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GOAZVEN CONTRE BARAC'H, 1628-1713

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C’est un fort curieux procès que Gilles Le Borgne, seigneur du Goazven (en Brélévenez) et de Kaeraziou (en Trébeurden) intenta en 1628 devant la barre royale de Tréguier au siège de Lannion [Note : La juridiction royale primitivement créée à Lannion avait été transférée à Tréguier où elle s’exerça de 1564 à 1576. Pour dédommager en quelque sorte les Trégorrois de sa perte, il fut décidé que la juridiction porterait désormais le nom de « juridiction royale de Tréguier au siège de Lannion »] à François II du Coskaër, seigneur de Barac’h (en Louannec) et de Rosanbo [Note : En Lanvellec (le nom de Rosanbo est la forme moderne de Roz an Baou)] pour des usurpations que les ancêtres de ce dernier et ce dernier lui-même auraient réalisées surtout sur le domaine du roi [Note : Le fief du domaine royal de Lannion s’étendait dans les paroisses de Lannion, Brélévenez, Buhulien, Cavan, Camlez, Kermaria-Sulard, Louannec, Loguivy-les-Lannion, Louargat, Perros-Guirec, Penvénan, Ploubezre, Pleumeur-Bodou, Ploulec’h, Pluzunet, Rospez, Trébeurden, Trédarzec, Trédrez, Tréduder, Trégastel, Trégrom, Trélévern et Trévou. (Cf. Archives départementales, Côtes-d‘Armor, A. 51). Il était fort loin d’être d’un seul tenant].

Ce n’était que l’aboutissant des longs démêlés qui avaient séparé les Le Borgne et les du Coskaër et qui, limités d’abord à des querelles familiales, n’avaient cessé de s’envenimer.

On peut sans erreur faire remonter l’origine de leurs dissentiments aux achats échelonnés par les seigneurs de Barac’h de la seigneurie de Keruzec, en Pleumeur-Bodou, qui rendirent leur terres voisines de celles des seigneurs de Kaeraziou.

L’alliance des Kaeraziou et des Barac’h remontait au mariage de Jehan sieur de Keraliou [Note : La seigneurie de Kaeraziou, vassale du fief de Penlan, membre principal de l’abbaye bernardine de Notre-Dame de Bégard appartenait, au milieu du XIVème siècle à un seigneur qui paraît avoir été d’origine anglaise Geoffroy Scliczon, sieur de Keranfaut (ou mieux Keranfaou), dont les descendants lointains parvinrent à faire admettre par le Parlement de Bretagne (XVIIème siècle) qu’ils étaient les descendants authentiques de l’aïeul paternel du connétable Olivier de Clisson. La seigneurie de Keralio (ou de Keraliou), en Plouguiel, était entrée dans la famille des Scliczon-Clisson par le mariage d’un arrière-petit-fils de Geoffroy Scliczon, Jehan, sieur de Penarstang et de Crec’hbizien, président universel de Bretagne, avec Jehanne de Keraliou, héritière dudit lieu. — D’autre part, Jehanne de Keraliou, fille de Jehan de Keraliou et de la dame de Leshernant (en Plougrescant), avait épousé en troisièmes noces Jehan Le Borgne, préparant de loin l’accession des Le Borgne à la propriété de la seigneurie de Kaeraziou. — Gilles Le Borgne, sieur du Goazven (ou Goazguen), reconnaissait pour son « quartaïeul » maternel Olivier Scliczon, écuyer, sieur de Kaeraziou, qui avait été partagé en 1421 par son aîné Geoffroy Scliczon. sieur de Keranfaut, pour sa part de succession d’0llivier Scliczon et de Jehanne du Tertre. (Archives de M. le vicomte Alain du Cleuziou)] avec Françoise de Kernec’hriou, dame dudit lieu et de Barac’h, veuve en premières noces d’Yves du Coskaër, sieur de Rosanbo [Note : La seigneurie de Barac’h, originellement possédée par des Tournemine de la branche de Botloy, était passée aux Kernec’hriou par le mariage de Raoul de Kernec’hriou avec Marguerite de Tournemine, héritière de la moitié de la seigneurie, mais dont le mari racheta l’autre moitié à la dame de la Claretière, soeur jumelle de sa femme. C’est une de leurs arrière-petites-filles, Françoise de Kernec’hriou, qui épousa en premières noces Yves du Coskaër, sieur de Rosanbo. Ses deux frères, Charles de Kernec’hriou, mari d’une fille de la maison de Ploeuc, et le sieur de Borzabat étant morts sans hoirs, elle était devenue l’héritière de Barac’h. — Barac’h resta propriété des du Coskaër pendant quatre générations, jusqu’à la mort de Joseph du Coskaër, conseiller honoraire du Parlement de Bretagne, survenue en 1690]. Cet Yves du Coskaër, procureur du roi à Tréguier, était mort en 1567. Il avait par conséquent été participant à l’achat de la plus grande partie de Keruzec aux dates successives du 18 juin 1551, 7 mars 1560 et 22 juillet 1563.

Qu’était donc cette seigneurie de Keruzec qui, en définitive, fut achetée en entier d’abord par les Kernec’hriou, puis par les du Coskaër, leurs successeurs à Barac’h ? Ayant ses « appartenances et dépendances » sur plusieurs paroisses, notamment sur celles de Pleumeur-Bodou, de Servel, de Perros-Guirec, de Trébeurden et de Brélévenez, elle avait son siège à mi-distance du menhir christianisé de Saint-Duzec et de la chapelle dédiée à ce même saint [Note : Cf. notamment l’aveu de la terre et seigneurie de Keruzec rendu le 5 novembre par Françoise de Kernec’hriou devenue la femme de Jehan de Clisson, sieur de Keraliou-Lezernant. Archives départementales de Loire-Atlantique, B. 1645].

Il est vraisemblable que son bâtiment principal avait pu être qualifié de manoir à l’époque des seigneurs portant le nom de Keruzec ; car il renfermait une chapelle privative dédiée à Saint Duzec. Mais Keruzec ne présentait ni fortifications ni défenses. Quand les sires de Coëtmen (Voir René Couffon, Quelques notes sur les seigneuries de Coëtmen et leurs prééminences) en furent devenus propriétaires, ils le transformèrent en un des greniers recevant les rentes en grains de la seigneurie de Tonquédec et de ses annexes.

Mais la seigneurie de Keruzec, à la suite du mariage de Gillette de Coëtmen [Note : Celle-ci avait hérité de son frère, mort sans hoirs vers 1494] avec Jehan d’Acigné, était passée aux mains de cette famille, puis en celles des Cossé-Brissac [Note : L’arrière-petite-fille de Gillette de Coëtmen, Judith d’Acigné, fille unique de Jehan d’Acigné et de Jehanne du Plessix, avait épousé en 1579 Charles de Cossé-Brissac, qui sera maréchal de France en 1591 et duc de Brissac en 1621, l’année même de sa mort]. Ceux-ci (Acigné et Cossé-Brissac), parce que leurs principaux domaines étaient éloignés de la région lannionnaise, n’attachaient à leur propriété de Keruzec qu’un intérêt relatif.

Il semble bien, d’autre part, que, par suite de dépenses exagérées, ils aient dû contracter des emprunts onéreux, notamment auprès des Kernec’hriou, alors seigneurs de Barac’h. dont l’héritière Françoise épousa en premières noces Yves du Coskaër, seigneur de Rosanbo, procureur du roi à Tréguier [Note : D’abord à Lannion, puis à Tréguier à partir de 1564, quand la juridiction royale y eut été transférée], et en second mariage Jehan Scliczon, sieur de Keraliou. Le remboursement de leurs dettes leur ayant été demandé aux moments les moins opportuns, les débiteurs durent se résigner à vendre par portions la seigneurie de Keruzec.

Sa totalité passa ainsi aux mains des seigneurs de Barac’h en quatre transactions datées du 18 juin 1551, du 7 mars 1560, du 22 juillet 1563 et du 10 septembre 1620, les trois premières consenties par Jehan d’Acigné, la dernière par le maréchal de Cossé-Brissac.

Les seigneurs de Barac’h, bénéficiaires de ces acquisitions, avaient été Françoise de Kernec’hriou, évidemment soutenue et dirigée par son mari Yves du Coskaër [Note : René Le Borgne du Goazven, petit-fils de Gilles Le Borgne, qui intenta en 1628 le procès dont il est ici question, reprenant une tradition ancienne dans sa famille et dans les familles nobles de la région lannionnaise, affirma qu’Yves du Coskaër avait su joindre à ses fonctions de procureur du roi celles, par personnes interposées, de fermier du domaine royal de Lannion — ce qui lui aurait permis de pratiquer impunément d’immenses accaparements au préjudice du souverain. (Cf. Requête au Roi signifiée le 7 janvier 1686. — Archives départementales des Côtes-d’Armor, E. 3017). Plus tard, en 1734, dans un Mémoire, rédigé par M. Roussel, avocat, pour Louis Le Peletier de Rosanbo, président à mortier du Parlement de Paris, et fils du premier président de ce Parlement, seul et unique héritier de Joseph du Coskaër, arrière-petit-fils d’Yves du Coskaër, contre l’Inspecteur des Domaines, qui le poursuivait pour les usurpations de ses ancêtres sur le domaine royal, cette assertion fut contestée sans que la réfutation en ait été bien probante. (De l’Imprimerie de veuve Merge, rue Saint-Jacques au Coq, 1734. — Bibliothèque Nationales, 8° F en 9572, dans folio 3)], mort en 1567, puis leur fils François Ier du Coskaër, sieur de Barac’h et de Rosanbo [Note : François (Ier) du Coskaër avait épousé, le 8 juin 1586, Marie de Kerc’hoent, fille d’Olivier de Kerc’hoënt sieur de Kergounadec’h et de Marie de Ploeuc].

La date de la mort de François Ier du Coskaër n’est pas connue avec certitude, mais elle survint au plus tard en 1624, année durant laquelle son fils, François II du Coskaër, également sieur de Barac’h et de Rosanbo, présenta minu et aveu devant la juridiction royale de Lannion pour se faire reconnaître la possession des seigneuries de Barac’h, Kerimel, Cabatous, Keruzec et le Pré, ainsi que de très nombreux droits qui paraissent avoir été contestés à son père [Note : Cf. Réception d’aveu de François du Coskaër, sieur de Barac’h, par la Chambre des Comptes de Nantes, qui ordonna une enquête (27 mai 1626), — Archives départementales de Loire-Atlantique, B. 2375, f° 44, sur sentence interlocutoire du siège de Lannion, le 6 mai 1624, à la requête de Maurice Calloët de Keravezec, procureur du roi. — Enquête diligentée par Aufroy Coaill, juge de Lanmeur. (Archives départementales des Côtes-d’Armor, E. 1483). — Réception définitive d’aveu du seigneur de Barac’h, Archives départementales de Loire-Atlantique, B. 2375, fos 47 et 48 (souscrite des signatures des conseillers de Harouy et F. Boizlègue)].

C’est ce François II du Coskaër [Note : François (II) du Coskaër avait épousé Marguerite du Parc, fille de Louis du Parc, sieur de Locmaria, et de Françoise de Coatredrez] qui allait avoir à faire face à diverses accusations d’usurpations reprochées à ses prédécesseurs et à lui-même.

Bien que je n’aie trouvé le texte d’aucune plainte dirigée contre lui par un bourgeois de Perros-Guirec, nommé Bertrand Esmangard [Note : Malgré mes recherches, je n’ai pu identifier ce bourgeois de Perros, qui interviendra encore dans le procès en usurpations qu’intentera Gilles Le Borgne à François (II) du Coskaër], qui sera plus tard présenté comme un « serviteur » de Gilles Le Borgne, il n’est pas moins exact qu’il en avait rédigé une [Note : Voir Requête au Roy de René Le Borgne (Archives départementales des Côtes-d’Armor, E. 3017) et Mémoire de l’avocat Roussel en 1734 (Bibliothèque Nationale, loc. cit.)].

De la présentation - d’aveu à la Chambre des comptes le 17 mai 1627, on peut aisément déduire quelles accusations avaient été portées et retenues.

Veu par la Chambre la requeste présantée en [... ] par messire François de Coskaër, sieur de Barac’h, par laquelle il remonstroit qu’en exécution de l’arrest avant procéddé donné le XXIIe may MVIcXXVI (Voir Archives départementales de Loire-Atlantique, B. 2375, folio 44 recto et verso) sur la requeste par luy cy devant présantée affin de perception des revenus (?) des terres et seigneuries de Barac’h, Kerimel, Cabatoux et le Pré [Note : Le siège des seigneuries de Barac’h et de Cabatoux (ou Cabatous) était à Louannec ; celui de la seigneurie de Kerimel à Kermaria-Sulard, trêve de Louannec ; celui de la seigneurie de Keruzec à Pleumeur-Bodou ; celui de la « provosté » du Pré en Brélévenez — sous la juridiction royale de Lannion], il a fait procédder à information devant les juges et officiers de Lannyon en présance du substitut du procureur général audict lieu pour la vériffication tant des qualitez ou chastelenyes desd. maisons de Barac’h, Kerimel et Cabatoux, et le droict de haute, moïenne et basse justice en la terre du Pré, justice à quatre pilliers des maisons de Barac’h, Keruzec et le Pré et le droict de pescherie employé ausd. adveu et faict faire procez-verbal des marques et vestiges desd. chasteaux et de lad. justice patibulaire. Ensemble les tiltres, banq, tombes et aultres marques de prééminances, droictz honnorificques et fondations prétanduës par led. de Cozkaër aux églizes [Note : Archives départementales des Côtes-d’Armor, E. 1483. — Il apparaît, à la lecture du procès-verbal rédigé par Aufroy Coaill, juge de Lanmeur, que François (II) du Coskaër eut le talent de faire entendre surtout des témoins qui lui étaient favorables et dont les assertions furent parfois contredites par les témoignages qui furent recueillis au cours de l’enquête conduite en 1628 par le conseiller au Parlement Pierre Poussepin] mantionnés ausd. adveuz et de la pocession immémoriale [Note : C’est-à-dire antérieurement aux quarante dernières années] desd. droictz et [aussy] vérifié que les héritaiges sittuez au quanton appellé la Cordée de Lannyon sont exemptz de lodz et vantes et rachaptz [Note : La ville de Lannion dépendant à peu près par moitié du domaine du roi (Archives départementales des Côtes-d’Armor, A. 51) et de la seigneurie du prieuré bénédictin de Kermaria an Draou (ibid., H. Prieuré de Kermaria an Draou, carton et liasse, non cotés, et Léon Dubreuil, Le Prieuré de Kermaria an Draou, Mémoire Société d’Emulation des Côtes-d’Armor, t. LXXXVI, 1957, pp. 94 à 115). Sur le domaine du roi, qui s’étendait aussi sur plusieurs paroisses voisines de Lannion et empiétait même parfois sur certaines fractions du fief bénédictin, était perçu un droit de taille de cens, qui exemptait des lods, ventes et rachats. Ce droit de taille, qui dérivait plutôt d’une coutume que d’un acte royal, était assez peu élevé. Il était payé au prévôt de Trorozec (Trorozec, petite seigneurie de la paroisse de Loguivy-les-Lannion, voisine de celle de Kergomar)] et que la métayerie du Pré employée ausd. adveuz et sous lad. cordée et de la franchise qu’il prétand pour une maison de cuisage de pain [Note : Evidemment un four banal à la suite duquel étaient astreints les vassaux, « moutaux et détaignables » dans la banlieue, soit 4.466 mètres. (Cf. H. Sée, Les classes rurales en Bretagne du XVIème siècle à la Révolution, p. 132)] au moïen de quoy et des tiltres justiffians desd. droictz, led. de Coskaër requeroit qu’il plaise à lad. Chambre ordonner que lesd. adveuz du XXIIe may MVIcXXII et du XXVIIème du mesme moys MVIcXXVI [soient enregistrez] puremant et simplemant en la forme qu’ilz sont comme plus au long lad. requeste le contient, lesdits adveuz du XXIIème may MVIcXXII et XXVIIème du mesme moys MVIcXXVI, led. arrest du XXVIIème may aud. an MVIcXXVII, deux requestes, la première devant le séneschal de la juridiction de Lannyon, présant le substitut du procureur général du Roy aud. lieu, le vingt quatème mars MVIc vingt sept et l’autre faicte par devant le lieutenant de lad. jurisdiction du XXIe avril aud. an [Note : Il apparaît dès lors que l’enquête antérieure, confiée à Aufroy Coaill, juge de Lanmeur, avait pu être provoquée par François (II) du Coskaër, qui avait quelque raison de redouter les enquêtes ordonnées par la Chambre des Comptes], l’ottorisation du duc Jan [Note : Jean V, qui avait succédé en 1399 à son père Jean IV] du sixème mars MIVc portant submission à Guillaume de Tournemine, chevallier, sieur de Barac’h [Note : Antérieurement aux Kernec’hriou, la seigneurie de Barac’h avait appartenu à des membres de l’illustre famille des Tournemine, vicomtes de la Hunaudaye, de la branche de Botloy, en Pleudaniel, près de Lézardrieux. Ils y étaient établis dès le XIIIème siècle, car c’est un membre de cette famille, évêque de Tréguier de 1285 à 1300, Geoffroy, qui, en 1293, appela saint Yves à la cure de Louannec. A la mort de Raoul de Tournemine, la seigneurie de Barac’h fut partagée entre ses deux filles jumelles. Celle qui avait épousé un seigneur de La Claretière, sans doute du Comté Nantais, consentit à vendre la moitié de la seigneurie qui lui avait été attribuée à sa soeur Marguerite, épouse d’un sieur de Kernec’hriou], de construire certaines pescheries et [acte de] confirmation de la concession desd. pescheries octroyée par [led.] duc Jan du XVIème octobre MIVc trante sept, signant par le duc de son commandemant Couynon, — acte de bail par le droict de cuisage [Note : On peut se demander, en raison de cette erreur orthographique, s’il n’y a pas eu confusion parfois entre un certain droit de « cuissage », dont je n’ai jamais trouvé mention dans les aveux, et le droit de « cuisage », qui n’est pas autre chose que le droit de suite de four] de pain en la ville de Lannyon faict entre Louis Le D[antec], sieur de Tromorgant [Note : La petite seigneurie de Tromorgant avait son siège à l’est de la paroisse de Perros-Guirec. Des Le Dantec la possédaient encore à la fin du XVIIème siècle], et [...] du vingt deuxeme novambre MVIc dix neuf portant que led. Le [Dantec] (?) et le sieur du Pré [Note : La prévôté du Pré, en Brélévenez, avait été acquise par un seigneur de Barac’h de sa propriétaire demeurée veuve, N. de Lanrun, dame de la Pallu (ou de la Palluelle)] doibvent estre alternativement préférez à tout autre à cuire le pain au four à ban de lad. ville [Note : Il s’agit du « four à ban » du Roi, situé venelle du Four (aujourd’hui rue de la Tour-d’Auvergne ou rue du Guesclin), à Lannion. La prévôté du Pré dépendait du domaine royal. (Archives départementales des Côtes-d‘Armor, A. 51). Tout auprès se trouvait le four banal du prieuré de Kermaria an Draou] ; roole et esgail de la somme de quarante huict livres monnoye de rante par chacun an en la cordée et provosté de Lannyon en considération de l’examption des debvoirs de vantes et rachaptz en icelle dattée du dix neufeme jour d’avril mille six centz dix sept, signé Kerimoal. — Conclusions du procureur général du Roy et tout considéré la Chambre a ordonné et ordonne que lesd. tiltres seigneuriaux de Barac’h, Kerimel et Cabatoux demeureront amployés ausd. adveuz au tiltre de chastelenyes avecq lesd. droictz de justice à quattre pilliers et de pescherie à lad. chastelenye de Barac’h [Note : Ce document — comme beaucoup d’autres — prouve que Barac’h ne fut jamais qu’une chatellenie et qu’il est tout à fait erroné qu’on puisse, au XVème siècle, parler d’un marquis de Barac’h, fondateur de la chapelle de Notre-Dame de la Clarté. La confusion vient de ce que le premier président du Parlement de Paris, Louis Le Peletier, devint, en 1693, garde naturel et tuteur du fils (Louis II) que lui avait donné sa femme, Geneviève du Coskaër, unique héritière de Barac’h et de Rosanbo, morte trois ans après son père, et de ce que le roi Louis XIV érigea la terre de Rosanbo, en Lanvellec, en marquisat en faveur du fils de ce premier Président. Mais la seigneurie de Barac’h ne fut jamais qu’une châtellenie] sans touttefoys que le supliant ou ses successeurs puissent relever les fortiffications desd. chasteaux à présant ruinés que par Lettres du Roy deubmant vériffyés. — A débouté et déboute led. supliant du droict de haulte moïenne et basse justice par luy prétanduz à cause de lad. maison du Pré quy seront rayez desd. adveuz et avant faire droict du surplus ordonne que dans six mois par devant le premier des [...] trouvez sur les lieux ou [...] premier des juges royaulx desd. lieux et non que ceulx de Lannyon, en présance du substitut du procureur général led. supliant informera plus amplemant suivant led. arrest du XXVII de may MVIc vingt-six de sa pocession immémorialle desd. préeminances et fera faire procez-verbal par description specifique de l’estat des tombes prohibitives, bancz armoyez et aultres marques et intersignes desd. prééminences et justifira les droictz de fondation qu’il prétend en l’esglize de Sainct Quay et chappelles de Sainct Méen [Note : Chapelle située en Saint-Quay-Perros] et Nandouar [Note : Chapelle alors à peu près ruinée, dédiée à saint Guirec. Le lieudit, où aujourd’hui s’élève un phare, porte le nom de Nantouar (sans doute déformation de Landouar)] et aultres mantionnez ausd. adveuz ; — Ensemble l’examption de la cordée de Lannyon du droictz de lotz, vantes, rachaptz et le privilège qu’il prétand d’un fournil de [...] au four à ban du Roy le [...] exampt du droict de cuissage, — Pour lesd. enquestes, procez-verbal et tiltres, raportz et communiquez aud. procureur général estre ordonné ce qu’il apartiendra ; — Ordonne la Chambre que les rooles ou esgail des rantes debues à Sa Majesté sur lad. Cordé de Lannyon rep[rése]nté par led. supliant sera mis en l’armoire du domaine dud. Lannyon et adiousté à l’invantaire d’icelle pour y avoir recours quand besoing sera, sauff à luy d’estre dellivré extraict ou copye, lorsqu’il le requerrera. Faict en la Chambre des Comptes à Nantes ce dix septeme jour de may mil six cent vingt sept. De Harouy, F. Boylegue (Archives de Loire-Atlantique, B. 2375, folios 47 et 48).

