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SAINT-SULIAC ET QUELQUES LÉGENDES |
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Suliac, fils de Bromail, roi du Pays de Galles, était encore fort jeune lorsque, touché par le chant des moines qui passaient près de lui, il les suivit dans leur monastère. Pour éviter les poursuites de son père, l'abbé, nommé Guimarc'h, le fit passer dans une petite île de Grande-Bretagne qui s'appela dès lors Enez-Suliac, Ile de Suliac. Sorti de cette retraite et choisi par l'abbé Guimarc'h pour lui succéder, il se vit bientôt contraint de passer en Armorique pour échapper aux poursuites de Powis, veuve de son frère, qui aurait voulu l'épouser.
Suliac aborda le Clos-Poulet vers l'an 555, remonta le cours de la Rance et s'arrêta dans un lieu désert, près du Mont-Garrot. Il fonda un monastère où il eut une vingtaine de moines sous sa direction. Il y reçut la visite de Saint Samson, évêque de Dol, et rendit de grands services à Saint Malo.
Suliac étendit son domaine spirituel jusqu'aux Sablons et Dorlet. Quelques huttes s'élevèrent dans le désert qu'il s'était choisi et son monastère devint bientôt le centre d'un petit village.
Le saint abbé mourut le 8 novembre, mais on ne sait en quelle année, probablement en 606. Depuis sa mort, beaucoup ont éprouvé son puissant secours. Mais de son vivant même on le considérait comme un saint. Dieu l'avait en effet honoré du don des miracles.
A son arrivée, un terrible dragon ravage le pays. Suliac le vainc et le précipite du haut du Mont-Garrot dans la Rance, pour le plus grand bien et la plus grande joie de tous les habitants de la région.
La légende des ânes de Rigourdenne est bien connue. Le Frère Job, jardinier du monastère, ne peut se chevir de ces têtus goulus qui traversent la Rance, alors simple ruisseau où la mer ne remonte pas, pour venir brouter ses superbes choux et son blé en herbe. Mis au courant de ces rapines sacrilèges, Suliac vient gronder
... Messires les baudets qui se mettent à ruer ;
Qui se mettent à braire, à faire cent
folies...
Messires les roussins, aux façons mal polies,
Se tournent vers Suliac,
ont l'air de le narguer !
Il s'irrite... O merveilles !
De sa crosse il les
touche entre les deux oreilles
Et leur tête soudain se retourne à l'envers !
Guignant les choux verts
De leurs yeux cupides,
Ils s'en vont stupides
La tête à l'envers !
Légendes, bien entendu. Mais toute légende a pour point de départ un fait réel, enjolivé et raconté de façon allégorique. Peu à peu la postérité oublie le fait réel pour ne retenir que l'allégorie.
Il n'est pas impossible que le saint abbé ait débarrassé la région d'un fauve dangereux et que des ânes, pillant son domaine, aient été punis de façons miraculeuses. Mais il est probable que le dragon est le symbole du paganisme ou du démon dont le saint moine délivra les habitants ; les ânes, des pécheurs endurcis qui venaient piller les moines et qu'un beau jour Suliac « mit à l'envers », c'est-à-dire convertit.
Le Mont-Garrot possède aussi sa légende. Gargantua, ce géant de Rabelais, s'aventure un jour dans notre région. Pour assouvir ses appétits insatiables, il veut dévorer son propre fils. Les témoins de cette lubie féroce écartent l'enfant et le remplacent par une grosse pierre, juste au moment où ce père dénaturé se jette sur sa progéniture pour la dévorer. Il donne un coup de mâchoire sur le granit et se casse une dent. Furieux, il se lance sur ses adversaires et écrase la tête de son fils d'un coup de poing. Mal lui en prend. Les gens, outrés de ce crime, harcèlent ce père infanticide qui tombe malade et meurt un an, jour pour jour, après son crime.
On avait enterré l'enfant à l'endroit du meurtre et planté sur sa tombe la dent du meurtrier. Cette dent, pétrifiée par le temps, ressemble à un menhir de cinq mètres de hauteur sur cinq mètres de circonférence à la base, qu'on appelle toujours Dent de Gargantua ou menhir de Chablé. On enterra le meurtrier sur le plateau de Garrot. Il fallut plier cet ogre en sep t! Le Mont-Garrot n'est autre que la tombe du géant ; la baie de la Baguais, le vide creusé par le terrassement effectué pour recouvrir ce cadavre gigantesque.
Une telle légende peut-elle renfermer un fond de vérité ? Dans cette exagération, a-t-on voulu perpétuer le souvenir d'un grand chef, d'un guerrier genre Goliath, d'un père dénaturé tel celui de Chramne ?
Peu après l'arrivée de Suliac sur les bords de la Rance, en 560, le roi breton Canao donne refuge à Chramne, prince franc révolté contre son père, Clotaire Ier. Les troupes franques, commandées par le roi lui-même, passent la frontière et rencontrent l'armée bretonne dans les marais de Dol. Après un combat acharné, Canao est tué par un javelot. Chramne fuit vers la Rance, poursuivi par son père. Il rejoint sa femme et ses enfants dans une chaumière, mais y est fait prisonnier. Il demande grâce, au moins pour ses enfants. « Qu'ils soient tous brûlés vifs », répond Clotaire qui, malgré les protestations des Bretons et même des soldats francs, fait immédiatement exécuter son ordre barbare.
Chramne, sa femme et ses enfants sont enfermés dans la masure que l'on incendie. Au milieu des flammes qui tournoient, on devine une forme humaine qui lutte vainement pour sauver les siens, des petites mains brûlées qui enlacent leur maman... Clotaire, le père infanticide, contemple ce spectacle avec une joie féroce... Le vent du soir balaie les cendres de la chaumière et la nuit silencieuse étend son linceul noir sur ce lieu sinistre qu'avaient fui les témoins épouvantés... Mais la rumeur et le remords harcèlent ce père dénaturé qui tombe malade et meurt un an après son fils, le même jour et à la même heure !
N'y a-t-il pas une similitude frappante entre ce fait lamentable et la légende ? Roi puissant ou géant venant du pays des Francs, infanticides expiant leur crime de la même façon.
Le monastère fondé par Saint Suliac vécut-il longtemps ? Nul ne sait la date de sa disparition. La région ne fut pas sans troubles pendant les VIIème et VIIIème siècles. Au IXème siècle, la Bretagne eut la chance de posséder quatre rois (Nominoë, Erispoë, Salomon, Alain le Grand) qui portèrent sa prospérité au plus haut point. Mais ce fut aussi l'arrivée des pirates normands. Ces hordes barbares couraient de monastère en église, volaient, tuaient et incendiaient tout sur leur passage. Le monastère de Suliac (s'il existait encore) ainsi que l'église du village qu'il avait créé, reçurent les visites sacrilèges de ces pillards païens, certainement en 847, 878 et 944 ; mais sans doute à d'autres dates aussi, car ils avaient l'habitude de mouiller au pied du Mont-Garrot lorsqu'ils remontaient la Rance.
Note : Saint Suliac, appelé aussi saint Suliau ou Sulian ou Silio ou Sulien, est un moine gallois évangélisateur du pays de Galles et de l'Armorique occidentale au VIème siècle. Il fait partie des saints de l'église britannique et des saints bretons d'Armorique. Il évangélisa la région d'Aleth ou Saint Malo.
(Abbé Auffret).
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