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LE MONT SAINTE-ODILE |
DESCRIPTION.
Le Mont Sainte-Odile est un de ces nombreux contreforts qui appuient le massif vosgien. Mais, au lieu de s'abaisser insensiblement vers la plaine, il projette vers l'Est une longue crête, qui forme cap entre deux vallées profondes, se relève même à son extrémité orientale, puis brusquement s'arrête sur une muraille de rochers taillés à pic, au pied de laquelle la pente dévale d'un seul jet. Vu d'Obernai et de la plaine, le Sainte-Odile apparaît comme une cime isolée, un cône gigantesque, au sommet duquel scintillent les édifices du Couvent, « couronne de vieilles pierres sur la cime des futaies ».
Un dirait un ouvrage avancé, sur le front des montagnes qui, derrière lui, ondulent à l'horizon, — un bastion qui domine l'Alsace et la protège, flanqué lui-même, à gauche et à droite, du Landsberg et des Châteaux d'Ottrott, telles deux sentinelles préposées à sa garde.
Les routes qui, soit d'Obernai, soit de Barr, montent à Sainte-Odile —deux routes également pittoresques. — traversent de riches forêts de sapins et s'élèvent insensiblement vers le plateau en courbes savantes, tantôt contournant les croupes allongées de la montagne, tantôt s'insinuant jusqu'au fond des vallées pour passer d’un versant à l'autre, offrant, à chaque tournant, un changement de paysage.
Vers le sommet, le plateau se resserre ; les deux routes s’unissent pour gravir ensemble les dernières pentes entre deux imposantes murailles de rochers. Voici la Porte romaine : à quelques mètres au delà, un dernier détour, et nous sommes sur la crête. Le Couvent se dresse dans le fond ; son entrée apparaît sous une large avenue de jeunes arbres trapus et penchés, que l'on devine tourmentés par les rudes tempêtes de l'hiver. A droite, c'est un plantureux potager, avec ses « carreaux », bien alignés, soigneusement cultivés, tandis qu'à gauche, un vaste terrain, le long de la ferme et d'un hall vitré, sert de parc d'autos : le Sainte-Odile aussi à dû se plier aux exigences modernes et il a bien fallu sacrifier à la circulation automobile, de plus en plus intense, l'ancienne pelouse, si chère aux pèlerins ! C'est par centaines en effet que, journellement en été, les autos montent à Sainte-Odile, autocars et voitures privées. En leur interdisant la grande cour, plus encore par mesure de sécurité que pour défendre le couvent, autant que faire se peut, contre l'envahissement et le bruit, il fallait bien leur assurer un lieu de stationnement assez vaste et un garage bien aménagé, en attendant — et pour bientôt sans doute — le sens unique...
Au bout de l'avenue, un vaste bâtiment à façade champêtre [Note : Ce premier bâtiment — l'Hôtellerie ou Pilgerhaus — construit en 1750 et exhaussé d'un étage il y a quelque trente ans, occupe à peu près l'emplacement de la célèbre Rotonde (longtemps considérée comme temple romain) que le duc Adalric avait fait construire en l'honneur des Saints de l'Alsace et qui ne fut démolie qu'en 1734] barre la crête dans toute sa largeur, percé seulement d'une voûte au portail cintré, que surmonte dans sa petite niche, la gracieuse statuette de sainte Odile : la Sainte qui règne en ces lieux, accueille elle-même, comme autrefois, tous ses visiteurs : là en effet aboutissent également, à gauche et à droite, les divers sentiers : d'Ottrott, de Saint-Nabor, de Barr ; c'est là la seule entrée du Couvent, donc le « passage obligé » sous le sourire et la bénédiction de la Maîtresse de maison, de la Sainte d'Alsace, selon la touchante inscription dont s'orne sa statuette : HIC SANCTA FLORUIT - ET SEMPER REGNAT - ODILIA PRAESUL - ALSATIAE MATER. Nous traversons la grande Cour du Couvent sous une double rangée de tilleuls séculaires « poussés, nul ne sait comment à cette altitude » ; malgré leur grand âge, ils couvrent de leur ombre bienfaisante presque tout l'espace compris entre les édifices. A droite, s'étend jusqu'à l'église un petit potager, au fond duquel, sous un modeste auvent supporté par deux colonnes de grès, un autel reste dressé pour les messes en plein air, aux jours de pèlerinage ou de grande affluence ; à gauche, à la place de la bonne vieille ferme d'autrefois, une construction récente (1908), genre hôtel, aux lignes un peu rigides corrigées par des balcons fleuris de géraniums, flanquée de deux pavillons qui dressent sur tout l'ensemble leurs pignons à redan ; le rez-de-chaussée comprend une vaste salle de restaurant, avec le Magasin des objets de piété et souvenirs, tandis que les étages offrent aux visiteurs, chaque année plus nombreux, des chambres confortables et gaîment éclairées.
