Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

LE TERRITOIRE DES SÉNÉCHAUSSÉES DE QUIMPER ET CONCARNEAU EN 1789

  Retour page d'accueil       Retour "Histoire de Bretagne" 

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Le territoire des deux sénéchaussées (Quimper et Concarneau) en Cornouaille.

En vertu de la « Lettre et règlement du roi pour la convocation de la province de Bretagne » (16 mars 1789), la sénéchaussée de Quimper et la sénéchaussée de Concarneau furent réunies pour former un « arrondissement », une seule circonscription électorale qui devait élire trois députés aux Etats généraux (voir la note 1 qui suit).

Les deux sénéchaussées étaient contiguës (voir la note 2 qui suit). Réunies, elles s'étendaient sur presque toute la côte de Cornouaille, depuis l'embouchure de l'Aven jusqu'à celle de l'Elorn (voir la note 3 qui suit). Ce territoire d'une superficie de 210.000 hectares, peuplé d'environ 117.000 habitants, comprenait 83 paroisses et 25 trèves (voir la note 4 qui suit) importantes formant aujourd'hui 93 communes, soit près du tiers du département actuel du Finistère (voir la note 5 qui suit). La région présentait un caractère maritime très prononcé, puisque 46 de ces paroisses, baignées par la mer, se partageaient plus de 290 kilomètres de côtes.

Note 1 : A. BRETTE, Recueil de documents relatifs à la Convocation des Etats généraux de 1789, t. I.

Note 2 : A. BRETTE, Atlas des bailliages ou juridictions assimilées. — Les fonds de ces deux cours sont analysés dans l'Inventaire sommaire de la série B (t. I) des Archives du Finistère.

Note 3 : A l'exception du rivage de la baie de Douarnenez, entre Saint-Nic et le ruisseau de Riz (15 kilom.), et du fond de la rade de Brest, entre l'anse de Poulmic et l'Hôpital-Camfront (10 kilom.).

Note 4 : Une trève était une subdivision de la paroisse, jouissant d'une certaine autonomie. La trève avait son église, son cimetière, son vicaire, ses registres de baptêmes, mariages et sépultures, et parfois des rôles distincts pour la corvée, la capitation et les vingtièmes. Toutefois, toujours des liens subsistaient entre la trêve et la paroisse mère : subordination du clergé, contribution aux dépenses extraordinaires.

Note 5 : Exactement 93 communes sur 298, 2.100 km2 sur 6.727 km2. — La paroisse de l'Ile de Sein fut, sans doute, omise dans la convocation ; il n'en est point fait mention dans le procès-verbal de la sénéchaussée. Douarnenez. Audierne, Pont-Croix étaient des trêves importantes, Pont-l’Abbé, partagée entre trois paroisses, avait une situation toute particulière. L'Ile Tudy, Langolen et Saint-Jean-Trolimon, simples petites trêves, eurent des assemblée, électorales et rédigèrent des cahiers distincts.

La sénéchaussée de Quimper, de beaucoup la plus étendue (149.500 hect.), était divisée en trois portions distinctes nettement séparées par la baie de Douarnenez et la rade de Brest. Ces trois sections avaient respectivement pour centres Quimper, Crozon et Daoulas. La sénéchaussée s'étendait sur 85 paroisses ou trèves et comptait approximativement 85.500 habitants (voir la note qui suit).

Note : 72 communes actuellement reparties entre 4 arrondissements et 16 cantons. — Le sénéchal Kervélégan évaluait la population de la sénéchaussée de Quimper à 90.000 habitants (Procès-verbaux de l'assemblée de la sénéchaussée). Pour le calcul de la population, nous avons utilisé des sources très diverses : procès-verbaux d'assemblées électorales : Dictionnaire d’OGÉE ; états de population fournis par les districts pendant la Révolution (états dispersés et non classsés), aux Archives du Finistère (série L). D'après les mêmes sources, nos calculs établissent qu’en 1789, la sénéchaussée de Quimperlé comptait environ 23.000 habitants ; celle de Brest, 66.200 ; Léon (à Lesneven), 129.150 ; Châteaulin, 36.500 ; Châteauneuf-du-Faou, 19.200 ; Carhaix, 42.500 ; Gourin, 14 000 ; Morlaix, 37.000. — Au total, pour la partie de ces circonscriptions comprise dans le Finistère actuel, 447.000 habitants. C'est, à peu près, le chiffre atteint par le recensement du département du Finistère en 1790 (449.910 hab.). — Cf Rapport fait au Conseil du département du Finistére, in-4° de 84 p., Quimper, Derrien, 1792, p. 64, et tableau n° 1 annexé à ce rapport. — N’oublions pas cependant qu'en l'absence de recensements, il ne s'agit ici que d’évaluations, forcément approximatives.

La sénéchaussée de Concarneau, qui était d'un seul tenant, n'avait que 23 paroisses ou trèves (61.178 hect., 31.500 âmes) (voir la note qui suit).

Note : 21 communes actuelles, réparties entre 2 arrondisements et 5 cantons. — Le sénéchal de Concarneau, Du Laurens de la Barre, exagérait le chiffre de la population de sa sénéchaussée quand, en 1789, en vue d'obtenir qu'un député aux Etats généraux fût obligatoirement choisi dans la sénéchaussée, il écrivait à l'Intendant : « la population compte au moins 40.000 âmes » (Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 1804).

La sénéchaussée de Quimper confinait au nord aux juridictions royales de Brest et de Léon (à Lesneven), au nord-est à celles de Châteaulin et de Châteauneuf-du-Faou, à l'est à celles de Carhaix, de Gourin et de Concarneau.

La sénéchaussée de Concarneau était entourée par les sénéchaussées de Quimper, de Gourin et de Quimperlé.

 

Aperçu historique sur la formation territoriale des deux sénéchaussées.

Les deux sénéchaussées tout entières avaient fait partie du comté, puis de la baillie de Cornouaille [A. DE LA BORDERIE, Histoire de Bretagne , t. III, (1906), p 76 à 81, et Géographie féodale de la Bretagne, Rennes, 1889].

L'étendue de la sénéchaussée de Concarneau correspondait exactement à l'ancienne chatellenie de Concarneau formée par la réunion de trois châtellenies ducales constituées vers le XIIème siècle : les châtellenies de Conc et Rosporden, entre l'Aven et la baie de La Forêt, et la châtellenie de Fouesnant, entre la baie de La Forêt et la rive gauche de l'Odet.

La sénéchaussée de Quimper, formée de débris épars de l'ancien comté, avait été créée par la réunion d'un grand nombre de seigneuries qui avaient toujours eu des seigneurs particuliers et qui par conséquent n'avaient jamais fait partie du domaine ducal.

Un quart seulement de la sénéchaussée, la châtellenie ou domaine de Quimper, qui s'étendait entre Quimper, Landrévarzec et Saint-Goazec, ainsi que des enclaves comme Beuzec-Cap-Caval, Pouldreuzic, Plovan, Peumerit, Tréogat, Clèden et Plogoff, relevaient immédiatement du siège royal de Quimper.

Le reste se partageait entre la baronnie de Pont-l'Abbé (14 paroisses ou trèves), le fief du Quémenet (11 paroisses, chef-lieu Stang-Rohan en Penhars), la châtellenie, plus tard marquisat de Pont-Croix (8 paroisses on trèves dont deux villes, Pont-Croix et Audierne), la baronnie du Juch, la châtellenie de Pouldavid, la seigneurie de Crozon avec ses 4 paroisses, l'importante châtellenie de Daoulas (10 paroisses ou trèves) et enfin les regaires de Cornouaille qui comprenaient la ville close de Quimper, Kerfeunteun, Cuzon, Coray, le manoir épiscopal de Lanniron et divers petits fiefs dispersés dans l'étendue du diocèse.

Les châtellenies de Daoulas et de Crozon, ainsi que le Quémenet, possessions, en Cornouaille, des vicomtes de Léon depuis le XIIème siècle, mouvaient directement néanmoins du comté de Cornouaille. Cette mouvance ancienne explique, sans doute, le rattachement à la sénéchaussée de Quimper des deux premières seigneuries, malgré leur éloignement.

 

Divisions administratives en 1789.

Le territoire des deux sénéchaussées dépendait en totalité de l'évêché de Cornouaille (voir la note qui suit).

Note : L'évêché de Cornouaille était très étendu, mais peu peuplé : environ 598.000 hectares et 287.000 habitants. L'évêché voisin de Léon avait une densité de populaiton double ; environ 196.000 âmes, pour 201.000 hectares. — Le siège épiscopal de Quimper était occupé, depuis 1773, par Mgr Conen de Saint-Luc. Ce prélat mourut, le 30 septembre 1790, et fut remplacé, le 1er novembre de la même année, par l'évêque constitutionnel Expilly, député du bas-clergé de Léon à la Constituante.

En Bretagne, les évêchés servant de base à l'administration financière, la confection des rôles des impôts abonnés et leur recouvrement étaient confiés au bureau diocésain de Cornouaille qui rendait ses comptes à la Commission intermédiaire, section permanente représentant les Etats de Bretagne dans l'intervalle des sessions (voir la note qui suit).

Note : CARON, L'administration des Etats de Bretagne de 1493 à 1790, in-8°, Paris Nantes, 1872. — En 1789 la commission diocésaine de Quimper était ainsi composée : M. l’Evêque, président ; l'abbé de Kermorvan, l'abbé de Larchantel ; MM. les chevaliers de Penfeuntenyo et du Boisguehennec ; MM. Legendre, maire de Quimper, et Le Déan (Arch. du Finistère, C 76, 15 mars 1789).

Pour l'administration royale, les deux sénéchaussées relevaient de l'intendant de Bretagne, Dufaure de Rochefort. Elles comprenaient, en totalité, les quatre subdélégations de Quimper, Pont-Croix, Pont-l'Abbé, Concarneau et une fraction importante des subdélégations du Faou, de Landerneau el Châteaulin (voir la note qui suit).

Note : Subdélégations (Arch. d'Ille-et-Vilaine, C 1434). — OGÉE, Dictionnaire histor. et géograph. de la province de Bretagne Nantes, 1778, passim.

Au point de vue militaire, ces circonscriptions administratives, comme tout le reste de la province, dépendaient du gouverneur de Bretagne ou plutôt de son représentant, le commandant en chef en Bretagne, le comte de Thiard. Les deux places de Quimper et Concarneau avaient des gouverneurs particuliers (voir la note qui suit).

Note : Conformément à l'ordonnance du 18 mars 1776, le gouvernement militaire de Quimper fut rangé dans la troisième classe (cf. Etat militaire de 1776). Le gouverneur de Quimper, qui ne résidait pas en cette ville, était, en 1789, le marquis de Molac (Almanach de Bretagne pour 1789, Rennes, Vve Vatar). La charge de gouverneur milliaire de Concarneau fut supprimée en 1776. En 1782, le sieur Le Lagadec, capitaine au régiment de Languedoc, acquit, pour une somme de 10.000 livres, la charge de gouverneur municipal de Concarneau (TRÉVÉDY, Essai sur l’histoire de Concarneau, Saint-Brieuc, 1908, p. 179). — Le titulaire jouit de 800 l. de gages et en outre 200 l. de logement (Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 623).

Au point de vue judiciaire, chacune des deux sénéchaussées constituait le premier degré de juridiction royale dans son ressort. A Concarneau, la cour comprenait seulement un sénéchal, un lieutenant, un procureur du roi et un greffier.

A Quimper s'exerçaient deux juridictions royales distinctes (voir la note 1 qui suit) : la sénéchaussée proprement dite et la sénéchaussée présidiale. Ne formant qu'une seule compagnie, les deux juridictions avaient cependant une compétence et un ressort bien différents. Le présidial, qui relevait directement du Parlement, recevait les appels des causes inférieures à 500 livres jugées par les sénéchaussées non présidiales de Quimper, Concarneau, Gourin, Carhaix, Châteauneuf, Châteaulin, Brest, Lesneven et Morlaix. Le présidial avait donc un ressort plus étendu que le Finistère actuel. Aussi le sénéchal de Quimper, Le Goazre de Kervélégan, prenait-il le titre de « sénéchal de la sénéchaussée et siège présidial de Quimper, premier magistrat de Cornouaille » (voir la note 2 qui suit) .

Note 1 : Sans compter l'Amirauté et le siège des Traites. Il y avait aussi à Quimper, près du présidial, un siège de la Prévôté des maréchaux.

Note 2 : TRÉVÉDY, Introduction à l'histoire de la sénéchaussée et des sénéchaux de Cornouaille, broch. de 24 p. Quimper, 1900, p. 18, et Organisation de la justice en Bretagne, dans la Revue historique du droit, t. XVII. 1893.

Les fiefs de l'évêque ou regaires de Cornouaille relevaient évidemment du tribunal des Regaires ou juridiction temporelle de l'évêque qui, selon Hévin, était comme une éclipse de la justice du souverain (voir la note 1 qui suit). Les regaires ressortissaient nuement, c'est-à-dire directement, au Parlement de Bretagne (voir la note 2 qui suit).

Note 1 : TRÉVÉDY, Promenade à Quimper, dans les Bulletins de la Soc. archéol. du Finistère, t. XII, 1885, p. 383.

Note 2 : Sur l'administration de la justice. Voir H. BOURDE DE LA ROGERIE, Liste des Juridictions exerçées au XVIIème et au XVIIIème siècles dans le ressort du Présidial de Quimper, dans le Bulletin de la Soc. archéol. du Finistère, t. XXXVI (1910), XXXVII (1911), XLI (1914), LII (1925).

Les juridictions inférieures ou seigneuriales avaient été innombrables ; mais beaucoup d'entre elles avaient cessé d'être exercées dès le XVIème siècle. Les plus importantes, à peu près seules, subsistèrent jusqu'à la Révolution et le nombre en était relativement restreint : dix dans la sénéchaussée de Concarneau, vingt-deux dans la sénéchaussée de Quimper.

En matière commerciale, le territoire des deux sénéchaussées relevait de la juridiction consulaire de Morlaix. Les communications étaient lentes et pénibles entre les ports du littoral sud et Morlaix. Aussi Quimper et les nombreux ports de Cornouaille réclamaient-ils instamment, mais vainement, depuis 1768, la création d'un consulat à Quimper (voir la note qui suit).

Note : Le tribunal consulaire de Morlaix fut institué en 1566. « Des juges consulaires avaient été nommés à Quimper en 1598. En 1618, les Etats de Bretagne supplièrent le roi de révoquer l’édit de création ; le consulat de Quimper disparut » (H. BOURDE DE LA ROGERIE. Introduction au t. III de l’Inventaire sommaire des Archives du Finistère, p. CXLV).

Pour les causes maritimes, le littoral des deux sénéchaussées était compris dans la juridiction de l'amirauté de Cornouaille, dont le siège était à Quimper (voir la note qui suit).

