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L'ancienne ville épiscopale de Tréguier célèbre le 19 mai avec grande pompe le pardon de son glorieux official saint Yves.

Les cérémonies commencent la veille par le chant des premières vêpres solennelles dans la monumentale cathédrale pleine des souvenirs de saint Yves. Puis, à la tombée de la nuit, arrivent de nombreux pèlerins. Vers minuit ils se groupent tous à la principale porte du temple, et comme ils la trouvent fermée, ils s'agenouillent sur le seuil et le baisent pieusement ; se relevant alors et marchant en silence ils se dirigent gravement vers l'église Saint-Yves du Minihy située à environ 1500 mètres de Tréguier.

Ce sanctuaire du Minihy — qui tire son nom de l'ancien lieu d'asile ou minihy de saint Tugdual, premier évêque de Tréguier — fut à l'origine une simple chapelle bâtie et dotée par saint Yves lui-même, en 1293, en l'honneur de la sainte Vierge près de son manoir patrimonial de Kermartin. Mais l'édifice a été rebâti au XVème siècle et l'on y voit peint sur la muraille l'acte de fondation du sanctuaire, appelé improprement le testament de saint Yves.

C'est donc au Minihy que se réunissent nos pèlerins nocturnes ; neuf fois ils font le tour de l'église en récitant pieusement leur chapelet ; ce n'est qu'après cette prière qu'ils se jugent dignes d'entrer dans le temple resté ouvert durant cette nuit de fête. Ils y font alors leurs dévotes recommandations à saint Yves et entendent la sainte messe, car dès deux heures du matin on commence au Minihy la célébration du saint sacrifice ; nombreux sont, en effet, les prêtres venus des alentours pour assister au pardon de Tréguier et heureux d'offrir ce jour-là l'Auguste Victime sur l'un des autels de Saint-Yves du Minihy.

La messe entendue, les pèlerins quittent le Minihy ; les uns retournent directement chez eux, les autres se rendent de nouveau à Tréguier pour assister à la solennité du pardon.

L'intérieur de la belle cathédrale de Tréguier est admirablement décorée pour la circonstance : ce sont partout des massifs de fleurs, des faisceaux de drapeaux, d'éclatants écussons armoiriés. Dominant toutes les autres, paraissent les armes de la famille Hélory, à laquelle appartint saint Yves : D'or à la croix engreslée de sable, cantonnée de quatre allérions de même.

Dans la nef repose au milieu de fleurs choisies avec soin un grand reliquaire entouré de lumières contenant le chef de saint Yves et le bras de saint Tugdual ; au-dessus plane la bannière des Hélory ; au devant s'étend une belle mosaïque de fleurs variées.

A côté s'élève le tombeau de saint Yves reconstruit depuis peu, magnifique édicule de pierre blanche, vrai chef-d'œuvre de sculpture où repose l'effigie en marbre du Bienheureux, au milieu des statues de nos plus grands saints bretons et de celles d'autres personnages ayant glorifié notre province.

Cependant le bourdon de la cathédrale se fait entendre et voici qu'arrivent successivement et processionnellernent toutes les paroisses d'alentour. Voici Penvénan avec sa belle bannière et ses fiers marins de Portblanc et de Buguélés, accompagnant trois gentils navires que portent trois groupes de jeunes gens, d'adolescents et d'enfants. — Voilà Plougrescant avec sa relique insigne, le chef de saint Gonery renfermé dans un superbe reliquaire gothique que soutiennent sur leurs épaules de vigoureux jeunes hommes. — Camlez vient maintenant avec ses nombreux oriflammes, puis Sainte-Tréphine dont la croix est entourée de groupes d'enfants ; Coatreven et Plouguiel rivalisent ensuite d'entrain et de piété ; mais signalons surtout Langoat et Lanmodez apportant les reliques de leurs saints patrons : Langoat celles de sainte Pompée, mère de saint Tugdual, et Lanmodez celles du glorieux saint Maudez. Touchant usage du pardon de Saint-Yves : tous les Saints du pays Trégorois viennent lui rendre visite le jour de sa fête ; et c'est entouré des restes de saint Tugdual, saint Gonéry, saint Maudez, sainte Pompée, que le chef de saint Yves est porté en triomphe.