Devant nous et fermant la cour à la hauteur du magasin et de l'église, un bâtiment de bel aspect, terminé en 1930, comprend au rez-de-chaussée de vastes salles, dont celle du milieu sera le hall des pèlerins, avec, tout autour, à l'étage, de larges galeries disposées en cellules, qui serviront pour le repos des pèlerins, les nuits d'adoration et en cas de foule.
Des chambres admirablement exposées, avec chauffage central et eau courante, sont aménagées aux étages de ce bâtiment, qui prolonge celui du magasin vers le nord ; c'est dans cette même partie, au rez-de-chaussée et en sous-sol, que se trouvent groupés : cuisines, boulangerie, buanderie et services divers, avec tout un appareil de machinerie ultra-moderne.
A l'angle du magasin, contournant extérieurement ces diverses dépendances, une galerie de ciment armé, en balcon au-dessus du vide, mène à la pointe la plus avancée du rocher de Sainte-Odile, qui forme terrasse entre la chapelle des Anges à gauche, et celle des Larmes, à droite. Cet étroit promontoire sur lequel un imposant tilleul déploie sa puissante ramure, s'arrête sur l'abîme des forêts par un petit mur à hauteur d'appui, face à la plaine ; la vue découvre un immense panorama, qui s'étend de Benfeld jusqu'au delà de Strasbourg et de Haguenau, fermé à l'Est par la longue ligne de la Forêt-Noire.
Mais revenons à la cour d'entrée et, remettant à tout à l'heure notre visite à l'église conventuelle et aux chapelles de la Croix et de Sainte-Odile, qui lui font suite, prenons sous l'horloge, la gracieuse petite porte bâtarde, qui donne accès dans la Cour du Cloître ; tout autour de celle-ci se développent, sur trois ailes, les vieux bâtiments qui constituent le Couvent proprement dit ; ces édifices, construits en 1683 par les Prémontrés, forment avec l'église le carré régulier et classique de la plupart des établissements monastiques de l'époque. C'est dans ce cadre austère que se dresse, sur son socle de grès rouge, la statue de sainte Odile, en costume d'abbesse, tenant d'une main la crosse et de l'autre le livre de l'Evangile, où deux yeux symboliques rappellent le miracle qui lui rendit la vue. En bordure de l'allée, un vieux puits taillé dans le roc, à la margelle tout usée. De tout l'ensemble de cette cour intérieure, se dégage une indéfinissable sensation de recueillement, de paix et de calme.
De cette petite cour, une porte basse, — contre laquelle une plaque de marbre rappelle le souvenir de Maurice Barrès — donne accès dans le grand cloître, qui déploie ses gracieux arceaux sur une longueur de cinquante mètres et sur lequel s'ouvrent les différentes salles à manger [Note : Dans la première à droite, — réservée au clergé — on peut voir, outre de belles boiseries modernes, une authentique cheminée XVIIIème siècle, provenant du Palais des Cardinaux de Rohan à Strasbourg. La grande salle à manger, qui fait suite à la précédente, est ornée des portraits des derniers évêques de Strasbourg et d'une très belle fresque de Jordan, qui représente sainte Odile au seuil de son Monastère, accueillant, les mains tendues, un groupe d'aveugles de tout âge pour les soulager et les guérir. Vers le milieu de la salle, sur les deux faces d'une latte transversale, qui n'a autrement rien d'esthétique, on lit deux chronogrammes dans lesquels on remarquera, peintes en rouge, les lettres qui, dans l'alphabet romain, représentent des chiffres ; additionnées entre elles, ces lettres numérales donnent, sur une face, la date du dernier incendie du couvent : 1681 (Y-= 2), sur l'autre, la date de sa reconstruction : 1683. EXVRGENS SYLVIS IGNIS COMBVSSIT ET AEDES - AST ALIA EXTRVITVR COMBVSTA TVTIOR AEDES (De la forêt, le feu gagna les bâtiments et les consuma ; mais, sur les ruines, s'éleva un autre édifice plus solide)].
