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LA RESTAURATION DU DIOCESE DE TREGUIER
après les invasions normandes

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Si l'on peut discuter longuement sur les origines lointaines du diocèse de Tréguier, personne, du moins, ne conteste que, depuis la création de la métropole de Dol en 848, ce diocèse ne fût définitivement constitué avec un territoire bien délimité. Un évêque de Tréguier, nommé Félix ou Garnobrius, apparaît en 859 [Note : Félix et Garurbrius sont deux des évêques bretons destinataires d'une lettre du concile de Toul du 14 juin 859, publiée dans la collection des Conciles d'Hardouin (tome V, page 493). Mgr Duchesne a parfaitement démontré que l'un des deux est évêque de Saint-Brieuc, l'autre de Tréguier, sans qu'on puisse préciser davantage (Les anciens catalogues épiscopaux de la province. de Tours, 1890, page 99, note 1). D'autre part, M. Ferdinand Lot a donné les meilleures raisons d'identifier Garurbrius et Gernobrius, « évêque de la province de Tours », qui prit part au synode de Quierzy, en mars-avril 849 (Le Schisme breton au IXème siècle, dans Mélanges d'histoire bretonne, VIème-XIème siècles, 1907, page 85). Mgr Duchesse adopta depuis lors, pour ce prélat, le vocable Garnobrius (Fastes épiscopaux de l'ancienne Gaule, tome II, 1910, page 391), au lieu de Gaturbrius, qui figure dans l'édition précédente, et dont la forme n'est guère moins barbare que celle de Garurbrius, qui déplaisait fort à La Borderie]. Un de ses successeurs, Gorennan, est cité dans la troisième vie de saint Tugdual, connue ayant emporté en France les reliques du saint à l'approche des Normands, vers 880 [Note : Les trois vies anciennes de saint Tudual, éditées par A. de la Borderie. Paris, Champion, 1887, page 41, § 29. Comme le biographe indique que l'enlèvement des reliques eut lieu au temps du chef normand Hasting, on peut dater cet événement de 880 environ]. Depuis lors, aucun texte ne nous signale l'existence d'un titulaire de l'évêché de Tréguier avant 990 [Note : On pourrait, à la vérité, être tenté de déduire d'un passage de la Chronique de Nantes qu'un évêque de Tréguier figurait parmi les évêques mandés à Nantes, en 952, par le duc Alain Barbetorte, qui était sur le point de mourir (Edition René Merlet, page 105)]. Les neuf diocèses de Bretagne étaient, en effet, tous pourvus d'un évêque à la date du 28 juillet 990, ainsi qu'en fait foi une charte transcrite par dom Morice [Note : Histoire de Bretagne. Preuves, tome I. col. 350-351. Il s'agit d'une charte de l'abbaye du Mont-Saint-Michel, dont la date est d'autant plus sûre que les indications du quantième de la lune et du jour de la semaine sont exactes, On lit, après la souscription des neuf évêques, Hi novem episcopi jussu, Cononi eorum domini testes sunt huic cartulae. Il ne peut subsister aucun doute que ces évêques ne fussent tous bretons, puisque vassaux du duc Conan, et que l'un d'eux ne fût titulaire de Tréguier, puisqu'il n'y eut jamais que neuf évêques en Bretagne. Sur les neuf évêque de la charte, quatre sont désignés nommément, ceux de Dol. Nantes, Quimper et Rennes, l'un, Auriscand, est connu comme évêque de Vannes, Les titulaires des quatre autres diocèses. ceux d'Alet, Léon, Saint-Brieuc et Tréguier, ne peuvent être identifies avec précision. Guillotin de Corson a cru pouvoir rapprocher Roaldus et Radulphus, évêque d'Alet, qui est signalé plusieurs fois depuis 1008. Mais ers deux noms sont trop différents pour pouvoir justificer cette identification, que rien n'appuie par ailleurs. Voir à ce sujet André Oheix, Les Evêques de Léon aux Xème et XIème siècles. (Association Bretonne. Congrés de Saint-Pol-de-Léon en 1911, pages 242-251)]. Dans cet acte, l'identification de l'évêque de Tréguier n'est pas déterminée ; on a le choix entre les noms suivants : Constannnus, Rethwalatrus, Roaldus et Dredcandus.

La question se pose de savoir si la lacune que les documents ne permettent pas de combler entre la fuite de Gorennan et la mention d'un de ses successeurs en 990 est due à la rareté, trop évidente, de ces documents, ou s'il est permis de supposer qu'elle correspond, au moins en partie, à une vacance réelle du siège épiscopal de Tréguier. Je vais essayer de faire un peu de lumière sur cette question.

