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LES DESTINÉES PRÉCAIRES DU PORT DE TRÉGUIER ET LE MARCHÉ LOCAL |
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A l'origine du dévelopement à Tréguier du commerce maritime, il y eut en effet les vieilles immunités dont jouissaient l'église et la ville. L'évêque, les chanoines et tous les bénéficiaires de la cathédrale pouvaient exporter leur blé et faire entrer au port du vin ou toute autre denrée sans payer aucun droit. Les bourgeois jouissaient des mêmes avantages en ce qui concernait l'importation en général et l'exportation du blé récolté sur le minihy. Renouvelant ces privilèges maritimes en 1536, Bertrand du Guesclin constatait déjà qu'ils étaient observés depuis longtemps. A différentes reprises, il fut nécessaire de les rappeler car la prospérité de Tréguier et l'activité de son port lésaient certains intérêts. Les seigneurs de La Roche revendiquaient en effet la propriété du fleuve jusqu'à son embouchure ; ils tentaient d'entraver le commerce trégorrois en entretenant devant la ville des bâtiments qui interdisaient l'entrée du havre et en exigeant un droit des marchands qui voulaient entrer ou sortir. Du Guesclin, les ducs Jean V et Jean VI durent s'élever contre ces prétentions.
a) Les vicissitudes de l'activité portuaire.
L'activité du port va désormais devenir spasmodique et ses pulsations reproduiront celles de la vie locale : vigoureuses lors des époques de splendeur, languissantes lors des années de grisaille. Ajoutons que sa situation sur le front de mer qui fait face à l'Angleterre l'exposait aux vicissitudes commerciales entraînées par les conflits armés.
Pendant la fin du XIVème siècle et tout le XVème siècle, les importations témoignent d'une certaine prospérité. Du drap, des vins de l'Aunis et du Bordelais — boisson qui n'était pas à la portée de toutes les bourses — entraient alors au port. Malgré la piraterie anglaise, les vaisseaux trégorrois, convoyés ou non par des bâtiments de guerre, faisaient la navette entre leur port d'attache et La Rochelle ou Bordeaux. Au temps de François II, Tréguier était aussi en relations avec Jersey et Guernesey. On voyait des bâtiments espagnols mouiller dans l'estuaire du Jaudy [Note : Lors de la prise de La Roche-Derrien par les Anglais, il y avait dans la ville du vin d'Espagne que des marchands espagnols venaient d'y amener (Inventaire des Archives du Chapitre)]. De hardis corsaires battaient la Manche aux abords de la cité, protégeant, quand il en était besoin, les navires chargés de pélerins qui venaient de Normandie ou de Saint-Malo. Des bateaux anglais fréquentaient, même en pleine guerre, le havre de Tréguier, tant la dévotion à saint Yves était grande.
Par contre, les hostilités entravaient les exportations qui ne consistaient guère qu'en blé. Encore faut-il ajouter que le siège de La Roche-Derrien et les ravages des gens de guerre qui l'accompagnèrent dans la campagne trégorroise, l'occupation de la cité épiscopale par les anglais du duc de Northampton, de 1345 à 1347, paralysaient les expéditions de céréales.
Médiocre compensation, une fonction militaire va se superposer à la fonction commerciale du port. Le refuge qu'offrait l'estuaire aux vaisseaux pris en chasse ou surpris par la tempête était précieux. L'on pouvait même y établir une base de débarquement. Et dès 1386, Ollivier de Clisson en partait avec 72 voiles, emportant sur ses navires une ville en bois qui devait servir à mettre plus facilement le siège devant Londres. Il y revenait l'année suivante pour rassembler une nouvelle flotte, après la tempête qui avait dispersé la première sur les côtes de Hollande. Flottes et villes avaient été construites à Tréguier qui devenait ainsi temporairement un important chantier. Le bois nécessaire provenait vraisemblablement des forêts de l'intérieur, comme celui qui servit, en 1432, à l'édification de la flèche du clocher et que l'on amena par charrois de la région de Plougonver, près de Morlaix. Rançon de cette animation, la ville subissait le sort commun des ports : la peste la ravageait en 1484 et en 1566.
