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Saint-Malo à la veille de la Révolution et doléances de ses habitants |
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Dans la tourmente révolutionnaire qui, comme le raz de marée balayant tout impitoyablement, devait emporter ces institutions plusieurs fois séculaires, dont on peut dire qu'elles semblaient indéracinables, tellement l'âge et la confiance les avaient faites fortes, dans le réveil de la Nation subitement ivre d'indépendance, la population bretonne prit — on ne saurait le nier — avec le Dauphiné, la Provence et Paris, la tête du mouvement et ne cessa, durant la période troublée qui devait suivre ces premiers élans, de témoigner d'une particulière ardeur à la lutte.
S'il en fut ainsi, c'est que, d'une part, la Bretagne avait conscience de son unité et de sa force ; c'est que, d'autre part, les villes de la province comptaient dans le monde éclairé du droit, des lettres, des sciences, des disciples convaincus de ces philosophes dont les écrits nourrissaient alors les esprits. Peu à peu, Jean-Jacques, Mably, Locke, etc..., pénétrèrent dans les plus humbles échoppes des villes et plus tard jusque dans les campagnes ; c'était la vulgarisation de nouvelles et séduisantes conceptions politiques et sociales.
Il devait suffire que le feu fût mis aux poudres pour que l'incendie éclatât violent, insurmontable ; l'opposition tenace du Parlement de Bretagne aux édits de mai 1788 allait déchaîner la révolte dans la Province et marquer le début d'une agitation qui ne devait pas se calmer avant longtemps.
Quelle part Saint-Malo prit-elle à ce mouvement ? Quel rôle ont joué ses habitants dans ces mois d'inquiétude qui vont de 88 à 90 ? Quelles furent leurs revendications et leurs doléances ? C'est ce que nous nous sommes proposé d'étudier.
La tâche était délicate, nous le savions ; mais le souci de la vérité, le contrôle apporté à nos recherches saurant, nous l'espérons, nous garantir contre tout soupçon malicieux : dès que l'on aborde le sujet brûlant de la Révolution, on est facilement accusé de vouloir faire œuvre politique. L'idée de ce travail a une autre source : elle nous a été suggérée par l’attrait naturel qu'en Malouin de naissance et de cœur, nous ressentons pour l'étude du passé de notre pays.
En écrivant cet oeuvre notre but a été d'apporter notre très modeste contribution à l'histoire malouine.
Que ceux dont nous avons reçu les conseils éclairés, que ceux qui ont facilité nos recherches reçoivent ici, l'expression de notre profonde reconnaissance.
Regard en arrière.
Bâtie sur un rocher longtemps appelé rocher d'Aaron, pieux personnage qui, vers l'an 507, dit-on, vint s'y fixer avec quelques religieux. la petite ville, à laquelle, dans la suite, l'évangéliste Malo devait laisser son nom, ne cessa de tenir, à travers les siècles, dans l'histoire de la Bretagne, dans l'histoire même de la France, une place enviée. Sa situation géographique admirable, le courage de ses marins renommés la rendirent vite célèbre.
En y transportant son siège en 1152. Jean de Grille, évêque d'Aleth, contribua singulièrement à donner à la ville de l'importance et de l'extension (Archives communal, manuscrit de l’abbé Manet).
Dès 1170, les premiers négociants malouins commencent d'entreprendre, sous le régime du congé d'amiral que le seigneur ecclésiastique délivrait aux armateurs, leurs fructueuses campagnes maritimes. A maintes reprises, les rois de France durent recourir au zèle de ces durs marins, plus particulièrement lors de la conquête de la Normandie sur Jean sans Terre et dans les luttes nombreuses qu'ils eurent plus tard à soutenir contre le duc de Lancastre et la flotte anglaise, luttes heureuses qui valurent à Saint-Malo les plus honorables privilèges.
A partir du XVème siècle s'ouvre vraiment pour la cité l'ère de la prospérité commerciale ; c'est le siècle de la découverte de Terre-Neuve, puis bientôt après du Canada.
Le XVIème siècle devait voir les premiers rapports avec l'Inde, les fructueux et fâmeux exploits des corsaires dont l'intervention, sous la Ligue, contre les rebelles rochellois, devait être si efficace ; il devait aussi assister à l'établissement et au maintien, durant quatre années, de la République malouine !
