret du 10 août 1789 de l'assemblée nationale était donc complète dans la ville.

Précédant celle des ordres privilégiés, dès le 22 août, la prestation de serment de l'état-major de la place, des officiers du génie et de l'artillerie, ainsi que des régiments de Forez en garnison à Saint-Servan et conforme au décret, avait eu lieu en présence de la municipalité « de l'autre côté de la Hoguette » (Arch. com., BB 40, fol. 75). La délibération de l'assemblée municipale du 22 août fixait les détails de cette cérémonie solennelle.

On se félicite de ce que « les décrets de l'assemblée nationale, loin de porter atteinte aux immunités de la Bretagne, ajoutent à la liberté dont jouissent les habitants de la province, que ces décrets vont étendre au profit de toutes les parties du royaume les droits que les Bretons avaient conservés et principalement ceux de délibérer sur tous les changements à faire dans la législation et de ne pouvoir être soumis au paiement d'aucun impôt, sans un consentement libre de leur part ».

L'assemblée municipale adhère à tous les décrets de l'assemblée nationale sous la réserve, toutefois, des privilèges purement honorifiques dont les citoyens de Saint-Malo jouissent de temps immémorial de garder cette ville et de ne recevoir aucune garnison militaire dans l'enceinte de ses murs. Elle est opposée à la sanction absolue du roi formant veto indéfini et donnant force exécutoire aux lois et décrets de l'assemblée nationale. Elle considère que le veto au droit d'opposition qu'il ferait admettre est « le dernier et peut-être le plus dangereux effort de l'aristocratie et des partisans du pouvoir absolu » (Arch. com., BB 40, fol. 75).

Et, réunis en assemblée générale à Saint-Sauveur, habitants de Saint-Malo et Saint-Servan « déclarent unanimement qu'ils n'ont jamais autorisé et n'autoriseront jamais leur représentant à l'Assemblée nationale [Note : M. Huard. Il ne devait pas l’être longtemps. En effet, il mourut à Versailles, deux mois plus tard, et fut enterré, le 4 novembre, en grande pompe à Saint-Malo (Arch. com., BB 40, fol. 151). — Son buste, en terre cuite bronzée, fut placé dans la salle de l'hôtel de ville et une copie en fut offerte à la famille. (Arch. com., série D, LL 21, fol. 84)] à souffrir qu'il soit porté aucune atteinte à l'exercice absolu du pouvoir législatif qui, dans toute sa plénitude, appartient exclusivement à la nation ; qu'ils seront toujours prêts à tout sacrifier, leur vie même, s'il le faut, pour la défense et le maintien d'un droit sur lequel reposent essentiellement le bonheur et la liberté du peuple français ; qu'ils protestent formellement contre tous actes qui tendraient à altérer cette maxime sacrée, constitutionelle et fondamentale. Qu'ils tiendront pour traitres à la Patrie et vouent à l'indignation publique quiconque manifesterait dans l'assemblée nationale un vœu contraire. Ils protestent également contre tout projet de division des représentants de la nation en deux Chambres, comme destructif de l'unité essentielle de l'intérêt général ».

Cette déclaration fut déposée sur le bureau même de l'assemblée nationale.

Si la situation politique s'aggrave, la situation financière ne laisse pas, elle surtout, que d'être très troublante ; les impôts ne rentrent point ou mal ; la fraude sévit partout ; les commissaires des Etats se plaignent ; la municipalité de Saint-Malo fait répondre que dans la ville il ne se produit aucun désordre pareil et que le produit des devoirs rentre régulièrement (Arch. com., BB 40, fol. 108). Pourtant, il faut venir au secours de l'Etat qui frise la banqueroute. Après un discours de M. Chenu de Villanger, avocat, en faveur d'une contribution volontaire (Arch. com., BB 40, fol. 114), les membres de l'assemblée municipale décident de constituer un bureau aux fins de recevoir les dons. Ils affluent en espèces comme en nature.

En sept mois, la contribution est montée pour la ville au chiffre de 364.000 livres (Mem. Manet, Tableau chronologique, fol. 234).

L'accord parfait d'idées de la municipalité avec les représentants de l'assemblée nationale devait recevoir une atteinte à l'occasion de la division administrative de la France en départements.

Saint-Malo, très fière de son indépendance et de sa situation, aurait voulu voir la Bretagne divisée en sept départements de l'un desquels elle eut été le chef-lieu ; elle exprimait son désir dans une longue pétition établie par MM. Jallobert et Le Roy (Arch. com., LL 21 (D 1), fol. 17), et que nous croyons devoir reproduire pour terminer ce travail, parce qu'en même temps qu'elle semble pouvoir se rattacher aux doléances du cahier de la ville, elle donne sur la configuration de la province et la place qu'y occupait Saint-Malo des aperçus qui ne nous ont pas paru sans intérêt.