La paix ramena la prospérité ; les maîtres de navires se firent plus nombreux, le trafic augmenta [Note : C'est du moins ce que l'on peut déduire des comptes de la Confrérie Notre-Dame de Coatcolvézou. En 1541-42, dix-huit bourgeois et marchands nouveaux sont admis dans la Confrérie, ainsi que neuf maîtres de navires et dixt-sept compagnons - cf. A. de la Borderie (IV)]. On constate l'existence, en 1539-1540, d'une douzaine de bâtiments trégorrois de haute mer. Ils effectuèrent cette année-là 17 voyages, au cours desquels ils amenèrent à Tréguier 923 tonneaux et demi de marchandises consistant en fer et en vin. Du sel entrait aussi au port. Et toujours, le blé du plateau alimentait l'exportation. Le champ d'opérations des marchands et des marins trégorrois s'était élargi. Ils avaient franchi le détroit de Gibraltar et les cités italiennes avaient vu flotter leur pavillon [Note : A. de la Borderie (IV), p. 59]. Signe de cette prééminence du négoce maritime dans la cité, les armes de la confrérie de Notre-Dame de Coatcolvézou, qui groupait la plupart des commerçants et des maîtres de navires de la ville, portaient une nef sur champ d'azur.
A cette époque, la plus brillante de son histoire semble-t-il, Tréguier présentait deux centres d'activité : le port, animé par les voiliers, le va-et-vient des équipages, les charrettes chargées de blé ; les abords de l'évêché où scribes, imprimeurs, verriers, dignitaires ecclésiastiques s'affairaient à l'ombre de la cathédrale.
Les guerres de la Ligue vinrent tout gâter. Les quais furent endommagés en 1592 et les marchands cessèrent de fréquenter le port. La cité appauvrie ne pouvait plus rester le foyer d'importation qu'elle avait été au cours des siècles précédents, et les bâtiments de commerce oublièrent le chemin de Tréguier. Le courant commercial qui avait animé la ville pendant tout le Moyen-Age ne retrouva jamais sa puissance d'autrefois.
Dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, 8 barques seulement, de 25 à 40 tonneaux, étaient attachées au port [Note : A. N. : T. 211/5A]. Ce chiffre, un peu supérieur à ceux de Quimper et d'Audierne, restait au-dessous de ceux de Saint-Brieuc, Paimpol, Vannes, Morlaix et Lannion [Note : Quimper : 6 à 7 barques de 25 à 30 tonneaux ; Audierne : 6 barques de 25 à 80 tonneaux ; Saint-Brieuc : 12 barques de 25 à 35 tonneaux ; Paimpol : plus de 20 barques de 25 à 60 tonneaux ; Vannes : 50 barques de 30 à 200 tonneaux ; Morlaix : 10 barques de 150 à 250 tonneaux et 12 barques de 25 à 60 tonneaux ; Lannion : 30 barques de 25 à 60 tonneaux (d'après Letaconnoux (XIX), p. 255, note 1)]. Le trafic était médiocre. En 1781, le bureau de Tréguier ne délivrait que 18 congés, 19 en 1782, 15 français, 5 étrangers et 15 pour la Bretagne en 1784, 25 en 1786. Un nombre plus important de bâtiments — 297 en 1779 — payaient un droit d'ancrage pour stationner devant la ville. On y voyait surtout des petits caboteurs normands de 10 à 80 tonneaux qui se dirigeaient le plus souvent vers Le Havre. D'autres caboteurs venaient de Saint-Martin-de-Ré, Rochefort, Bordeaux, La Rochelle, apportant des agrès et apparaux, du matériel d'artillerie, de la farine et surtout du tabac, des oignons, de l'ail et des échalottes [Note : A. N. : G. 5, 156/1-3]. Il faillait adjoindre à ce trafic le cabotage sur les côtes bretonnes qui n'était guère pratiqué que par des barques du pays.
