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La convocation des Etats Généraux. — Les élections des députés. — La rédaction des cahiers de doléances.

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Primitivement fixée au mois de janvier 1789, la réunion des Etats généraux, en raison des troubles du royaume, fut reportée, par lettre du roi, en date du 16 mars, au 27 avril, à Versailles.

Nous avons vu la joie qui se manifesta à l'annonce de cette convocation. Le règlement du 24 janvier (Arch. d’Ille-et–Vilaine, C 1595) exprimait le désir du roi de voir que tous les sujets fussent appelés à concourir aux élections des députés qui devaient former cette grande et solennelle assemblée. Sa Majesté voulait que « des extrémités de son Royaume et des habitations les moins connues, chacun fut assuré de faire parvenir jusqu'à elle ses voeux et ses réclamations. Chaque ordre devait rédiger ses cahiers et nommer ses députés séparément, à moins qu'ils ne préfèrent y procéder en commun, auquel cas le consentement des trois ordres pris séparément serait nécessaire ».

Saint-Malo n'ayant point de sénéchaussée royale (Arch. com., BB 57, fol. 42 et suiv.), se trouvait comprise dans le district de la sénéchaussée de Rennes, et comme sept députés avaient été attribués à cette sénéchaussée, elle se contenterait d'aller concourir à leur nomination. Cela semblait trop peu et la communauté de Saint-Malo écrit à M. Necker pour lui faire comprendre ses justes regrets de cette situation. Si du moins Saint-Malo avait dans l'Assemblée un nombre d'électeurs suffisant pour pouvoir assurer une nomination d'un sujet sur lequel ils réuniraient leurs suffrages, elle pourrait se flatter de se voir représentée par un des citoyens. Mais quand on vient à considérer qu'elle n'aura dans cette assemblée que douze électeurs — c'était le chiffre fixé par le règlement royal — dont la voix sera confondue et perdue dans une foule immense, il ne doit lui rester aucune espérance de jouir de cet avantage. « Cependant, Monseigneur, nous ne pouvons nous persuader que le roi puisse voir avec indifférence que la capitale d'un grand diocèse, une ville qui renferme avec son faubourg plus de trente mille sujets fidèles, une place de commerce importante surtout par ses armements pour la pêche nationale, par la nature et l'étendue de sa navigation, qui forme à l'Etat la pépinière de ses marins, se trouve privée du précieux avantage d'avoir un seul de ses citoyens dans l'assemblée de la nation ».

La communauté fit partir un courrier près du ministre des finances pour lui porter ses réclamations et le supplier de les mettre sous les yeux du roi afin qu'il lui plaise ordonner que la ville de Saint-Malo soit autorisée à nommer au moins un de ses citoyens pour député aux Etats généraux et que cette nomination soit faite devant les officiers municipaux par les électeurs choisis par les différentes classes des habitants de la ville et du faubourg, à moins que, pour ne rien déranger à l'ordre général, Sa Majesté ne jugeât plus convenable d'ordonner que sur les sept députés qui seront nommés à Rennes dans l'assemblée générale de la sénéchaussée, il y en aurait au moins un qui fût citoyen de Saint-Malo. Necker donna à Joseph Mayenne, domestique de M. Lempré, commissaire de marine, l'exprès envoyé par la communauté, l'assurance que la ville de Saint-Malo aurait au moins un député aux Etats généraux parmi les sept qui devaient être nommés à Rennes, et qu'il entendait ainsi « conserver à la ville l'avantage qu'elle eut aux Etats de 1614 », d'avoir un représentant.

Le consulat, de son côté, faisait depuis l’annonce des Etats, de pressantes démarches pour obtenir la faculté d'élire un député parmi les négociants pour représenter à l'assemblée le commerce de la ville (Arch. com., BB 59, fol. 162). Il écrit à Mgr de Barentin, garde des sceaux, afin qu'il appuie sa demande : « Accroître la richesse de l'Etat, multiplier ses ressources, les étendre de plus en plus sur cette portion infiniment nombreuse de citoyens utiles, dont le travail et l'industrie sont le seul patrimoine, donner à la navigation toute l'activité dont elle est susceptible, encourager l'agriculture par un débouché plus étendu de ses productions, tel doit être l'effet du commerce, tel est l'objet dont il se proposerait de discuter les moyens dans cette assemblée nationale par l'organe des citoyens qui seraient choisis à cet effet, et nous osons croire que notre bon roi, que vous, Monseigneur, et tous les membres de son conseil, ne dédaigneront pas d'écouter les raisons de bons et fidèles sujets animés du seul désir de contribuer au bien, d'être utiles à la patrie et à l'Etat et de voir élever le commerce français à l'égal de celui des nations les plus florissantes ». Les roi lui-même exprima le désir que le député de Saint-Malo fut choisi dans la classe des négociants et armateurs (Arch. com., BB 40, fol. 32). L'ordonnance de M. le Sénéchal de Rennes du 24 mars fixa la forme des réunions des corporations, le mode d'élection des députés qui seraient chargés de rédiger le cahier de doléances de leur commune. MM. Apuril de Kerloguen (Arch. com., BB 40, fol. 31), Deshais et Jallohert fils furent nommés commissaires « pour, concurremment avec M. Sébire, maire, s'occuper des moyens de remplir les vœux bienfaisants de Sa Majesté et les dispositions de l'ordonnance du sénéchal ». Cette ordonnance ( art. 26) (Arch. com., LL 122, K 2. Convocation des courtiers et agents de change, n° 65) fixait ainsi le nombre des députés : deux sur 100 individus et au-dessous, quatre au-dessous de 200, et ainsi de suite.

Les députés ainsi nommés pour Saint-Malo devaient se rendre à l'assemblée générale à l'hôtel de ville le 1er avril « pour y procéder, d'abord à la rédaction d'un cahier de plaintes, doléances et remontrances, tant sur les moyens de pourvoir et subvenir aux besoins de l'Etat qu'à tout ce qui peut intéresser la prospérité du royaume et celle de tous et chacun des sujets de Sa Majesté, et ensuite procéder dans la dite assemblée générale à la nomination des douze députés qui devront se rendre à Rennes le 7 avril pour y porter le dit cahier et concourir à la nomination des députés aux Etats généraux.

Un tableau rédigé par les commissaires nommés par la comunauté indiquait les lieu et jour d'assemblée des différentes corporations : le lundi 30 mars, à 9 heures du matin : à Saint-Benoît, les marchands de draps, soieries, etc... ; — à Saint-Aaron, les marchands de cidre, vin et brasseurs ; — à Notre-Dame, les clincailliers, bijoutiers, merciers, pipiers, marchands de meubles, charpentiers, etc. — L'après-midi : à la salle d'armes devaient se réunir hydrographes, instituteurs, maîtres de langues, de dessin, d'armes, de danse et musique ; — à Saint-Aaron, les épiciers ; — à Notre-Dame, les entrepreneurs, maçons, couvreurs ; — au consulat de la ville, les négociants et armateurs ; — au lieu ordinaire de leurs assemblées, les juges et officiers de l'amirauté, les juges de la juridiction ordinaire et des régaires, les avocats, notaires royaux, procureurs et mandataires, les officiers de la marine royale et marchande. médecins, chirurgiens, apothicaires, etc., etc. — Le mardi : réunion à Saint-François des portefaix, charretiers, voituriers, manœuvres ; — à la Bourse, des officiers mariniers, matelots, pêcheurs, bateliers... et tous ceux qui n'étaient pas compris dans le tableau.

Le maire el les officiers municipaux présidèrent à l'assemblée générale qui eut lieu le 1er avril, à 9 heures du matin, à la communauté de ville.

