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LES REVENUS DU SÉMINAIRE DE TRÉGUIER SOUS L'ANCIEN RÉGIME

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Le séminaire de Tréguier, créé dès 1649, fut l'un des plus anciens de Bretagne. Son apparition est due à l'initiative de l'évêque Balthazar Grangier et d'un de ses chanoines, Michel Thépaut, sieur de Rumelin. ami de Vincent de Paul. Confiée à l'ordre des Lazaristes, la maison a connu des débuts difficiles, en but à l'hostilité d'une partie du clergé diocésain et du chapitre, et à la méfiance de la ville de Tréguier [Note : Nous avons d'ailleurs retracé l'histoire des débuts du séminaire : « Le séminaire de Tréguier jusqu'à la fin du XVIIème siècle » (Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest. T. 84 - N. 4. 1977)]. Mais ce sont les problèmes financiers qui furent pendant longtemps les plus graves. Grâce à une documentation relativement abondante concernant cet aspect matériel, il est aujourd'hui possible de reconstituer les grandes lignes de l'histoire des biens et des revenus du séminaire depuis sa création jusqu'à la fin de l'Ancien Régime. Trois points de vue seront tour à tour envisagés : d'abord l'évolution des biens et leur progression par dons, fondations ou achats ; ensuite la répartition de ces biens : quelle est l'importance relative des rentes foncières, des dîmes ou autres sources de revenus ; enfin quelle a été l'évolution réelle des revenus pendant cette période ; y a-t-il eu enrichissement réel, et si oui, quelles sont les sources exactes de cet enrichissement ?

***

Les premiers biens dont fut doté le séminaire au départ furent tous des dons de Michel Thépaut : en 1654 ce dernier fournit en effet le terrain où l'on édifiera les bâtiments, à Tréguier, avec 7.700 livres pour les travaux. Il y ajoute le convenant Toullelan à Pommerit-Jaudy (deux maisons et quelques pièces de terre), le convenant Pilladen à Pleudaniel, et la chapellenie, An Cerf, à Hengoat (un convenant avec maison et terrain) [Note : « Inventaire des tiltres et papiers de la maison de la Congrégation de la Mission de Tréguier depuis son establissement audit lieu » 1692. A. D. des C.-du-N. G. Séminaire]. A ce fonds initial bien modeste vont venir s'ajouter quelques dons de terres et de maisons, mais à un rythme assez lent comme le montre la récapitulation suivante :

— 1657 : don du « Parc an Pontec » à Tréguier, par le seigneur de Kergouanton (terrain touchant l'emplacement du séminaire).

— 1660 : union au séminaire de la chapellenie Saint Michel, par l'évêque (composée d'une portion de dîme à Plougrescant, de la pièce de terre « Pont-an-Hostellier » à Plougrescant ; d'une maison sur le martray et d'une autre rue Paul-Raoul à Tréguier ; du « Parc-an-Bellec », du « Parc-an-Scoannec », du « Parc-an-Geranchou » et de la terre de Kermen au Minihy).

— 1660 : union de la chapellenie Sainte-Anne, par l'évêque (composée d'une rente de 5 tonneaux de froment à prendre dans les greniers de l'évêque).

— 1667 : union de la chapellenie de Pontrouzault par l'évêque (composée d'une maison et de trois pièces de terre à Tréguier, avec un droit de passage sur le Jaudy).

— 1667 : don d'une rente de 6 livres sur le convenant Kerandibollet à Quempervern.

— 1669 : don du convenant Herlidou à Troguéry, par le chanoine Jean de Soulfour.

— 1672 : union de la chapellenie An Bellec, par l'évêque (rentes de 32 boisseaux de froment à prendre dans le grenier de l'évêque, et de 8 boisseaux sur le convenant Penancrech à Trédarzec).

— 1674 : don d'une rente de 96 livres par Michel Thépaut, fondée sur la maison Kerderrien à Tréguier.

— 1676 : don de la maison de Kermorvan, à Tréguier, et d'une maison ruinée, rue de Plouguiel, par Balthazar Grangier.