Voici le texte de cette curieuse pétition (Arch. com., AA 3, n° 86) :

« La ville de Saint-Malo, pénétrée de vénération pour les décrets de l'auguste assemblée nationale, les considérera toujours comme autant d'actes tendant à la régénération du royaume, au plus grand bien de ces nombreux habitants ; ceux déjà rendus, marqués du sceau du patriotisme, ont été pour Saint-Malo un titre à la confiance comme à la sécurité pour l'avenir, dans le partage du bonheur public.

L'esprit d'équité, d'égalité qui dirige les opérations de l'assemblée tendra toujours à maintenir, par un équilibre exact, un partage égal, dans la faveur publique, à toutes les parties d'un grand empire ; jamais ces principes de justice ne seront exposés à recevoir d'autres atteintes que celles que pourraient y apporter des erreurs involontaires. La ville de Saint-Malo a cru en apercevoir une de cette espèce, mais bien dangereuse dans ses conséquences, dans le projet formé de réduire la division de la Bretagne en cinq départements seulement, tandis que le territoire, la population de cette partie du royaume comporte une division plus étendue.

Circonscrire dans un trop petit nombre de départements cette partie essentielle, serait une injustice frappante, puisqu'elle serait privée de représentation que les bases générales de la division du royaume lui ont assurée. D'un autre côté, ces départements trop grands, en écartant trop les diverses parties du centre de réunion, nuiraient à la représentation directe et générale, diminueraient le degré d'influence que doivent avoir toutes les parties du tout dans la chose commune, grèveraient les habitants, forcés à s'y réunir pour l'administration de la chose publique, par des déplacements plus longs, plus dispendieux, et ne feraient pas jouir les cantons les plus éloignés de cette surveillance précieuse que la seule proximité peut procurer, à cause des connaissances locales ; enfin, ces grands départements, excédant les bornes générales, tendraient à éloigner la justice des justiciables, à priver du même degré de protection toutes les parties de l'Empire français.

Mettre sous les yeux de l'assemblée nationale les funestes conséquences que ces préjudices graves pourraient entraîner, est un devoir des villes, est un acte de patriotisme que les Malouins ne peuvent ni ne doivent négliger, puisqu'il est seul capable de prémunir contre une injustice involontaire.

Suivant le décret du 12 novembre, le royaume doit être divisé depuis soixante-quinze jusqu'à quatre-vingt-cinq départements, qui doivent autant que les localités peuvent le permettre, contenir respectivement un même nombre de lieues carrées et une population égale dans la proportion relative à la population générale. En bornant la division de la Bretagne à cinq grands départements, c'est trop la circonscrire, comparativement au royaume en général, et aux autres provinces en particulier, et cette vérité va devenir frappante si l'on compare dans un rapport combiné le territoire et la population de la Bretagne avec le reste du royaume.

La France, en général, contient vingt-six mille lieues carrées et la Bretagne qui fait partie de ce territoire en contient dix-huit cents, ce qui réduit le surplus de la France à vingt-quatre mille deux cents lieues carrées. La population du royaume est de vingt-cinq millions d'habitante, et dans cette population, la Bretagne a seule deux millions deux cent soixante-seize mille âmes.

De ces premières données suit une première remarque, c'est que le territoire de Bretagne forme presqu'un quatorzième de celui du royaume et que sa population est d'un onzième de la population générale.

26.000 lieues carrées, divisées en 85 départements détermineraient pour chacun un territoire de 306 lieues carrées. 25.000.000 d'habitants répartis entre 85 départements formeraient chacun d'eux de 282.253 (sic) individus.

De ces secondes données — qui ne sont pas exactes — suit une nouvelle remarque. C'est que la Bretagne, ayant un territoire de 1.800 lieues carrées, forme à raison de 306 lieues carrées six départements moins 30 lieues carrées, qui font une très légère différence. La population de la Bretagne étant de 2.276.000 âmes, représente sous ce dernier rapport, à raison de 282.353 individus, la population de huit départements et, en outre, 17.176 âmes.

En bornant la Bretagne à cinq départements, c'est donc lui refuser la rigoureuse justice à laquelle elle à droit de prétendre comme toutes les autres parties du royaume. C'est lui refuser un département que l'étendue de son territoire lui accorde de plein droit et dans la rigueur des principes, c'est la priver respectivement à sa très grande population, de trois départements que cette base en particulier lui détermine dans le partage de la nature. C'est donc lui faire, sous tous les rapports, une condition pire que les autres provinces, tandis que son importance dans la balance générale de l'Empire francais devrait peut-être lui procurer quelques faveurs qu'elle ne sollicitera pas, par amour pour la règle et la justice.