Le froment trégorrois s'expédiait par mer vers La Rochelle, Bordeaux, Bayonne, le littoral provençal. Les magasins royaux, les dépôts de la Marine et de l'Armée en absorbaient une partie. Mais la meilleure part était exportée en Espagne, où les blés bretons étaient très cotés [Note : A. D. Ille-et-Vilaine : C. 1675, Etat des ports : 1773 et Letaconnoux, op. cit., pp. 216, 238 et suivantes, 254-255]. Tréguier en chargeait 13.706 quintaux en 1765-1766, c'est-à-dire à peu près deux fois moins que Saint-Malo, Vannes ou Quimper, quatre fois moins que Nantes [Note : A. D. Ille-et-Vilaine : C. 1698-1699. Etat des grains chargés pour l'étranger dans les ports de Bretagne... (Cité par Letaconnoux, op. cit., p. 372)]. Il n'en reste pas moins que ce commerce d'exportation inquiétait la population dans les années de récolte déficitaire (1778 par exemple) ; elle se soulevait à Tréguier, Pontrieux, Lannion, Paimpol pour empêcher l'appareillage des bâtiments chargés de grains.
Par un surcroît de disgrâce, une longue période de guerre contre l'Angleterre entravait le trafic. Les corsaires de Jersey et de Guernesey croisaient au large. Le port retrouvait le rôle de refuge et de petite base navale qu'il avait appris jadis. Des bâtiments de guerre y mouillaient quelquefois. Trois frégates du roi y trouvaient asile pendant la guerre d'Amérique. Quelques navires y venaient chercher les fournitures de vivres destinées à la marine de l'Etat. C'était là un bien faible écho de cette activité militaire qui avait empli les berges du Jaudy du fracas des chantiers aux XIVème et XVème siècles. Pourtant, en l'an IX, on avait transféré à Tréguier l'école de navigation de Saint-Pol-de-Léon. L'on avait jugé nécessaire de placer un « bateau de santé » à l'entrée de l'estuaire afin d'éviter la peste que l'on signalait au Portugal en 1757 et au Maroc en 1784. Et la municipalité savait faire valoir les qualités de sa « rivière » lorsqu'elle réclamait, en 1789, la restitution des sièges que Lannion et Morlaix lui avaient enlevés.
Au reste, les 3.000 tonnes de blé, le lin, le chanvre, le beurre et les grains exportés chaque année par mer, surtout vers Paimpol, Brest, Cherbourg et Rouen, faisaient encore de Tréguier le premier port de cabotage de la contrée. Les quais étaient plus animés que d'ordinaire pendant les quelques mois qui suivaient la moisson. On y voyait souvent arriver ensemble dix à douze navires et quelquefois plus. En été, des bâtiments déchargeaient sur les quais des bois de Norvège et, pendant l'automne, de la graine de lin des Etats baltes. Ils étaient assez nombreux pour qu'il soit nécessaire, en 1831, alors qu'une épidémie sévissait en Russie et sur les bords de la Baltique, de faire surveiller les navires qui relâchaient au Port-Blanc ou qui entraient dans l'estuaire par trente soldats du 12ème léger. Le Port-Blanc en reçut une dizaine car il y entrait beaucoup de bateaux ; les autres furent placés à Plougrescant et à la Roche-Jaune, c'est-à-dire à proximité des deux mouillages les plus importants de la « rivière ».
En 1831, malgré un moment de ralentissement dans les affaires, 192 navires français ou étrangers, jaugeant ensemble 9.164 tonneaux et montés par 1.007 hommes d'équipage, entraient dans le port ; 2.916 tonneaux de froment et 1.236 tonneaux d'avoine furent exportés, sans compter les autres produits du pays [Note : A. M. : D. 1, f° 26, recto]. C'est alors que fut accordée aux négociants trégorrois qui en avaient fait la demande la permission d'armer « pour Islande ». Tréguier commence une brève carrière de port de pêche. Ces armements se multiplièrent bientôt et le gouvernement jugea utile, dès 1831, d'établir dans la ville un bureau principal des douanes. Mais cette activité ne doit pas faire illusion. Le commerce d'exportation se bornait aux produits du sol et la malpropreté des grains trégorrois les mettaient dans la dernière classe et les faisaient repousser des marchés où ils rencontraient de la concurrence.
