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HOHENBOURG AVANT ET APRÈS SAINTE ODILE

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L'histoire de Hohenbourg ne commence pas au jour où la superbe forteresse des ducs d'Alsace céda la place à une paisible abbaye de Moniales. Le plateau de Hohenbourg a été habité dès les temps les plus reculés, bien avant l'époque celtique même ; ce qui le prouve, ce sont les nombreux monuments — dolmens, abris sous roche, pierres à cuvettes — qui couvrent encore le sol de la montagne aux environs du Couvent. Ces monuments, qui accusent nettement la coopération de la main humaine, datent en effet de l'époque lointaine où l'homme, ne connaissant pas encore le fer, ne se servait que d'instruments de pierre ou de bronze ; ils autorisent même à penser que, dès ses plus antiques origines, Hohenbourg fut une montagne sacrée un haut lieu.

Monastère de Sainte-Odile : ancienne gravure

Cette hypothèse devient presque une certitude pour les temps qui ont précédé l'occupation romaine : quelque divinité payenne, peut-être Rosmerta, déesse des régions de l'Est, a dû être adorée à l'extrémité du plateau en éperon, où se dresse aujourd'hui le Couvent. Cependant, tout en conservant à cette partie de la montagne son caractère religieux, les Celtes ou Gaulois en avaient fait un camp de refuge qui englobait en outre les deux plateaux voisins, l'Elsberg au nord et la Bloss au sud ; en temps d'invasion les habitants de la plaine se réfugiaient avec leur bétail dans cette enceinte fortifiée, derrière le fameux Mur payen, construit dans ce but.

La situation stratégique de Hohenbourg fut moins appréciée des Romains : un seul point du plateau resta occupé, celui où se trouve actuellement le Couvent. On y éleva un castellum ; dressé sur d'immenses rochers aux parois verticales, de plus de vingt mètres de hauteur, il était imprenable. La montagne, très escarpée elle-même au pied de ces rochers, était inaccessible à l'attaque ; en raison de son élévation, on l'appelait alors d'un nom mi-latin, mi-celtique : Altitona.

Quand les Germains envahirent les riches plaines de l'Alsace, la forteresse d'Altitona, fut le dernier refuge de la domination romaine, mais elle tomba elle-même sous les coups des Vandales, en l'an 407. Peu à peu abandonnée, la montagne devint une solitude connue seulement de quelques intrépides chasseurs, jusqu'au jour où Aldaric, troisième duc d'Alsace, fit construire, sur les ruines de l'ancien castel romain, un château ou rendez-vous de chasse qu'il appela « Hoenburch » : c'était vers la fin du VIIème siècle.

Nous avons vu comment le duc, touché par la grâce divine, consentit à transformer son château en un monastère, auquel il assigna, entre autres revenus, tout l'espace compris dans l'enceinte du Mur payen. Odile, fille du duc, fut la première abbesse du nouveau monastère. A la mort de la sainte, en l'an 720, sa nièce, sainte Eugénie, fille d'Adalbert, le dirigea pendant quinze ans, tandis que sainte Gundelinde, sœur d'Eugènie, fut choisie comme abbesse du couvent inférieur de Niedermunster. L'autorité devait rester désormais partagée entre les deux abbesses respectives.

Mont Sainte-Odile

L'histoire de Hohenbourg, depuis la fondation du monastère jusqu'à la Révolution, pourrait se diviser en deux périodes bien distinctes, dont la première va jusqu'à la fin du XIVème siècle : c'est la période de calme et de prospérité. Sans doute les épreuves ne manquent pas, mais elles sont moins le fait des hommes que des éléments. Le monastère fut pillé trois fois seulement, et à dix ans d'intervalle (de 917 à 937), par les Bulgares et les Hongrois ; par contre, il eut à subir six incendies (1045-1049-1099-1224-1243-1301), tous dus à des accidents fortuits ou à d'excessives sécheresses, mais dont les deux premiers seulement réduisirent l'église en cendres.

C'est aussi l'époque où le renom de sainte Odile attire auprès de son tombeau les plus illustres visiteurs : saint Léon IX, « l'évêque lorrain, le pape alsacien », parent de sainte Odile (1045 et 1049) ; les empereurs Charlemagne (773), Louis le Débonnaire (807 et 833), saint Henri (vers 1017), Frédéric Barberousse (janvier 1153), et Charles IV (1354) ; l'impératrice sainte Richarde (887) ; les rois Richard Coeur de Lion (1194) et Christian Ier de Danemark (1474) et nombre de saints prélats et de princes illustres [Note : C'est à Hohenbourg que l'empereur Henri VI le Cruel relégua en 1195 la reine Sibylle d'Apulie, l'infortunée veuve de Tancrède de Sicile, avec ses deux filles].

