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SAINT-POL-DE-LEON SOUS LA REVOLUTION (CHAPITRE 33).

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CHAPITRE XXXIII.

SOMMAIRE.

Proclamation du représentant Bruc. — Plusieurs prêtres fidèles quittent leurs cachettes et se présentent à la mairie pour déclarer le lieu de leur séjour. — Jean-Marie Le Gall demande à affermer la cathédrale pour y faire exercer le culte catholique. — Même démarche de Maurice Prigent pour Saint-Pierre. — Le Directoire de Morlaix fait droit à leur demande. — Inventaire des objets restés à la cathédrale et à Saint-Pierre. — La claire-voie de l'arbre de la Liberté est jetée dans le puits voisin. — Colère des municipaux. — Cinquante hommes sont dirigés sur Plouénan pour réquérir cent quintaux de blé. — Dénonciations contre l’ex-juge de paix Guillaume et l'ex-comité de surveillance. — Guillaume se défend devant le conseil général. — Déclaration des prêtres fidèles. — Etat déplorable de l'hospice. — Exploitation des bois de Kerlaudy pour la troupe. — Pénurie des subsistances militaires. — Ordre d'organiser des compagnies de jeunes gens et de veufs sans enfants de 16 à 40 ans. — Invasion de chouans à Châteaulaudren.

Les mesures si barbares, prises contre les prêtres fidèles, avaient quelque peu perdu de leur sévérité draconienne après la chute de Robespierre. Dans l'opinion publique, il s'était opéré un revirement assez prononcé contre ces lois cruelles, et le gouvernement se trouva par suite dans la nécessité de les atténuer. Le Représentant du peuple près les côtes de l'Ouest, Bruc, lança le 19 ventôse, an III (9 mars 1795), une proclamation qui fut accueillie avec joie. Cette proclamation, sans donner une liberté complète d'exercer le saint ministère aux prêtres qui se tenaient cachés, leur permettait néanmoins de quitter leurs retraites et de se produire au grand jour, en déclarant dans les mairies où ils fixaient leur séjour. Aussi bien, plusieurs ecclésiastiques s'empressèrent-ils de profiter de la dite proclamation dont bénéficièrent également un grand nombre de personnes qui n'avaient point émigré.

Le 9 germinal (30 mars), M. Nicolas-Marie Moal, ex-vicaire desservant de Saint-Pol, se présentait le premier à la mairie, déclarant qu'il fixait son domicile sous le ressort de la commune ; acte lui fut décerné de sa déclaration. Le lendemain, M. Jacques-Marie-Joseph Mathézou, ex-chanoine de Léon, et M. Elie Corre, ex-recteur de Saint-Pol, venaient faire la même déclaration. Ils furent suivis de M. Hervé Grall, ex-vicaire desservant de Saint-Pol, trois jours après. Le 13 avril, M. Moal présentait à la municipalité une procuration, sous signature privée, en date du 1er avril, de M. Yves Kerébel, ex-vicaire de Saint-Pol, caché à Cléder, lequel, étant gravement indisposé, ne pouvait se présenter lui-même. M. Moal déclara que M. Kerébel fixait son domicile à Saint-Pol. Acte lui est donné de sa déclaration et M. Moal appose sa signature sur le registre.

M. Michel Henry, ex-chanoine et théologal de Léon se présente également à la mairie le 29 floréal (19 mai), et déclare qu'il établit son domicile à Saint-Pol. On lui donne acte de sa déclaration [Note : Reg. 25. Fol. 113-135].

Quelques jours avant le 1er mai, un brave cultivateur, Jean-Marie Le Gall se rendait à la mairie et demandait à affermer pour un an, à compter de ce jour, l'église cy-devant cathédrale « pour y faire exercer un culte », au prix qui sera fixé par l'administration. Un arrêté du district de Morlaix met le soumissionnaire en possession de la cathédrale.

Un autre brave cultivateur, Maurice Prigent, afferme également à partir du 1er mai « l'église dite de Saint-Pierre et la chapelle y attenante dite de la Congrégation ».

Le district fait droit à sa demande et des commissaires de la municipalité se transportent à l'église de Saint-Pierre à l'effet de mettre le soumissionnaire en possession des dits édifices.