— 1681 : union du prieuré Saint-Jean de la Roche-Derrien par l'évêque (composé d'une part de dîme à la Roche-Derrien, à Pommerit-Jaudy et à Plouguiel ; d'un droit de minotage du sel sur les bateaux déchargeant à Tréguier et à la Roche-Derrien ; de deux convenants à la Roche-Derrien).

— 1686 : don d'une rente foncière de 39 livres par le seigneur de Trézel.

— 1688 : don d'une rente de 15 livres par Mlle Gaborit.

— 1692 : don d'une rente de 36 livres par Catherine Huonie.

— 1693 : don d'une rente de 50 livres par testament de Gabrielle de Cosqueraër.

— 1698 : don du « Parc-an-Bescond », au Minihy, par Joseph Jarno, sénéchal de la chatellenie de Troguindy.

Il faudrait à cette liste ajouter quelques dons en argent, émanant surtout de Michel Thépaut et de Balthazar Grangier [Note : Ce dernier s'est montré dans son testament particulièrement généreux], mais ces sommes, vite dépensées, n'entrent pas dans la composition des biens, fonds ou des rentes mobilières qui assurent le revenu régulier du séminaire, et nous n'avons pas ici à en tenir compte [Note : C'est ainsi que Michel Thépaut ajoutera aux 7700 livres données au départ 3858 l. en 1659, 946 l. en 1660, 2961 l. en 1662, 2721 l. en 1664, 293 l. en 1669, 2623 l. et 2409 l. en 1672. L'évêque, quant à lui, verse 2000 l. chaque année de 1654 à 1661, puis 750 l. de 1662 à 1666, puis 650 l. à partir de 1667. En 1678 Monsieur de Kerisac fait un don de 2000 l. par son testament.].

De la liste précédente résultent deux constatations : la première est le petit nombre des dons et des fondations. Le séminaire n'a guère attiré la générosité des fidèles : 19 dons en y comprenant les rattachements de chapellenies et la dotation initiale. Mais c'est surtout la répartition chronologique qui est frappante : plus du tiers des dons ont été faits dès le début du séminaire, entre 1650 et 1660. Ensuite, trois dons par décennie jusqu'en 1700, puis plus rien ; aucune donation au XVIIIème siècle. Il est en effet fort improbable que le gros rentier rédigé après 1772, qui examine scrupuleusement tous les biens acquis depuis l'origine du séminaire et leurs revenus, ait omis de mentionner des dons ultérieurs [Note : « Rentier de la Maison de la Congrégation de Tréguier ». A. D. des C.-du-N. G. Fonds du séminaire. Ce registre, de 374 feuillets, n'est pas daté, mais toutes les indications qu'il donne, les baux de ferme en particulier, s'arrêtent en 1772, ce qui nous fait attribuer sa rédaction à cette année ou à la suivante. Sur l'une des pages le rédacteur a inscrit le texte d'une chanson hostile à Madame de Pompadour, dont l'impopularité a gagné même les séminaires de Basse Bretagne : « Noël nouveau 1764, sur l'air tous les bourgeois de Chartres : De Jésus la naissance - Fit grand bruit à la Cour - Louis en diligence - Fut trouver Pompadour - Allons voir cet enfant lui dit-il, ma mignonne. - Oh non, dit la marquise au roy, - Qu'on l'apporte tantot chez moy, - Je ne vais voir personne »].

Examinons maintenant la liste des achats de biens divers, qui viennent compléter les donations. Elle s'établit comme suit :
— 1656 : une écurie, une moitié de cour et un clos, rue des perdrix, à Tréguier.

— 1657 : une maison avec clos, rue Poulraoul, à Tréguier.

— 1661 : une maison ruinée, rue des perdrix, avec terre attenante, à Tréguier.

— 1665 : deux maisons ruinées, rue des perdrix, à Tréguier.

— 1665 : une chambre et une demi-cour, rue des perdrix, à Tréguier.

— 1667 : les convenants Anguiel et Baleau, à Langoat.

— 1667 : les convenants Picheron et Scarabin, à Lanmerin.

— 1669 : une maison, rue Poulraoul, à Tréguier.

— 1672 : la maison Michel, rue Poulraoul, à Tréguier, avec cour et jardin.

— 1677 : le convenant Fuen, à Lanmerin.

