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LE DEBARQUEMENT DES ALLIES A SAINT MICHEL

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A Saint Michel-en-Grève, les premiers Américains ne furent pas des marins mais des soldats ; rien de plus normal, si ce n’est qu’ils ne venaient pas de Normandie mais du Finistère ! Après les Allemands en route vers l’ouest... le monde à l’envers !

L’explication nous est donnée par les archives militaires. Les Alliés avaient l’ordre de s’emparer le plus rapidement possible du Port de Brest en passant par le centre Bretagne et la Nationale 12. Opération parfaitement réussie quand on sait que leurs blindés partis d’Avranches le 31 juillet 1944, étaient le 7 août devant les premières lignes de défense de la ville. Pour cela, la 6ème Division Blindée américaine avait délibérément ignoré les colonnes ennemies (dont les restes de « notre » 266ème DI) fuyant le long de la côte finistérienne en direction de la Festung (forteresse) et donc laissé la Résistance seule face aux enclaves allemandes de Tréguier-Paimpol et de Lannion-Perros-Guirec. Ainsi s’explique le fait que nous n’ayons pas été libérés par les blindés mais par une division d’infanterie mécanisée qui ... avait fait demi-tour depuis Morlaix ! D’où, le formidable spectacle du jeudi 10 août : une interminable colonne de half-tracks, camions, jeeps... tous surmontés de longues antennes-fouet, remontant pendant des heures en direction de Lannion. Si l’objectif de ces Américains était bien d’apporter à la Résistance leur puissance de feu, ils en avaient un autre, plus important : face au sabotage des ports de Bretagne Nord, nettoyer dans l’urgence la plage de Saint Michel afin de l’utiliser pour ravitailler les forces assiégeant Brest.

Débarquement des alliés à Saint-Michel-en-Grève (Bretagne).

Le premier job des hommes du Génie fut d’éliminer les barrages antichars, chez nous des chicanes faites d’énormes troncs entre lesquels était creusée une cavité pour une Teller mine (mine assiette) dont le détonateur réglé à cent cinquante kilos permettait à la sentinelle toujours présente de les enlever quand se présentait un véhicule, un geste de plus en plus rare, les permis de circuler délivrés par la Mairie-Kommandantur avec les bons (en litres) du précieux carburant, n’étant délivrés qu’au compte-gouttes. Le Docteur Couzigou avait, ce me semble, la seule voiture à essence du bourg, une chance car on voit mal comment il eût pu se rendre d’urgence en pleine nuit auprès d’une accouchée...dans un gazogène !

Il y avait, face à l’ancien Hôtel du Lion d’Or (et à quelques pas de la première maison du Docteur) un de ces barrages et celui-là ses voisins ne l’ont pas laissé aux Américains : je les ai vus scier à la scie passe-partout avec force cris de joie les troncs de quarante centimètres après avoir arraché la barrière « HALT » qui en commandait l’accès.

Bien avant que la première jeep venue de Plestin ne s’y fut arrêtée, toute la population de Saint Michel, à l’exception des malades, des infirmes (et … de nos grands-parents !) était rassemblée sur le terre-plein face à la mer.

Une explosion !

Les images sont connues : vivats, Marseillaises à tue-tête, mains agitant des drapeaux ou jetant des fleurs, furieuses mêlées d’où les plus costauds, bouteille à la main, se hissaient les premiers sur les véhicules aux nouvelles couleurs... Restés prudemment à distance de ce déferlement, nous ne pouvions évidemment savoir que ce jour était comme un 14 juillet, mais, cela nous l’avions bien compris, cette liesse, du jamais vu, c’était la fin du couvre-feu et des journées sans joie où toute forme d’expression était interdite, depuis les défilés (sauf la procession de la Fête Dieu !) jusqu’aux bals publics (mais là M. le Recteur disait Amen !) en passant par les manèges du Pardon.