Charlemagne, lors de sa visite à Hohenbourg, accorda au monastère le privilège d'immunité ; en 831, Louis le Débonnaire lui fait quelques donations et l'assimile en 837 à une abbaye royale. Après Lothaire Ier, Louis le Germanique dota le monastère et confirma tous ses privilèges. Ces droits et donations sont mentionnés dans des diplômes authentiques, et consacrés par les bulles des Papes saint Léon IX, Innocent II, Lucius III, Honorius III, Innocent IV, Alexandre IV, Grégoire X, Jean XXII et Urbain IV.

Ce fut le premier de ces papes, saint Léon IX, qui consacra officiellement les origines du monastère. En 1045, alors qu'il était encore évêque de Toul, il avait relevé l'église qui venait d'être brûlée en cette même année ; devenu pape, il revint à Hohenbourg en 1049, au cours d'un voyage en Allemagne, et fit la dédicace de l'église abbatiale.

Un moment, vers 1140, Hohenbourg fut menacé dans son existence même par l'ambition et la cupidité de Frédéric le Borgne, duc d'Alsace et de Souabe ; des dissentiments s'étant élevés entre Hohenbourg et Niedermünster au sujet de quelques possessions, Frédéric intervint et, pour mettre d'accord les deux monastères, s'appropria les domaines disputés. Heureusement son fils, devenu empereur sous le nom de Frédéric Ier Barberousse, s'empressa de leur rendre à tous deux leurs revenus et droits respectifs. Il fit placer à la tête du monastère de Hohenbourg une princesse de sa famille, Relinde, jusqu'alors religieuse à Berg, en Bavière ; c'était une femme remarquable par sa piété, sa science et ses talents, et parfaitement digne de remplir cette charge. Il lui conféra, à elle et aux abbesses qui devaient lui succéder à Hohenbourg, le titre de Princesses du Saint-Empire. Ce fut Relinde qui, sur le conseil de l'évêque de Strasbourg, substitua la règle de saint Augustin à celle de saint Benoît, jusque là en vigueur à Hohenbourg.

L'oeuvre de restauration, commencée par Relinde, fut dignement continuée par Herrade de Landsberg, la plus illustre abbesse de Hohenbourg après sainte Odile et sainte Eugénie. Admirablement douée par la nature et par la grâce, Herrade avait été formée dès son enfance dans cette école du monastère de Hohenbourg, à laquelle l'abbesse Relinde avait su donner tant de splendeur et où les jeunes filles des familles nobles du pays venaient recevoir une éducation conforme à leur rang. A la mort de Relinde, qui depuis quelques années avait fait d'elle sa coadjutrice, Herrade fut élevée à la dignité abbatiale (22 avril 1167). Sous son administration sage et prévoyante, le monastère atteignit l'apogée de sa prospérité et de sa gloire. A une grande douceur et à une piété profonde, Herrade joignait une fermeté et un sens pratique des plus remarquables. Pour assurer le service divin dans l'église du monastère et spécialement le service de l'autel de sainte Odile, selon les prescriptions du Pape saint Léon IX, elle fonda d'abord, à Saint-Gorgon, un prieuré qu'elle confia aux Prémontrés d'Etival (1178), puis trois ans plus tard, à Truttenhausen, une prévôté de douze Chanoines réguliers de Saint Augustin, avec un hôpital pour les malades et un hospice pour les pauvres de passage, comme sainte Odile l'avait fait quelques siècles auparavant à Niedermünster [Note : Les Augustins de Truttenhausen devaient, comme les Prémontrés de Saint-Gorgon, desservir les autels abbatiaux de Hohenbourg, mais ils étaient plus particulièrement voués au service des pèlerins et à la prédication. L. Levrault, Sainte Odile et le Heidenmauer, Colmar, 1855].