Toutes les paroisses se rangent en cercle sur la place du Martray précédant la cathédrale ; là sur une estrade se dit une messe suivie d'un sermon en langue bretonne. Détail intéressant, la messe est servie par un jeune garçon portant le grossier vêtement qu'adopta Saint Yves, une robe en bureau grisâtre, avec cotte et chaperon.

Enfin se forme la grande procession composée de celle de Tréguier et des processions rurales que nous venons de signaler. Elle s'avance lentement au milieu des maisons pavoisées, couvertes de guirlandes, décorées d'écussons. Derrière l'étendard de saint Yves, la bannière de saint Tugdual et la croix de la cathédrale marchent les congrégations et le Petit Séminaire qu'accompagne sa musique ; puis apparaît le chef de saint Yves porté par des prêtres ; il est accompagné de quatre grands étendards et de gros cierges couverts d'hermines et de fleurs. Ordinairement Mgr l'évêque de Saint-Brieuc préside la fête, entouré d'un nombreux clergé.

Quittant bientôt la ville la procession gagne à travers la campagne l'église du Minihy ; des deux côtés de la route, sur un parcours de près d'une demi-lieue, s'agenouillent des chrétiens au nombre de quinze à vingt mille. Non seulement tout Tréguier et ses alentours sont réprésentés là, mais il s'y trouve des pèlerins venus du Goëllo, du Lannionnais et jusque de la Cornouaille : tous ont la médaille de saint Yves attachée à leur boutonnière et tous ont leur chapelet en main.

Tout-à-coup la procession s'arrête : c'est la paroisse du Minihy qui vient au devant de saint Yves ; ses belles, anciennes et lourdes bannières, au nombre de trois, s’abaissent jusqu'à terre, à triple reprise, pour saluer la relique ; puis la croix de Tréguier donne le baiser de paix à la croix du Minihy. La procession reprend alors sa marche et ne tarde pas à arriver au petit bourg du Minihy et à l'église de Saint-Yves. Mais avant d'y pénétrer il lui faut percer les rangs d'innombrables mendiants, estropiés et malades, dont les cris couvrent les chants liturgiques et dont les sébiles se tendent vers les pèlerins. Mais qu'y faire ? Ne sont-ils pas chez eux ces pauvres, dans l'ancien domaine de saint Yves ? Presque tous ont en mains de petites pierres extraites de la fontaine du Minihy consacrée à saint Yves, et ils les offrent à ceux qui leur font l'aumône : touchante et naïve façon de témoigner leur gratitude.

Mais il nous faut finir et nous ne pouvons ni décrire la belle ornementation de l'église du Minihy où se donne le salut du Saint-Sacrement — ni détailler la curieuse table de pierre placée à la porte du temple et destinée à recevoir le reliquaire de saint Yves, sous lequel passent courbés et priant ses dévots serviteurs — ni raconter le retour triomphal de la procession à la cathédrale de Tréguier.

Et pourtant la fête ne finit pas ce jour-là ; elle se prolonge durant huit jours, et chaque jour voit quelque paroisse venir processionnellement chanter une grand messe à Tréguier devant les reliques et le tombeau de saint Yves ! Le jour de l'octave est particulièrement émouvant. Toutes les paroisses de ce qu'on nomme la Presqu'île se donnent rendez-vous à Tréguier pour honorer saint Yves. Elles viennent des rives de l'Armor, des- bourgs de Pleubian, Pleumeur-Gaultier et Pleudaniel, des confins de Lezardrieux, des grèves sauvages de Lanmodez, des territoires de Kerbors, de Trédarzec, etc. Toutes visitent la cathédrale et le Minihy, chantant avec ardeur les gloires de saint Yves assistant au saint sacrifice suivi d'un sermon en beau langage celtique, puis s'en retournant bénies par Dieu, saint Tugdual et saint Yves.

(Abbé Guillotin de Corson, 1902).

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