Note : Pour tout ce qui concerne l'Amirauté de Bretagne, voir H. Bourde de La Rogerie, op. cit., p. V-XVII.

Les deux sénéchaussées de Quimper et de Concarneau faisaient partie du ressort de la maîtrise des eaux et forêts de Carhaix.

Enfin, les travaux publics, l'entretien des ponts et chaussées dépendaient de la commission intermédiaire des Etats, qui y subvenaient au moyen de fonds prélevés sur le produit de la ferme ou de la régie des devoirs, L'ingénieur David et le sous-ingénieur Detaille étaient chargés, dans le diocèse de Cornouaille, de l'inspection des travaux (voir la note qui suit).

Note : Dans le département de Quimper, ces fonctionnaires avaient sous leur inspection 77 lieues 266 toises de grands chemins, L’ingénieur avait un traitement de 2.400 l. et le sous-ingénieur 1.200 l. (CARON, op, cit., p. 386). — Dans l’étendue des deux sénéchausées, il y avait environs 43 lieues de grandes routes.

 

Etat économique des deux sénéchaussées.

Aptitudes agricoles. — Les deux sénéchaussées de Quimper et de Concarneau occupaient toute la partie occidentale de la pénéplaine sud de Bretagne. Cette pénéplaine, nettement limitée au nord par l'étroite arête granitique de Locronan et la chaîne de grès armoricain et de quartzites des Montagnes Noires, s'incline lentement au sud vers l'Océan. Elle est composée de bandes parallèles de roches compactes : granites, gneiss, schistes cristallins. Un étroit sillon schisteux, ou coulent le Goyen et le Jet, coupe la pénéplaine de l'ouest à l'est, passant de la baie des Trépassés à Pont-Croix, Quimper, Rosporden, Plouay, pour se prolonger dans le Vannetais (voir la note qui suit).

Note : Camille VALLAUX. La Basse-Bretagne, étude de géographie humaine, Paris, Cornély, 1907, p. 26. Cf. Emm. DE MARTONNE, La pénéplaine et les côtes bretonnes (Annales de géographie, 13 mai et 15 juilet 1906).

La presqu'île de Crozon, aux falaises abruptes et déchiquetées, est composée en majeure partie de grès silurien. Balayée par les vents violents de l'ouest et du nord, cette péninsule est dénudée et pauvre. Par la géologie et le climat, elle se rattache aux landes gréseuses de l'Arrée et de la Montagne Noire, plutôt qu'à l'Armor.

L'ossature de la presqu'île de Daoulas est formée par la crête de quartzite et de grès de Plougastel. Cette crête stérile est bordée au nord par des schistes précambriens, au sud par des schistes dévoniens se rattachant à l'hémicycle de Sizun.

En somme, constituée par des terrains archéens et quelques sédiments paléozoïques qui, partout où ils affleurent, ne donnent naissance qu'à des sols peu fertiles, la Cornouaille extérieure paraissait peu propre à l'établissement d'une population prospère (Camille VALLAUX, op. cit., p. 10).

Toutefois, quelques circonstances favorables atténuaient singulièrement la stérilité originelle du sol. Profondément entaillée par la mer, exposée aux vents tièdes et humides du sud-ouest, protégée, à l'exception de la péninsule de Crozon, par les crêtes gréseuses, des vents froids du nord et du nord-ouest, la Cornouaille maritime jouissait d'un climat exceptionnellement doux et régulier. Dailleurs, si les horizons granitiques de la Cornouaille méridionale ne sont pas recourverts comme ceux du Léon et du Trégorrois-Goëlo d’un manteau de limon fertile, en revanche, l'abondance des sables calcaires et des goëmons sur les grèves offrait de précieux amendements et permettait, en maints endroits, la culture rémunératrice du blé, les cultures arborescentes et maraîchères. Grâce aux engrais marins et à d'heureuses conditions climatériques, l'Armor cornouaillais, c'est-à-dire toute la lisière maritime, sur une largeur de 8 à 10 kilomètres, depuis la Laïta jusqu'à l'Elorn, était d'une surprenante fécondité. Cette région côtière, la ceinture dorée, couvrait un huitième de la sénéchaussée (Camille VALLAUX, op. cit., p. 58 et 144).

Si, à ces aptitudes agricoles, on ajoute les ressources de la mer, la pêche, les industries et le commerce qui en dérivent, on comprendra que la Cornouaille maritime fût en Armorique une région relativement privilégiée, un centre d'attraction.

 

Conditions générales d'existence : le paysan, le marin.

La Cornouaille extérieure était, à la veille de la Révolution, comme aujourd'hui, une région essentiellement agricole et maritime. Etant donné sa situation excentrique, son isolement à l'extrémité de la péninsule armoricaine, elle ne se transformait que lentement. Elle avait gardé presque intactes ses vieilles mœurs et conservé jusqu'à la Révolution sa physionomie du moyen âge (voir la note 1 qui suit). Les gens du peuple, surtout dans les campagnes, ne parlaient et ne comprenaient guère que le breton (voir la note 2 qui suit).

Note 1 : La transformation profonde des usages et des mœurs en Basse-Bretagne date de la seconde moitié du XIXème siècle. Les vieilles originalités du pays cornouaillais s’atténuent ; mais, à bien des égards, ce pays reste « la terre du passé ». — Sur le folklore cornouaillais CAMBRY Voyage dans le Finistère, (1797) ; E. SOUVESTRE, Les derniers Bretons (1835) ; HERSART DE LA VILLEMARQUE, Barzaz Breiz ; O, PERRIN et A. BOUET, Breiz-Izel ou Vie des Bretons dans l'Armorique (1835-38) ; LUZEL, Guerziou et Soniou Breiz-Izel ; A. LE BRAZ, La terre du passé, Au pays des pardons, La Légende de la mort chez les Bretons armoricains ; Ch. LE GOFFIC, L’âme bretonne, Sur la côte, etc.

Note 2 : Cf. Ferdinand BRUNOT, Histoire de la langue française, t. VII, 1926.

En 1789, l'aspect des deux sénéchaussées était encore à demi inculte el presque sauvage (voir la note 1 qui suit). « En Cornouaille, l'agriculture est en état de langueur. Ses terres n'offrent à l'œil du voyageur étonné que des landes et des bruyères qui semblent condamnées à une éternelle stérilité » (voir la note 2 qui suit). Dans l'ensemble, les resources naturelles étaient médiocres. Plus de la moitié du sol était couverte de landes et de jachères à peu prés improductives. Certes, dans le détail, on y trouvait une grande diversité d'aspects et de ressources, mais en général, la vie y était rude et précaire. Les croupes chauves et austères du funèbre promontoire du Raz, les landes rases et arides de Crozon, les versants âpres et dénudés des Montagnes Noires, régions vraiment deshéritées, ne dispensaient au cultivateur qu'une existence parcimonieuse.

Note 1 : C’est ainsi qu’il apparaissait aux yeux des étrangers. Marlin, se rendant, en 1785, de Quimperlé à Concarneau, s’écrie : « Toujours plus de terres en landes, en genêts, en bruyères que de champs cultivés » (MARLIN, Voyage de Cherbourg à Quimper en Armorique (1785), partiellement réédité par Trévédy, Quimperlé, 1891, p 34). Cf. aussi Arthur YOUNO, Voyages en France, trad. Lesage, t. I, pp. 156-157.

Note 2 : Mémoire de LE GUILLOU-KERINCUFF et O. MORVAN, avocats à Quimper, pour la fixation du chef-lieu du Finistère à Quimper, en 1790 (Arch. Nat., D IV bis 22).

Plus rude encore était la vie du marin-pêcheur. Le métier était aléatoire et ses rémunérations, capricieuses. Exposé à des périls incessants, à des crises sardinières périodiques qui le réduisaient à l'extrême misère, souvent « le pêcheur méritait qu'on le plaigne plus que les gens aux galères ». Mais, si misérable que fût la condition du pêcheur, la mer exerçait sur lui une attraction invincible. Parfois, il est vrai, comme dans le Cap-Sizun, à l'Ile-de-Sein, à Penmarch, le marin-pêcheur joignait aux ressources de la pêche l'exploitation d'un lopin de terre. Dans ce cas, les soins de l'agriculture revenaient aux femmes. « La mer aux hommes, la terre aux femmes, Ce sont elles qui labourent, fument ensemencent, récoltent » (A LE BRAZ, La terre du passé, p 233), à l'Ile-de-Sein, aujourd'hui comme par le passé.

Ainsi deux ressources s'offraient au Cornouaillais : la culture du sol et l'exploitation de la mer. Il était paysan ou marin, rarement commerçant ou industriel. L'industrie et le négoce étaient surtout aux mains d'étrangers Venus de l'intérieur ou d'autres provinces. Les artisans, les meuniers, les cordiers, les sabotiers étaient peu consideres et ce préjugé contre « l'homme de métier » n'était pas près de disparaître puisque E. Souvestre, en 1836, s’élevait contre « l'espèce de mépris qui, dans les campagnes armoricaines, frappait encore l'ouvrier et le plaçait dans une situation presque honteuse » (voir la note qui suit). Fort attaché à ses traditions, le paysan était routinier, superstitieux et casanier. E. Souvestre, non sans quelque exagération, lui reprochait de manquer d'ambition : « Le pain noir de chaque jour, l'ivresse du dimanche et un lit de paille pour mourir vers soixante ans, voilà son existence, son avenir, et il l'accepte comme définitif. Sa misère est, à ses yeux, une maladie héréditaire et incurable » (Les derniers Bretons, t. II, p. 120).

Note : Les chansons populaires de la Basse-Bretagne témoignent fréquemment de ce mépris pour les tailleurs, les meuniers, les sabotiers, les cordiers (Cf. LUZEL, Soniou Breiz-Izel, t. II, p 203 et sqq.).

Vivant par la mer et pour la mer, le pêcheur avait sa psychologie spéciale. Les marins de Lanriec disaient, en 1789, avec un certain orgueil : « Nous sommes une classe d'hommes pour ainsi dire séparés des autres citoyens et en même temps la plus utile et la plus avantageuse pour la société, Nous habitons un élément terrible, nous ne vivons que parmi les écueils et les tempêtes » (Cahier de doléances de Lanriec, art. 1). Plus idéaliste, plus épris de justice et d'indépendance, le marin était audacieux, téméraire et poussait facilement l'esprit de sacrifice jusqu'à l'héroïsme. Mais il avait les défauts de ses qualités : fataliste et insouciant, soumis au jeu capricieux des forces naturelles, aux alternatives d'aisance et de disette, le pêcheur ne pouvait s'accoutumer à la prévoyance et à l'épargne.

 

La propriété.

Dès la seconde moitié du XVIIIème siècle, il est probable que la majeure partie du sol était aux mains de la bourgeoisie : hommes de lois, négociants, rentiers. « Les dix-neuf vingtièmes des propriétés rurales sont en domaines congéables et les trois quarts au moins, appartiennent à des roturiers » (voir la note 1 qui suit). La propriété paysanne était très restreinte. En fait d'immeubles, le paysan d'une certaine aisance ne possédait guère que des « droits convenanciers », les « édifices et superfices » des domaines congéables (voir la note 2 qui suit), On distinguait dans les campagnes trois sortes d'habitants : les domaniers, les fermiers et les journaliers, Les domaniers étaient, en général, les plus aisés.

Note 1 : Pétition des propriétaires de la commune de Quimper, citée par L. DUBREUIL (Les vicissitudes du domaine congéable en Basse-Bretagne, 2 vol in-8° Oberthur, Rennes, 1915, t. II, p. 116), — « Le Tiers… possède à lui seul les trois quarts des fonds à domaine congéable », Mémoire des propriétaires réunis à Hennebont, le 1er mars 1790 (Ibid., t. I, p. 358).

Note 2 : L’étude d’un rôle d’égail, étabil en 1771, pour la reconstruction du presbytère de Plogastel-Saint-Germain, nous a permis d’établir qu’en cette paroisse la propriété noble comprenait 58 % des immeubles, la propriété bourgeoise 10 %, la propriété payanne 32 %. Les paysans ne possédent pas le sol ; leur propriété ne comprend que des « édifices et superfices » (J. SAVINA, Essai d’histoire économique d’une paroisse rurale : Plogastel-Saint-Germain au XVIIIème siècle, dans le Bulletin de la Soc. archéol. du Finistère, 1929).

Que le propriétaire foncier fût noble ou bourgeois, le domanier ou le fermier n'en supportait pas moins, tout comme au moyen âge, le poids écrasant du régime seigneurial. Souvent même, les bourgeois devenus « seigneurs » affectaient, pour faire oublier leur roture, plus d'arrogance que les nobles authentiques. Parvenus de la veille, ils apportaient dans l'exercice de tous leurs droits utiles ou honorifiques plus de vanité et plus d'âpreté (voir la note qui suit).

Note : Les bourgeois enrichis, pour se donner apparence de noblesse, recherchent, malgré les droits onéreux de franc-fief, des terres nobles « Sur 8 terres nobles, prises au hazard dans le rayon d’une lieue autour de Quimper, 6 sont en mains roturières » (TRÉVÉDY, Promenade au manoir de Troheir, broch. in-8°, Quimper, 1888, p. 52). — René Madec venait d’être anobli (1780), quand il acquit, en 1781, les importantes seigneuries de Pratanras et Coatfao (Ibid.). — Les Magon qui acquirent la vicomté du Faou et la châtellenie d’Irvillac en 1760, les Baude, qui payèrent 522.000 l. la baronnie de Pont-l’Abbé, étaient de noblesse très récente (TREVÉDY, Sur la baronnie de Pont-l’Abbé, broch. in-8°, Quimper, 1897, p. 13 et 167).

 

Le domaine congéable.

Le domaine congéable, à l’usement de Cornouaille, était, dans l'étendue des deux sénéchaussées, à peu près l'unique mode d'amodiation des terres. Cet usement était le plus rigoureux, après l'usement de Rohan.

M. Léon Dubreuil a dépeint de façon très heureuse la nature du domaine congéable : « Le domaine congéable, tenue convenancière ou à convenant est une possession en partie double : celle du fonds qui appartient au propriétaire ou foncier, celle des édifices et des superfices qui appartient au tenancier, convenancier, colon ou domanier. Le domaine congéable suppose donc deux propriétés coexistantes sur une même étendue de terre, parce que l'on considère au moyen d'une fiction, le fonds du convenant comme indépendant de la surface (voir la note qui suit).