La savante abbesse employait ses loisirs à composer, pour l'instruction et l'édification de ses Religieuses, le fameux Hortus deliciarum. « Citer ce précieux recueil de poésies monastiques, de mystique érudition et d'aquarelles byzantines, dit L. Levrault, c'est assez dire le renom de science et d'élégance artistique que l'abbesse Herrade de Landsberg sut acquérir à sa communauté ». Cette mosaïque religieuse, littéraire et scientifique, où les textes sacrés se mêlent aux allégories, les sermons aux digressions érudites, constitue une véritable encyclopédie des connaissances de l'époque, en même temps qu'un code complet de piété, de sagesse et de morale ; ouvrage inestimable, qui nous renseigne sur la vie intellectuelle des XIème et XIIème siècles, mieux que ne savent le faire la plupart des chroniques [Note : Il ne reste plus que des copies du Hortus deliciarum. Le manuscrit, comprenant 324 feuillets de parchemin, était parvenu intact au XIXème siècle ; après avoir échappé comme par miracle aux multiples incendies de Hohenbourg, il avait été remis en 1546 entre les mains de l'évêque de Strasbourg, en son château de Saverne, puis à la Chartreuse de Molsheim, « d'où il était passé, en 1794, à la Bibliothèque de Strasbourg. Il fut brûlé pendant le bombardement, dans la nuit à jamais néfaste du 24 au 25 août 1870. On avait négligé de mettre cet incomparable manuscrit en sûreté et les obus allemands détruisirent en quelques minutes ce chef-d'œuvre, la gloire de tout un siècle » (Welschinger). — Un exemplaire des copies existantes se trouve au Musée du Couvent] ; du point de vue artistique surtout, ses riches enluminures, ses miniatures remarquables font du Hortus deliciarum, au témoignage des juges les plus compétents en la matière, — de M. Léopold Delisle en particulier — « un des monuments les plus étonnants du XIIème siècle ».

Herrade mourut en 1195. Après elle, nous devons citer encore la pieuse et savante Edelinde, qui, elle aussi, composa de beaux poèmes religieux.

En 1273 et 1280, l'empereur Rodolphe Ier et après lui Louis de Bavière, en 1325, confirment à leur tour le monastère dans tous ses anciens droits et privilèges.

Hortus Deliciarum

Figure. - La philosophie et les arts libéraux : au centre, la Philosophie trône comme une reine, le front ceint d'un diadème ; à ses pieds, Socrate et Platon. Sept sources jaillissent du sein de la Philosophie ; ce sont les arts libéraux, dont les images rayonnent autour d'elle dans sept médaillons : au sommet, c'est la Grammaire, puis, en allant vers la droite, la Rhétorique, la Dialectique, la Musique, l'Arithmétique, la Géométrie et l'Astronomie. — Les poètes et les mages, indignes de figurer dans cette rose imagée, parce qu'ils sont « inspirés par l'esprit immonde », sont relégués au bas du feuillet.

Hortus Deliciarum

Figure. — Groupe de guerriers avec gonfalons et étendards ; siège de la ville de Dan par Abraham, pour délivrer Loth.

Hortus Deliciarum

Figure. — Jésus en Croix.

Hortus Deliciarum

Figure. — L'enfer.

Hortus Deliciarum

Cette figure ou planche comprend trois tableaux bien distincts, dont les deux premiers ont trait à la fondation primitive du monastère de Hohenbourg. 

Tableau 1 : Sur la façade de l'église, telle qu'elle existait sans doute au temps de Herrade (deux tours carrées et un pignon triangulaire), se détache la figure de Jésus-Christ, « Fils de Marie », bénissant de la main droite une baguette dorée, symbole de l'autorité seigneuriale et gage de la donation que fait le duc Eticho, du Monastère de Hohenbourg. La Vierge Marie (Sca Maria perpetua virgo) et saint Pierre (Scs Petrus) servent d'intermédiaires dans la transmission. Le duc porte la couronne, mais, par respect sans doute pour la majesté divine, il s'est dépouillé de sa chlamyde, qu'il tient de la main gauche. Au-dessus de lui, le texte suivant : « Scs Eticho dux qui et alio nomine dicitur Adalricus dotaliter offert Dno Jhes. Chr. et scœ Mariœ ac sco Petro monasterium cum omnibus appendiciis per se in monte Hohenburc fundatum » (le duc Eticho, appelé aussi Adalric, offre en don à Notre Seigneur Jésus-Christ, à sainte Marie et à saint Pierre, le Monastère qu'il a fondé sur le Mont Hohenburc, ainsi que toutes ses dépendances).

De la main gauche, le Christ tient une longue banderole déployée sur laquelle on lit :

Vos quos includit, frangit, gravat, atterit, urit,

Hic carcer, moestus, labor, exilium, dolor, cestus ;

Me lucem, requiem, patriam, medicamen et umbram

Quœrite, sperate, scitote, tenete, vocate.

«Vous qui sur cette terre êtes comme emprisonnés, brisés par la fatigue, affligés par l'exil, épuisés par la douleur, consumés par les passions, je serai votre lumière, votre repos, votre patrie, votre remède, votre rafraîchissement ; cherchez-moi, espérez en moi, apprenez à me connaître, à m'aimer, à m'invoquer ».