« Après avoir fait transporter dans le dépôt de la commune quatre grands chandelier de fer et un peu d'autres ferrailles trouvés dans les édifices précités, les matières d'or et d'argent, linges et ornements en ayant été retirés précédemment et envoyés au district, les commissaires procèdent à l’état des objets d'attache qui restent dans les dites églises et chapelle ainsi qu’il suit :

Dans l'église :
Le maître autel avec un rétable en bois et un tableau commun représentant un christ encadré dans le dit rétable, le marchepied du dit autel avec un parquet en bois ;

Quatre statues en bois ;

Un pupitre sur un parquet de bois avec deux tabourets d'attache ;

Le chœur cerné de bancs avec leurs dossiers et genouilloirs ;

Une grande armoire de bois de chêne à deux battants et trois tiroirs contenant deux douzaines de fausses fleurs pour la plupart très passées, avec leurs petits pots tant en bois qu'en terre ;

Deux douzaines de vieux chandeliers en bois et une petite boite en bois pour contenir des cierges ;

Une petite armoire, un vieux catafalque avec un banc de repos en bois ;

Quelques vieilles statues en bois.

Dans la chapelle dite de la Congrégation :
Un autel en bois peint avec son retable et un devant d'autel en papier marbré, plus deux armoires d'attache peintes à chaque côté de l'autel ;

Deux statues de Vierge et d'un saint Joseph, en bois peint, deux christs ;

Trois grands tableaux communs encadrés de bois peint ;

Un tableau fin représentant une sainte Cécile avec son cadre doré, au bas de la chapelle ».

L'administration revint bientôt sur les concessions faites à Jean Le Gall et à Maurice Prigent, ainsi que nous aurons l'occasion de le constater.

Dans la nuit du 30 floréal au 1er prairial — 19-20 mai 1795 — de mauvais plaisants, après avoir arraché la claire-voie qui cernait l'arbre de la Liberté, l'avaient jetée dans le puits voisin. Le méfait ne fut connu que le matin, ayant été perpétré dans les ténèbres. Grande fut la colère des patriotes, quand ils découvrirent l'injure faite à leur fétiche. Nous donnons ici un extrait de la délibération, consignée dans le registre de la municipalité le 1er prairial, jour qu'on peut à juste titre ranger parmi les jours néfastes.

« Le conseil vivement affecté de douleur et d'indignation de l'atteinte portée au simbole de la Liberté, a arrêté qu'il se transportoit sur le champ sur les lieux accompagné du juge de paix pour être rapporté procès-verbal des dégradations qui ont été commises et être poursuivi conformément aux rigueurs de la loi, suite et diligence du Procureur de la Commune que le conseil charge spécialement de prendre tous les éclaircissements qu'il pourra se procurer pour dénoncer et poursuivre les auteurs, fauteurs et complices dont est cas ; arrête de plus qu'on enverra à l'administration supérieure par exprès copie de la présente délibération avec un extrait du procès-verbal qui sera rédigé... ».

Le piquant de l'aventure fut que deux membres du Directoire de Morlaix qui en avait été avisé, les citoyens Saillour, procureur syndic du district et André Rozec, administrateur, se présentaient le lendemain, 2 prairial, au conseil, enjoignant également à la municipalité d'engager tous les citoyens à faire part à l'administration supérieure de tous les renseignements qu'ils pourraient se procurer sur l'attentat commis sur l'arbre de la Liberté dans la nuit du 30 floréal au 1er prairial courant.

Le conseil répondit qu'il s'empresserait de faire parvenir à la dite administration tous les renseignements qu'il pourra se procurer relativement au dit attentat [Note : Reg. 25. Fol. 135-138].

Ce même jour, 2 prairial — 21 mai — les commissaires Loussaut et Michel Le Gall se transportent à Plouénan avec 50 hommes armés pour requérir et faire verser dans les magasins des subsistances militaires de Saint-Pol la quantité de 100 quintaux de grains.

Le conseil général de Plouénan demande qu'on retire la force armée de cette commune, les citoyens François Bohic, officier municipal et Yves Creff, notable, s'obligent tant en leur nom que pour leurs collègues absents à faire verser le lendemain dans les magasins des subsistances militaires à Pol-Léon 50 quintaux, et le reste dans les huit jours. Du consentement du procureur syndic et de l'administrateur du district de Morlaix, présents, le conseil de Saint-Pol arrête de donner les ordres nécessaires pour que la force armée retourne dans le jour de Plouénan.