En 1841, le mouvement du port marque un recul par rapport à 1831. Il entra cette année-là 157 bâtiments jaugeant ensemble 7.314 tonneaux et montés par 735 hommes. Ils emportaient 4.735 tonnes de grains et farines. Par contre, la grande pêche se développait et l'on espérait que les années prospères reviendraient. En 1885, le rêve parut se réaliser. 474 navires entraient dans le port, 92 dont 36 chargés et le reste sur lest venaient de l'étranger, d'Islande ou de Terre-Neuve ; 383 dont 214 chargés venaient de Cherbourg, Saint-Malo, Saint-Servan, Dinan, Le Guildo, Le Légué, Roscoff, Port-Launay, Le Croisic, Saint-Martin-de-Ré, La Rochelle et Bayonne. Ils étaient montés par 1.763 hommes d'équipage et jaugeaient 13.656 tonneaux. Les importations (2.376 tonnes) consistaient surtout en marchandises diverses (sels, grains, etc.) et en 2.000 tonnes de houillie et de bois du Nord. Sur les 466 bâtiments qui sortirent du port la même année, 103, dont 96 chargés, allaient à la grande pêche ou à l'étranger. Les autres emportaient vers les ports français de Dunkerque, Boulogne, Rouen, Le Havre, Honfleur, Caen, Isigny, Cherbourg, Granville, Saint-Malo, Dinan, Le Légué, Lannion, Morlaix, Brest, Bordeaux et Bayonne les pommes de terre, les céréales, les farines et les huiles du pays [Note : B. Girard (XI), pp. 168-170]. Ils jaugeaient ensemble 13.105 tonneaux ainsi répartis : 5.409 pour ceux qui se livraient à la grande navigation, 7.696 pour ceux qui pratiquaient le cabotage sur les côtes françaises. Parmi ces caboteurs, 130 quittaient Tréguier sur lest.
La part des bâtiments sur lest était donc grande. En outre, cette apparente reprise de l'activité du port était comme le dernier sursaut d'une vie qui s'éteint. Les bâtiments, dont le tonnage augmentait, commencèrent à se retirer des estuaires d'accès difficile. Les voies ferrées se mirent à drainer les exportations des petits ports vers quelques gros organismes maritimes mieux situés et mieux outillés. Les caboteurs eux-mêmes disparurent. A Tréguier, la fin de ces petits navires fut plus rapide qu'ailleurs ; le sort sembla s'acharner sur la flottille trégorroise. Elle comptait encore une trentaine d'unités au début du XXème siècle ; mais les naufrages et les abordages se multiplièrent. Terre-Neuvas et Islandais furent les premiers atteints et leur industrie succomba par suite de la mévente du poisson, de la concurrence, de tempêtes désastreuses. L'armement pour la grande pêche, commencée « pour Islande » vers 1831, et qui s'adjoignit l'exploitation des bancs de Terre-Neuve en 1885, prit fin en 1892 ; deux ans auparavant, l'on espérait encore voir se multiplier ces armements si profitables à la population maritime. Tréguier n'avait pourtant pas eu dans ce domaine l'importance de Paimpol ou de Saint-Malo. Six à huit armateurs y équipaient chaque année de trois à huit bâtiments montés par 25 à 30 hommes. Les navires, gréés en goélettes, étaient construits à Paimpol ou, plus souvent, étaient d'anciens bâtiments de commerce qui sortaient des chantiers de Vannes, Nantes ou Le Pouliguen [Note : Renseignements communiqués par M. Le Moal, receveur des Douanes et M. Le Marec, agent maritime à Tréguier. Ci-dessous le nom des armateurs et des navires de 1885 à 1892 : M. Guézennec (Marie, Nancy) ; M. Le Goaster, à Tréguier (Persévérant, Foi) ; M. N. Daniel, à Tréguier (Nancy, Union) ; M. A. Weiler à Tréguier, (Monitor, Marie-Clotilde, Alix) ; M. Gaultier de Kermoal, à Tréguier (Adèle, Prospérité, Bretonne) ; M. Poulain de Saint-Pern, à Tréguier (G. C. II, Rachel, Océan). Nombre de bâtiments armant pour la grande pêche : 1885 : 8 ; 1886 : 8 ; 1887 : 3 ; 1888 : 4 ; 1889 : 2 ; 1890 : 5 ; 1891 : 3 ; 1892 : 4. (D'après les « Registres du sel » conservés au bureau des Douanes de Tréguier)]. Les seuls vestiges de cette industrie sont les grands magasins des armateurs situés sur le quai, de part et d'autre de la rue Renan, dont les portes ne s'ouvrent plus aujourd'hui. La côte Nord de la Bretagne, naguère au premier rang pour le nombre des pêcheurs, cède alors la place au littoral méridional de la péninsule qui devient le grand protagoniste des pêches françaises. Tréguier perdra même beaucoup de son importance comme port d'exportation de céréales.
