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L'ORIGINE DE LA SALETTE DE MORLAIX. |
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En 1458, Alain, vicomte de Rohan et de Léon, fondait, dans ses terres de Cuburien, à trois quarts de lieue de Morlaix, sur la rive gauche de la rivière, un couvent, pour y établir une communauté de Cordeliers.
L'église, qui existe encore actuellement, ne fut construite qu'en 1527, comme le constate une inscription gothique, près de la porte principale : Lan . Mil . Vcc XXVIIme. Le XI Jour . de . Mars . fust . ceste . Esglise . fondé.
Elle fut bénite en 1532, par un Grand-Vicaire de Léon.
C'est dans ce couvent que fut, dit-on, établie la première imprimerie de Bretagne. A la suite d'une réforme, les Récollets remplacèrent les Cordeliers, en 1622.
A la Révolution, le monastère, avec ses dépendances, fut acquis par un prêtre apostat.
En 1830, les Religieuses Hospitalières de Saint-Augustin, auxquelles était confié le soin des malades de l'hôpital de Quimper, furent congédiées par l'Administration. Depuis trois ans déjà elles vivaient dispersées dans différentes maisons de leur ordre, lorsque la Providence vint à leur aide, dans la personne de Mademoiselle Maria de la Fruglaye, alors âgée de 25 ans, qui habitait avec son père, le comte de la Fruglaye, le château de Keranroux, en Ploujean. Elle fit l'acquisiton du couvent de Cuburien, situé presqu'en face de son manoir, et y installa l'ancienne communauté de Quimper.
Le monastère prit dès lors le nom de Notre-Dame-de-la-Victoire, mais le peuple continua à l'appeler le Couvent de Saint-François, et c'est ainsi qu'il est toujours désigné dans le pays.
En véritable fondatrice et en chrétienne dévouée, la pieuse châtelaine s'occupa des intérêts matériels et spirituels de ses protégées.
Après avoir mis sur un bon pied l'hôpital et le pensionnat, elle voulut qu'on ajoutât à cette école un externat gratuit pour les petites filles du voisinage. Son bonheur était de s'adjoindre aux Sœurs pour soigner et panser les malades, pour faire la classe aux enfants et les diriger dans leurs études et dans leurs récréations ; et dans tous ces détails elle mettait une simplicité et un dévouement admirables. Autant que la discrétion le lui permettait, elle se mêlait aussi à la vie intime de la Communauté, prenant part aux exercices de la règle. Là encore, c'était la même humilité, mais aussi une régularité si parfaite, qu'elle était un modèle pour toutes, et que son influence était celle d'une véritable maîtresse des novices.
Elle préludait ainsi à la vie religieuse qu'elle devait embrasser plus tard au couvent des Oiseaux, de la congrégation de Notre-Dame, à Paris, lorsque la mort de son vénérable père l'aurait dégagée du monde et lui aurait donné la liberté de suivre ses aspirations.
***
Peu de temps après l'Apparition de la Salette, lorsque le bruit de cet événement merveilleux et des premières guérisons se fut répandu dans toute la France, Mlle de la Fruglaye en entretint les Religieuses de la Communauté de Saint-François. Ce récit fit grande impression sur leur esprit et, sans tarder, la Mère Sainte-Sophie de Coatgourden, cousiné de Maria, se mit en relation avec M. l'abbé Perrin, curé de la Salette, qui lui fit passer un morceau de la pierre sur laquelle avait posé le pied de Marie pendant l'Apparition.
En entendant parler journellement de la bonté de cette divine Mère de la Miséricorde, mais aussi de ses menaces de punitions terribles contre les blasphèmes et la profanation du dimanche, on invoqua la Reine du ciel et de la terre ; mais à la prière on voulut ajouter quelque manifestation extérieure. Une des Religieuses, secondée par une Sœur converse, se mit à fabriquer, au haut de l'enclos, une niche ou une sorte de hutte pour y placer une statue de la Sainte Vierge. Mais cet ouvrage était si fragile et si primitif, qu'il n'eût qu'une courte durée et fut renversé par un orage.
