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NOTICE SUR LE RÉGAIRE DE L'ÉVÊCHÉ DE TRÉGUIER |
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On appelait autrefois régaire ou régaires, dans notre province, le fief, et en général l'ensemble des droits temporels attachés à chacun des neuf évêchés bretons. Dans les titres des XIVème et XVème siècles, on trouve ce mot écrit indifféremment, toujours avec le même sens, de plusieurs façons : regaire, regaere, regaelle, et même regalle ; en latin regalium et regarium.
L'origine de ces seigneuries épiscopales se perd, en Bretagne, dans la nuit des temps, et remonte vraisemblablement à l'institution même des divers évêchés ou des grands monastères qui en devinrent les sièges. Je ne veux point entrer ici dans l'histoire de la fondation des diocèses bretons : je ferai seulement observer que des neuf évêques de Bretagne, six, savoir, ceux de Quimper, de Léon, de Tréguer (aujourd'hui Tréguier), de Saint-Brieuc, de Dol et de Saint-Malo, avaient la seigneurie universelle de leurs villes épiscopales, au lieu que les trois autres, c'est-à-dire ceux de Vannes, de Rennes et de Nantes, n'embrassaient dans leur régaire qu'une part plus ou moins considérable de leurs cités. Si l'on recherche d'où vient cette différence, on verra que les six premières villes ont une origine bretonne et purement ecclésiastique, pendant que les trois autres existaient dès l'époque gallo-romaine et avant la fondation des trois sièges épiscopaux qui s'y fixèrent.
Je m'occuperai ici : 1°de l'étendue du régaire de l'évêché de Tréguer ; 2°de quelques droits féodaux appartenant à l'évêque en la ville et sur la rivière de Tréguer ; 3°du minihi de Tréguer.
Mes sources sont : l'aveu du temporel de l'évêché de Tréguer, rendu au roi en 1578 par messire J.-B. Le Gras, évêque de Tréguer ; autre aveu rendu au roi en 1682 par messire François Baglion de Saillant, aussi évêque de Tréguer ; une note adressée en 1717 à l'intendant de Bretagne, par le subdélégué de Tréguer. Cette note est aux Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, fonds de l'Intendance ; les deux aveux sont aux Archives départementales de la Loire-Inférieure, fonds de la Chambre des Comptes.
Etendue du régaire de Tréguer (Tréguier). — Sous la juridiction du régaire de Tréguer étaient comprises en entier les onze paroisses qui suivent, savoir : sur la rive gauche et à l'Ouest de la rivière de Jaudi, Ploulantreguer, Langoat, Trezeni, Lanmérin, Lanvézéac, Mantallot, Berhet ; et sur la rive droite et à l'Est de Jeudi : Trogueri, Pouldouran tréve de Hengoat, Tredarzec et l'Ile-Loi. De plus, le régaire de Tréguer avait quelques pièces, assez peu considérables, disséminées dans les paroisses de Plougrescant, Camlez, Coatréven, Rospez, Prat, Servel, Ploulech et Plestin.
Le territoire de l'Ile-Loi, mentionné dès le XIème siècle dans les anciens actes de Saint-Tugdual, finit par perdre son titre de paroisse, et devint une simple frairie ou section de la paroisse de Pommerit-Jaudi, comme le prouve l'extrait suivant du registre de délibérations des Etats de Bretagne, tenus à Dinan en 1717-1718, où on lit, au procès-verbal de la séance du 21 août 1718 : « M. de la Guibourgère, procureur-général syndic, a fait rapport sur une requeste présentée aux Etats par Michel Le Quément, Catherine Savidan et Jean Le Gonidec, habitants de la frairie de l'Isle-Loi, en la paroisse de Pommerit-Jaudy, evesché de Tréguier, » etc.
Ploulantreguer comprenait à la fois la ville de Tréguer ou Lantreguer et toute sa banlieue, qui forme aujourd'hui une paroisse distincte de la ville, sous le nom de Minihi-Tréguer.