Note : « Le domaine congéable peut-être défini, à l’origine, et pour s’en tenir à ses éléments essentiels, un contrat par lequel le bailleurs céde au preneur la jouissance d’un fonds de terre, lui garantissant la propriété des édifices (maisons, arbres fruitiers, clôtures, fossés, rigoles, améliorations de toutes sortes), que son travail ou son industrie créera sur ce fonds, mais se réservant la faculté de réunir la superficie au fonds en congédiant ledit preneur, après lui avoir remboursé la valeur de ses édifices ou améliorations. Si l'on dissèque juridiquement ce contrat, tel qu'il apparaissait à la veille de la Révolution, on arrive à dégager trois éléments dont la distinction me paraît absolument nécessaire pour décider de la vraie nature et du caractère, féodal ou non, du convenant :
1° La division de l’immeuble en fonds et édifices, qui tient à la nature même des choses et qu’il faut rattacher à l’histoire et aux origines purement économiques de contrat (installation pacifique des Bretons insulaires dans un pays peu peuplé et en grande partie inculte, dont l'établissement mieux connu des Bagaudes dans l'Est nous permet de juger par analogie) ;
2° La faculté de congément, qui s'explique très normalement par la subordination naturelle et nécesaire de la superficie, l’accessoire, au fonds, le principal, sans qu'il paraisse utile d'y voir une addition due à l'influence du servage, dont elle est précisément le contraire, mais qui a pu toutefois être introduite après coup et favorisée par le développement des idées féodales, car on ne la retrouve pas dans le comptant, dont cependant la nature juridique analogue procède de la même conception économique ;
3° Certains devoirs ou redevances féodales (corvées, droit de ban, de four, etc.) greffés, au cours du moyen âge, sur le contrat primitive, comme sur beaucoup d'autres contrats fonciers, sans en avoir modifié l'essence, et qui tombèrent d’eux-mêmes au 4 août…
On peut, du moins historiquement, supposer que son vrai et seul caractère dut être, à l'origine, la distinction entre la propriété du fonds et celle de la superficie » (Roger GRAND, Compte rendu de l’ouvrage de M. L. Dubreuil : Les vicissitudes du domaine congéable en Basse-Bretagne, dans la Nouvelle Revue historique de droit francais et étranger, 1917).

« Sous l'ancien régime, le propriétaire du fonds donne au tenancier une tenue à convenant pour une durée variable mais qui généralement n'excède pas neuf ans. Il stipule d'ordinaire à l'entrée en jouissance, le paiement d'une somme globale, appelée commission ou pot-de-vin, indépendante du prix de location, et à nouveau exigible en cas de continuation du bail par tacite reconduction. Souvent assez élevée, elle accroît la valeur du louage dans des proportions qui ne sont pas négligeables. Le propriétaire a le droit de congédier son domanier, dans des conditions déterminées par les usements. Mais il doit lui payer, avant son départ, la valeur des droits superficiels et réparatoires (édifices et superfices), mentionnés au renable ou inventaire d'entrée et la valeur des améliorations, pourvu toutefois qu'elles aient été effectuées avec l'autorisation du foncier.

Le convenancier est attaché indéfiniment à la tenue qu'il exploite, sauf le bon vouloir du propriétaire. Il ne peut en déguerpir qu'en faisant exponse, c'est-à-dire en abandonnant tous ses droits sur les édifices et les superfices. Cette éventualité ne se produit que très rarement : aussi est-il arrivé souvent que des familles de domaniers se soient perpétuées pendant deux siècles dans la même tenue. Les détenteurs finirent par considérer leur convenant comme une propriété personnelle et la rente, non pas comme une rente foncière et convenancière, mais comme une rente proprement féodale.

Il se produit assez fréquemment que la tenue d'un domanier soit convoitée par un de ses voisins, qui la sollicite du propriétaire. Si les offres paraissent avantageuses, celui-ci peut déléguer au postulant son pouvoir de congédier ou congéer le tenancier, par un acte appelé assurance de baillée, où il ne manque jamais de stipuler une importante commission. Lorsque le foncier veut transformer sa propriété convenancière en une propriété complète, soit pour en jouir, soit pour l'exploiter à ferme ou à mi-fruits (ce qui est d'ailleurs assez rare sous l'ancien régime), il exerce le pouvoir de congément à son profit et consolide ainsi au fonds les droits superficiels et réparatoires.

Aussi longtemps que dure sa baillée, et même davantage, s’il n'est pas congédié, le convenancier exerce pleinement ses droits de propriété sur les édifices et les superfices, à condition de ne rien innover sans autorisation. Il les peut affermer, céder, morceler, transmettre par héritage sans que le foncier soit même appelé à donner son avis, sous le seule réserve que la rente foncière et convenancière n'en sera pas diminuée » (L. DUBREUIL, op. cit., t. I, pp. 8 et sqq.).

Comme le foncier conservait toujours, au renouvellement de chaque baillée, le droit d'augmenter la rente convenancière et d'exiger des commissions de plus en plus élevées, sans que le domanier eût le droit corrélatif d'exiger le remboursement de ses droits convenanciers il pouvait arriver que le « seigneur foncier » imposât des condition draconiennes. Alors, ses charges, devenant accablantes, le colon n'avait, en réalité, d'autre ressource que l'abandon de sa propriété.

Les seigneurs fonciers sont, par principe, généralement hostiles à toutes innovations ou améliorations qui ont pour effet de « grever le fonds » en augmentant la valeur des édifices et des superfices. Par là, le régime du domaine congéable a été, pendant des siècles, en Basse-Bretagne, un obstacle au progrès des classes rurales : « Il a perpétué les landes et les masures » (voir la note 1 qui suit). D'autre part, les vices inhérents au régime du domaine congéable s'aggravaient par l'absentéisme des gros propriétaires. Le seigneur souvent ne connaissait ses terres que par les aveux qui lui étaient périodiquement rendus. Il déléguait, presque toujours, à un intermédiaire, homme d'affaires, parfois véreux, le soin de percevoir ses rentes, de veiller sur ses intérêts, d'exploiter en un mot, aussi durement que possible ses « vassaux ». De ce mandataire parasite, avide, impitoyable, qui ajoutait aux défectuosités odieuses du régime seigneurial, le domanier n'avait à attendre ni grâce ni répit (voir la note 2 qui suit). Cependant, on pouvait, à bien des égards, considérer que le domanier jouissait de plus d'indépendance que le simple fermier.

Note 1 : C. VALLAUX, La Basse-Bretagne, p. 121. — « Si jamais je suis appelé à donner mon avis sur cette nature de propriété, je démontrerai par les faits, d'une trop déplorable évidence, plus encore que par les preuves du raisonnement, que c'est à ce détestable mode de jouissance et d'exploitation qu'on doit attribuer l’ignorance des arts utiles, la barbarie des procédés de culture, et, en général, le retard de la civilisation de cette province ». Opinion du préfet du Finistère, Bouvier du Molard, en septembre 1811, sur un vœu du Conseil général du Finistère en faveur du retour aux anciens usements du domaine congéable. Cf. L. DUBREUIL, op. cit., t. II, p. 387.

Note 2 : Sur le domaine congéable, voy. aussi Baudouin DE MAISONBLANCHE, Institutions convenancières, Saint-Brieuc, 1776, 2 vol., in-12 ; GIRARD, Traité des usements ruraux de Basse-Bretagne, Quimper, 1774 ; Julien FURIC, Commentaire sur l’usement de Cornouaille, 2ème éd., 1664 ; H. SÉE, Les classes rurales en Bretagne, du XVIème siècle à la Révolution, pp 263-300.

 

Les griefs des domaniers.

Les domaniers se plaignent des rentes convenancières et des commissions trop élevées, qui leur sont imposées sous la menace du congément, car « il n'est presque point de congément qui n'occasionne la ruine entière du domanier ». Pour y remédier, beaucoup demandent que le domaine congéable soit converti en féage ou censive.

La question des bois donne aussi lieu à de nombreuses réclamations. Partout les bois se font très rares. Les usements n'accordent aux domaniers que les arbres fruitiers, les bois puinais, c'est-à-dire le mort-bois et les émondes des arbres émondables. Tous les autres arbres, y compris les noyers et les châtaigniers, reviennent au foncier: Les paysans manquent du bois nécessaire à l'entretien de leurs bâtiments ou de leurs instruments de labour. Sur les terres assujetties au domaine congéable, les bois à feu et les bois d'oeuvre « deviennent et deviendront chaque jour plus rares. Il est connu que les propriétaires en coupent, en vendent partout où il s'en trouve et qu'ils n'en plantent nulle part. Le colon n'en plante pas non plus parce qu'il n'en peut jamais disposer ». Les domaniers veulent pouvoir disposer au moins d'une partie des bois qu'ils auront plantés (voir la note qui suit).

Note : Voy. H. SÉE, Les forêts et la question du déboisement en Bretagne à la fin de l'Ancien Régime, dans les Annales de Bretagne, t. XXXVI. 1924.

Indépendamment des corvées féodales exigées selon la coutume pour la construction ou la réparation des châteaux, des moulins, des ponts ou des corvées spéciales stipulées dans les baux, « tous domaniers doivent à leurs seigneurs trois journées par attelage aux charrois des bois, vins et foins de leurs seigneurs, trois par leurs chevaux sans attelage et trois par œuvre de main ».

Enfin, les vacations des experts, en cas de prisage, les actes recognitoires, aveux ou dénombrements, à chaque mutation, soit de colon soit de foncier, coûtent au domanier des sommes considérables.

De très nombreux cahiers de paroisses, environ les deux tiers, formulent des griefs contre le régime du domaine congéable. Il est très remarquable que ces plaintes n'aient pas trouvé d'écho dans le cahier général de la sénéchaussée de Quimper. Il semble bien que, sur ce point, les rédacteurs bourgeois de ce cahier n'aient pas été les mandataires fidèles de leurs électeurs paysans. On devine, sur la question de la propriété rurale, une opposition d'intérêts entre les bourgeois propriétaires fonciers et leurs domaniers (voir la note qui suit).

Note : Le conflit entre les propriétaires fonciers et leurs domaniers ne deviendra aigu qu'à partir de 1791. Les trois députés des sénéchaussées de Quimper et de Concarneau aux Etats généraux n'eurent pas, lors de leur élection, à se prononcer nettement sur la suppreseion ou le maintien du domaine congéable. Ils étaient propriétaires fonciers et se révélèrent, plus tard, partisan du maintien de ce régime, tel qu'il fut amendé par la loi du 6 août 1731, qui accordait aux domaniers un droit nouveau, corrélatif au droit de congément, celui de provoquer le remboursement de leurs droits convenanciers. Lors des élections à l’Assemblée Législative, les domaniers, qui formeront la majorité du corps électoral, auront soin de ne nommer que des députés partisans de la suppression du domaine congéable. La loi du 27 août 1792 comblera les vœux des domaniers, en les rendant propriétaires incommutables de leurs tenues, moyennant le rachat de la rente convenancière. Cette loi n'eut qu’un effet trés limité. Dès la chute de Robespierre, les propriétaires fonciers poursuivirent ardemment son abrogation. La loi du 9 brumaire an VI rétablit purement et simplement la loi du 6 août 1791. — Cf. L. DUBREUIL, Les vicissitudes du domaine congéable, passim.

Les droits de foire el de marché ainsi que les péages, continuent à être perçus au profit des seigneurs, qui conservent également le monopole de la chasse et des banalités des fours et moulins.

Le droit de chasse a pris dans les campagnes une telle extension que les seigneurs « se permettent de ravager les récoltes par des troupes de chiens et de maltraiter le pauvre laboureur quand il s'avise de s'en plaindre » (Cahier de Perguet, art 21 ).

Les exactions des meuniers sont dénoncées avec véhémence. « Il est impossible de mettre des bornes à la cupidité des meuniers qu'on peut regarder comme les sangsues du genre humain » (Cahier d’Irvillac, art. 10). Ce sont des « coquins », des « gens infâmes ». Mais la faute en est aux seigneurs, « Si personne n'était tenu de suivre les moulins seigneuriaux, tous les meuniers deviendraient honnêtes gens » (Cahier de Plozevet, art 10). « Les meuniers forcés de prendre à ferme, à des prix excessifs, des seigneurs, perçoivent pour vivre eux-mêmes plus qu'il ne leur est dû el n'ont, dans les campagnes, ni poids ni balances » (Cahier de Lanvern, art. 2). Ils prennent pour droit de mouture « au lieu du seizième qui leur est accordé par la loi, le sixième du seigle, le tiers de l'avoine et le quart du blé noir » (Cahier de Pouldergat, art. 1). « C'est un mal contre lequel on n'a jamais trouvé de remède, un fléau qu'on n'a jamais su arrêter et nous osons assurer, disent les paysans de Pouldreuzic, qu'on ne l'arrêtera jamais qu'en l'attaquant dans son principe : la sujétion aux moulins ».

De plus, la dîme ecclésiastique, la corvée des grands chemins, la fiscalité royale (fouages, vingtièmes, capitation, centième denier, franc-fief, droits de contrôle, etc...) pèsent très lourdement sur le paysan. La majeure partie de son revenu est absorbée par des redevances et des impôts de toute sorte. Aussi la condition du domanier est-elle souvent misérable, « Quand on sème un boisseau de blé, ordinairement et par année commune, il ne produit que quatre. Le paysan paie un boisseau de chaque espèce de blé (pour la rente convenancière), un autre boisseau à semer faisant la moitié du produit ; l'autre moitié n'est pas trop pour substanter sa famille, payer les charges de Sa Majesté, réparer sa maison et se pourvoir des outils de labour » (Cahier de Tréogat, art. 5).

 

L'exploitation du sol.

Le régime d'exploitation comportait le plus souvent des domaines de 10, 15 ou 20 hectares. Dans les fermes importantes, le besoin de main-d'œuvre amenait souvent la création d'un « pen-ty », domaine minuscule, concédé à prix réduit à un ancien domestique qui devenait journalier agricole.

La situation précaire du tenancier ne permettait pas les améliorations foncières à longue échéance. Toujours sous la menace du congément, l'exploitant craignait de perdre le bénéfice des améliorations, épuisait le sol, faute de restitutions suffisantes. Il se gardait des innovations, qui avaient le double inconvénient d'exiger des avances qu'il n'était jamais sûr de pouvoir récupérer et d'amener, presque infailliblement à chaque renouvellement du bail, une augmentation de la rente foncière. Il en résultait un conservatisme étroit des vieilles et insuffisantes pratiques culturales, Les méthodes empiriques, fournies par la tradition et transmises de génération en génération étaient les seules employées (voir la note qui suit). D’instinct routinier, le « Kernevod » semblait avoir adopté la vieille maxime d'Olivier de Serre : « Ne change point de soc, ayant pour suspecte toute nouveauté ». Les chemins d’exploitation étant impraticables, la majeure partie de l'année, les communications étaient difficiles, lentes et hasardeuses. Aussi, sauf dans certains cantons maraîchers particulièrement favorisés, Pont-l'Abbé, Plougastel, Trégunc, l'agriculture était-elle peu spécialisée. Le domaine produisait toutes les variétés de denrées qui entraient dans la consommation locale. Chaque village était condamné à vivre sous un régime de particularisme qui l'obligeait à se suffire en tout, à ne compter que sur ses propres ressources.