Cette ordonnance de la Chambre des comptes était loin de donner toutes les satisfactions que pouvait souhaiter François II du Coskaër et ouvrait le champ à bien des contestations.

Elle ne pouvait le surprendre. La plainte d’Esmangard, déposée au greffe de Lannion, avait été accueillie et, en 1626, la juridiction royale de cette ville, sur sentence interlocutoire, avait ordonné au seigneur de Barac’h de communiquer les titres de propriété de ses landes, lui avait défendu de rien innover et avait autorisé Esmangard à faire publier des monitoires. En conséquence de cette sentence, une enquête avait donc été confiée à Aufroy Coaill, juge de Lanmeur, enquête, qui, malgré les efforts qu’il avait déployés, n’avait pas été aussi favorable à François II du Coskaër qu’il l’aurait souhaité.

L’ordonnance de la Chambre des comptes de Nantes lui ayant été aussi défavorable sur certains points, il avait interjeté appel devant le Parlement de Rennes.

Le procureur du roi au siège de Lannion, qui avait joué un rôle primordial dans cette affaire, bien au courant de ce qui se passait dans le pays, Maurice Calloët de Keravezec, était loin d’être favorable à François II du Coskaër. Bertand Esmangard et ceux qui l’avaient poussé à une intervention en apparence désintéressée pour défendre les droits du roi et subsidiairement ceux de plusieurs seigneurs prêts à contester les prétentions du seigneur de Barac’h à certaines importantes prééminences d’églises et de chapelles [Note : Telles que les droits de foire et de marché à certaines époques ou fêtes déterminées], ne tardèrent pas à être informés des graves objections de la Chambre des comptes et de la nécessité de nouvelles enquêtes.

Il suffisait d’un incident, même peu considérable en apparence, pour susciter au seigneur de Barac’h de nouvelles querelles. Il ne pouvait manquer de se produire, étant donné l’avidité connue et fort redoutée qu’il avait héritée de ses ancêtres. Mais Esmangard manquait d’importance et probablement aussi de ressources : il fallait l’épauler et même le suppléer.

Les acquisitions de la seigneurie de Keruzec par Yves et François Ier du Coskaër avaient fort indigné d’abord ceux qui y avaient été contraints, c’est-à-dire les Acigné et les Cossé-Brissac bien qu’ils eussent trouvé cette seigneurie lointaine. Mais ils n’avaient pas pardonné aux Coskaër, successeurs des Kernec’hriou, le taux usuraire de leurs prêts et l’obligation où ils s’étaient trouvés de vendre en des temps où ils étaient dans l’incapacité de les rembourser. Or un membre de la famille de Cossé-Brissac était alors abbé commendataire de l’abbaye bernardine de Bégard [Note : Quoique Benjamin Jollivet, Les Côtes-du-Nord, III, pp. 149­153, ne mentionne Alexandre de Cossé comme abbé de Bégard qu’en 1675, il convient, d’avancer notablement son abbatiat, puisqu’il est représenté à l’enquête de 1628 par maître Gabriel du Foc, avocat et procureur à Lannion]. Les terres de la seigneurie de Penlan, membre principal de cette abbaye, se trouvaient ainsi voisines de celles du seigneur de Barac’h. Celles du seigneur de Kerduel [Note : Le seigneur de Kerduel était alors Claude Hingant, époux d’Anne de Leshildry. Il était également seigneur de Crec’halsy, en Ploubezre, où s’exerçait le droit de la viande au Gluidicq, dont la nature m’échappe, et du Faou, en Serve!. (Cf. Archives départementales de Loire-Atlantique, B. 2375). Les archives des Côtes-du-Nord (aujourd’hui Côtes-d’Armor) ne possèdent qu’un très maigre dossier (E. 1899) relatif à la seigneurie de Kerduel qui, en l’occurence, ne m’a été d’aucune utilité] le devenaient également.

Or voici que François II du Coskaër lui contestait le droit de fondation de l’église paroissiale de Pleumeur-Bodou [Note : Le recteur de Pleumeur-Bodou était alors Thépault du Rumelin, chanoine de Tréguier et futur fondateur du séminaire de cette ville, confié aux Lazaristes de saint Vincent de Paul. Etant apparenté à M. Thépault de Leinquelvez, procureur du seigneur de Barac’h, il ne fut pas interrogé lors des diverses enquêtes. Il sera reproché au seigneur de Barac’h d’avoir fait en quelque sorte « truquer » la maîtresse vitre de l’église de Pleumeur-Bodou pour y faire figurer ses « marques et intersignes ». L’artisan, qui fut entendu à cette occasion, fit observer qu’un travail moderne subreptice se distinguait aux yeux des gens de l’art dans « le travail ancien »].

Bien que les sires de Lannion, plus préoccupés de leurs attaches et de leurs propriétés morbihannaises, ne possédassent plus guère de domaines en Trégor, ils conservaient jalousement la petite seigneurie du Cruguil [Note : C’est par le mariage au XIVème siècle de Briand (II) de Lannion, mort en 1384, avec Marguerite du Cruguil, que cette seigneurie est entrée dans la maison des sires de Lannion. Durant six siècles elle n’a cessé d’être transmise par héritage], en Brélévenez. Ils estimaient avoir, eux aussi, à se plaindre des empiétements du seigneur de Barac’h sur leurs terres et des tentatives qu’il faisait pour soumettre à sa mouvance des vassaux qui n’en relevaient pas [Note : Le seigneur du Cruguil était alors Pierre de Lannion, baron du Vieux-Chastel et de nombreux autres lieux, gouverneur pour le roi des villes et château d’Auray et de Vannes. Il possédait aussi la seigneurie de Kerougant (ou Kerouc’hant), en Trégastel, à proximité de Perros-Guirec, et quelques terres à Servel. Pierre de Lannion était le fils de Claude de Lannion, mort vers 1621, et de Renée de Quélen. Il avait épousé Renée d’Arradon et avait succédé à son beau-père dans toutes ses propriétés, titres et honneurs].

Il existait alors en Trégor de vastes étendues incultes : landes, garennes, issuës et autres terres décloses. Or la coutume de Bretagne, par son article 363, [Note : On pourra consulter sur cette question délicate des terres décloses : Essai sur le traité des Droits des communes des ci-devant vassaux inféodés, des afféagistes arrentataires et autres, sur les terres vaines et vagues, particulièrement en Bretagne, contenant l’examen des lois, des arrêts des autorités, d’après l’ancien et le nouveau droit (sans nom d’auteur, Nantes, Imp. Hérault, 51 pages) et Lemesle et L. Couprie, Législation ancienne et nouvelle concernant les terres vaines et vagues selon le droit général de la France et le droit spécial de la Bretagne (Nantes, Imp. Merson, 1837, 53 pages), ainsi que Jen Le Guével, Observations et notes (Ploërmel, Imp. du Gravier, 1846, 20 p.)] attribuait pour les enclore et en devenir possesseurs, au moins pour les deux tiers, un droit de préemption aux seigneurs de leur voisinage, comme anciens propriétaires présumés, sous la condition qu’elles se trouvassent englobées dans leurs terres ou qu’elles en fussent le plus proches. Mais il n’était guère courant, jusqu’au XVIIème siècle, que les seigneurs voisins de ces terres vagues eussent songé à les enclore. Elles étaient d’ordinaire considérées comme des terres communales laissées à la disposition des populations pour le pacage de leurs bestiaux et dont l’eau des sources et des douets était utilisée par tous soit pour le breuvage des animaux et des hommes, soit pour le rouissage des chanvres et des lins. Elles étaient parfois gérées par les généraux de paroisse, dont l’autorité réelle, sinon légale, était ménagée par les seigneurs suzerains, désireux de ne pas les mécontenter.

Pour faire figure contre François II du Coskaër devant le Parlement de Rennes, il appartenait à ses adversaires de trouver de solides répondants. Le prétexte invoqué fut une minuscule affaire de « fosseyage » [Note : Ce sont les talus qui, en Basse-Bretagne, portent le nom de fossés ; les fossés sont appelés douves]. C’est d’elle que naquit le grand procès qui s’éternisa de 1628 à 1713 et ne se termina que par le désistement de l’arrière-petit-fils de celui qui l’avait provoqué. L’instigateur en était un modeste seigneur, Gilles Le Borgne, sieur du Goazven, en Brélévenez, et de Kaeraziou, en Trébeurden. C’est en cette dernière qualité qu’il était vassal de la seigneurie de Penlan, c’est-à-dire de l’abbaye de Bégard. Dans un acte de « foi et hommage », au roi, en date du 5 novembre 1618, il est seulement qualifié d’ « homme d’armes de la compagnie d’ordonnance du duc de Vandosme » [Note : Archives départementales de Loire-Atlantique, B 2140, f° 361.— Le duc de Vendôme était alors César de Vendôme, bâtard de Henri IV et de Gabrielle d’Estrées, auquel le duc de Mercœur avait dû donner sa fille en mariage].

Si on l’en croit, ce fut la vue de « certains Lamballays... [Note : Les Lamballais — artisans de Lamballe et de sa région étaient réputés pour la manière habile dont ils construisaient de solides « fossés »] fosseyant » à petite distance de Kaeraziou [Note : Gilles Le Borgne n’habitait pas le manoir de Kaeraziou qui était affermé (Archives départementales des Côtes-d’Armor, H. Penlan, 132), mais le Goazven. S’il s’est trouvé sur les lieux c’est parce qu’il avait été informé soit par le fermier de Kaereziou, soit par d’autres habitants de Trébeurden, très opposés aux « novations » des du Coskaër] qui l’aurait déterminé à intenter procès. Les du Coskaër étaient accusés d’avoir commis tant d’usurpations et de clôtures que cet incident fut, si l’on peut parler ainsi, « la goutte d’eau qui fit déborder le vase ».

Il est néanmoins peu probable que Gilles Le Borgne eût osé s’attaquer à si forte partie s’il n’avait été encouragé par les agents de Penlan, de Kerduel et du Cruguil, organes de leurs maîtres, et si tous n’avaient su que les du Coskaër avaient, comme chicaniers et comme usurpateurs, très mauvaise renommée tant à la barre royale de Lannion qu’au Parlement de Bretagne [Note : Cf. Devolant, Recueil d’arrests rendus au Parlement de Bretagne, t. II, p. 162. — « 1627. Les ventes d’un contrat, faict à faculté de racquit, sont dues et appartiennent au Fermier qui estoit lors de la célébration du contrat. — Arrest du 2 décembre 1627 au profit de la veuve du feu sieur du Rocher-Portal contre messire François Cosqer, sieur de Barac’h, confirmatif de sentence donnée à Lannion le 23 janvier 1627. — Plaidans Chapel et Le Liepvre »].

D’ailleurs Gilles Le Borgne ne croyait-il s’engager qu’à bon escient, ayant fait au préalable avec Pierre de Lannion et Claude Hingant de Kerduel un traité d’association, dont il est essentiel de donner copie [Note : On en trouvera la copie dans E. 3017 (Archives départementales des Côtes-d’Armor) sous le titre : « Copie du traité d’association d’entre les seigneurs barons du Vieux-Chastel, de Kerduel et du Goazven, au sujet des landes des paroisses de Trébeurden, Ploemeur et Trégastel contre le seigneur de Barac’h »]. Il est daté du 1er mai 1628 [Note : Gilles Le Borgne devait mourir en 1629. Le procès se continua d’abord sous son fils Pierre Le Borgne, son « héritier principal et noble », puis sous son petits-fils, René Le Borgne, fils aîné de Pierre Le Borgne, qui mourut en 1691. Désistement en fut donné en 1713 par le fils de celui-ci, missire Joseph-Joachim Le Borgne, recteur de Cavan, avec l’assentiment de sa soeur Marie-Anne Le Borgne, dame de Trémaria. — Le 5 novembre 1618, faisant la foi et l’hommage au Roi en la Chambre des Comptes de Bretagne, Gilles Le Borgne se déclare « escuyer » et possesseur du lieu et manoir de Querguennou en Selvel [Servel), du lieu et manoir de Kerguien ainsi que du moulin et du convenant du même nom avec leurs appartenances et dépendances en Perros-Guirec et du « moulin Bescond » avec des prééminences dans les « esglises parrochiales » de Lanyon et autres (Archives départementales de Loire-Atlantiques, B. 2410, f° 361). Mais il avait d’autres seigneuries pour lesquelles il ne devait pas l’hommage au roi, telles le Goazguen (ou Goazven) en Brélévenez et Kaeraziou en Trébeurden].