M. l'abbé de Kermenguy, aumônier de la Communauté de Notre-Dame-de-la-Victoire, ayant entendu parler de ce qu'on appelait un jeu d'enfants, résolut de mieux faire. Dans la salle de verdure, dite des Frères, lieu où les anciens Religieux Récollets tenaient jadis leurs conférences, il fit construire un tout petit oratoire, pouvant contenir une vingtaine de personnes. Il en bénit la première pierre en présence de la Communauté et des élèves du Pensionnat, au début de l'année 1847. Ce fut dans ce petit sanctuaire que les Religieuses et leurs élèves adressèrent leurs ferventes prières à la Belle Dame de la Salette, durant l'année qui suivit son Apparition.
Sur ces entrefaites il se passa dans la Communauté quelque chose qui tenait du prodige, et qui est raconté en détail, en langue bretonne, dans le journal Feiz ha Breiz, année 1869, n° 18, p. 259, par M. l'abbé Bodeur, de Plougasnou, alors Recteur de Loqueffret.
Au nombre des élèves étaient deux petites files, atteintes d'un mal inconnu et que le médecin jugeait incurable. Elles ne pouvaient rien manger et se desséchaient de jour en jour ; aucun remède ne leur faisait de bien. Les Religieuses, leurs maîtresses de classe, avaient un vif désir de les voir guéries ; mais elles désiraient aussi ardemment être fixées sur la vérité de l'Apparition de la Salette, en butte alors à la contradiction, l'autorité ecclésiastique n'ayant pas encore formulé son jugement.
Pour être éclairé sur ce point et pour obtenir la guérison des deux enfants, on fit une neuvaine. — La neuvaine se termina sans qu'il y eût la moindre amélioration dans leur état. On en est désappointé dans la Communauté, mais les Religieuses ne perdent pas confiance. On commence une seconde neuvaine, qui se termine sans un meilleur résultat. Nouvelle désolation, mais sans découragement ; les cœurs pleins d'espoir ne se laissent pas abattre : Faisons une troisième neuvaine et espérons que, cette fois, nos prières seront exaucées par Dieu et sa Mère bénie.
Ceci se passait le 10 septembre 1847. De cette manière la neuvaine devait se terminer le 19, jour anniversaire de celui de l'Apparition. Les premiers jours de la neuvaine se passent., aucun changement dans l'état des deux malades. Les Sœurs ne perdent pas espoir et, au fur et à mesure que la neuvaine approche de sa fin, leurs prières deviennent plus ferventes. Arrive le dernier jour et, prodige admirable ! les deux enfants se trouvent guéries radicalement ; leur guérison est constatée par le médecin.
Nul doute désormais pour les Religieuses, de la vérité de l'Apparition de la Sainte Vierge sur la montagne de la Salette.
Une autre relation, tirée des archives de la Communauté, atteste la guérison d'une jeune asthmatique de naissance, après la récitation d'un simple Ave Maria.
Pour témoigner leur reconnaissance et perpétuer la mémoire de ces grâces extraordinaires, les Sœurs s'affermissent dans leur projet d'élever, dans les dépendances du couvent, une chapelle qui s'appellerait : Chapelle de Notre-Dame-de-la-Salette. Afin d'attirer les bénédictions de Dieu sur leur pieuse entreprise, elles commandent une neuvaine, le 22 février 1848. Cette neuvaine avait pour objet spécial de faire pénitence pour les péchés du monde. Elle se termina le premier mars, et ce jour-là même fut bénite la première pierre du nouvel oratoire. Il se construisit, non sur l'emplacement du précédent, mais sur une colline voisine, à la place où se trouve la chapelle actuelle.
Cette construction avait été autorisée par l'Evêque du diocèse, Monseigneur Graveran. Pour commencer le travail, la Mère Marie-des-Anges avait 50 écus ; le zélé aumônier de la Communauté, M. l'abbé de Kermenguy, vint largement à son secours et lui procura d'autres ressources. L'ouvrage fut terminé en deux mois et la bénédiction en fut faite par M. Le Moal, recteur de Saint-Martin-des-Champs, le 4 mai 1848, fête de sainte Monique, le jour même où s'ouvrait à Paris l'Assemblée Constituante.
