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LE TOMBEAU DE L'ÉVÊQUE THOMAS JAMES

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Le plus précieux ornement de la cathédrale de Dol, et le moins apprécié peut-être du commun des visiteurs et des habitants de la ville, est le monument funéraire de l'évêque Thomas James, qui occupe l'extrémité du transept septentrional. Il semble cependant que la grandeur de ses dimensions eût dû attirer sur lui l'attention des curieux, quand même il ne se recommanderait pas par l'élégance et l'exquise délicatesse des sculptures qui le décorent. Rien de plus varié ni de plus fin que les arabesques des pilastres ; il ne suffit pas de les regarder d'un oeil distrait, il faut les étudier avec le soin qu'elles méritent, pour apprécier dignement la fécondité de l'imagination qui les a conçues, l'habileté du ciseau qui les a exécutées. Aussi le monument est-il l'oeuvre d'un des plus grands artistes de la Renaissance, du sculpteur Jean Juste, ainsi que l'apprend l'inscription suivante, tracée en caractères gothiques sur la base d'un des pilastres :

Scelte struxit opus magister istud

Johannes cujus cognomen est Justus

et Florentinus.

Un mot d'abord de l'artiste trop peu connu en Bretagne.

Jean Juste, dont le vrai nom doit être Giovanni Giusto, appartenant à l'Italie par sa naissance, avait adopté la France comme une seconde patrie. A une époque qu'il nous est impossible de préciser, mais vers la fin du XVème siècle, il quitta Florence, sa ville natale, et de compagnie avec son frère Antoine, appelé à une aussi grande célébrité que la sienne, il vint s'établir à Tours. Les deux frères y étaient attirés par la réputation dont jouissait alors maître Michel Coulombe, que nous nommons en Bretagne, j'ignore pourquoi, Michel Columb, et que nous prétendons originaire de Saint-Pol-de-Léon. Ils ne tardèrent pas à acquérir une renommée égale à celle du maître, qu'ils eussent surpassé, si Michel Coulombs avait dû être surpassé en France. L'exécution du tombeau des jeunes enfants de Charles VIII et d'Anne de Bretagne, que possède la cathédrale de Tours, et qui est le produit de l'union fraternelle du talent des deux Florentins, fixa sur eux l'attention de la Cour. D'ailleurs, le bonhomme Coulombe vieillissait ; il était plus qu'octogénaire ; il sculptait encore, mais à ses heures de loisir, pour chasser les ennuis du grand âge et pour oublier les regrets que laissait dans son coeur le décès prématuré de son neveu François. Il recevait à Tours ambassades et présents, mais il ne bougeait plus ni pour princes, ni pour souverains. Le sceptre des arts, sans sortir de son atelier, passa à des mains plus jeunes, à celles de Jean Juste. Pendant qu'Antoine, appelé en Normandie par le tout puissant cardinal d'Amboise, exécutait les sculptures du château de Gaillon, le Versailles du XVIème siècle, Jean, demeuré à Tours, rece­ait le titre de sculpteur du roi Louis XII et de la reine Anne de Bretagne. Il était destiné à nous transmettre, dans leur plus belle et leur plus fidèle expression, les traits du roi que la France a surnommé le Père du peuple, et de la reine que les Bretons nommaient la bonne Duchesse. Le tombeau de Louis XII et d'Anne de Bretagne, que l'église de Saint-Denis conserve encore, fut exécuté par Jean Juste en 1517 et 1518, quoi qu'on l'ait attribué à tort à Paul-Ponce Trebati. C'est, après le tombeau du duc François de Bretagne, exécuté par Coulombe, à Nantes, le monument funéraire le plus parfait qui existe en France. Un pareil chef-d'oeuvre mit le comble à la gloire de l'artiste ; la faveur des rois de France ne lui fit jamais défaut. En 1530, il exécuta pour François Ier un Hercule et une Léda qui ne sont pas parvenus jusqu'à nous. On lui attribue plusieurs monuments précieux existant en Touraine, ceux de la famille Gaudin à Amboise, le tombeau de Thomas Bohier, la fontaine de Beaune à Tours, etc.

