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La maison où mourut saint Vincent Ferrier. |
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Dans le courant de l'année 1912 la maison n° 15 de la rue des Orfèvres (n° 2.012 du cadastre) fut réparée par son propriétaire. Sous les planches qui la masquaient (par mesure d'esthétique, sans doute !), on découvrit alors une de ces poutres énormes faisant honneur aux forêts des environs, aux artisans qui poussèrent leurs moulures et sculptèrent les reliefs de leurs corbeaux non moins qu'au goût des constructeurs du XVIème siècle. Elle ferme les ouvertures du rez-de-chaussée, s'appuyant sur de larges piliers de granit, eux aussi masqués jusqu'au jour heureux des réparations, et dont l'harmonieux profil suppose, chez le tailleur de pierre qui l’a tracé de son patient ciseau, une véritable maîtrise. La poutre porte une date : 1574, la même que celle placée au bas d'une niche ménagée dans une pierre d'angle, du côté droit de la façade, un peu plus haut que le plancher séparant le premier du second étage, pour servir d'asile à la statue de saint Vincent Ferrier.
Aussi bien la maison est connue sous le nom de maison de saint Vincent Ferrier, et des documents nombreux viennent à l'appui de cette dénomination traditionnelle. M. l'abbé Chauffier, dont les Vannetais connaissent le zèle averti pour découvrir et sauvegarder tout ce qui intéresse le culte de leur grand saint, a bien voulu remettre aux Archives départementales sept titres de propriété de l'immeuble [Note : Classés sous la cote Ess-1]. Le plus récent remonte à 1774 ; le plus ancien, antérieur d'un siècle, date de 1673. Ceux de 1717, 1716, 1691, 1688, 1673 désignent la maison sous le nom de maison ou logis de saint Vincent.
La tradition dit davantage. Elle veut que cette maison soit celle où mourut le thaumaturge ; elle désigne l'emplacement de sa cellule ; des âmes pieuses y ont même organisé un oratoire.
Que vaut la tradition ?
On ne commença, croyons-nous, à s'en préoccuper sérieusement, dans le milieu des érudits vannetais, qu'en 1889. Cette année M. le chanoine Le Mené affirma que la maison de la rue des Orfèvres était celle où descendit Saint Vincent lors de sa première venue à Vannes, et que la maison où il mourut devait avoir disparu. A la même épôque M. Guyot-Jomard poursuivait des recherches à travers les titres de propriété qui lui faisaient retrouver la dernière demeure de saint Vincent dans la maison voisine de la précédente, au coin de la rue des Orfèvres et de la rue des Halles (nos 2.103 du plan cadastral et 8 de la rue des Halles). Le docteur de Closmadeuc ne pouvait manquer de prendre part à la discussion, avec sa logique et sa verve habituelles, et une compétence particulière, puisqu'il s'agissait du vieux Vannes qu'il connaît si bien. Son mémoire, malheureusement, n'a pas été publié ; mais ses communications orales à nous-même, entre autres, le montrent d'accord, quant à la conclusion, avec M. Guyot-Jomard.
Nous n'entrerons pas dans le détail de cette joute savant où manquaient les arguments décisifs qui entraînent la certitude. Le document que nous allons produire mettra fin, pensons-nous, aux discussions.
Maître Vincent, quand il revint malade à Vannes en 1418, fut logé dans la maison Dreulin. Celle-ci appartenait, au moment de l'enquête de canonisation, à Jean le Fauchour : nombreux sont les Vannetais qui apportent, sur ce point, un témoignage formel [Note : Cf. les témoignages n°s 1, 2, 6, 8, 9, 10, 12, 16, 17, 20, 29, 31, 32, 34, 36, 40, 60].
Or l’enquête se fit en 1453 et 1454, et le rentier de la ville de Vannes, de 1455-1458 (Archives de la Loire-Inférieure, B-2339), permet d'identifier à coup sûr la maison le Fauchour.