Entre noble et puissant messire Pierre de Lannion, baron du Vieux-Chastel, etc. messire Claude Hingant, seigneur de Kerduel, Keralzy, Le Fau, etc., et escuyer Gilles Le Borgne, seigneur du Goazven, Kerguennou, Keraziou, etc., soubsignants, ont été grées et accordées les pactions et convantions cy-après, telles que, au nom dud. sieur du Goazven et autres qu’il advisera d’interposer, seront opposées et empeschées par touttes voies tant civilles que criminelles les novalités, usurpations et entreprises faites ou que pouroit faire cy après Mre Françoys du Coskaër, sieur de Barac’h, tant à la closture et envahissemant des landes, issuës et communs en Trégastel, Ploemeur-Bodou et Trebreden [Note : Jadis orthographié Trépardan dans une charte dont fait état l’abbé Guillotin de Corson (Les Templiers et les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, dits chevaliers de Malte de Bretagne). Trébeurden est d’ordinaire orthographié Tréberden et mieux Trebreden au XVIme et au XVIIème siècle] que des tiltres et qualités de chastelain et seigneur haut justicier de plusieurs siennes terres comme aussy des droits de sécherie et de pescherie, patron fondateur de plusieurs églises paroissialles et chappelles esd. parroesses, et outre de ce qu’il a fait depuis pour ériger des fourches patibulaires à quattre paux [Note : Pots (de potence) ou pluriel de pal, pieu] ès lieux où il n’y en eust oncques ou que cy-après il en voudroit faire planter ou ériger en aucune desd. parroesses ny en celle de Brélevenez, Servel ou Saint-Quay ou Louannec, ou générallement touttes autres usurpations, novalités ou entreprises faites ou à faire par led. sieur de Barac’h, en conséquence des adveux et inféodations que luy et son feu père [Note : François (Ier) du Coskaër, qui épousa, le 8 juin 1586, Marie de Kerc’hoent et mourut en 1624] et autres ses prédécesseurs auroint pu randre en la Chambre des Comptes de Nantes ou ailleurs au préjudice du Roy et du publicq et des droits particuliers des seigneurs de Vieux-Chastel, de Kerduel et du Goazven et aussy contre l’ancienne liberté et à la foule et oppression de leurs sujets, hommes [Note : Le mot hommes se rapporte ici aux propriétaires roturiers de droits fonciers et convenanciers qui, dans leurs aveux, minus et déclarations, se déclarent « hommes et vassaux » de tel seigneur auquel ils payent d’ordinaire une faible chefrente, en signe de vassalité], colons [Note : Les colons sont les propriétaires des droits superficiels et réparatoires des convenants à domaine congéable selon l’Usement de Tréguier et de Goëllo. (Cf. « Traité des Domaines congéables à l’Usement de Tréguier et comté de Goëllo, composé et rédigé par écrit par Ecuyer F. De Rozmar, avocat au Parlement, originaire dudit pays «, dans Léon Dubreuil, Les Vicissitudes du Domaine congéable en Basse-Bretagne à l’époque de la Révolution, t. I, pp. 99 à 111). — Dans le cas présent ce sont les seigneurs qui sont possesseurs des droits fonciers et convenanciers] et fermiers et seront touttes instances jà meucs ou à mouvoir aux fins cy-dessus, sequelles et dépandances suivies jusques à un arrest de la Cour et jugement deffinitif sans que lesd seigneurs de Vieux-Chastel, Kerduel ny du Goazven en puissent composer, traiter ny accorder ou aucunemant se désunir de la presante association sans l’exprès et unanime consantemant de touts les quo-associés parce qu’ils contribueront chacun d’eux par une tierce partie en l’évennemant desd. actions et oppositions et contribueront à la mesme raison et portion aux frais et despans, tant en demandant qu’en deffendant, que feront led. sieur du Goazven et autres qu’il interposera, dont il sera creu à son sermant. Et néanmoins, si d’autres personnes entrent cy-après en la prèsante association, telles promesses de contribuer ausd. frais et évennemants desd. actions qui s’en pouront obtenir tourneront jusques à ceste concurançe au commun acquit des charges et proffit de tous les quo-associés, et advenant que par leur premesse ou autre plus prisme ils peuvent parvenir au retrait lignager de la terra et seigneurie de Keruzec en conséquance du nouveau transport et vante que M. le duc de Brissac et feu M. le Mareschal son père auroint fait au deffunct père dud. sieur de Barac’h par contrat du dixiesme jour de septembre 1620 [Note : Le droit de retrait lignager, qui avait surtout cours dans les provinces de droit coutumier, permettait aux parents du vendeur de rentrer en possession du bien aliéné à un acquéreur non lignager, mais seulement pendant un délai fixé d’ordinaire à un an et un jour. Dans le cas présent, ce droit pouvait être exercé par le duc de Brissac, fils du maréchal, ou même par Alexandre de Cossé, abbé commendataire de Bégard, moyennant le remboursement de la seigneurie de Keruzec. Mais la vente de la dernière partie de cette seigneurie remontait à 1620 et l’on était en 1628], lesd. seigneurs de Vieux-Chastel, Kerduel et du Goazven fourniront les deniers nécessaires chacun selon son pouvoir pour faire le remboursemant du sort principal et loyaux couts, frais, mises et touts accessoires dud. retrait lignager pour le tottal de lad. terre de Keruzec [Note : Sur la seigneurie de Keruzec, voir Archives départementales des Côtes-d’Armor, E. 1497 à 1508] estre partagé à lad. proportion de ce que chacun aura déboursé selon l’évaluation qui en sera faite entr’eux et contribueront esgallemant lesd. quo-associés aux frais qu’il conviendra faire pour parvenir aud. retrait lignager, touts lesquels points et convantions cy­dessus ils ont promis et juré tenir fournir et entérinner inviolablemant en foy de gentilshommes et, sur l’ippotèque et obligation de touts et chacuns leurs biens meubles et immeubles présants et futurs. En témoin de quoy ils ont signé ceste au manoir du Cruguil le premier may mil six cents vingt et huict. Ainsy signé : Pierre de Lannion [Note : Faut-il faire remarquer que Pierre de Lannion ne prend le titre ni de « seigneur » ni de « comte de Lannion » que porteront plusieurs de ses descendants ? Ce ne pouvait être pour reprendre les mots du jurisconsulte Pierre Hévin, qu’une « énonciation respectueuse ». Etant donné l’adage « nulle terre sans seigneur, nul seigneur sans terre », les sires de Lannion auraient dû posséder « le comté de Lannion ». Or ce comté n’a jamais existé, Lannion étant partagé entre le domaine royal au titre de châtellenie et le prieuré de Kermaria-an-Draou], Claude Hingant, Gilles Le Borgne.

Quel avait été le motif initial de cette association ? On l’a sommairement indiqué précédemment : il s’agissait de faire front devant l’appel du seigneur de Barac’h au Parlement de Rennes. Bertrand Esmangard que François Ier du Coskaër ne manqua pas de présenter comme un « domestique » de Gilles Le Borgne était hors d’état d’engager les démarches incessantes que nécessitaient alors les procès et de supporter les frais de telles instances au cours desquelles se multipliaient les incidents de procédure.

Il est d’ailleurs inutile d’entrer dans leur détail. Il suffira de savoir que, le 12 juillet 1628, le Parlement ayant, par un arrêt, évoqué le fond du procès, ordonna au conseiller Pierre Poussepin de faire une enquête à Rennes et sur place, aux frais d’Esmangard et de Gilles Le Borgne, qui n’avait découvert ni le seigneur du Cruguil et du Vieux Chastel, ni le seigneur de Kerduel. A quoi François II du Coskaër, pensant éviter l’enquête, appelait « comme d’abus » contre cet arrêt.

L’enquête devait néanmoins avoir lieu du 7 août au 3 septembre 1628.

Le choix du conseiller Pierre Poussepin semblait avoir été de nature à rassurer les antagonistes sur son impartialité. Mais qui la souhaitait vraiment ?

Fils de noble homme Pierre Poussepin, sieur d’Aunoy, devenu vers 1573 notaire et secrétaire du roi, et de demoiselle Marie Le Court, le conseiller Pierre Poussepin était né à Paris, sur la paroisse Saint-Gervais, entre 1574 et 1581 : il comptait au nombre des conseillers non originaires [Note : On distinguait, en effet, entre les conseillers nés en Bretagne, les originaires, et ceux qui étaient nés en dehors de la province, les non-originaires. Les charges de ceux-ci étaient frappées d’une sorte de discrédit et se vendaient moins cher que celles des originaires. Les non-originaires pouvaient présenter plus de garanties d’impartialité que les originaires. Mais il faut avouer que le plus souvent les plaideurs recherchaient moins la justice que la bienveillance, même inique, du Parlement : les exemples abondent. — Parmi les nombreux ouvrages consacrés au Parlement de Bretagne, je me bornerai à citer, bien qu’il traite d’une époque postérieure, celui de A. Le Moy, Le Parlement de Bretagne et le Pouvoir royal au XVIIIème siècle]. Sa famille parisienne paraît avoir été dans le commerce et quelques-uns de ses membres anoblis par les charges qu’ils avaient achetées. Pierre Poussepin avait acquis, le 26 août 1603, la charge au Parlement de Rennes du conseiller Le Gras et avait été reçu le 15 juillet de l’année suivante [Note : Cf. Fr. Saulnier, Le Parlement de Bretagne, 1534-1789, t. II, pp. 730-731. — Le conseiller Pierre Poussepin portait d’azur à la fasce d’argent accompagnée en chef de trois étoiles d’or, et en pointe d’un lion léopardé de même].

Il n’avait que peu d’attaches avec la province, les conseillers originaires tenant à distance ceux qui ne l’étaient pas. D’ailleurs ils se connaissaient peu entre eux, beaucoup résidant dans leurs terres plus longtemps qu’ils ne l’auraient dû.

Etait-il incorruptible ? Rien ne permet de dire le contraire. Mais, du fait que les plaideurs intriguaient, faisaient intervenir, il est toujours difficile de répondre à une telle question. Les perdants ne se faisaient pas faute de crier à l’injustice.

Tout de suite il apparut que, dans le procès que lui avaient intenté Gilles Le Borgne et Bertrand Esmangard, bien qu’ils ne fussent en apparence que les défendeurs dans l’appel introduit par François II du Coskaër, celui-ci ne pouvait compter chez les enquêteurs sur aucun appui, tandis que ses adversaires se targuaient de nombreuses interventions en leur faveur.

Si tous les représentants des antagonistes n’assistèrent pas à la première phase de l’enquête, qui débuta à Rennes, le lundi 7 août, tous se trouvaient à Lannion le 16 et suivirent Pierre Poussepin dans tous ses déplacements à travers les paroisses où des constatations avaient été soulevées : toute une nuée de procureurs et d’experts.

D’abord les personnages principaux : maître Jean Derval, procureur de Gilles Le Borgne ; maître Jacques Gaësdon, procureur de Bertrand Esmangard ; maître Maurice Thépault, sieur de Leinquelvez, procureur de François du Coskaër et enfin écuyer Maurice Calloët [Note : La famille de Calloët était, au XVIIème siècle, une des plus importantes familles de l’évêché de Tréguier. Elle paraît avoir été originaire du Léon. Au nombre de ses membres on peut citer Gabriel Calloët de Kerbrat, qui fut président de la Chambre des Comptes de Bretagne, et deux procureurs du roi à Lannion : Maurice Calloët de Keravazece et Pierre Calloët de Keriavily, qui a donné son nom à la rue au Fil], sieur de Keravezec, procureur du roi à Lannion, qui avait eu, à diverses reprises, l’occasion de manifester son hostilité aux prétentions du seigneur de Barac’h.

Seul des plaideurs, François II du Coskaër devait assez fréquemment assister son procureur.

Au cours de cette enquête, d’autres plaignants se joignirent à Gilles Le Borgne et à Bertrand Esmangard — parmi ceux dont l’intervention, sans qu’ils fussent nommés, avait été prévue au contrat d’association du 1er mai 1628, et qui avaient pu être sollicités.

Maître Derval, déjà procureur de Gilles Le Borgne, était chargé des intérêts de René de Crésolles, sieur du Cleuzmeur ; maître François de la Boëssière de ceux de Rolland de l’Isle, écuyer, sieur de Penanprat. Maitre Gabriel du Foc était le procureur d’Alexandre de Cossé, abbé commendataire de Bégard ; l’avocat très réputé Martin Burnel, celui des paroissiens de Trébeurden ; maître Jacques de Kermarec celui du sieur de Launay-Nevet, et maître Guillard celui de Raoul Hamon, sieur de Barac’h-Philippe. Intervenait enfin sans procureur Louis de la Haye, sieur de Kervenno.

A ces procureurs s’ajoutaient des experts : trois « arpenteurs et cordeurs » [Note : La corde, mesure de surface, valait 0 m. 608] : noble homme Tanguy du Trévou sieur du Quistillic, François Le Du et Malachie Janin ; un interprète du « langaige breton », Jean Le Tapardec, sieur de la Prée-Fontaine, notaire royal comme les précédents ; puis un peintre Jean Berthou et un « vitrier » Bernard Prigent [Note : Maître peintre à Lannion, Jean Berthou fit plusieurs verrières pour la chapelle Saint-Adrien de Trélévern et construisit un autel pour l’église de Trégastel. Ses fils Louis et Tugdual lui succédèrent. Bernard Prigent, peintre à Morlaix, exécuta aussi des vitraux en 1626-1628 pour la chapelle Saint-Adrien de Trélévern. Un de ses neveux le tua d’un coup de bâton en juin 1655 (René Couffon)] « pour faire leur raport et figure des viltres des esglizes et autres endroicts quy seront par nous jugez nécessaires pour l’esclaircissemant des droicts contantieux ». Bernard Prigent allait être chargé en outre de « faire la figure et pourtraict » — c’est-à-dire de dresser le plan des landes de Trébeurden dont les usurpations présumées de François II du Coskaër constituaient un des points primordiaux du procès.

Il serait fastidieux de suivre pas à pas cette enquête du conseiller Poussepin, qui dura dix-sept jours sans discontinuer, à l’exception des dimanches 20 et 27 août et qui forme un cahier de quarante et une pages, recto et verso [Note : Archives départementales des Côtes-d’Armor. Supplément 1 non inventorié. Fonds Barac’h, travée 117, rayon 5]. Il suffira d’en caractériser l’atmosphère, de rappeler ce que furent les accusations générales des témoins et d’y ajouter quelques détails glanés ici et là.

Il apparaît tout de suite à la lecture que François II du Coskaër, par ses multiples usurpations s’ajoutant à celles de ses prédécesseurs, avait coalisé tout le pays perrosien contre lui : nobles, bourgeois et paysans. Personne ne se présente pour tenter de justifier ses usurpations. Seuls s’y attachent, lui et son procureur. Il inspire si peu de confiance dans ses dires qu’à plusieurs reprises le procureur du roi demande qu’un procès-verbal soit dressé pour s’opposer à de futures entreprises dont il prévoit la possibilité.

C’est le procureur du roi qui, avec maître Gaësdon, procureur de Bertrand Esmangard, apparaît comme le maître du jeu. C’est en vain que François II du Coskaër s’efforce de détruire l’autorité de son mandant, en affirmant qu’il est le « domestique » de Gilles Le Borgne. Il est certain qu’ils ont partie liée. Aussi maître Derval, laissant la vedette à Gaësdon, ne prend-il que rarement la parole.

Pourtant c’est Jean Derval qui a énoncé avec le plus de force l’accusation générale d’usurpations portée par Gilles Le Borgne contre François II du Coskaër et en a précisé l’origine.

... Ledict Derval audict nom nous a remontré [Note : ...nous a remontré, à nous, Pierre Poussepin...] qu’encore qu’il en est [Note : ...encore qu’il (Gilles Le Borgne) en ait...] depuis les vingt et neuff et trante ans de sa cognoissance recogneu les entreprises, usurpations et novallitéz faictes à son préjudice par les sieurs de Barrac’h père et fils [Note : François du Coskaër père et fils] sur les landes des parroes de Ploemeur, Trébreden et autres et neintz [Note : néantmointz] il aurait pour l’antienne amitié d’entre luy et lesditz sieurs de Barrac’h patienté jusques en l’an mil six centz vingt et six que, aïant un advis que ledict sieur de Barrac’h avoit donné pouvoir à un appellé Laurens Hamon [Note : Le nom de Hamon est très répandu de Trébeurden à Louannec. En 1626 des Hamon possédaient, sous la juridiction de Penlan, les droits superficiels et réparatoires du Convenant an Meur, frairie de Kerouennet, à Trébeurden] de clore une parcelle de terre en ladicte lande de Trebreden, à la portée d’un mousquet de la maison de Keraziou appartenante audict sieur du Goazven, il auroit escrit audict sieur de Barrac’h que telle entreprise luy estoit tellemant sansible que la perte de sa maison ne luy seroit pas plus fascheuse avecq offre de la luy quitter à tiltre de vante ou d’eschange plus tost que de luy déplaire en deffandant son droict, ou bien, s’il ne se contantoit pas de telle offre, de luy permettre de se deffandre en justice. A quoy ledict sieur de Barrac’h aïant faict response quy ne tesmoignoit autre chose qu’un mespris des offres dudict demandeur et le temps s’estant escoulé jusques au mois d’avril dernier, que ledict sieur du Goazven aïant eu un advis qu’il y avoit certains Lambalays quy estoient à encommancer ladicte closture dudict quanton de lande, comme il se y seroit transporté et trouvé tant un nommé Mezmen [Note : Maître Jean du Trémen, sieur de Mesmen, était le procureur fiscal de la seigneurie de Barac’h ], dommestique dudict sieur de Barrac’h, armé de pistolets, que lesdictz Lamballays, auroit faict scavoir opposition auxdictz Lambalays de passer outre et iceux faict assigner en ladite jurisdiction de Tréguier...