La division générale du royaume porte sur deux bases, le territoire et la population, mais sans rompre l'équilibre politique que ces bases ont pour objet de maintenir, il semble juste de les faire concourir, se suppléer même. Ainsi, la Bretagne, dont la population représente plus de huit départements, tandis que son territoire n'en offre que six, pourrait, sans s'écarter de la base essentielle et primitive : la population, demander sa division en huit départements, parce que ce sont plutôt les hommes que le sol qui doivent être représentés, à cause de leur intérêt plus immédiat au pacte social et que la base territoriale en elle-même n'a pas pour but l'extension, mais au contraire, le rapprochement des associés, afin que le centre du département soit plus à la proximité des peuples et que l'ensemble mieux connu dans ses détails, reçoive le secours, la surveillance qu'il ne pourrait obtenir si l'éloignement le privait de la connaissance de ses besoins. Mais une considération puissante qui doit retenir la Bretagne, faire ployer, même à son désavantage, la première règle des associations politiques, c'est qu'en donnant une prépondérance rigoureuse à la population ce serait peut-être trop s'écarter de la seconde base adoptée pour le bonheur commun par l'assemblée nationale et qui est propre à procurer à d'autres portions les avantages qui peuvent résulter du rapprochement des parties du royaume qui ont moins de population que les autres.

La Bretagne seconderait donc l'esprit de justice de l'assemblée nationale en négligeant l'avantage que lui offre sa grande population pour se borner à la faire suppléer à une portion de local ; ainsi, par exemple, au lieu de demander huit départements, il semblerait avantageux au surplus du royaume de les borner à sept ; d'un côté, l'augmentation locale se trouverait compensée par le sacrifice de plus d'un département que donnerait la population. En réduisant à sept départements les 1.800 lieues carrées de la Bretagne, ce serait borner chaque territoire à 257 lieues carrées. Mais pour balance de ce déficit en local, la population de chaque département se trouverait être de 325.143 individus, ce qui excédrait de 42.790 âmes la population des autres départements du Royaume et serait plus que l'équivalent de 49 lieues carrées qui manqueraient au territoire de chaque département. Si on compare la Bretagne à la Normandie, dont la division doit être fixée à six départements, quoiqu'elle ne contienne que 1.635 lieues carrées et une population de 1.913.000 âmes, on sentira encore mieux l'injustice qui serait faite à la Bretagne qui a plus de territoire et de population, et on serait fort étonné que dans la balance politique, il fallut pour un département de Bretagne plus de territoire que l'on en exige pour la Normandie et plus de Bretons pour le peupler que dans les autres provinces de France.

La forme particulière de la Bretagne qui représente une espèce de triangle, trouverait pour elle-même un avantage inappréciable dans une division en sept départements. L'avantage particulier du royaume est intéressé à favoriser cette division, puisqu'elle est en elle-même propre à maintenir l'importance de cette province dans ses rapports avec le surplus du royaume, à seconder le développement de ses ressources par des administrations, qui étant plus rapprochées, surveilleront mieux les grands moyens d'amélioration et d'utilité communes, que cette partie du royaume est en état de développer, soit par rapport à une plus grande fertilité de son sol, soit par la perfection et l'étendue de son commerce qui a toujours été une source de richesse pour les autres parties du royaume.

Saint-Malo, privé par la mort de M. Huard, son citoyen député de la sénéchaussée de Rennes, de l'organe qui aurait pu appuyer la juste réclamation qui vient d'être établie et qui intéresse la province entière, charge M. Bodinier, suppléant de la même sénéchaussée et son compatriote, de la faire valoir dans le comité particulier des députés de Bretagne, et dans le cas où entr'eux sa division aurait été bornée à cinq départements, il est autorisé à mettre la présente pétition sous les yeux de l'assemblée nationale.

Saint-Malo, berceau de Jacques-Cartier, de Duguay-Trouin, de Maupertuis, de la Bourdonnais, espère que l'évidente justice qu'elle réclame autant pour ses concitoyens que pour tous les Bretons, trouvera dans l'assemblée nationale des voix pour l'appuyer, des orateurs pour la défendre puisque chacun des membres est député-né de toutes les parties du royaume et intéressé à faire triompher la justice dans la répartition des faveurs.