Mais il faut remarquer que seul un manuscrit (ms. de la Chronique de Saint-Brieuc, ou ce passage est inséré), sur les quatre sources qui nous ont conservé ce passage, détaille, par manière de paraphrase, les sièges des évêques de Bretagne : praelatos suos videlicet archiepiscopum Dolensem, Redonensem... Trecorensem episcopos. Cette liste des neuf prélats bretons n'est qu'un développement sans valeur de l'expression praelatos suos. Ce développement est peut-être le fait du chroniqueur du XIème siècle, bien qu'il soit plus probable qu'il s'agisse d'une des fréquentes interpolations dues à l'auteur de la Chronique de Saint-Brieuc. Il n'y a donc rien à tirer de ce passage pour ou contre l'existence d'un évêque à Tréguier au milieu du Xème siècle.

***

En novembre 1853, Arthur de la Borderie fit insérer dans le journal « le Lannionnais » une notice intitulée : Note sur les origines du diocèse de Tréguier et l'importance ancienne du Coz-Yaudet [Note : Un tirage à part de cette notice fut édité à Lannion, sans date ; puis le travail de La Borderie fut réimprimé, sous le même titre à Nantes en 1863 (Collectionneur Breton, tome III. pages 10-28, 57-68, 92-115. 227-229)], en réponse à un article anonyme paru dans le même journal sur cette question. La Borderie essaye, dans la première partie de ce travail, de démontrer que, durant les IXème et Xème siècles, le diocèse de Tréguier fut constamment occupé par un titulaire. Après avoir reconnu qu'aucun successeur de Gorennan n'est signalé avec évidence dans les textes avant l'évêque de 990, il ajoute cependant : « Je serais fort tenté de voir un évêque de Tréguier dans certain personnage, dont le nom. écrit en abrégé dans la grande légende, doit être Grandis ou Gratianuns, qui était, nous dit-on, sacris litteris imbutus, et qui, revenant d'Angleterre avec quelques compagnons après l'époque des invasions normandes (vers 950), fit rebâtir le monastère et l'église cathédrale de Tréguier. Cependant. comme le texte ne lui donne pas explicitement la qualité d'évêque, je n'insisterai pas... » [Note : Collectionneur Breton, III, page 62. — Voir aussi l'Histoire de Bretagne, du même auteur, tome III, page 156].

En réalité, ce Grandis ou Gratianus, ou mieux encore ce Gratias ne fut jamais évêque de Tréguier [Note : Voir La Borderie : Les trois vies anciennes de saint Tudual, page 110, note 2 : « Gratias est l'interprétation régulière du mot Gras surmonté d’un signe abréviatif horizontal, comme il existe au § 30 de la troisième vie ; .... Il n'était pas rare, aux IXème et Xème siècles, parmi les Bretons, de prendre pour nom propre quelques mots latins tirés des prières qu'on entendait souvent à l'église ; dans le cartulaire de Redon, on trouve des particuliers appelés Dignum, Justum, Oremus, Precamur. etc... ». Dans ce même travail. La Borderie a renoncé à supposer que ce Gratias ait été évêque de Tréguier. S'il s'était agi d’un évêque, on ne pourrait comprendre pourquoi l'hagiographe de lui donne pas ce titre, alors que quelques lignes plus haut, Gorennanus est qualifié presul (page 41)] ; mais le document auquel se réfère La Borderie présente un grand intérêt, du fait qu'il signale la reconstruction de la cathédrale de Tréguier après sa destruction par les Normands. Si l'on peut établir la date de cet événement, on saura par là même, approximativement du moins, l'époque où put être réinstallé un évêque à Tréguier, après les invasions normandes. Il devient ici nécessaire de se reporter au texte même de la grande légende dont parle La Borderie, et qui n'est autre que la troisième vie de saint Tugdual, écrit vers 1050 [Note : La Borderie a justement remarqué que, « dans le dernier trait » rapporté par l'auteur de la troisième vie, figure un évêque de Tréguier, nommé Martin. Les dates extrêmes de l'épiscopat de Martin ne sont pas connues. Il est probable qu'il a été élu, vers 1048 mais l'époque de sa mort est incertaine et pourrait être reculée jusqu’aux environs de 1080 (Voir Gallia Christiana, tome XIV. col. 1121). Il serait donc peut-être plus prudent de rajeunir la rédaction de la troisième vie d'une dizaine d'années. Nous verrons plus loin qu'il y a de sérieuses raisons pour que cette rédaction ne soit guère postérieure à 1060]. Sans doute l'auteur de cette légende commet-il une multitude d'erreurs lorsqu'il parle des origines du diocèse de Tréguier. Mais, quand il s'agit des IXème et Xème siècles, son témoignage devient très précieux pour deux raisons ; d'abord c'est le seul texte ancien qui donne quelques détails, maheureusement trop brefs, sur le diocèse de Tréguier à cette époque ; d'autre part, l'auteur manifeste son désir sincère de rechercher la vérité, puisqu'il prend soin de nous dire à plusieurs reprises qu'il a fait appel à des témoins des événements qu'il rapporte [Note : L'auteur de la troisième vie écrit, dans sa préface : … que honestarum relatione personarum didici (édition La Borderie, page 21). Voir aussi plus loin, l'expression : ut perhibent qui eum viderunt]. Je crois donc utile de transcrire ici tout le passage que cet auteur consacre aux IXème et Xème siècles.