Ainsi se mourait une activité qui avait revêtu, selon les époques, des aspects divers. A sa fonction commerciale, dont les fluctuations reflétaient celles des rivalités franco-anglaises, Tréguier avait joint temporairement une fonction militaire et celle de port de pêche. Au Moyen-Age, il avait même été port de voyageurs, ou mieux, port de pélerins. Au demeurant, le trafic avait toujours été médiocre, à la mesure de la cité et des installations de l'estuaire.
b) L'équipement du port et de ses accès.
Sur l'échouage primitif, nous n'avons aucune donnée. Il faut arriver au XVIIIème siècle pour trouver des renseignements sur l'organisation du port.
En 1752, Tréguier possédait deux quais de hauteur inégale séparés par une cale. Devant eux s'étendait ce que l'on appelait le « bassin », qui s'envasait. Vers 1710, on sentit le besoin d'un dragage. Il fallut cependant attendre 1752 pour qu'il soit décidé en même temps que la réfection et l'amélioration des quais. Les débris retirés du « bassin » furent portés sur le terre-plein le plus bas, dit le « Vieux-Quai », afin de l'élever à la hauteur nécessaire pour empêcher l'eau d'entrer dans les magasins du port lors des grandes marées. On entreprit simultanément le comblement de la cale, le creusement d'une autre ailleurs, le nivellement uniforme des quais. Les travaux furent terminés en 1762. Les Etats de Bretagne avaient pris part aux frais en accordant à plusieurs reprises des subventions atteignant de 4.000 à 7.000 livres. La chaux nécessaire avait été importée de Normandie. On avait l'intention de compléter ces travaux en prolongeant le quai à gauche de la Grande Rue, vers le promontoire du Siam. Et en 1776, on demanda aux habitants d'y porter les débris provenant des démolitions ou des réparations qu'ils entreprendraient. On planta des arbres sur le terre-plein du Vieux quai afin d'en faire une promenade publique close d'un muret. Au Nord, on avait construit une chaussée submersible reliant le promontoire du Siam à la Roche aux Cochons. Elle servait pour le débarquement du bac de Saint-Sul, mais il fallut envisager son déplacement vers la fin du siècle car elle gênait beaucoup l'accostage des navires. Autre inconvénient de ces modifications, la plantation des arbres du quai réduisait la surface réservée aux opérations commerciales. à 18 ares environ. On fut obligé de faire décharger le maërl, les pierres à bâtir, les bois de construction sur une grève, en face du chemin des Buttes. On espérait toutefois que ces transformations amélioreraient le trafic.
Elles s'avérèrent bientôt insuffisantes, en raison surtout du rôle de refuge que l'Empire entendait faire jouer à Tréguier. En 1806, on balisait l'entrée de la « rivière » et ce travail continuait en 1824. Mais il fallut attendre 1862 et les espoirs que faisait naître la navigation à vapeur pour que l'on édifiât les deux feux du port de la Chaîne et de Saint-Antoine en Pleubian, afin de rendre les abords du Jaudy moins dangereux. Et en 1876, le phare de la Corne s'allumait à l'entrée de l'estuaire.