Le 4 prairial, M. Jean Péron, ex-principal du collège de Léon, se présente au conseil municipal et déclare qu'il fixait son domicile à Saint-Pol. Il exhibe un extrait de déclaration constatant sa comparution devant le Directoire du district de Morlaix, en date du 29 floréal, an III — 18 mai 1795. — Il signe, requérant acte de sa déclaration, ce qui lui est accordé.

Le même jour le citoyen Coroller est bombardé juge de paix en remplacement du citoyen Guillaume Kergeffroy, destitué par arrêté du Représentant du peuple à Brest.

Le lendemain, la société populaire de Pol-Léon communique à la municipalité un registre de délibérations, contenant différentes dénonciations contre le citoyen Guillaume, ex-juge de paix, et différentes inculpations contre l’ex-Comité de surveillance de la même ville.

Sur quoi, « les citoyens Miorcec, maire, Villeneufve, Le Roux, Le Bihan, officiers municipaux, et Sévézen, notable, déclarent se retirer comme ayant été membres de l’ex-Comité de surveillance et ne pouvoir prendre part à la délibération ».

Les membres restants de l'assemblée observent qu'ils ne sont point en nombre compétent pour délibérer ; que d'ailleurs ils ne sont point « saisis des registres de l'ex-Comité de surveillance et qu'en conséquence ils ne peuvent point s'assurer des signataires des différentes arrestations faites en cette commune ; invitent l'agent national, de concert avec le bureau, d'en référer, à ce sujet, au Directoire du district de Morlaix et de l'inviter à statuer, ainsi que de raison, sur le vu des registres de l'ex-Comité de surveillance qui sont en sa possession ».

Le 6 prairial — 26 mai 1795, — les canonniers du fort Sainte-Anne délaissent les batteries de ce fort. Le Directoire du district de Morlaix écrit à la municipalité d'ordonner aux canonniers de rejoindre leur poste, sous peine d'être poursuivis comme déserteurs. Les citoyens Laurent Caro, René Creignou, René Le Gac et François Quimerch sont appréhendés par la gendarmerie et constitués provisoirement prisonniers. Cités devant le conseil, ils déclarent « qu'ils allaient se rendre à leur poste, sous la réservation d'adresser leurs réclamations en obtention de congé, attendu la maudicité de la paye sur la dite batterie, la chereté des denrées de première nécessité et les besoins urgents de leurs nombreuses familles ».

Le conseil, ouï l'agent national, arrête de les faire relâcher sous leur promesse et obligation de se rendre sur le champ à leur poste. Il arrête que douze quintaux de blé seront accordés au fort, à raison d'un demi quintal par mois et par homme [Note : Reg. 25. Fol. 141-143].

Nous avons vu plus haut que le citoyen Guillaume, juge de paix, avait été destitué par un arrêté du Représentant du peuple à Brest. Le 19 juin 1795, 1er messidor, an III, il se présentait au conseil général pour se défendre et ayant obtenu la parole, il s'exprime de la sorte. Nous reproduisons intégralement ce qui s'est passé dans cette séance. « Citoyens, de toutes les inculpations qu'on m'a portés, rien ne m'a plus affectés que la comparaison qu'a fait le citoyen Prud'homme de mon caractère avec celui de Robespierre ; vous savez en outre que je n'ai jamais été dans le cas de pouvoir tiranniser. C'est que je n'en ay eu ni les sentiments, ni le désir, ni seulement l'idée, et qu'aucun cas pareil n'a émanés de moi. Je vous demande donc une attestation contraire ».

« La discussion ouverte, le conseil arrête qu'il seroit procédé à l'appel nominal pour savoir si on eut délibéré à ce sujet. L'appel fait, le résultat à la majorité, a été d'avis de délibérer.

En l'endroit, les citoyens Conversy, Le Floch, Villeneufve et Varsavaux, officiers municipaux, ont déclarés ne pouvoir en l'état souscrire aucun acte approbatif de la conduite politique du citoyen Guillaume cy-devant juge de paix et dénoncé, n'entendant cependant rien préjuger à cet égard et déclarant en outre ne point prendre part à la délibération qui seroit prise ce touchant et ont signés : Consersy, etc.

