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SAINT-POL-DE-LEON SOUS LA REVOLUTION (CHAPITRE 19). |
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CHAPITRE XIX.
SOMMAIRE.
Levée de trois cent mille hommes. — Un registre est ouvert à la municipalité pour recevoir les inscriptions volontaires. — Un seul homme se présente. — Inventaire de l'argenterie, linges et effets appartenant aux fabriques. — Objets envoyés au district de Morlaix par la municipalité. — Tirage au sort à Saint-Pol. — Combats dans les rues. — Bataille de Kerguiduff. — Traité de paix entre le général Canclaux et les paroisses insurgées. — Le canon de la maison commune.
Le 4 mars 1793, le Directoire du district de Morlaix expédiait à la municipalité de Saint-Pol une ampliation du décret du 24 février, rendu par la Convention pour la levée de trois cent mille hommes.
Six jours après, les citoyens de 18 à 40 ans étaient convoqués pour entendre la lecture de ce décret qui fixait le mode de recrutement de l’année, et de l'ordre du Directoire du district de Morlaix, portant à 27 hommes le contingent à fournir pour Saint-Pol et son arrondissement.
Etaient seuls exemptés du service militaire ceux qui étaient difformes et ceux qui étaient dans les administrations. On pouvait toutefois se faire remplacer. Quant aux communes qui refuseraient de fournir le nombre d'hommes assigné, on saurait bien les mettre à la raison.
Pendant trois jours, un registre resta ouvert à la mairie pour recevoir les inscriptions volontaires.
Le citoyen Balanec, professeur de cinquième au collège, se présenta le jour même de la convocation pour se faire enregistrer en qualité de volontaire. Les membres de la municipalité lui donnèrent le baiser fraternel [Note : Reg. 23. Fol. 93 et Lettres missives, n° 2. Fol. 173-174].
Le Directoire du district de Morlaix avait pris un arrêté, mettant en demeure les municipalités de son ressort de nommer un de leurs membres pour procéder à un inventaire de l'argenterie, du linge et autres effets appartenant aux fabriques. La Révolution avait des appétits féroces qu'il était difficile, sinon impossible, d'assouvir. De toute nécessité il fallait battre monnaie d'une manière ou d'une autre. Le système économique était chose inconnue. Après les rentes des fabriques, restaient encore les vases sacrés, les croix, les reliquaires, etc. C'était une proie qui n'était nullement à dédaigner. D'une extrémité de la France à l'autre, le vol fut pratiqué sur une immense échelle. Que d'objets d'arts disparurent alors ?
Le 10 mars 1793, la municipalité de Saint-Pol fît envoyer au Directoire du district de Morlaix les effets suivants en or et en argent, provenant de l'église paroissiale :
Deux gendarmes durent escorter l'argenterie qui fut transportée le même jour au district de Morlaix dans la charrette du citoyen François Marrec.
Les frais de la caisse et la corde qui servirent pour le transport montèrent à 19 livres, 19 sols, 3 deniers [Note : Lettres missives n° 2. Fol. 174].
Depuis longtemps, les esprits n'étaient que trop surexcités dans le pays ; la suppression des communautés religieuses qui étaient un débouché pour le commerce ; l'expulsion des prêtres fidèles, remplacés par des intrus que la population avait en horreur ; les crimes, les infamies qui se commettaient journellement en France indignaient toutes les âmes honnêtes. Le décret du 24 février fut l'étincelle qui mit le feu aux poudres.
A Saint-Pol, le tirage au sort pour le recrutement de l'armée avait été fixé au jeudi 14 mars, à 8 heures du matin, et devait se faire à l'église des ci-devant religieux Minimes.
Ici, nous laissons la parole à M. Pol de Courcy, lequel, dans sa Notice sur la ville de Saint-Pol-de-Léon, 1841, a supérieurement résumé les faits fâcheux qui se sont passés à cette occasion.
« Les patrouilles, se croisant dans la ville, ne pouvaient ralentir les masses qui s'attachaient avec un vif intérêt aux pas des jeunes gens appelés, et que leurs parents ne quittaient pas plus que des victimes destinées à la mort. Femmes, enfants, jeunes filles et vieillards étaient abandonnés à un mouvement inaccoutumé d'inquiétude et de terreur ; la foule était immense. Les cabarets étaient encombrés de paysans, ainsi que plusieurs maisons où des dames, dit-on, leur servaient à boire. Ils se portèrent en foule sur l'église où le tirage était commencé, dispersèrent les soldats qui leur furent opposés, et le même jour, le conseil, délibérant sur ces événements, ordonna la suspension du drapeau rouge jusqu'au rétablissement de la tranquillité, à une des croisées de la maison commune, située alors au bas du Portzmeur, arrêtant de plus qu'il serait écrit au Directoire du district de Morlaix pour l'informer de l'émeute qui venait de troubler la ville, et des inquiétudes qu'on avait pour les jours suivants. Un bataillon des volontaires du Calvados était déjà rendu à Saint-Pol, et y composait la force armée avec la garde nationale de la ville. Trois cents hommes de celle de Morlaix et deux pièces de canon arrivèrent le 15 au soir au secours de ces troupes, accompagnés de commissaires de la Convention nationale au nombre desquels était Prieur (de la Côte-d'Or), de deux administrateurs du Finistère, Guillier et Le Denmat, de ceux du district et de la municipalité de Morlaix.