A remarquer vers le milieu de ce cloître, à sa jonction avec celui de l'office, une stèle du XIIème siècle, de 1 m 24 de hauteur, encastrée dans le mur, et qui présente trois bas-reliefs du plus haut intérêt archéologique et historique.
La face la plus importante représente le duc Adahic (Eticho) assis de face sur un trône et portant les nattes longues, attribut des chefs mérovingiens ; il remet un livre, symbole de l'investiture de Hohenbourg, à sa fille Odile, reconnaissable au voile et aux deux longues tresses des princesses. La face antérieure montre saint Léger, évêque d'Autun et parent de sainte Odile, revêtu des insignes épiscopaux. Sur ces deux premières faces, les figures ont été mutilées pendant la Révolution. Enfin, à droite, sur le troisième côté, on voit l'enfant Jésus, sur les genoux de Marie, bénissant les deux abbesses Relinde et Herrade, prosternées à ses pieds [Note : Cette très intéressante stèle, si étrangement reléguée dans ce coin obscur, a dû occuper primitivement une place d'honneur dans la décoration monumentale des édifices de l'abbaye ; peut-être formait-elle le meneau de quelque fenêtre géminée, comme semblerait l'indiquer son ornementation sur trois faces seulement (la quatrième face a été en effet explorée ; elle ne porte aucune trace de sculpture). La stèle est classée parmi les Monuments historiques].
Au-dessus de ce cloître, le Musée (Klostersammlung), les appartements de 1'Evêque de Strasbourg, ceux du Directeur et de l'Aumônier du Couvent occupent tout le premier étage. Celui-ci est lui-même surmonté d'une légère construction moderne (1870), dont les chambres, parfaitement exposées, ont toutes vue sur la plaine d'Alsace ; ce sont les chambres préférées des hôtes de Sainte-Odile, — des habitués, des « vieux pensionnaires », — invariablement retenues par eux d'une année à l'autre, surtout depuis l'installation, en 1929, du chauffage central dans tout l'ancien Couvent.
Au débouché du cloître [Note : C'est ici, en avant du grand escalier, que les travaux en cours ont modifié le plus profondément, et de très heureuse façon, l'ancien aspect des lieux ; en supprimant l'antique véranda — disgracieuse bâtisse, reléguée maintenant derrière le parc d'autos — et en abaissant tout l'espace libéré au niveau des Chapelles des Larmes et des Anges, ils mettent en valeur non seulement ces deux Chapelles qu'ils ont totalement dégagées, mais la grande terrasse elle-même qui ainsi domine vraiment tout l'ensemble], nous voici subitement face à l'horizon le plus vaste, le plus varié, le plus beau devant nous, la montagne à perte de vue : la croupe de l'Elsberg d'abord, et derrière elle le Heidenkopf ; puis, à gauche de celui-ci et jusqu'au Champ du Feu, dont la tour se détache sur le ciel à l'ouest, ce sont les Vosges, si belles dans cette parure bleu-sombre qui leur est propre et qui leur sied si bien.