Le tombeau de Dol, exécuté en 1507, est une oeuvre de la jeunesse de Jean Juste ; c'est par de tels essais qu'il préludait à ces travaux admirables qui l'ont placé au premier rang des artistes dans le plus beau siècle des arts. Par une coïncidence de dates singulière, c'est l'année même où Michel Coulombe travaillait au tombeau de François II, que Juste exécutait celui de l'évêque James. Le maître avait plus de soixante-quinze ans, l'élève était dans la fleur de l'âge ; on ne sera pas étonné, après cela, de trouver dans l'oeuvre de ce dernier une vigueur, ou pour mieux dire une exubérance d'imagination que le tact exquis de Coulombe eût sans doute réprouvée. Plus tard, l'âge amortit la fougue de cette nature impétueuse. Le tombeau de Louis XII, postérieur de dix ans à celui de Dol, est le produit d'un goût plus épuré, d'une imagination plus maitresse d'elle-même, sans toutefois atteindre cette plénitude de calme et de simplicité qui fait la grandeur de Coulombe. Il faut sans doute aussi tenir compte, dans cette appréciation, de la différence d'origine des deux sculpteurs, l'un guidé par cette raison plus froide, contenu dans cette mesure et cette retenue qui caractérisent les oeuvres de nos plus grands artistes français, l'autre entraîné par la fougue de sa nature méridionale. On doit remarquer que les bizarreries qui étonnent dans les arabesques du tombeau de Dol, ces chimères composées de membres empruntés à tous les animaux de la création, ces satyres acculés dans des positions grotesques et forcées, ces monstres dont le cou démesurément allongé se recourbe en replis capricieux, sont autant de traits par lesquels le jeune Jean Juste se rapproche du goût italien et s'écarte du style de Michel Coulombe. Il y aurait un parallèle plein d'intérêt à établir entre les oeuvres des deux artistes, entre le tombeau de Louis XII et d'Anne de Bretagne, par exemple, et celui de François II ; nous verrions ainsi quelle influence le second a exercée sur le premier. Il y aurait une autre étude non moins remplie d'attraits pour celui qui voudrait comparer entre eux les différents monuments érigés par Jean Juste aux diverses époques de sa vie ; nous y apprendrions comment le propre talent de cet artiste s'est modifié et a préparé la voie aux Jean Goujon, aux Germain Pilon et à la pléiade brillante de ses successeurs.

J'ai voulu aujourd'hui, en faisant entrevoir les rares qualités de Jean Juste, appeler sur le tombeau de Dol l'intérêt qu'il mérite. Ce n'est pas l'oeuvre d'un génie puissant et novateur comme l'était Coulombe ; Coulombe, mieux connu, restera incomparable dans l’histoire de la sculpture française ; vingt ans après sa mort, ses contemporains employaient déjà en parlant de lui l'expression du poète « Quo non prœstantior alter, » application légitime, trop oubliée maintenant, et qu'une postérité mieux éclairée ratifiera sans doute. Mais après la révolution décisive que l'audace de Coulombe avait opérée dans le goût avec un si éclatant succès, il fallait des hommes an talent agréable et facile comme les frères Juste pour la populariser et la faire accepter de ceux mêmes qui tenaient encore par quelque lien d'affection aux formes surannées du gothique.

Dire que le tombeau de l'évêque James est l'oeuvre d'un élève de Michel Coulombe, c'est annoncer que malgré sa date il n'a rien conservé du style du moyen âge. Il fournit un excellent type de cette première école de la Renaissance, née en Touraine, plus capricieuse et plus élégante, moins grave et moins correcte que celle qui lui succéda dès le milieu du XVIème siècle. L'architecture y a pris, comme dans les autres productions de Jean Juste, une importance que nous ne rencontrons pas au même degré dans les oeuvres de Michel Coulombe. Le tombeau lui-même se compose d'un soubassement sur lequel était couchée la statue du prélat, abritée sous une voûte plate, monolithe, et portée sur quatre pilastres. Ce premier monument, surmonté d'un fronton circulaire, est lui-même protégé par une large arcade qui reproduit sur une échelle plus considérable la disposition du tombeau. Le tout est d'une hauteur d'environ seize pieds, sur une largeur à peu près égale. Pour éviter l'encombrement que l'établissement d'une pareille masse eût amené dans l'édifice, il a fallu défoncer le mur du transept et établir le monument sous une construction en appentis qui fait saillie au-dehors de l'église.