Dans la ville de Tréguer était situé « le manoir épiscopal, avec toutes les maisons de ses appartenances, court, jardin, verger, le bois et parc y adjaçant, contenant (dit l'aveu de 1578) 4 arpents de prisage, d'un endroit tenant à l'église cathédrale dudit Lantreguier, d'autre à la rive de la mer, et d'autre sur la place et martroi [Note : Le martroi ou martrai « martreium et martyrium » d'une ville était le lieu où se faisaient les expositions, les flagellations et les mutilations des coupables, et même les exécutions capitales accomplies par autre voie que la pendaison ; car dans ce cas l'exécution avait lieu aux fourches patibulaires, toujours situées hors des villes, du moins en Bretagne] de ladite ville ». Le domaine proche de l'évêque de Tréguer, tant congéable qu'ordinaire, était considérable. Les paroisses où il s'étendait davantage étaient la partie rurale de Ploulantreguer, — Langoat, où l'on trouvait le moulin, le pré et le bois de l'Evêque (Coat an Escob, Prat an Escob), et 18 convenants appartenant an prélat, — Prat, où il possédait le manoir de la Fougeraie-Rouge, avec ses appartenances, son moulin et 36 convenants, — Plougrescant où il avait l'île Louaven, — Ploulech où se voyait à l'embouchure du Leguer « une métairie noble nommée vulgairement la Vieille Cité, contenant 4 arpents 1/3 de prisage » [Note : Ici et plus bas, quand je n'indique point d'où proviennent les passages guillemetés, c'est qu'ils sont pris de l'aveu de 1578]. Suivant les réformations du XVème siècle, les évêques de Tréguer avaient eu autrefois un hôtel et manoir épiscopal en cette métairie de la Vieille-Cité, qui renfermait justement le curieux promontoire du Coz-Yaudet, célèbre par ses vieilles murailles romaines, plus célèbre encore peut-être par l'obstination, digne d'une meilleure cause, avec laquelle les archéologues du lieu s'acharnent à relever sur ces murailles le fabuleux étendard de Lexobie. Ah ! si j'avais assez de temps pour me permettre ici une digression épique, et assez de souffle pour animer une trompette, je dirais, — que dis-je ? — je chanterais les grands combats livrés autour de ce pennon. Je serais l'Homère de cette Iliade. Je voudrais montrer surtout aux races futures le dernier défenseur de Lexobie, intrépide sur un tas de ruines, enveloppé dans son drapeau, tenant tête à tous, et du dernier tronçon de sa vaillante plume chargeant vigoureusement, sans distinction, amis et ennemis, tant il avait à coeur de charger ! Mais notre sort nous y condamne, laissons là toutes ces charges ; revenons à notre régaire, et disons pour en finir que le domaine proche de l'évêché de Tréguer comprenait encore diverses pièces, moins importantes, dans les paroisses de Trédarzec, Trezeni (aujourd'hui Trézény), Lanmérin, Rospez et Plestin (aujourd'hui Plestin-les-Grèves).
Droits féodeaux de l'évêque de Tréguer (Tréguier). — Ils ne nous arrêteront pas longtemps, car ils étaient beaucoup moins curieux, mais en revanche plus lucratifs que ceux de l'évêque de Saint-Brieuc.
L'évêque de Tréguer, d'abord, avait dans tout son fief et dans tous ses domaines congéables le droit de haute-justice et toutes les prérogatives en dépendant ; sa juridiction ayant la qualité de franc régaire, les appels allaient immédiatement au Parlement. Outre sa cour de haute-justice, qui embrassait dans son ressort le régaire tout entier, l'évêque avait à Tréguer un autre tribunal, dont la Note du subdélégué de 1717 indique fort bien la compétence et la qualité : « Il y a dans la ville de Tréguier (dit la Note) un juge provost de la juridiction de la provosté, qui connaît des affaires civiles seulement entre les habitans, les matières criminelles appartenant aux juges des réguaires comme hauts-justiciers, le juge provost n'ayant que moyenne et basse justice ». On tire aisément de là une juste notion du juge prévôt en Bretagne. Sa juridiction était la moyenne ; son ressort, la ville où il résidait, avec sa banlieue ; son office, de soulager la cour du sénéchal, en statuant à sa place sur toutes les causes de nature moyenne mues dans le ressort de la prévôté. Tout cela doit s'entendre seulement des juges-prévôts ; car on trouve en Bretagne quantité de prévôts qui n'étaient point juges, et dont les fonctions rentraient dans un ordre plus modeste.
Voici maintenant les droits et coutumes de l'évêque au havre de Tréguer.
1° Droit de prendre « 12 deniers monnoie par chascun tonneau de vin que les bourgeois, manans et habitans (de Lantreguer) font decharger au havre de ladicte ville et cité ».
2° Droit de quillage « qui est le droict de prendre et percevoir sur chascun vaisseau de dehors le havre de Lantreguier, qui s'échet audit minihy, 5 s. mon., et de chascun vaisseau sans bateau 4 d. ».
3° « Droit de prendre et de percevoir sur chascun tonneau de froment que l'on charge audit havre pour l'en transporter, 2 s. 8 d., et 16 d. mon. par chascun tonneau de gros bled, fors et excepté le bled des gents d'église qui est franc et quitte ».
4° Autre droit « de prendre et percevoir, sur chascun citoyen de ladicte ville (de Treguer) qui faict descharger sel audit hâvre, un minot de sel par chascun vaisseau, fournissant ledit seigneur evesque de mesure pour mesurer ledit sel ».
Le minihi de Tréguer (Tréguier). — Un minihi était, en Bretagne, un lieu d'asile religieux, c'est-à-dire un territoire plus ou moins vaste d'où les criminels mêmes qui s'y réfugiaient ne pouvaient être arrachés sous peine de sacrilège.