Les président, auditeurs et clerc des comptes désignés pour rechercher et enregistrer les maisons chargées de rentes au profit du duc, cheminaient de rue en rue, enquêtaient de porte en porte dans chaque rue. Ils relevaient soigneusement la suite des propriétaires de chaque maison relevant du duc, remontant, s'il leur était possible, jusqu'au précédent rentier dressé vers 1400 ; ils situaient la maison par tenants et aboutissants ; ils notaient enfin le chiffre de la rente due au souverain.
Suivons Messieurs de la Chambre des Comptes quand, montant notre rue Noë, ils viennent de franchir la porte Mariolle, à la hauteur des nos 9 et 10 de la rue Noë (N°s 1910 et 1928 section K du plan cadastral), et enregistrent les maisons sur leur droite portant aujourd'hui numéros impairs (Rentier, fol. XVIII et XIX).
La première s'appuie au mur de la ville, occupée par Jean Favalait, gendre de Jean Estienne, son constructeur (Jardin du n° 9 de la rue Noé). Au-dessus est un orfèvre, Henri Maido (N° 7). Puis vient un immeuble appartenant à Perrot Guillemot et où demeure la mère dudit Perrot, remariée à Amaury Poffraye (N° 5). La porte plus haut est celle d'une maison construite par Richart Kerboutier pour sa fille, épouse de Pierre de Cresolles (N° 3 de la rue Noé). Le ménage a pour voisine la veuve de Guillaume Becdelièvre (N° 1). Vient ensuite la maison faisant le coin de notre rue Noë actuelle et de la rue des Halles (N° 3 de la rue des Halles) : elle appartenait alors à Jean Guillemoto et sa femme « joignant d'un costé à la maison dud. Becdelièvre et d'autre à la rue par où l'on va de la ruelle de la Pasticerie ès Lices » (Rentier, fol. XIX r°). Sur cet emplacement s'élève aujourd'hui une partie de la maison de Vannes et sa femme. L'autre partie (encore le numéro 3 de la rue des Halles) a remplacé la maison ainsi désignée dans notre rentier (Rentier, fol. XIX r°) :
« La maison édiffiée en la place de maison Guibert Genlias, et qui est à présent débatue entre Alain Labbé, de Nantes, d'une part, et les Jacobins dud. lieu, d'autre, qui joint à la maison qui fut Kerrogé, et à présent à Jehan Guillemeto, d'un costé, et du bout devant joint sur la rue par où l'on vient de la Pâticerie ès Lices, et du bout derrière à ung jardrin qui est derrière la chappelle des Lices clos au mur tout autour et venant au placeix des Lices, par lequel jardrin l'on dit que souloint les yssues derrière des maisons dempuis la maison Guillemoto jucques à la porte de la Mariolle.., et, selon le précédent rentier, à XIIII feuilletz, cette place de maison, ainsi que l'on trouvait lors, estoit comprinse au chemin par où l'on aloit de la rue de la Pâticerie ès Lices, et en la baillée qui autrefoiz en avait été faicte à dame Thomase Hilary … ».
L'emplacement de la Pâtisserie nous est connu par un autre passage du rentier (Fol. VII v°). Elle occupait deux maisons, la seconde et la troisième sur la main gauche, après celle du coin, dans notre rue des Halles, quand on vient de la rue Noé se dirigeant vers la rue Saint-Salomon (sans doute les n°s 9 et 11 de la rue des Halles).
Nous allons maintenant, à la suite de Messieurs des Comptes, traverser la rue de la Pâtisserie ès Lices qui correspond bien, on le voit, à l'extrémité de notre rue des Halles.
« Item, ou précédent rantier est rapporté qu'il y avoit une place de meson froste qui fut à ung nommé Belle Vache, et que tindrent dempuis les enffens Perrot l'Orfebvre, dont ilz disoint ne devoir aucune rante au duc, et est joignante au chemin et rue par où l'on va de la Pâticerie ès Lices d'un costé, et d'autre à la meson qui fut messire Olivier de la Mote, et dempuis à Jossot et à Perrot Macé, et maintenant la tient Jehan le Fauchour par transport que luy fist led. Josso, en laquelle place, qui est[oit] froste, Mahé Rio, que l'eust à titre de rente de Pierre Josso et de Jehanne le Layec, sa femme, pour XX l. de rante, ainsi que a paru en faisant le rantier, par le contrat de lad. censie, a édiffié plussieurs maisons où demourent plusieurs louagiers et dient n'en devoir aucune rante au duc » (Rentier, fol. XIX r°).