Note : Au début du XIXème siècle, des paysans des environs de Pont-Aven se refusent à employer le maërl, un excellent amendement, qu’un agronome leur offrait gratis (Cf. DU CHÂTELLIER, Recherches statistiques, t. III, p. 82).

 

L'outillage agricole.

L’outillage agricole était trés primitif. La charrue, fort rudimentaire, avait parfois un avant-train. Le soc et le coutre seuls étaient en fer. Les labours étaient superficiels, le soc atteignant à peine 8 à 10 centimètres de profondeur. Attelée de deux ou trois chevaux, plus souvent de deux bœufs et d'un cheval, la charrue labourait en un jour, environ un demi-hectare (un journal). Outre la charrue, la herse, la charrette, la bêche, la marre ou tranche, le croc à trois dents pour le fumier, la fourche à deux dents en bois ou en fer, la faux, la faucille et le fléau constituaient à peu près tout le matériel de culture du paysan cornouaillais (1).

Note : DU CHÂTELLIER, Recherches statistiques, pp. 20, 39, 60, et 74. — Ce n'est que vers 1830 que « quelques instruments perfectionnés d'agriculture se répandent parmi les riches propriétaires, mais leur usage est à peine connu » (Ibid., p, 39).

 

Les cultures.

Un quart du sol était régulièrement cultivé. Le reste, sans être absolument improductif, était d'un revenu médiocre. Toutefois, les landes jouaient un rôle considérable et inévitable dans l'économie rurale de l'époque (C. VALLAUX, La Basse-Bretagne, pp. 88 et sqq.). Elles servaient de pacages ; elles fournissaient de la litière et du bois à brûler, Parfois aussi ces landes étaient l'objet d'une culture temporaire. L'écobuage, le seul mode de culture de ces terres peu profondes, ne donnait qu'une maigre récolte de seigle suivie d'un semis de genêt ou d'ajonc. Cet ajonc tendre, pilé dans des auges de pierre, servait à la nourriture des chevaux. L'écobuage ne pouvait se renouveler que tous les 9 ou 10 ans. Il se faisait à l'aide de la marre, la charrue n'étant pas assez forte (LIMON, Usages et règlements locaux du Finistère, Quimper, 1852, p. 285).

La Cornouaille, autrefois si boisée, avait perdu sa parure de forêts. Celles-ci, exploitées sans mesure par les sabotiers et pour les besoins de la marine, étaient devenues rares. A part les belles forêts de Coatloch et de Cascadec, en Scaër, et quelques taillis dispersés, çà et là, en Laz, Pleuven, Saint-Evarzec, Plogastel-Saint-Germain, on ne rencontrait dans les campagnes que quelques avenues de décoration, près des manoirs, et quelques chênes sur les fossés. Les seigneurs fonciers, qui avaient exploité leurs futaies sans ménagement, se souciaient peu de reboiser. La pénurie de bois-d'œuvre était telle qu'en maints endroits le paysan ne pouvait relever sa maison en ruine ni renouveler son outillage agricole, Pour le chauffage on ne disposait guère que des bois courants coupés sur les fossés, des émondes de chêne, d'ajonc, de genêt et, sur les côtes, de goëmon séché ou de bouse de vache.

Le froment et l'orge étaient les céréales dominantes dans l'Armor, entre Crozon et Pont-Aven. Dans cette zone, la récolte annuelle de goëmon était considérable. Les paysans du littoral mettaient de 20 à 30 charretées de goëmon par hectare. La fertilité des cantons de Pont-l'Abbé, Fouesnant et Concarneau était due, en grande partie, à cet engrais marin. Les grèves du Pouldu, de Mousterlin, des îles Glénans, de la baie d'Audierne, fournissaient un excellent sable coquillier dont la teneur en calcaire variait de 50 à 80 %. Aussi les récoltes de cet Armor étaient-elles généralement abondantes. Les blés de Nevez, Trégunc, Loctudy, Penmarc'h, Plovan étaient réputés d'excellente qualité.

Les terres plus pauvres de l'intérieur ne convenaient guère qu'au seigle, au sarrasin et à l'avoine. Ici, les céréales étaient maigres et clairsemées ; le rendement restait médiocre et stationnaire, parce qu'il n'y avait aucune variété dans les assolements, les fumures et les semences.

La culture de la pomme de terre, d'introduction récente, commençait à se répandre dans les subdélégations de Quimper, Pont-l'Abbé et Concarneau. La culture des légumes et des fruits primeurs avait déjà pris une grande extension dans les cantons maraîchers de Pont-l'Abbé et de Plougastel où les gelées sont rares. « Les environs de Pont-l'Abbé, écrivait Cambry, sont d'une incroyable fécondité : c'est un pays de promission. Outre le froment qu'on y recueille en abondance, il s'y trouve beaucoup d'orge et d'avoine. Les fruits de toute espèce y sont délicieux. Les fruits et les légumes de ce canton devancent d'un mois la maturité de ceux du canton de Quimper qui n'est éloigné que de trois lieues. On sent que les cultivateurs y vivent avec plus d'aisance » (Voyage dans le Finistère, p. 344).

Plougastel était le jardin potager de Brest, « Les fraises couvrent les champs chargés d'arbres fruitiers. Les melons y viennent en plein champ ; tous les léguemes y croissent avec abondance et devancent de six semaines l'époque qui les voit naître ailleurs ».

Ces deux groupes ruraux de Pont-l'Abbé et de Plougastel étaient deux petits mondes à part. Le « Bigouden » et le « Plougastel » étaient, comme aujourd'hui, deux types nettement caractérisés par leurs costumes et par leurs mœurs.

La Cornouaille était, par excellence, eu Armorique, le pays du pommier à cidre. Cet arbre assez robuste et rustique rencontrait des conditions très favorables dans les subdélégations de Concarneau et Quimper. Les cidres de Fouesnant étaient renommés à juste titre. Nevez, Pont-Aven. Elliant, Plogonnec, étaient également des centres de production. On trouvait d'ailleurs des pommiers dans presque toutes les paroisses des deux sénéchaussées, à l'exception des trois péninsules de Crozon, du Cap-Sizun et de Penmarch qui, balayées par les vents salins, n'avaient guère de végétation arborescente.

Les plantes textiles, le chanvre et le lin, avaient jadis occupé des étendues considérables, mais, à la fin du XVIIIème siècle, cette culture était déjà en pleine décadence. Si la production suffisait encore à la consommation locale, on ne travaillait plus guère en vue de l'exportation. Le lin donnait on produit rémunérateur dans quelques paroisses comme Elliant, Lababan, Plozevet, Plobannalec, Daoulas (voir la note qui suit). Quant au chanvre, on lui consacrait, dans toutes les fermes, les meilleurs carrés des courtils ou jardins.

Note : « Les graines de lin employées dans le pays étaient généralement tirées des Provinces Unies, et surtout de Riga et de Libau » (DU CHÂTELLIER, Recherches statistiques, p. 86).

 

L'élevage.

La nature prédestinait la Cornouaille à être un pays d'élevage. Toutefois, le mauvais aménagement des eaux, la petitesse et la médiocrité des races indigènes et surtout la difficulté des communications avec le reste de la France avaient considérablement retardé le progrès.

Les pâturages n'étaient, trop souvent, que de simples pacages (voir la note qui suit). L'irrigation et les prairies artificielles étant à peu près ignorées, la production fourragère était minime et ne permettait que l'alimentation du petit bétail.

Note : Les « communs », terres vaines et vagues, étaient nombreux. « La vaine pâture proprement dite n'était pratiquée que sur les terres cultivées du littoral, les mejou ou gagneries, champs parcellaire non clos, quoique divisés et bornés » (LIMON, Usages et règlements locaux, pp. 82 et sqq.).

Les bœufs n'étaient élevés qu'en vue du travail, les vaches, que pour le lait et le beurre. Ce n'étaient point des animaux de boucherie. La petite vache bretonne, sobre, assez bonne laitière, race de pacages et de landes, prospérait partout. Les moutons, élevés surtout pour leur laine, étaient extrêmement petits, mais nombreux dans le Cap-Sizun, à Camaret, Crozon, Telgruc, Logonna, Saint-Goazec et sur les palues du littoral de Penmarc'h, Saint-Jean-Trolimon et Tréguennec. Les loups qui pullulaient dans les campagnes en dévoraient un grand nombre (voir la note qui suit).

Note : En 1791, le Directoire du département du Finistère dut s'occuper de la destruction des loups, « qui portent de si cruels ravages dans les propriétés champêtres », et accorda une prime de 12 l. par tête de loup détruit (Rapport au Conseil du Finistère, op. cit., p. 63). — En 1794. Cambry note que « les loups désolent les campagnes... Les bêtes fauves se multiplient dans le Finistère d'une façon effrayante » (CAMBRY, Voyage..., p. 271).

La Cornouaille avait une espèce chevaline qui lui était particulière : le « bidet breton », race petite, mais nerveuse et résistante. Le « double-bidet », léger, élégant de forme, vif d'allure, était estimé pour le trait et pour la selle. On l'attelait peu, les charrois et les labours se faisant surtout à l'attelage de bœufs. Les centres d'élevage étaient Rosporden, Scaër, Melgven, Briec, Quimper, Plogastel, Plovan, le Cap-Sizun. Ces chevaux étaient recherchés par les éleveurs du Léon et de la Normandie, aux grandes foires de Confors et de Quimper. Il y avait un dépôt d'étalons au Hilguy, en Plogastel-Saint-Germain, un autre à Kersalaün en Leuhan (2). Toutefois, « l'arbitraire dans l'administration des haras, le despotisme des inspecteurs et l'excès de la dépense d'achat et d'entretien des étalons » avaient provoqué bien des réclamations. D'ailleurs, il ne semble pas que les étalons fussent toujours judicieusement choisis. Les paysans d'Esquibien demandent « la liberté de faire pouliner leurs juments par des étalons non royaux ». Ceux de Goulien et de Primelin déclarent « qu'on leur amène des étalons étrangers dits « barbars » dont les produits ne conviennent à aucun marchand et qui ne sont ni propres ni utiles au pays où les fourrages ne sont pas abondants ».

Note : La surveillance des haras entretenus aux frais du trésor de la Province revenait à la Commision intermédiaire. « Ces établissements avaient acquis un degré de perfection qui semblait ne rien laisser à désirer. Les races des meilleurs chevaux de l'Europe y étaient en quelque sorte naturalisées et étaient devenues, la source d'une branche de commerce infiniment précieuse » (Rapport au Conseil du Finistère en 1791, op. cit., p. 9). Cf. René MUSSET, L’administration des haras et l’élevage du cheval en France au XVIIIème siècle (Revue d’histoire moderne, 1909-1910, t. XIII).

L'élevage du porc se faisait dans toutes les fermes et particulièrement dans les paroisses maritimes. Le porc avait comme le sarrasin une très grande place dans l'alimentation rurale.

Partout enfin, on trouvait des poules de races communes. Les environs de Quimper et de Pont-l'Abbé avaient des ruches d'abeilles et la production du miel et de la cire suffisait amplement à la consommation locale.

 

Les industries.

L'industrie extractive était de peu d'importance. On tenta d'exploiter quelques maigres filons de houille en 1747, à Quimper, et, en 1759, à Cléden (voir la note qui suit). On ne trouva que de « simples échantillons de mauvais schistes charbonneux ». D'excellentes carrières de granite existaient, disséminées dans les deux sénéchaussées. Celles de Kerzanton, en Loperhet, et celles de Logonna fournissaient la kerzantite, granite à grain fin et serré, susceptible d'un beau poli. Saint-Goazec avait deux ardoisières. On trouvait de l'argile à poterie dans l'anse de Toulven, au sud de Quimper, et du kaolin près de Saint-Urbain.

Note : Cf. H. SÉE, Etudes sur les mines bretonnes au XVIIIème siècle (Annales de Bretagne, t. XXXVIII).

On sait qu'aux XVIIème et XVIIIème siècles la fabrication de la toile fut une industrie florissante en Basse-Bretagne. Des petits métiers fonctionnaient encore dans toutes les paroisses. La toile, le berlinge, tissu grossier de chanvre et de laine, se fabriquaient surtout à Plougastel, Irvillac, Logonna, Coray, Loperhet, Nevez, Pont-Aven. Les toiles de Plougastel s'expédiaient à Landerneau et Morlaix. Les berlinges de Coray se vendaient sur les marchés de Quimper, Pont-l'Abbé et Pont-Aven. La seule commune de Plougastel exportait encore soixante pièces de toile par semaine. Mais les guerres de la Révolution et de l'Empire, qui priveront cette industrie de ses anciens débouchés, lui porteront un coup fatal (voir la note qui suit).

Note : Voy. F. BOURDAIS et René DURAND, L'industrie et le commerce de la toile au XVIIIème siècle (Comité des Travaux historiques, section d'histoire moderne et contemporaine, fasc. VII, 1922) ; H. SÉE, Le commerce de Saint-Malo au XVIIIème s., d'après les papiers des Magon (Mémoires et documents pour servir à l’histoire du commerce et de l’industrie, 9ème série, 1925).

De nombreux sabotiers, venus pour la plupart du pays « Gallo » étaient installés dans des huttes, à la lisière des bois ; ils écoulaient leurs produits sur les foires et marchés.

L'extrême variété des costumes locaux nécessitait un grand nombre de tailleurs et de brodeurs, qui travaillaient, à la journée, dans les fermes.

Les meubles bretons, en chêne massif, sobres de sculptures, avaient un caractère original. Menuisiers et sculpteurs de campagnes, adroits et ingénieux, confectionnaient, avec des outils primitifs, des armoires, des bahuts et des lits-clos. Les principaux centres de production étaient Scaër et Quimper.

Quatre petites papeteries existaient dans l'étendue des deux sénéchaussées : une à Trévoazec en Saint-Goazec, deux aux moulins du Kergoat en Melgven, une à Minfouez en Kerfeunteun (voir la note qui suit).

Note : D'autres moulins à papier avaient existé en Cornouaille au XVIIème siècle, à Briec, à Leuhan, et peut-être à Pont-Aven. — L’industrie du papier, introduite en Basse-Bretagne à la fin du XVème siècle, fut restaurée au commencement du XVIIème siècle par des papetiers de Basse-Normandie, qui établirent de monbreux moulins à papier, particulièrement aux environs de Morlaix. Le papetier de Minfouez, Pierre Huet, qui signa, en 1789. le cahier de doléances de la paroisse de Kerteunteun, appartenait à une famille vouée héréditairement à cette industrie. Les Huet, originaires de Normandie exploitaient une papeterie à Briec, au XVIIème siècle ; ils occupent, au XVIIIème siècle, 13 moulins à papier, en Basse-Bretagne, et sont établis en 8 paroisses. Cf. H. BOURDE DE LA ROGERIE, Notes sur les papeteries des environs de Morlaix, depuis le XVème siècle jusq’au XIXème siècle (Extrait du Bulletin historique et philologique, 1911, pp. 332 et sqq.).