Cet oratoire si exigu était destiné seulement à l'usage des Religieuses et de leurs élèves. Mais M. Le Moal déclara qu'il ne pouvait rester privé, et qu'il fallait que le public s'associât à la dévotion de la Communauté. Bientôt en effet, dès que l'on connût à l'extérieur les miracles obtenus par l'intercession de Notre-Dame-de-la-Salette, et l'érection d'un sanctuaire en son honneur, les fidèles demandèrent instamment à venir y prier ; mais il n'y eut pas de possibilité d'accéder à cette demande, sans violer la clôture. Les choses restèrent ainsi durant un peu plus de deux mois, quand M. de Kermenguy trouva une solution. Le 1er août 1848 il commença à construire un ajouté de plus grandes dimensions, du côté extérieur de l'enclos, pour être mis à la disposition des pèlerins, tandis que le premier oratoire, auquel il était attenant et avec lequel il communiquait, demeurait réservé au personnel du monastère.
Cette construction, un peu plus monumentale, fut poussée rapidement, et sur le frontispice on grava ces paroles : Parce Domine, parce populo tuo, indiquant bien le but de la Reine de la Miséricorde dans son Apparition et l'esprit qui devait animer les fidèles qui venaient prier en cet endroit. La bénédiction se fit le 18 septembre, veille du deuxième anniversaire de l'Apparition, par un temps splendide et devant un concours immense de peuple.
Ce fut la première chapelle publique élevée en l'honneur de Notre-Dame-de-la-Salette ; et M. Perrin, avec lequel on était en relation fréquente par correspondance, l'appelle : La fille aînée de l'Eglise-Mère de la Salette.
Il faut même dire que la Fille précéda la Mère, car l'église du lieu de l'Apparition ne fut commencée que le 25 mai 1852.
Officiellement cependant, la chapelle de Morlaix ne porta pas tout de suite le nom de la Salette, car le jugement doctrinal de l'Evêque de Grenoble n'était pas encore porté ; le mandement de Mgr de Bruillard ne fut publié qu'en 1851. L'Evêque de Quimper demanda que le nouvel oratoire fut désigné sous le vocable de Notre-Dame-Réparatrice, mais le peuple ne le connut jamais que sous le nom de Chapelle de la Salette, et c'est la dénomination qui prévalut et qui fut dans la suite autorisée.
Dès ce moment un courant extraordinaire de dévotion prit naissance ; des pèlerins nombreux accourent de tous côtés à ce sanctuaire qui venait de voir le jour, des prêtres viennent y célébrer la messe, et M. de Kermenguy prend bonne note de toutes ces messes, comme pour marquer le niveau de la dévotion de jour en jour croissante.
***
Pour ce qui est de cette période, les documents précis nous font absolument défaut. On ne prévoyait pas l'extension et l'importance que prendrait plus tard ce pèlerinage et ce centre de dévotion, et on ne s'inquiéta point chez les Religieuses d'en retracer l'histoire. Les notes et lettres de M. de Kermenguy auraient pu fournir de bien précieux renseignements, mais il avait la regrettable pratique de détruire tous ses papiers et ses correspondances. Seul, un brouillon de lettre, sans date et à peine déchiffrable, nous est parvenu, avec trois lettres adressées à Mlle de la Fruglaye, avant et après son entrée au couvent des Oiseaux.
Une pièce fort appréciable pour nous, c'est un article publié dans le journal « l'Univers », à la date du 26 janvier 1852, sous la signature de Du Lac, mais complètement inspiré et, je puis même dire, rédigé par M. l'abbé Le Hir, le grand hébraïsant, professeur à Saint-Sulpice. Il était originaire de Morlaix et y venait parfois passer quelques jours de vacances, ce qui le mit en relation avec M. de Kermenguy et au courant de l'œuvre de la Salette.