A notre droite, — au pied même de la colonne de grès, qui jaillit des sanctuaires comme un ardent et perpétuel Te Deum, surmontée d'une majestueuse sainte Odile qui étend sur le Monastère, le Mont et la plaine, sa main qui protège et bénit. — nous accédons de plain-pied à la grande terrasse, cette terrasse que René Bazin a rendue célèbre, par la description qu'il en a faite dans « les oberlés ». Coupée à pic comme une falaise, elle plonge ses assises, en bas, dans la forêt ; seul un muret nous sépare de l'abîme et par delà la cime des plus hauts sapins, nous dominons un paysage prodigieusement varié ; à nos pieds, c'est le Mont, avec ses courbes, avec les « masses pressées des sapins qui montent à l'assaut des pentes » ; au loin, c'est l'Alsace agricole avec les vergers, les vignes, les houblonnières, les champs fertiles de sa riche plaine, que César appelait le meilleur pays des Gaules, optimus totius Galliae ; c'est l'Alsace dans sa superbe étendue, avec trois cents villages et métairies, perdus dans l'immense plaine que domine, dans le lointain du nord-est, la flèche de la Cathédrale de Strasbourg et que bornent à l'horizon « la barre d'argent bruni » du Rhin et les montagnes de la Forêt-Noire, « bleues comme du lin et rondes comme un feston » (René Bazin). A la vérité, nulle part ne se révèle d'une façon aussi majestueuse et émouvante la beauté des monts, des forêts et des plaines de l'Alsace. « Ici, d'innombrables générations sont venues admirer ce qui ne meurt pas, la magnifique Alsace », l'Alsace « toujours la même et toujours nouvelle », dit Goethe en retraçant avec enthousiasme, dans ses mémoires, son pèlerinage de jeune étudiant à l'Odilienberg (Maurice Barrés).
En déblayant la petite terrasse, derrière la Chapelle des Larmes, pour la mettre elle aussi au niveau de tout l'ensemble, les ouvriers viennent de mettre à jour trois tombeaux creusés dans le roc vif ; deux d'entre eux, dont l'un, plus ouvragé, sont contigus et tournés vers l'Est, dans le prolongement de la Chapelle ; le troisième, plus proche de celle-ci, est perpendiculaire aux deux autres. — Qui sait si de nouvelles découvertes ne nous amèneront pas un jour à voir dans ces tombes, manifestement d'origine franque, celles peut-être où furent inhumés primitivement le duc Adalric et son épouse Béreswinde, morts tous deux à Hohenbourg, disent les chroniques ? Et dès lors, la troisième de ces tombes, celle qui est isolée, ne pourrait-elle pas avoir contenu un moment la dépouille mortelle de sainte Odile elle-même ?...
L'EGLISE ET LES CHAPELLES.
L'église conventuelle, dont la lourde façade s'ouvre sur la cour d'entrée, fut construite de 1686 à 1692 et consacrée, le 20 octobre 1696, par Messire Pierre Creagh, archevêque exilé de Dublin et alors coadjuteur de Strasbourg. C'est une construction massive, solidement protégée contre les coups de vent par huit énormes contreforts qui l'appuient sur ses deux côtés.
Derrière l'abside et contre le clocher, une colonne de grès s'élève, du haut de laquelle une sainte Odile monumentale, d'un geste bénissant, veille sur sa chère Alsace, tandis que les cinq cloches et le bourdon dont s'enorgueillit le Couvent, lancent au loin sur la plaine et sur les monts leurs joyeux accords.
A l'intérieur de l'église, une double rangée de quatre colonnes toscanes divise le vaisseau en trois nefs d'égale hauteur. Les fenêtres ogivales, étroites et ébrasées en dedans, dans un édifice d'architecture grecque, autorisent à croire que les murs actuels sont peut-être ceux de l'église antérieure, incendiée en 1546.
De l'époque des Prémontrés, il ne reste plus que la sobre boiserie du choeur, datée de 1746, avec ses stalles en bois de chêne, dans le style de la Renaissance, et six magnifiques confessionnaux de même style, sculptés à jour, dont quatre datent de 1700, les deux autres de 1748 ; chefs-d'oeuvre de sculpture, ils passent à bon droit pour être les plus beaux de l'Alsace.
Le maître-autel, surmonté de la statue de la sainte Vierge, patronne de l'église, date de 1890 ; il est en bois de chêne finement ciselé : moins chargé d'or, il serait superbe. Signalons les quatre gracieuses statuettes qui ornent le retable : sainte Odile, sainte Richarde, saint Erhard et saint Dagobert.