Du même côté, à droite de la banderole, saint Jean-Baptiste « pour qui sainte Odile avait un culte spécial »Scs Joh. Bapt. quem singulariter prœ cœteris Scis dilexit Sca Odilia — et sainte Odile, « illustre Vierge consacrée au Christ ».

Le second tableau représente le même duc Eticho, remettant la clé du Monastère à « sainte Odile, sa fille, en sa qualité de première abbesse ». Revêtu cette fois de la chlamyde, assis sur un « faudesteuil » ou siège seigneurial pliant, avec un « quarrel » sous ses pieds, le duc agit comme prince dans l'exercice de son pouvoir. Odile, en recevant la clé, s'incline respectueusement devant son père ; derrière elle un groupe de Moniales de sa « congrégation », devant lesquelles un rang de toutes jeunes filles vêtues pourtant comme les Moniales ; (représenteraient-elles peut-être les novices ?).

Le troisième tableau de la planche est un touchant hommage de piété filiale, que Herrade adresse à celle qui la précéda dans sa charge et qui avait été sa mère spirituelle, à l'abbesse Relinde dont elle trace d'abord en quelques mots un magnifique éloge : « Relinde, vénérable abbesse du Monastère de Hohenbourg, a soigneusement réparé tous les dommages du dit Monastère et restauré avec sagesse l'esprit religieux alors presque détruit ». Relinde est représentée montrant une croix dans laquelle on lit cette pieuse exhortation :

Relinde, à la Congrégation de Hohenbourg :

O pie grex, cui cœlica lex est, nulla doli fex,

Ipse Syon mons, ad patriam pons, atque boni fons,

Qui via, qui lux est, hic tibi sit dux, alma tegat crux,

Qui placidus ros, qui stabilis dos, virgineus flos,

Ille regat te, commiserans me, semper ubique. Amen.

« O cher troupeau, uni dans une loi céleste, à l'abri de toute erreur, que Celui que l'on appelle la Montagne de Sion, qui sert de pont pour arriver à la patrie, qui est la source de tout bien, qui est la voie et la lumière, qu'Il se fasse ton guide, que sa croix te protège ! Qu'Il soit pour toi une douce rosée, un bonheur immuable, une fleur de virginité ! Qu'Il te gouverne et qu'Il ait pitié de moi – toujours et partout ! Amen ». (D'après MM. Straub et Keller).

Le XVème siècle, ouvre pour Hohenbourg une effrayante " série noire " ; le malheur va y régner en maître absolu jusqu'au milieu du XIXème siècle. C'est d'abord le feu, cet ennemi constant de Hohenbourg, qui joue a encore dans cette période un rôle considérable : les incendies se succéderont avec une continuité déconcertant. Puis, c'est la ruée des pillards de toute l'Europe reîtres et brigands, Jacques allemands, routiers anglais, Armagnacs et Bourguignons, Suédois et Impériaux, Jacobins de la Révolution, qui semblent se transmettre la sinistre consigne d'anéantir Hohenbourg après chacune de ses résurrections.

Avec la même ténacité, le vieux Monastère, toujours détruit et toujours reconstruit, affirmera sa volonté de vivre « quand même ».

Signalons seulement pour mémoire les déprédations successives des « Grandes Compagnies » (1375), des Armagnacs (1444) et des Bourguignons de Charles le Téméraire (1474), ainsi que les deux incendies de 1400 et de 1473.

Le 24 mars 1546, un incendie d'une violence inouïe réduisit tout le monastère en cendres, à l'exception des anciennes chapelles. Les Religieuses durent se disperser pour ne plus jamais revenir. Ruines et propriétés furent remises par la quarante et unième et dernière abbesse de Hohenbourg, Agnès d'Oberkirch, à l'évêque de Strasbourg, qui était à l'époque Erasme de Limbourg, à charge pour lui de relever l'église et le monastère. Hohenbourg devait cependant rester cinquante-neuf ans enseveli sous les cendres. Pendant cette période, nous l'avons vu, la garde des tombeaux de sainte Odile et de sainte Eugénie fut confiée aux Prémontrés de Saint-Gorgon.