Les maisons construites par Mathieu Rio sont remplacées aujourd'hui par celle de M. Baudouin, fumiste, et les autres sur la même main en descendant la rue (N° 8 et nos pairs au-dessous dans la rue des Halles).
Nous voici enfin à la maison le Fauchour déjà désignée dans les confrontations du précédent article.
« La meson qui fut Jehan Ernault, où demoura autreffoiz dame Thoumase Hilary et que tint dempuis l'évesque de Nantes, et à présent tient Jehan le Fauchour, et joint d'un costé ès place et mesons dessusd., et d'autre costé à la meson qui fut Belle-Vache et Perrot l'Espicier, qui est à présent à Thomas Lebrun, filz de Henri Lebrun.
Item ung jardrin estant ou derrière d'icelle meson, ensemble et certainnes places au derrière de lad. meson et que semblablement tient led. Fauchour à présent, et y a fait en partie meson d'estables et fanneries, et l'autre partie demoure en jardrin, par lequel jardrin led. Fauchour a son issue sur les Lices, et joint à la meson qui fut Thomas Maido par derrière, et est deu par chascun an ausd. termes XII s. » (Rentier, fol. XIX v°).
Il est donc bien certain que la maison le Fauchour, celle où demeurait Marguerite Dreulin en 1418, s'élevait là où s'élève maintenant le n° 15 de la rue des Orfèvres ; il est bien certain que la tradition ne ment pas, non plus que les documents des XVIIème et XVIIIème siècles, quand ils la désignent comme la maison où mourut saint Vincent Ferrier. Si des immeubles surhabités ont remplacé les anciennes « estables et fanneries » et envahi le jardin, l'issue sur les Lices subsiste encore sous forme d'un étroit couloir.
Évidemment il ne faut pas croire que la maison du commencement du XVème siècle soit demeurée intacte. Ce que nous avons déjà dit suffit à le faire comprendre. Elle a été au moins remaniée en 1574, puisque la poutre maîtresse de la façade et la niche de la statue de saint Vincent portent toutes deux cette date. Mais elle fut remaniée et, sans doute, non entièrement reconstruite. De la maison où mourut saint Vincent une partie au moins doit subsister.
On le constate sans peine si, après être entré dans le couloir, on examine, par les fenêtres de l'escalier, les trois murs qui se dressent devant vous. L'un, celui de gauche (A) n'a plus, en partie, de raison d'être, et s'explique seulement s'il fermait autrefois la maison du côté du jardin. Il est placé à 3m 40 de l'autre mur (B) qui ferme actuellement la maison sur la cour. On ne peut douter que ce sont là des murs anciens, et qu'il y eut, entre eux, jadis, des appartements, quand on voit encastré, dans le premier, et face au second, à la hauteur du second étage, deux jambages de cheminées ; dans le second, à la hauteur de la base des jambages qui font face, le ressaut sur leqùel s'appuyait jadis le plancher.
Les jambages de cheminée sont très anciens ; ces deux murs ne peuvent donc leur être postérieurs. Le troisième qui les relie, au fond (C), doit remonter vraisemblablement à la même époque que les autres, puisqu'il s'arrêtait primitivement à la même hauteur et que, si la maison de la rue des Halles, dont il forme le fond, a été surélevée, ç'a été grâce à une addition au mur primitif.
Voici donc deux murs vraisemblablement existants du temps de saint Vincent, et peut-être un troisième. Les appartements qu'ils renfermaient se trouvaient alors du côté du jardin. Celui-ci distribuait largement l'air et la lumière, d'autant plus que les maisons bordant de ce côté la rue de la Pâtisserie aux Lices n'existaient pas encore, non plus, peut-être, que celle bâtie de l'autre côté de la rue, sur l'emplacement baillé à dame Thomase Hilary : il s'étendait en largeur, non seulement devant la maison le Fauchour, mais encore, du côté du levant, devant une ou deux autres maisons [Note : La maison de Thomas Maido, à laquelle joignait le jardin (et ci-dessus, p, 9), était séparée de la maison Saint Vincent-Ferrier par la maison Thomas Lebrun (cf. ci-dessus, p. 9 et Rentier fol. XIX)] ; il se prolongeait jusqu'aux Lices.