La vague humaine qui déferla sur nos américains fut telle qu’ils durent de n’être jetés à terre et noyés sous les effusions qu’en se cramponnant à la mitrailleuse de leur half-track ou de leur jeep. Et, à peine avaient-t-ils retrouvé leur souffle que ce fut au tour des enfants de leur être offerts, tendus à bout de bras en actions de grâces comme des ex-voto. C’est ainsi que, mon petit drapeau dessiné (américain, anglais, russe ?) à la main, je fus hissé jusqu’au visage abasourdi et plutôt gêné d’un soldat à la jugulaire du casque détachée... pour avoir droit à la piqure d’une barbe de plusieurs jours... Moi qui rêvais de chocolat !

De bien virils contacts, mais pas pour nos mères, nos mères la tête courbée pendant quatre ans sous un fichu, nos mères se jetant sans retenue sur les mâles vainqueurs et les couvrant de baisers ! Mais sans doute ces hommes « sentaient-ils bon le sable chaud » comme le Légionnaire de la chanson, cela nous ne pouvions pas non plus le comprendre...

Si toutes les villes et villages libérés ont vécu des telles scènes en cet été 44, Saint Michel allait connaître en plus un évènement d’une tout autre dimension : l’arrivée des Américains (et Anglais) par la mer l’après-midi du vendredi 11 août, une semaine exactement après le passage meurtrier dans le bourg d’une colonne allemande. Si ce débarquement, le seul de la guerre en Bretagne, ne fait que quelques lignes dans les livres d'Histoire, il n’en a pas moins laissé dans la mémoire de ses témoins des images gravées à l’eau-forte.

Difficile d’imaginer la Lieue-de-Grève, cette vaste étendue éblouie tantôt terre tantôt océan, défigurée par les obstacles du barrage « anti-invasion » que les occupants avaient dressés d’une rive à l’autre sur quatre lignes (pour tenir compte des coefficients de marée) : troncs d’arbres, rails curtoir, tétraèdres, blocs de béton… Certes, les travaux avaient cessé après le Débarquement du 6 juin, mais il était impensable, à moins d’être un goéland, de s’aventurer sur ce dangereux no mans land, à cause des mines et surtout parce que nous savions que les Allemands, bien que peu nombreux et de plus en plus discrets, ont occupé l’Hôtel de la Plage au moins jusqu’au soir du 4 août. Aussi, quand les Américains, dans un étourdissant ballet de jeeps, camions, bulldozeurs, eurent réussi le tour de force d’éliminer en quelques heures la majorité des obstacles de la plage, il est peu de dire que pour nous tous, petits et grands, il y eut bien, ce jeudi 10 août, un miracle sur la Lieue-de-Grève. Et nous n’étions pas au bout de nos surprises !

Sans attendre en effet, portés par le flot, d’énormes navires ont soudain surgi derrière la pointe de Beg ar Forn et, sans hésiter, se sont enfoncés dans la baie pour s’immobiliser, chose impensable, là même où à marée basse nous pêchions des coques. Plus étonnant, avec leurs canons filiformes et leurs ponts plats surmontés de ballons comme pour une kermesse, ils ressemblaient si peu à des bateaux de guerre qu’il nous fallut arriver sous leurs flancs, les sabots à la main, pour que leur puissance et leur démesure nous coupent le souffle : posés droits sur le sable où leurs énormes hélices avaient creusé de petits étangs, ils étaient longs comme des paquebots et hauts comme des maisons ! Un exploit qui, soit dit en passant, restera sans nul doute unique, tant on voit mal ces bateaux d’un tirant d’eau de trois à quatre mètres (s’il en existait encore en état de naviguer) revenir sur notre plage ensablée... pour une commémoration !

Débarquement des alliés à Saint-Michel-en-Grève (Bretagne).