Le procès-verbal de cette séance (Cahiers de doléances, t. III. p, 7 et suiv.) nous fait connaître le nom de ses membres, députés des corps et corporations. En présence de Jean-François Picault, chevalier des Dorides, lieutenant du Roi au gouvernement de Saint-Malo et sous la présidence de Dominique-François Sébire l’aîné, maire et colonel de la milice bourgeoise de Saint-Malo, se réunirent : Bossinot, lieutenant du maire ; Le Gentil, Vetel des Landelles, Brignon de Léhen, Apuril de Kerloguen, négociants, échevins ; Deshais, armateur ; Jallobert fils, négociant, prieurs consuls en exercice ; Quesnel, négociant ; Herbert de la Porte-Barrée, prieurs consuls sortants ; Hercouët, négociant ; du Demaine-Guillemaut, négociant ; Maugendre, assesseurs ; des Saudrais-Sébire, administrateur de l'Hôtel-Dieu ; Capard, négociant, contrôleur des octrois et patrimoniaux ; Rouxel, négociant ; Danycan l'aîné, capitaine navigant, juges baillifs des eaux ; Duval, Desguets l'aîné, capitaine navigant, commissaires de police ; Grandchamp Chevalier, secrétaire greffier ; Dupuy-Fromy fils, capitaine de la garde.

Comparants : Courneuve, député des marchands de draps et autres ; Guillon, Cousin de Courchamp, députés des marchands en gros de vin et autres ; Besnard, cloutier, député des marchands clincailliers et autres ; François Hallot, Lafontaine, Jacques Billy, députés des charpentiers, menuisiers et autres ; Josseaume, Beauchemin, députés des hydrographes, instituteurs et autres ; Le Mesme, négociant, député des marchands épiciers et autres ; Jean-Baptiste Delot, taillandier, député des serruriers et autres ; Blaize de Maisonneuve, Lecoufle père, députés des négociants ; Jean Bodinier, Huard, députés des armateurs ; de Fredot-Duplanty, conseiller, Bossinot de Vauvert, procureur du roy, députés du siège royal de l'amirauté ; de Brécey, Rocher, députés des juridictions ordinaires et régaires ; Duclos Guyot, lieutenant de vaisseau, Corbillé, Ohier père, Fouqueux-Desmoulins, capitaine navigant, députés des officiers de la marine royale et marchande ; Bougourd, Chifoliaux, députés du collège de médecine ; Le Mesle, Dufresne, chirurgien navigant, députés de la communauté des maîtres en chirurgie ; Moulin, Fanonnel, députés des maîtres apothicaires ; des Jardins-Fichet, armateur, Lastelle, députés des officiers de la milice bourgeoise ; Bertrand l'aîné, Duault, député des officiers du bureau de la marine ; Marion l'aîné, Grenard, députés des architectes constructeurs et autres ; Perruchot de Longeville, directeur des fermes du Roi, Duparc-Louvel le cadet, députés des officiers du bureau des fermes générales ; Linquié, directeur, Binnemare, receveur général, députés des officiers du bureau des devoirs et autres ; Rousselin, commis de maison, député des commis ; Brault l'aîné, Chassin de Kergommaux, députés des courtiers et agents de change ; Duchesne Saint-Verguet, Benabin, députés de la communauté des maîtres orfèvres ; Louis Ami, député des horlogers et autres ; Laurent Loisel, député des maîtres perruquiers de la ville ; Joseph Boucouet, député des maîtres cordonniers ; Le Marié, député des tailleurs ; Jagoret, marchand de toile, député des voiliers ; Antoine Bautain, député des tonneliers ; des Rabines-Laurent, député des poulieurs ; Jacquinet, député des peintres ; Poiselle, député des selliers et autres ; Bourgogne, député des bouchers ; Guyot, député des galletiers ; Antoine Hinet, député des boulangers ; Pierre Desmares, député des amidonniers ; Duparc Le Coq, député des cordiers ; Guillaume, Tomine, Jean Toudic, députés des portefaix ; Servan Barthélemy, Servan Bigot, députés des matelots ; Chenu, député des traitants et autres ; Lafontaine, Le Bonhomme, ancien prieur consul, député des agriculteurs ; Proust, député du siège royal des traites ; Georges Mandoux, député des cordonniers du faubourg ; Georges Tennevat, député des maîtres perruquiers du faubourg ; Hovius père, député des imprimeurs.

Huit commissaires furent chargés spécialement de la rédaction du cahier de doléances. Ces commissaires étaient : MM. Huard, Le Baillif, Michel de la Morvonnais, Richer, Chaumont, Bertrand. Blaize de Maisonneuve, Jean Bodinier, auxquels furent remis les divers canevas de doléances, plaintes et remontrances particulières de chaque collège, corps, communauté et corporations.

Deux de ces canevas particuliers ont été retrouvés et publiés par MM. Sée et Lesort. Ce sont ceux de la juridiction ordinaire et des maîtres apothicaires. Nous rattacherons le premier aux réformes particulières à la ville qui font partie du cahier général de Saint-Malo. Voici le second, feuillet incomplet appartenant à M. le docteur Hervot (Cahiers de doléances, t. III, p. 77) :

Maîtres apothicaires.

Demandes de maîtres apothicaires formant la communauté de pharmacie établie à Saint-Malo et Saint-Servan.

Ils prient MM. les Rédacteurs des cahiers de doléances pour la ville de Saint-Malo de demander en leur nom :
1° Qu'il soit établi un nouvel ordre dans les finances du Royaume ; que cet ordre soit conçu et fixé de manière à écarter à jamais du cœur du meilleur des Rois ces inquiétudes qui l'ont affligé depuis quelques années.
2° Que les comptes de l'Administration des finances soient désormais tenus en partie double ; qu'il soient imprimés annuellement, pour que chaque citoyen soit à même d'en connaître tous les détails.
3° Qu'il ne soit établi aucun impôt sans le consentement de la Nation rassemblée, dont le Tiers-Etat forme la partie la plus essentielle.
4° Que les Etats généraux soient périodiquement fixés à des époques rapprochées.
5° Que les privilèges de la Bretagne soient maintenus et conservés, que néanmoins le Tiers-Etat assistera aux Etats de cette province en nombre suffisant et égal à celui des deux ordres de l'Egiise et de la Noblesse réunis ; que le suffrage par ordre n'aura plus lieu, et qu'on ne comptera plus les voix que par individu.
6° Que les fonds de la province ne seront plus dissipés avec la prodigalité qu'on a mise jusqu'ici dans leur emploi, et que les établissements qui seront désormais fondés soient également à l'avantage du Tiers-Etat comme ils l'ont été jusqu'ici pour les deux autres ordres, à l'exclusion du troisième,
7° Que la province soit ouverte par le moyen des eaux navigables, dont l'établissement est inefficacement projeté depuis plusieurs années [Note : Des lettres patentes en forme d'édit, en octobre 1783, autorisaient les Etats de Bretagne à faire exécuter tous les travaux nécessaires pour perfectionner la navigation. établir une communication entre Rennes et Saint-Malo pur la Rance (Arch, d’Ille-et-Vilaine, C 4953)].
8° Que la circulation des marchandises ne soit plus arrêtée dans l'intérieur du Royaume par les barrières et les bureaux de douane, qui seront désormais reculés aux frontières du Royaume.
9° Que le fermier des devoirs de la province n'exerce plus un pouvoir despotique dans la forme de procédés qu'il emploie contre les prévenus de fraude ; il faudra chercher un moyen qui concilie à la fois les intérêts de la ferme et qui ne porte pas atteinte à la liberté et à la facilité que chaque citoyen doit avoir de se défendre.
10° Que les Codes civil et criminel soient réformés, la procédure simplifiée, les moyens d'obtenir justice plus courts et moins dispendieux.
11° Que les privilèges de Saint-Malo soient conservés à cette ville, attendu que tous ses habitants sont pénétrés des mêmes sentiments de dévouement el de fidélité qui ont mérité à leurs ancêtres les glorieuses prérogatives qu'ils ont reçues en différents temps des souverains.
12° Que les abus sans nombre qui se sont glissés dans la formation de la municipalité et dans les opérations de ses membres soient réformés.
13° Que cette administration cesse d'être la proie de quelques familles qui s'en sont emparées et dans laquelle ils se perpétuent, à l'exclusion de la majeure partie des habitants.
14° Que les comptes des revenus de ce corps politique soient tenus avec la même précision que ceux des finances du Royaume et de la province, qu'ils soient annuellement imprimés et que chaque citoyen soit à même...