Mais la période la plus heureuse, celle où Saint-Malo atteint son maximum de développement et de richesse fut, sans contredit, la fin du XVIIème siècle. La célèbre Compagnie des Indes [Note : Cette Compagnie des Indes faisait un commerce important. Pour en donner une idée, qu'il suffise de dire que les commerçants de Saint-Malo n’occupaient pas moins de 100 navires anglais chaque année ; 25 à 30 navires hollandais enlevaient annuellement de 150 à 200 tonneaux de miel ; les expéditions de toile bretonne s'élevaient de 4 à 5 milles balles. Les bénefices des commercants servaient souvent à satisfaire leur vanité ; ils achetaient des titres de noblesse ou recherchaient pour les leurs des alliances nobles. Cela valut d'ailleurs, au dire de l'abbé Manet, à certaines filles d'amateurs de dures leçons] y avait alors une chambre de direction particulière et les profits de cette époque furent considérables ; l'on correspondait en ce temps, avec les îles les plus lointaines, où des comptoirs avaient été établis et d'où l'on importait les produits les plus variés. Les bénéfices s'élevaient parfois à 200 et 400 %.
De pareils bénéfices devaient fatalement attirer des convoitises et la population augmenta rapidement. Il fallut accroitre la ville ; c'est alors que s'élevèrent, intra-muros, ces riches hôtels de granit qui lui donnent un si haut cachet de noblesse.
A la même époque, les négociants malouins prêtèrent — dit-on — au roi Louis XV, 22 millions d'argent en barre ; l'opération financière est assez discutée aujourdhui, mais l'opulence de ce temps la rend très vraisemblable.
Bientôt, cependant, les descentes des Anglais (1758) devaient porter un coup rude au commerce. Péniblement, il se relevait de cette épreuve quand la Révolution éclata.
Géographiquement, la Bretagne pouvait être divisée en Haute et Basse ; la première plus engagée dans les terres vers l'est ; la seconde, plus en avant dans la mer à l'ouest. Cette division s'était faite d'elle-même, suivant les langues en usage dans les deux contrées. Dans la haute Bretagne, se trouvaient les cinq diocèses de Dol, Saint-Malo, Saint-Brieuc, Nantes et Rennes, dans la basse, on en comptait quatre, ceux de Vannes, Quimper, Saint-Pol-de-Léon et Tréguier (Arch. com., Notes et Fragments, fol. 133, Manet).
Saint-Malo, siège de l'évêché, faisait partie du doyenné du Poulet. Le diocèse comptait 161 paroisses, 43.160 feux et 24 trêves ou succursales (Arch. com., manuscrits de Cunat) ; il était divisé en deux archidiaconnés et huit doyennés ; c'étaient les deux archidiaconnés de Dinan et de Porhoët et les doyennés de Poulet, Poudouvre, Plumaudan, Bécherel, Beignon, La Nouée, Montfort, Lohéac (Arch. com., Manet).
L'évêché de Saint-Malo était borné au nord par la côte du Saint-Benoist-des-Ondes hormis l'enclave de Paramé à Saint-Coulomb, de l'évêché de Dol ; à l'est, ses limites étaient Saint-Jouon-des-Guérets, Dinan, Saint-Domineuc, Saint-Léger, Bazouges. Breteil, Saint Malo-de-Phily ; au sud, Comblessac, Saint-Abraham, Ploërmel, les Forges ; à l'ouest, Porhoët, Sévignac, Jugon, Saint-Lormel, Trégon ; Lanjuinais, Saint-Méloir, Plélan-le-Petit, Auraleuc, Trébédan, Saint-Urielle, Saint-Mervon, Le Lou, Saint-Uniac, Bédée, Illifaut, constituaient autant d'enclaves de l'évêché de Dol (Pocquet, Histoire de Bretagne, t. V, carte).
De Saint-Malo, Saint-Servan, depuis le 1er mai 1753 formait le faubourg ; les ports de Saint-Malo et de Solidor ne faisaient qu'un. Cette situation pesait lourdement aux Servannais [Note : Saint-Servan profita du bouleversement pour se donner un comité paroissial permanent et armer une milice distincte de celle de la ville. Le 25 novembre 1789, malgré des ordres précis, la nouvelle municipalité fut créée ; le lendemain, une rencontre avait lieu sur la grève entre les enfants des deux communes et « des coups furent échangés entre ces nouveaux Horace et Curiace ». Le 6 décembre, Saint-Malo députa M. Dudemaine-Guillemault vers l'assemblée permanente servannaise pour connaître définitivement ses intentions. Pendant deux jours, raconte-t-on, l’assemblée délibéra ; elle finit par avoir gain de cause (Arch. com., Cunat, et Ibid., LL 21 (D1)] et ils ne cessaient de la critiquer. Elle prit fin le 13 décembre 1790. Saint-Servan avait conquis son autonomie et demeura ville séparée.
La population totale de la Bretagne était de 2.276.000 âmes.