Les
autels latéraux ont été restaurés et transformés en 1892 ; sur celui de
gauche, la statue de sainte Odile est remarquable d'expression : la douce et
compatissante abbesse est représentée appuyée à la crosse d'or, tenant
ouvert dans sa main le livre sacré où deux yeux symboliques rappellent la
miraculeuse guérison.
La chaire, sans aucun cachet artistique, plutôt disgracieuse même, ne vaut que par son ancienneté : elle a été apportée, en 1860, de l'ancienne église de Rosheim.
A remarquer aussi, à la gauche du choeur, près de l'autel dédié à sainte Odile, un magnifique tableau, oeuvre du maître alsacien Martin Feuerstein (1902). L'artiste, s'inspirant d'une miniature du Hortus deliciarum, a représenté le duc Adalric prosterné aux pieds du Sauveur et lui offrant le monastère de Hohenbourg, dont il remet la direction à sa fille Odile, agenouillée elle-même à droite avec plusieurs de ses compagnes ; les témoins de la donation sont, d'un côté, la sainte Vierge et saint Pierre, les deux patrons titulaires de l'église primitive, de l'autre, saint Jean-Baptiste, le saint de prédilection de la pieuse abbesse.
En sortant de l'église par le bas côté gauche, derrière la chaire, on accède à la Chapelle de la Croix par une sorte de vestibule ; ce n'est que le prolongement du grand cloître, qui s'étendait autrefois jusqu'à l'église. Dans un angle, on voit une figure en bois de l'abbesse sainte Odile couchée, ayant un voile noir sur la tête, une robe de soie blanche, un manteau violet doublé d'hermine et la crosse au côté.
La
Chapelle de la Croix. — Kreuzkapelle — est située à gauche de
l'abside de l'église. Sa remarquable architecture atteste une origine, sinon
contemporaine de la fondation primitive, comme on l'a cru longtemps, au moins
antérieure à l'avènement du roman secondaire (milieu du XIème siècle). Elle
forme un carré à peu près régulier, divisé en quatre berceaux qui n'ont que
trois mètres et demi d'élévation ; les arcs doubleaux en plein cintre portent
sur huit pilastres engagés dans les murs et viennent s'appuyer, au centre de l'édifice,
sur une colonne basse particulièrement intéressante ; son fût massif
court, d'une seule pièce, est couronné d'un fort remarquable chapiteau en
forme de corbeille cubique, à fleurons enlacés et avec têtes d'anges aux
angles ; il repose sur un socle carré, très bas, d'où émergent, à chaque
coin, deux mains interverties, pouces en dehors, comme pour soutenir toute la
construction.
Faiblement
éclairée par deux petites baies romanes, la vieille chapelle ressemble plutôt
à une crypte ; elle a un aspect mystérieux et doux, qui frappe et invite à la
prière.
Au-dessus
de l'autel de pierre, un grand Christ en bois, datant du XVIIIème siècle ; à
ses côtés, les statues de saint Jean et de sainte Marie-Madeleine, également
en bois et de la même époque.
A droite
de cet autel, la Chapelle de la Croix se rattache au choeur de l'église par un
cinquième berceau, sous lequel on voit, dans l'embrasure d'une fenêtre, un cénotaphe
en pierre, dont la haute antiquité est attestée par une arcature romane grossièrement
ébauchée et presque effacée par le temps. Il renfermait autrefois les restes
mortels du duc Adalric et de son épouse Béreswinde, parents de sainte Odile
[Note : A n'en juger que par sa forme et son ornementation, ce tombeau pourrait
remonter au temps d'Adalric (VIIème siècle). Placé primitivement dans l'église,
il fut en 1617 encastré, on ne sait pourquoi, dans le mur nord de la Chapelle
des Anges, où il faisait saillie à l'extérieur ; il resta ainsi pendant plus
d'un siècle exposé à toutes les intempéries, ce qui explique peut-être les
stries qui sillonnent sa face antérieure. En 1753, à la suite d'une tentative
d'effraction, le prieur Denis Albrecht le fit transporter à sa place actuelle
et sceller dans le mur]. « Ce tombeau, vide aujourd'hui, est un monument
respectable, dit Grandidier, puisqu'il a renfermé le corps de celui qui a donné
tant d'empereurs à l'Allemagne, tant de souverains à l'Autriche et à la
Lorraine et tant de héros à l'Europe ».