Toutes ces réclamations sont contenues dans le cahier général et c'est déjà une précieuse indication qui porte à penser que ses huit rédacteurs ont largement tenu compte des doléances des autres corps particuliers.

Le règlement du 16 mars convoquait également les curés ou recteurs au chef-lieu de chaque diocèse, afin d'y rédiger leur cahier de doléances et de nommer des représentants à charge d'élire leurs députés aux Etats généreux.

La réunion du bas clergé du diocèse de Saint-Malo eut lieu à Saint-Malo le 2 avril (Cahiers de dol., op, cit., t. IV, p. 109), sous la présidence du recteur de la ville épiscopale désigné par l'intendant malgré son titre de chanoine ; elle adopta la première rédaction du cahier et confia à trente-deux de ses membres le soin de choisir ses députés aux Etats généraux. Ces électeurs se réunirent le 20 avril ; ils ajoutèrent quelques articles au cahier adopté le 2, mais ne purent procéder au scrutin, une lettre de M. de Thiard les ayant invités à y surseoir jusqu'à nouvel ordre ; une nouvelle lettre du commandant en chef ayant levé cette interdiction, ils élirent le lendemain MM. Rathier, recteur de Broons, et Allain, recteur de Notre-Dame de Josselin.

Ce cahier n'étant pas l’œuvre de seuls Malouins, nous n'avons pas jugé nécessaire de le reproduire. Indiquons seulement deux de ces réclamations : demander des règlements contre la licence inconsidérée de la presse ; demander que la science et la vertu soient désormais des titres nécessaires et suffisants pour être admis à toute espèce de dignité ecclésiastique, et enfin cette clause assez curieuse : « la conservation de tous les droits, franchises, immunités de la province de Bretagne fondés sur le contrat d'union avec la France et qu'il ne faut pas confondre avec les privilèges particuliers de ceux qui ont été chargés jusqu'à ce jour de l'administration de la dite province ».

Le 3 avril, à 2 heures, les commissaires cités plus haut donnèrent lecture à l'assemblée composée des mêmes comparants que le 1er avril (voir par ailleurs), plus : Pierre Besré, entrepreneur, député des maçons, couvreurs et autres, et Jean-François Dolé, député des fondeurs, plombiers et autres, du cahier de doléances qu'ils ont rédigé et qui est adopté per l'assemblée et signé par tous ceux qui peuvent ce faire. La présidence du maire et la présence des officiers municipaux à ces assemblées fut critiquée (Arch. des Tr. de com., Reg. de l’Amirauté 1789-1732. fol. 35), par l'amirauté qui n'y députa « que pour se conformer aux vues de Sa Majesté ».

Un autre incident se produisit à l'assemblée du 3 avril au sujet de l'élection des députés (Arch. com., BB 57, fol. 45) à la sénéchaussée. Plusieurs habitants et membres des communes prétendaient que les officiers municipaux n'avaient pas le droit de voter individuellement. On demanda conseil sur ce point au sénéchal de Rennes, afin de savoir de lui ce qui s'était pratiqué dans l'assemblée de la ville et des communes de Rennes. M. de la Borie répondit que le corps municipal de Rennes avait eu voix délibérative dans toutes les assemblées sans aucune protestation. L'intendant de Bretagne adressa une lettre d'appui à la municipalité dans le but de calmer les esprits. Mais l'assemblée ne suivit pas cette opinion et on n'en termina qu'à une heure un quart du matin, après que les officiers municipaux eurent renoncé à voter.

Les députés de la ville à la sénéchaussée de Rennes (Arch. dép., C. 1807) furent : MM. Huard, armateur ; Michel de la Morvonnais, avocat ; Jean Bodinier, armateur ; Lescoufle père, négociant ; Bertrand l’aîné, ancien sous-commissaire de la marine ; Sébire l'aîné, négociant et maire ; Le Baillif, procureur ; Chaumont, procureur et notaire royal ; Blaize de Maisonneuve, négociant ; Danycan capitaine ; Chifoliaux, docteur-médecin ; Lafontaine-le-Bonhomme, négociant.

De ces douze députés, trois : Michel de la Morvonnais, Huard et Blaize de Maisonneuve firent partie des bureaux chargés à Rennes de vérifier les procurations données par les paroisses à leurs députés ; MM. Blaize de Maisonneuve et Bodinier firent partie de la commission chargée de former le cahier général des plaintes de la sénéchaussée (Cahiers de dol., op. cit., t. I, p. XCVII). Enfin le 17 avril,  M. Huard fut élu, le troisième sur sept, député aux Etats généraux, et M. Bodinier, suppléant.

Quelles doléances, en définitive, nos députés portèrent-ils à la sénéchaussée de Rennes ?

L'ouvrage de MM. Sée et Lesort nous livre l'ensemble de ses plaintes, dont trois exemplaires seuls leur sont connus (Cahiers de dol., t, III, p. 15).

Bien que leur publication ne soit qu'une reproduction, nous ne pouvons nous dispenser de donner ce texte in-extenso, nous réservant, toutefois, d'étudier plus spécialement, par ailleurs, les réformes particulières à la ville de Saint-Malo.

Cahier des charges et griefs donnés par la commune de Saint-Malo à ses douze députés, électeurs à Rennes, dans son assemblée des 1er, 2 et 3 avril 1789.

ARTICLE PREMIER, — Charge spéciale el particulière aux douze électeurs qui seront députés à Rennes. — L'assemblée a autorisé ces douze députés, électeurs à l'assemblée générale de la sénéchaussée de Rennes, à prendre derechef en consideration le cahier des réclamations du Tiers-Etat de Bretagne, arrêté par les députés de diverses communes et corporations à l'hôtel de ville de Rennes, du 22 au 27 décembre 1788, et à l'approuver au nom de tous les citoyens de cette ville dans le cas où la dite assemblée confère les mêmes pouvoirs à ses dits douze députés-électeurs, relativement aux arrêtés et délibérations ultérieures de l'ordre du tiers contenues dans le procès-verbal de ses séances particulières du 14 au 21 février dernier.

ART. II. — Considérant que le Tiers-Etat ne peut être bien représenté et ses droits bien défendus que par des membres vraiment de son ordre, et qui n'aient pas des intérêts et des vues opposés aux siens, il est expressément enjoint aux députés-électeurs à l'assemblée de la sénéchaussée de ne donner leurs voix pour députés aux Etats généraux qu'à des roturiers non privilégiés ; et comme il est intéressant pour cette ville et ses environs d'être représentés aux Etats généraux par un de ses citoyens, il est également enjoint aux dits électeurs de réunir leurs suffrages, de manière qu'il puisse être nommé un député de la ville ou du faubourg, autant que cela pourra dépendre d'eux, n'entendant au surplus gêner leurs suffrages sur le choix du sujet en ce qui ne serait pas contraire au présent article.