Quant à maître Gaësdon, au nom de Bertrand Esmangard, il insistait particulièrement sur ce grief.

Que ledictz sieur de Barrac’h se faict contre tout droict nommer seigneur chastellain de plusieurs terres luy apartenantes quy ne sont que manoirs seullemant et pour continuer ses usurpations et entreprises de sa propre authorité et sans lettres du Roy réuny trois prétandues jurisdictions en une seule, l’exercice de laquelle de son propre mouvemant il a transféré audict bourg de Perroz-Guirec, lieu fort esloigné du domicille de ses vassaux qui y sont néantz (néanmoins) contrainctz d’y aller pledder, mesme ses hommes domanniers et convenanciers, ce quy est directemant contre l’expresse disposition de la coutume. Non contant de ce, a faict enlever depuis les trois à quatre mois les fourches d’une justice pattibulaire quoiqu’il n’aye aucun droict de ce faire et se veust attribuer un droict de coustume sur les taverniers et merciers quy vandent et débittent aux portes desd. esglizes et chappelles, mesme prétand droict de pescherie sur les pauvres pescheurs de ce quanton, encore que luy et ses prédécesseurs n’en ayent oncques eu droict...

A entendre maître Gaësdon, on serait assez porté à croire que Bertrand Esmangard aurait pu être une sorte de porte-parole du général de Perros-Guirec, bien qu’il n’en existe aucune mention expresse. D’ailleurs ses griefs s’appliquaient également à d’autres paroisses. C’est à Louannec que se trouvait le plus grand nombre de domaniers vassaux du seigneur de Barac’h. Et, parmi les chapelles auprès desquelles François II du Coskaër aurait abusivement revendiqué le droit de faire vendre du vin, il faut citer la chapelle Saint-Méen, dans la paroisse de Saint­Quay.

Quelle était la valeur de certains des griefs de Bertrand Esmangard ? Certains paraissent assez futiles, notamment quand il se plaint que le seigneur de Barac’h ait transporté le siège de sa justice du port de Perros au bourg [Note : « ... Comme aussy le recquérant ledict sieur Procureur du Roy, avons faict notre adjoint conter (compter) les maisons quy sont au bourg de Perroz, et trouvé qu’il y en a six seullement, outre la maison presbittérale. De quoy avons aussy décerné acte et de ce que ledict bourg est situé et esloigné du rivage de la mer d’environ six centz pas .. ». Enquête Poussepin, f° 34 recto et verso. En fait, c’est à Traouperros [le Bas de Perros], près de l’ancien monastère dédié à saint Guirec et près de la rade de Perros, que se forma une première agglomération. La chapelle du monastère servit primitivement d’église et resta connue sous le nom de Coz Illis (la vieille église) ou Illis bian (la petite église). Ce n’est guère avant le XIIème siècle que fut ouverte l’actuelle église paroissiale qui semble n’avoir jamais été jusqu’alors qu’une chapelle seigneuriale. Cette église fut l’origine du Bourg de Perros, qui ne grandit que lentement jusqu’au développement du tourisme à la fin du XIXème siècle], obligeant désormais ses vassaux [Note : On est étonné de ce souci de mettre la justice aussi près des vassaux, contrairement à ce qui est rapporté d’ordinaire sur l’incommodité et l’éloignement des juridictions seigneuriales. Il est vrai aussi, quoi qu’on en ait dit, qu’en Basse-Bretagne et en particulier dans le Trégor les vassaux — fermiers, convenanciers à domaine congéable et même quevaisiers — jouissaient en fait d’une situation privilégiée comparativement à la majorité des paysans du reste de la France. Mais les seigneurs n’avaient pas le droit de placer leurs cours de justice là où ils le désiraient : à la fin du XVIIème siècle, un édit royal ordonna aux possesseurs de justices seigneuriales de les établir dans la ville où s’exerçait la juridiction royale. Il est probable que les sénéchaux et procureurs fiscaux des juridictions féodales de la sénéchaussée de Lannion, avocats, procureurs ou notaires dans cette ville, ne furent pas mécontents de cette obligation] à faire un trop long chemin pour défendre leurs intérêts [Note : Ce qui dut paraître le plus choquant dans ce transfert de la juridiction de Barac’h, c’est que son siège était fixé dans le « reliquaire », c’est-à-dire dans l’ossuaire du cimetière entourant l’église]. Mais, autant alors qu’aujourd’hui, nul grief ne paraissait négligeable.

De son côté, par l’entremise de son procureur Thépault de Leinquelvez, François II du Coskaër s’attachait à discréditer son adversaire.

.... Icelluy Esmangard, déclara-t-il, est serviteur dommestique dudict sieur du Goazven... Auroit ledict Le Borgne, par l’intermédiaire dudict Esmangard, faict publier par maître Martin Burnel, advocat dudict sieur du Goazven, en l’audiance dudict Lannyon [Note : Devant la juridiction royale], un libelle scandaleux et diffamatoire contre l’honneur dudict sieur de Barrac’h, lequel libelle auroit esté d’ordonnance de justice mis au greffe, d’où il fut retiré peu après et supprimé par ledict Le Borgne et ceux de son intelligence, sans que ledict sieur de Barrac’h en aye peu avoir communication ny coppie, encore qu’il eust faict ses protestations d’en avoir réparation...

Puis l’enquête sur place commença. On vit toute la troupe des magistrats, des procureurs, des experts successivement à Trébeurden, à Pleumeur-Bodou, à Saint-Quay-Perros, à Perros-Guirec, à Louannec, à Kermaria-Sulard et à Brélévenez [Note : Enquête Poussepin, folios 15 à 39].

Dès le début Poussepin avait ordonné à du Trévou, Le Du et Janin, « arpenteurs et cordeurs convenus », de corder et mesurer les landes de Trébeurden, objet essentiel du litige, ainsi que les îles Bihan et Meur [Note : Quelle pouvait être l’île Bihan ? Ne s’identifierait-elle avec l’île Canton ou avec l’île d’Aval qui se trouve dans la baie de Landrellec ? Quant à Enez Meur, qui se traduit naturellement par Ile Grande, on comprend mal que Pierre Poussepin eût ordonné son cordage et mesurage, car, depuis 1495, à la suite du mariage de Pierre de Boiséon avec l’héritière de Cheff-du-Bois, elle avait pour seigneurs des membres de cette importante famille de Boiséon (Archives départementales des Côtes-d’Armor, E. 1367). — Il est vrai que l’Ile Grande, étant presque entièrement occupée par des landes, on pouvait se trouver en face des revendications du seigneur de Barac’h qui possédait deux convenants relevant de la seigneurie de Keruzec. Il semblerait qu’il s’agit surtout de l’île l’Erc’h, ortographiée Nerc’h].

Puis on s’occupa surtout des prééminences revendiquées par les seigneurs de Barac’h dans certaines églises et certaines chapelles et de la condition féodale de quelques manoirs. Car leurs adversaires attaquaient sur un grand nombre de points. Ce fut l’occasion pour maître Gabriel du Foc, procureur d’Alexandre de Cossé, intéressé à double titre comme abbé de Bégard, seigneur de Penlan, et comme apparenté au duc de Cossé-Brissac, de discuter les prétentions de son adversaire et d’apporter contre elles des précisions qui le contraignirent parfois à ergoter.

Assurément François II du Coskaër n’exprimait aucune revendication ni sur le manoir ni sur la métairie noble de Penlan. Mais, dans la paroisse même de Trébeurden, il prétendait posséder des prééminences sur l’église paroissiale [Note : Cf. Aveu de Gilles Le Borgne du 15 juin 1628 (Archives particuliers de M. le Vicomte Alain de Cleuziou). — J.-P. [J. de Penguern]. Notes sur les vitraux armoriés de l’église de Trébeurden (brouillon). Archives paroissiales de Trébeurden] et sur les chapelles de Penvern et de Christ [Note : François (II) du Coskaër ne revendiquait aucune prééminence sur la chapelle Notre-Dame de Bonnes Nouvelles].

Le manoir de Penlan était alors en ruines [Note : Les enquêteurs reviendront d’ailleurs à ce manoir après avoir procédé à la vérification des armoiries de la chapelle Saint-Duzec et à celles du manoir de Keruzec (appelé aussi Saint-Uzec)], mais on pouvait y voir encore les armoiries de la seigneurie, en vue des confrontations indispensables : — ce qui donna au peintre Alexandre Berthou et au vitrier Bernard Prigcnt de fréquentes occasions de manifester leur science dans l’art héraldique et leurs talents.

C’est à Pleumeur-Bodou que la querelle fut peut-être la plus vive : ce fut à propos de l’église paroissiale et de la chapelle Saint-Duzec (ou Saint-Uzec). Le seigneur de Barac’h, en qualité de possesseur de Keruzec, se prétendait seigneur de Pleumeur-Bodou et fondateur de l’église paroissiale, ce que lui contestaient les procureurs du Foc, Derval et Gaësdon. Pour eux, le seigneur de Pleumeur-Bodou n’était autre que le seigneur de Kerduel [Note : Il convient de se rappeler que Claude Hingant, sieur de Kerduel, et Pierre de Lannion, baron du Vieux-Chastel et seigneur de Cruguil, associés de Gilles Le Borgne, n’avaient pas désigné de procureurs pour les assister lors de l’enquête].

Pour étayer ses prétentions, François II du Coskaër donnait au manoir de Keruzec une importance antique qui soulevait la contradiction. Ses adversaires ne manquèrent pas de faire remarquer que Keruzec n’avait jamais été forteresse ou château, même pas un manoir, seulement une sorte de grenier des vicomtes de Coëtmen, seigneurs de Tonquédec. En second lieu, ils affirmèrent que le seigneur de Barac’h ne pouvait prétendre au titre de fondateur ou de patron de la chapelle Saint-Duzec, la maison de Keruzec possédant une chapelle privative également dédiée à saint Duzec.

Quant à l’église paroissiale, il a été dit précédemment que Bernard Prigent avait assuré que la maîtresse vitre avait été modifiée d’une façon subreptice à une époque récente.

Partout où passa la commission d’enquête, des usurpations furent reprochées à François II du Coskaër. Outre celles de prééminences d’églises et de chapelles ayant pour corollaire le droit d’organiser, à certaines fêtes, des foires et marchés favorables à ses intérêts, on lui contesta le bien-fondé de sa haute justice à quatre pots de potence de la seigneurie de Barac’h [Note : Les adversaires de François (II) du Coskaër exagéraient assurément, car il était notoire que Barac’h était un ancien château-fort dont le roi Henri IV avait interdit de relever les fortifications], et celles des juridictions des seigneuries annexes acquises à des dates diverses, Cabatoux et Kerimel. Une véritable promotion aurait été donnée aussi par ses devanciers et par lui-même à la prévôté du Pré.

C’est seulement le 1er septembre que les arpenteurs remirent à Poussepin les résultats de leur mesurage. Suffisamment instruit, il ne lui restait plus qu’à mettre fin à l’enquête, ce qui fut fait à Lannion le lendemain.

Comme il fallait s’y attendre, les conclusions de l’enquête furent, pour la plus grande partie, défavorables au seigneur de Barac’h. En conformité avec elles, le Parlement rendit plusieurs arrêts interlocutoires annonçant une condamnation de François II du Coskaër.

Tout aussitôt celui-ci attaqua la procédure, multiplia intrigues et sollicitations, fit rédiger de multiples mémoires par son procureur et par ses avocats, suscita incidents sur incidents, submergeant ses adversaires sous un flot de comptes, d’anciens aveux, de pièces de procédure. En même temps il entreprenait entre eux un travail incessant de dissociation dont les effets apparaîtront visiblement une quarantaine d’années plus tard : concessions aux uns, les mieux en cour et les plus fortunés, intimidations aux autres, pour isoler Gilles Le Borgne et, après sa mort, son fils Pierre.

Avec la succession paternelle, Pierre Le Borgne, fils aîné de Gilles, héritait de tous ses soucis et de toutes sortes d’embarras d’argent. Il aurait pu y renoncer, mais elle présentait encore bien des avantages, les propriétés avec leurs revenus n’étant pas entamées. Néanmoins, quoique de tempérament moins combatif que son père, il se trouva dans l’obligation de soutenir la procédure.

Les intrigues de François II du Coskaër et de ses proches eurent un premier résultat. Sur les conclusions du procureur général, le Parlement rendit le 5 juillet 1631, un arrêt contradictoire, remettant les parties dans l’état d’avant les arrêts de 1628 et déclarant nul et abusif le monitoire que Bertrand Esmangeard avait obtenu sur requête le 11 août 1628.

La nouvelle information qui s’imposait fut confiée à un conseiller, non originaire comme l’était Pierre Poussepin, François Alleneau, sieur de la Grougerie et d’Orvault, qui avait résigné sa charge de conseiller en faveur de son fils au début de 1601 [Note : Cf. Fr. Saulnier. Le Parlement de Bretagne 1534-1790, t. I, p. 25. — François Alleneau avait été baptisé à Sainte-Croix d’Angers le 15 février 1575 et s’était marié (contrat du 24 mars 1605) à demoiselle Guillemette Poullain dame de la Villebocher. Il en eut deux filles, Hélène et Gabrielle. — Frédéric Saulnier dit qu’il vivait encore en 1638. Il résulte du procès que nous étudions qu’il était encore vivant tout au moins au début de 1639]. L’information qui lui était confiée s’appliquait aux propriétés et aux droits utiles et honorifiques du seigneur de Barac’h.

Alleneau était-il plus corruptible que Poussepin ou s’en laissa-t-il imposer ? Il se livra assurément à une très vaste enquête. Mais quelques-uns de ceux qui avaient témoigné dans celle de 1628 étaient morts ; beaucoup d’autres s’abstinrent de comparaître, soit qu’ils eussent été dédommagés, soit qu’ils craignissent des représailles qui auraient tôt fait de les réduire à la misère. Par contre de nouveaux témoins furent entendus, sincères ou soudoyés, dont la plupart se montrèrent favorables aux prétentions de François II du Coskaër. Pierre Le Borgne semblait à peu près s’abandonner.

Bref le rapport du conseiller Alleneau fut aussi favorable aux prétentions du seigneur de Barac’h que celui de Pierre Poussepin ne l’avait pas été.

Alleneau fut-il entièrement convaincu ? Ne le fut-il que partiellement ? Fut-il circonvenu par François II du Coskaër, par sa parenté ou par certains de ses collègues intervenant en sa faveur ?

Toujours est-il que, pendant près de huit ans, les documents authentiques ou non, les pièces de procédure ne firent que s’accumuler. C’est seulement le 19 janvier 1639, le dernier jour de la session du Parlement, alors que de nombreux conseillers étaient déjà dans leurs terres, qu’intervint un arrêt contradictoire entièrement conforme aux prétentions du seigneur de Barac’h.

On ne manqua pas de dire qu’Alleneau avait surpris cet arrêt qui n’aurait été obtenu que grâce à la complaisance de conseillers ayant retardé leur départ pour le satisfaire.

L’arrêt du 19 janvier 1639 maintenait le seigneur de Barac’h dans la propriété des landes disputées, sous la seule réserve que les chemins y existant demeureraient libres... En ce qui concernait l’église paroissiale de Pleumeur-Bodou, au sujet de laquelle le procureur royal de Lannion n’avait cessé de déclarer qu’elle avait pour fondateur le roi lui-même [Note : Lors des enquêtes de Pierre Poussepin et de François Alleneau, le procureur royal de Lannion avait d’ordinaire revendiqué pour le roi le titre de fondateur dans diverses églises, et notamment dans celle de Pleumeur-Bodou, sans justifier ses affirmations par des titres. Mais les Coëtmen, qui avaient sans doute été, à l’origine, seigneurs de Pleumeur-Bodou, descendaient de la maison ducale. Leurs possessions, sous la juridiction de Lannion, provenaient assurément des chefs de cette maison. Dès lors, le procureur était en droit d’affirmer que le titre de fondateur revenait au roi, comme successeur des dues. Entamer une controverse sur ce point eut été insoluble. Aussi le Parlement de Bretagne prit-il soin de réserver les droits du roi. C’était assez son habitude], déniant ainsi ses droits tant au seigneur de Kerduel qu’au seigneur de Barac’h (ou plutôt de Keruzec), les parties étaient renvoyées hors de cour sans préjudice des droits du roi.

