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Voyage à travers la LIEUE DE GRÈVE

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Il y a seulement quelques années, lorsque l'on avait un voyage à entreprendre, c'était une affaire d'une énorme importance, et rarement, au départ du voyageur, les recommandations faisaient défaut au foyer domestique.

Lorsqu'un roulier entreprenait, à cette époque, un voyage de Lannion à Morlaix, il fallait, la veille, à l'aide de dix et souvent de vingt chevaux, faire monter la lourde charrette jusqu'au haut de la butte dite Lande-des-Justices, à Lannion.

Il fallait, en outre, pour le lendemain, savoir exactement l'heure de la marée, afin d'arriver à Saint-Michel-en-Grève au moment des basses eaux. Autrement, il était indispensable d'attendre que la mer se fût retirée, pour traverser la lieue, et arriver à Saint-Efflam.

Vous vous rappelez, sans doute, quelles difficultés existaient alors pour la montée de la côte ou butte de Saint-Michel-en-Grève, et quels dangers imminents pour la descente de cette côte, Que de voitures brisées !… Que de chevaux fracassés !… Que d’hommes mêmes broyés et tués !...

En admettant cette descente heureusement faite, il y avait encore bon nombre de précautions à prendre, bon nombre de connaissances de la lieue de Grève à posséder, avant de se hasarder au passage de la rivière.

D'abord défense expresse d'entrer dans la rivière de Saint-Michel, si l'on n'apercevait le sommet, au moins, de la croix de granit plantée sur la grève.

Celui qui s'y aventurait sans tenir compte de ce point de repère, était infailliblement noyé.

Si vous me le permettez, je vais vous citer un ou deux exemples qui pourront vous faire comprendre quels étaient alors les dangers.

Dans la première quinzaine du mois de janvier 1812, Monsieur Josesph-Yves LE SAUX, notaire impérial à La Roche-Derrien, eut besoin de faire un voyage à Morlaix. Il était à cheval ; car, à cette époque, les voitures de maître, et les chars-à-bancs étaient très-peu connus.

Bien entendu que sa dame et ses jeunes enfants étaient dans des transes mortelles, en attendant son retour.

Le voyage pour aller à Morlaix se fit très-heureusement, sans le moindre accident.

Lorsqu'il eut terminé les affaires qui avaient nécessité ce voyage, il s'empressa de faire ses préparatifs de retour, et partit de Morlaix le mardi quatorze janvier, dans l'après-midi.

Les routes étaient, dans un état affreux d'abandon, et ne permettaient aux voyageurs d'avancer, presque nulle part, qu'au pas de leurs montures. Aussi, lorsque M. Le Saux arriva en vue de la lieue de Grève, il faisait déjà nuit, et la mer commençait à monter.

Les personnes qu'il avait rencontrées et interrogées à mesure qu'il avançait dans sa route, l'avaient instamment engagé à ne tenter le passage de la lieue que dans le cas où il apercevrait la croix qui se trouve sur la grève. Il s'était arrêté un instant pour prendre quelques rafraîchissements, en une bourgade de Plestin, dite L'Hôpital, chez un nommé François Ponthou, qui y tenait alors un débit de boissons et des logements pour les voyageurs et leurs chevaux.

Ponthou engagea M. Le Saux à ne pas pousser plus loin, lui faisant remarquer que la nuit étant venue, il serait impossible de distinguer la croix : « Mieux vaut pour vous de perdre une nuit, que de risquer de perdre votre vie. -  Vous avez peut-être raison, aurait répondu M. Le Saux ; mais sachant combien ma famille est inquiète à mon sujet, je tiens à la rejoindre le plus tôt possible, pour la rassurer. D'ailleurs, il n'est pas encore six heures, et il m'a été dit que le passage pourrait être praticable jusqu'à sept heures. Sous ce temps, j'aurai, je l'espère, dépassé Saint-Michel. Ainsi, je pars, a la garde de Dieu ! ».

Il part, il atteint la grève, il avance et avance toujours, n'étant guidé dans les ténèbres épaisses qui l'environnent, que par le fracas épouvantable des vagues gigantesques qui déferlent sur la grève. Le cheval, peu habitué à ce vacarme étourdissant des flots, guidé sans doute aussi par son instinct de conservation, n'avance que lentement et contraint par les coups. Si on le laissait libre, il aurait des ailes pour rebrousser chemin.

Ils arrivent au passage ; la mer y est déjà haute. Toutes les recommandations défendent de tenter de passer.

M. Le Saux songe à sa famille qui l'attend, se recommande à Dieu, pousse en avant son cheval qui est à l'instant englouti dans le gouffre béant. Le cavalier est désarçonné : il fait des efforts surhumains pour disputer sa vie aux flots. Fatalité ! tous ses efforts restent infructueux, et, le lendemain matin, le cadavre de l'infortuné père de famille est trouvé sur la côte, vomi par les flots qui l'avaient englouti !.