En 1789, Quimper avait deux manufactures de faïences. La première, fondée en 1690 par J.-B. Bousquet, originaire de Saint-Zacharie (Bouches-du-Rhône), appartenait à A. de la Hubaudière. La seconde, récente, créée en 1780, appartenait à Eloury. Ces deux manufactures approvisionnaient toute la Cornouaille de pipes et de faïences imitées de celles de Rouen.

Enfin, Quimper avait quelques petites tanneries et une imprimerie.

 

La pêche.

Sur le littoral cornouaillais vivait une population nombreuse de marins dont l'unique ressource était la petite pêche côtière.

De temps immémorial, les côtes de Cornouaille furent très poissonneuses, Dès le moyen âge, divers aveux nous montrent que les ducs de Bretagne, les barons de Pont-l'Abbé, les seigneurs de Pont-Croix, de Nevet et les vicomtes de Léon percevaient sur le littoral de leurs possessions respectives des droits importants de pêcherie et sécherie (voir la note qui suit).

Note : J. TRÉVÉDY, Pêcheries et sécheries de Léon et de Cornouaille, broch. in 8°, Quimper, 1891, p. 18 et 28.

On y pêchait la sardine, le maquereau, le congre, le turbot, le merlu, la raie, les lieus et les crustacés, langoustes, homards et crabes. La pêche principale était celle de la sardine. Une partie du produit de cette pêche était consommée dans les ports, les campagnes et les villes de l'Armor. Une autre partie, « en vert », c'est-à-dire fraîche et légèrement saupoudrée de sel, était vendue aux nombreux chasse-marées qui approvisionnaient Nantes et Bordeaux. Le surplus était « pressé », conservé dans des barils et expédié dans l'intérieur, surtout dans le midi de la France, soit directement par mer, soit par Bordeaux et le canal du Midi (voir la note qui suit).

Note : Sur la pêche de la sardine en Bretagne, au XVIIIème siècle : Corps d'observations de la Société d'agriculture, Rennes, Vatar, 1761, pp. 222 et sqq. — CHASLES DE LA TOUCHE, Histoire de Belle-Ile-en-Mer, in-8°, Nantes, 1852, pp. 227 et sqq. — CAMBRY, Voyage...., pp. 300 et 355. — DU CHÂTELLIER, Recherches stastistiques, p. 135. — LIMON, Usages et réglement locaux, pp. 326 et 390. — H. BOURDE DE LA ROGERIE, Introduction au tome III de l'Inventaire sommaire des Archives du Finistère, sèrie B, pp. CCXXI et sqq.

En 1785, une requête aux Etats de Bretagne, formulée par les marchands, fabricants, saleurs et pêcheurs de sardines de Concarneau, Port-Louis, Belle-Ile, Quiberon, Groix, Douarnenez, etc..., expose que « plus de 2.400 chaloupes montées par 9.600 matelots et 2.400 novices sont en mer, chaque année, pour cette pêche. Plus de 300 chasse-marées, montés par 2.100 hommes, font le commerce de la sardine en vert, 200 barques du pays, montées par 1.600 hommes, font le cabotage pour la circulation et transport dans le royaume des sardines fabriquées. Total des matelots : 15.700. Cette pêche, calculée par année commune, produit au moins 100.000 demi-barriques, tant pressées, saumurées, anchoitées que transportées en vert par les chasse-marées. Le prix moyen de chaque demi-barrique est de 25 l., les 100.000 donnent un capital de 2.500.000 l. (Arch. d'Ille-et- Vilaine, C 3314).

L'huile exprimée de la sardine au moyen de la presse constituait pour les marchands saleurs une ressource accessoire très appréciable. On estimait, en 1785, que les 100.000 demi-barriques de sardines devaient produire 2.400 barriques d'huile à 120 l. la barrique, soit 288.000 l., portant ainsi le produit annuel de la pêche de la sardine à un total de 2.788.000 l. (voir la note qui suit).

Note : Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 3314. — Un rapport adressé, en 1758, à la Société d'agriculture et de commerce de Bretagne constante que « la pêche de la sardine sur les côtes bretonnes est d'un produit considérable : on le fait monter à plus de deux millions. Le Croisic en retire au moins 20.000 écus. La pêche de Port-Louis produit, année commune, plus de 400.000 livres ; celle de Belle-Ile et de Concarneau n'est pas moins considérable et l'on pêche avec le même succès à Douarnenez et Camaret ». (Corps d’observations .... p. 222).

La pêche de la sardine était au XVIIIème siècle, comme de nos jours, de produit extrêmement aléatoire. Périodiquement, à des intervalles plus ou moins longs, la sardine, dans ses migrations capricieuses, désertait les côtes de Cornouaille. Alors, des crises intenses sévissaient, de longs mois, de longues années parfois, sur les populations maritimes. Le rendement de la pêche subissait des oscillations telles que Concarneau, qui comptait 22 fabricants, prenait seulement 500 à 600 demi-barriques en 1780 contre 17.000 en 1784 (Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 1596). Ces variations extrêmes se produisaient dans tous les ports entre Camaret et Belle-Ile.

Désastreuse en 1725, très abondante en 1749, désastreuse encore en 1755, très médiocre pendant la guerre de Sept ans, abondante en 1767 et 1778, mauvaise en 1780, la pêche était assez fructueuse à la veille de la Révolution (Th. LE GALL, L'industrie de la pêche dans les ports sardiniers bretons, in-8°, Guillemin et Voisin, Rennes, 1904, pp. 30 et sqq.).

Déjà, d'ailleurs, il fallait lutter contre la concurrence étrangère (voir la note qui suit). De grandes quantités de sardines espagnoles

Note : L'introduction des sardines étrangères a été défendue par divers arrêts du Conseil, les 14 août 1715, 7 octobre 1717, 8 novembre 1729 et 24 août 1748 (Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 3314). Les correspondants des négociants bretons à Cette annonçaient, en 1773, « une perte de 20% sur la vente des sardines françaises, par suite de l’introduction, en fraude, de sardines étrangères sous des marques francaises ». Cependant on s’efforçait de rassurer les négociants bretons. Le 6 mars 1780, Necker informe l’intendant « que depuis le 7 octobre dernier, les négociants de Bayonne ont fait venir 1.863 barriques de sardines de Bretagne, que le tiers est déjà consommé, que le surplus ne tardera pas à l’être à cause du carême et du défaut de morue. — que le cent de sardines de Bretagne y vaut de 42 à 46 s. et que celui de sardines d’Espagne s’y vend 2 s. plus cher, que les négociants bretons ne peuvent point craindre qu'il se fasse des versements de ces dernières sardines dans l'intérieur du royaume, parce que les frais et les difficultés du transport y font obstacle » (Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 1506). Les habitants de Saint-Jean-de-Luz offrent de prouver que les Bretons eux-mêmes achètent, sur la côte de Galice, des sardines espagnoles, en vert, qu’ils transportent en Bretagne pour leur donner l'apprêt. — Les négociants bretons contredisent absolument ces faits (Arch. d'Ille-et-Vilaine, C 1596). En 1780, les négociants de Bayonne, ayant prétendu faussement que la pêche avait totalement manquée en Bretagne, obtiennent de Necker l'autorisation d'introduire des sardines étrangères. Sur les réclamations des fabricants de Bretagne, le ministre retira la permission, mais l'introduction était déjà faite, ce qui porta un rude coup à la pêche de Bretagne. — En 1782, un chargement de sardines étrangères de 1660 grosses barriques arriva à La Rochelle, se répandit dans tous les environs, fit tomber au plus vil prix celles de Bretagne et fit essuyer aux fabricants, surtout de Douarnenez et de Concarneau, une perte de 50 %. — En 1783, les négociants de Bayonne surprirent encore une nouvelle permission d'introduire des sardines espagnoles. Cette introduction fut d'autant plus funeste aux fabricants de Bretagne qu'ils avaient déjà fait des expéditions considérables pour Bayonne, où ils éprouvèrent, sur la partie qui y fut vendue, 75 % de perte. L'autre partie fut renvoyée à La Rochelle, avec une perte de 50 %, attendu les frais de rechargement et de transport (Arch. d’Ille-et-Vilaine C 3314).

Étaient, au mépris d'un arrêt du Conseil, de 1748. introduites en fraude dans le pays de Labour et dans le Languedoc, par Saint-Jean-de-Luz, Bayonne et Cette. Les marins de la Cornouaille et du Vannetais ne cessaient de protester contre cette fraude. Pour comble de malheur, l'arrêt de 1748 fut abrogé en 1784 (voir la note qui suit). Dès lors, « l'entrée trop facile du poisson étranger dans le royaume porta aux pêcheries des pertes affreuses et ralentit le courage des marins  » (Cahier de Douarnenez, art. 13).

Note : « Par un arrêt et des lettres patentes du 9 mai 1784, le port de Bayonne a été déclaré franc et il a été permis d'y faire entrer des sardines fabriquées venant de Galice » (Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 3314). « Cette année (1785), la pèche ayant été abondante dans la Province, les fabricants se préparaient à faire des expéditions pour Bayonne et Saint-Jean-de-Luz. Des lettres de ces ports annoncent que ce pays de consommation est perdu pour la Bretagne » (Ibid.).

Néanmoins, en 1787, le produit de la pêche s'élevait encore à 87.750 barriques de sardines et à 870 barriques d'huile (Th. LE GALL, L'industrie de la pêche…, p 31) ; en 1791, le prix de la rogue ayant considérablement diminué, la pêche de la sardine fut très abondante (voir la note qui suit).

Note : En 1791, « la pêche de sardines a été on ne peut plus abondante et l'on craint que cette abondance n'ait nui au débouché ». (Rapport du Directoire de département au Conseil général du Finistère, 15 novembre 1791, in-4°. Quimper, Derrien. 1792, p. 63).

 

La rogue.

L'appât indispensable pour attirer la sardine était la rogue, rave ou résure, mixture composée d'œufs de morue. Pour cet appât, nos pêcheurs devaient un lourd tribut aux Norvégiens, car ils consommaient au moins annuellement 10.000 barils de rogue et le prix du baril variait, dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, de 30 à 80 livres. Cette rogue était accaparée par des négociants bretons qui en fixaient arbitrairement le prix : 30 à 60 l. entre 1760 et 1770, 66 l. en 1772, 75 l. en 1775, C'étaient, à cette époque, des prix exorbitants qui rendaient la pêche extrêmement coûteuse (voir la note qui suit). Et, d’autres part, les marins se plaignent d’être durement exploités par ces mêmes négociants, qui, disent-ils, achètent à des prix beaucoup trop bas le produit de leur pêche.

Note : Arch. du Finistère. Papiers de la Vve Lecoq, B 4621. — Doléances et griefs adressés au Roi par les marins-pêcheurs de Concarneau (Arch. d'Ille-et-Vilaine, C 1806, imprimé).
En 1769, le sieur Torrec de Bassemaison fils proposait d'acheter au nom du Roi toutes les rogues qui viendraient en Bretagne. Si un arrêt du Conseil lui accordait le privilège de la rogue pendant dix ans, il s'engageait à livrer le baril à 24 l. au comptant et à 26 l. à crédit et à diminuer le prix de 10 sous par baril après la période de dix années
L'administration parut d'abord favorable à cette proposition. Le 4 avril 1769, le duc de Praslin écrivait à M. de Robien, syndic des Etats de Bretagne : « Vous avez connaissance des abus qui se sont introduits dans le commerce de la rogue et combien il serait intéressant de venir au secours des pêcheurs et de les garantir contre la cupidité de certains négociants qui se sont emparés de cette branche de commerce…. L'offre de M. Bassemaison m'a paru pouvoir être adoptée ». A la même époque, l'Intendant écrivait au subdélégué de Belle-Ile : « Quoique l'arrangement fait avec le Sr. Bassemaison ait toutes les apparences et l'effet même d'un privilège exclusif, il ne peut être rangé dans la classe de ces sortes de privilèges, toujours contraires au bien public, attendu qu'il ne peut être désavantageux qu'à un petit nombre de citoyens qui sont reconnus n'avoir d'autre objet que de grossir leur fortune aux dépens d'un nombre infini de familles utiles à l'Etat et au détriment du bien général ».
Les négociants de Concarneau, de Douarnenez et de Quimper exposèrent que le projet de Bassemaison n'était que captieux et n’avantagerait point les pêcheurs. Les Etats et le Parlement de Bretagne se montrèrent hostiles à ce privilège, qui ne fut pas accordé (Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 1595).
En cette même année 1769, le Roi fit prendre, pour son propre, compte, plusieurs chargements de rogue qu'il fit distribuer au prix coûtant. « Mais cet expédient n'a point produit un aussi bon effet qu'on eût imaginé et n'a point empêché la rogue de monter à 40 et 42 l. le baril, parce que le Roi l'achetant lui-même de la seconde main, certains négociants que la cupidité fait agir n’avaient pas manqué de faire arrêter, pour leur compte, en Norvège, les parties de rogue considérables qu’ils faisaient vendre dans les ports de Bretagne » (Arch. d'Ille-et-Vilaine. C 1595).

Aussi les plaintes des malheureux pêcheurs sont-elles vives et unanimes, dans leurs cahiers de 89. « L'esprit d'intérêt réveilla la cupidité de capitalistes avides qui se saisirent de cette branche de commerce (voir la note qui suit). Dès ce moment, le prix de la rogue a haussé annuellement et nous la payons aujourd'hui jusqu'à 100 l. le baril ». Dans leurs doléances, les Camaretois et les Crozonais dénoncent les spéculations des riches négociants qui « accaparent les cargaisons danoises arrivant dans nos ports... Ils n'ont d'autres bornes que leur cupidité. Ils attirent, par là, à eux tout le produit de la pêche et ne laissent aux pêcheurs que la peine du travail qui les réduit à la dernière misère » (Cahier de Camaret et de Crozon, art. 1er) . « Cette pêche touche à son anéantissement par le monopole, les accaparements et les abus qui y règnent ».

Note : Cahier de Lanriec et de Concarneau : doléances des marins. — Remarquons que c'est peut-être la première fois qu'a été employé le terme de capitalistes.

Les pêcheurs proposent divers remèdes aux maux dont ils souffrent. Il faut prohiber expressément l'entrée de tout poisson étranger, empêcher les accaparements, défendre toute collusion entre les interprètes des langues et les négociants et, au besoin, créer un monopole d'Etat pour la vente de la rogue et de tous les produits nécessaires à l'exercice de la profession de marin-pêcheur (voir la note qui suit).