CONSTITUTION

ART. III. — Charges générales pour les députés aux Etats généraux. — C'est par une fausse idée que le Tiers-Etat, qui compose plus des quatre-vingt-dix-neuf centièmes de la nation, a été qualifié d'ordre. Il n'est pas indifférent de faire cesser cette ancienne erreur en lui donnant désormais le titre général de Peuple Français, le seul qui puisse convenir à la dignité d'un grand peuple libre et du Souverain qui le gouverne. Il est intéressant que cette dignité soit toujours présente aux yeux de ceux qui auront l'honneur de le représenter aux Etats généraux, afin qu'ils ne souffrent pas qu'il y reçoive d'humiliations. Aucun ordre n'a droit de lui en faire éprouver, la Majesté du Roi ne pourrait qu'en être blessée. Il y représentera un père au milieu de ses enfants. Il ne sera jamais plus grand et surtout plus chéri que lorsqu'ils seront tous traités avec les mêmes égards.

ART. IV. — Considérant que le nombre des représentants qui a été attribué au Peuple Français, pour les prochains Etats généraux, par la décision du conseil du 27 décembre 1788, n'est pas encore suffisant pour lui donner l'influence qu'il doit raisonnablement avoir dans cette assemblée, ce nombre sera augmenté dans une proportion convenable pour les Etats généraux futurs, et il sera pris des mesures pour établir le meilleur ordre de choses dans leur formation. Quant à l'assemblée prochaine, on se bornera à la proportion fixée par la décision du 27 décembre. Il est essentiel qu'il y soit voté par tête et que tous arrêtés et délibérations y soient pris à la pluralité au moins des deux tiers des voix.

ART. V. — Considérant que les plus grands maux de l'Etat viennent de ce que la Nation n'a pas, depuis longtemps, été appelée à concourir à la législation, il est indispensable qu'avant tout il soit établi une loi fondamentale qui rappelle que la puissance législative appartient, dans tous les cas et en toute matière, aux Etats généraux, conjointement avec le Roi qui n'a seul que la puissance exécutive.

ART. VI. — Qu'aux seuls Etats généraux assemblés appartient le droit d'établir ou de proroger les impôts et d'ouvrir des emprunts, sous telle forme et dénomination que ce puisse être. En conséquence. tous ceux qui existent et se perçoivent aujourd'hui devant être considérés comme d'origine ou d'extension illegales, il est important qu'au commencement de l'assemblée, il soit pris une délibération par laquelle ils seront tous annulés, et la continuation de la perception sera seulement autorisée pendant le cours de la tenue, après laquelle il n'y aura d'autres contributions que celles qui auront été statuées par l'assemblée avant sa séparation.

ART. VII. — Que la périodicité des Etats généraux soit également fixée par une loi fondamentale. Que l'intervalle entre leurs assemblées ne puisse excéder cinq années et que la tenue qui suivra la prochaine soit même fixée deux ans après, afin qu'on n'ait pas le temps de perdre les objets de vue ; qu'on puisse reprendre avec activité la suite de ceux qu'on n'aurait pas été en état de régler dans la précédente, et que la Nation puisse avoir l'espérance de voir mettre sous peu de temps la dernière main au grand oeuvre de sa régénération, sauf au Roi à convoquer des assemblées extraordinaires quand il le jugera convenable pour le bien de l'Etat.

ART. VIII. — Tous et chacun des membres des Etats généraux y seront en pleine liberté d'opinions, discussions et représentations, sans pouvoir être gênés par qui que ce puisse être, et sans pouvoir, ni avant ni après, être jamais ni récusés, ni poursuivis, ni inquiétés à raison de l'usage qu'ils auraient fait de la parole et de la discussion. Au reste, l'assemblée aura la seule police sur tous ses membres.

ART. IX. — Tous les impôts, de quelque nature qu'ils soient, qui seront consentis ou renouvelés à chaque tenue des Etats généraux, ne le seront jamais que jusqu'à l'époque fixée pour la tenue suivante, passé de laquelle ils cesseront de plein droit et ne pourront être exigés par qui que ce puisse être, jusqu'à ce que les Etats généraux n'aient été rassemblés pour y statuer de nouveau. Tout homme qui voudrait tenter de les lever sans cela et passé le dit terme, doit être déclaré concussionnaire, et il est important qu'il soit expressément enjoint à tous tribunaux, de quelque degré qu'ils soient, de le poursuivre et le traiter comme un ennemi public ; et si un ministre pouvait en donner le conseil, il doit en être responsable à la Nation et accusé par les Etats généraux.

ART. X. — Les citoyens de tous les ordres et de toutes les classes étant, les uns comme les autres, membres et sujets libres du même Etat, ils doivent tous également participer à ses charges en proportion de leurs moyens ; à l'effet de quoi, tous privilèges et exemptions pécuniaires doivent être supprimés. Quoique le cahier des réclamations du Tiers-Etat de Bretagne arrêté à Rennes au mois de décembre, contienne cette demande, il n'est pas indifférent de rappeler qu'il doit être fait sur ce point une loi fondamentale, afin que l'ayant toujours sous les yeux, la Nation ne puisse jamais l'oublier et soit toujours à lieu d'y rappeler ceux qui tenteraient de s'en écarter.

ART. XI. — Que la sûreté individuelle soit aussi assurée par une loi fondamentale. en sorte qu'aucun citoyen ne puisse être ni arrêté, ni emprisonné, ni exilé, ni privé de la vie, de sa liberté et de ses biens sans un jugement légal et motivé. Quiconque se permettrait, sans cela, d'attenter à la liberté d'un citoyen, serait criminel de lèse-patrie ; et il serait ordonné à tous les tribunaux de le poursuivre extraordinairement suivant l'exigence des cas.

ART. XII. — Qu'on prenne en considération l'amélioration du sort des soldats ; qu'on leur accorde une solde suffisante ; qu'on veille à leur nourriture et à ce que leur pain soit de meilleure qualité ; que les peines et punitions soient plutôt fondées sur la crainte de la perte de l'honneur que sur celle des châtiments ; mais aussi que les militaires qui ne sont établis que pour la sûreté de l'Etat et le défendre contre ses ennemis extérieurs, ne pourront jamais porter les armes contre aucune partie de la Nation française et seront tenus d'excepter ce cas de leur serment d'obéissance, et, s'il arrivait qu'ils y manquassent, les Etats généraux en prendraient connaissance, pour statuer à leur égard ce qui serait vu appartenir. Ils pourront néanmoins marcher en cas de soulèvement ou émeute extraordinaire.

ART. XIII — Clergé. — Que l'amélioration du sort des curés ou vicaires des villes et des campagnes soit prise en considération ; qu'il soit pourvu aux moyens de leur assurer un fonds suffisant pour leur donner l'existence honnête qu'ils doivent avoir, et pour les mettre en état de répandre leur charité dans le sein des pauvres ; que tout casuel soit supprimé comme onéreux au peuple et avilissant pour le clergé.

ART. XIV. — Que la pluralité des bénéfices sur la tête d'un même ecclésiastique soit de nouveau rigoureusement défendue ; que tout bénéficier soit tenu à une résidence constante dans le lieu de son bénéfice ; qu'aucun ne puisse en être pourvu sans, au préalable, avoir rempli le ministère pendant un certain nombre d'années dans une paroisse de ville ou de campagne.

ART. XV. — Qu'il ne soit plus porté d'argent à Rome, à titre de taxe, d'annates, dispenses, etc... Que les dispenses de toutes espèces soient données par l'Evêque diocésain ; qu'il en soit fait un tarif modéré et uniforme pour tout le Royaume et que le produit en soit employé au soulagement des pauvres et aux établissements de charité du lieu du domicile de celui qui paiera ces droits.

ART. XVI. — Noblesse. — Que la Noblesse ne puisse plus s'acquérir, ni par charge, ni à prix d'argent ; que le Roi soit supplié de ne plus l'accorder que sur la demande des Etats provinciaux pour les citoyens qui auraient rendu des services signalés à la Patrie, et sur la demande des commandants en chef de terre et de mer, pour des actions distinguées et prouvées. Qu'il soit pris en considération s'il ne conviendrait pas de ne plus accorder la noblesse que personnelle et non transmissible.