Les deux monastères de Hohenbourg et de Niedermünster semblent dès lors abandonnés ; leurs revenus, fortement ébréchés, sont réunis en 1569, par l'évêque Jean de Manderscheid et avec l'agrément du pape Grégoire XIII, à la mense épiscopale de Strasbourg, qui, en retour, assure une pension annuelle aux deux Prémontrés résidant désormais à Hohenbourg [Note : Peu à peu, du reste, les deux Prémontrés affectés au service de l'Autel de sainte Odile, s'étaient fixés sur la montagne même, tout en restant sous la dépendance du Prieur de Saint-Gorgon ; dès le début du XIVème siècle, nous les voyons établir définitivement leur résidence à Hohenbourg, à côté de celle des Prébendés séculiers]. Ceux-ci arrivent, par des subventions et avec l'aide du coadjuteur de Strasbourg, Adam Peetz, à restaurer le monastère ; l'oeuvre, entreprise en 1605, ne fut achevée qu'en 1613, sous l'épiscopat de l'archiduc Léopold d'Autriche, qui consacra l'église et obtint pour elle du pape Paul V, en 1615, de précieuses faveurs spirituelles.

Mais en 1622, les bandes de Mansfeld et du sinistre duc de Brunswick, — celui qui s'intitulait « Gottesfreund Pfaffenfeind », l'ami de Dieu, l'ennemi des prêtres — mettent le feu à tous les édifices ; les deux Prémontrés se retirent à Etival ; à leur retour, le monastère étant inhabitable, ils se fixent provisoirement à Ottrott, tandis que le comte Adolphe de Salm, administrateur général de l'évêché de Strasbourg et doyen du Chapitre, fait élever pour eux deux modestes corps de logis dans l'enclos de l'ancien monastère. Ils se mettent aussitôt à relever l'église, qui est achevée en 1630 et consacrée la même année, le douzième dimanche après la Pentecôte, par le coadjuteur Paul d'Aldringen.

A peine terminée, elle est à nouveau anéantie par les Suédois en 1632 ; jamais dévastation n'avait été aussi complète : il ne restait plus pierre sur pierre ; le Couvent n'était qu'un monceau de ruines. Saint-Gorgon ne fut pas plus épargné : là aussi, chapelle et habitation furent détruites de fond en comble. Une seconde fois les Prémontrés durent se réfugier à l'abbaye-mère d'Etival et pendant toute la durée de la guerre de Trente ans, Hohenbourg, comme tous les couvents d'Alsace, resta désert et inhabité.

Au lendemain de la paix de Westphalie, les Prémontrés reprennent le chemin de Hohenbourg, où ils pensent vivre en paix désormais sous la protection du roi de France ; confiants dans l'avenir, ils s'empressent de rebâtir l'église et les cloîtres, en ruines depuis seize ans. C'est alors aussi (1661) que Hohenbourg est érigé en prieuré, indépendant de Saint-Gorgon. Mais dès 1674, les Impériaux y renouvellent les sacrilèges fureurs des pillards de Mansfeld et des Suédois ; les Prémontrés, chassés encore de leur prieuré, se réfugient à Obernai, où ils trouvent asile à l'hôpital. Pendant ce temps, des maraudeurs de l'armée brandebourgeoise visitent Hohenbourg, mettant à feu et à sac ce qui avait pu échapper au pillage des Impériaux.

Sans se lasser, les Prémontrés essaient, dès leur retour, de réparer ces désastres. A peine ont ils commencé, qu'un violent incendie éclate dans la forêt de Saint-Gorgon — 7 mai 1681 — gagne d'arbre en arbre jusqu'à Hohenbourg et anéantit une fois de plus l'église et le couvent, à l'exception des quatre chapelles. Avec une ténacité qui n'a d'égal que l'acharnement du malheur, les Religieux se remettent à l'oeuvre et font surgir des cendres les édifices qui existent encore de nos jours ; l'église actuelle, commencée en 1686, fut achevée en 1692 [Note : On y célébra le premier office le jour de la fête de sainte Odile, le 14 décembre 1692] et consacrée le 20 octobre 1696 par « Messire » Pierre Creagh, archevêque exilé de Dublin et primat d'Irlande, alors évêque suffragant de Strasbourg.

La restauration ayant été cette fois l'oeuvre personnelle et exclusive des Prémontrés, Hohenbourg devint dès lors leur propriété, en vertu d'un traité passé en 1726 entre le cardinal Armand-Gaston de Rohan-Soubise, évêque de Strasbourg, et le prieur Jean Raignier, traité qui fut confirmé par ordonnance royale. Parmi les prieurs de cette époque, relevons les noms de Hugues Peltre et de Denis Albrecht, dont les ouvrages font autorité dans l'histoire de sainte Odile et de Hohenbourg [Note : Hugues Peltre, auteur de La Vie de sainte Odile, Strasbourg, 1699 et 1719, occupa trois fois le poste de Prieur de Hohenbourg, d'abord en 1684 pour un an, puis de 1698 à 1706, enfin de 1708 à 1712. — Denis Albrecht, nommé en 1737, publia en allemand son History von Hohenburg (Schlestadt, 1751) et mourut en 1756 après son priorat de dix-huit années].