La suite, pour nous faire oublier les dernières journées de l’Occupation, les nuits d’angoisse et quelques scènes insoutenables, ce seront six semaines d’un bonheur sans partage pendant lesquelles chaque jour une troupe de théâtre sortie de la mer viendra jouer de fabuleux spectacles. Au point que notre émerveillement ne fut peut-être pas très différent de celui des primitifs Mélanésiens de Nouvelle Guinée découvrant les bateaux américains de la Guerre du Pacifique. Eux en ont fait des maquettes qu’ils ont dressées sur les collines : leurs « Dieux Cargos » ! A Saint Michel, nous avons adoré et aussi, avouons le... un peu vendu nos âmes à nos « Dieux Péniches » !

Les bateaux identifiés par un numéro peint en blanc, ouvraient sur leurs étraves, avant même de s’immobiliser, deux hautes portes verticales puis abaissaient une rampe à forte déclivité. Ces LST (Landing Ship Tank), cent mètres, 140 hommes d’équipage et 4 000 tonnes en charge, étaient les plus grands navires conçus pour à la fois échouer sur une plage et naviguer en haute mer. Pour cela, ils remplissaient des ballasts ou étaient lestés, dixit leur fiche technique, soit de dix huit chars Sherman soit, comme le plus souvent à Saint Michel, de vingt sept camions GMC remplis de jerricans d’essence.

Ces LST furent construits pour la plupart aux USA et parfois dans des chantiers très éloignés de la mer. Ainsi du 325 photographié chez nous le 5 septembre qui, lancé avec 166 autres à Evansville, Indiana, un Etat du centre nord des USA, avait rejoint le Golfe du Mexique après avoir descendu le Mississipi sur des centaines de kilomètres et traversé Saint Louis, Memphis, La Nouvelle Orléans. Pour l’anecdote, ce bateau fut racheté en 2001 à la Marine Grecque par une association d’anciens marins qui lui ont fait refaire le chemin jusqu’à sa ville d’origine pour en faire un Musée (qu’ils m’ont fort gentiment invité à visiter). On peut y voir des photos prises sur notre plage.

La force navale anglo-américaine avait une vocation exclusivement logistique : le ravitaillement des divisions motorisées en armes et surtout en carburant. L’essence était contenue dans des jerricans de 20 litres, nom donné par les Anglais (en argot « bidon boche ») à une invention allemande si géniale que les Alliés en firent des copies par millions. Et cette essence, ils en avaient d’énormes besoins quand on sait que leurs Sherman en consommaient 400 litres aux cents et les camions GMC 6x6 servant à son transport, de 30 à 50 litres !

Les péniches étaient souvent précédées de dragueurs de mines, généralement d’anciens chalutiers en bois sous pavillon anglais. Et là, impossible d’oublier le spectacle dont l’un d’eux nous gratifia pendant plusieurs jours : en voulant neutraliser au plus près les mines flottantes, il s’était malencontreusement échoué sur un haut-fond en face de Saint Efflam. Il lui fallut attendre une plus grande marée pour que des remorqueurs, après qu’un bulldozer ait creusé un profond sillon devant son étrave, réussissent à le tirer de sa triste posture.

L’évènement avait naturellement mobilisé l’attention de nombreux spectateurs et je crois bien me souvenir que certains parmi eux, en bons héritiers des naufrageurs, ont été un tantinet déçus, par ces temps de grande disette, de voir une proie, anglaise de surcroît, leur échapper !

Débarquement des alliés à Saint-Michel-en-Grève (Bretagne).

Tous les marins savent combien il est difficile pour une embarcation, quelle que soit sa taille, de quitter une plage. Ceci explique que les LST mouillaient toujours en arrivant une ancre par l’arrière. Leur position d’échouage atteinte, ils se maintenaient face au jusant en faisant tourner leurs hélices à grande vitesse, ce qui creusait le sable de souilles si grandes que de petits pneumatiques à moteurs hors-bord, autre sujet d’émerveillement, pouvaient y faire des ronds. A vide, tirant d’eau plus favorable, ils se déhalaient sur leurs ancres à l’aide des puissants treuils du bord, « machines arrière toute ».