La construction d'une cale et d'un quai nouveaux avait été jugée nécessaire sous l'Empire et les travaux avaient reçu un commencement d'exécution. On avait étudié un avant-projet et fait amener des pierres. Mais les réalisations furent lentes et les travaux s'interrompirent. En 1835, six mille blocs de granit gisaient encore sur la grève et s'enfouissaient peu à peu dans les vases. Les fonds destinés à Tréguier avaient été détournés en faveur de Pontrieux et du Légué.
Pendant sept ans, l'on s'efforcera de construire sur la vase, en dépit des mouvements de la marée contraires à des maçonneries sèches aussi mal assises, le grand quai attendu. Entre temps, en 1838, on avait réparé le Vieux quai bien qu'on le jugeât trop haut. Et bientôt après, en 1846, on construisit le petit guai, entre les deux premiers [Note : Longueur du Vieux-Quai, le plus fréquenté, en 1885 : 108 mètres; hauteur : 6 mètres. Autre quai : 112 mètres sur 6 m. 50 de haut. Deux cales de 30 mètres. (D'après Girard (XI), p. 168-170)]. Enfin, l'on se décide à établir un débarcadère submersible entre le pont Canada et le Vieux quai en 1869. Un gril de carénage était menu compléter ces installations. Toutefois, l'on manquait de hangars et les cargaisons déposées sur le quai y séjournaient quelquefois longtemps. La municipalité dut décider, en 1827, qu'elles seraient obligatoirement enlevées au bout d'un mois. Les voitures encombraient aussi le port trop étroit quand on chargeait ou déchargeait les navires, surtout pendant la période d'exportation des grains.
Ce port du XIXème siècle restait, comme l'ancien, confiné dans la partie sud du port actuel, au bas de la Grande rue (aujourd'hui, rue Renan) et de la rue des Bouchers. La fin du siècle vit les transformations qui lui donnèrent la physionomie que nous lui connaissons. Le « quai milieu », construit de 1897 à 1900, supprima la cale établie auprès du petit quai, au bas de la Grande-Rue. Deux grues électriques le desservent, ainsi qu'un voie ferrée reliée à la gare du chemin de fer à voie étroite, elle-même élevée en bordure de la « rivière ». La ligne Lannion-Perros-Guirec vint, elle aussi, longer les quais en 1906.
Le problème des accès du port vers la terre, ardu par suite de la pente des versants et des difficultés de franchissement des estuaires, avait été résolu avec lenteur. Vers la fin du XVIIIème siècle, on entreprit de faire une route descendant des Buttes vers les quais. Leur entrée était alors impraticable aux charrettes en raison du mauvais état des pavés. Mais au milieu du XIXème siècle, le commerce trégorrois souffrait encore de la difficulté des communications, de l'étroitesse et de la pente des rues.
Pendant l'hiver, les chemins mal entretenus étaient souvent impraticables ; entre Tréguier et La Roche-Derrien, la route était coupée par l'eau en plusieurs endroits, particulièrement en bordure des marais proches de La Roche. Par suite, de nombreux paysans aillaient chercher dans cette dernière localité les engrais marins dont, en temps ordinaire, ils s'approvisionnaient à Tréguier. Les communications avec Lézardrieux étaient aussi fréquemment interrompues pendant la mauvaise saison. Il faillait passer deux bacs, l'un sur le Jaudy, l'autre sur le Trieux, pour se rendre à Paimpol ; or, les accidents de bac n'étaient pas rares par gros temps et celui qui survînt pendant la foire de Tréguier, en 1825, est longtemps resté tristement célèbre [Note : A. M. : D. 1, f° 13, verso]. Il était plus facile d'aller dans la direction de Lannion ou de traverser le Guindy ; pourtant, au cours des années pluvieuses, la route de Penvénan était coupée par les crues auprès du pont situé à deux kilomètres en amont de Tréguier.
