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Jacques-Marie CHÊNU, prêtre guillotiné à Rennes
en exécution de la loi des 29-30 vendémiaire an II.
 

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48. — Jacques-Marie Chênu, sieur de Boismaury, appartenait à une vieille famille de bourgeoisie servannaise. Né à Saint-Servan-sur-Mer, le 24 septembre 1747, du mariage de Luc, sieur du Bourg, et de Bertranne Berjeaut, il reçut le baptême le lendemain dans l’église de sa paroisse.

Ses parents lui firent, donner la meilleure éducation. « Il était fort instruit dans les lettres divines et humaines et surtout dans la physique », écrit de lui l’abbé Manet, son contemporain. Mais le jeune Chênu se destinait à l’état ecclésiastique. Après avoir mérité la note « très bien » à tous ses examens précédant les saints ordres, il reçut la tonsure et les mineurs à Rennes, par dimissoire en date du 30 mars 1772. Il fut fait sous-diacre en septembre de cette année, diacre à la même époque l’année suivante. Enfin, il fut ordonné prêtre à Saint-Malo, le 24-septembre 1774.

48 bis. — Cet ecclésiastique, affligé d’une mauvaise santé et possesseur d’une honnête aisance, ne remplissait point de fonctions publiques à l’époque de la Révolution. Comme on manquait de sujets dans le clergé constitutionnel, la municipalité de Saint-Servan lui demanda cependant de prêter serment à la Constitution civile du Clergé, mais M. Chênu était trop attaché à l'orthodoxie pour se prêter à cette cérémonie indispensable cependant pour sa tranquillité. A Saint-Servan, comme partout en France à cette époque, les pasteurs légitimes furent remplacés par des intrus. Bientôt même, les prêtres réfractaires ne furent plus autorisés à célébrer la messe dans l’église paroissiale. Une déclaration d’honneur de ne pas dire de messe en public fut demandée aux prêtres insermentés et ceux qui refusèrent d’y souscrire furent invités à quitter Saint-Servan dans les 24 heures. Le 18 août 1791, on enquêta sur ceux qui célébraient la messe dans les communautés religieuses. Le 16 septembre suivant, on ordonna la fermeture des portes extérieures des chapelles de communauté et on fit condamner celles des chapelles rurales. Presque toujours malade (quand on l’arrêta, il était porteur de plusieurs médicaments), l’abbé Chênu essaya, pour ne pas être inquiété, de cesser de célébrer la messe en public ; ce fut en vain : un prêtre réfractaire au serment schismatique ne pouvait être qu’un ennemi aux yeux des révolutionnaires. Aussi le 14 avril 1792, le Conseil général d’Ille-et-Vilaine ayant décidé de réunir à Rennes tous les prêtres insermentés de ce département qui refuseraient de souscrire par serment la déclaration de ne rien entreprendre contre la Constitution et de ne détourner personne par conseil ou autrement de l’obéissance due à une loi (celle-ci comprenant la Constitution civile), l’abbé Chênu crut devoir quitter sa ville natale et chercher un refuge à Rouen, plutôt que de se prêter à cet acte auquel se refusèrent les bons prêtres.

49. — Il demeura dans la capitale de la Normandie jusqu’au 10 décembre 1792. Entre temps, la loi du 26 août 1792 avait banni de France tous les ecclésiastiques qualifiés « fonctionnaires publics ». M. Chênu n’appartenait pas à cette catégorie, il eût donc pu demeurer à Rouen, mais, à cette époque, les prêtres réfractaires, quels qu’ils fussent, étaient partout pourchassés quand on les connaissait comme tels. Fût-il dénoncé, on l’ignore ; toujours est-il qu’il s’en revint au Clos-Poulet à la fin de l’année 1792, et que le 2 janvier de l’année suivante, cet ecclésiastique faisait viser par le maire de Paramé, Lemarié, le passeport remis par la municipalité de Rouen, sur lequel ne figurait pas sa qualité de prêtre.

A cette date, il vivait d’après ses propres dires, chez une bonne chrétienne, blanchisseuse de son état, nommée Marie Carimel, veuve Jouan, résidant au village de la Fontaine-au- Pèlerin, commune de Paramé. Celle-ci lui avait accordé asile à la prière d’une de ses filles qui avait été au service de sa famille. L’abbé Chênu demeura caché dans cette demeure hospitalière jusqu’au 1er mars 1794. A cette date, pour gagner la prime, on dénonça sa présence à l’ex-abbé Carron, prêtre apostat, membre du comité révolutionnaire de Paramé et jacobin fougueux. Ravi à la pensée d’arrêter un de ses confrères dans le sacerdoce et de le livrer à la mort, Carron aussitôt commanda une patrouille de gardes nationaux pour ce jour, à la nuit tombante. Rendus à l’habitation de la veuve Jouan, les sans-culottes de Paramé la cernent, placent des sentinelles et commencent leur visite domiciliaire. Un lit vide, encore chaud, confirme leurs soupçons. Ils redoublent leurs perquisitions, de la maison passent dans le cellier et là, sous une grande cuve, découvrent blotti l’abbé Chênu.