L'hagiographe, après avoir relaté la mort de saint Tugdual, écrit [Note : Edition La Borderie, pages 41-42. § 29 et 30: « Labente vero tempore, barbarorum multitudo gentilium a transmarinis veniens insulis, Hastehinco duce pyraticam excercens, Armoricam regionem, plurimis incolarum crudeliter necatis, innumeris in captivitatem ductis, ceteris ad exteras naciones fugatis in solitudinem penitus redegit. Quam persecutionis rabiem pauci sacri altaris ministri evadentes cum ecclesiasticis ornamentis sanctorumque reliquiis in Galliam secesserunt, Inter quos Gorennannus, qui Trecorensis ea tempestate presul habebatur, exulatus, ossa Tutguali secum asportavit. Quibus part’m Landonicum usque hodie celebre habetur castrum, necnon et felicissimi capite patroni gloriatur Carnotum. Quanti enim meriti sit iste sanctus, crebris uterque signis testatur locus. Non breve spacium intercesserat annorum, et ecce quidam vir nomine Gratias (dans le ms., Gros, surmonté d'un trait horizontal), exulum nobili stirpe genitus, sacris litteris imbutus, cum quibusdam itidem proselitis a mojori ad minorem redire Britaniam disposuit. Qui se suosque committens pelago, brevi Trecorensi aplicuit valli ubi magni monasterii parietes silvestribus suibus partim hedera intexti patebant, partim vepribus et virgultis diruti subjacebant. Quibus extirpatis, reedificare cœpit ecclesiam. Peractos quoque miræ altitudinis parietes lignea sequitur fabrica. Cujus artifex, Goederus nomine, dum jam positis stans trabibus connectendis intenderet laquearibus, incaute gressum nutans, certae deputatus marti labitur. Quod videntes qui aderant miserabili voce unanimiter conclamant : « Sanctissime pater Tutguale, si nos inceptum opus vibi sedet perficere, nostri miseratus cadentem excipe ». Mox mirum in modum, pendente deorsum capite, per inane ruens erigitur ; sensim decidens, acsi alarum remigio sustentaretur, super pavimentum ille sus sistitur. Unde ouis dubitet invocati meritis patroni angelicam virtutem cadentem erexisse, et ad terram incolumem deduxisse ? Deum itaque laudans ceptum repetit opus, pluresque postea, ut perhibent qui eum viderunt, vixit annos »] : « Bien longtemps après, une foule de barbares païens venant des îles d'outre-mer, exerçant la piraterie sous les ordres d'Hasting, réduisit l'Armorique en désert, massacrant avec cruauté la plus grande partie des habitants, emmenant en esclavage d'innombrables captifs, et obligeant les autres à chercher un refuge à l'étranger. Quelques ministres du saint autel, qui réussirent à se soustraire à cette rage de persécution, s'enfuirent en Gaule avec les ornements ecclésiastiques et les reliques des saints. L'un, de ceux-là, Gorennan, qui était alors évêque de Tréguier, emporta dans son exil les os de saint Tugdual. Une partie de ces précieux restes fait aujourd'hui encore la gloire de Château-Landon ; en outre, Chartres, s'enorgueillit de posséder le chef de notre bienheureux patron, Ces deux localités attestent, en effet, par de fréquents miracles combien les mérites de notre saint furent grands.