Sur ce
tombeau, on voit une statue de sainte Odile, de facture peu ancienne et dépourvue
de tout cachet artistique, mais que la piété des fidèles entoure de vénération
: ils touchent ses yeux de leur mouchoir ou d'un linge qu'ils passent ensuite
sur leurs propres yeux.
A gauche
de l'autel, une porte s'ouvre sur la sacristie, construite sous le troisième
priorat de Hugues Peltre, en 1708. Ses remarquables boiseries en bois de chêne
datent de cette époque.
En
sortant de la Chapelle de la Croix, à gauche, une porte basse fort ancienne —
dont le linteau, malheureusement caché dans l'obscurité, porte de très intéressantes
sculptures — donne accès dans l'ancienne Chapelle Saint-Jean-Baptiste,
devenue la Chapelle Sainte-Odile (Odilienkapelle). Quoique de construction très
ancienne, ce n'est pas là la chapelle primitive que fit élever sainte Odile
elle-même et où elle rendit le dernier soupir. D'après L. Levrault, on ne
saurait assigner à la chapelle actuelle une origine antérieure au XIème siècle
; on est en droit, ajoute-t-il, de l'attribuer au règne de Frédéric
Barberousse et à la sollicitude des abbesses Relinde et Herrade. Mais on peut
affirmer qu'elle occupe l'emplacement de la chapelle primitive. La sainte
fondatrice de Hohenbourg, nous l'avons vu, avait dédié ce sanctuaire à saint
Jean-Baptiste, pour qui elle avait un culte tout spécial, en souvenir du baptême
qui lui avait miraculeusement donné la vue.
Cette
chapelle a deux parties bien distinctes : une nef romane et un choeur ogival ;
entre les deux, une grande arcade également ogivale. Les murs sont revêtus
d'une haute boiserie en chêne — style Renaissance, XVIIIème siècle — dont
les dix panneaux sont ornés de gracieux tableaux du peintre strasbourgeois
Oster (1844), retraçant les principaux épisodes de la vie de sainte Odile.
L'autel en chêne sculpté, dans le style du XIIIème siècle, est surmonté de
la châsse en bois doré qui contient, depuis le 24 décembre 1854, les Reliques
de sainte Odile ; un vitrail représentant la sainte fondatrice de Hohenbourg,
ferme, derrière l'autel, une gracieuse baie ogivale. Le tombeau de sainte
Odile, vide aujourd'hui, se dresse à gauche, surmonté de deux bas-reliefs du
XVIIème siècle, qui montrent, l'un, sainte Odile recevant le baptême des
mains de saint Erhard, l'autre, Adalric délivré des flammes du purgatoire par
les prières de sa fille.
Le détail
le plus intéressant de cette chapelle, au point de vue architectural consiste
en quatre petites arcades romanes d'une parfaite élégance, qui, au fond de la
chapelle s'ouvrent sur une sorte de tribune, appuyées sur trois colonnettes
sveltes et gracieuses.
La
Chapelle Sainte-Odile est le point central de l'antique abbaye, le sanctuaire préféré
des pèlerins : c'est ici que, selon la tradition, sainte Odile mourut et fut
inhumée ; aussi, à cause des souvenirs qu'elle rappelle, à cause surtout des
précieux ossements qu'elle abrite, cette chapelle est vraiment le centre
spirituel du pèlerinage et toute sa raison d'être : à cette place, dit René
Bazin, toute l'Alsace, depuis des siècles, s'est agenouillée...