Voici cet article :
« Un Sanctuaire à Notre-Dame-de-la-Salette en Bretagne :
Pendant que
l'on prépare à la Reine des Anges un temple digne de perpétuer la mémoire de
sa récente Apparition dans les Alpes, voilà qu'à l'extrémité opposée de la
France, sur les bords de l'Océan, la pieuse Bretagne se glorifie de posséder
déjà un sanctuaire dédié à Notre-Dame-de-la-Salette. En 1848, une jolie
chapelle a été bâtie sous ce vocable à une demi-lieue de Morlaix
(Finistère), parmi les bois qui couronnent gracieusement l'entrée du port. On y
monte par une côte fort raide, qui n'en rappelle que mieux le lieu même honoré
pour l'Apparition miraculeuse. Pour y joindre le souvenir
du Calvaire, une haute croix s'élève en face de la chapelle, et les stations
de la voie douloureuse, échelonnées sur la route, achèveront l'œuvre
commencée. Chacune d'elle sera moins un repos pour le corps qu'un agréable
rafraîchissement pour l'esprit, et l'âme, préparée par la méditation des
souffrances du Sauveur, obtiendra plus sûrement l'effet de ses prières. Le
but du pèlerinage, c'est avant tout un but d'expiation, car ce sanctuaire est
dédié à la Vierge Réparatrice. Mais en implorant la grâce des pécheurs, les
visiteurs ont bien le droit de ne pas s'oublier eux-mêmes ; et l'on assure
que des faveurs extraordinaires ont été pour plusieurs la récompense de leur
foi, quoique le défaut d'enquête juridique ne nous permette point de les
désigner publiquement comme des miracles.
Aussi l'affluence y est-elle continuelle, mais elle redouble aux époques des solennités de Marie, car alors la chapelle ne suffit plus à la foule recueillie qui s'y succède d'heure en heure. Qui pourrait dire quels vœux et quelles prières s'élèvent de là vers le ciel pour conjurer les fléaux qui nous menacent, pour appeler sur la France et sur toute l'Eglise les bénédictions divines ? Il suffit que les Anges, chargés de faire monter cet encens jusqu'à Dieu, en soient les témoins. Contentons-nous d'en ressentir les effets, non sans applaudir du fond du cœur à la pensée vraiment chrétienne qui a inspiré cette fondation. L'église qui va s'élever sur le terrain même de la Salette ne sera jamais visitée que par un certain nombre de fidèles privilégiés.
Les lointains pèlerinages sont si peu faits pour le siècle, ou plutôt le siècle est si peu fait pour les comprendre, quoiqu'il y dût trouver des facilités merveilleuses inconnues à nos pères ! Pourquoi donc n'y suppléerions-nous pas, en multipliant aux quatre coins de la France ces monuments expiatoires qui invitent les populations à la componction et au repentir ? Pourquoi ces monuments ne seraient-ils pas reliés entre eux par d'autres oratoires disséminés vers le centre ? Multiplier ces points destinés à détourner la foudre, en envelopper le pays comme d'un réseau, opposer cette réparation solennelle à l'éclat des scandales et des blasphèmes qui ont désolé la foi depuis un siècle, et vous aurez beaucoup fait pour l'avenir de la Société en Europe. Marie couvrant le vicaire de Jésus-Christ des rayons de sa douce lumière, comme un arc-en-ciel au milieu de l'orage ; Marie animant son image et reportant sur l'Eglise des regards pleins de tendresse, après les avoir levés vers le ciel ; Marie marchant sur les roses qu'elle fait germer au désert, sans les fouler sous ses pas, nous console sans doute et raffermit nos espérances ; mais Elle n'a pas encore dissipé nos alarmes. Messagère de paix, elle a aussi des paroles qui nous glacent de terreur. D'une main elle montre le nuage qui se déchire pour laisser éclater la foudre et de l'autre, l'abri sous lequel nous trouverons un asile.
Cet abri, c'est la prière unanime, c'est l'expiation, c'est le retour à Dieu. N'est-ce pas encore ce que le Père commun des fidèles nous répète d'une voix émue, nous convoquant aux pieds des autels, comme l'oiseau qui bat des ailes pour appeler ses petits à l'approche du vautour ? Là donc est le salut et pas ailleurs. Hi in curribus et hi in equis ; nos autem in nomine Domini Dei nostri invocabimus ». Du LAC.
***
Le résultat constaté dans cet article de « l'Univers », nous en trouvons une indication et une exposition dans la première des lettres adressées par M. de Kermenguy à Mlle de la Fruglaye. Cette lettre est datée du 10 mars 1850 ; elle correspond par conséquent à la fin du séjour que la pieuse fondatrice fit à Pau après la mort de son père ; car c'est au commencement d'avril qu'elle revint auprès de sa sœur, Mme de Champagny, la quittant au bout de huit jours, pour entrer comme postulante au couvent des Oiseaux.