— 1694 : le convenant Kergoat, à Pleumeur-Gautier.

— 1694 : une rente sur le convenant Kerdeval, à Penvenan.

— 1697 : une rente sur le convenant Kerdavot, au Minihy.

— 1717 : la terre Loguel Garseven, à Penvenan.

— 1719 : la terre Le Clastro, en Plougrescant.

Soit au total 15 acquisitions, dont plus de la moitié sont faites avant 1670, dans les vingt premières années du séminaire. Le dernier don datant de 1698 et le dernier achat de 1719, on peut considérer qu'à cette date la fortune immobilière et mobilière du séminaire est définitivement constituée. L'établissement vivra donc jusqu'à la fin de l'Ancien Régime sur un patrimoine édifié dès le début de son histoire :

— 26 % des dons et achats sont acquis dans les 10 premières années (1650-1660).

— 52 % des dons et achats sont acquis dans les 20 premières années (1650-1670).

— 66 % des dons et achats sont acquis dans les 30 premières années (1650-1680).

— 74 % des dons et achats sont acquis dans les 40 premières années (1650-1690).

— 90 % des dons et achats sont acquis dans les 50 premières années (1650-1700).

Comme pour les dons, nous pouvons remarquer la faible quantité d'achats de biens fonds, ce qui peut s'expliquer de deux façons : d'une part le manque de disponibilités financières du séminaire, et d'autre part la réticence des éventuels vendeurs, en particulier des seigneurs, à céder des biens à une institution ecclésiastique, c'est-à-dire à des gens de main morte [Note : Rappelons que les biens d'Eglise ne faisant pas l'objet de transmission à des héritiers par décès du propriétaire, le seigneur d'une terre appartenant à une institution ecclésiastique n'aura jamais l'occasion de toucher les taxes de mutation, d'où la création au Moyen Age de la taxe d'amortissement, que le roi et certains seigneurs sont autorisés à toucher en cas d'achat de leurs biens par l'Eglise]. Un exemple en est fourni en 1719 : le séminaire ayant à cette date acheté à M. de Ligouyer le lieu de Penanlen, qui dépendant de la seigneurie de Boisriou, M. de Coëtivy, titulaire de cette seigneurie, usa de son droit de retrait féodal pour récupérer le lieu en 1720, contre une somme de 252 livres versée au séminaire.

***

Tel qu'il s'est constitué à partir du début du XVIIIème siècle, le patrimoine du séminaire vers 1772 se compose principalement de terre (25 convenants), toutes situées dans les environs immédiats de Tréguier. En ville même, le séminaire possède 13 maisons, dont 7 sont en ruines ou ne sont plus que des emplacements. Ajoutons à cela 11 rentes foncières, 4 portions de dîmes et un droit de minotage du sel à la Roche-Derrien. En 1772 le total de ces biens représente un revenu de 2.328 livres 19 sols 7 deniers en argent et 328 boisseaux de froment. Le prix du boisseau étant d'environ 4 livres à cette époque dans la région, les revenus en nature s'élèvent à 1.312 livres, soit 36 % des revenus en argent, les deux ensemble se montant à 3.640 livres 19 sols 7 deniers, somme bien modeste. Dans ce total les revenus des terres prédominent : 1.216 livres 10 sols et 118 boisseaux de froment, soit 46 % de l'ensemble. Les rentes diverses viennent ensuite, avec 56 livres et 210 boisseaux de froment, soit 24,5 % ; puis les parts de dîmes (624 livres, soit 18 %), et enfin les loyers des maisons, 432 livres 9 sols 7 deniers, soit 11,5 %.

Mais comment évoluent ces différentes catégories de revenus ? Permettent-elles au séminaire de suivre la hausse des prix du XVIIIème siècle ? En d'autres termes l'établissement des Lazaristes connaît-il un appauvrissement ou un enrichissement ? Avant de considérer l'évolution globale des revenus, voyons de quelle façon chacun d'entre eux a progressé depuis la création du séminaire. La plupart des biens ayant été acquis assez tôt il est en effet possible de suivre l'évolution de leur produit depuis la deuxième moitié du XVIIème siècle jusqu'en 1772.