La
Chapelle des Larmes — Tränenkapelle ou Zährenkapelle — est de
construction récente, à l'exception des deux seuls murs latéraux, qui datent
du XIème ou du XIIème siècle. Ainsi dénommée, parce que sainte Odile, après
la mort de son père, venait souvent répandre ici ses larmes avec ses prières,
pour obtenir de la miséricorde divine le salut de l'âme d'Adalric. Au pied de
l'autel, on voit la fameuse pierre creusée, où ses genoux, dit-on, avaient
laissé leur empreinte ; cette pierre est protégée par une grille de fer,
autant pour perpétuer le pieux souvenir qu'elle rappelle, que pour la garantir
des « spoliations pieuses ».
L'autel
roman, en pierre, est dédié à sainte Eugénie, nièce de sainte Odile et
seconde abbesse de Hohenbourg ; il est surmonté de sa statue, aux pieds de
laquelle un de ses ossements un tibia — est enchâssé dans une cassette vitrée.
Lors de la première restauration de la Chapelle, en 1696, les débris du
tombeau de la sainte abbesse, mutilé par les soldats de Mansfeld en 1622,
furent déposés sous cet autel, où ils sont encore conservés. C'est pour
toutes ces raisons que la Chapelle est connue aussi sous le nom de Chapelle
Sainte-Eugénie ; on n'y célèbre la Sainte Messe que le 26 septembre de chaque
année, jour de la fête de la Sainte.
Les murs
sont ornés de peintures dues au pinceau de Mlle L. Sorg, de Strasbourg (1858) :
au chevet du choeur, sainte Odile obtenant par ses prières la délivrance de l'âme
de son père, le duc Adalric, des flammes du purgatoire ; à droite, saint
Materne, le premier apôtre de l'Alsace, évangélisant nos ancêtres à Ehl,
sur les bords de l'Ill ; à gauche, sainte Odile et ses premières compagnes
recevant l'habit de la main de saint Léger, l'illustre évêque d'Autun. En
outre, plusieurs figures de Saints alsaciens : le pape saint Léon IX ; —
saint
Amand,
saint Arbogast et saint Florent, évêques de Strasbourg ; — sainte Attale,
nièce de sainte Odile et soeur de sainte Eugénie, qui fut la fondatrice et la
première abbesse de Saint-Etienne de Strasbourg ; enfin, l'impératrice sainte
Richarde, fondatrice de l'abbaye d'Andlau.
La
Chapelle des Anges (Engelskapelle) est ainsi nommée en souvenir des visions
dont sainte Odile fut favorisée ; on l'appelle aussi Chapelle pendante (hängende
Kapelle), à cause de sa situation hardie sur l'éperon le plus avancé du
rocher, au-dessus d'un précipice qu'elle surplombe de trois côtés. C'est une
sorte de tour carrée, très ancienne, sans aucun style, qui a dû servir de
poste d'observation, dès les temps reculés de la forteresse d'Altitona ; cette
tour de garde fut transformée plus tard — peut-être par sainte Odile elle-même
— en un sanctuaire.
L'intérieur
est faiblement éclairé par trois petites baies romanes percées après coup,
sans doute au XIème siècle. En 1617, sur les ordres de l'archiduc Léopold Ier
d'Autriche, alors évêque de Strasbourg, la Chapelle fut restaurée, comme
l'atteste un chronogramme placé au-dessus de la petite porte cintrée [Note :
RESTITVTA IN ANNO DOMINI IESV CHRIsTI. Rendue au culte en l'an de Notre-Seigneur
Jésus-Christ (1617). Un autre chronogramme sculpté en exergue dans une des
arcatures de la corniche, juste au-dessus du précédent, mentionne, dans un
latin... complaisant, la restauration de 1881, exécutée par les Frères
d'alors, sous la direction du Frère Michel : HAEC ANG. CONSEC. AEDES EX LABORE
SIX (sic) FRATRVM RENOVATA. Pour consacrer ce travail à son glorieux patron
saint Michel, le bon Frère fit ressortir sur la toiture, par un agencement
d'ardoises de différentes nuances, les initiales B. M. A. (Boato Michaeli
Archangelo) ; toutefois, il ne lui déplaisait pas de se les appliquer à lui-même,
en les traduisant par ces mots : Bruder Michael's Arbeit ], avec l'écusson de
l'archiduc-évêque. La même année, et sans doute par ordre du même prélat,
le tombeau d'Adalric et de Béreswinde fut encastré dans l'épaisseur du mur,
du côté nord, où il demeura jusqu'en 1753.