Note : Sur ce qui précède, voy. aussi H. SÉE, Etudes sur la pêche en Bretagne au XVIIIème siecle (Mémoires et documents…, de J HAYEM, 9ème série, 1925) ; L. VIGNOLS et H. SÉE. Correspondance commerciale d’un marchand de sardines de Concarneau (Ibid., 10ème série, 1926).

En dehors de la pêche à la sardine, quelques-unes des nombreuses sécheries, établies sur la côte depuis le moyen âge, subsistaient encore, à Kerity et à Audierne par exemple. On séchait au soleil les congres, les juliennes et les merlus. Les sécheries de merlus avaient fait, jusqu'au XVIème siècle, la fortune de Penmarch (C. VALLAUX, Penmarch aux XVIème et XVIIème siècles, Paris, Cornély, 1907, pp. 20 et sqq.). Audierne expédiait encore en Espagne de grandes quantités de congres séchés (voir la note qui suit).

Note : En 1790, pour paver ses rues et relever ses quais, la municipalité d'Audierne propose l'établissement d'un droit de 5 sous « par balle de congres » et 5 sous « par cent de merlus » exportés (Arch. municipales d'Audierne, reg. des délibérations, à la date du 26 septembre 1790).

 

Le cabotage, les ports.

L'activité maritime sur cette côte n'était pas, comme aujourd'hui, tout entière consacrée à la pêche. Au XVIIIème siècle, en l'absence de bonnes voies terrestre, la navigation commerciale était prospère. De nombreuses flottilles de cabotage, petits voiliers, chasse-marées, sillonnaient la mer ou stationnaient, attendant des vents favorables, dans les ports de Concarneau (voir la note 1 qui suit), Quimper (voir la note 2 qui suit), Pont-l'Abbé, Kerity-Penmarch, Audierne, Douarnenez et Camaret.

Note 1 : Concarneau était un bon port de refuge. Vers 1780, Dellain, ancien commissaire des classes, auteur d'un essai historique sur Concarneau (ms., Biblioth. municipale de Brest), écrivait : « Le port de Concarneau présente un accès facile à toute sorte de navigation et même à des bâtiments du Roi, qui souvent y relâchent en temps de guerre » (TRÉVÉDY, Essai sur l’hist. de Concarneau, p. 180).

Note 2 : Le port de Quimper n'était accessible qu'aux navires de faible tonnage ; les autres s'arrêtaient à Benodet. La moyenne annuelle des entrées, 217 en 1720, n'était plus que de 124 en 1766 (H. BOURDE DE LA ROGERIE, Introduction…, p. CLXXIV. — Cf. OGÉE, Dictionnaire, art. Quimper).

Douarnenez qui, dans les bonnes années, avait plus de 400 chaloupes pour la pêche, exportait des sardines pressées à Nantes, La Rochelle, Rochefort et Bordeaux, du bois de chauffage et de construction à Brest et recevait, de Norvège, de la rogue, des planches de sapin, du goudron et, de Bayonne, des résines et du liège (voir la note qui suit).

Note : « A Douarnenez, le commerce est quelquefois de un million et demi » (Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 1596).

Audierne, dont le port était peu sûr et l'entrée difficile, expédiait, à Bordeaux, à Bayonne et en Espagne, des congres séchés et des grains ; les bateaux, à leur retour, étaient chargés de vins, de planches et de fer (4). Concarneau expédiait ses salaisons à Nantes, La Rochelle et Bordeaux. Enfin, Pont-Aven faisait un commerce actif et fournissait du froment, du seigle et de l'avoine à Lorient, Nantes et Bordeaux.

Note : Cf. J. SAVINA, Audierne à la fin de l'Ancien Régime, dans le Bulletin de la Soc. archéol. du Finistère, 1914. — Il y eut, de 1768 à 1780, une moyenne annuelle de 170 déclarations d'entrée et de sortie de navires à Audierne. C'est à peu près le chiffre des entrées et sorties du port de Concarneau à la même époque (Arch. du Finistère, C 4309 et 4324).

Tous ces ports qui, à l'exception d'Audierne, à la charge de l'Etat, étaient entretenus aux frais des corps municipaux, se trouvaient en mauvais état, « attendu que les villes manquent de moyens pour les entretenir convenablement » (Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 1584). Ceux de Douarnenez, d'Audierne, de Concarneau nécessitaient des travaux urgents qui n'étaient pas encore effectués en 1794, lors du voyage de Cambry (voir la note 1 qui suit), Les marins d'Audierne donnaient cependant, en 1789, d'excellentes raisons en faveur de l'amélioration de leur port « situé entre les deux plus dangereux passages de la côte de Bretagne, ceux du Raz et de Penmarch, si fameux par leurs naufrages ». La baie d'Audierne était « dans les malheureux temps de la guerre le parage ordinaire des corsaires ennemis et les navires poursuivis n'avaient d'autre refuge ni d'autre retraite que ce port » (voir la note 2 qui suit).

Note 1 : Cependant des travaux importants, des quais, deux cales, une digue, avaient été exécutés à Concarneau vers 1756 (Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 625, 626 et 627). En 1789, on exécutait au port de Douarnenez pour 15.920 l. de travaux (Arch. du Finistère C 33. — Arch. municipales de Douarnenez, reg. des délibérations, 21 août 1790).

Note 2 : Cahier d'Audierne, art. 31. — Les quais et les cales d'Audierne, construits grossièrement en pierre sèche vers 1630, sont, en 1790, « presque entièrement éboulés dans le port » (Arch. municipales d'Audierne, reg. des délibérations, 26 septembre 1790).

Aucun phare n'existait sur la côte de Cornouaille. Les navigateurs francais attendaient, avec une vive impatience, l'établissement d'un phare sur la pointe de Penmarch. Le vœu en avait été exprimé aux Etats de Bretagne. Audierne demandait aussi une « tour à feu » à l'entrée de son port. Le petit phare de Penmarch, le premier établi sur ces côtes, était en construction en 1794.

 

Les routes.

Le territoire des deux sénéchaussées était traversé par 201 km. de routes régulièrement entretenues par la corvée des paroisses, soit une proportion de 1 km. de route pour 10 km2 de superficie (2). Toutes ces routes rayonnaient autour de Quimper : routes de Quimper à Quimperlé, de Quimper à Landerneau par Châteaulin, de Quimper à Lanvéoc, puis Brest, par la rade, de Quimper à Audierne par Douarnenez, de Quimper à Pont-l'Abbé, de Quimper à Concarneau et Quimperlé et enfin celle de Rosporden à Scaër, avec embranchement sur Gourin et Le Faouet.

Note : Proportion bien insuffisante mais très supérieure à celle de la sénéchaussée voisine de Châteaulin, qui n’avait qu'un kilom. de route pour 15 kilom. carrés. — Dans l'étendue des deux sénéchaussées, il y avait 103.007 toises de routes, soit environ 43 lieues de grands chemins (lieues anciennes de 4.680 m.), dont 29 dans la sénéchaussée de Quimper et 14 dans celle de Concarneau. (Calculé, d'après l'état de situation des travaux de corvée au 31 déc. 1787 au département de Quimper, par l'ingénieur David, Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 4883, liasse). Sur les grands chemins de la Basse-Bretagne au XVIIIème siècle. voy, OGÉE, Atlas itinéraire de Bretagne, in-fol., 1769 ; — Carte de Cassini ; M. MARION, La Bretagne et le duc d'Aiguillon, Paris, 1898, in-8°, pp. 79 et sqq. ; — LETACONNOUX, Le régime de la corvée en Bretagne au XVIIIème siècle, Rennes, 1905, in-8°, passim ; — J. SAVINA, Nos vieux grands chemins et la corvée, en Cornouaille et en Léon, à la fin de l'Ancien Régime, dans le Bulletin de la Soc. archéol. du Finistère, 1925, pp. 52 et sqq.

La plupart de ces routes suivaient le tracé d'anciennes voies romaines, tracé rectiligne en un pays très accidenté, ce qui leur donnait un profil en dents de scie. De nombreuses et fortes rampes les rendaient peu commodes au roulage (voir la note 1 qui suit). Toutefois, au dire de l'ingénieur David, chargé en 1788 du « département de Quimper », elles étaient assez bien entretenues. Les routes de Quimper à Pont-l'Abbé, de Resporden à Scaër, de Quimperlé à Concarneau étaient « belles et bien roulantes » ; celle de Quimperlé à Quimper était « bonne », les autres, en « état passable » (voir la note 2 qui suit).

Note 1 : Pour obtenir des pentes plus douces, il a fallu, dans la seconde moitié du XIXème siècle, corriger toutes ces routes sur des sections nombreuses et étendues, notamment aux abords des villes : Quimper, Douarnenez, Pont-Croix, Audierne, Locronan, etc. La route de Quimper à Lauvéoc a été corrigée par 15 kilom. de route nouvelle, ce qui a eu pour effet d'allonger la longueur totale d'environ 3 kilom. — L'ancienne route de Quimper à Châteaulin avait 24 kilom., la nouvelle en a 28. La route actuelle n'emprunte la chaussée ancienne que sur un parcours de 3 kilom., près de Landrevarzec, — L'ancienne route de Landerneau au Faou, qui a dû être abandonnée, avait 18 kilom. 700. La nouvelle route, entiérement distincte (par Daoulas), en a 22 kilom. 700 : route allongée de 4 kilom.

Note 2 : Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 4883 — Le « département » de Quimper comprenait 73 lieues de routes. Il s'étendait, en l'évêché de Vannes, à l'ouest d'Hennebont (16 lieues), et dans l'évêché de Quimper au sud de l'Aulne (57 lieues). Le « département » de Landerneau comprenait l'évêché de Léon (63 lieues) et une partie de la Cornouaille, au nord de l'Aulne (22 lieues) en tout 85 lieues de routes (Ibid.).

Ces « grands chemins » étaient les seuls praticables en toute saison. Les chemins de traverse, « routes de bourg à bourg et de bourg en ville » étaient dans un état déplorable. Partout étroits, encaissés entre des fossés qui retenaient les eaux, ces chemins, dont l'entretien incombait aux propriétaires riverains, étaient presque totalement négligés, remplis de fondrières et impraticables l'hiver (Voy. aussi CAMBRY, op. cit.).

A l'exception de quelques travaux d'art, effectués, par voie d'adjudication, aux frais de la Province, la corvée seule pourvoyait à l'entretien de ces routes. Or, la corvée des grands chemins ne donnait pas un rendement proportionné à la lourde charge qu'elle faisait peser sur les classes rurales. Cette corvée était devenue odieuse aux paysans, et nous trouvons, dans la plupart des cahiers des paroisses, un écho de leurs plaintes. On les oblige à « ferrer des routes où ils ne marchent que pieds nuds » ; aussi « les grands chemins retentissent, depuis bien des années, de leurs gémissements » (Cahier de Loperhet, art. 1er).

Ce n'est que contraints par « les menaces de garnison » qu'ils s'arrachent aux travaux de la culture, « dans les moments les plus précieux, pour rétablir la grande route où doit passer l'équipage de l'homme opulent » (Cahier de Plogonnec, art. 4) et « pour rendre plus facile la course rapide des chars d'honneur riches et souvent inutiles à l'Etat » (Adresse des députés des campagnes).

 

L'habitation et le mobilier.

Cambry a tracé de la chaumière bretonne et de ses habitants, à la fin du XVIIIème siècle, un tableau que Fréminville en 1836 trouvait encore d'une admirable vérité. A l'exception de nombreux manoirs, il n'y avait dans les campagnes que de véritables masures, basses, sans étage, souvent sans grenier, couvertes de chaume, de genêt ou de roseaux. « L'habitation du laboureur est à peu près partout la même : une cahutte sans jour, pleine de fumée, Une claie légère la partage le maître de ménage, sa femme et ses enfants occupent une de ces parties ; l'autre contient les bœufs, les vaches, tous les animaux de la ferme. Les exhalaisons réciproques se communiquent librement et je ne sais qui perd à cet échange. Ces maisons n'ont pas 30 pieds de long sur 15 de profondeur. Une seule fenêtre de 18 pouces de hauteur leur donne un rayon de lumière » (CAMBRY, Voyage dans le Finistère, éd. Fréminville, p. 39).

Et quel intérieur ! Un mobilier des plus sommaires et des plus disparates : « Un bahut sur lequel une énorme masse de pain de seigle est ordinairement posée sur une serviette grossière. Deux bancs ou plutôt deux coffrets sont établis le long du bahut qui sert de table à manger. Des deux côtés d'une vaste cheminée, sont placées de grandes armoires sans battants. Les lits ont deux étages dont chacun n'a parfois que deux pieds de hauteur. Les habitants y dorment sur de la balle d'avoine ou de seigle. Beaucoup d'entre eux ne sont couverts que d'une espèce de sac de balle ; très peu se servent de couvertures de laine ; quelques-uns en possèdent de ballin, espèce d'étoffe tissue de gros fil d’étoupe » (CAMBRY, Voyage dans le Finistère, éd. Fréminville, p. 33). Le reste de leurs meubles est composé d'écuelles d'une terre commune, de quelques assiettes d'étain, d'un vaisselier, d'une platine à faire des crêpes, de chaudrons, d'une poêle et de quelques pots à lait.

Le tableau n'est pas trop chargé. Le témoignage des paysans de Moëlan, en 1789, corroborerait, s'il en était besoin, les assertions de Cambry. « Les colons sont très mal logés et dans l'impossibilité de se procurer aucune aisance. Il est triste de voir d'honnêtes ménagers habiter des maisons très basses où ils ne reçoivent la lumière du jour et ne respirent l'air qu'à la faveur d'une fendasse ou plutôt meurtrière. On gémit avec raison sur l'insalubrité et l'infection des prisons, mais ce n'est rien en comparaison de la plupart des maisons de campagne sujettes à domaine congéable. Il faut les avoir vues pour s'en former une idée. Voilà aussi la cause principale des maladies épidémiques et populaires qui dévastent les campagnes. On peut encore ajouter que, dans le temps de récolte, les blés, soit coupés ou battus, se détériorent, faute d'avoir une grange pour les mettre à couvert. Tous ces différents inconvénients proviennent de la nature du domaine congéable qui ne permet pas aux colons de donner à leurs maisons les ouvertures nécessaires ni de se procurer des granges propres à mettre leurs blés à l'abri. Les seigneurs s'y opposent, dans la crainte de grever leurs fonds, ou ne l'accordent qu'à titre onéreux, soit à la charge d'augmenter la rente ou d'une plus forte commission » (Cahier de doléances de Moëlan - Arch. du Finistère, série B).

 

Le vêtement, l'alimentation.