En ce qui concerne tout d'abord la ferme des convenants nous possédons les contrats de bail du Parc-an-Pontec depuis 1657, ceux des convenants Anguiel, Baleau, Picheron et Scarabin depuis 1667, ceux de la terre Loguel depuis 1689, et ceux du

Parc-an-Bescond, depuis 1696, ce qui nous permet, pour une durée d'un siècle environ, de distinguer quatre étapes :

— Une période de stagnation des loyers de 1670 à 1710.

— Une première période de hausse de 1710 à 1735, pendant laquelle le montant nominal des fermes augmente de 85 %.

— Une seconde période de stagnation de 1735 à 1760.

— Une seconde période de hausse, plus modérée, à partir de 1760 : + 15 % (mais les renseignements s'arrêtant en 1772 il est probable que la hausse véritable des années 1760-1780 a été beaucoup plus forte). Au total, entre 1670 et 1770, le montant nominal du produit des fermes a augmenté de 120 %. Mais comme ces loyers sont payables en partie en nature, il faut aussi tenir compte de la hausse du prix du froment entre ces deux dates. Or la valeur moyenne du boisseau est passée d'environ 1 livre 18 sols à 4 livres, ce qui en fait donne une augmentation du produit réel des fermes de 160 % en un siècle.

Le revenu des rentes par contre se contente de suivre la hausse du prix du blé, car ce sont en majorité des rentes en froment, dont le montant nominal est fixe. Le produit de leur vente permet d'en tirer des ressources en augmentation de 110 % en 1770 par rapport à 1670. Les baux concernant les maisons permettent de suivre l'évolution des loyers depuis 1652 (maison du Gac), 1669 (maison du Guen), 1674 (maison Kerderrien), 1682 (maison du cordier et maison des bouchers), 1684 (clos Saint-Michel), 1686 (maison de la Vieille Mission) et 1693 (maison de la rue de Plouguiel). Mais les comparaisons d'un siècle à l'autre sont ici très aléatoires, car plusieurs de ces maisons finissent par tomber en ruines, provoquant l'interruption des loyers (maison Kerderrien en 1701, maison du Gac en 1738), compensée par des hausses sur les maisons encore habitées, si bien que le montant total (432 livres) en 1772 est à peu près le même que celui de 1700 (437 livres).

Restent les dîmes. Cette catégorie de revenus a récemment attiré l'attention des historiens de l'économie, qui discutent son rôle en tant qu'indicateur de la conjoncture générale [Note : Voir à ce sujet les actes du colloque tenu au Collège de France en 1977, sur le sujet : « Productions paysannes, dîmes et mouvements de la production agricole dans les sociétés préindustrielles » ; le livre de J. GOY et E. LE ROY LADURIE : « Les fluctuations du produit de la dîme. Conjoncture décimale et domaniale de la fin du Moyen Age au XVIIIème siècle », (Paris - La Haye. Mouton. 1972) ; l'article d'E. Le Roy Ladurie sur « La dîme et le reste » (Revue Historique. N. 527. juil.-sept. 1978); le tome I, vol. 2, de l'« Histoire économique et sociale de la France » (P.U.F. 1977). Au colloque de 1977 une communication portait sur la Bretagne, celle de T. Le Goff : « Autour de quelques dîmes vannetaises XVIIème-XVIIIème siècle. »]. Les rares études faites jusqu'à ce jour sur les dîmes bretonnes tendraient à montrer que « le siècle breton n'est à aucun degré en situation de croissance par rapport au XVIIème siècle » [Note : E. LE ROY LADURIE : « La dîme et le reste ». Art. cit. p. 138].

Mais cette affirmation ne repose pour le moment que sur des observations faites dans le Vannetais. Les quelques renseignements fournis par l'affermage des dîmes du séminaire de Tréguier tendraient à montrer une hausse plus sensible : +42 % entre 1680 et 1770. Mais les éléments sont trop peu nombreux pour en tirer des conclusions quant à l'ensemble du Trégor. Quoi qu'il en soit, la partie la plus dynamique des revenus du séminaire est bien la rente foncière (+ 160 %), ce qui contribuerait à expliquer, comme le suggère T. Le Goff, qu'elle ait détourné à son profit une part plus importante des récoltes bretonnes.