En l'endroit, les citoyens Miorcec, maire, Le Roux, Le Bihan, officiers municipaux, Berdelo, Lafitte, Le Corre, Jean Vazel, Le Bot notables déclarent qu'il n'est pas venu à leurs connaissances que le citoyen Guillaume ayë fait aucune action tirannique qui puisse le comparer au monstre Robespierre, mais déclarent aussi ne prendre aucune part dans les dénonciations faites contre le citoyen Guillaume et ont signés : Miorcec, maire, etc.

En l'endroit, le citoyen Louis Bolloré, notable, a déclaré ne pouvoir voter, attendu qu'il est témoin, et a signé.

En l'endroit, le citoyen Le Guével, notable, a déclaré adhérer à la déclaration des citoyens Conversy, Le Floch, Villeneufve et Varsavaux et a signé » [Note : Reg. 27. Fol. 96].

Trois mois après, le 19 septembre, le citoyen Guillaume, ayant été acquitté par le tribunal du jury d'accusation du district de Morlaix, demanda « aux termes des lois de jouir entièrement des droits de citoyenneté ».

Le 2 messidor, le triste citoyen Antoine Dumay, ministre conformiste, domicilié en la commune de Pol-Léon, se présente au bureau municipal pour réitérer sa soumission aux lois de la République et demande qu'il lui en soit décerné acte afin de pouvoir jouir des avantages que lui présente la loi du 11 prairial dernier [Note : Reg. 25. Fol. 149].

Quelques jours après, les ministres catholiques romains, résidant à Saint-Pol se présentaient devant la municipalité et déposaient sur le bureau la déclaration suivante : « Déclaration des ministres catholiques romains résidents à Pol-Léon ».

« Les ennemis des ministres du culte catholique romain, cy-devant détenus ou cachés à raison de refus de serment, ne cessent de leur imputer d'être réfractaires à la loi, et d'insinuer qu'ils sont en révolte contre le gouvernement.

Les dits ministres ne sont point et n'ont point été réfractaires à la loi. Une loi a prescrit aux fonctionnaires publics de jurer la cy-devant Constitution civile du clergé ou d'abandonner leurs bénéfices ; ils n'ont point fait le serment, mais ils ont abandonné leurs bénéfices ; ils ont donc obéi et ils ne sont point réfractaires ; ils ne sont point, et ils n'ont point été, et jamais ils ne seront en révolte contre le gouvernement.

Disciples d'un maître qui leur a dit que son royaume n'est pas de ce monde, ils sont par principes et par état soumis au gouvernement civil de tous les pays qu'ils habitent. Lorsque Jésus-Christ a envoyé ses apôtres prêcher l'Evangile dans tout l’Univers, il les envoya dans les républiques comme dans les monarchies, et telle est l'excellence de cette religion toute divine, qu'elle s'adapte à toutes les formes de gouvernement.

Dire que le culte catholique romain ne peut s'exercer dans les républiques comme dans les monarchies, c'est calomnier ce culte et ses ministres.

Tels sont, tels ont été toujours nos sentiments.

A Saint-Paul-de-Léon le 27 juin 1795 (vieux style).

9 messidor, l'an III de la République française, une et indivisible.

Et ont signé, requérant acte et copie de leur déclaration : Elie Corre, prêtre catholique romain, J. Mathezou, ancien chanoine, p. c. r., Jean Péron, it., J. Gougouil, it., Hervé Grall, it., Henry, prêtre, N. M. Moal, p. c. r., Yves Kérébel, it. » [Note : Reg. 25. Fol. 150].

L'hospice civil, paraît-il, se trouvait dans une situation désespérée. Le 12 messidor, le citoyen Le Roy, administrateur du dit hospice, se présentait au conseil et déclarait qu'il ne pouvait plus procurer du pain à l'établissement, faute de pouvoir payer comptant. Il ajouta qu'il n'y en avait point pour le souper de ce jour des pauvres du dit hospice.

Le conseil s'était déjà adressé au Directoire du district de Morlaix, mais sans succès, pour demander une avance de fonds. Dans cette triste conjoncture, le citoyen Le Floch, officier municipal, proposa d'avancer 600 livres pour subvenir au besoin du moment, sauf à être remboursé plus tard. Le conseil accepta avec reconnaissance et déclara qu'il en écrira à l'administration supérieure. [Note : Reg. 25. Fol. 54].