« Un long espace de temps s'était écoulé, et voici qu'un homme, du nom de Gratias, né d'une famille noble exilée, très versé dans les lettres sacrées, projeta de revenir, avec un certain nombre de compagnons, de la grande en la petite Bretagne. Se confiant à la mer, il aborda avec sa troupe en la petite vallée de Tréguier, où les murs du grand monastère, en partie recouverts de lierre, servaient de repaire aux sangliers, et formaient ailleurs un amas de ruines enfouies sous des buissons et des ronces. Après avoir fait place nette, il se mit à réédifier l'église. Une fois achevés les murs d'une hauteur étonnante, on passe à la charpente. Le constructeur de cette charpente, nommé Goeder, se tenant un jour debout sur des poutres déjà posées et s'appliquant à assembler les lambris, fit un faux pas par manque de prudence et tomba, voué à une mort certaine. Ce que voyant, toutes les personnes présentes s'écrient, avec un accent propre à émouvoir la pitié : « Très saint Tugdual, notre père, s'il te convient que nous achevions l’œuvre commencée, prends pitié de nous et reçois-le dans sa chute ». Alors, ô prodige, cet homme qui était tombé dans le vide, la tête la première, se redresse ; et, ralentissant peu à peu sa chute comme s'il était soutenu par des ailes, il se pose sain et sauf sur le pavé. Qui donc doutera que ce ne furent les vertus angéliques de notre patron qu'on venait d'invoquer, qui, par leurs mérites, firent se redresser cet homme dans sa chute et l'amenèrent jusqu'au sol sans blessure ? Aussi, louant Dieu, il se remit à l'ouvrage commencé, et vécut ensuite plusieurs années, ainsi que le rapportent ceux qui l'ont vu ».

Puis l'auteur passe au temps, un peu plus récent, où la population était redevenue très dense en Bretagne, cum autem provincia jam celebris habitatoribus habebatur.

A quelle date faut-il placer tous ces événements ? Nous avons dit que la fuite de Gorennan eut lieu vers 880. Or, suivant notre auteur, après un long espace de temps, non breve spacium intercesserat annorum, eut lieu la reconstruction de la cathédrale de Tréguier. On peut déduire de ce passage de la troisième vie de saint Tugdual que cette reconstruction ne fut entreprise que dans la seconde moitié du Xème siècle, plusieurs années après que le duc Alain Barbetorte eut restauré définitivement la Bretagne.

Le texte que je viens de traduire mentionne qu'au moment où écrit l'auteur, c'est-à-dire vers 1050 au plus tôt, des personnes témoignent avoir vu avant sa mort l’architecte de la charpente, miraculeusement sauvé par Tugdual, pluresque postea [artifex fabrice lignee], ut perhibent qui eum viderunt, vixit annos. Le plus jeune de ces témoins (puisqu’il y en a plusieurs) n’avait sans doute pas plus de quatre-vingts ans en 1050 ; ses plus anciens souvenirs (admettons qu'il avait alors une dizaine d'années) se placeraient donc vers 980 au plus tôt. Par conséquent, le maître charpentier Goeder n'était pas encore mort à cette époque. Or le texte dit que ce maître charpentier a vécu plusieurs années, plures annos, après le début des travaux de construction de la cathédrale de Tréguier. Nous sommes donc conduits par ce raisonnement à dater la réédification de la cathédrale aux environs de 970 au plus tôt. La charte de 990, qui mentionne l'existence d'un évêque à Tréguier, fournit d'ailleurs, dans l'autre sens, une date limite certaine.

L'auteur de la troisième vie de saint Tugdual ne parle que d'une seule invasion normande et d'une seule reconstruction de la cathédrale. Il est cependant bien certain que deux invasions très distinctes désolèrent la Bretagne, l'une vers 880, l'autre en 918, après la mort du roi de Bretagne Alain le Grand. Il semble étrange que ce prince, qui rendit la prospérité à la Bretagne, n'ait pas songé à remplacer, après la fuite des Normands, Gorennan sur le siège épiscopal de Tréguier. L'absence complète de documents ne mous permet pas toutefois de savoir ce qui se passait à Tréguier aux environs de l'an 900 [Note : Un seul texte paraîtrait s'appliquer à cette période de l'histoire de Tréguier, je veux parler de la seconde vie de saint Tugdual. La Borderie cherche à démonter que l'auteur de cette vie écrivait à Tréguier, vers l'an 900, sous le régne d'Alain le Grand (Les trois vies anciennes de saint Tudual. pages 53-54), ce qui semblerait en contradiction avec la troisième vie, Car, si Tréguier, pour une cause quelconque, n'a pu être relevé de ses ruines sous Alain le Grand, comme paraît l'indiquer le récit de la troisième vie, comment l'auteur de la seconde vie aurait-il pu rédiger son récit au milieu de ces ruines ? Mais, si La Borderie a bien prouvé que l’œuvre a été composée à Tréguier, il n'a pu fournir que des arguments tout à fait insuffisants pour établir la date de cette œuvre. D'ailleurs Mgr Duchesne a donné de meilleures raisons pour faire supposer que cette seconde vie a été rédigée au début du XIème siècle seulement (Revue celtique, tome X, page 253, et Bulletin critique, tome X? page 226). La réplique de La Borderie (Histoire de Bretagne, tome I, page 558) ne porte que sur un seul des arguments de Mgr Duchesne. et n'atteint en rien les conclusions de ce dernier, au sujet de la date de la seconde vie de saint Tugdual].