A Saint-Malo le chiffre s'en élevait à 11.900 (Ibid., EE 9), inférieur à ce qu'il était 80 ans plus tôt. Toutefois, le nombre des naissances l'emportait sur celui des décès ; il était, dans la subdélégation, de 1.313 pour une année contre 1.037 décès, non compris les perdus en mer. Pour Saint-Malo, il y avait un excédent de 88 naissances. Le nombre des mariages était en moyenne de 100 à 150 par an (Archives d'Ille-et-Vilaine, C 1435).
Bien que les statistiques fussent encore assez favorables, le subdélégué s'inquiétait du léger fléchissement de la natalité et réclamait, surtout pour les habitants de la campagne, des secours sous la forme de remèdes gratuits ; il demandait aussi qu'une école d'accouchement fût créée dans sa subdivision « où l'impéritie des sages-femmes répandues dans les campagnes d'alentour n'est que trop malheureusement constatée ». On donna suite à cette réclamation, et s'il n'y eut pas une école d'accouchement proprement dite, du moins, un sieur Dubois, chirurgien-démonstrateur, fit à Saint-Malo, en 1789, une série de cours publics et gratuits. Ajoutons que sur la demande de M. Sébire, les commissaires des Etats écrivirent à l'Intendant à l'effet d'avoir le « phantôme » qui servait à Rennes pour de semblables instructions [Note : Ibid., C 446. - En ce qui concerne les statistiques des naissances, on remarquera que l'alcool n'avait pas alors produit de ravages ; le nombre des débits de boissons le ferait, à lui seul, présumer. Il n'y avait, en 1789, à Saint-Malo que 22 auberges et 25 cabarets. Vers 1919, on en compte plus de 300 (Arch. com., Abrégé chronologique, fol. 242, Manet)] .
Tableau économique, administratif, militaire, judiciaire et ecclésiastique de la Ville
au moment de la Révolution.
A. — La situation économique de Saint-Malo à la veille de la Révolution.
B. — La situation administrative de Saint-Malo à la veille de la Révolution.
C. — La situation militaire de Saint-Malo à la veille de la Révolution.
D. — La situation judiciaire de Saint-Malo à la veille de la Révolution.
E. — La situation ecclésiastique de Saint-Malo à la veille de la Révolution.
Derniers Etats de Bretagne.
E. — Les derniers Etats de Bretagne : les événements de Rennes et leur répercussion à Saint-Malo en 1789.
Les doléances des habitants de Saint-Malo.
Les doléances particulières des corporations de Saint-Malo.
L'Accueil fait aux premières réformes de l'Assemblée Nationale.
H. — Accueil fait par Saint-Malo aux premiers décrets de l'Assemblée Nationale en 1789.
La participation de la cité-corsaire aux premières doléances du Tiers fut relativement pacifique. Le seul sentiment de simple justice anime la classe bourgeoise, et le ton avec lequel ses réclamations sont portées au Roi est loin de laisser pressentir les tristes journées qui devaient suivre.
L'Histoire impartiale, fondée sur les faits et peu à peu libérée des tendances extrêmes, propres à la fausser, a su discerner les causes profondes du choc violent qui allait se produire. Nous n'avions pas à les étudier. La période dont nous avons voulu esquisser le tableau fut, à proprement parler, la phase dévolution plus ou moins lente, plus ou moins troublée aussi, qui précède toute révolution. La lutte entreprise par le Tiers-Etat contre les deux autres ordres ne devait s'achever dans le sang qu'en raison de la ténacité louable ou non de ces derniers à conserver des prérogatives qui apparaissaient au premier absolument injustes et mal fondées.
La querelle s'envenima, soutenue par de nouveaux éléments. De bourgeoise, à ses debuts, la révolution allait devenir populaire. La faiblesse d'un roi respecté, qu'un entourage intransigeant ou maladroit exploitait, ne put arrêter le torrent. Une ère nouvelle naquit dans le crime et la terreur.
Pourrait-on affirmer sérieusement qu'à tous les points de vue, la Bretagne et Saint-Malo, en particulier, devaient y trouver leur profit ? La secousse fut d'une violence telle que le pays s'en releva mal et difficilement. Saint-Malo souffrit longtemps d'une épreuve qui l'atteignait dans sa force vive : le commerce. Néanmoins, sous le régime nouveau de libertés politiques si durement acquises, garda-t-elle à travers les ans dans la Bretagne centralisée malgré elle — aucun cahier ne demandait l'abolition des institutions provinciales — la place honorable que lui ont value et lui vaudront toujours son histoire glorieuse et sa captivante beauté.
(Yves Bazin).
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