Par suite la maison pouvait avoir, sans difficulté, plus de profondeur, avec des ouvertures prenant jour d'une part sur la rue, d'autre part sur le jardin.
En effet, elle fut certainement double, car les appartements compris entre les deux murs dont nous avons parlé plus haut ne pouvaient constituer, à eux seuls, une demeure importante comme l'était, nous le verrons tout à l'heure, la maison Dreulin et le Fauchour. D'ailleurs les cloisons actuelles de la maison remaniée en 1574 sont toutes récentes, et n'existaient ni au XVIIème siècle, ni même au XVIIIème siècle [Note : Cf. Es. 1 aux Archives du Morbihan ; et le passage de l'acte du 12 avril 1688 cité plus loin]. Il est donc permis de supposer que l'armature des murs de l’antiqué demeure a pu demeurer presque entière, à l'exception de celui de façade.
Il paraît dès lors logique que maître Vincent, malade, ait occupé une chambre, sur le jardin plutôt que sur la rue ; au premier étage, plutôt qu'au rez-de-chaussée ou au second étage. Aussi bien c'est là que la tradition marque l'emplacement de la chambre de saint Vincent Ferrier; c'est entre les trois murs où nous avons reconnu la trace d'anciens appartements que se trouve encastrée la chapelle visitée par les pèlerins du saint.
D'ailleurs un document, le plus ancien des titres de propriété plus haut cités, nous permet de faire remonter la tradition à 1673, à mi-chemin, pour ainsi dire, entre la mort du saint et notre temps. Le dénombrement du 23 juillet 1673 (Archives du Morbihan, Ess. 1), en effet, mentionne « au derrière du logis de saint Vincent, une court dans l'un des costés de laquelle il y a un petit logement servant de cuisine, et la chambre de saint Vincent au-dessus, et, de l'autre costé, les lieux ou latrines ». Cette description pourrait être reprise dans un état de lieux daté de 1913.
Loin de nous la prétention de faire croire que la chapelle représente l'état exact de l'ancienne cellule, Tout y est moderne, plus ou moins, sauf le cadre des murs. Et c'est là ce qui a permis d'élever des objections contre la réalité de la tradition.
On a dit que la cellule, telle que nous la représente la chapelle, ne pouvait contenir toutes les personnes que assistèrent à l'agonie et à la mort du saint (Voir L'abbé Le Mené, l. c.). Evidemment. Mais la chapelle nous représente seulement les dimensions en largeur de la cellule (trois mètres quarante) ; celle-ci pouvait être longue plus de deux fois comme la chapelle actuelle, puisque les murs qui l'encadrent s'étendaient sur toute la largeur de la maison ou presque.
De plus, l'ouverture qui a fait communiquer la chapelle avec la maison doit être, à ce point de vue, signalée. On ne peut malheureusement bien la dater puisqu'elle est enduite de plâtre. Mais la ligne de l'arc qui la ferme s'aperçoit en partie, suffisamment pour montrer qu'elle est très ancienne, qu'elle a dû être en partie maçonnée, qu'elle devait s'étendre primitivement au delà de la ligne du mur qui ferme actuellement la chapelle sur la cour (D), que, nécessairement, par suite, la chapelle n'a pas conservé les dimensions de l'appartement ancien qu'elle remplace, qu'enfin ceux qui assistaient à la mort du saint ont pu se grouper partie dans sa cellule, partie dans la pièce voisine, en laissant ouverte la baie de communication.
Cette baie ne permet pas seulement de répondre à une objection ; elle est, par son ancienneté, un nouvel et puissant argument en faveur de notre thèse. Pourquoi l'a-t-on conservée en partie ou percée, alors que l'ensemble des appartements derrière lesquels elle se trouve était mis à bas, sinon parce qu'on voulait marquer, par une construction sommaire, l'emplacement d'un lieu vénéré, et permettre de s'y rendre.