***

En résumé, l'hypothèse la plus probable est, comme je l'ai dit plus haut, que le siège épiscopal de Tréguier fut vacant depuis la fuite de l'évêque Gorennan (vers 880) jusqu'après le milieu du Xème siècle.

Cette hypothèse est singulièrement renforcée par un document qui a été peu utilisé jusqu'ici. Je ne l'ai trouvé mentionné dans aucun ouvrage de La Borderie. Pol de Courcy, qui le transcrit, dans sa petite Monographie de la cathédrale de Tréguier [Note : Association Bretonne. Bulletin archéologique, 1850. Mémoires, page 91] n'en a tiré aucun parti. Il s'agit d'un témoignage du Père Albert Le Grand, le célèbre auteur de la Vie des saincts de la Bretaigne Armorique. Voici ce qu'il écrit à propos de l'évêque de Tréguier, Gorennan, qu'il appelle Gouarrannus, et dont il place l'épiscopat au VIIIème siècle :

« Il y a encore à présent une vieille tour carrée sur le pignon de l’aësle senestre de l'église cathédrale de Tréguer, joignant l'évesché, qui s'appelle la Tour de Hasteing, et se trouvent quelques vieux rithmes latins de ceste adventure, que je mettray iey, encore que je ne m'y appuye guères.

« Hasteing obtinuit sedem, per eumque vacavit,
Annis per centum demptis bis quinque perempto
Praesule, non ente in hac aliquo residente. ».

Car, continue Albert Le Grand, il se trompe de faire vacquer le siège quatre-vingt-dix ans, comme vous allez voir » [Note : Albert Le Grand, La vie, gestes, mort et miracles des saincts de la Bretaigne Armorique, ensemble un ample catalogue chronologique et historique des évesques des neuf éveschez d’incelle... Nantes, Pierre Doriou, 1637, page 667].

La sincérité de notre auteur semble d'autant plus incontestable en cette affaire que l'inscription dont il nous transmet le texte contredit tout l'échaufaudage que son imagination a péniblement édifié pour établir une suite ininterrompue d'évêques de Tréguier.

Retenons donc simplement le texte de l'inscription le style paraît en démontrer le caractère ancien. L'expression annis per centum demptis bis quinque est tout à fait à la mode des épitaphes assez nombreuses que nous avons conservées de l'époque romane. Dans un autre passage [Note : Op. cit., page 660 : « la tour de Hasteing, dans laquelle estoient autrefois gravés des vieux vers latins qui parloient de cette prise par les Danois » ; et en marge : « Voéis les au catalogue des évesques de Tréguer cy-dessous », ce qui renvoie le lecteur à la page 667, où sont transcrits les trois vers dont je viens de donner le texte], Albert Le Grand nous dit que cette inscription était anciennement gravée sur la tour d'Hasting. Cette tour, qui s'élève en effet à l'extrémité du croisillon nord de la cathédrale de Tréguier, a été construite au début du XIIème siècle, autant que permettent de l'affirmer ses caractères architecturaux [Note : Voir Pol de Courcy, op. cit., page 91. La petite monographie de cet auteur est certainement, malgré ses omissions ce qu'il y a de plus, complet et de plus exact qui soit paru sur l'histoire et l'archéologie de la cathédrale de Tréguier. La publication d'une nouvelle monographie paraît s'imposer. Le fonds du chapitre de Tréguier. Conservé aux archives des Côtes-du-Nord (série G), est assez riche surtout pour le XVème siècle. M. René Couffon a dépouillé, pour les travaux qu'il prépare, un certain nombre de comptes ; j’ai eu moi-même l'occasion de trouver dans les documents quelques précisions, en particulier an sujet de la date de conctruction du cloître (peu avant 1457-1463). Il y a donc déjà un certain nombre d'éléments nouveaux qu'on pourrait compléter largement dans une oeuvre d'ensemble. Je dois dire que les dates adoptées par Courcy se rapprochent de la réalité en général, et qu'il est triste de constater que plusieurs auteurs, qui ont écrit après lui, ont fait beaucoup moins bien que lui, en rééditant des erreurs qu'il avait corrigées].