***

Nous pouvons maintenant aborder l'évolution globale des revenus du séminaire depuis sa création. Elle s'établit de la façon suivante, en tenant compte des acquisitions progressives et des modifications de baux :

1670 : 472 livres 9 sols 7 deniers et 334 boisseaux de froment.
1680 : 840 livres 9 sols 7 deniers et 334 boisseaux de froment.
1690 : 1.453 livres 12 sols 7 deniers et 364 boisseaux de froment.
1700 : 1.590 livres 9 sols 7 deniers et 334 boisseaux de froment.
1710 : 1.790 livres 19 sols 7 deniers et 318 boisseaux de froment.
1720 : 1.852 livres 19 sols 7 deniers et 334 boisseaux de froment.
1730 : 2.026 livres 19 sols 7 deniers et 268 boisseaux de froment.
1740 : 1.954 livres 9 sols 7 deniers et 343 boisseaux de froment.
1750 : 2.159 livres 9 sols 7 deniers et 328 boisseaux de froment.
1760 : 2.178 livres 19 sols 7 deniers et 328 boisseaux de froment.
1770 : 2.328 livres 19 sols 7 deniers et 328 boisseaux de froment.

Si l'on excepte les années 1670-1690, pendant lesquelles dons et achats font progresser les revenus assez rapidement, l'on peut constater que l'augmentation du produit en espèces est très modérée au XVIIIème siècle : + 46 % de 1700 à 1770. Ce mouvement suit-il au moins la hausse des prix ? C'est une question à laquelle il est toujours très difficile de répondre par manque de références suffisantes. Si l'on considère « l'indice national » des prix pour la France au XVIIIème siècle [Note : P. Vilar : « Or et monnaie dans l'histoire ». Flammarion 1974] l'on constate que, partis d'un niveau 100 pour les années 1726-1741, les prix atteignent le niveau 156 dans la période 1771-1789, soit 56 % d'augmentation. Mais que vaut une moyenne nationale pour les prix du Trégor ? Une référence sans doute plus exacte nous est fournie par la courbe du prix du boisseau de blé à Saint-Brieuc, bien que faire reposer le niveau général des prix sur l'évolution d'une seule production agricole soit pour le moins hasardeux, mais il est bien rare de pouvoir disposer de séries continues concernant à la fois des produits agricoles et manufacturés. Si nous éliminons les pointes dues aux années exceptionnelles pour ne retenir que les moyennes et les tendances de chaque période nous constatons qu'après la stagnation de 1650-1690 (moyenne 1 livre 18 sols le boisseau) les prix montent de 1690 à 1725 (moyenne 2 livres 5 sols, avec des pointes à 3 ou même 4 livres). Survient une nouvelle stagnation de 1725 à 1750 (moyenne 2 livres 5 sols), avec ensuite une montée plus régulière (3 livres vers 1760 4 livres vers 1770). Les prix du froment ont donc pratiquement doublé entre 1700 et 1770, alors que les revenus en argent du séminaire n'augmentaient que de 46 %, indiquant un appauvrissement relatif.