Dans cette longue lettre, le zélé aumônier parle des moyens ingénieux qu'il emploie pour soulager bon nombre d'ouvriers de Morlaix, éprouvés par la disette et le manque d'ouvrage. Il crée des ateliers, réunit des escouades de travailleurs pour leur trouver de l'emploi, leur procurer un modique salaire et un peu de pain. Il les fait travailler à transporter des matériaux, en vue de l'agrandissement de l'oratoire, et à mettre en état plus convenable le sentier escarpé qui y donne accès. Il commence l'établissement des stations du Chemin de la Croix le long de ce sentier, et constate que la dévotion va en augmentant, ainsi que le nombre des messes célébrées dans le petit oratoire.
Mais en même temps on peut voir que les soucis du digne prêtre ne font que croître, avec la joie de son cœur ; car plus ses vœux sont accomplis, plus le pèlerinage est fréquenté, et plus étroite aussi devient la chapelle, de plus en plus insuffisante à contenir les foules. Bientôt un agrandissement s'impose, et l'esprit du pauvre zélateur est à la torture, pour savoir quel parti prendre ; faut-il allonger la nef trop courte ? ajouter deux bras de croix ? établir de plus une tribune ? bâtir un clocher ? Ce sont des tergiversations, des points d'interrogation qu'il se pose sans pouvoir se résoudre à prendre une décision ferme.
La deuxième lettre doit être de mars 1851, car elle est antérieure à la prise d'habit de Mlle de la Fruglaye, qui eut lieu le 12 avril de cette année.
M. de Kermenguy s'y montre livré aux mêmes occupations et aux mêmes préoccupations : il emploie toujours des ouvriers et se réjouit de voir grandir le courant de la dévotion ; 448 messes ont été célébrées dans le sanctuaire depuis sa fondation.
***
A la suite de ces deux lettres, le brouillon dont il a déjà été parlé, devient d'une importance capitale. A première vue ; c'est une pièce informe, diffuse, sans indication précise, et ne concluant pas. Mais après un déchiffrement bien long et bien laborieux, après des lectures successives, on arrive à découvrir que c'est un projet de lettre à Mgr l'Evêque de Quimper, une exposition au pasteur du diocèse de l'état de l'œuvre, de la situation du pèlerinage et de la nécessité où l'on se trouve de donner plus d'extension à la chapelle, devenue désormais insuffisante.
Ce qui autorise cette interprétation et qui y donne même une base certaine, c'est d'abord le ton général de la lettre, puis le mot Monseigneur, à moitié ou au tiers formé, qu'on lit ou plutôt qu'on devine vers le dernier quart du manuscrit. Cette destination, en effet, nous fait comprendre mieux le contenu de la lettre et l'exposé détaillé auquel se livre le dévoué et humble aumônier, pour obtenir de son chef hiérarchique l'autorisation de marcher de l'avant.
Cet écrit n'est pas daté, mais comme il y est fait mention de l'espace de quatre ans écoulés depuis la bénédiction de l'oratoire public, 18 septembre 1848, cela nous reporte à 1852. C'est, en effet, à la fin de cette année ou au commencement de 1853 que furent décidés et commencés les travaux de la grande chapelle.
Nous donnons ce brouillon tel que nous avons pu le déchiffrer, avec quelques lacunes dans les lignes illisibles, et aussi avec quelques irrégularités d'orthographe, licites à cette époque, et qui ne donnent que plus de couleur au style :
« M.
Lorsque je me décidais le 1er août
1848 à aggrandir pour le rendre public le très petit oratoire que
nous avions bénit le 4 mai précédent, sous l'invocation de N. D.
Réparatrice, j'avais : (en dehors de mes honoraires) 5 f. de la bonne et puis
l'espoir d'avoir… apporteraient avant le 1 oct. terme du trimestre de la
pension que nous faisait mon père. Il est vrai, j'avais une grande confiance
dans l'avenir. Je ne faisais que céder aux sollicitations, aux instances
réitérées qui m'étaient adressées de tout côté par des ecclésiastiques comme
des laïques. J'eus foi au vieil adage : vox populi, vox Dei. Le
lendemain, 2 août, j'avais de 4 personnes différentes, j'avais 635, donnés
sans que je l'eusse provoqué autrement qu'en parlant à ces personnes... de
mon projet. Je regardai cette bonne journée comme un consentement, un
encouragement du Ciel. Toutefois en 1848 les choses se sont bien arrangées...