En troisième lieu le seigneur de Barac’h était maintenu dans les droits qu’il avait revendiqués : goretage [Note : Le droit de goretage ou de goretterie est un droit de pêche « statique », s’il est permis de s’exprimer ainsi. Un goret est, en effet, un espace de mer situé soit à l’embouchure d’un cours d’eau, soit dans une anse du rivage. Il est fermé par un muret submersible. A chaque marée le goret est recouvert par les eaux. Il suffit, pour capturer le poisson, d’ouvrir à marée basse la vanne, précédée d’un treillis assez fin, pratiquée dans le muret. (Le goret peut également s’appliquer à une pêcherie établie à demeure sur une rivière). Le droit de pêcherie proprement dit est un droit « dynamique » en ce sens que les pêcheurs de congres et de raies sont astreints, durant une période de l’année, là où ce droit existe, à céder la presque totalité de leur pêche à ceux qui le possèdent. Ils le font vendre, ou bien ils le font sécher au soleil s’ils sont détenteurs du droit de sécherie. Il semble bien que les seigneurs de Barac’h avaient exagérément étendu les droits de goretage, de pêcherie et de sécherie qui leur avaient été concédés], pêcherie et sécherie. Enfin l’arrêt affirmait que la seigneurie de Keruzec jouissait d’une justice haute, basse et moyenne [Note : Keruzec, avec sa chapelle privative, avait dû être un manoir d’importance. Une assez grande étendue de territoire en dépendait. Il possédait le moulin banal de Saint-Uzec, situé à assez bonne distance, sur un ruisseau en direction du bourg de Pleumeur-Bodou], mais interdisait de l’exercer ailleurs que dans la ville de Lannion.

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Comme il a été dit précédemment, Pierre Le Borgne, soit par prudence, soit per suite d’une certaine passivité, était loin de montrer l’agressivité de son père. Aussi la querelle commencée, soit en 1626, soit en 1628 (comme on voudra bien l’entendre), s’apaisa-t-elle, et François II du Coskaër put savourer son triomphe. Il se crut dès lors assuré de laisser à son fils le domaine immense qui n’avait cessé de s’accroître sous les Tournemine, sous les Kenec’hriou et sous les du Coskaër, depuis que son grand-père, Yves du Coskaër — le procureur royal de Tréguier — avait épousé Françoise de Kernec’hriou, devenue par la mort sans hoirs de ses deux frères l’héritière de Barac’h ; Yves du Coskaër ayant lui-même adjoint à l’héritage les seigneuries du Coskaër et de Rosanbo, dont le siège se trouvait en la paroisse de Lanvellec.

Puis Pierre Le Borgne mourut et ses biens furent recueillis par son fils René, d’un tempérament beaucoup plus aventureux que son père.

Sa jeunesse avait dû être assez agitée. On le trouve, en effet, mêlé à une affaire, demeurée obscure pour nous, qui, vers 1665, aurait eu pour théâtre le château du Taureau, à l’embouchure de la rivière de Morlaix. [Note : La construction du château du Taureau avait été accordée à la communauté de la ville de Morlaix par le duc d’Etampes, à la requête du maire Antoine Masson., Il était logeable dès 1541. Il demeura 120 ans sous l’autorité de cette communauté de ville. Mais par suite des divisions intérieures dont elle souffrit et de soupçons de fraude favorisée par la forteresse, le sieur de Saint Jean Beaucorps en prit possession au nom du Roi le 21 février 1661. Le château fut alors tenu par une petite garnison et devint prison d’Etat. (Cf. G. Le Jean, Histoire politique et municipale de la ville et de la communauté de Morlaix,  pp. 220-221.) Ce serait quelques années après, vers 1665, que René Le Borgne, qui appartenait peut-être à la garnison du château, aurait été compromis dans une affaire d’assassinat. Elle lui aurait valu une condamnation à mort par contumace. Avec d’autres, et notamment avec son parent et allié, le sieur de Kersallic, emprisonné à Morlaix, il aurait été convaincu de plusieurs crimes. Toujours est-il que, retiré au Goazven, il ne devait pas être inquiété]. Retiré au Goazven, il y compulsa les anciens grimoires. Il s’y convainquit qu’il rétablirait la fortune relative de ses ascendants, désormais assez compromise, s’il parvenait à se saisir au moins partiellement de Keruzec dont le partage éventuel avait été envisagé dans l’acte d’association du 1er mai 1628. Il commença dès lors à intriguer en vue de la reprise possible du procès et de la réforme de l’arrêt du 19 janvier 1639 aux décisions duquel son père s’était résigné.

Il est douteux cependant qu’il ait trouvé des encouragements, à tout le moins immédiats, en la personne de Jean-Baptiste Hingant, sieur de Kerisac et de Kerduel, petit-fils du Claude Hingant qui avait signé l’acte d’association [Note : Le fils aîné de Claude Hingant, sieur de Kerduel, et d’Anne de Leshildry, avait été Jean Hingant, sieur de Kerisac. Par contrat du 9 avril 1640, il avait épousé damoiselle Françoise de Becdelièvre, fille du conseiller au Parlement, Jean de Becdelièvre, qui, dès ce mariage, résigna sa charge en faveur de son gendre. Celui-ci fut reçu conseiller le 19 janvier 1644 et conserva ses fonctions jusqu’à sa mort qui survint le 6 juillet 1650 (Cf. Fr. Saulnier. Le Parlement de Bretagne 1534-1790, t. II, p. 502). — Il laissait un fils mineur, Jean-Baptiste, qui épousera plus tard Corentine de Saluden, fille d’un ami de son père, Nicolas de Saluden, sieur de Trémaria, qui n’avait exercé les fonctions de Conseiller au Parlement de Bretagne que durant quelques mois (ibid., t. II, pp. 796-797). — Après la mort de sa femme, survenue inopinément, Jean-Baptiste Hingant, à l’imitation de son beau-père, entra dans les ordres et appartint à la troupe des missionnaires du P. Maunoir]. Tourné vers les oeuvres pies, indifférent aux attraits du monde, avant même d’entrer dans les ordres et de se consacrer aux missions que dirigeait le P. Maunoir, fort riche d’ailleurs, il ne pouvait prendre aucun intérêt à un procès, dont il ne voulait même pas connaître les incidents et les détails.

Il en pouvait être différemment du côté des sires de Lannion [Note : Le signataire du traité d’association du 1er mai 1628 avait été Pierre (Ier) de Lannion, l’époux de Renée d’Arradon, une fille unique, qui lui avait apporté le bel héritage morbihannais de son père René. Le représentant de la maison de Lannion, au moment où il fut question de la Réformation du domaine royal était leur fils Claude (II) de Lannion, qui épousa successivement Thérèse Huteau de Cadillac et Jeanne-Françoise de Bellingant. Il mourra le 24 juin 1695 et sera inhumé le 27 dans l’église de Camors. Sur sa pierre tombale, il était titré « sire et comte de Lannion, baron et pair de Bretagne, gouverneur des villes et chasteaux de Vannes et d’Auray, capitaine général du ban et arrière-ban, noblesse, milices et costes de l’evesché de Vennes... ». A remarquer qu’il n’avait pas droit au titre de « comte de Lannion », Lannion n’ayant jamais été le siège d’un comté. (Cf. A. de la Borderie, Les origines du prieuré de Kermaria dans Mélanges d’Histoire et d’Archéologie bretonnes, 1855, t. I). Cependant l’usage de cette « énonciation respectueuse » a prévalu tant qu’il y eut en ligne directe des représentants de cette famille], qui méprisaient beaucoup moins les intérêts temporels.

René Le Borgne allait trouver en face de lui François II du Coskaër, devenu très âgé, contre lequel Bertrand Esmangard et son grand-père Gilles Le Borgne avaient intenté les premières actions, puis son fils Joseph du Coskaër, conseiller au Parlement de Bretagne. Coup de maître de la part du vieux seigneur de Barac’h que de faire entrer son fils en qualité de conseiller dans le Parlement, dont il avait été et pouvait encore être justiciable !

Quatre ans après son mariage avec Marie Le Gouvello, fille unique du conseiller Julien Le Gouvello, sieur de Trémeur, et de Françoise Le Toux, Joseph du Coskaër avait acheté en 1659 la charge du conseiller Gabart, résignant en sa faveur. Il en avait rapidement démissionné en faveur de Ph. du Boullay. Mais, en 1664, il était rentré au Parlement par l’achat de la charge du conseiller Sérent qui venait de décéder. Il allait conserver son office jusqu’en 1685 ou 1686, date à laquelle il allait la céder au sieur de Keraly. Il recevra le 20 mars 1686 ses lettres d’honorariat (Fr. Saulnier, op. cit., t. I, pp. 272-273).

C’était donc pour René Le Borgne, quels que fussent ses appuis, s’attaquer à forte partie. Sans doute se sentait-il bien soutenu, notamment par le procureur du roi à Lannion, Pierre Calloët de Keriavily, un parent de l’ancien procureur Maurice Calloët de Keravezec. Pierre Calloët de Keriavily avait dénoncé à diverses reprises les usurpations des du Coskaër au fermier du domaine royal à Lannion avec assez de persévérance pour que ses accusations fussent parvenues jusqu’au roi, sans doute par l’intermédiaire du fermier général du Domaine.

La question de la réformation du domaine se trouvait ainsi posée, sans que René Le Borgne eût eu jusqu’alors à se découvrir. La Chambre des comptes de Nantes, qui se trouva nécessairement saisie, ordonna qu’il y fût procédé, sous la direction du conseiller au Parlement Dondel de Pendreff, nommé « commissaire pour la réformation », assisté du juge du lieu et du procureur royal de Lannion [Note : « 1677. — La Chambre des comptes de Nantes nomme Dondel de Pendreff pour la réformation du domaine royal de Lannion avec le juge du lieu et le procureur du roi » (Récolement fait dans la Chambre des Comptes et lettre du marquis de Nointel du 22 février 1680)]. On était en 1677 ou 1678.

Dondel de Pendreff fut tout de suite assuré de l’aide la plus entière de René Le Borgne, le plus à même de fournir des indications précises sur les usurpations reprochées au seigneur de Barac’h.

Le conseiller Guillaume Dondel, sieur de Pendreff, était né vers 1637. Il appartenait à une famille venue du Maine en Bretagne. Il était fils de François Dondel, écuyer, sieur de Pendreff, et de dame Constance Pégase, sa seconde femme.

Il s’était d’abord tourné vers l’état militaire et avait été successivement mousquetaire de la garde du roi et, en 1659, lieutenant aux gardes françaises.

Si la Chambre des comptes l’avait choisi c’est peut-être parce qu’il avait occupé, de 1661 à 1666, l’office de maître en cette compagnie et que, par conséquent, on l’y connaissait. Il avait dû se démettre de cette charge, sur l’ordre du roi, quand il avait acheté la charge de conseiller au Parlement que M. de Gouyon avait exercée jusqu’à sa mort.

En 1672, il était marié depuis quatre ans, en secondes noces, avec dame Claude-Lucrèce d’Andigné, veuve elle-même, depuis la même époque, de Philippe Connen, sieur de Précréant (Fr. Saulnier, op. cit., t. I, pp. 305-306).

On pouvait le tenir pour un ennemi déclaré de François II du Coskaër, avec lequel il avait plusieurs procès pendants, tant devant le Parlement que devant le Présidial et devant d’autres juridictions. S’il avait sollicité ou fait solliciter sa désignation, rien ne permet de l’affirmer.

Son premier acte fut de rendre une ordonnance générale en vertu de laquelle tous les vassaux de la région lannionnaise auraient à fournir aveux et dénombrements et à présenter leurs titres.

François II du Coskaër sentit le danger de cette désignation. Par requête du 15 octobre, il supplia Pendreff de ne pas connaître ce qui regarderait le sieur de Barac’h, en raison des différends qui les séparaient. Pendreff se borna à répondre, au bas de cette requête, qu’il avait eu à la vérité deux procès avec le sieur de Barac’h, mais qu’il s’en était « départi pour ses intérêts ». Et tout de suite il ajoutait que, si le sieur de Barac’h le récusait, c’était pour empêcher tout éclaircissement sur cinq ou six mille livres de rente qu’il percevait indûment en raison de ses usurpations.

Sans doute la requête de François II du Coskaër fut renvoyée devant le Conseil du Roi, mais, en attendant sa décision, qui pouvait tarder, Pendreff ordonnait de procéder au mesurage et à l’arpentage des terres contestées, dont le détail lui avait été révélé par René Le Borgne.

Puis, presque sans désemparer, le 9 novembre, il rendait une nouvelle ordonnance générale réunissant au domaine du roi toutes les justices et prééminences des vassaux du roi qui n’avaient pas fourni leurs déclarations, ni communiqué leurs titres. De ce nombre était le seigneur de Barac’h.

Dès le lendemain, Jacques Buisson, fermier général du domaine du roi, faisait assigner François du Coskaër devant les réformateurs pour communiquer ses titres sur les deux îles dont il a été question précédemment, et qui sont appelées Erc’h [Note : Antérieurement il avait été question des îles Meur et Bihan. L’île d’Erch visée dans l’assignation du fermier général du domaine royal se trouve également dans la baie de Landrellec, au nord-est de l’Ile d’Aval] et Bihan et sur deux convenants situés dans « l’Isle Grand ».

Cependant François du Coskaër répondait aux observations du conseiller de Pendreff motivées par sa requête de récusation : il faisait valoir que, dans l’affaire qui lui était suscitée, le sénéchal de Lannion, son parent [Note : « Messire 0llivier de Clisson, seigneur de Guermarquer, conseiller du Roy, sénéchal et premier magistrat civil et criminel de la cour royalle de Tréguier au siège de Lannion ». (Voir par exemple, Archives départementales des Côtes-d’Armor, H. Penlan, 133). — Après la mort d’Yves du Coskaër en octobre 1567, sa veuve Françoise de Kernec’hriou avait épousé Jean de Clisson sieur de Keraliou. Elle en avait eu un fils Claude et une fille Françoise. Claude de Clisson avait épousé Bonaventure de Rosmadec, dont Olivier, sénéchal de Lannion], s’était déporté, ne se trouvant pas en situation d’en connaître. Aussi ne fournirait-il sa déclaration que devant des juges compétents [Note : Faible défense, car François (II) de Coskaër : 1° ne pouvait arguer d’aucune parenté entre Pendreff et René Le Borgne ; 2° ne pouvait ignorer que le sénéchal est doublé d’un alloué, qui le remplace. A la rigueur, il aurait été possible de s’adresser au plus ancien des avocats « trouvé sur place »].

Jusqu’alors René Le Borgne n’était pas intervenu ouvertement. Sur l’invitation vraisemblable de Pendreff, il déposa une dénonciation au greffe de la réformation accusant les du Coskaër d’avoir usurpé 1285 journaux [Note : Le journal valant 48 ares 624, c’est donc environ 625 hectares du domaine royal que les du Coskaër auraient usurpés] de terre dans les landes, issuës et îles appartenant au domaine du roi. Faisant silence sur les arrêts de 1631 et de 1639, il se bornait à rappeler la dénonciation portée par Bertrand Esmangard en 1628 et l’enquête du conseiller Pierre Poussepin qui en était résultée. A sa dénonciation était joint un état descriptif des usurpations reprochées.

Tout aussitôt Buisson fit assigner devant la commission de la réformation le sieur de Barac’h et son fils le sieur de Rosanbo [Note : François II du Coskaër conservait le titre de seigneur de Barac’h et avait donné à son fils Joseph celui de seigneur de Rosanbo].

Leur réponse ne tarda pas : le premier rappelait sa récusation de Pendreff et sa parenté avec le sénéchal de Lannion ; le second déclarait ne pas jouir de la seigneurie de Keruzec, demeurée aux mains de son père.

Enfin, le 7 décembre, François du Coskaër interjeta appel de la sentence de Pendreff et le prit à partie. Il renouvelait d’ailleurs cette prise à partie, le 20 du même mois de décembre.

Pendreff n’en manifesta aucun émoi et le jour même prononça sa sentence « pour forclusion » [Note : Une ordonnance du 10 décembre portait qu’en l’absence du procureur du roi il serait procédé au jugement sur le simple réquisitoire du fermier du domaine. — Lors de la reprise de l’affaire par les fermiers du domaine en 1734, Louis Le Peletier, marquis de Rosanbo, affirma que Dondel de Pendreff n’aurait tenu aucun compte des règles judiciaires. Il devait être remplacé, en vertu d’un arrêt du Conseil du Roi du 3 août 1680, par Jacques Langlois, sieur des Roussières, maître ordinaire des requêtes de la Chambre des comptes, qui ne prit d’ailleurs ses fonctions qu’au mois de juillet 1681. — En décembre 1680, Dondel de Pendreff prenait encore des décisions. Archives départementales des Côtes-d’Armor, A 51]. Elle parut accablante aux du Coskaër. Elle l’était assurément ; mais elle ne manifeste pas que son auteur n’ait pas été animé d’un réel sentiment d’équité. Les du Coskaër étaient maintenus dans la possession de la seigneurie de Keruzec et des métairies qui en dépendaient. Ils conservaient les rentes dues par la fabrique et les habitants de Trébeurden, de même que celles de Pleumeur-Bodou et de Brélévenez. Ils gardaient les droits de « poulage de la pierre rompuë » [Note : Le poulage était un droit qui autorisait son détenteur à utiliser les pierres et rochers parsemant les terres incultes. Ces terres avaient jadis porté le nom de Pullae (Poules), d’où le mot poulage] sur les landes de Pleumeur-Bodou et de Trébeurden, ceux des moulins de Trébeurden [Note : Je n’ai pu déterminer le moulin de Trébeurden qui dépendait de Keruzec. Je n’ai relevé dans cette paroisse que ceux de Keravel, de Trovern, de Goulagoar et du Guiller. Mais il y en avait d’autres], de Keruzec et de Keraliès [Note : Keraliès, en Pleumeur-Bodou, se trouve près de la rive orientale de la baie de Landrellec. Ce village avait, au XVème siècle, un port qui n’était pas dénué d’importance], ainsi que tous les droits, prérogatives et justices, tels qu’ils étaient décrits dans un minu de 1497, au temps où les Acigné étaient possesseurs de la seigneurie de Keruzec. Mais la haute, basse et moyenne justice de cette seigneurie était réunie au domaine royal. La sentence leur déniait la fondation de l’église paroissiale de Pleumeur-Bodou et des chapelles qui en dépendaient. Ils étaient condamnés à 500 livres d’amende pour usurpation de quatorze landes, issuës et communs à Pleumeur-Bodou, de quatre landes à Trébeurden, des îles d’Erc’h et Bihan, soit 1285 journaux (ceux qui avaient été indiqués par René Le Borgne) qui étaient réunis au domaine du roi. Ils étaient solidairement condamnés à en restituer les revenus à raison de six livres par journal depuis le 26 novembre 1626, soit une somme totale de 393.210 livres sous peine de contrainte « comme pour les propres affaires du roi ». Enfin le dixième de cette somme, 39.321 livres, était alloué à René Le Borgne comme dénonciateur.