Si nous considérons maintenant le revenu global, en y comprenant les sommes que peut rapporter la vente des produits en nature, nous arrivons à la même conclusion : en 1700, la vente du froment, à 2 livres le boisseau, rapporterait 668 livres, ce qui, ajouté au revenu en argent, fait un total de 2.258 livres. En 1770 la vente du froment rapporterait 1.312 livres (à 4 livres le boisseau) soit un revenu total de 3.640 livres, en augmentation de 61 % par rapport à 1700, alors que dans la même période les prix augmentent de 100 %. Cette diminution relative des ressources est d'ailleurs accentuée par les difficultés de recouvrement de certaines rentes et par les contestations et procès engagés à propos de plusieurs taxes. Quelques exemples illustrent ce problème : en 1727, procès contre le métayer de Kerbelven et de Penanhalle, qui doit déjà 517 livres et dont il faut saisir les biens. La même année, procès contre le tenancier de la terre de Penancrech, à Trédarzec. Pour une seule scéance de ce procès le supérieur doit donner 5 livres 11 sols 6 deniers à son procureur devant la juridiction des régaires. Toujours à la même date, un troisième procès est en cours contre les Paulines de Tréguier à propos d'une rente de 38 sols. Cette fois le séminaire l'emporte, et les religieuses paieront 28 livres 7 sols 7 deniers de dépens. Ajoutons à cela une contestation qui dure depuis sept ans avec M. de Coëtivy. En 1734 le tenancier du convenant Glas à Plouguiel refuse de payer la dîme due au séminaire. La même année aboutit un procès qui dure depuis sept ans contre Ollivier de Leshildry à propos d'une rente en nature. En 1758 le comte de Carné refuse de payer une rente sur le Parc-an-Steun. En 1767 le supérieur doit réclamer de l'ancien évêque de Tréguier, transféré à Cahors, une rente qu'il n'a pas payée. Des délais considérables sont enregistrés dans le paiement des revenus du séminaire : ainsi, dans le rentier de 1772 on note des retards de 300 livres pour le loyer de la maison de Kermorvan en 1711, de 138 livres pour les dîmes de Plougrescant, de 57 livres pour le convenant Picheron en 1708, de 59 l pour le convenant Scarabin en 1712, de 19 livres 10 sols pour la chapellenie de Pontrouzault en 1726, de 99 livres pour les dîmes de Plouguiel en 1751. Le paiement de la rente du convenant Kergoat est en retard de 12 livres en 1700, de 17 livres 17 sols en 1707, de 152 livres 10 sols, 1 jatte de froment, 12 poulets et 12 chapons en 1717, de 220 livres en 1749. Même problème pour le convenant An Cerf à Hengoat : retard de 35 boisseaux de froment et 28 chapons en 1703. A la mort du tenancier Goasdoué en 1717 sa veuve a de plus en plus de mal à payer : « Il faut presser la veuve et examiner ses quittances » écrit le supérieur, qui se montre intraitable : « Remarquez que la veuve Goasdoué doit par an treize boisseaux froment mesure rais et comble, et qu'il y a beaucoup à perdre à mesurer à la jatte, et qu'il faut mesurer au boisseau, suivant le contrat » (1721). En 1731 le convenant passe au fils Goasdoué, qui a encore 14 jattes et demie de retard en 1749, et 14 livres 10 sols et 10 jattes en 1756.

On voit donc combien la liste et l'évolution des revenus établie plus haut est théorique et surévaluée par rapport aux revenus réels, compte tenu des retards et difficultés de perception. Dans ces conditions, le recours à l'emprunt fut pendant longtemps nécessaire : 1.920 livres en 1675, 270 livres en 1688, 270 livres en 1692, 1.200 livres et 1.620 livres en 1701, 4.000 livres en 1705, 4.000 livres en 1722, 2.000 livres en 1725. Bien que portant un taux d'intérêt modéré, de l'ordre de 5 %, ces constitutions de rentes n'en contribuent pas moins à grever sérieusement le budget du séminaire.