Dans les campagnes des deux sénéchaussées, les vêtements étaient de toile, quelquefois de berlinge (chanvre et laine) et rarement de drap (Les draps venaient surtout de Montauban - Arch. du Finistère, papiers de H. Lusiac, B 4062-4063). Les paysans portaient de gros sabots dans lesquels ils mettaient du foin ou de la paille. L’été, ils marchaient pieds nus. Les gens d'une certaine aisance, seuls, avaient des bas et de gros souliers les dimanches et jours de fête. Les hommes portaient un bonnet de laine ou un chapeau à large bords, une veste courte, le « chupen », un gilet long sans manches, des culottes plissées trés larges, les « bragou-braz », descendant un peu au-dessous du genou, et des guêtres. Le costume des femmes, leurs coiffes surtout variaient d'une paroisse à l'autre (Sur le costume bigouden, voy. Arch. du Finistère, B 308, 339 et 749).

Les tissus employés étaient, pour la plupart, fabriqués dans la paroisse, en partie dans la ferme même, car les industries domestiques, le filage, le tissage, la vannerie, la corderie, etc… occupaient les chômages de l'hiver.

La nourriture était bien insuffisante et peu variée. Peu ou point de viande, seulement de la soupe au lard deux fois par semaine. On consommait du pain d'orge dans les paroisses voisines de la mer, du pain de seigle dans les paroisses de l'intérieur. « Le blé noir forme près des deux tiers de la nourriture des habitants des campagnes ; ils en font des crèpes, des galettes, de la bouillie ; ils font même usage de crêpes dans leur soupe, de préférence au pain. L'avoine est aussi bien importante pour leur subsistance [Note : Rateau père, négociant à Quimper, lettre à l’Intendant (1788) (Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 1666)]. On ne connaissait guère la pomme de terre. Les autres produits de la ferme : le beurre, les œufs, la volaille, le froment se portaient au marché.

 

L'ivrognerie.

L'alcoolisme ou plutôt l'ivrognerie était déjà un mal très répandu surtout dans les paroisses du littoral. « Dans le canton de Quimper, ainsi que dans presque toute la Basse-Bretagne, on se plaint moins de la disette des grains comme cause de la dépopulation que de l'ivrognerie, source de fainéantise, de libertinage, de querelles et souvent de meurtres. Ce défaut y est tellement invétéré que les malades même ne peuvent s'en abstenir et préfèrent boire cidre ou eau-de-vie que d'observer aucun régime ou d'employer les remèdes qu'on leur offre » (Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 1402). Tout était prétexte à libations : baptêmes, noces, enterrements, foires et pardons. Si le paysan ne s'enivrait qu'à ces occasions, le marin buvait pour se réjouir des pêches fructueuses, aux jours d'abondance, ou pour oublier sa misère, les jours de disette, car, suivant le mot d'E. Souvestre, le prolétaire souffrant, désespéré, avait toujours deux consolateurs, l'église ou le cabaret, Dieu ou l'eau-de-vie. « Aucun marché, dit encore Cambry, ne s'arrête en Bretagne sans qu'on l'achève au cabaret : le paysan croirait manquer à la politesse, à l'honneur, s'il ne s'enivrait en le terminant » (CAMBRY, Voyage dans le Finistère, p. 264).

En 1787, Férec, subdélégué de Pont-l’Abbé, écrit à l'intendant « Il y en a beaucoup ivres-morts les jours de foire et marchés. Les uns meurent de chutes, les autres des suites de leurs débauches. Non compris 50 cabarets dans cette petite ville et ses environs, cent tonneaux de vins ont été transportés dans les campagnes, en deux mois, vins au-dessous du médiocre, tous altérés et falsifiés. Les plus déplorables abus resultent de cette immense quantité de vins livrés à des gens, pour la plupart, dans l'indigence » (Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 1434). A la même époque, Bouriquen, sénéchal de Douarnenez, se plaignait amèrement des désordres abominables qui résultaient de « la multiplicité des cabarets, des bureaux de distribution de liqueurs, eaux-de-vie et autres buissons falsifiées dans les villes et bourgs » (Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 1434).

De nombreux cabarets, « retraites à voleurs », s'étaient même établis dans les villages écartés ou sur les routes. Les paysans de Nizon demandent instamment la prohibition « des expositions de boissons sur les grandes routes, aux jours de foires, marchés ou autres assemblées : usage dangereux dont les paroisses du pays éprouvent journellement les plus funestes effets » (Cahier de Nizon, art. 12).

 

L'instruction.

Dans les campagnes, l’ignorance étail à peu près générale. Les paysans ne se préoccupaient pas de donner à leurs enfants une instruction qu'eux-mêmes n'avaient pas reçue. Ça et là, mais exceptionnellement, car les paroisses étaient très étendues et « il y avait partout disette de prêtres » (Cahier de Crozon, art. 4), quelques curés s'occupaient avec un zèle très louable d'apprendre à deux ou trois enfants les premiers rudiments de lecture, d'écriture et de calcul (voir la note 1 qui suit). Le college de Quimper « avait de la célébrité ». On y venait de toute la Cornouaille et son effectif était considérable : « On y a compté plus de 800 élèves » (FIERVILLE, Histoire du collège de Quimper, 1864, p, 79). Il y entrait bien quelques fils de paysans, enfants particulièrement bien doués, que l'ambition des familles ou la générosité de quelque protecteur noble ou bourgeois destinaient à des fonctions ecclésiastiques ou à des carrières libérales. Quant à la masse du peuple, elle restait illettrée (voir la note 2 qui suit).

Note 1 : En 1760, il y a Douarnenez, « chez le sieur Dumarnay, un précepteur qui fait les écoles dans le bourg » ; à la même date, à Pont-Croix, « un prêtre, dans la ville, fait les écoles » (A. FAVÉ, Vagabonds de Basse-Bretagne, dans le Bulletin de la Soc. archéol. du Finistère, t. XXXII, p. 80).

Note 2 : En 1834, sur 1.730 conscrits ayant tiré au sort dans le Finistère, 403 seulement savaient lire et écrire ; encore, sur ce petit nombre, 202 étaient du seul canton de Brest. Le contingent des campagnes était donc encore presque entièrement illettré, Cf. E. SOUVESTRE, Le Finistère en 1836, in-4°, Brest, 1838, p. 2. — Pour le XVIIIème siècle, cf. aussi F. BRUNOT, op. cit., t. VII.

Les cahiers des paroisses rurales ne portent qu'un petit nombre de signatures, souvent grossières et informes, et cependant le nombre des comparants fut généralement très élevé (voir la note 1 qui suit). Quelques-uns des élus, députés des paroisses à l'assemblée de la sénéchaussée, étaient même incapables d'écrire leur nom au bas des cahiers qui leur étaient confiés. Tous les cahiers passent sous silence la question des petites écoles et de l'enseignement populaire. Aucune amélioration à l'état de choses existant n'est proposée ni sollicitée. Audierne et Concarneau réclament seulement la création d'une école d'hydrographie, « établissement infiniment précieux dans une ville maritime ». Tregourez, Laz, Poullan demandent l'admission des enfants de l'Ordre du Tiers Etat, concurremment avec ceux de la Noblesse, dans les écoles générales établies par la province ou par le roi. Les paroisses de Melgven, Loperhet et Primelin s'estimeraient satisfaites « si elles n'étaient plus tenues, en aucune façon, à l'entretien des maisons d'éducation de la Noblesse » (voir la note 2 qui suit). Mais ce sont là sans aucun doute des vœux empruntés à des cahiers ou à des modèles rédigés par des bourgeois.

Note 1 : Les signatures sont plus nombreuses dans les paroisses maritimes dont les habitants avaient servi dans la marine royale.

Note 2 : Les cahiers de la sénéchaussée de Rennes se préoccupent beaucoup plus de l’enseignement populaire ; cf. H. SÉE et A. LESORT, op. cit., passim.

 

La ville, la vie de société.

Quimper, petite capitale ecclésiastique et judiciaire, comptait 8.000 habitants. « Le clergé qui la peuplait, les nobles qui communément y passaient une partie de l'année, l'amirauté, les écoles, le présidial la rendaient florissante ; un y jouissait de la paix et de l'abondance. La ligne de démarcation qui séparait la noblesse des autres états était ici moins sensible qu'ailleurs. Il y régnait plus de lumières, plus de politesse, plus d'égalité que dans les autres villes de Bretagne » (CAMBRY, Voyage…, p. 323). « Rien de plus doux, de plus affable que les habitants de Quimper ; ils sont amis des lettres et des études » (CAMBRY, Catalogue des objets échappés au vandalisme - an III. Éd. Trévédy, Rennes, 1889, p. 45). Aimable et polie, en effet, telle nous apparaît, à travers la correspondance de Mme de Pompery (voir la note qui suit), la société quimpéroise à la fin de l'ancien régime.

Note : Mme de Pompery, née Audouyn de Keriner. D’une famille bourgeoise, cette « Sévigné bretonne », correspondante de Bernardin de Saint-Pierre, nous a laissé des lettres charmantes dont le mérite littéraire égale l’intérêt documentaire. La correspondance de Mme de Pompery a été publiée en 1884 (Paris, Lemerre).

Quimper avait une salle de spectacle où pendant trois mois d'hiver on jouait l'opéra ou la comédie. En 1784, on y représenta « Le Mariage de Figaro », qui ne plut guère aux spectateurs. Cependant, écrit le subdélégué de l'intendance, « nous avons été assez heureux pour rencontrer d'aussi bons acteurs qu'on en peut trouver en province et qui ne nous ont donné que les meilleures pièces, telles qu'elles se donnent aux Français » (voir la note qui suit).

Note : D. BERNARD, La comédie et les jeux à Quimper, en 1785, dans le Bulletin de Soc. archéol. du Finistère, t. XLIV, 1947, p. 123.

Les danses, l'hiver, les jeux, en toute saison, passionnaient les Quimpérois. Au dire de Cambry, qui exagérait certes, « on y vivait toute l'année comme pendant une saison aux eaux de Spa ou de Barèges » (CAMBRY, Voyage…, p. 323).

A la « Chambre littéraire » siégeait un petit cénacle où brillaient quelques avocats-poètes : Olivier Morvan (voir la note 1 qui suit), Théophile Laënnec (voir la note 2 qui suit), le père de l'illustre médecin, Jacques Royou (voir la note 3 qui suit), gendre du critique Fréron, le jurisconsulte Girard (voir la note 4 qui suit).

Note 1 : Olivier Morvan (1754-1794), avocat à Quimper, administrateur du Finistère (1790-1792), membre du Directoire du département (1792-1794). Guillotiné à Brest, le 22 mai 1794. Auteur de poésies diverses. Son « Ode sur le jeu » fut publiée au « Mercure » en 1784. Cf. KERVILER, Etude sur Morvan, dans Armorique et Bretagne, t. II, p. 297.

Note 2 : Théophile Laennec (1747-1836), avocat et officier de diverses juridictions, auteur de poésies légères, chansons et vantevilles.

Note 3 : Jacques Royou (1749-1828), avocat, procureur fiscal de la baronnie de Pont-l’Abbé (1775), procureur final des Régaires de Cornouaille (1782) et assesseur au tribunal de la maréchaussée (1785). Collabora à Paris, sous la Révolution, à des feuilles royalistes : L’Ami du Roi, etc., publia, de 1803 à 1819, divers ouvrages d’histoire anciennes et une « Histoire de France ».

Note 4 : Girard (1728-1821). avocat à Quimper, auteur du « Traité des usemens ruraux de Basse-Bretagne » (1774) président du Comité révolutionnaire de Quimper (1793), puis président du tribunal du district de Quimper. — Sur les chambres littéraires, voy. Gaston MARTIN, Les Chambres littéraires de Nantes (Annales de Bretagne, t. XXXVII, 1926).

 

L'esprit public.

Une académie bretonne fut fondée en 1780, sous la présidence du comte de Sérent. Elle se proposait de « rapprocher les différents ordres de l'Etat, d'établir entre eux des liens communs par les lettres et les sciences; d'accroître le goût des connaissances dans la province ».

Cette « Société patriotique bretonne », qui avait son siège au château de Keralier, dans la presqu'île de Rhuys, groupait en Basse-Bretagne une élite de gentilshommes, de dames de la meilleure noblesse et de bourgeois lettrés. Des cérémonies « religieuses et patriotiques » furent instituées dans la chapelle du château, « le temple de la patrie ». Les divertissements littéraires y étaient en honneur, mais aussi les entretiens philosophiques, quoique la bienséance obligeât à « ménager et l'ignorance et les préjugés des citoyens tonsurés » (J. TRÉVÉDY, La comtesse de Nantois, dite « la Muse bretonne », broch. in-8°, Rennes, Caillière, 1895, pp. 16 et 38).

Au nombre des habitués de Keralier se trouvaient des correspondants de Voltaire. La « Société patriotique », qui se flattait d'honorer « les vertus et les talents », aida à la diffusion des idées nouvelles dans les petites villes bretonnes. Plusieurs des anciens commensaux du comte de Sérent joueront un rôle actif dans la période révolutionnaire (voir la note qui suit).

Note : Notamment Le Quinio (J.-M.), maire de Sarzeau, juge du district de Vannes et, plus tard, député à la Législative et à la Convention ; — Georgelin (Barthélemy), sénéchal de Corlay, juge au district de Pontivy et président du club de cette ville (1792) ; — Morvan (Olivier), avocat à Quimper.

Les loges maçonniques et les chambres de lecture contribuèrent également à la propagande philosophique. Depuis 1750, il y avait environ dix-huit loges en Bretagne, groupant une élite de la bourgeoisie. Les loges de Nantes et de Rennes étaient particulièrement prospères, mais, celles de Brest, Quimper, Morlaix, Saint-Brieuc, Lorient et Dinan comptaient aussi un grand nombre d'affiliés.

La loge « La parfaite union » de Quimper avait parmi ses membres un grand nombre de bourgeois et de nobles et même quelques ecclésiastiques quimpérois (voir la note 1 qui suit). Beaucoup de ces hommes, d'une notoriété et d'une popularité du meilleur aloi, exerceront une grande influence, lors de la convocation des Etats généraux ; ils entreront, pour la plupart, dans les assemblées et les administrations révolutionnaires (voir la note 2 qui suit).