ART. XVII. — Qu'il ne puisse plus y avoir de dérogeance pour la Noblesse dans l'exercice d'aucun art ou profession utile.

ART. XVIII. — Emplois. — Que tous emplois ecclésiastiques, civils et militaires deviennent communs à tous les citoyens, de quelque condition qu'ils soient ; qu'ils y soient tous nommés indifféremment et sans distinction et que le seul mérite reconnu puisse être un titre pour toutes les places qu'il est intéressant pour l'Etat de ne voir occupées que par les hommes les plus capables et les plus honnêtes.

ART. XIX. — Finances. — Il n'est pas possible de donner aux députés aux Etats généraux de charges positives et déterminées sur un objet important. Ils devront porter la plus grande attention à en vérifier le véritable état ; il faudra chercher, dans les économies et les réformes, les premiers moyens de remettre la recette au niveau de la dépense ; mais s'ils ne sont pas suffisants pour combler le déficit, il est de la dignité de la Nation, de son intérêt politique, peut-être même de son intérêt particulier, de consolider cette dette et de la déclarer dette nationale, pour être acquittée dans les proportions et par les moyens qui seront réglés par les Etats généraux ; quand son honneur n'y serait pas intéressé, elle devrait cette preuve de dévouement à un roi qui fait tout pour elle.

ART. XX. — Tout impôt et tarif de droits sera désormais intitulé de par le Roi, impôt ou droit consenti par les Etats généraux jusqu'à telle époque. Il est intéressant que tout Français ait sans cesse sous les yeux cette vérité fondamentale que les impôts ne peuvent être établis qu'avec le consentement de la Nation.

ART. XXI. — Il sera pris, dans l'assemblée des Etats généraux, des mesures efficaces pour prévenir, par la suite, la déprédation des finances.

ART. XXII. — Qu'à cette fin, il soit désormais indiqué à chaque département un fonds qui ne pourra être excédé.

ART. XXIII. — Que tous ministres du Roi soient comptables et responsables à la Nation de leur administration. Les bons ministres n'ont qu'à gagner dans cette disposition et elle retiendra ceux qui ne seraient pas conduits par les mêmes principes.

ART. XXIV. — Que l'article des pensions soit rigoureusement examiné, réduit et modéré.

ART. XXV. — Que le compte de la recette et de la dépense nationales soit imprimé et rendu public tous les ans, ainsi que celui des grâces et pensions, qu'il en sera de même des Etats provinciaux, des communautés de villes, de paroisses, des hôpitaux, des établissements de charité et, en général, de tous administrateurs de fonds publics. C'est le seul moyen d'en assurer la plus scrupuleuse exactitude, d'instruire la Nation de l'état de ses affaires et de lui inspirer une entière confiance dans toutes les parties du gouvernement.

ART. XXVI. — Que les Etats généraux s'occupent des moyens de reculer les barrières et le paiement des droits aux frontières, afin de procurer une entière liberté de circulation dans tout l'intérieur du Royaume, et qu'afin de prévenir les inconvénients, les erreurs et les surprises résultant de la différence des droits, ils soient absolument les mêmes dans tous les bureaux des frontières du Royaume ; que les droits sur tous ouvrages et marchandises de nos manufactures intérieures soient payés à la sortie de nos manufactures mêmes, afin qu'ils puissent, d'après cela, circuler librement et sans entraves par tout le Royaume, à l'exception des articles destinés à passer à l'étranger, qui seraient accompagnés d'un acquit-à-caution en exemptions de droits.

ART. XXVII. — Le Roi a des domaines immenses et ils ne lui sont, pour ainsi dire, d'aucun avantage, tandis qu'ils seraient dans ce moment une ressource pour l'Etat et une source de richesse pour ses sujets, s'ils étaient remis dans le commerce. Demander, en conséquence, qu'il veuille bien consentir à leur aliénation.

ART. XXVIII. — Demander avec constance, sans relâche, la suppression du droit de franc-fief, tribut non moins ruineux qu'avilissant pour le Tiers-Etat, qui réduit l'homme au-dessous de sa terre, et qui concentre dans l'ordre de la Noblesse toutes les propriétés un peu étendues.

ART. XXIX. — Une loi sage et efficace pour prévenir l'arbitraire dans la perception du droit de contrôle, dont la régie devient tous les jours plus rigoureuse et plus vexatoire pour les citoyens.

ART. XXX. — Une loi qui autorise les débiteurs de toute rentes, même féodales, à en faire le remboursement même aux gens de main-morte, sur le pied qui serait fixé par la sagesse des Etats généraux.

ART. XXXI. — Que le centième denier sur toute charge et office soit supprimé le plus tôt possible et que, jusque-là le paiement s'en fasse par les pourvus aux receveurs des domaines du bureau du lieu de leur domicile, et non à Paris. Que le centième denier sur toute succession collatérale soit également supprimé.

ART. XXXII. — Administration intérieure de la province de Bretagne. — Que les privilèges soient maintenus tels que doit les lui garantir le contrat qui l'unit à la France ; que ces Etats soient conservés, mais dans l'ordre et le régime réclamés par l'ordre du Tiers dans le cahier du 22 au 27 décembre dernier.

ART. XXXIII. — Que les subsides et droits de toutes les provinces soient désormais régis, perçus et administrés par les Etats particuliers, qui en verseront directement le montant au Trésor royal, seul moyen de se débarrasser de cette foule de caissiers intermédiaires, de receveurs, de commis, dont le nombre et les profits sont infiniment à charge à l'Etat.

ART, XXXIV, — Que les intendants ou commissaires départis dans les provinces soient supprimés et leurs fonctions attribuées aux Etats provinciaux.

ART. XXXV. — Qu'il soit établi, tant dans les villes que dans les campagnes, des écoles gratuites pour l'instruction du peuple.

ART. XXXVI. — Qu'il soit procédé le plus tôt possible à la réformation de notre Coutume, qui contient plusieurs dispositions barbares, et dont la bizarrerie répugne à la raison et à la justice. Qu'il soit pris en considération s'il ne conviendrait pas de mettre sous l'empire d'une même Coutume un Royaume qui en connaît 360 quelques différentes.

ART. XXXVII — Qu'il soit établi un nouvel ordre de choses uniforme dans toutes les municipalités des villes du Royaume ; que, lorsque tous les citoyens concourent, comme ils le doivent, à la nomination de leurs représentants aux Etats généraux, ils concourent de même, dans chaque ville, à l'élection des membres qui doivent composer un corps d'administration qui doit en être l'image [Note : On verra plus loin les réclamations plus particulières des cahiers, au sujet de la constitution du corps municipal].

ART. XXXVIII. — Justice et polices. — Que l'on s'occupe enfin, sans relâche, de la réforme de nos lois criminelles. Que l'instruction soit publique, que les accusés aient un conseil, qu'un décret de prise de corps ne puisse être prononcé par un seul juge. Que la privation la plus rigoureuse soit la privation de la vie et qu'on supprime les tourments et tortures qui révoltent l'humanité. Qu'il y ait une parfaite égalité de peine entre les citoyens de tous les ordres et de toutes les classes, sans distinction de rang et de dignité, et qu'on ne fasse pas de différence avilissante pour le Tiers-Etat jusque dans la punition des coupables des mêmes délits.

Abolition de toute confiscation de biens.

ART. XXXIX. — Qu'il soit aussi procédé à la réforme du Code civil, de l'ordonnance de la marine et du commerce et, pour y parvenir, qu'il soit fait choix, par les Etats généraux, des commissaires qui seront chargés de ces ouvrages.