Dans la ville même, la déclivité des chaussées rendait l'accès du port malaisé aux charrettes lourdement chargées. Les pavages étaient mal entretenus. Ceux de la place du Martray et de la Grande-Rue qui menait aux quais étaient dans un état déplorable en 1842. Lors des grandes marées, la mer venait baigner le chemin qui passait devant le nouveau quai, au bas de la rue des Frères (aujourd'hui, rue de la Poissonnerie). Le soir, la ville était mal éclairée ; des accidents se produisaient fréquemment.
On attendit beaucoup de la construction des deux ponts suspendus, les premiers de Bretagne, qui devaient franchir à Tréguier le Jaudy et le Guindy. Mais la passerelle Saint-François, jetée en 1834, est impraticable aux voitures en raison de son étroitesse. Le pont Canada, terminé en 1835, devait faciliter les relations avec Lézardrieux et l'on construisit une jetée pour placer la rue de la Rive au-dessus du niveau des plus hautes marées. Malheureusement, le pont n'était pas solide en raison de sa grande portée. Il éprouva des avaries par suite de la violence du vent, peu après l'achèvement de sa construction et l'on dut rétablir temporairement le bac. Nous avons vu que l'on jeta finalement sur le Jaudy, en 1886, le pont métallique existant actuellement (vers 1947). [Note : La traversée du Jaudy se faisait jadis au moyen de deux bacs ; l'un venait accoster à quelques mètres de l'emplacement occupé maintenant par le Pont Canada ; l'autre, qui permettait de se rendre directement à Pleumeur-Gautier, touchait terre au lieu dit Saint-Sul, à 400 mètres en aval du premier].
Avec le développement du trafic routier, il devint nécessaire d'améliorer le tracé des rues et des accès de la ville. Le Pont-Noir était lancé sur le Guinde en 1895. Une nouvelle route la reliait à Plouguiel en même temps qu'une rue était percée entre ce pont et celle dite de la Poissonnerie. En 1927, le « Nouveau Boulevard », partant de l'entrée de la rue Colvestre, allait rejoindre le Pont-Noir en passant sous des voûtes construites sous la mairie.
Tréguier se reliait aussi, en 1905-1907, par une ligne à voie d'un mètre, à Brélidy-Plouec, station du chemin de fer à voie normale de Paimpol à Guingamp. L'année suivante, un pont de fer et ciment livrait passage, sur les lisières Nord de la ville, à la ligne de Lannion-Perros. Un autre ouvrage, tout en ciment armé, supporte depuis 1926 la ligne de Lézadrieux et Paimpol dans la traversée du Jaudy.
Mais ces travaux profitaient plus au trafic par voie de terre ou par chemin de fer qu'à la navigation. De plus, Tréguier restait malgré tout un simple marché local, presque exclusivement agricole, comme il l'avait toujours été.
c) Les ressources accessoires et le marché local.
L'industrie, en effet, ne fut jamais représentée dans la ville autrement que par des entreprises tout au plus moyennes et jadis d'existence précaire.
Nous avons cité celles qui gravitaient au Moyen-Age et au XVIème siècle autour de l'évêché. La première imprimerie ayant cessé de fonctionner, une nouvelle s'établit en 1723. Quelques années plus tard, on voyait s'installer dans la cité un huilier, avec 'son pressoir et son moulin [Note : A. M. : B. B. 8]. Cette industrie, qui persistera désormais jusqu'à la fin du XIXème siècle à Tréguier, favorisait le commerce des graines de chanvre, de colza et de lin, d'autant plus considérable dans la ville que le roi retirait du canton, aux dires des Trégorrois, la plus grande partie de la fourniture des chanvres pour la marine [Note : A. M. : B. B. 8]. L'huile était consommée sur place. La fabrique, qui chômait aux alentours de 1882, devait être détruite par un incendie en 1888. En 1835, la municipalité avait autorisé l'installation d'un atelier de corroyage, pensant ainsi « développer l'industrie » dans la cité somnolente. Une scierie, florissante quelques années plus tôt, chômait comme la fabrique d'huile en 1882. Le commerce de détail en souffrait d'autant plus que l'agriculture était fort éprouvée depuis cinq ans et que les nécessiteux des environs émigraient vers la ville. En outre, le développement des transports commençait à donner de l'extension à l'importation des produits parisiens qui concurrençaient la vente locale [Note : Registre des délibérations du Conseil municipal, 1882]. Enfin, une petite industrie des toiles faisait battre quelques métiers vers 1885-1889.