Le 5 septembre 1785, un dernier incendie, causé par la foudre, faillit détruire l'église ; le feu fut d'abord si violent, que la cloche fondit dans le brasier, mais la toiture seule, tout entière en bardeaux, fut réduite en cendres et les pertes, peu considérables, furent bientôt réparées.

Cette fois pourtant le feu n'était que le sinistre avant-coureur de désastres bien autrement terribles : quatre ans plus tard, la tourmente révolutionnaire devait être pour les Prémontrés ce qu'avait été pour les Chanoinesses l'incendie de 1546.

Dès le début de 1791, Hohenbourg fut confisqué comme bien national. Il se trouva heureusement un homme zélé et entreprenant qui s'imposa la tâche de sauver à tout prix de la destruction le monastère et le sanctuaire, « monuments les plus vénérables de la religion et de l'histoire de notre pays ». Ce fut l'oeuvre — pieuse et ardue — du Chanoine François-Louis Rumpler (1730-1806), un digne fils de cette bonne ville d'Obernai où était née sainte Odile [Note : Figure bien alsacienne que ce Chanoine Louis Rumpler, « ancien aumônier ordinaire de Louis XV, chanoine capitulaire de l'insigne Collégiale de Saint-Pierre-le-Jeune, chanoine honoraire de la cathédrale de Varsovie », voire même conseiller municipal de Strasbourg au début de la Révolution et juge au Tribunal du district de cette ville. Personnalité des plus originales et des plus turbulentes, qui eut maille à partir avec toutes les autorités de son temps ; auteur d'une autobiographie dont le titre, très suggestif, est déjà à lui seul un fidèle portrait de cette « bonne âme » : Histoire véritable de la vie sainte et de la mort subite d'un chanoine qui vit encore, écrite à Paris par le défunt lui-même — Dieu lui fasse paix ! — et publiée à Mayence depuis sa résurrection : sans avertissement, ni avant-propos, ni préface quelconque, par déférence pour les lecteurs, qui ne les aiment pas. Jamais on ne vit chanoine aussi nomade ; avec cela, têtu jusqu'à la manie et candide jusqu'à la crédulité : « De ma vie, avoue-t-il ingénument, je n'ai été tigre, mais bien souvent dindon ! ». Si bien que son Histoire véritable forme un « recueil de tous les tours de coquins, de toutes les roueries de filous qui menaçaient alors la vie ou la bourse d'un voyageur naïf » ; au demeurant, le plus honnête homme du monde, « incapable d'adulation, de bassesse, de duplicité ». Nature bouillante et tapageuse à l'excès, notre chanoine ne pouvait traverser sans mésaventures la période tourmentée de la Révolution. Il se mit à acquérir des biens nationaux, dans le seul but de les préserver de la profanation et de la ruine ; cela même lui vaut d'être dénoncé par les uns comme prêtre jureur et injuste détenteur de biens d'Eglise, par les autres comme réfractaire, insermenté et protecteur des couvents. Il faut le voir alors se débattre contre ses ennemis ! Même du fond de son cachot, il lance contre eux, à jet continu, brochures indignées et mordants pamphlets. Il y conte en particulier les mille difficultés auxquelles il se heurta dans la restauration des édifices et du pèlerinage de Sainte Odile. Les hostilités et la suspicion ne cessèrent contre lui qu'en 1800, lorsque le cardinal de Rohan, alors évêque de Strasbourg, eut officiellement rendu hommage à la pureté de son zèle et à sa droiture de ses intentions. Il mourut le 17 mai 1806].

Le domaine confisqué avait été divisé en deux lots, dont le premier seul fut mis en vente immédiatement (7 mars 1791) ; il comprenait l'hôtellerie avec la métairie et les forêts environnantes. Rumpler vit ce lot lui échapper par la vénalité de son mandataire, pour passer aux mains du maire de Mutzig, Meinrad Bruder. A grand'peine Rumpler parvint à se rendre locataire du second lot : église, chapelles et bâtiments du Couvent proprement dit. Malgré cette précaution, des bandes de Jacobins visitèrent Hohenbourg en août 1794 ; nouveaux Vandales, ils détruisirent, la pioche et le pic en main, toute trace du passé ; leur rage sacrilège s'exerça particulièrement, nous l'avons vu, sur le tombeau de sainte Odile, comme aussi sur la vénérable stèle du grand cloître, dont ils mutilèrent stupidement les figures.