ART. XL. — Qu'en attendant la confection de ce grand ouvrage, il soit statué par une loi provisoire que tout juge, tant au civil qu'au criminel, soit tenu de motiver sa sentence. Qu'un jugement condamne un malheureux au supplice sans en indiquer la cause, qu'il dépouille un citoyen de ses biens, sans lui en donner le motif, c'est un abus intolérable et réprouvé par la raison, c'est faire de la justice une énigme.

ART. XLI. — Que le sort des nègres, dans nos colonies, soit pris en considération. Si nos intérêts politiques nous portent à aller acheter ces malheureux sur une côte étrangère pour les soumettre à des travaux pénibles, que du moins, dans un siècle de lumières et de philosophie, la douceur de leur traitement soit assurée par une loi sage et rigoureusement abservée.

ART. XLII. — Que le meilleur ordre des choses soit établi dans tous les tribunaux du Royaume, tant à l'official qu'au ministériel. Quel que soit celui qui sera établi, qu'il soit uniforme partout, et qu'un citoyen ne soit pas plus étranger à cet égard dans une province que dans l'autre ; qu'il retrouve partout les mêmes juges et la même justice.

ART. XLIII. — Qu'il soit avisé aux moyens d'éteindre partout la vénalité des offices de justice et des charges de magistrature. Il n'y a point d'efforts et de sacrifices que la Nation ne doive faire pour avoir une justice gratuite et moins dispendieuse.

ART. XLIV. — Que le projet des jugements par jurés, tant au civil qu'au criminel, soit pris dans la plus sérieuse considération, comme le plus sûr moyen d'assurer la liberté individuelle et publique de la Nation. Les citoyens ne seront jamais plus satisfaits que lorsqu'ils seront jugés par leurs pairs.

ART. XLV. — Qu'il soit établi une loi sage et modérée sur le fait des chasses, si l'on ne jugeait pas plus convenable d'en supprimer entièrement le droit exclusif ; et que tout propriétaire, soit noble, soit roturier, puisse seul chasser sur un bien, à l'exception seulement du Roi et des princes de son sang. Le gibier qui vit sur la terre d'un citoyen et qui souvent la dévaste, devrait être la propriété du maître.

ART. XLVI. - Que le projet si souvent présenté de l'uniformité des poids et mesures soit pris en considération pour être enfin établi, s'il n'était pas jugé contraire au bien et à l'activité du commerce intérieur [Note : Le poids public de Saint-Malo, quoiqu'appelé communément poids du roi, appartenait à la juridiction du l’évêque et du chapitre. Il n'était dû qu'autant qu'on s'en servait pour faire peser quelques marchandises, principalement pour celles qui sont reçues ou envoyées pur les rouliers. La rétribution était modique. Ce droit était de 6 deniers par quintal. (Arch. d’Ille-et –Vilaine, C 1583)].

ART. XLVII. — Que la servitude à la glèbe et mainmortable soit à jamais éteinte et oubliés dans toutes les parties de la France qui ont encore le malheur d'être affligées de cet odieux fléau. Le Roi en a depuis longtemps donné l'exemple aux seigneurs dans ses domaines particuliers. La Nation a droit de voir avec surprise qu'ils n'aient pas eu la générosité de l'imiter.

ART. XLVIII. — Que le secret des postes et des lettres particulières soit sacré, pour qui que ce puisse être, et qu'il soit ordonné à tous les tribunaux de poursuivre extraordinairement, comme criminel public, tout homme qui oserait tenter de le violer, même de le punir de mort, suivant la gravité des cas.

ART. XLIX. — Que la liberté de la presse soit établie par une loi formelle, à la condition que tout homme qui fera imprimer soit obligé de signer son manuscrit et de se faire connaître de l'imprimeur qui y mettra son nom.

ART. L. — Que le Roi soit supplié de prendre l'engagement de ne jamais souffrir qu'il soit décerné des lettres de cachet contre aucun citoyen, de quelque condition qu'il puisse être, et de statuer, par une loi fondamentale, que toutes les fois que quelqu'un sera arrêté par l'autorité royale, il sera dans l'instant remis aux tribunaux ordinaires pour lui faire son procès et le juger suivant les lois.

ART. LI. — Que toutes lettres de répit, de surséance et sauf-conduit, qui donnent aux débiteurs de mauvaise foi un moyen de se soustraire à leurs engagements qui sont attentatoires à la foi due aux conventions et à la propriété des créanciers qu'elles ruinent et désespèrent, soient entièrement abolies, et qu'il soit statué qu'il ne puisse plus en être accordé par le conseil dans aucun cas ; que les seuls tribunaux du domicile des parties puissent accorder quelque temps au débiteur honnête et de bonne foi, mais seulement lorsqu'il joindra à sa requête un consentement formel des trois quarts des créanciers en somme [Note : Arch. dép. C. 151 et 1579. Ce délai était généralement de trois mois].

ART. LII. — Que tous pourvus d'offices, fonctions et emplois ecclésiastiques, civils et militaires soient rigoureusement tenus à résidence, à peine d'en être privés.

ART. LIII. — Qu'il soit pourvu aux moyens d'établir dans les villes et campagnes des sages-femmes instruites et approuvées qui devront leurs soins et leurs offices gratuits aux femmes pauvres.

ART. LIV. — Que, dans un district déterminé, il soit établi, aux frais de l'Etat, un lieu de dépôt pour la conservation de tous actes publics. La sûreté des familles, de leurs biens, de leur état, y est essentiellement intéressée.

ART. LV. — Qu'il soit avisé aux moyens d'établir, tant dans les villes que dans les campagnes, des caisses de charité, pour faire travailler utilement et principalement aux ouvrages publics et à la réparation et confection des chemins de traverse des paroisses, les pauvres, auxquels on donnerait un salaire convenable. C'est le moyen le plus sûr de faire disparaître la mendicité qui afflige toutes les parties du Royaume. On pourrait appliquer au soutien de cet établissement précieux le revenu des abbayes et des couvents que l'on jugerait convenable de supprimer. Il ne peut en être fait un plus saint emploi [Note : L’hôpital général de Saint-Yves était la retraite et l'asile des marins que l’âge, les infirmités, les blessures avaient mis hors de service. Les vieilles femmes et les enfants y étaient également reçus. Son principal revenu consistait dans l’octroi sur l'entrée des boissons perçu à son profit. (Arch. com., BB 40 p. 4), — Cet hôpital avait été établi par lettres patentes du 26 septembre 1680. (Arch. d'Ille-et-Vilaine, C 446)].

Art. LVI. — Que, pour le bien de la justice, les études du droit soient perfectionnées et qu'à cet effet les écoles en soient réformées. On pourrait réduire à quatre les chaires de professeurs dans cette faculté : une pour l'étude du droit canon, une pour l'étude du droit romain, une pour l'étude du droit français particulier et la quatrième, la plus importante sans doute, pour l'enseignement du droit public et national que la Constitution dont le Royaume va enfin se glorifier rend absolument induspensable, pour en développer et en perfectionner les principes. Que les étudiants soient tenus à la plus grande assiduité et à l'examen le plus rigoureux.

ART. LVII — Que l'on fasse disparaître tous ces péages odieux, qui sont des restes de la tyrannie féodale. Tous ces droits de passage qui soumettent les citoyens à des gênes, à des contributions qui, en attribuant à de simples particuliers des espèces de droits de souveraineté, qui ne doivent leur origine qu'à des usurpations, sont infiniment à charge au peuple et à l'Etat. Ce n'est pas à l'instant où le Roi et la Nation vont fixer les barrières de la perception de leurs droits aux frontières du Royaume qu'il serait pardonnable de laisser subsister ces entraves intérieures, toutefois en indemnisant les propriétaires.