Si la flotte de débarquement avait, aux basses mers, de multiples liaisons avec la terre, aux marées hautes elle utilisait pour rejoindre le rivage, des canots pneumatiques, des véhicules amphibies ou des petites péniches à fond plat. Sauf que ce n’était pas toujours pour des motifs de service ! Ainsi à Locquirec où la vie nocturne était sans conteste plus riche qu’à Saint Michel, certains se souviennent encore de marins en goguette qui, pour s’être trop attardés dans les cafés et (ou) les bras des filles, devaient attendre la marée suivante pour rejoindre leur bord ! On ne sait s’ils étaient punis...

Les petites péniches étaient celles qui, par centaines, avaient été en juin les éléments de pointe du débarquement de Normandie : les LCVP (landing craft vehicule and personal). Mises à l’eau depuis le pont des LST, longues de 10 mètres, elles pouvaient déposer 36 hommes (ou 12 hommes plus une jeep) dans une faible profondeur ; ainsi pour l’une d’elles échouée très haut à quelques pas du sentier de notre plage.

Débarquement des alliés à Saint-Michel-en-Grève (Bretagne).

Enfin un bateau à notre échelle ! Inutile de dire que celui-là nous l’avons investi. Arrivé par une grande marée, il avait, faute de temps, été abandonné, juste débarrassé de son groupe motopropulseur : une broutille pour des gens riches, mais pour nous quel superbe cadeau que cette embarcation tout entière construite, à l’exception de sa porte avant, dans un matériau inconnu, du contreplaqué marine ! Nous en avons aussitôt fait une place forte où notre bande de gosses accumulait des boules de sable, pour attaquer par surprise les groupes d’enfants venus de Ploumillau (des orphelins de guerre ?) qui s’aventuraient sur notre territoire. Hélas, le contreplaqué attirait tellement les convoitises que notre péniche n’eut pas tardé à être démembrée jusqu’à l’os pour finir en portes de poulaillers ou en abris de jardin, si un de nos aînés, Jeannot D. génial bricoleur, n’en avait tiré de quoi réaliser un ouvrage qui lui valut notre admiration : une périssoire ! Certes, des périssoires Saint Michel en avait connues avant la guerre, mais on peut dire que celle-là a précédé les dériveurs et autres planches à voile qui allaient peu à peu conquérir nos côtes.

Sur la Lieue-de-Grève, avant même que les va-et-vient des GMC et ambulances ne deviennent quotidiens, on a vu un jour des tanks sortir des péniches. Quand ils se sont alignés sans intervalles (18 ?) sur l’ancienne voie ferrée entre les rivières du Roscoat et du Yar, nous savions seulement qu’ils étaient anglais. Aujourd’hui, grâce aux historiens, nous savons qu’ils sont arrivés le dimanche 13 août, troisième jour du débarquement et qu’ils appartenaient au 10ème Royal Engineers, le Génie Britannique. Rapatriés de Normandie pour être dirigés vers Brest, ces Sherman ( ?) avaient à l’avant des pièces d’acier dont la ressemblance avec les rostres des galères antiques nous avait beaucoup intrigués. Le rôle de ces tanks étant littéralement de découper les talus du bocage normand sans s’exposer aux canons antichars, j’ignore s’ils furent utilisés dans le Finistère, mais j’en ai un souvenir très personnel. Ils étaient laissés sans aucune surveillance, ce dont nous n’avons pas manqué de profiter : monter sur tank, quel rêve pour un gamin ! Tout à mon excitation, j’ai glissé sur la surface lisse d’un blindage et atterri sur une de ces arêtes aux bords vifs et coupants. Résultat, une belle estafilade sur la cuisse : ma blessure de guerre ! Elle n’a pas laissé de cicatrice...

Yves Kerempichon.

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