Ne voulant pas faire de quête ni demander et me contentant de faire
connaître mon entreprise, je ne pouvais espérer que les jours suivants
m'offriraient des aumônes égales. De plus, le besoin d'expiation étant pressé,
il fallait se hâter d'en développer l'esprit, favoriser l'élan qui se
manifesta depuis l'érection du premier oratoire. C'était là mon but. Il me
paraissait… dès lors que ce…….. la mauvaise saison…….. de cette chapelle.
J'ai annoncé la bénédiction pour le 18 septembre afin que le 19
l'œuvre d'expiation fût inaugurée pour une succession de basses messes,
qu'on priât durant tout le matin. J'avais l'assurance que mes confrères
rivaliseraient d'ardeur. Je n'avais que six semaines devant moi pour préparer
la place, en faire le plan, et pour les préparatifs, comme pour la
construction. Et puis des embarras surgirent et je ne pus commencer que le 7
août à tirer les premières pierres ………
Force fut donc pour moi d'être l'ingénieur et aussi le surveillant des 5 ou 6 ouvriers de mon petit entrepreneur. De cette précipitation que devait-il résulter autre chose que la construction d'une barraque où le défaut de style ne serait pas racheté par la solidité ?. Un mois après la bénédiction, le pignon fit un écart, et les hommes de l'art m'ont déclaré qu'il ne fallait pas songer à le surmonter d'un clocher pour lequel M. de la Fruglaye m'avait remis, en juin 1849, la somme de 600 francs.
Tout en avançant je prévoyais tous ces risques, je voyais les fautes que l'on commettait, mais prévenir les unes, empêcher les autres, je n'en avais pas le temps, et des personnes de bon conseil qui avaient adopté mon but qui put m'encourager, me poussaient à passer outre.
Ce but j'ai eu le bonheur de l'atteindre. Le succès a dépassé toutes les espérances et toutes les prévisions. Je ne crois pas qu'il se serait passé six jours par an, sans avoir vu gravir la montagne de l'Expiation par quelques pèlerins, que ne pouvait arrêter ni l'intempérie de la saison, ni mes chemins qui sont si affreux pendant l'hiver et même si dangereux pendant deux ans.
Plus de 1,400 messes y ont été célébrées par 1,160 prêtres différents. (Il est vrai que j'y célèbre) et l'on ne peut satisfaire à toutes les demandes dont un grand nombre nous sont faites des villes voisines et des autres diocèses.
Tous les dimanches de l'été, quand il fait beau, il y a affluence toute la journée, et non seulement de Morlaix, mais de quatre, cinq et six lieues. L'après-midi surtout on s'y presse sans que tout le monde y puisse trouver place, et à peine les premiers arrivés sont-ils sortis, qu'ils sont remplacés par ceux, en grand nombre, qui ont été forcés d'attendre à la porte.
Pour les fêtes de la chapelle nous avons jusqu'à dix, douze, quinze basses-messes. A toutes il y a foule d'assistants et je suis obligé d'élever une tente au-dehors pour abriter ceux qui ne peuvent entrer. Combien d'autres voudraient y venir et s'en abstiennent pour la raison, disent-ils en gémissant, qu'après avoir fait le voyage, ils ne trouvent pas de place et se voient exposés à attraper un froid qui compromet leur santé. Aussi, Monseigneur, j'entends souvent se plaindre de l'exiguïté de la chapelle. Toutes les fois que le temps permet d'y faire quelque chose pour l'utilité ou pour la décoration, on me fait entendre sur le ton du reproche que je devrais réserver les offrandes pour l'aggrandissement ; plusieurs de ces offrandes m'ont été données dans ce but. Mais comment aggrandir ? Est-ce l'allongement ? Je ne ferais rien que d'irrégulier. En bâtir une autre demanderait des ressources que je n'ai pas. Ces considérations m'ont jusqu'à présent fait fermer l'oreille à ces critiques se renonvellant sans cesse, depuis quatre ans.