Le cheval, malgré la lourde valise qu'il portait, fut plus heureux que son maître, et fut, le lendemain, rencontré pâturant sur le bord de la côte, en un lieu nommé Toul-bili.

Cette catastrophe arriva dans la nuit du mardi au mercredi 15 janvier 1812.

Pour vus en assurer, allez au greffe du Tribunal civil de Lannion, casier de Saint-Michel-en-Grève ; prenez le registre des décès de l'an 1812, au numéro 1er, verso, vous trouverez écrit ce qui suit :

« Du seizième jour du mois de janvier, an 1812, neuf heures du matin. Acte de décès de Joseph-Yves Le Saux, né à Lézardrieux, âgé de quarante ans, profession de notaire impérial, domicilié de La Roche-Derrien, décédé (noyé) dans la nuit du quatorze au quinze de ce mois, époux d'Elizabeth Le Saint de Kerbellec, fils de Joseph-Casimir Le Saux, et de défunte Elizabeth Le Déréat. La déclaration du décès sus-mentionné a été faite par Yves Marie Cavan, demeurant à Lannion, âgé de vingt-un ans, profession d'avocat, qui a dit être neveu germain du défunt ; et par Yves Le Masson, demeurant à Saint-Michel-en-Grève, âgé de vingt-sept ans, profession de notaire impérial, qui a dit être ami du défunt. Signé Cavan, avocat, Le Masson, notaire. Constaté par Jean Aurégan, maire. Signé : J. Auregan, maire ».

Puisque vous semblez prendre intérêt à ce que je vous raconte, je vais vous citer un autre exemple :

Prenez le registre des décès de la même commune de Saint-Michel, pour l'an 1815. Au numéro 6, recto, vous trouverez écrit :

« Du quatorzième jour du mois de mai, an 1815. Acte de décès de une inconnue, née à …, âgée d'environ cinquante ans, profession de mendiante supposée, domiciliée de (on ne sait pas), décédée aujourd'hui à neuf heures du matin, noyée dans la lieue de Grève.. ».

C'était un dimanche. La procession que l'on fait avant le commencement de la messe, avait lieu en ce moment, et se trouvait dans le cimetière. La mer était dans la rivière de Saint-Michel. Les gens de la côte, les fidèles qui sont dans le cimetière crient de toutes leurs forces à l'inconnue de ne point tenter le passage.

Cris superflus ! Avertissements stériles ! La malheureuse, qui est peut-être sourde, s'obstine à passer. Un instant après elle est engloutie, malgré les efforts suprêmes qu'elle fait pour se sauver. Aucun secours utile ne peut lui être porté, car il n'y a aucun bateau. Feu M. Dollo, alors recteur de Saint-Michel, présent à ce drame émouvant, avec les fidèles venus pour assister aux offices, donne, du cimetière, l'absolution générale (in extremis), à l'imprudente infortunée dont le cadavre est recueilli sur la grève, moins d'une heure après le malheur.

Vous vous rendrez facilement compte des navrantes impressions que durent ressentir les personnes présentes à ce tragique évènement, lorsqu'elles rentrèrent à l'église pour assister à la messe.

Ces deux exemples doivent suffire pour vous prouver quels étaient les dangers que courait, à cette époque, celui qui s'aventurait à entrer dans la rivière, s'il ne voyait la croix.

Pour monter de la rivière sur la lieue de Grève, ou pour descendre de cette lieue à la rivière, que de précautions ne fallait-il pas prendre ?

Si l'on ne suivait un plan très-incliné, on était sûr de ne pouvoir monter qu'en triplant ou quadruplant les chevaux, et pendant qu'on les préparait, les roues s’enfonçaient, s'enfonçaient toujours dans le sable de la rivière, jusqu'à dépasser les moyeux.

Lorsque ce contre-temps arrivait, il fallait décharger le véhicule pour, à force d'hommes et d'argent, dégager les roues.

Si en descendant, on ne suivait un plan également très-incliné, le moindre inconvénient qui pouvait arriver, était de crever le cheval de limon. Si cette pauvre bête, surchargée par le poids énorme de tous ce que contenait la voiture, venait à s'abattre, tout plongeait dans la rivière.

Quelle bagarre alors, pour ramasser toutes les marchandises mouillées, souillées, plus on moins mises hors d'usage !

A quoi tenaient donc tant de difficultés ?... A la grande élévation qu'avait, en ce temps-là, le sable au bord de la rivière.

A cette époque, si peu éloignée, un cavalier étant debout sur sa monture, au milieu de la rivière, et un autre cavalier à deux cents pas seulement, sur la grève, étaient dans l'impossibilité de s'apercevoir.

Aujourd'hui il n'en est plus de même. De quelque côté que ce soit de la rivière de Saint-Michel, un homme à pied distingue parfaitement, en droite ligne, toute l'étendue de la grève qui le sépare de Saint-Efflam, dont il voit la chapelle dominant le fond de la lieue. 

(texte extrait d'un ouvrage de Claude Rannou (1808-1869), instituteur à Saint-Michel-en-Grève de 1837 à 1851).

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