Ce fut dans les derniers mois de 1791 que les Prémontrés durent abandonner leur résidence. Rumpler, arrêté lui-même comme « prêtre fanatique » en octobre 1792, est traîné pendant deux ans de prison en prison et ne doit qu'à son « titre de sexagénaire » de ne pas monter sur l'échafaud. Dès que Thermidor ouvre les portes de sa prison, l'intrépide chanoine reprend son oeuvre avec une ténacité et un désintéressement admirables. Après mille difficultés, il devient, le 6 septembre 1796, acquéreur du couvent, de l'église et des chapelles, et grâce à lui le monastère, pour la cinquième fois depuis sa fondation, est rendu au culte (1797). Deux ans plus tard — 7 juin 1799 — Rumpler réussit à racheter ce qui lui avait échappé en 1791 : l'hôtellerie et la métairie, avec les champs et les forêts.

Rumpler meurt en 1806, laissant à son neveu, M. Michel Laquiante, premier secrétaire de l'Ambassade de France aux cours de Vienne et de Munich, « la propriété de Sainte-Odile avec tous les édifices, églises, chapelles, forêts, fermes en dépendant, même celles de Niedermünster et de Saint-Gorgon [Note : Il avait en effet acheté, dès 1791 et dans le même but de préservation, la ferme de Saint-Gorgon, construite en 1733 par les Prémontrés sur l'emplacement de leur ancien prieuré, ainsi que la propriété de Niedermünster qui, depuis le XVème siècle, appartenait au grand Chapitre de Strasbourg], jusqu'à ce qu'il plaise à la divine Providence permettre que ces biens ecclésiastiques, provenant de la fondation de l'ancienne abbaye de Hohenbourg, puissent être restitués légalement aux légitimes possesseurs qui en jouissaient avant la Révolution de 1789 » [Note : Procès-verbal rédigé par Rumpler lui-même lors de la translation des Reliques de sainte Odile, le 6 octobre 1800].

L'ancien domaine ecclésiastique de Sainte-Odile, si péniblement reconstitué, conserva son intégrité tant qu'il resta aux mains de M. Laquiante, qui en fit son séjour d'été. Dès que son fils, juge au tribunal de Strasbourg, en fut devenu propriétaire, en 1828, le morcellement recommença, au mépris des dernières volontés du chanoine Rumpler. « Devenu propriété privée, dit M. l'Abbé Winterer, Hohenbourg fut encore revendu, passa au plus offrant et fut indignement exploité avec ses souvenirs et ses pèlerinages ».

Le Sainte-Odile proprement dit — couvent, sanctuaire, métairie et forêts — fut revendu en 1831 à deux protestants, MM. Steinmetz (de Barr) et Wittmann (de Mittelbergheim), qui, eux-mêmes, dès l'année suivante, le cèdent à l'Abbé J. L'Huillier, ancien curé de Mandray, près de Saint-Dié. Cinq ans plus tard, en 1837, nous trouvons à Sainte-Odile les frères Baillard, trois prêtres du diocèse de Nancy, qui en conservent la propriété jusqu'en 1849. Le domaine, mis alors aux enchères, passe d'abord à M. Laugel, de Strasbourg, puis l'année suivante à son parent, M. Rohmer, d'Illkirch.

Il semble que c'en soit fait du Mont Sainte-Odile : le Couvent, les chapelles, l'église, tout est dans un état d'abandon et de délabrement proche de la ruine ; les autels et la chaire ont été brisés ; les tableaux peints sur les murs sont méconnaissables, tant on les a barbouillés de noms ; sous les tilleuls de la grande cour se tient une foire..., principalement le jour de la Pentecôte, où, dit une relation, « des bandes innombrables de pèlerins et d'amateurs de la nature se promènent dans toutes les directions ». Car, si l'incurie des possesseurs successifs de Sainte-Odile avait détruit la belle oeuvre de Rumpler, elle n'avait pu éteindre la dévotion de l'Alsace sa glorieuse patronne.

On le vit bien, lorsqu'en 1853 Mgr Raess, évêque de Strasbourg, eut l'heureuse idée de lancer un appel en vue du rachat et de la restauration de Sainte-Odile. Dans un magnifique élan de générosité, l'Alsace catholique couvrait en peu de temps la souscription et offrait à son évêque, par contrat en date du 13 août de cette même année 1853, les sanctuaires de Sainte-Odile, avec tout le domaine — terres et forêts — délimité actuellement encore par les pierres bornales aux armes des Prémontrés.