De plus, j'avoue que je reculais devant un nouvel embarras et de si grands travaux. Le cœur me manquait toutes les fois que je l'envisageais, et je voulais passer à un autre cette opération. Depuis quelque temps mon désir s'est manifesté avec une nouvelle intensité. Le clergé lui-même……… mais même condamne toute idée d'allongement ; c'est un nouveau plan que je devrais prendre. J'avais recommandé quatre nouvelles niches de station de Chemin de Croix dans la montagne, œuvre que je tiens à avoir de mon vivant et qui m'avait semblé très populaire. De nouveaux murmures se sont élevés et pour les faire cesser, il m'a fallu leur faire comprendre que c'est moi qui en supportais la dépense.
En dehors cependant de ces 600 francs de M. de la Fruglaye qui, d'après sa parole et la déclaration récente de sa famille, ne pourraient être affectés qu'au clocher » .........
Le reste de la lettre devrait se continuer sur une autre feuille, laquelle fait absolument défaut. On peut conclure cependant que M. de Kermenguy devait y rendre compte de ses ressources, de ses espérances, de ses projets et probablement des différents plans qu'il avait fait dresser en vue d'une reconstruction plus vaste et plus monumentale.
Cette lettre est donc comme le point de départ de la chapelle que nous possédons aujourd'hui. Un court aperçu historique du commencement des travaux est donné dans une troisième lettre à Mlle de la Fruglaye, devenue alors la Révérende Mère Marie-Anne. M. de Kermenguy lui fait savoir qu'à la fin une nouvelle chapelle n'est plus en projet, mais qu'elle est commencée, que les fondations sont remplies et que les murs vont sortir de terre dans deux jours. Il montre encore les difficultés qu'il y a eu à surmonter. Des plans insuffisants ont été présentés par M. Delaunay, puis par M. Morvan, ancien conducteur des Ponts-et-Chaussées ; froissements pour observations ou demandes de modifications. Enfin adoption d'un très beau projet gothique XIIIème siècle, dressé par le vénérable M. Clec'h, enfant de Morlaix, professeur de dessin au collège de Saint-Pol-de-Léon, en collaboration avec M. Pol de Courcy, pour la partie archéologique. Ce plan fut soumis à M. Bigot, architecte du département, qui le trouva excellent de tous points et conseilla de l'exécuter sans se laisser effrayer par le chiffre de 50.000 francs ou plus.
Or M. de Kermenguy avait, pour commencer, la modique somme de 7.000 francs ; d'une part on criait à la folie, de l'autre on applaudissait. Rempli d'une sainte confiance, le bon aumônier alla de l'avant.
***
L'entrepreneur qu'il choisit pour mener ces travaux, était M. Guyomard, d'une très honorable famille de Morlaix, qui venait de construire une église romane à Santec, sur les plans de M. Pol de Courcy. L'un des fils de M. Guyomard travaillait avec son père dès les débuts de l'œuvre et a pu, d'une façon précise, en déterminer la date et en fixer le commencement au printemps de 1853. Il donne encore d'autres détails : les débuts furent lents, très lents ; il n'y avait jamais plus de 5 ou 6 ouvriers sur le chantier, ce qui explique comment la chapelle fut en construction pendant près de 7 années. M. de Kermenguy faisait travailler d'après les ressources dont il disposait, et pendant les hivers on ne faisait guère que préparer les matériaux. Toute la chapelle fut fondée dans son ensemble, puis on monta le portail et la nef ; les bras de croix et l'abside ne furent construits que plus tard, en dernier lieu.
L'oratoire de 1848 fut conservé pendant toute la durée de ces travaux et englobé dans la nouvelle construction ; il ne disparut qu'après l'achèvement complet de l'édifice. M. Guyomard, pendant cette longue période, se considéra non comme entrepreneur, mais comme dévot serviteur de N.-D. de la Salette et collaborateur dévoué de M. de Kermenguy, voilà pourquoi il a voulu fournir un travail soigné et absolument fini. Il avait pour contremaître son gendre, M. Tanguy, tailleur de pierre et sulpteur ; c'est à son ciseau que l'on doit la sculpture de tous les chapiteaux.