Aujourd'hui, le monument de l'évêque James a subi des pertes irréparables : martelé, au XVIIIème siècle, par une piété inquiète que choquaient certains détails d'ornementation un peu trop italiens pour être acceptés en Bretagne, il a été mutilé d'une façon déplorable en 1793. Cette fois, ce n’étaient plus les arabesques entachées de paganisme, c'étaient les insignes épiscopaux et nobiliaires qui provoquaient les fureurs. Les démolisseurs, après avoir rasé les précieuses sculptures du grand porche de la Cathédrale, se ruèrent sur le tombeau et en brisèrent les statues. La partie la plus importante de l'oeuvre de Jean Juste, statuaire par excellence, a donc disparu. Mais les Bénédictins, quand ils parcoururent la province au XVIIIème siècle, pour recueillir les documents de l’Histoire de Bretagne, virent le monument dans son intégralité ; ils nous en ont laissé une description succincte que j'emprunte au volume XLV de la collection des Blancs-Manteaux conservée à la Bibliothèque Impériale. Ces quelques lignes nous font comprendre toute l'étendue de nos pertes et nous permettent de rétablir par la pensée l'oeuvre de Jean Juste dans son état primitif.

« Au pignon de la croisée du costée de l'evangile, dans une grande et magnifique arcade ornée de deux pilastres quarrez fort enjolivez de sculpture avec chapiteaux, architraves, corniche, deux figures et un grand fronton, est un tombeau de pierre blanche dorée par filets, de figure quarrée oblongue, de quatre pilastres semblables en façon au grand, soutenant architrave, frise, corniche et fronton, sur la table duquel, qui est de quatre pieds de haut, est la figure de l'evesque James en habits sacerdotaux, mitré ; en teste deux petits anges soustenant les armes, ceux de la teste avec casque, ceux des pieds avec mitre, et au fond deux grands anges en bas-relief, tenant les armes avec la simple croix. Sur le devant deux niches avec la figure des vertuz et au milieu une plaque de cuivre enchassée dans la massonnerie où l'on voit ces paroles escrites autrefois en or ».

Suit l'épitaphe rapportée tout au long par Tresvaux. (Eglise de Bretagne, p. 289).

De tant de belles choses il ne reste plus que l'encadrement, l'architecture. L'épitaphe même a disparu ; les deux vertus du devant du tombeau, dans lesquelles on reconnaît la Force et la Justice, sont brisées à mi-corps. L'effigie du prélat n'a laissé que sa silhouette sur la table funéraire. Seuls, les deux anges en bas-relief incrustés dans la muraille existent encore, après avoir perdu à la bataille la tête, les bras et les armes du défunt, débris infiniment précieux par la hardiesse de la pose et l'élégance des draperies. Les deux côtés du monument ont un peu moins souffert, protégés qu'ils étaient par la saillie de l'arcade extérieure. On y voit dans des médaillons entourés de feuilles et de fruits les bustes des deux neveux du défunt, Jean et François James, deux têtes charmantes encore, malgré quelques incorrections et les coups de marteau qui ont atteint l'une au nez, l'autre à l’œil.  La figure du plus jeune, celle de François, est pleine de grâce. Tous deux étaient chanoines de Dol. Jean, l'aîné des frères, celui qui fit ériger le monument à la mémoire de son oncle, est représenté du côté de la tête du prélat. Sous son buste on lit cette inscription :

Do : Jo : James : Jur : laureatus :

Lehonii : comenda : ac huius

Ecclie : thesau : et cano : aetat.

XXXI. anni : M : Vcc : VII.

Sous le buste de François, placé aux pieds du prélat, un cartouche brisé par le milieu porte ces mots :

M : Franciscus ….

James : huius : eccl   ….

Scolasticus : ac : ca…

Conditoris frater 1507.

Enfin, une dernière inscription gravée sur un des principaux pilastres, à la partie la plus apparente du tombeau, nous apprend que c'est aux frais et sous la surveillance de Jean James que l'oeuvre fut exécutée :

Joannes : James : juriu : lau :

Lehonii : commendat : Dol

Thesaur : et : cano : impensa

Et : cura : structum ac

Ornatum : sepulcrum.