Il serait du plus haut intérêt de découvrir l'inscription transcrite par Albert Le Grand. Peut-être est-elle aujourd'hui masquée par quelque bâtiment adossé à la tour et moins ancien que celle-ci. Il semblerait qu'au temps d'Albert Le Grand elle fût déjà invisible et que notre auteur en ait seulement trouvé le texte dans un vieux manuscrit.

Je crois qu'on peut ainsi traduire le texte latin, tel qu'Albert Le Grand l'a publié :

« Hasting s'empara du siège de Tréguier ; ce qui fut cause d'une vacance de ce siège, qui dura quatre-vingt-dix ans (cent moins deux fois cinq), pendant lesquels, l'évêque ayant été supprimé (ou plutôt n'ayant pas été remplacé), personne ne résida audit siège ».

Il n'y a pas lieu évidemment de soutenir qu'Hasting soit venu en personne s'emparer de Tréguier. Hasting a longtemps personnifié, chez les chroniqueurs du moyen-âge, les invasions normandes de la fin du IXème siècle. Retenons que l'auteur de l'inscription affirme qu'après la conquête de Tréguier par les Normands, conquête qui eut lieu vers 880 ainsi que nous l'avons vu, le siège épiscopal fut vacant durant quatre-vingt-dix ans ; ce qui place la réinstallation du successeur de Gorennan aux environs de 970.

Il est bien tentant de voir là une sérieuse tradition, qui confirme d'une façon inattendue les données de la troisième vie de saint Tugdual ; l'accord de cette tradition avec les documents renforce la probabilité de son exactitude.

Il est entendu que, dans ces questions, il ne faut pas espérer déterminer des dates trop précises. Sous cette réserve, je crois qu'on peut admettre comme très probable que le siège episcopal de Tréguier fut effectivement vacant depuis la fuite de l'évêque Gorennan (vers 880), jusqu'aux environs de 970, époque où Gratias fit réédifier la cathédrale [Note : Si l'on admet pour la reconstruction de la cathédrale de Tréguier la date approximative de 970, on ne peut guère reculer la rédaction de la troisième vie de saint Tugdual au-delà de 1060. En appliquant le même raisonnement que précédemment, on peut montrer que le constructeur de la charpente, qui a survécu de plusieurs années à son accident, ne peut guère avoir été connu par plusieurs témoins qui auraient été encore en vie sensiblement après 1060].

Il serait évidemment du plus haut intérêt de savoir ce qu'a pu devenir Tréguier durant la longue période qui s'étend de 880 à 970, et spécialement sous le règne d'Alain le Grand (888-907). Connue la découverte d'un nouveau document sur cette époque est improbable, le champ restera sans doute toujours libre à bien des hypothèses. Ou peut imaginer que la ville de Tréguier, détruite de fond en comble par les Normands, ne fut pas reconstituée en cité épiscopale pendant près d'un siècle, mais fut réunie à la métropole de Dol, dont le titulaire aurait, à la mort de l'évêque Gorennan, pris en mains l'administration du diocèse de Tréguier. Une présomption en faveur de cette hypothèse nous est fournie par un texte très curieux, qui nous apprend que, vers 960, l'archevêque de Dol, Wicohen, exerçait à la fois les pouvoirs spirituel et temporel sur toute la Domnonée, et par conséquent sur le diocèse de Tréguier. Cette usurpation, qui remontait peut-être à la fin du IXème siècle, fut abolie, vers 970, par Conan, fils de Judicaël Bérenger, comte de Rennes [Note : Voir le récit de cette usurpation dans l'Histoire de Bretagne, par A. de la Borderie, tome II, pages 422-423. Il est à remarquer que, pour le diocèse de Saint-Brieuc, de même que pour celui de Tréguier, aucun évêque n'apparaît au Xème siècle avant la charte de 990. (Voir la Borderie op. cit., tome III, page 156)].

(François Merlet).

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