A la maison des détenus, la situation est aussi misérable. Les boulangers ne peuvent plus faire aucune fourniture de pain. La municipalité demande l'autorisation d'en prendre au magasin des subsistances militaires. On lui répond que la troupe est également sur le point de manquer de vivres. Ceci donne la note exacte de ce qui se passait à cette néfaste époque sur toute l'étendue du territoire français. Un gaspillage effréné des deniers publics, un agiotage éhonté, pratiqué sans répression aucune devaient inévitablement amener un désarroi général dans toutes les communes et dans tous les établissements de la République.

Le 15 messidor (5 juillet 1795), le citoyen Louis-Marie Poulpiquet Kermen, demeurant à la Ville neuve, se présentait à la municipalité et déposait sur le bureau une commission que le citoyen Allotte, garde magasin des fourrages à Léon, lui avait donnée pour l'exploitation des bois de Kerlaudy, destinés pour le chauffage des troupes de Saint-Pol et lieux environnants. Il devait tenir la comptabilité, payer les ouvriers, opérer les versements et surveiller, sous sa responsabilité cette partie importante du service.

« Etait, en même temps, enjoint à toute autorité constituée, commandants de garde nationale, etc., de reconnaître le sus-dit citoyen Louis-Marie Poulpiquet, dit Kermen, comme attaché d'une manière non équivoque au service des subsistances militaires et de le faire jouir de tous les droits et exemptions de corvée militaires, etc., qu'accordait la loi du 13 mars 1793 (v. st.) ».

Le conseil applaudit au choix fait par le citoyen Allotte [Note : Reg. 25. Fol. 156]. Ce n'était qu'avec une extrême difficulté que la municipalité de Saint-Pol pouvait procurer des draps de lit aux soldats qui se trouvaient en détachement, soit à l’île de Sieck, soit à Sainte-Anne ou dans d'autres postes. La population s'ennuyait des corvées de toutes sortes qu'on exigeait d'elle à chaque instant, et on dut souvent recourir à la force. Parmi les récalcitrants, il n'était point rare de trouver des femmes qui bravaient audacieusement la municipalité. C'est ainsi que le 18 messidor, an III, — 8 juillet 1795, — la citoyenne Françoise Godec, femme Le Brun, était condamnée de par le conseil municipal à 24 heures de prison, pour refus de fournir un lit à la caserne Sainte-Anne. Notification était faite à son mari de fournir sur le champ une berne et deux draps, sous peine d'être puni également.

Ces sortes d'incidents se renouvelaient assez fréquemment et ne laissaient pas de prêter au rire [Note : Reg. 25. Fol. 161].

Les Pères conscrits de Saint-Pol, voyant que toutes leurs démarches pour procurer des vivres aux soldats et aux détenus demeuraient infructueuses, se déterminèrent à faire un appel à la population du canton. Le 19 messidor, an III, — 9 juillet 1795, — ils lancèrent la proclamation suivante :


« Citoyens,
C'est sans doute avec douleur, c'est aussi avec confiance dans votre civisme et dans votre humanité que nous vous annonçons la pénurie absoliie où se trouvent les magasins des subsistances militaires en cette commune ; nous nous sommes adressés au Directoire du district de Morlaix pour venir au secours des braves défenseurs de la patrie. L'administration supérieure vient de nous répondre que les magasins militaires à Morlaix ne peuvent dans l'état effectuer aucun versement de grains sur Paul-Léon ; mais cependant les besoins sont aussi urgents qu'indispensables ; les troupes cantonnées en cette commune et postes circonvoisins manquent de pain.

Vous n'ignorez pas, citoyens, que les plus grands désordres peuvent résulter de ce dénuement de subsistances ; des sentiments de civisme et d'humanité doivent engager chaque citoyen à partager entre ses frères d'armes les grains qui lui restent. La pénurie ne peut être un prétexte pour s'y refuser ; on doit oublier qu'on l'éprouve, quand ceux qui conservent nos propriétés et nos personnes sont à la veille de manquer de pain.

Nous vous invitons, nous vous objurons, citoyens, par tous les motifs d'intérêts publics et particuliers d'apporter des secours momentanés en grains au magasin des subsistances à Pol-Léon dont le préposé payera le prix comptant.

Fait en la maison commune de Pol-Léon le 19 messidor, 3ème année républicaine. ».

Signés : les maire et officiers municipaux et procureur de la commune du chef-lieu de canton. Lu et publié à la manière accoutumée tant en français qu'en breton, la présente proclamation au fort du marché. A Pol-Léon le 19 messidor, 3ème année républicaine [Note : Reg. 25. Fol. 163-164].