Bravement, celui-ci énonça son nom, son domicile antérieur et sa qualité de prêtre insermenté. Et comme on lui demandait les raisons pour lesquelles il se cachait, il répondit ces paroles à retenir « que la persécution contre les ecclésiastiques était si grande, qu'il ne voulait pas s'exposer aux avanies et aux insultes en se faisant connaître pour ecclésiastique ».

50. — Aussitôt constitué en état d’arrestation, M. Chênu passa le reste de la nuit aux locaux du Comité de surveillance de Paramé et, le lendemain, on le fit comparaître à Saint-Malo devant le féroce Le Carpentier, représentant du peuple, en mission dans cette ville. De cette entrevue, nul compte-rendu n’est resté, non plus que des quelques jours qu’il passa en prison dans la cité des corsaires, en attendant d’être transféré à Rennes où il fut incarcéré à la Porte Saint-Michel, dite alors Porte Marat, le 14 mars 1794. Quatre jours après, le prêtre proscrit comparaissait devant le Tribunal criminel d’Ille-et-Vilaine. Il y déclara n'avoir prêté aucun serment, quoiqu’on lui eût proposé de prêter celui à la Constitution civile du Clergé, (ainsi qu’on l’a déjà dit), serment, ajouta-t-il, qui légalement parlant ne le concernait pas. Quant à celui du 15 août 1792, connu sous le nom de Liberté-Egalité, il assura n’avoir point connu son existence. Du reste, à l’origine, ce second serment ne visait que les prêtres fonctionnaires publics ou pensionnés de l’Etat. Enfin, méconnaissant la tare irrémissible qui s’attachait à sa qualité de prêtre réfractaire, il fit naïvement valoir pour sa défense que, vivant dans une entière retraite, sa présence ne pouvait causer aucun trouble à l’Etat, et que, d’autre part, il ignorait totalement l’existence de la terrible loi des 29 et 30 vendémiaire an II, qui dévouait à la guillotine tous les prêtres réfractaires trouvés errants sur le territoire français.

L’accusateur public, le servannais Pointel, son compatriote et même son parent éloigné, retint cet argument et demanda aux membres du tribunal de s’assurer si cette loi avait été réellement promulguée à Paramé. On fit droit à cette requête. Un délai de huit jours fut accordé pour faire la recherche demandée. Hélas : le résultat fut accablant pour l’abbé Chênu. Sans doute la loi de sang n’était pas parvenue jusqu’à la Fontaine-au-Pèlerin, mais son texte avait été adressé à la municipalité de Paramé, laquelle en avait accusé réception, quitte à ne pas l’avoir publié ensuite.

L’abbé Chênu n’avait plus qu’à se préparer à mourir prochainement. Le jugement le condamnant à la peine de mort comme convaincu d’avoir été sujet à la déportation en qualité d’insermenté et d’être demeuré caché en France, fut rendu le 31 mars 1794, conformément aux articles V, X et XIV de la loi des 29 et 30 vendémiaire an II.

L’exécution de cette sentence eut lieu le même jour sur la place du Palais. L’acte de décès du supplicié fut enregistré le lendemain à l’état civil. Plusieurs personnes, se rattachant en ligne collatérale à la famille de M. Chênu, conservent son souvenir et le regardent comme un martyr victime des lois antireligieuses de l’époque.

BIBLIOGRAPHIE. — Guillon, Les Martyrs de la Foi, etc., op. cit. (1821), II, p. 423. — Tresvaux du Fraval, Histoire de la Persécution religieuse en Bretagne, op. cit. (1845), II, p. 190. — Guillotin de Corson, Les Confesseurs de la Foi, etc., op. cit. (1900), p. 14. — H. Harvut, Paramé sous la Terreur, Saint-Malo, in-8°, 1911, p. 11.

(Dossier n° 196 des actes du tribunal criminel d’Ille-et-Vilaine, série B, Parlement, aux archives d’Ille-et-Vilaine).

(Articles du Procès de l'Ordinaire des Martyrs Bretons).

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