Comment arrivèrent les sommes considérables nécessaires pour une construction si importante ? C'est le secret de Dieu et de Notre-Dame ; mais nous savons que le saint prêtre qui avait entrepris cette tâche y mit toute son âme et toute son activité : appel aux Curés et Recteurs de toute la région, pour recommander l'œuvre à leurs paroissiens ; prédications dans les églises de Morlaix ; quêtes, souscriptions. Dieu seul connaît la générosité de la population morlaisienne, les admirables sacrifices des familles les plus indigentes, les aumônes des tout petits enfants.
Et le bon M. de Kermenguy rivalisait avec eux de dévouement et de détachement ; il organisait des loteries, pour faire venir les ressources ; et l'on dit que toute son argenterie y passa, sa belle argenterie de famille, qui devait cependant être si chère à son cœur.
Son zèle fut enfin couronné de succès et la chapelle fut terminée. Le 21 juin 1860, l'Evêque de Quimper, Mgr Sergent, en fit la consécration solennelle, entouré de soixante-douze de ses prêtres, et au milieu d'un concours extraordinaire de fidèles. Le prélat adressa lui-même à l'assistance une belle et pieuse allocution, qui fut traduite en breton par M. Prigent, curé de Châteaulin, dans le sermon qu'il fit à l'issue de la cérémonie.
***
Décrivons maintenant le monument élevé par la foi et la générosité des fidèles à la Vierge de la Salette.
Après avoir dépassé l'église de Saint-Francois et la cour de l'hôpital, on monte par une petite route abrupte longeant le mur d'enclos et que jalonnent les stations du Chemin de la Croix, marquées par des édicules en pierre adossés à ce mur. Arrivé au sommet, on se trouve devant une façade monumentale et élancée, construite en beau granit blanc de l'Ile-Grande et dessinée dans le plus pur style du XIIIème siècle. Une porte géminée donne accès dans l’édifice ; elle est encadrée de chaque côté de cinq colonnettes supportant une archivolte à moulures arrondies. Au-dessus d'un glacis de trois assises, qui coupe heureusement la hauteur, s'ouvre une fenêtre élancée, accostée de deux autres lancettes aveugles inspirées de l'architecture des clochers de la cathédrale de Saint-Pol. A la retombée du fronton sont deux culs-de-lampe destinés à recevoir des clochetons ou des statues, et au sommet est une vaste base moulurée, qui devait recevoir un clocher, resté jusqu'ici inexécuté. Sur les côtés, les branches de transept et l'abside à pans coupés, sont percées de hautes et étroites fenêtres.
A l'intérieur on trouve une nef de 7 mètres de largeur sur 12 ou 13 mètres de hauteur sous voûte ; deux branches de croix et un sanctuaire à terminaison polygonale. Sur les murs montent des faisceaux de colonnettes pour supporter les nervures des voûtes. A mi-profondeur du sanctuaire, le maître-autel en granit, avec colonnes de Kersanton, est surmonté d'une clôture en bois à arcatures élancées qui sépare la chapelle publique d'un arrière-chœur communiquant avec l'enclos du monastère, et réservé aux Religieuses et à leurs élèves.
Dans le transept du côté de l'Evangile, est l'autel de l'Apparition, dominé par le groupe de Notre-Dame parlant à Maximin et à Mélanie ; toutes ses paroles sont gravées sur le soubassement du groupe et sur les arcades de l'autel. Tout autour sont de nombreux ex-voto et des plaques de marbre commémorant des grâces obtenues. Au transept du côté de l'Epître est l'autel du Sacré-Cœur, avec l'Apparition de Notre-Seigneur à la Bienheureuse Marguerite-Marie.
La chaire est constituée par une estrade gothique en bois, largement sculptée et découpée. Les murs sont décorés de peintures, les voûtes peintes en bleu d'azur et ornementées d'élégants rinceaux en or. L'architecture est belle et excellente pour l'époque, dénotant une étude sérieuse et approfondie.
Devant le grand portail de la chapelle est une assez vaste esplanade, et par delà, toujours en face, la grande allée du bois de Pennélé, large et profonde, qui a été utilisée en diverses circonstances, lors des grands pèlerinages.
J.-M. Abgrall.
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