La plus importante des activités accessoires de Tréguier était représentée par l'exploitation d'une huîtrière dans le Jaudy, de part et d'autre du confluent, et dans le lit du Guindy. Mais son utilisation défectueuse en compromit plusieurs fois les destinées. Au XVIIIème siècle, les huîtres étaient exportées par mer hors de la Bretagne et même à l'étranger. Il devint nécessaire, dès cette époque, d'en réglementer la pêche et l'exportation. En 1755, le Parlement intervint pour défendre de draguer les huîtres pendant six ans, hors le temps de Carême, et d'en expédier par mer. Mais Saint-Brieuc fit lever l'arrêt en 1758. Six ans plus tard, l'huîtrière était vide et, en 1764, le Parlement dut encore suspendre le dragage pour une période de six ans. Le banc était néanmoins presque épuisé en 1775 et l'on dut prendre des précautions spéciales pour en éviter la disparition complète ; l'on obligea les usagers à déposer les dragues à l'Hôtel de Ville du 1er mai au 1er février (25). Au début du XIXème siècle, il n'y avait plus guère que quatre bateaux dragueurs. On recueillait surtout les huîtres à la main pour les vendre dans la région. L'exportation par mer avait cessé.
Pourtant, de 1842 à 1857, l'huîtrière renaît à la vie. Les bateaux dragueurs étaient au nombre de quarante, avec 120 hommes d'équipage en 1857. En 1872, il y en avait 533, montés par 1.600 hommes [Note : Roche et Kerbrat (XXVII), L. Lambert (XV)]. Depuis, leur nombre a diminué. On n'en comptait déjà plus que 215, montés par 800 hommes en 1895. En dépit de nombreuses mesures de protection, les 19 parcs existant en 1877 disparurent devant les épizooties et les abus de l'exploitation. L'on tentait de faire revivre cette activité à la veille du récent conflit. De son côté, la pêche du saumon que l'on pratiquait en rivière, surtout du début de février à la fin de mars, ne s'est guère maintenue qu'à La Roche-Derrien qui expédie le poisson vers l'intérieur.
Quant au marché de Tréguier, il était surtout alimenté par les produits de la campagne environnante destinés à la consommation locale. On y vendait principalement du beurre et des céréales : froment, avoine, orge et, en moindre quantité, seigle et sarrasin. Il n'était approvisionné que pour les besoins journaliers du pays : la vente des grains par grosses quantités pour l'exportation se faisait dans les greniers. Placée au centre d'une région où les bêtes à cornes et les chevaux étaient nombreux, la ville, trop resserrée, n'avait pas de champ de foire, si ce n'est un espace très exigu au bout du Vieux-Quai. Une grande foire annuelle, fort animée, avait cependant lieu depuis un temps immémorial pendant le pardon de saint Yves. Elle durait quinze jours au XVIIIème siècle et elle était une des plus longues, sinon la plus longue de Bretagne [Note : A. D. Ille-et-Vilaine : C. 1571. Minute d'une lettre de l'intendant au Contrôleur général, 29 mars 1780]. Les marchands y venaient nombreux, et on louait des emplacements sous le cloître où des boutiques s'installaient. En somme, le Trégorrois d'aujourd'hui reconnaît là les caractères d'une activité qui lui est familière. Le temps paraît glisser sur la ville sans beaucoup modifier ses habitudes. Au surplus, il est curieux de constater combien peu changèrent au cours des âges l'importance et le plan de la cité.
(M. Gautier).
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