François du Coskaër et son fils Joseph n’accueillirent pas une telle sentence avec philosophie, on le devine. Dès sa signification, ils firent appel au Parlement de Bretagne, dont Joseph du Coskaër était un des conseillers, et de la sentence de Pendreff et de sa prise à partie.

Buisson sentit le danger — car personne ne croyait vraiment à l’équité des parlementaires quand ils étaient intéressés en une cause. Il sut obtenir, le 26 février 1678, un arrêt du Conseil qui évoqua l’affaire et déclara nulle la récusation du conseiller de Pendreff et sa prise à partie.

Les seigneurs de Barac’h et de Rosanbo se hâtèrent de constituer avocats et procureurs, demandèrent tout aussitôt que les deux dernières sentences de Pendreff fussent infirmées et que Buisson, fermier général du domaine royal, Chauvel [Note : Négociant et armateur dont la famille joua durant le XVIIème siècle et le début du XVIIIème un rôle considérable à Lannion. Il avait loué une partie du rez-de-chaussée de la maison abbatiale de Penlan, sur le quai de Lannion, comme entrepôt ou magasin. De là il était aisé de rouler des marchandises jusqu’aux bateaux qui accostaient alors près du pont de Sainte-Anne], sous-fermier du domaine de Lannion, et René Le Borgne fussent condamnés à des dommages et intérêts. Par contre Buisson, Chauvel et René Le Borgne demandaient confirmation de la sentence et Pendreff (ce qui était superfétatoire) sollicitait d’être définitivement déchargé de la prise à partie dont il était l’objet.

Poursuivant ses avantages, Buisson forma une tierce opposition contre les arrêts du Parlement de 1631 et de 1639, tandis que René Le Borgne réclamait leur cassation, bien que l’arrêt de 1631 n’eût pas été vraiment défavorable aux intérêts de Pierre Le Borgne, son père.

Par ce double incident, qui fut joint à l’instance principale, on entrait dans le maquis de la procédure où les du Coskaër s’étaient affirmés comme de redoutables maîtres.

Enfin l’affaire parut en état d’être examinée. Pour appuyer ses dires, Buisson présenta une transaction de 1497 que les sieurs de Barac’h et de Rosanbo arguèrent de faux. Un arrêt interlocutoire du Conseil, en date du 18 mars 1679, ordonna de reprendre toute l’affaire et commit un de ses maîtres des requêtes, le marquis de Nointel, pour se rendre en Bretagne et, aux frais et dépens des fermiers du domaine, faire procéder, une fois encore, au mesurage et à l’arpentage des landes contestées, en faire dresser la carte et en rapporter procès-verbal [Note : Cette commission devait lui être confirmée par des arrêts du 20 janvier et du 27 juillet 1680, — Cf. Séverin Canal, Les origines de l’Intendance de Bretagne. Paris 1911, pp. 145, 146 et 154].

C’est sur ces entrefaites que François du Coskaër mourut. Son fils Joseph, intervenant dans l’affaire, prit son lieu et place et, une fois encore, consulta le grand jurisconsulte Pierre Hévin, avocat au Parlement de Bretagne. Celui-ci devait fournir une consultation entièrement favorable aux prétentions du sieur de Rosanbo [Note : On retrouve l’essentiel de cette consultation dans « Questions et Observations concernant les matières féodales par rapport à la Coutume de Bretagne par feu maître Pierre Hévin, ancien avocat au Parlement de la même province ». Rennes, 1736, in-4°, notamment pages 170 à 183 [Pierre Hévin était mort le 15 novembre 1692]. Parlant de ce volume, P. Levot dit (Biographie Bretonne, t. I, p. 910) : « Ce n’est point un traité méthodique sur les fiefs, mais un recueil d’écritures classées en neuf chapitres, et composées, le plus généralement, à l’occasion des différends que soulevèrent les prétentions de la personne chargée, vers la fin du XVIIème siècle, de la défense des droits du roi lors de l’établissement du terrier de la province... »] qui ne manqua pas de produire une réelle impression sur les membres du Conseil.

Le 4 janvier 1680, le contrôleur général des finances, Jean-Baptiste Colbert — le grand Colbert — insistait auprès de « Monsieur Béchameil » pour qu’il se rendît sans délai en Bretagne [Note : « Avant votre départ d’icy pour aller en Bretagne, il vous a esté remis un arrest du Conseil qui vous commet pour faire le recollement d’un arpentage, mesures et estimations faites devant le sr. de Pendref, conseiller au Parlement de Rennes, commis pour la réformation des Domaines de lad. Province, pour des usurpations prétendues faites par les srs. de Rosambo, père et fils, conseillers au Parlement (note : inexact en ce qui concerne François (II) du Coskaër qui ne fut pas Conseiller au Parlement de Bretagne), contre lesquelles led. sr. de Pendref a rendu un jugement pour réunir au Domaine du Roy plusieurs héritages et restituer une somme de trois cent quatre vingt treize mil livres ; et comme il y a déjà longtemps que cet arrest est rendu, et que j’apprens que vous n’avez pas encore travaillé à son exécution, je suis bien aise de vous dire qu’il faut que vous alliez sur les lieux pour exécuter promptement cet arrest et en dresser procès-verbal afin que cette affaire puisse finir et estre jugée, etc... ». Bibliothèque Nationale Clairambault 463, pp. 18-19].

« Monsieur Béchameil » ? C’est le marquis de Nointel qui, à cette date, ignorait encore l’arrêt du Conseil du 18 mars 1679. Il obéit sans retard et se rendit immédiatement à Nantes à la Chambre des Comptes. Il s’y trouvait assurément le 9 janvier, car ce jour-là il écrivit à Colbert qu’il n’avait encore rien reçu.

« ... Je ne scay pas mesme précisément ce qu’il [l’arrêt du Conseil] porte... J’ay seullement ouy dire qu’il se doit exécuter à la poursuite du fermier du domaine, à quy l’arrest donne trois mois pour le faire ; ainsy c’est à luy à en demander l’exécution et il est mesme à remarquer que les trois mois portés par l’arrest estans expirés, il faut un second arrest qui accorde un nouveau délay, autrement la procédure ne seroit pas régulière. Il sera besoing aussy que le fermier du domaine envoie sur les lieux une personne quy sera chargée de faire les réquisitions nécessaires, lorsque je feroy mon procès-verbal et de répondre à celles du sieur de Rosambault. J’attendroy sur cela vos ordres » (Archives Nationales. G7-172).

Colbert fit diligence. Un nouvel arrêt du Conseil du 20 janvier confirma la commission de Nointel. Il le lui adressa avec celui du 18 mars 1679 dès le 1er février. « L’intention du Roy, disait-il en terminant, est que vous les exécutiez promptement » (Bibliothèque Nationale, loc. cit., p. 93).

Nointel en accusa réception le 10 : il se hâtera. Déjà a-t-il fait donner les assignations aux parties pour le 1er avril, dernier délai. Mais « la terre du sieur de Rosambault est auprès de Lannion, distante de près de quarante lieues de Vannes où il sert son semestre » [Note : Pour punir les Rennais de la faveur qu’ils avaient montré aux révoltés du Papier Timbré, et les priver des bénéfices que leur procuraient les conseillers, leurs familles et ceux qui venaient assister aux réceptions organisées soit par les officiers du roi, soit par les présidents, Louis XIV avait exilé le Parlement à Vannes. D’ordinaire les conseillers ne siégeaient que durant un semestre, que toutes sortes de motifs raccourcissaient en fait. — L’exil du Parlement dura quinze ans]. Autre embarras : « Le sieur du Gouasven, partie au procès comme dénonciateur, est actuellement à Paris. Il prétend que le sieur de Rosambault a recueilli une vieille affaire criminelle contre luy, pour l’empescher de se trouver sur les lieux lors de la descente que j’y feray... ».

C’était exact — et ici une parenthèse s’impose.

Joseph du Coskaër avait en effet fait revivre la vieille affaire du château du Taureau, à laquelle il a été fait allusion précédemment. Elle pouvait remonter à quinze ans. Pour l’instruire, il avait su obtenir la nomination, en qualité de commissaire, d’un de ses parents, le conseiller Geslin de Trémargat [Note : Né à Rennes, le 28 juin 1651, Gervais Geslin de Trémargat avait acheté, le 10 juin 1678, avec dispense d’âge, la charge du conseiller de Becdelièvre, décédé. Il était fils de Jean Geslin de Trémargat, procureur du roi au présidial de Rennes, et de dame Gillette Huart. Il s’était marié le 19 mai 1678 à Saint-Malo à demoiselle Anne Neveu, fille d’honorable homme Jacques Neveu sieur de la Ville-es-ducs et de demoiselle Jeanne de la Haye. La dot de sa femme avait contribué à l’achat de sa charge (Cf. Fr. Saulnier, op. cit., t. I, p. 425). Sa parenté avec Joseph du Coskaër remontait au siècle précédent. De son mariage avec Guyonne de Clisson, Pierre du Coskaër, qui vivait encore en 1480, avait eu deux enfants : Alain du Coskaër et Aliette (celle-ci épousera Jean Le Roux de Kerninon). Alain avait épousé Amice Tronson, héritière de Kerfeunteniou. Il en eut trois enfants dont l’aîné, Yves du Coskaër, épousa Françoise de Kernec’hriou. C’est le procureur du roi de Tréguier dont les usurpations sont à l’origine de l’affaire que nous développons. Son puîné, Michel, épousa Jeanne de la Lande. Un de leurs enfants, Jeanne du Coskaër, épousa en 1594 Pierre Geslin sieur de Trémargat. Gervais Geslin en était le petit-fils ou l’arrière-petit-fils).

Si René Le Borgne s’était résolu au voyage de Paris, c’était pour présenter à Colbert une requête afin d’obtenir un arrêt de surséance. « Le fermier du domaine, ajoutait Nointel, dit que c’est un gentilhomme qui demeure sur le lieu mesme et quy peut seul indiquer des témoings instruits des confins et bornes et donner tous les éclaircissemens qu’on peut souhaiter dans cette affaire... » (Archives Nationales, G7-172). Lettre du 10 février 1680).

Le double éloignement de Joseph du Coskaër et de René Le Borgne, en vertu des dispositions de l’ordonnance sur les assignations, contraignait Nointel à certains délais.

Le Conseil n’eut pas à trancher dans l’affaire du château du Taureau pour laquelle Geslin de Trémargat s’était passionné. N’avait-il pas trouvé dans les prisons de Morlaix un soldat qui y avait eu quelque part ? Le procès ayant été réglé à l’extraordinaire, le Parlement jugea l’instance prescrite. Il cassa la commission de Geslin de Trémargat qui avait envoyé le soldat dans les prisons de Vannes et le déclara absous.

Pourtant Nointel dut s’attarder à Nantes plus qu’il ne l’avait prévu bien qu’il eût écrit à Colbert, le 12 février, qu’il avait achevé le récolement des inventaires des aveux « qui sont dans la Chambre des Comptes » [Note : Séverin Canal (Les origines de l’Intendance de Bretagne, p. 139) expose qu’avant son arrivée à Nantes, des commissaires du roi avaient trouvé, en 1679, les archives du château de Nantes et celles de la Chambre des Comptes « dans le plus grand désordre ; des titres manquaient, d’autres étaient lacérés, d’autres raturés et falsifiés ». Sur plainte du sr. du Moulinet, un de ces commissaires, Nointel, fut, entre autres missions, chargé de procéder au récolement et à la vérification des titres. Il ordonna aux gens de la Chambre des Comptes de faire rechercher ces titres et d’en dresser un inventaire sommaire. Travail énorme qui ne sera achevé que le 15 janvier 1701. Le travail fut évidemment confié à diverses personnes qui travaillèrent sans souci de la situation géographique des juridictions et sans tenir compte de la chronologie. Les liasses ainsi établies furent reliées au fur et à mesure qu’elles étaient remises au conseiller que Nointel en avait chargé. Il en résulta neuf gros recueils factices assurément précieux mais très difficiles à consulter. Cf. Archives départementales de Loire-Atlantique, B 2425 in fine du neuvième registre] et qu’il partait [Note : Lettre de Colbert du 22 février 1689. « ... Ne doutant point, écrivait Colbert en finissant, que vous ne terminiez promptement cette affaire et que vous ne conserviez la justice au Roy ». Bibliothèque Nationale, loc. cit., pp. 207-208].

En fait, le récolement n’était pas achevé. Nointel dut l’avouer le 12 mars 1680 : il le rependrait à son retour à Nantes. Il partait la semaine suivante pour Lannion (Archives Nationales, G7-172).

Quand il y arriva, le 1er avril, il trouva l’instruction très peu avancée : il dut la reprendre dès le début. N’était-ce pas une sorte de défaite ? N’était-ce pas à lui de la faire reprendre d’une manière effective ? (Lettre du 28 avril 1680. Archives Nationales, ibid.).

Il s’était d’ailleurs produit un événement bien fait pour aggraver le flottement. Buisson, fermier général du domaine du roi était mort. Il fallut le remplacer pour la Bretagne par le bourgeois de Paris, Louis Moreau, tout de suite aux prises avec de graves difficultés. Les témoins étaient rares et réticents, intimidés par les menaces des agents de Joseph du Coskaër.

Le document suivant en apporte la preuve : c’est une lettre écrite à Nointel, le 6 avril 1680, par ordre de Louis Moreau. Elle est tout à fait explicite.

« A Monseigneur le marquis de Nointel, conseiller du Roy en ses conseils, maistre des Requestes ordinaire en son hostel, commissaire députté pour l’exécution de ses ordres en Bretagne et en cette partye. Suplie humblement Louis Moreau, bourgeois de Paris, chargé des poursuittes du papier terrier de lad. province de Bretagne au lieu et place de M. Jacques Buisson et dit qu’en l’instance commencée par led. Buisson contre Mre Joseph du Cosquer, chevallier, seigneur de Rozambault, conseiller au Parlement de Bretagne pour raison des uzurpations par luy et les seigneurs de Barac’h, ses prédécesseurs, faittes de plusieurs landes apartenantes à Sa Majesté dans les paroesses de Plemeur-Bodou et Tréberden, vous auriez esté commis par deux arrests du Conseil pour dresser estat et procès-verbal desd. landes, ensemble des fiefs et domaines qui les environnent, ce que vous auriez commencé de faire dès le deuxiesme de ce mois, mais encore que dans led. procès commencé dès l’année 1628, tous les seigneurs voisins et mesme les habitants desd. parroesses et les particuliers ayant hérittages en la directe de Sa Majesté fussent intervenus et se fussent rendus opposants aux prétentions desd. Srs de Barac’h, néantmoins ayant trouvé moyen de les satisfaire en dellaissant à quelqu’un des principaux d’iceux partye desd. landes, de la propriété desquelles il s’est desparty en votre présence, suivant qu’il apert de votre d. procès-verbal, et d’intimider les autres, il ne se trouve aujourd’huy personne qui veille soustenir les droits de Sa Majesté et mesme ses principaux vassaux qui ont des fieffs meslez entre ceux dud. Sr de Rozambault ou des domaines [Note : Parmi ces seigneurs qui se montrèrent défaillants, il faut citer Louis-Marcel de Coëtlogon, évêque de Saint-Brieuc, abbé commendataire de Bégard, seigneur de Penlan ; — Hercule-François de Boiséon, gouverneur de la ville et du château de Morlaix et pays circonvoisins, etc... pour la seigneurie de l’Ile Grande ; — Laurent Hingant, devenu seigneur de Kerduel après la mort de son neveu, l’abbé Jean-Baptiste Hingant de Kerisac ; — Jean Le Lagadec, sieur de Mézédern, pour le lieu noble de Goaradur, etc... Archives départementales des Côtes-d’Armor, A. 28-30-31] et hérittages en la directe de Sa Majesté qui a presque tout le proche fiefs desd. parroesses ainssy qu’il conste par les adveus qui luy ont esté rendus, n’en peut presque aujourd’huy faire recognoitre aucune partye, à cause de l’antienneté desd. tiltres, et, comme par l’art. 133 de la coustume de lad. province, tout vassal est tenu de faire montrée et veuë de ce qu’il tient de son seigneur féodal, led. Moreau requiert qu’il vous plaise, Monseigneur, attendu la célérité du fait, ordonner que tous les vassaux de Sa Majesté tant nobles que roturiers tenans fieffs et hérittages mouvans de Sa Majesté dans lesd. parroesses seront tenus d’en faire la montrée aud. Moreau où ses procureurs offrent à se trouver scavoir en lad. parroesse de Treberden au logis de la veuve de la Fosse, et en celle de Plemeur-Bodou en celuy de Pierre Le Flem, à peine de cinq cens livres d’amandes ou d’estre deschus desd. fieffs et hérittages qui seront réunis au domaine de Sa Majesté et, à cet effet, que l’ordonnance qui sera par vous renduë sur la présente requeste sera publiée aux prosnes des grandes messes dans lesd. parroesses et signifiée à qui besoin sera et ferez justice. Bodier, procureur dud. Moreau [Note : J’ai trouvé copie de ce document dans les Archives départementales des Côtes-d’Armor. H. Penlan 134].