Il est souvent question du minihi de Tréguer dans l'histoire de Bretagne et dans les ouvrages qui s'y rapportent. Mais nulle part, je crois, on n'en a déterminé l'étendue ; car c'est beaucoup trop le restreindre de le réduire à la ville et à la paroisse de Tréguer ou Ploulantreguer, comme l'a fait M. de Barthélemy dans ses Mélanges historiques sur la Bretagne (p. 61). L'aveu de 1578 en indique l'étendue assez clairement dans un passage que je citerai tout à l'heure, et qui attribue le privilège d'immunité, droit d'asile ou de minihi (tous ces termes sont synonymes), non-seulement aux lieux possédés en propre et en proche domaine par l'évêque de Tréguer, mais à tous les territoires compris sous la juridiction du régaire de cet évêché. Or on a vu que cette juridiction embrassait en entier, de l'un et de l'autre côté du Jaudi, onze paroisses d'un seul tenant, savoir : Ploulantreguer, Tredarzec, l'Ile-Loi, Pouldouran, Trogueri, Langoat, Trezeni, Lanmérin, Lanvézéac, Mantallot et Berhet. Le territoire de ces onzes paroisses formait donc un grand minihi, le minihi de Tréguer ou de Saint-Tugdual proprement dit. Mais le régaire de Tréguer comprenait de plus, nous l'avons dit, quelques petites parties des paroisses de Plougrescant, Camlez, Coatréven, Rospez, Prat, Servel, Ploulech et Plestin. Il y avait donc dans chacune de ces paroisses un minihi, dont l'étendue était précisément celle du territoire dépendant des régaires de Tréguer.
Ainsi, le minihi de Prat comprenait le manoir de la Fougeraie-Rouge et ses dépendances, celui de Plougrescant l'île Louaven, celui de Ploulech la Vieille-Cité, autrement dit le Coz-Yaudet. L'aveu de 1578 nous apprend encore que l'évêque de Tréguer avait en Rospez « un estaige contenant un arpent et demi de prisage, touchant d'un endroit sur le chemin qui conduit du Pont-Losquet à Lannion, d'autre sur terre du sieur du Modest, » et en Plestin « neuf convenants d'estaige, contenant 21 arpents de prisage, situez d'un endroit au chemin menant du bourg de Plestin au bourg de Pontmenou, d'autre sur la terre du sieur de Lesmaes, et d'autre sur terre de ladite seigneurie (de Lesmaes) ». Ces débornements permettront de retrouver, au moins avec approximation, la place des minihis de Plestin et de Rospez. Quant à ceux de Camlez, de Coatréven et de Servel, l'aveu de 1578 ne nous donne aucun indice, et je pense qu'ils étaient peu étendus.
Mais pour être admis à jouir du bénéfice de l'asile dans le minihi de Tréguer, il fallait remplir certaines formalités, se soumettre à certaines conditions, dont aucun auteur non plus n'a encore parlé, et que l'aveu de 1578 explique au long dans le passage suivant, dont je citerai le texte même, parce qu'il justifie aussi ce que je viens d'avancer sur l'étendue territoriale et la situation des minihis du régaire de Tréguer.
Messire Jean-Baptiste Le Gras, comme évêque de Tréguer, déclare donc posséder « le droict et prèvileige de Minihy et immunité partout où s'estend ladite juridiction temporelle (du régaire de Tréguer), pourveu que les delinquantz, après avoir sonné une cloche estante en l'eglise cathedrale dudit Lantreguer, nommée vulgairement la cloche du Minihy, se rendent d'eux-mesmes prisonniers et facent audit evesque ou à sa justice seculière vraye et entière confession du délit et forfaicture pour laquelle ilz prennent ladite franchise, et que ladite confession, huit jours après la franchise et immunité prise, soit publiée à bout de halle et cohue dudit Lantreguier. Et advenant que les miniaheurs (c'est-à-dire les personnes réfugiées dans le minihi pour jouir du bénéfice de l'asile) ou leurs héritiers procroiez d'eux decedent en ladite juridiction sans hoirs de corps, le seigneur evesque est en possession de tout temps immemorial de leur succeder tant en meubles que heritaiges, assis et situés soubz et au dedans sadite juridiction temporelle. Laquelle franchise et immunité, droictz et previleiges en dependantz se nomment vulgairement le Minihy de Monseigneur Sainct Tugdual, autrefois evesque dudit Lantreguer … (suit la déclaration des paroisses comprises en entier sous la juridiction des régaires) … Et avecq ce, le minihy de Plougresquant, de Prat, de Camlès, Plestin, Ploelech, Selvel, Rospez et Coatreven ».
La cloche du Minihi, la confession exigée des réfugiés, le droit donné à l'évêque de leur succéder à défaut d'héritiers en ligne directe, me semblent des points dignes de remarque. (A. L. B.).
Voir " Les monuments du régaire de Tréguier ".
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