ART. LVIII, — Que toute banalité et servitude de moulin, de four, de pressoir, etc..., soit également à jamais supprimée, aussi à charge d'indemnité. N'est-il pas révoltant qu'un malheureux ne puisse pas se servir de ses bras pour broyer et préparer sa nourriture dans sa chaumière, sans être exposé aux poursuites et aux vexations de son seigneur ? Les bons seigneurs ne peuvent être attachés à un droit qui n'est autre chose que celui d'affamer son semblable.

ART. LIX. — Que les colombiers et garennes, qui désolent les campagnes, soient également abolis ou que, du moins, il soit permis à toutes personnes de détruire les pigeons qu'elles trouveront sur leurs biens. Ce n'est pas porter atteinte à la propriété. Parce que l'on n'est pas maître d'un animal domestique, quand on ne le nourrit pas soi-même et qu'il vit aux dépens de ses voisins.

ART. LX. — Que le retrait féodal, qui n'est qu'une source de vexations, et dont quelques seigneurs abusent si fréquemment, soit totalement supprimé ; il est contraire à tout principe de justice et de morale ; et que le retrait lignager, qui fournit matière à tant de procès ruineux, et qui est d'ailleurs contraire au droit de propriété et à la foi due aux contrats, soit, sinon supprimé, du moins restreint aux enfants du vendeur ou à ses frères et sœurs. Que le droit de bâtardise soit également supprimé (Arch. com. , BB 57, fol. 4) ; que les seigneurs ne puissent plus hériter des personnes à la subsistance desquelles ils n'ont jamais contribué. Que lorsque les bâtards décéderont sans mère et sans enfants, leurs successions soient appliquées aux caisses de charité des paroisses dans lesquelles ils décéderont, ou à des établissements pour les enfants trouvés.

ART. LXI. — Que les seigneurs de fiefs soient désormais tenus de faire faire eux-mêmes la cueillette de leurs rentes à leurs frais. C'est bien assez d'être obligé de les leur payer exactement sans être encore obligé d'en faire la collecte, corvée infiniment onéreuse aux vassaux.

ART. LXII. — Que la durée des baux des biens de campagne soit prolongée. Qu'elle puisse être portée à 30 années, comme un moyen de rendre la condition des fermiers meilleure.

ART. LXIII. — Commerce. — Que le commerce, qui forme un des principaux nerfs de l'Etat, la source de la richesse intérieurs et le fondement de son influence politique au dehors, soit pris, dans toutes ses branches et ses parties, dans la plus sérieuse considération. Que la pêche nationale surtout, qui est à la mer ce que l'agriculteur est à la terre, et qui seule forme et entretient, pour l'Etat, cette pépinière de marins sans laquelle il ne pourrait jamais armer ses flottes en temps de guerre, soit spécialement encouragée et que toutes les parties de la navigation soient protégées.

ART. LXIV. — Que la Compagnie des Indes, dont le privilège exclusif n'a d'autre effet que de faire la fortune à quelques particuliers et qui resserre dans un cercle fort étroit la branche peut-être la plus vaste de notre commerce et de notre navigation, soit également supprimée.

ART. LXV. — Le traité de commerce avec l'Angleterre étant défavorable à la Nation sous beaucoup de rapports, ruineux pour les manufactures du Royaume, a plongé dans la misère une foule de citoyens ouvriers et précieux à l'Etat, et qu'il est intéressant de conserver, d'autant plus qu'ils pourraient se trouver réduits à quitter le Royaume et à porter ailleurs l'industrie nationale ; on demande, sinon la rupture, au moins un changement et des modifications considérables, d'après un sérieux examen subordonné à notre situation politique actuelle, et l'avis des chambres du commerce du Royaume.

ART. LXVI. — Que pour faciliter le commerce intérieur de cette province, les canaux navigables, dont le projet a été arrêté par les Etats, soient exécutés et particulièrement celui de Saint-Malo à Rennes par la rivière de la Rance.

ART. LXVII. — Qu'il soit porté une loi qui déclare légitime l'intérêt au denier vingt du prêt pur et simple. Elle est désirée depuis longtemps pour la tranquillité des consciences timorées et pour faire rentrer dans la circulation des sommes immenses dont la société se trouve privée.

ART. LXVIII. — Que l'arrêt du Conseil du 30 août 1784, que, en ouvrant nos colonies à nos rivaux et leur y donnant l'entrée, a porté le coup le plus funeste au commerce français et à la navigation nationale, soit entièrement retiré.

La ville de Saint-Malo ressent, plus que toute autre, les tristes effets de cet arrêt qui est une des causes principales de la diminution de la pêche des morues ; cependant cette branche de commence mérite toute la protection du gouvernement ; loin de détruire les matelots, il les maintient dans la plus parfaite santé, assure leur existence, encourage la population ; l'Anglais qui fait la pêche sédentaire, malgré les droits qu'il paie, ou plutôt qu'il doit payer, vend dans nos colonies la morue à plus bas prix que nous ne pouvons l'y porter, malgré les primes d'encouragement que l'Etat nous accorde. Les Américains viennent jusque dans les ports voisins qui nous procuraient la vente de l'excédent de notre pêche ; ils viennent même dans nos ports de France y apporter leurs morues, quoique sujettes au droit de 14 livres par quintal. Une exclusion absolue de nos ports peut seule remédier au mal. En attendant, les primes d'encouragement accordées par le gouvernement pour la pêche doivent être continuées, puisque, malgré ces primes, les pertes ont encore été immenses [Note : Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 1583, et Arch. com., BB 59, folio 191, 193, 194. — La Chambre de commerce de Saint-Malo manifeste pourtant moins de crainte à ce sujet que celles de Bordeaux et du Havre, Elle ne croit pas, en effet, « qu'il soit possible que la Nation se détermine à abandonner nos colonies à l'activité des étrangers. Ce serait anéantir le commerce du royaume, les manufactures, l'agriculture même »].

ART. LXIX. — Le commerce du cabotage, qui est encore une des branches essentielles pour former des marins, est à présent ruineux pour les armateurs ; pour le soutenir, il faut exclusion générale des vaisseaux étrangers, qui, malgré les réclamations, concourent avec les nôtres, les excluent très souvent et sont préférés pour le transport des sels de gabelle par les fermiers généraux eux-mêmes, qui préfèrent enrichir l'étranger plutôt que le Français, sous les prétextes d'une petite différence dans le prix. Ce commerce a si peu de ressources actuellement qu'il ne peut supporter le paiement des frais et droits considérables et multipliés auxquels il est assujetti. Ceux surtout de M. l'amiral sont exorbitants ; il est urgent d'y remédier par la suppression de partie de ces droits et la simplification des autres. Un acte de navigation, formé dans l'esprit de celui d'Angleterre, est le plus sûr moyen d'encourager la navigation nationale.

ART. LXX. — Le commerce demande l'entrée dans la marine royale pour les officiers de la marine marchande ; qu'au service du Roi, ces officiers soient distingués des matelots ; qu'en temps de paix, on n'exige pas d'eux nécessairement les voyages au service avant d'être reçus capitaines ; qu'on insiste plutôt sur des instructions plus parfaites, sur des connaissances plus étendues ; qu'ils soient examinés scrupuleusement ; mais qu'on réforme la loi nouvelle qui nomme des examinateurs ambulants, souvent inexacts à se rendre sur les lieux, ce qui entraine des frais considérables pour les officiers, obligés de se transporter dans d'autres ports et même quelquefois obligés de manquer leurs voyages ; cet inconvénient s'est fait sentir dès cette année, et le commerce a été obligé, il y a quinze jours, d'en porter plainte au ministre.