Le sieur du Moulinet qui avait accompagné Nointel à Lannion se joignit instamment à la demande du fermier du domaine. Etait-ce nécessaire ? Car, le jour même, Nointel écrivit au-dessous de la supplique : Soit fait ainsy qu’il est requis. Fait à Lannion le 6ème jour d’avril 1680. Béchameil.

Bodier se hâta de faire parvenir les assignations [Note : Le sieur de Moulinet (ou de Molinet) paraît avoir été la personne dont Nointel avait demandé la désignation pour faire les réquisitions au nom du fermier du domaine. Il était au nombre des commissaires envoyés à Nantes en 1679 pour faire ouvrir les archives du château et de la Chambre des Comptes. — Le bureau de la réformation se trouvait établi à Lannion, rue Saint-Malo, paroisse de Saint Jean du Baly].

Affaire instruite, devait dire Nointel le 30 avril [Note : L’huissier Galard se rendit ainsi le 10 avril à Guénézan et parlant à un domestique de l’abbaye de Bégard signifia « aux Révérends prieur et religieux de Begar à ce qu’ils n’en ignorent et ayent à obéir... d’estre et de comparroir vendredy prochain dix heures du matin devant mond’ seigneur marquis de Nointel, commissaire dans la lande de Tréberdan devant leur ancien manoir de Penlan pour faire leur déclaration et montrée de ce qu’ils prétendent leur apartenir et donner à S. M.. les autres éclaircissemens qu’ils peuvent avoir, etc.. ». Archives départementales des Côtes-d’Armor. H. Penlan 130 et 134], et qu’il a fallu reprendre entièrement. « ... Les arpenteurs et autres experts travaillent depuis trois semaines et n’ont point encore achevé, partye à cause du vilain temps et en partye à cause des festes... » [Note : Les fêtes de Pâques (Lettre du 30 avril 1680. — Archives Nationales, G7-172)].

Il espère en avoir fini dans « les dix ou douze jours ». — « Je retourneroy aussitôt à Nantes, ajoute-t-il, où les partyes produiront incessamment leurs pièces quy seront en grand nombre, n’y ayant presque pas un morceau de terre quy ne leur fournisse un sujet de contestation... ».

René Le Borgne ne devait-il pas se déclarer lui-même submergé par les documents, authentiques ou faux, et les pièces de procédure que les du Coskaër avaient entassés et entassaient à l’envi, créant une confusion insensée dans laquelle il n’était guère possible de se retrouver ?

Enfin, le 14 mai, Nointel put annoncer à Colbert que « l’instruction de l’affaire du sieur de Rosembault sera achevée dans la fin de cette semaine ». Il a accordé aux parties le mois qu’elles ont demandé « pour faire leur production ». Il ne remettra pourtant son compte rendu qu’après avoir examiné toutes les pièces. « Je prendroy cependant la liberté de vous dire que j’espère que vous la trouverés bien éclaircie... » [Note : Archives Nationales, ibid. Entre temps Colbert avait écrit le 9 mai 1680 (Bibliothèque Nationale, Clairambault, 463, p. 315) pour lui demander d’exécuter « promptement l’arrest sur le sujet de l’exemption prétenduë par les habitants de Lannion ». Il y avait, en effet, une autre affaire dont Nointel avait été chargé. Plusieurs « villes » de Bretagne, notamment Saint-Renan, Nantes et Lannion, prétendaient être exemptes du paiement des lods et ventes (Cf. Séverin Canal. Les Origines de l’Intendance de Bretagne, p. 145). Nous savons qu’il s’agissait des maisons et terres situées dans le cens et cordée de la ville de Lannion. Elles étaient également exemptes du droit de rachat moyennant le paiement d’une modeste taille de cens au prévôt de Trorozec, qui en versait le montant au fermier du domaine. On ne savait à quelle époque cette exemption remontait ni même si elle avait été l’objet d’un édit ducal ou royal. (Cf. Archives départementales des Côtes-d‘Armor, H. Prieuré de Kermaria an Draou, et A 51)].

Colbert lui accusa réception de sa lettre le 23. « Je suis bien aise d’apprendre, écrivait-il.., que les affaires de Lannion et du sieur de Rosembault avancent, achevez-les promptement et travaillez à expédier le reste des affaires que vous avez dans cette Province, n’estant pas à propos que vous y séjourniez plus longtemps » [Note : Cette lettre de Colbert (Bibliothèque Nationale, loc. cit., p. 349) montre que Nointel ne fut point, comme on l’a dit souvent, intendant de Bretagne, mais chargé d’une mission extraordinaire dans la province. En mars 1681, Séverin Canal (op. cit., p. 154) le considère comme intendant de Touraine, chargé de missions en Bretagne].

Les pièces examinées, laissant au sieur du Moulinet le soin de faire les significations nécessaires [Note : Cf. Lettre à Colbert datée de Nantes le 18 juin 1680 (Archives Nationales, G7- 172)] et aux sieurs Bodier et des Grossières, procureurs du fermier général du domaine royal, le soin de faire face aux assignations. Nointel regagna Nantes [Note : « Comme il n’avait plus rien à faire à Lannion, il revint à Nantes en passant par Brest, si nous en croyons Mme de Sévigné » (Séverin Carnal, op. cit., p. 146).

De là, il donna son avis sur l’affaire du sieur de Rosanbo. La situation s’étant révélée inextricable, sur le vu d’une carte figurative des landes de Trébeurden et de Pleumeur-Bodou, il fixa le produit de ce qui avait été usurpé à un revenu annuel de 3.230 livres 16 sols 6 deniers.

Joseph du Coskaër s’empressa de faire appel de l’ordonnance prise par le marquis de Nointel d’après les conclusions auxquelles il était arrivé, — ordonnance qui reconnaissait la réalité des usurpations et les mettait en évidence, bien que son enquête eût été très gênée par les intimidations dont les témoins avaient été l’objet.

C’est à cette situation que se rapporte la lettre que Nointel écrivit à Colbert le 6 juillet 1680. Après avoir pris acte en quelque sorte de ce que le sieur de Rosanbo eût fait signifier les articles de son ordonnance, il ajoutait : « Il aurait pu aux termes de l’ordonnance de 1667 passer oultre. Mais il a cru que l’on trouverait plus à propos de donner un arrest qui joigne les moyens d’appel à l’instance, et ordonne que sans y avoir esgard il donnera son advis » (Archives Nationales, G7-172).

Ce à quoi Colbert répondit le 18 : « ... J’examineroy aussy ce que vous m’écrivez concernant l’appel interjetté par le sieur de Rosambault et vous envoyeroy les arrests du Conseil quy seront estimez nécessaires ... » (Bibliothèque Nationale Clairembault, 463, pp. 516-517).

Il en résulta l’arrêt du Conseil du 27 juillet 1680, tout à fait conforme aux conclusions de Nointel et auquel Joseph du Coskaër fit également opposition.

... Faut-il rappeler qu’il y avait nécessité pour les parties, sous l’ancien régime, de solliciter leurs juges ? Ni René Le Borgne, ni Joseph du Coskaër n’y manquèrent. Mais le seigneur de Barac’h se trouvait socialement et financièrement dans une situation très supérieure à celle de son adversaire. Or, parmi « les conseillers du Roy en tous ses conseils et en ses Conseils d’Etat et privé » qu’ils eurent à solliciter, il faut admettre que Joseph du Coskaër fut reçu d’une manière particulièrement favorable par Louis Le Peletier, premier président du Parlement de Paris.

Avait-il eu l’habileté de se faire accompagner de sa fille Geneviève, son unique héritière, ou est-ce dans le « dossier » que Louis Le Peletier la découvrit d’abord ? Il faudrait vérifier des dates demeurées fort incertaines. Toujours est-il que bientôt on trouve Louis Le Peletier marié à Geneviève du Coskaër. Celle-ci lui donna un enfant, qui reçut aussi le prénom de Louis et qui devint plus tard président à mortier au Parlement de Paris, puis premier président de cette cour.

Geneviève du Coskaër mourut en 1693 à l’âge de trente-sept ans environ, suivant son père de trois ans dans la tombe [Note : Il mourut en effet en janvier 1690, comme le dit Fr. Saulnier, Le Parlement de Bretagne 1534-1790, t. I, p. 272. Cf. Archives départementales des Côtes-d‘Armor, E. 1483].

En qualité de père, garde naturel et tuteur de son fils, le premier président se trouva détenteur de tous les biens des du Coskaër et en était même assez considéré comme le propriétaire véritable puisque c’est en faveur de son fils mineur que Louis XIV érigea en marquisat la seigneurie de Rosanbo [Note : Dans le minu qu’il a fait présenter le 28 septembre 1699 au fermier du domaine du roi à Lannion pour le rachat de Joseph du Coskaër, il est dit « haut et puissant messire Louis Le Peletier, chevallier, seigneur de Villeneuve-le-Roy, Beaupré et autres lieux ». Archives départementales des Côtes-d‘Armor, E. 1483].

Même si le mariage de Louis Le Peletier avec Geneviève du Coskaër n’avait dû être célébré qu’après la mort de René Le Borgne, survenue en 1691, il est présumable que celui-ci n’aurait pu escompter la bienveillance du premier président du Parlement de Paris.

Bref l’affaire continua à traîner et à se perdre dans le maquis de la procédure.

Le 1er octobre 1680 (Archives Nationales, G7- 172), Nointel signalait déjà à Nantes la présence de Joseph du Coskaër travaillant « à sa procédure » en même temps qu’y travaillaient à Lannion, pour le fermier du domaine, Bodier et des Grossières.

C’est la dernière lettre que nous ayons vue du marquis de Nointel. Pourtant il continuait encore à s’occuper de l’affaire de Rosanbo, comme le prouvent une dernière lettre de Colbert en date du 6 janvier 1681 [Note : « Expédiez promptement les affaires qui vous ont esté renvoyeez, scavoir celle des marais de Saint Coulhon [Note : il s’agit de Saint-Coulomb, à mi-distance entre Saint-Malo et Cancale], des ports et havres et de Rosambault ». Bibliothèque Nationale Clairambault, 483, p. 28], et la prise en considération de son avis au sujet des landes le mois d’octobre suivant.

D’ailleurs des événements et des incidents divers se produisaient sans cesse ne faisant que compliquer une situation que l’on sait déjà très embrouillée.

C’est ainsi que le fermier général du domaine royal de Bretagne, Louis Moreau, demandait non seulement le remboursement des jouissances des landes usurpées depuis le temps non prescrit, mais encore requérait la réunion d’îles, de bois et de la sécherie de « Cossechérès » [Note : Il s’agit assurément de la sécherie établie sur l’îlot appelé aujourd’hui Costaérës (en Trégastel) et jadis Coz Sechérës (la vieille sécherie). Il est douteux que Louis Moreau fût fondé à la revendiquer au nom du roi. L’îlot de Coz Sechérës relevait en effet de la quevaise Crec’heren qui reconnaissait pour seigneur proche et lige le seigneur de Penlan, c’est-à-dire l’abbé commendataire de Bégard]. Occasions de nouvelles discussions et de nouvelles procédures devant le Conseil du Roi.

Puis des modifications importantes se produisirent dans la ferme du domaine royal de Bretagne : Bougis succéda à Moreau, Duval à Bougis, Chappelain à Duval. Puis Colbert mourut en 1683.

Le 3 août 1684, le Conseil ordonna un compulsoire, ce qui retardait encore le moment où pourrait être obtenue la décision définitive.

Contraint à de considérables avances, à de nombreux voyages, les ressources de René Le Borgne s’épuisaient. Il voyait sa ruine imminente.

C’est alors que, en désespoir de cause, il fit rédiger une longue Requeste au Roy et décida de tenter une dernière démarche à Paris et à Versailles dans l’espoir d’intéresser quelques conseillers et aussi « le marquis de Lannion, capitaine des gendarmes de la reine », petit-fils du Pierre de Lannion, baron du Vieux-Chastel, qui avait signé le contrat d’association du 1er mai 1628 [Note : Bien que le fils de Pierre (Ier) de Lannion, baron du Vieux-Chastel, Claude de Lannion, fût encore vivant (il devait mourir le 24 juin 1695), c’est à son fils Pierre (II) de Lannion, né à Baud au début de mars 1642, époux de Marie-Françoise Eschallerd de la Boullaye, que s’adressa René Le Borgne. Il n’avait pas plus droit au titre de marquis de Lannion que son père à celui de comte, le domaine royal de Lannion n’étant qu’une châtellenie].

Mais la cause de René Le Borgne paraît l’avoir laissé indifférent, soit que son père eût été de ceux auxquels François II du Coskaër avait accordé des dédommagements, soit parce que ses propriétés morbihannaises l’eussent beaucoup plus intéressé que les quelques rares domaines qu’il avait conservés dans la région lannionnaise [Note : Les Lannion tinrent toujours à conserver le Cruguil, en Brélévenez, entré dans leur famille par le mariage de Margélie du Cruguil avec Briand II de Lannion vers le milieu du XIVème siècle]. En tout cas il ne reçut pas René Le Borgne, comme le prouve la lettre découragée suivante :

« Versailles, le 15 janvier 1686. Monsieur, J’ay bien de la douleur de n’avoir peu avoir l’honneur de vous faire la révérence et de recevoir vos ordres avant de partir pour la province, mais le peu de fruit que je remporte de mon voyage et le peu d’espérance qui me reste de voir si tost finir ce procès dans lequel deffunt Mons. le baron de Vieux-Chastel estoit intéressé, me fait avoir recours à vous pour vous supplier d’avoir la bonté de le faire solliciter lorsqu’on y travaillera. Si je puis espérer cette grâce, je prendray la liberté de vous en escrire lorsque Mons. de Richebourg, qui est nostre raporteur, l’aura devant luy. Touts les frais sont faits, il est en estat de juger et il ne faut qu’un jugement, quel qu’il puisse estre, pour mettre fin à l’oppression de vos vassaux de vostre terre du Cruguil pour la libération desquels ce procès fut entrepris. J’ay de la confusion, Mons., de vous estre importun, mais l’interest que MM. vos prédécesseurs [Note : Pierre de Lannion, signataire du traité d’association, et son fils Claude, veuf de Thérèse Huteau de Cadillac et remarié à Jeanne-Françoise de Bellingant, qui lui survécut et épousa en secondes noces Nicolas Riaud, sieur du Plessix de Guer] y ont pris et l’attache que ma famille a toujours aux interests de votre Illustre Maison me fait espérer ceste grâce et celle de me croire plus que personne, et d’un très profond respect, Monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur, Goazven Le Borgne. Je prends la liberté de vous laisser une copie de l’escrit que j’ay fourni pour respondre à plus de huict cent rolles d’écriture que nous a fournis Mons. de Rosambo. Cet escrit pourra servir d’instruction aux personnes que vous emploierez pour voir nos juges (Archives départementales des Côtes-d‘Armor, E. 3047).

L’écrit dont parle René Le Borgne est cette Requeste au Roy, mentionnée précédemment et qu’il avait fait signifier le 7 janvier 1686, conformément aux ordonnances en vigueur.

Il est très copieux et tout à fait du genre factum. Il commence par un historique de l’affaire puis s’attache à discuter la valeur des documents et des productions du seigneur de Rosanbo avec un luxe impressionnant de détails.

J’aurais voulu tenter une discussion juridique des pièces de ce procès que je devrais en faire une analyse minutieuse, en me référant sans cesse aux dispositions de la coutume de Bretagne. Mais je n’en traite ici qu’au point de vue de l’histoire sociale. Aussi me bornerai-je à reproduire un long passage de cette requête où René Le Borgne a tenté de définir, en réponse aux injures qu’il en a reçues [Note : ... Quant aux termes de lasche et de relaps dont le sieur de Rosambo se sert fort à contre-temps et quy siéroint mieux à un homme de condition servile qu’à un homme de sa profession (conseiller au Parlement de Bretagne), le supliant soutient qu’ils ne luy peuvent convenir parce que, pour les méritter, il faut avoir esté dans l’erreur et fait quelque action indigne d’un gentilhomme et le supliant est persuadé avec tous les gens d’honneur qu’il n’a ny erré ny rien fait quy déroge en prenant comme ses prédécesseurs les interests de Vostre Majesté contre un avare usurpateur. « Et quant à la récompense du dixiesme (récompense qu’il n’aura d’ailleurs pas perçue) que le sieur de Rosambo appelle Merces Iniquitatis, le supliant soutient qu’elle n’est pas sans exemple dans l’histoire et qu’il y a de la justice à l’accorder à un homme dont la maison n’a esté ruinée que pour n’avoir peu souffrir les injustices et les vexations de celle de M. de Rosambo au préjudice de Vostre Majesté et du bien publicq... » (Requeste au Roy)], les procédés des seigneurs de Rosanbo pour accroître leur puissance territoriale et leurs richesses. Il le fait avec assez de bonheur et, me semble-t-il, avec une assez forte part de vérité.