Cette
chapelle fut, elle aussi, remise à neuf en 1858 ; c'est de cette époque que
datent les peintures murales exécutées par M. Osier : sainte Odile en extase
— Anges avec divers attributs. Un autel roman et une modeste maquette en plâtre,
du statuaire Friederich, représentant le baptême de sainte Odile par saint
Erhard, forment tout l'ameublement de l'antique sanctuaire.
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Un étroit
passage, célèbre dans la chronique du pays par la croyance populaire qui s'y
rattachait, contournait autrefois la chapelle, suspendu au-dessus du vide. On
dit que la jeune fille, qui avait le courage de faire neuf fois de suite le tour
de la chapelle, était sûre de trouver mari dans l'année ; les mauvaises
langues ajoutent que des gens mariés auraient essayé le même tour dix-huit
fois et plus... sans succès ! — Une grille empêche aujourd'hui l'accès du
passage dangereux, « au grand regret des filles à marier » (Léontine Zanta)
; depuis 1908, une galerie solide règne sur deux côtés seulement de la
Chapelle, permettant du moins de mesurer du regard, et sans aucun danger, la
hauteur des rochers. Il nous reste un mot à dire sur une intéressante salle
située au premier étage, exactement au-dessus de la Chapelle de la Croix, dont
elle n'est, du reste, qu'une réplique : mêmes proportions, même agencement
architectural, même distribution en quatre berceaux, appuyés sur huit
pilastres et sur un pilier central.
Cette pièce,
que l'on croit avoir été l'oratoire privé des abbesses ou plus probablement
la Salle du Chapitre, était connue dans les derniers temps sous le nom de
Calvaire (Oelberg), sans doute à cause d'anciennes peintures, aujourd'hui
disparues, qui en ornaient les panneaux et représentaient les scènes de la
Passion du Sauveur. Elle a été complètement restaurée en 1859. On y installa
d'abord la Bibliothèque, puis en 1898, le modeste Musée (Klostersammlung) qui,
chaque année, s'enrichit de quelque nouvelle découverte.
On y
arrive en traversant la tribune de la Chapelle Sainte-Odile, où se voit une
remarquable toile, copie d'une tapisserie gothique de la fin du XVème siècle
(auteur inconnu), conservée à Strasbourg dans l'église Saint-Etienne et représentant
les principaux épisodes de la légende de sainte Odile.
Le Musée
même rassemble les curiosités de tous genres, retrouvées sur le plateau de
Sainte-Odile ; elles sont groupées dans des vitrines, selon l'époque ou le
style auxquels elles se rapportent : âge de pierre, époque celtique, époque
romaine et moyen âge. — Voir en particulier deux queues d'aronde du Mur payen,
des débris du bas-relief de Fransin (XVème siècle) qui ornait le tombeau de
sainte Odile, des monnaies, des poteries, quelques peintures et dessins
d'amateurs.
La richesse principale du Musée consiste dans la collection complète des copies du célèbre Hortus deliciarum, l'oeuvre merveilleuse de l'abbesse Herrade de Landsberg, véritable bijou artistique, dont l'ensemble formait un recueil complet des connaissances littéraires et scientifiques du XIIème siècle, en même temps qu'une mine précieuse pour l'histoire religieuse de l'Alsace à cette époque.
Voir aussi " La Vie de Sainte Odile "
Voir aussi " Les Reliques et le Culte de Sainte Odile "
Voir aussi " Le Hohenbourg et l'Hortus Deliciarum "
Voir aussi " Le Mur Payen, les ruines romaines et féodales "
Voir aussi " Observations sur les sources de la légende de sainte Odile "
(texte de l'abbé Ch. Umbricht, 1932).
Nota : les photos réalisées par Gilbert et Roger Frey sont la propriété du site infobretagne.com.
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