C'est un chapitre nouveau qui s'ouvre dans l'histoire de Sainte-Odile ; l'antique monastère renaît rapidement à la vie ; il veut, semble-t-il, sortir au plus vite de sa trop longue torpeur. Après la Chapelle Sainte-Odile, les différents sanctuaires et les édifices du Couvent sont remis en état ; à côté des anciens bâtiments, surgissent de nouvelles constructions. Il ne fallut cependant pas moins de trois années pour mener à bonne fin cette transformation, dont le mérite revient en très grande partie au Chanoine Nicolas Schir, vicaire général de Strasbourg ; il s'employa avec autant de talent que de zèle à cette oeuvre de restauration à la fois artistique, religieuse et patriotique. Après avoir relevé les sanctuaires, il sut remettre en vigueur le pèlerinage et ramener les pèlerins d'Alsace dans les sentiers du Mont Sainte-Odile. Dès le mois de novembre 1853, l'administration diocésaine y plaça des Soeurs du Tiers-Ordre, de Reinacker, près de Marmoutier. Leur Supérieure, la Frau Mutter, comme on l'appelait, mérite une place à part dans l'histoire du Mont Sainte-Odile à cette époque ; par son esprit d'initiative, d'ordre, de travail, d'économie, et aussi par sa rondeur tout alsacienne, elle est restée légendaire. Elle obtint de rester à Sainte-Odile après le départ des Soeurs du Tiers-Ordre ; elle y mourut en janvier 1894. Son portrait, par Lorentz, orne une des salles du Couvent.

Depuis 1889, les Religieuses de Reinacker sont remplacées par les Soeurs de la Croix, pieuses gardiennes du Couvent et servantes toujours empressées des pèlerins et des voyageurs qui passent en foule. La culture des terres et les travaux plus pénibles sont confiés à quelques Frères, aussi modestes que dévoués, affiliés au Tiers-Ordre de saint François, dont ils revêtent la bure pour les cérémonies religieuses.

Avec le 11 novembre 1918 s'ouvrait pour « notre » Sainte-Odile une ère nouvelle. Autant et plus que le reste de l'Alsace, il s'empressa de manifester sa joie du retour à la Mère-Patrie. N'avait-il pas été, depuis 71, « l'acropole, la citadelle, le lieu du serment, de l'obstination, de l'espérance », — le rendez-vous préféré de ceux qui n'oubliaient pas ?. Les « autres », rageusement, l'appelaient alors Franzosennest, un « nid de Français » ; ils s'y sentaient plutôt mal à l'aise et ne faisaient que passer...

Dès l'armistice, c'est par centaines que l'on vit chaque jour sur la montagne sainte les représentants de tous grades de cette vaillante armée qui venait de rendre l'Alsace, intacte et préservée, à la France victorieuse. Ses chefs les plus illustres, les plus aimés, ceux qui au cours de la guerre ont accumulé le plus de gloire, ont voulu que leur toute première démarche, en Alsace délivrée, fût pour apporter à sa douce patronne l'hommage de leur vénération et de leur reconnaissance ; on ne compte plus les maréchaux, les généraux, les hommes politiques et personnages de tout rang qui, depuis, sont venus et viennent encore journellement accomplir le pieux pèlerinage : Foch, Pétain, Fayolle, de Castelnau, Maistre, Gouraud, Mangin, Vandenberg, Hirschauer, Humbert, Weygand, puis les présidents Poincaré, Millerand, etc.... 

Même au plus fort de l'hiver 1918-1919, alors que d'ordinaire la montagne reste triste et déserte, il ne s'est pas passé une journée, si maussade fût-elle, sans que le « bleu-horizon » soit venu mettre sa note gaie dans l'austère cour du couvent : le plus humble des troupiers ne veut pas quitter l'Alsace, sans être monté au moins une fois à Sainte-Odile.

En 1927, des travaux fort importants ont été entrepris, qui se poursuivent méthodiquement et par tranches, sous la direction des Beaux-Arts et avec l'approbation de l'Evêque de Strasbourg ; ces travaux sont appelés à faire subir aux édifices du Couvent proprement dit, une transformation presque complète, mais en retournant à l'« ancien », en faisant ressortir davantage la physionomie du Couvent des Prémontrés.

L'affluence toujours grandissante des visiteurs ayant en effet rendu indispensables de nouveaux agrandissements, on a eu l'heureuse idée de reprendre, pour le compléter dans le style de l'époque, le plan initial de 1682, tel que les Prémontrés l'avaient alors conçu, mais exécuté en partie seulement : on peut donc se moderniser tout en restant dans la tradition, on peut « durer et se renouveler ! »

(texte de l'abbé Ch. Umbricht).

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