Ceci se passait le 19 messidor ; quelques jours après, le 30 du même mois, le citoyen Villeneufve représentait au conseil « qu'en vertu de la délibération du conseil général, en date de ce jour, il avait trouvé la quantité de 53 livres et quart de pain d'orge chez le citoyen Tanguy Creff, marchand boulanger, et qu'il l'avait distribué pour la subsistance des détenus de la maison d'arrêt de la commune et qu'on réclamait pour le dit pain la somme de trois cents livres ; sur quoi, le conseil délibérant, ouï le citoyen Michel Kerhorre, substitut du procureur de la Commune, arrête d'écrire au Directoire du district de Morlaix pour avoir paiement tant de la dite somme ou de telle autre suivant la taxe du district et payable au citoyen Creff, boulanger, ainsi que celle de 159 livres, 15 sols, avancée sur les fonds de la commune pour 22 livres de pain précédemment distribuées aux dits détenus, avec en outre le paiement d'un quintal de grains dû à la citoyenne Kerisnel qui a produit la quantité de 87 livres trois quarts de pain fourni aux mêmes détenus ; et de plus le conseil délibérant, ouï le citoyen Michel Kerhorre, substitut du procureur de la Commune, arrête qu'il sera donné au citoyen Guillerme la somme de 60 autres livres pour porter une dépêche au Département, aux fins de délibération du conseil général de ce jour, et qu'elle sera remboursée sur les fonds libres aux membres qui en auront fait l'avance » [Note : Reg. 25. Fol. 168].

La République ne laissait pas de tenir en haleine la municipalité de Saint-Pol. Une difficulté n'avait pas plus tôt disparu qu'il en surgissait une autre, aussi grave, si non plus grave. Ne fallait-il pas tailler de la besogne à ces braves citoyens qui composaient le conseil municipal ? Par un arrêté du 30 messidor, suivi de deux lettres en date du 1er thermidor, le Directoire du district de Morlaix prescrivait à la municipalité d'organiser sans délai, en compagnies particulières, les jeunes gens et veufs sans enfants, de l'âge de 16 à 40 ans. Le conseil, ouï le procureur, « arrête de requérir et requiert le citoyen commandant de la garde nationale de faire assembler sans délai la dite garde nationale pour l'organisation des dites compagnies, en exécution de l'arrêté et des lettres du Directoire du district de Morlaix, ci-dessus mentionnées, et au cas, contre tout événement que les citoyens requis ne se trouvent pas à l'assemblée convoquée, l'état-major de la dite garde nationale est chargé dans le plus court délai de prendre dans les dites compagnies la liste des jeunes gens et veufs sans enfants, de l’âge de 16 à 40 ans, pour être le tout envoyé au Directoire du district de Morlaix pour être statué ce que de raison. » [Note : Reg. 25, Fol. 170].

Ceci avait été décidé dans la séance tenue le 4 thermidor. Le lendemain, attendu qu'il ne s'était présenté qu'un très petit nombre de citoyens, il fut arrêté qu'une autre convocation serait faite par une publication solennelle, et l'état-major était invité à apporter le plus grand soin à la liste des jeunes gens et veufs sans enfants depuis 16 ans jusqu'à 40. Une nouvelle de nature à jeter le trouble dans l'esprit des patriotes arrivait à Saint-Pol le 6 thermidor — 24 juillet 1795. — Le Directoire du district de Morlaix annonçait au conseil municipal l'invasion par les brigands de Quintin à Châteaulaudren et leur marche sur Guingamp. Il engageait en conséquence la municipalité à désigner à l'administration supérieure le nombre d'hommes de la garde nationale de Saint-Pol qui se trouveraient disponibles et bien résolus à défendre leur patrie.

Le conseil ordonne de convoquer la garde nationale pour lui donner connaissance de la lettre du Directoire du district de Morlaix, et fait battre la générale.

Comme aucun citoyen ne s'est présenté pour marcher volontairement, le conseil adresse au Directoire la liste fournie par l'état-major de la garde nationale des jeunes gens et des veufs sans enfants. Il avait été impossible de les organiser en compagnies particulières, la plupart ne s'étant pas présentés. Du reste, ces vaillants patriotes ne se souciaient guères d'exposer leur poitrine aux balles des chouants [Note : Reg. 25, Fol. 172].

(abbé J. Tanguy).

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