Celle que Saint-Malo réclame est marquée au coin de la plus stricte équité, puisque la population suppléant à l'étendue du territoire assure au moins sept départements à la Bretagne, que les borner à cinq serait priver une grande population du droit de représentation qu'elle doit avoir, qu'étendre les départements, c'est surcharger de peine, de fatigues et de dépenses les membres éloignés qui devront entrer dans la formation des assemblées de département, c'est priver les assemblées du département de connaissances locales qui peuvent faire prospérer toutes les parties, c'est priver les parties éloignées d'une surveillance utile, c'est rendre la protection que lui doit le gouvernement plus éloignée et conséquemment moins salutaire ; c'est priver les grandes villes, les chambres de commerce importantes au royaume, d'une administration directe sans laquelle toute prospérité est impossible ; c'est faire remonter la partie la plus peuplée. la plus cultivée, les côtes de Bretagne vers le centre aride de la province qui ne peut se fertiliser qu'en faisant refluer vers lui les ressources d'un commerce qui ne peut s'étendre, s'il est découragé ; c'est, enfin, éloigner la justice des justiciables, retarder ses décisions et souvent porter devant des juges de l'intérieur des questions peu familières, faute de connaissances locales que l'habitude et la résidence peuvent bien mieux donner que des études quelqu'attentives qu'elles soient ».

Cette pétition était signé des membres du conseil permanent de Saint-Malo « pour servir de pouvoir à Monsieur Bodinier, suppléant de la sénéchaussée de Rennes » (Arch. com. série D. LL. 21, fol. 16).

La municipalité exprima quelques jours plus tard (Le 27 novembre 1789, Arch. com. série D. LL. 21, fol. 24) le vœu que les chefs-lieux des sept départements soient Rennes, Nantes, Vannes, Quimper, Morlaix, Saint-Brieuc, Saint-Malo.

« Le département de Saint-Malo sera probablement le plus circonscrit dans son territoire, mais il ne contiendra pas la plus petite population ; il ne sera pas le moins intéressant par ses rapports de commerce….

Si en Bretagne, les départements sont plus grands et plus peuplés que dans le reste du royaume, les habitants n'auront plus le même degré d'influence, diverses parties n'y seront point représentées et mal connues, elles ne jouiront point de cette surveillance qui peut seule mener à la prospérité. L'administration devant se subordonner au local, il est certain qu'elle ne pouvait avoir les mêmes règles, la même uniformité, d'où suit que ce qui serait très bon pour un département agricole ne peut avoir les mêmes avantages pour un autre dont la ressource principale serait le commerce et surtout le commerce maritime.

Il faut donc, pour l'avantage de ces deux choses si différentes entr'elles, des régimes différents, et Saint-Malo et son arrondissement plus commerçant qu'agricole serait mal administrée s'il entrait dans le département de Rennes, parce que sa représentation peu nombreuse aurait peu d'influence sur la masse des autres administrateurs, qui n'auraient peut-être pas des connaissances appropriées aux opérations du commerce, ou n'y attacheraient pas les grands avantages que des négociants habiles peuvent seuls entrevoir et faire réaliser  .....

Si on veut ensuite considérer Saint-Malo sous le rapport de son commerce, aucun des députés de Bretagne ne pourrait contredire que cette ville contient, avec son faubourg Saint-Servan, 35 mille habitants, qu'à cet égard elle est la troisième ville de Bretagne………

Son commerce mérite encore une plus grande considération ; il embrasse au moins lu moitié de la pêche nationale dans toutes les parties de Terre-Neuve où elle est permise à la France, cette branche d'industrie si importante qui mérite à tant d'égards d'être favorisée et encouragée, puisqu'elle est pour les nations qui la cultivent, la source première de leur puissance navale et de leur richesse.

C'est avec ses ressources que Saint-Malo a fixé autour de lui une très grande population qui est la principale pépinière des marins, comme sa pêche en est l'école : ces marins qu'elle soudoie pendant la paix deviennent les défenseurs de la patrie en temps de guerre.

Si dans le nouvel ordre des choses qui va s'établir, Saint-Malo devenait subordonné à une administration étrangère, son commerce manquerait de cette surveillance directe qui peut seule en vérifier toutes les parties ; il serait bientôt anéanti et cette ville déchue de son ancienne splendeur ne serait plus qu'une citadelle déserte.

Ainsi donc et sous les rapports politiques et pour l'avantage particulier d'un grand arrondissement, il est important que Saint-Malo devienne chef-lieu d'un département et nulle autre ville après Nantes ne peut lui refuser cet avantage en se mettant en parallèle, puisqu'aucune autre n'est aussi commerçante, n'a une si grande population dans son sein et dans son voisinage et ne réunit des alentours aussi fertiles et aussi cultivés. Rennes même, la capitale de la province, ne pourrait balancer ces grands avantages ».

Comme on le voit, Saint-Malo avait conscience — assez fièrement même — de sa force et de son importance ! Pourtant sa demande ne trouva pas d'écho à l'assemblée nationale. Saint-Malo ne fut pas, comme elle le souhaitait, chef-lieu du département de la Rance.

(Yves Bazin).

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