... Croit-il (Joseph du Coskaër, sieur de Rosanbo) qu’on ne remarque pas que toutte la satisfaction qu’il espère tirer du désespoir de sa cause, n’est que celle d’avoir bien dict des injures, faute d’avoir de bons tittres et de bonnes raisons pour l’appuier, et enfin peut-il espérer, parce qu’il suppose qu’on veut le ruiner, qu’on ne remarque pas que les injustices de sa famille ont ruiné et tiennent encore dans l’oppression tout le peuple d’un des cantons de la province quy a esté des plus riches et des plus florissants avant les injustes entreprises de sa maison.

En l’an 1441 ceste coste de mer quy avoisine les landes usurpées et où l’on void cinq ou six ports de mer les plus commodes pour des vaisseaux marchands, estoit peuplée d’un si grand nombre des gens de marine et de riches marchands que les ducs de Bretagne, lors leurs souverains, se servoient d’eux dans leurs plus importantes affaires sur mer, si bien qu’en reconnaissance de leurs services rendus et de ceux qu’on espéroit encore d’eux, le duc Jan, en lad. année 1441 en ennoblit plusieurs et exempta les parroisses de Péros, Trégastel et Trébréden des subsides de douze feux en leur considération [Note : Le duc Jean V, qui eut successivement pour lieutenants de son amirauté Olivier et Yvon de Lannion, cadets de la maison de Lannion-Cruguil, employa en effet des marins de Perros-Guirec, de Trégastel et de Trébeurden pour aller chercher Isabelle Stuart, fille du roi Jacques Ier d’Ecosse, fiancée à son fils aîné François, devenu veuf en 1440 d’Yolande d’Anjou. En dépit des dangers qu’offrait la mer à cette époque, les marins s’acquittèrent parfaitement de leur mission. C’est en récompense de ce service et dans l’espérance qu’ils en rendraient de nouveaux que Jean V accorda à une vingtaine d’entre eux la noblesse personnelle et exempta leurs familles des fouages. Jean V mourut en 1442 et fut remplacé par le mari d’Isabelle, qui prit le titre de François Ier duc de Bretagne. Pour aller réclamer la dot promise par Jacques Ier, dot qui n’avait pas été payée, François Ier renvoya les mêmes marins en Ecosse pour la percevoir. Presque tous devaient périr au cours de cette entreprise dans des conditions demeurées inconnues : on n’entendit plus du tout parler d’eux. Un seul des anoblis, qui sans doute n’avait pu prendre part à cette expédition, survécut un an ou deux].

On comptoit dans les ports de Miliau, le Toënnou, l’Isle Grand, Keraliès, Ploumanac’h et Peros [Note : L’île Milliau, voisine de Trébeurden, est accessible à pied sec à certaines très grandes marées au moment du reflux ; le Toënnou (Toinot, sur la carte d’Etat-Major) se trouve entre la plage de Goastrez, en Trébeurden, et le village de Penvern ; Keraliès est situé en Pleumeur-Bodou, entre Penvern, qui appartient pour parties à Trébeurden et à Pleumeur, et la baie de Landrellec. Le port le plus important était Ploumanac’h, déjà utilisé à l’époque des Ossismes. Ploumanac’h fut même longtemps un centre de construction de bateaux de faible tonnage] plus de cent cinquante vaisseaux et barques, l’on y voyait plusieurs beaux villages et le port de Ploumanac’h estoit couvert d’un bon chasteau quy n’a esté démoli que depuis les dernières guerres de la Ligue [Note : Ce château, connu sous le nom de Castel Bras, était édifié sur la plate-forme d’une haute roche à gauche de la plage de la Bastille. Occupé par un capitaine de routiers royaux, le capitaine La Croix, qui entendait y brigander, il fut pris, à la mi-août de 1594, par les sieurs de Coattredez et de la Villeneuve-Crésolles, lieutenants du maréchal d’Aumont, gouverneur de la Bretagne pour le roi Henri IV], soubs lequel il y avoit un beau bourg et depuis les entreprises de la maison du sieur de Rosambo toutte ceste oppulence s’est évannouye de manière qu’à peine y trouverait-on une cabanne ny un bateau de percheurs.

La ruine tottale de tout ce pauvre peuple n’a pu remplir l’avarice du sr. de Rosambo et de ses autheurs. Il ne s’est pas contenté de tout ce qu’il avoit usurpé avant l’année 1628 ! Il a porté ses usurpations sur touttes les issuës et places publiques [Note : Correspondant au mot breton placen, très usité en Trégor, pour indiquer un endroit découvert et même dénudé] et les chemins mesme de ces pauvres parroisses pour en augmenter ses fermes et grossir son rentier. Il s’est aussy élancé sur les petittes isles qu’il dit luy apartenir parce qu’elles ont fait autrefois partye du continent et qu’elles sont situées au droict de ses terres. Il a, dis-je, augmenté ses usurpations de manière qu’elles s’estendent à présent sur 1460 journaux qui font 4380 arpents de terre, c’est-à-dire sur une estendue de plus de six lieues de France.

Ces petittes isles qui rompent l’impétuosité de la mer et couvrent les ports de Keraliès et de l’Isle Grand [Note : Des îles de la baie de Landrellec, la plus importante est l’île d’Aval où une légende place un des nombreux endroits où l’on prétend que le roi Arthur est enterré. Le port de l’Ile Grande est aussi appelé Port-Geslin, nom qu’il pourrait tenir de Geslin de Coëtmen, tige des seigneurs de Tonquédec et de Keruzec] servoint autrefois d’azile aux pescheurs lorsqu’ils estoient surpris de quelque orage, et pour prendre la commodité des marées pour leurs négoces. Mais les fermiers du Sr. de Rosambo leur en deffendent sy expressément l’approche, aussy bien que d’une certaine estenduë de costes qu’il s’est fait adjuger par l’arrest de 1639 [Note : Arrêt rendu par le Parlement de Bretagne à la suite de l’enquête du conseiller Alleneau] que aulcun pescheur en quelque péril qu’il se rencontre n’y ose aborder, crainte d’un procès et où on exige de luy un prétendu droict quy emporteroit tout le fruict de ses travaux.

Ces vexations commencèrent par le trouble que les sieurs de Barac’h [Note : les François du Coskaër, père et fils] aportèrent à la pesche des congres et des rayes dans l’exercice de laquelle la jeunesse se formait insensiblement à la marine. Cette pesche quy estoit le principal fondement des commodités du canton estoit abondante tant par le nombre des pescheurs que par la quantité du poisson lequel estant desseiché par les rayons du soleil [Note : Ce procédé est demeuré en usage, au moins à Ploumanac’h, jusqu’à la guerre de 1939, mais réduit au séchage des maquereaux sur les ardoises des toits, pour la consommation personnelle] se débitoit avantageusement à la coste d’Espagne [Note : et aussi en Normandie]. Ce débit et ceste abondance esveillèrent la convoitise et l’avarice des sieurs de Barac’h et leur fit former le dessein de s’en rendre maistres.

Ils avoint, comme plusieurs particuliers, une pescherie et seicherie en quelque endroit de la coste, et non pas, comme ils l’ont dit depuis dans leurs adveus, un droict de pescherie et de seicherie sur les travaux des pescheurs. Ils affermoint ceste pescherie et seicherie comme leurs autres lieux sans incommoder personne. Mais les sieurs de Barac’h quy ont toujours expliqué leurs actes à leur advantage et à l’oppression de leurs voisins, se servirent de ces fermes pour en former un prétendu droict qu’ils exercèrent avec tant de sévérité que ces pauvres pescheurs, frustrés par ces injustes levées du fruit de leurs travaux, abandonnèrent cette pesche quy estoit l’unique fondement de l’abondance de ces lieux. Et lorsqu’ils commençoint à se remettre de ceste perte pour avoir trouvé d’autres emplois à leurs vaisseaux et à leur jeunesse, ils se virent tout d’un coup frustrés par ces mesmes usurpateurs des commodités. qu’ils tiroint des landes usurpées tant pour leur chauffage que pour le pasturage de leurs bestiaux, sy bien qu’ils furent en mesme temps privés de l’usage du feu, de la terre et de l’eau.

Les sieurs de Barac’h dont l’ambition et l’avarice se sont toujours distinguées et quy n’ont jamais rien obmis de ce quy a peu augmenter leur revenu, trouvoint en ceste usurpation un double proffit. Le premier estoit l’augmentation de leur terre d’une estenduë six fois plus grande que celle qu’ils possédaient, et le second se tirait de la vente de leur bois taillis de Keruzee, quy devenait indispensablement nécessaire à ce pauvre peuple, en leur deffendant la couppe des mottes qu’ils avoint coustume de faire dans les landes, quy estoit leur unique chauffage, le bois ne croissant pas dans la voisine de la mer [Note : Toute une étude serait à entreprendre sur ce sujet, qui pourrait infirmer l’assertion de René Le Borgne. L’existence de forêts anciennes est indiscutablement prouvée par la découverte, en certains endroits de la côte, de masses de bois qui ont été submergés. Il est évident que non seulement la forêt de Lexobie (quelle que soit l’exactitude du nom qui lui a été donné) a existé, alors que les Sept Iles étaient réunies au rivage et a dû être submergée par la « transgression flandrienne » de la mer, mais encore que la toponymie révèle par l’abondance des termes vern ou guern (aulne) en composition que, auprès des forêts de chêne, ont existé de très nombreux bois d’aulnes. Si l’on ne tient compte que de ces chênaies et de ces aulnaies, il est vraisemblable que, depuis peut-être la préhistoire, tout au moins depuis le début des temps historiques, il a été procédé à un déboisement actif qui s’est poursuivi dans la suite. Ce déboisement intensif a pu modifier le climat. Il n’en demeure pas moins que, dès avant le XVIème siècle, la lande recouvrait une très grande étendue de ce qui avait pu être antérieurement boisé. Le voisinage de la mer a pu agir par suite de l’impétuosité des vents, mais seulement dans une certaine mesure]. Ainsy lesd. sieurs de Barac’h ayant adjousté le nouvel establissement de leur prétendue jurisdiction dont les officiers ont causé une infinité de désordres quy sont prouvés par le procès-verbal et enqueste du Sr. Poussepin (en 1628), ces pauvres habitants furent obligés d’aller chercher habitation ailleurs, d’où est provenuë la ruine de touts ceux quy n’avoint de revenu qu’en ce canton.

Le deffunct Sr. de Barac’h [Note : François (II) du Coskaër, époux de Marguerite du Parc de Locmaria] quy, par l’exemple de ses prédécesseurs, avoit apris à faire valloir ses tittres par des explications captieuses, voyant que l’establissement de son prétendu droict de pescherie et seicherie luy devenait inutile par l’abandon que le peuple avoit fait de la pesche, crut qu’il en pouvoit tirer encore un proffit considérable s’il pouvoit appliquer le mot de seicherie au goësmon que le peuple tire de la mer pour amender les terres et qu’on fait quelquefois seicher au soleil pour le rendre meilleur et plus facile à transporter, et ce fut de ce mot seicherie qu’il prétendit soutenir le droit de gouesmonage dont il fut déboutté par l’arrest de 1639, le Sr. Allano (Alleneau), quy surprint cet arrest un dernier jour de séance n’ayant pas jugé que le Sr. de Barac’h peut soutenir un droict aussy onéreux au peuple, et aussy onéreux que celluy­là... » (Archives départementales des Côtes-d’Armor, E. 3017).

Il faut assurément se défier des accusations qu’un plaideur porte contre la partie adverse. Il est pourtant certain que la côte de Trébeurden à Perros-Guirec, très prospère au XVème siècle, et encore au début du XVIème siècle, devint alors vraiment misérable. On peut en donner d’autres raisons : la décadence de la marine bretonne après la réunion de la Bretagne à la France et après les grandes découvertes maritimes, des épidémies (de peste sans doute) qui désolèrent le pays au XVIIème siècle et dont le souvenir est resté longtemps en mémoire. Il est vrai que Ploumanac’h qui, sous un autre nom, connut une longue période de prospérité depuis le temps des Ossismes, — qui eut de l’importance au temps de la domination romaine [Note : Dans l’Annuaire des Côtes-du-Nord de l’an XIII, l’ancien conventionnel Pierre Toudic, devenu inspecteur des contributions dans les Côtes-du-Nord et qui s’adonnait aux recherches archéologiques, affirma que Ploumanac’h se trouvait sur l’emplacement de l’importante cité gallo-romaine de Manatias. Il promit d’en apporter la démonstration dans l’Annuaire de l’an XIV. Mais il mourut entre temps, et son collaborateur Denoual de la Houssaye ne réalisa pas la promesse de son ami] ; — que la chancellerie du roi Charles V, en 1375, qualifie ville par opposition à Trégastel qualifiée paroisse ; — qui, à la fin du XVIème siècle formait encore une agglomération assez considérable, — Ploumanac’h ne présentait plus, à l’époque où René Le Borgne rédigeait sa diatribe, que le spectacle de cinq chaumes à-demi ruinés. Et Ploumanac’h avait été le meilleur port de toute la côte !

On est d’autant plus porté à croire que les accusations du seigneur du Goazven ne manquaient pas de vérité, que l’on vit, vers 1734, les fermiers du domaine royal ne pas hésiter à reprendre pour leur compte, contre Louis Le Peletier, marquis de Rosanbo, président à mortier du Parlement de Paris, le procès en usurpations, primitivement intenté par Gilles Le Borgne en 1628.

Il est des cas où l’avidité, l’avarice, le désir de puissance des hommes peuvent être aussi et même plus nocifs que les éléments !

... La Requeste au Roy, de René Le Borgne, vint augmenter le nombre des pièces de procédure sans déterminer l’examen de l’affaire et le prononcé de l’arrêt tant attendu, tant escompté. Ne pourrait-on se croire autorisé à penser que parmi ceux qui freinèrent, s’il en fut besoin, figurait le premier président du Parlement de Paris ?

Mais René Le Borgne était à bout de souffle. Lui, les siens, et même ses vassaux ne cessaient d’être en butte aux mauvaises chicanes de Joseph du Coskaër et surtout de ses officiers, qui, même en présence du marquis de Nointel, avaient intimidé si fortement les témoins à même de déposer qu’il n’avait pas été possible d’obtenir d’utiles indications. Bien entendu, il ne fut pas à même de percevoir le dixième de l’amende infligée au seigneur de Barac’h et de Rosanbo et que ni celui-ci ni ses successeurs ne payèrent. Sa situation était extrêmement obérée quand il mourut en 1691.

Il laissait au moins deux enfants, un garçon et une fille. Joseph-Joachim Le Borgne, à l’instar de son oncle Alain Le Borgne, recteur de Lanmodez, entra dans les ordres et devint recteur de Cavan. Sa soeur était Marie-Anne Le Borgne [Note : Marie-Anne Le Borgne du Goasven épousa Claude-Hyacinthe sieur de Trémaria. De leur mariage naquit Marie-Malonne-Yvonne de Tréanna, dame de Trémaria, qui épousera en 1731 Vincent-Guillaume de Moëllien, sieur de Trojolif ou de Tronjonly, conseiller au Parlement de Bretagne depuis 1724, né à Lesneven en janvier 1698. Ils eurent un fils, Sébastien-Marie-Hyacinthe de Moëllien, conseiller au Parlement de Bretagne en 1755, qui émigrera. — Sébastien-Marie-Hyacinthe de Moëllien épousera dame Perrine-Josèphe de la Bélinaye. Ce sont les parents de Thérèse-Josèphe de Moëllien, qui prit une part active à la conspiration du marquis de la Rouairie. Elle mourut sur l’échafaud le 18 juin 1793. — Le nom de Le Borgne ne s’est pas éteint avec les deux prêtres recteurs de Lanmodez et de Cavan. Il existait, en effet, plusieurs branches de cette famille dont certaines se sont perpétuées jusqu’à nos jours, notamment celle de Boisriou, en Trévou-Tréguignec]. Après l’avoir consultée, il décida, en 1713, de se désister du procès commencé par son bisaïeul quatre-vint-cinq ans plus tôt.

Comme il a été dit à plusieurs reprises, tout n’était pas terminé pour les seigneurs de Rosanbo, puisque les fermiers du domaine allaient reprendre l’instance une vingtaine d’années après [Note : Voir notamment Mémoire pour messire Louis Le Pelletier, chevalier, seigneur de Rosambo, conseiller du Roy en ses Conseils, président au Parlement de Paris, seul et unique héritier de messire Joseph du Coskaër, seigneur de Rosambo, conseiller au Parlement de Bretagne, contre le sieur inspecteur des Domaines, par l’avocat Roussel. - De l’Imprimerie de la veuve Merge, rue Saint-Jacques au Coq, 1734 ». Bibliothèque Nationale, 8 F° en 9527 dans Folio F 3. — Le conseiller rapporteur était Pontcarré de Viarmes (Jean-Baptiste­Elie Camus de Pontcarré, seigneur de Viarmes, allait succéder à Jean-Baptiste des Galois de la Tour comme intendant de Bretagne, le 21 août 1735). Voir également « Informations sur les vie et moeurs de Louis Le Peletier de Rosambo, entre 1721 et 1765 ». Bibliothèque Nationale, mss. français 10.864, fol. 63]. Bien que les points controversés fussent en majeure partie ceux qui avaient été examinés par Poussepin, Alleneau, Dondel de Pendreff et le marquis de Nointel, c’est un autre procès qui s’ouvrait et qui ne pouvait avoir les mêmes incidences sur la situation économique et sociale du canton « bas-breton », correspondant à la plus grande partie du canton actuel de Perros-Guirec (Léon Dubreuil).

(article diffusé avec l'aimable autorisation de la famille Dubreuil).

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