ART. LXXI, — Le matelot est trop peu et mal payé au service du Roi ; il devrait l'être, comme en service marchand et avec la même sévérité, aussitôt son arrivée. Il n'est pas juste qu'une classe d'hommes fasse, pour le bien de tous, des sacrifices immenses. Ils sont occupés pour la Patrie ; la Patrie doit les payer ; le fardeau répandu sur tous devient léger et la différence de leurs paiements est immense pour leur fortune particulière. On verrait alors le matelot français, brave par caractère, voler avec gaieté au service du Roi, le préférer par honneur ; mais l'honneur a peine à parler chez un être qui manque du nécessaire pour lui, sa femme et ses enfants, par la modicité des salaires que lui accorde l'Etat. Qu'il soit pourvu aux moyens d'assurer la subsistance aux familles de pauvres marins qui auront péri au service de l'Etat, qui auront été blessés pendant qu'ils y seront eux-mêmes ; et surtout qu'il ne soit jamais accordé aucune pension sur la caisse des invalides de la marine, excepté le secours connu sous le nom de demi-solde.

ART. LXXII. — Le commerce demande la suppression du droit de dixième prétendu par M. l'amiral sur les prises faites sur l'ennemi pendant la guerre.

Du droit d'encan, prétendu dans quelques ports, notamment au Havre, Honfleur et Dieppe, en vertu d'un arrêt du Parlement de Rouen ; ce droit odieux consiste à forcer le propriétaire d'une cargaison de morue à la vendre par force, sans choisir son acheteur.

Du droit de brieux, particulier à la Bretagne, inutile et très onéreux au commerce (Arch. com., BB 59, fol. 143).

Du droit de dix sous pour livre pris pour le Roi sur les octrois patrimoniaux de la ville de Saint-Malo. Le droit principal est déjà par lui-même exorbitant ; on le supporte cependant parce que les besoins de la ville, sujette aux réparations de ses murs et remparts, exigent une forte somme : mais les dix sous pour livre portent ce droit si haut qu'il tire au négociant la concurrence avec les autres villes, dont les droits locaux sont moindres.

Du droit de bris et naufrage, prétendu encore par quelques particuliers, notamment sur les côtes de Normandie ; exposer cet abus barbare, c'est être sûr d'obtenir sa réforme.

Des droits de franchise, accordés à quelques ports du Royaume. L'intérêt général et la justice exigent que, loin de concentrer les moyens on les étende.

Du droit, prétendu par les fermiers généraux, d'exiger antérieurement à la visite et même au débarquement des marchandises, de la part des négociants et marchands, des déclarations circonstanciées et détaillées des marchandises qui doivent être portées à leur douane pour y être visitées et pesées. Le marchand qui envoie ses marchandises à la douane et les remet entre les mains du fermier pour les visiter et examiner, ne peut être présumé de mauvaise foi ; l'examen doit faire la réalité et fixer le droit à percevoir ; la déclaration préalable doit être supprimée comme insidieuse et inutile. Qu'on affranchisse le négociant honnête de cette foule de formalités prescrites pour éviter la fraude des malhonnêtes gens ; et qu'on punisse très rigoureusement tout négociant convaincu de fraude caractérisée et volontaire ; que, pour l'instruction des négociants, tous arrêts et règlements sur le commerce ne puissent être exécutés qu'après leur inscription dans le registre public de chaque chambre de commerce.

La formation de chambres de commerce dans toutes les villes commerçantes est le vrai moyen d'éclairer la justice du Souverain et d'instruire le négociant. Tout arrêt sur le commerce, tout traité de commerce devrait être rendu sur l'avis des chambres de commerce ou de leurs députés librement élus ; les députés actuellement établis à Paris servent peu, coûtent beaucoup, et leur suppression deviendra nécessaire (Arch. d'Ille-et-Vilaine, C. 1582).

ART. LXXIII. — Le commerce demande la suppression de la juridiction des traites, l'attribution de sa compétence aux juges royaux ordinaires des lieux, qui ne pourront être à gages des fermiers généraux, ni en rien recevoir.

La confirmation du droit d'amirauté dans les colonies, en faveur des capitaines vendeurs, envers les colons, et l'extension de ce droit en faveur des négociants, droit de saisie sur tous biens, même les nègres de place [Note : Plusieurs armateurs de Saint-Malo faisaient la traite négrière. Aussi l'assemblée de la communauté proteste-t-elle vigoureusement contre son abolition par l'assemblée nationale (Arch. com., LL. 21, p. 29)].

Un règlement sur les faillites et cessions, leur attribution aux consuls, la diminution des frais dans les juridictions consulaires ; en Bretagne surtout, ils sont excessifs ; les droits royaux perçus en sont cause ; une sentence au consulat coûte moitié plus que dans la juridiction ordinaire ; et cependant les consuls ont été créés pour l'avantage du commerce.

Qu'on pourvoie à la réforme de l'abus, introduit par les trésoriers de la marine, des guerres et des finances, d'exiger des reçus en blanc et sans date de ceux à qui ils comptent des fonds ; c'est un usage vicieux, inquiétant pour le négociant, sans motif raisonnable, propre à causer une foule d'abus, de déprédations et d'escroqueries, nuisible au Roi et au particulier.

ART. LXXIV. — Tous les mémoires servis à l'assemblée par les représentants de toutes les professions contiennent des réclamations particulières sur une infinité d'abus qui grèvent et épuisent les citoyens, tels que des droits onéreux, auxquels la fiscalité ne cesse encore de donner une extension accablante, des gênes sans nombre, qui étouffent et enchaînent l'industrie, et des prohibitions multipliées qui exposent l'homme de loi, le négociant, le marchand, le débitant, l'artisan, l'ouvrier, tous les individus enfin, à des recherches, des poursuites, en un mot à des vexations qui les ruinent et les désespèrent.

L'assemblée a arrêté que tous les mémoires qui en contiennent les détails seront remis, avec le présent cahier, aux douze députés-électeurs qui seront envoyés à Rennes, avec charge expresse de faire valoir et admettre, s'il est possible, par toute l'influence dont ils seront capables, dans le cahier des doléances, plaintes et remontrances communes de la généralité de la sénéchaussée de Rennes, tout ce qui sera estimé nécessaire pour l'intérêt de tous universellement et de chaque corporation en particulier.

ART. LXXV. — Agriculture. — Qu'elle soit protégée et encouragée par tous les moyens possibles. Que les Etats provinciaux y donnent tous leurs soins. Qu'ils décernent des prix d'honneur, même des récompenses pécuniaires aux laboureurs qui se seront distingués dans cette carrière. Qu'on prenne tous les moyens d'étendre leurs connaissances et de les associer, plus qu'au passé, à l'administration des affaires publiques. Que les habitants des campagnes, et surtout les pères de familles nombreuses, soient généralement ménagés dans la répartition des impôts et dans la contribution aux charges et travaux publics. Qu'ils ne puissent jamais être employés au transport des bagages de troupes et généralement à tous travaux du Roi sans être exactement et bien payés. Que les chevaux et harnais des nobles y soient également employés.

Comme on le voit, ces 75 articles formaient un large programme que nos députés à Rennes et MM. Huard et Bodinier à Paris avaient la charge de présenter et d'expliquer aux assemblées.

Peut-on penser que quelques-unes des réclamations de la classe des artisans contenues dans les mémoires des corporations n'y furent pas comprises ?

Rien ne peut le faire supposer ; bien mieux, le détail de ce cahier général de la ville porte à croire qu'aucune des demandes utiles au pays n'y fut négligée.

Plusieurs de ces articles furent insérés dans le cahier de la sénéchaussée de Rennes soit dans leur esprit, soit dans leur contexte, comme l'article sur le commerce qui n'est qu'une reproduction de l'art. 63 du cahier de Saint-Malo (Cahier de doléances, t. IV, art. 184 du cahier général).

(Yves Bazin).

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