Note 1 : Parmi ceux qui jouèrent un rôle dans la période de la convocation, citons : Le Goazre de Kervelégan, sénéchal ; Bobet de Lanhuron, conseiller au présidial ; Le Baron de Boisjaffray, avocat ; Souché de la Brémaudière ; L’arbre de Lépine et Vinoc, médecins ; Le Goazre, frére de Kervelégan, avocat du Roi : de Lannegrie, chirurgien ; Bérardier (de Locmaria) ; Malherbe, maire de Concarneau ; Lamy des Noyers, négociant à Pont-l’Abbé ; l’abbé de Reymond, conseiller au présidial, etc., (Cf. G. BORD. La franc- maçonnerie en France, des origines à 1815, t. I, p. 464 ; — le journal Le Finistère, feuilleton du 11 avril 1896).
Dés 1781 , il y avait à Quimper une Chambre de lecture. En 1789, il en existait une autre à Douarnenez. Le 6 avril 1789, les bourgeois de Douarnenez, ne pouvant s’entendre avec les marins-pêcheurs, tiennent leur assemblée électorale dans la « Chambre de lecture » (Procès-verbal de l’assemblée des bourgeois de Douarnenez).

Note 2 : Sur ce qui précède, cf. aussi Augustin COCHIN, Les sociétés de pensée et la Révolution en Bretagne, Paris, 1925, 2 vol. in-8° ; Gaston MARTIN, La franc-maçonnerie et la préparation de la Révolution, Paris, 1926.

 

La misère.

Mais de cette « douceur de vivre » était sevrée la grande masse de la population, qui se trouvait dans un état misérable, très voisin de l'indigence. « En Bretagne, dit Arthur Young, le peuple parait vraiment bien pauvre. Les enfants, en haillons dégoûtants, sont plus mal habillés, pour ainsi dire, que s'ils n'avaient pas du tout d'habits ». Le comte du Nord, le futur Czar Paul Ier, visitant la Base-Bretagne, dans l'été de 1782, « trouva que les paysans bas-bretons ressemblaient à ses moujiks » (Mémoires de la Baronne d’Oberkirch). L'impression ressentie par ces étrangers n'était pas trompeuse ; la misère était réelle.

« La misère est affreuse, écrit le subdélegué de Quimper, en 1786. Les pauvres des campagnes manquent de pain parce que les blés sont portés à des prix excessifs et parce qu'un journalier, qui ne rapporte chez lui que 5 sous, chaque jour qu'il trouve à travailler, n'en a pas assez pour nourrir une femme et plusieurs enfants. Aussi nos villes, nos bourgs et

Tous les chemins qui y conduisent n'offrent que des mendiants et le spectacle de la misère publique se reproduit à chaque pas » (Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 1747). Le recteur d'Elliant, « entouré d'une foule de misérables » déclare que « les enfants sont d'une nudité qui outrage la pudeur » (Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 1635). Cette même année, l'évêque de Quimper adresse à l'Intendant de Bretagne un appel désespéré : « La misère augmente. J'apprends, chaque jour, les choses les plus affligeantes et, dans les campagnes, les colons meurent de faim » (Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 1742).

Sans doute, 1786 fut une année de détresse exceptionnelle ; mais, périodiquement, à des intervalles rapprochés, de véritables famines sévissaient, le plus souvent aggravées par des épidémies. Le médecin Davon, de Pont-Croix, écrit à l’Intendant : « Je vous avouerai que je n'ai jamais rien vu de si misérable et qui soit plus digne de commisération. J'ai trouvé dans plusieurs endroits jusqu'à trois malades sur une mauvaise couchette, avec une brassée de paille et une mauvaise serpillière pour les couvrir » (Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 1382).

Les nombreux mémoires adressés à l'intendance sont confirmés par les plaintes des paroisses en 1789. Les paysans de Beuzec-Cap-Caval « vivent au milieu d'une foule de pauvres et d'indigents ». « Un tiers des habitants de Plouhinec ne peut suffire à sa subsistance que la moitié de l'année, étant obligé de mendier les autres six mois ; un autre tiers est absolument réduit à la mendicité ». Les artisans de Pont-l'Abbé se plaignent « d'être réduits à une misère sans fin » par la cherté des grains. « Quantité de veuves, chargées de 6, 7, 8 enfants, qui ne gagnent que 5, 6 sous par jour, sont dans l'impossibilité de nourrir leurs familles ». Les environs de Pont-l'Abbé « fourmillent de malheureux qui meurent ignominieusement dans la misère » (Cahiers de doléances ; Beuzec, art. 10 ; Plouhinec, art. 14 ; Pont-l’Abbé, art. 10, et Lanriec, art. 1).

Mêmes doléances dans les milieux maritimes. A Lanriec, les marins « ne trouvent dans leurs demeures que l'indigence : une femme flétrie par la misère, des enfants en haillons et rongés de besoins ». A Audierne, la moitié de la population est indigente. « Sur 1.080 âmes que nous sommes, l'on peut compter, avec vérité, au moins 600 misérables dont il est essentiel de pourvoir aux nécessités » (Arch. municipales d'Audierne, reg. des délibérations, 8 septembre 1790 et 30 janvier 1791).

Il est à noter qu'en ce qui concerne le milieu rural surtout, une des causes de l'indigence est attribuée aux frais élevés de la justice. « L'avidité, l'astuce des suppôts de justice détruisent toute émulation chez les fermiers et domaniers. Les paysans les plus sensés disent communément que, pour être souvent très mal jugé, il en coûte toujours plus que la justice ne vaut, C'est d'après de pareils raisonnements que les fermiers et domaniers bornent leur industrie, deviennent plus insouciants, se livrent plus à la boisson, prennent un esprit tapageur, parce qu'ils voient journellement leurs ressources devenir la proie des suppôts de nos petits barreaux, De là cette multitude effrayante de gueux, fainéants et dangereux, qui courent les paroisses » (Lettre de Rospiec de Trévien à l'Intendant, 3 juillet 1785 - Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 1740)).

Çà et là , les paroisses se préoccupent de secourir les indigents, mais partout les moyens sont insuffisants (voir la note qui suit).

Note : Il est difficile d’établir une statistique exacte de la mendicité en Basse-Bretagne au XVIIIème siècle. Les chiffres fournis pour certaines paroisses paraissent fort exagérés. Il semble avéré qu'environ un dixième de la population vivait de la mendicité.
En décembre 1774, l'évêque de Léon, Mgr. de La Marche, adressa une circulaire aux recteurs des paroisses de son diocèse pour connaître le nombre des mendiants et les causes de la mendicité. Les réponses des recteurs, qui paraissent sincères, contiennent des indications précieuses, en ce qui concerne le Léon. Les mendiants sont partout extrêmement nombreux. Les causes, le plus souvent signalées, sont : la cherté des grains et des denrées de première nécessité, la cherté des fermes, le chômage, la faiblesse des salaires (le journalier touche 3 sous à Plouescat, 5 ou 6 sous au Minihy de Léon), le grand nombre d’enfants, la perte des matelots qui laissent des veuves et des orphelins, la corvée aux grands chemins, parfois l’intempérance et la fainéantise. (Cf. Chanoines PEYRON et ABGRALL, Notices sur les paroisses du diocèse de Quimper, 5 vol, in-8°, Quimper. — A. FAVÉ, Les Faucheurs de la mer, dans le Bulletin de la Soc. archéol. du Finistère, t. XXXIII, pp. 25 et sqq.). Voy. aussi L. KERBIRIOU, Jean-Francois de la Marche, évêque-comte de Léon, Paris et Quimper, 1921.
En 1790, le Directoire du Finistère ordonna une enquête du même genre. Les tableaux fournis par les districts parurent tellement exagérés que l’administration se dispensa de les adresser à l’Assemblé nationale (Rapport au Conseil du Finistère en 1791, op. cit., p. 44).
Une enquête approfondie, faite en 1857, constatait l’existence de 40.000 mendiants dans le Finistère, soit un mendiant sur 15 habitants (Rapport sur l’extinction de la mendicité, broch. in-8°, Quimper, 1859).

Plozévet demande « qu'un tiers des dîmes qu'elle paie à un gros décimateur, chanoine de Quimper, qui n'a jamais rendu aucun service à la paroisse, qui n'y a jamais mis les pieds » soit consacré au soulagement des pauvres. Pont-Croix veut « qu'on établisse des hospices, dans les paroisses, pour y recevoir les pauvres hors d'état de se procurer leur subsistance par le travail » (voir la note qui suit).

Note : Voy. les cahiers de Plozevet, art. 4, et de Pont-Croix, art. 11. — Sur ce qui précède, cf. H. SÉE, Remarques sur la misère, la mendicité et l’assistance en Bretagne à la fin de l'Ancien Régime, dans Mémoires de la Soc. d’hist. de Bretagne, 1925.

 

Les émeutes.

En temps normal, nous l'avons vu, la Cornouaille produisait assez de grains pour pouvoir en exporter une notable quantité par les ports de Douarnenez, Pont-Croix, Audierne, Pont-l'Abbé, Quimper, Pont-Aven ; il est vrai qu'il s'agissait de seigle et surtout de froment, qui ne servaient guère à l'alimentation du peuple., Cependant, fréquemment sévissaient des disettes. Quand la récolte de sarrasin, récolte toujours extrêmement aléatoire, venait à manquer, c'étaient de terribles famines, comme en 1772 et 1784. Le moindre renchérissement des grains inquiétait les populations et, dans ce cas, l'exportation provoquait souvent des émeutes (voir la note qui suit). Les populations urbaines, surtout, étaient hostiles à la sortie des blés et s'y opposaient par la force.

Note : Il convient de rappeler que la grande révolte de 1675, dite du papier timbré, dont la cause essentielle fut la misère, eut un caractère d’exceptionnelle gravité dans la sénéchaussée de Quimper (J. LEMOINE, La révolte dite du papier timbré ou des bonnets rouges, en Bretagne, en 1675. Paris, 1898, in-8°, chap, I et II). Les paysans, « nobles habitants des 14 paroisses unies du pays armorique, situées depuis Douarnenez jusqu’à Concarneau », rédigèrent, au cours de cette jacquerie, un « code paysan » dont les revendications âpres annoncent les doléances de 1789. Sur ce code paysan , voy. A. DE LA BORDERIE, Revue de Bretagne et de Vendée, 1860, t. VII, p. 92.

En 1789, la question des subsistances causait en Cornouaille de vives inquiétudes. Depuis 1787, le bétail s'était considérablement raréfié, « La disette des fourrages et des épidémies avaient causé beaucoup de ravages parmi les bestiaux, surtout les vaches » (Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 1600). On envisagea, un montent, la nécessité d'en faire venir de l'étranger, mais on renonça à ce projet, les subdélégués ayant fait remarquer que les cultivateurs étaient hors d'état de faire les avances indispensables.

La récolte de 1788 avait été très déficitaire. « Une demi-récolte de froment et, un peu plus qu'une demi-récolte de seigle », écrit, de Quimper, le négociant Rateau (Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 1655). « Nos avoines avaient péri dans une très grande étendue de terrain, par les rigueurs de l'hiver, et les seigles avaient beaucoup souffert ». De plus, la moisson s'effectua dans des conditions désastreuses : « Des pluies continuelles ont empéché de battre et une tourmente horrible a dévasté nos sarrasins ». En somme, écrit Le Goazre, subdélégué de Quimper, « si le temps de la moisson avait été favorable, il aurait fallu compter sur un tiers de moins de récolte qu'aux années ordinaires. Ce que je dis pour le district de Quimper est vrai aussi pour ceux de Pont-l'Abbé, Pont-Croix et Audierne » (Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 1655).

Le 8 septembre 1788, Du Laurens, subdélégué de Concarneau, informe l'Intendant « qu'un marchand ayant voulu embarquer des blés à Concarneau, les femmes de cette petite ville s'assemblent sur la place publique, l'accablent d'invectives et menacent de crever les sacs de froment et de les faire couler » (B. POCQUET. Les origines de la Révolution en Bretagne, t. II, pp. 21 et 24). « A la fin d'octobre 1788, on voulut embarquer, à Douarnenez, des chargements de seigle pour Bordeaux. Aussitôt, la populace s'émut, déclara qu'elle s'y opposerait par la force et l'on se vit contraint d'y renoncer » (B. POCQUET. Les origines de la Révolution en Bretagne, t. II, pp. 21 et 24). A Audierne, à Pont-Croix, il était imposible de faire aucun chargement de grains, au grand préjudice des négociants qui ne pouvaient revendre le blé qu'ils avaient acheté. Rion du Cosquer, subdélégué de Pont-Croix, fut lapidé par une populace furieuse pour avoir essayé de protéger un embarquement (voir la note qui suit). Des désordres semblables se produisirent à Pont-l'Abbé et à Quimper.

Note : Des troubles se renouvelèrent à Pont-Croix, en mai 1789. De nombreuses arrestations furent opérées. La municipalité de Quimper, à la demande des habitants de Pont-Croix et d’Audierne, intervint, en juillet 1789, en faveur des prisonniers et obtint leur mise en liberté (Arch. municipales d’Audierne, reg. des délibérations, 26 juillet et 10 août 1789).

La situation, d'ailleurs, était à peu près la même dans toute la Bretagne. Aussi l'Intendant écrivait-il à Necker, le 18 janvier 1789 : « Vous êtes instruit de toutes les émotions populaires qu'il y a eu depuis quatre mois ; elles ont lieu dans presque tous les ports et avec plus ou moins de violence. La présence de la maréchaussée et des troupes n'en a point imposé aux séditieux. On a un autre sujet d'inquiétude résultant de ce que toutes les terres n'ont pas été ensemencées cette année. Il y a même des cantons où on n'a pas pu en ensemencer plus de la moitié ou les deux tiers et, par surcroît d'inconvénients, on craint beaucoup que la rigueur du froid survenue dès le mois de novembre n'ait beaucoup nui à la végétation des grains.

« Ajoutez à ces considérations la misère excessive occasionnée par la dureté de la saison et vous sentirez aisément qu'il est naturel que le peuple ne voie pas avec insouciance faire de nouveaux embarquements de grains.

On pourrait envoyer des troupes dans les différents ports, mais cet expédient pourrait exciter un germe de fermentation très dangereux, surtout pour les gentilshommes auxquels le peuple reproche ou de faire le commerce des grains ou de chercher à les faire renchérir, en fermant leurs greniers » (voir la note qui suit).

Note : Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 1675. — Sur ce qui précède, cf. J. LETACONNOUX, Les subsistance et le commerce des grains en Bretagne au XVIIIème siècle, Rennes, 1909 ; Emile DUPONT, La condition des paysans dans la sénéchaussée de Rennes, d'après les cahiers des Etats généraux (Extrait des Annales de Bretagne).

Ces troubles populaires, qui étaient comme le prélude de la Révolution, continuèrent jusqu'à la récolte de 1789 (voir la note qui suit).

Note : Aug. COCHIN (op. cit.) ne croit pas à la spontanéité de ces troubles ; mais rien ne prouve qu’ils aient été provoqués par les agents des « sociétés de pensée ».

Voir   Histoire de Bretagne " Convocation des Etats généraux en 1789 dans les sénéchaussées de Quimper et Concarneau ".

(H. E. Sée).

© Copyright - Tous droits réservés.