Si l'on s'en rapporte au niveau de ce qui paraît être la base de la baie ancienne, le plancher du premier étage de la maison de 1574 aurait été relevé, celui de la chapelle rabaissé par rapport aux planchers anciens. Le niveau de la rue s'élevant sans cesse, suivant une règle presque absolue, on a dû, lors du remaniement de 1574, surélever le plancher du premier étage pour avoir un rez-de-chaussée de hauteur convenable. D'autre part, entre le plancher actuel de la chapelle et celui au-dessus dont nous avons reconnu l'emplacement dans l'encadrement des murs antiques, la hauteur est bien supérieure à celle d'un étage. Mais qu'on remonte par la pensée le plancher de la chapelle jusqu'au niveau de la baie, la hauteur d'étage apparaît alors normale.
Ainsi, encore une fois, les documents et l'examen attentif des lieux font tomber les objections élevées contre l’opinion traditionnelle, et rien ne s'oppose à ce que la petite chapelle visitée par les pèlerins du saint occupe l'emplacement de son ancienne cellule, entre deux des murs, au moins, qui la limitaient ; tout permet, au contraire, de croire qu’il en est réellement ainsi.
On sera sans doute tenté de nous dire : comment le rentier, qui désigne tant de propriétaires de la maison le Fauchour avant-celui-ci, a-t-il omis Dreulin ?
Plusieurs ont voulu voir dans ce nom de Dreulin un surnom plutôt qu'un nom de famille : à l'enquête de canonisation, en effet, l'archiprêtre de Vannes dit, en parlant de lui, « cognominatus Dreulin » (Premier témoignagne de l'enquête). Mais ce serait faire beaucoup d'honneur, croyons-nous, au greffier des enquêteurs, et même à l'archiprêtre, que de les juger susceptibles de distinguer avec soin le cognomen du nomen. « Cognominatus Dreulin » signifiait tout simplement « nommé Dreulin », et c'est se donner, sans doute, une peine inutile que d'aller chercher le seigneur de Treulin, dans la paroisse d'Arradon, au commencement du XVème siècle, pour l'identifier avec l'hôte de saint Vincent. Aussi bien notre rentier nomme à plusieurs reprises Dreulin, toujours sous la forme Drulin, et sans aucune qualification indiquant que ce soit là un nom de terre. Riches citoyens de Vannes, semble-t-il, ils étaient possessionnés, au milieu du XVème siècle, depuis quelque temps déjà, sur les Lices, mais à l'opposé du jardin le Fauchour, assez près de l'Hermine (Rentier, fol. XVI v°). Par ailleurs on connaît le seigneur de « Treuhélin », en Arradon, au XVème siècle ; c'était un Geffroy Lehen, en 1443. En 1536, Treulin appartenait toujours aux Lehen [Note : Comte R. de LAIGUE, La noblesse bretonne aux XVème et XVIème siècles. Réformations et montres, t. I, Evêché de Vannes, p. 23 et 28].
Cependant l'enquête est formelle. Maître Vincent descendit dans une maison qui était, de son temps, la maison Dreulin, avant de passer entre les mains de le Fauchour.
Il y a deux façons d'expliquer le silence de notre rentier sur les Dreulin. Tout d'abord Dreulin peut avoir momentanément occupé la maison comme « louagier ». Ensuite, et c'est là, selon nous, l'hypothèse la plus vraisemblable, si les enquêteurs des Comptes désignent plusieurs des propriétaires antérieurs au rentier, ils ne prétendent pas les désigner tous, et nomment, sans doute, plus spécialement, ceux dont les versements à la caisse du receveur obligent leurs successeurs. Peut-être les relations des Dreulin avec la cour ducale, leur qualité d'hôtes de maître Vincent, leur permit-elle de se dispenser du versement de la rente. [Note : On est frappé de constater que la maison de Thomas Lebrun était voisine de celle de le Fauchour (rentier, fol. XIX v°) où avait demeuré la tante de Thomas, Marguerite, épouse de Dreulin (enquête, n° 60). Il ne faudrait pas se hâter d'en conclure que les deux maisons n'en faisaient qu'une, puisqu'elles payaient des rentes bien distinctes].