Quelques arrestations eurent lieu, et le calme étant provisoirement rétabli, le drapeau rouge, arboré à la Commune, fut retiré, et un drapeau blanc, signal du rétablissement de la tranquillité, fut porté dans les différents quartiers de la ville, escorté d'officiers municipaux et d'un détachement de chacun des corps de troupes qui se trouvaient à Saint-Pol. Le même drapeau fut ensuite suspendu à la Commune. Le conseil qui était resté en permanence toute la journée du 15, en attendant l'arrivée des commissaires de la Convention, délibérant ensuite sur les moyens d'assurer l'exécution de la loi pendant l'assemblée qui devait se tenir le lendemain 16, pour compléter le contingent de la commune dans le recrutement de l'armée, assemblée dissoute la veille par l'émeute, arrêta que toute la garnison de la ville et tout le détachement de la garde nationale de Morlaix, arrivé le matin, prendraient les armes ; que la moitié se rendrait devant l'église des ci-devant Minimes, lieu de l'assemblée, et l'autre resterait en bataille sur la Grande Place ; que des sentinelles seraient placées à toutes les issues, et qu'une forte garde veillerait à a maison commune.
Le tirage s'effectua en effet, mais en l'absence des appelés qui pour la plupart ne se présentèrent pas.
L'insurrection n'était cependant qu'à son début. Le mardi suivant, 19 mars, jour du marché à Saint-Pol, au moment où les rues, obstruées de monde, de chevaux, de marchandises et de charrettes, ne permettaient plus aux patrouilles de circuler librement, la ville fut enveloppée par un parti considérable de paysans des communes voisines qui se présentèrent en armes par plusieurs routes à la fois.
La fusillade fut surtout vive au bas du Portzmeur, et sur la place de la Cathédrale où les troupes faisaient face aux insurgés s'avançant par les rues aboutissantes. MM. Botloré, de Kerbalanec, père et fils, et un valet de pied du manoir de Tronjoly, en Cléder, se faisaient, dit-on, particulièrement remarquer par la justesse des coups qu'ils tiraient, tandis que des paysans, placés derrière eux, leur chargeaient des fusils à mesure. Les canonniers et le bataillon du Calvados dont le chef fut tué, eurent premièrement à souffrir ; ce bataillon se débanda même en entier, et les volontaires s'enfuirent par plusieurs directions et particulièrement vers la grève. Mais les canonniers de la garde nationale de Morlaix tinrent bon, et le canon tiré à mitraille du grand portail de la Cathédrale sur ceux qui occupaient la place de la Croix-au-Lin les débusqua.
Le tocsin avait sonné toute la journée, et le bruit s'étant répandu dans les rangs des patriotes que le maire, M. Prud'homme-Keraugon, ne l'avait fait sonner que pour appeler les habitants des campagnes sur la ville, et qu'il s'était en outre opposé à ce qu'on distribuât aux troupes qui avaient manqué de munitions celles qui étaient en dépôt à la mairie, une quinzaine de volontaires du Calvados s'y présentèrent à la nuit. Ayant demandé à parler au maire, ils se jetèrent dessus, le percèrent de plusieurs coups de sabres et de baïonnettes, le traînèrent sur la place et ils allaient l'achever lorsque MM. de Kertanguy, frères, Plantron, sous-lieutenant de la garde nationale, et quelques autres habitants l'arrachèrent de leurs mains. M. Prud'homme-Keraugon n'en fut pas moins suspendu de ses fonctions par les commissaires de la Convention, et le citoyen Conversy fut mis à sa place.