Les plaintes continuelles adressées par le supérieur à propos de la faiblesse des revenus semblent donc totalement justifiées. et il faut y ajouter les tracasseries incessantes de la part du chapitre de Tréguier, qui n'a jamais accepté de bon cœur l'installation du séminaire. De 1650 à 1790 les chanoines harcèlent les Lazaristes de mesquines contestations à propos de quelques rentes ou de points de prestige. La décennie 1775-1785 est particulièrement fertile en récriminations de ce genre : le séminaire possédant des terres dépendant du fief capitulaire à Plouguiel et à Plougrescant, il doit rendre aveu pour ces possessions, et la formulation de cet aveu porte à contestation : en 1775 les Lazaristes reconnaissaient « ... être hommes et vassaux proche et lige de la ditte seigneurie de Plouguiel et Plougrescant et luy devoir foy, hommage, droit de chambellenage, lods et ventes, rachats, chefrentes et tous autres dus et devoirs seigneuriaux le cas échéant, suivant la nature du fief et coutume du pays ». Cette formule n'est pas suffisante, déclare le chapitre, car vous possédez aussi des dîmes dans ces deux paroisses, et vous n'en faites pas aveu. A quoi le séminaire répond que l'aveu étant un acte féodal, les dîmes n'ont pas à y être mentionnées, puisqu'elles ne sont pas d'origine féodale : « Messieurs du séminaire n'entreprendront point icy de faire une compilation des différents traités, que plusieurs auteurs ont donné sur une matière si rebattue ; ils se contenteront de faire quelques sommaires observations tirées des principes et de la jurisprudence actuelle. Il est de principe que toute dixme est présumée avoir été ecclésiastique dans le principe, et cette présomption générale dans le royaume est fondée sur l'usurpation des biens ecclésiastiques sous le gouvernement de Charles Martel... Il est aussi de principe que la dixme ecclésiastique n'est point tenue en fief, et qu'on borne la féodalité aux dixmes inféodées ou féodales. Mais pour pouvoir soutenir que celles que possèdent des ecclésiastiques ou réguliers sont de ces deux dernières espèces, il faut prouver l'inféodation avant qu'on puisse leur donner le caractère de biens profanes... [or] Messieurs du chapitre ont eux mêmes possédé cette dixme non pas comme seigneurs de fieff mais comme chapelains de Saint-Michel, et c'est ce que prouve le traité du 17 mars 1695. Le titre de la concession est donc bien différent de celui de la féodalité ». L'année suivante, nouvelles récriminations du chapitre à propos des aveux de 1775 et 1776 : en 1775 le séminaire n'a pas précisé la nature chaude ou froide ni la qualité noble ou roturière de plusieurs terres. En 1774 il a oublié de mentionner deux terres. En 1775 il a déclaré qu'une terre ne devait la dîme qu'à la 36ème gerbe alors qu'elle la doit à la 12ème. En 1775 il a choisi pour « homme vivant » quelqu'un qui n'est pas du pays, ce qui est contraire à l'usage. En 1785, la question des dîmes est reprise : le chapitre affirme qu'elles sont inféodées ; donc le séminaire doit en faire aveu ; pas du tout, disent les Lazaristes, elles sont ecclésiastiques et ont ensuite été usurpées. Les chanoines retracent alors toute l'histoire de la seigneurie de Plouguiel et de Plougrescant, remontant à la confiscation de ces terres par les Penthièvre en 1420, leur donation à Henry du Parc, chambellan, puis au chapitre par Jean V à la mort d'Henri du Parc. Il cite des actes et des aveux de 1422, 1610, 1618, 1650 prouvant que les dîmes de Plougrescant sont bien inféodées. L'affaire continue en 1787, le chapitre citant en renfort la Coutume de Bretagne, les traités de Loisel et d'Argentré. La question est alors portée devant le présidial de Rennes, mais des préoccupations plus sérieuses feront vite oublier cette querelle.

***

Le bilan de ces questions matérielles n'est guère favorable. Au cours de ses 140 ans d'existence sous l'Ancien Régime le séminaire de Tréguier, qui contribua beaucoup à améliorer la qualité du clergé, ne connut guère que des difficultés financières. Peu favorisé par les dons dès le départ, il vit ses ressources réelles s'effriter au XVIIIème siècle à cause de la montée des prix, et lorsque ses biens seront mis en vente en 1790 ils ne représenteront à Tréguier qu'un fonds estimé à 47.225 livres sur un total de 307.088 livres de possessions ecclésiastiques dans la ville, soit 15 % de ce total [Note : Les biens du chapitre se montent quant à eux à 115 202 livres dans la seule ville de Tréguier. (Cf. A. Guillou : « Essai historique sur Tréguier ». Saint-Brieuc. 1913)]. La réputation de prospérité, voire d'opulence, bâtie autour des institutions religieuses de cette époque, est totalement injustifiée dans le cas du séminaire des Lazaristes de Tréguier [Note : Une vue trop rapide de l'évolution des revenus au XVIIIème siècle, basée notamment sur les estimations de L. Dubreuil (« La vente des biens nationaux dans le département des Côtes-du-Nord ». Paris. 1912) m'avait fait suggérer des conclusions plus optimistes en 1977 (« Le séminaire de Tréguier... » art. cité)].

(G. Minois).

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