M. Vc VII

 Les arabesques qui couvrent les pilastres depuis les chapiteaux jusqu'aux bases ont peu souffert ; elles sont traitées avec une délicatesse infinie, surtout dans les parties basses, car à mesure que l'élévation au-dessus du sol augmente, la sculpture est exécutée plus largement. Outre ces différences qui tiennent à la dimension du monument, on en remarque dans le style et le faire des ornements qui ne peuvent s'expliquer que par la coopération de deux ciseaux différents à l'oeuvre commune. Peut-être Jean Juste se fit-il aider pour l'exécution des pilastres par son frère Antoine. La présence de ce dernier n'étant pas constatée à Gaillon par les comptes des bâtiments avant l'année 1508, cette hypothèse n'a rien d'invraisemblable.

En écaillant, pour mieux apprécier la finesse des sculptures, l'ignoble couche de badigeon qui empâte ces arabesques, j'ai retrouvé la dorure du XVIème siècle, signalée par les Bénédictins. Cette dorure n'était pas étendue à plat sur tous les ornements, mais appliquée avec un goût infini et beaucoup de réserve sur quelques parties de chacun d'eux, indiquant par exemple les nervures ou le revers des feuillages, les reliefs des vases, les cheveux des figurines. Ce genre de décoration, fort à la mode dans les premières années du XVIème siècle, a laissé peu de traces sur les monuments trop souvent peints, repeints, lavés, huilés ou badigeonnés depuis cette époque. Le tombeau de Dol, s'il était débarrassé de son affreux badigeon, offrirait donc un curieux exemple de la manière dont l'or peut être employé pour rehausser l'éclat des reliefs. Jean Perréal, dit de Paris, peintre de Louis XII, dans une lettre de 1512, adressée à Marguerite d'Autriche pour lui annoncer l'envoi de différentes statuettes des vertus exécutées par Michel Coulombe, lui dit pareillement. « Je ne scay se serez contante de ce que les ay ainssy acoustrés, tant blanchy les ymaiges que dorez et faire visaiges ».

On remarque sur la base des pilastres des trophées d'armes, offensives et défensives. De même un des groupes d'anges qui n'a pas laissé de traces, soutenait près de la tête du prélat un casque de guerrier. Il ne faut pas oublier pour l'explication de ces emblèmes belliqueux, que l'évêque était comte de la ville de Dol : c'est à ce titre que figurent à ses côtés des ornements aussi peu pacifiques. Thomas James, d'une piété et d'une érudition singulières, ne prit aucune part aux luttes de son temps, et consacra tous ses soins à en réparer les désastres, notamment après le sac de Dol par l'armée française, en octobre 1482.

Il y a dans le tombeau de Dol une portion, s'il était bien prouvé qu'elle fût de Jean Juste, qui donnerait matière aux critiques les plus sévères et les mieux fondées. Je veux parler de l'affreux fronton surhaussé qui s'élève au-dessus de l'entablement extérieur. Rien de plus maladroitement disposé, de plus grossièrement travaillé que cet appendice disgracieux. Je ne puis y voir qu'une addition faite au plan primitif, à l'imitation du fronton inférieur, par quelque maçon de Dol. On aura voulu remplir ainsi l'intervalle qui séparait la corniche de la grande arcade de la fenêtre du transept : mieux valait un mur lisse que de semblables inepties. Il n'est pas possible que Jean Juste y ait quelque part ; le moindre goujat des ateliers de Tours eût mieux rencontré. Ce fronton ridicule est le fait de gens qui, en étant encore au gothique, n'entendaient rien à l'agencement des ornements de la Renaissance, et ont réuni là-haut sous un arc cintré, le plus incroyable gâchis de formes hétérogènes. Malheureusement leur œuvre est fort en évidence, et comme elle choque les yeux tout d'abord, elle a accumulé bien des dédains contre le tombeau de l'évêque James. Il suffit de rendre à chacun selon ses mérites. La part qui appartient authentiquement à Jean Juste est un chef-d'oeuvre. Si le tombeau de Nantes, exécuté par Michel Coulombe, n'était pas parvenu jusqu'à nous, celui de Dol, malgré ses mutilations, serait le plus beau monument funéraire existant en Bretagne. Mais il y a des cas où l'on peut ambitionner encore l'honneur du second rang (Alfred Ramé).

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