Les volontaires du Calvados se répandaient journellement par petites troupes dans les fermes isolées, y commettaient toutes sortes de dilapidations et de rapines, et enlevaient aux paysans les portefeuilles où ceux-ci renfermaient leurs assignats. Aussi, la municipalité, dans la prévision de nouvelles tentatives de révolte, demandait de nouveaux secours à Brest, et le général Canclaux, après avoir eu un engagement à Plabennec, se dirigeait en toute hâte par Lesneven sur Saint-Pol, accompagné du citoyen Prat, commissaire du district de Lesneven, des volontaires de Brest, d'un détachement de dragons nationaux et de deux pièces de canon. Les paysans, instruits de son approche, coupèrent, le samedi 23 mars, le pont de Kerguiduff [Note : Le village de Kerguiduff se trouve à l'extrémité sud de Plougoulm], sur la route de Lesneven, afin de lui barrer le passage. Les troupes et la garde nationale de Saint-Pol partirent le lendemain, dimanche des Rameaux, avec des charriots chargés de poutres et de planches pour le rétablir. Plusieurs milliers de paysans en défendaient les abords et le combat s'engagea. Le canon avait été démonté, et l'affaire allait devenir fatale aux troupes de Saint-Pol, lorsque la colonne du général Canclaux, arrivant du côté de Lesneven, jeta le trouble dans les rangs des insurgés parmi les quels on remarquait plusieurs femmes qui se battaient avec beaucoup de résolution. Les insurgés évacuèrent le champ de bataille en escaladant les fossés voisins de la route, mais derrière les quels ils continuèrent un feu nourri. Ils ne purent toutefois empêcher la jonction des deux corps républicains, mais ils ne cessèrent de les inquiéter pendant leur marche sur Saint-Pol ; aussi, pour y arriver, le général Canclaux fut obligé de faire jouer de nouveau le canon à la hauteur de Plougoulm et à la jonction du chemin de Landivisiau. Il fut assez heureux pour entrer en ville avant la nuit, car sans cela, ses pertes eussent été encore plus grandes. Il se hâta d'écrire aux maires des communes insurgées, telles que Plougoulm, Sibiril, Cléder, Roscoff, Plouescat, Plounévez, Plouzévédé, Tréflaouénan et Plouvorn, et il allait les occuper militairement, quand des envoyés de ces communes vinrent faire des ouvertures pour leur soumission et le rétablissement de la paix. Un traité en résulta, et il fut convenu que des otages seraient donnés aux commissaires civils, que toutes les armes des insurgés seraient remises, et que cent mille francs et les frais généraux de l'expédition seraient acquittés avant que la troupe désemparât.
Ce traité fut signé des commissaires civils Guillier, Le Denmat, Pinchon, Homon, Prat et le général Canclaux. Il se fit sans la participation de la Commune qui, malgré ses protestations, ne fut pas écoutée pour en discuter les articles. Elle avait encore d'autres griefs contre ses libérateurs ; aussi le 26 mars, la municipalité écrivait au général Canclaux : « Nous ne pouvons pas vous dissimuler, citoyen général, que notre commune est opprimée par le despotisme militaire. Nous sommes bien sûrs qu'il suffira de vous en avoir instruit pour obtenir un meilleur état de choses. Nous jetons, quant à présent, un voile sur les faits graves qui ont eu lieu, et nous ne vous fatiguerons point du détail des désordres passés ; mais nous vous demanderons, pour l'avenir, une discipline plus sévère, une surveillance plus active et la répression des actes arbitraires et des odieuses vexations qui pourraient encore avoir lieu ».
A la réception de cette lettre, le général fit publier une proclamation aux troupes, avec défense à tout militaire de s'écarter dans les campagnes.
Les mêmes troupes repartirent le 3 avril pour Morlaix ; mais elles commirent sur leur route toute sorte d'excès qui furent dénoncés à la Commune impuissante à les punir [Note : Reg. 23. Fol. 93-103].
Le 30 mars, le conseil municipal réclamait une indemnité pour les personnes dont les maisons avaient été endommagées par les canons dans la journée du 19 mars, et demandait que les coupables indemnisassent ceux qui avaient souffert.
Les citoyens Morgant et Berdelo furent chargés, comme experts, de dresser un état des dégradations occasionnées chez différents particuliers et de remettre le dit état aux commissaires de recrutement pour être employé dans la masse des sommes à payer par les paroisses insurgées.
Dix jours avant, les citoyens René Olivier, maire de Plougoulm, Olivier, procureur, et Guillaume Glas, officier municipal de la dite commune, dénoncés, comme suspects, furent mis en état d'arrestation au moment où ils se trouvaient dans la salle de la municipalité à Saint-Pol.
A Saint-Pol, le plaisant et le tragique se côtoyaient parfois.
A l'entrée de la maison commune, il y avait depuis plusieurs années un canon de fer tout rouillé. Le citoyen Déniel, procureur de la Commune, l'estimait encore capable de tirer des boulets. Des artilleurs furent chargés de s'en assurer. « Mais, quand bien même, disait le citoyen procureur, cette bouche à feu serait susceptible de réforme, sa personne pourrait toujours servir ad terrorem, c'est-à-dire, en imposer aux malveillants. C'est pourquoi dans l'un et l'autre cas, le procureur requiert que le canon en question soit monté et posé entre la guérite et la porte cochère de la maison commune avec consigne expresse aux sentinelles d'empêcher qu'il soit examiné par tout individu champêtre ou citadin, non reconnu pour vrai patriote ».
Voilà un procureur modèle, et à Saint-Pol, les malveillants n'avaient qu'à se tenir tranquilles.
(abbé J. Tanguy).
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