Le rentier permet d'établir toute une suite de propriétaires (Cf. ci-dessus). Jean le Fauchour tenait la maison par cession d'un nommé Josso qui, sans cloute, l'avait louée ou arrentée pendant un temps à Perrot Macé avant de la vendre. Nous pensons qu'il ne faut pas séparer Olivier de la Motte du groupe où le met le rentier et nous le plaçons avant Josso, après l'évêque de Nantes. Celui-ci succéda à « dame Thoumase Hilary ». Ce ne fut pas directement, suivant toute vraisemblance. En effet l'évéque de Nantes, quand rien ne le désigne plus explicitement, on n'en peut guère douter, c'est Jean II de Malestroit, évêque de Nantes de 1419 à 1443, chancelier de Bretagne. D'ailleurs « dame Thoumase Hilary » existait antérieurement au précédent rentier, c'est-à-dire avant 1400. Il apparaît done fort possible, sinon probable, qu'il y eut entre Thomase Hilary et Jean de Malestroit un propriétaire que ne nomme pas le rentier, peut-être précisément Dreulin.
De ce qui précède retenons encore ceci. Au XIVème siècle le propriétaire de la maison où devait habiter saint Vincent était une « dame », un personnage sans doute assez important puisqu'elle obtenait du duc semble-t-il, des baillées non soumises à rente (Cf. ci-dessus). Le chancelier de Bretagne acquit la maison : on peut croire que ce ne fut pas par simple motif de piété, puisqu'il s'en trouvait dessaisi au moment de sa mort [Note : Si elle avait appartenu à son neveu et héritier, Jean de Malestroit, le rentier n'aurait pas manqué de le faire figurer parmi les propriétaires]. « Messire Olivier de la Motte » l'occupa plutôt après qu'avant l'évêque de Nantes. Cette succession de trois nobles personnes dans le même immeuble, parmi lesquelles le chancelier de Bretagne, indique bien qu'il figurait au nombre des plus importants et commodes de la cité, et viendrait confirmer, s'il-en était besoin, que la duchesse se préoccupa de loger dignement maître Vincent.
Faut-il maintenant, après ceux des XIVème et XVème siècles, donner les noms des propriétaires depuis 1673 [Note : La liste est établie d'après les documents donnés aux Archives du Morbihan par M, l'abbé Chauffier, et conservés sous la cote Es.-1], en attendant que de nouvelles recherches nous permettent de completer leur liste ?
Le 20 juillet 1673 demoiselle Catherine Nicollas, dame de « Kerralien » [Note : Sans doute un des nombreux Kerallain du Morbihan], comme tutrice des enfants de défunts noble homme Olivier Chevicart et damoiselle Vincente Nicollas, sieur et dame de Gusquel (commune de Plescop), fait la déclaration et dénombrement du « logis de saint Vincent » situé au bout de la rue des Orfèvres. Olivier Chevicart et sa femme l'avaient acquis de noble homme Vincent.. (remarquons ce prénom) Thomazo et demoiselle Hélène de Kerouallan, sieur et dame de Kerandu (commune d'Elven), le 28 juin 1666. Le 12 avril 1688 noble homme Yves Hanet, sieur de Chenevert [Note : Il y a deux Chenever dans le Morbihan, en Ploërmel et en Rieux], avocat en la cour, faisant pour lui et Anne Chevicart, son épouse, fille d'Olivier, encore mineure, vend à écuyer Léonard Dumans, sieur de la Longrais, conseiller secrétaire du Roi et audiencier en la chancellerie de Bretagne, demeurant à Rennes, moyennant 4.400 livres, « la maison saint Vincent, concistant en cave, chambre basse, chambre haute, cuisine, greniers, court derrière ...., lesd. logement et court ayant servitude pour sortir par le derrière sur la place des Lisses ».
Léonard Dumans n'avait pas comparu en personne à la vente, mais par l'intermédiaire de noble homme Roland le Baillif, procureur en la cour, qui demeurait alors rue des Orfèvres, probablement dans la maison de saint Vincent. On peut se demander s'il ne jouait pas, vis-à-vis de celui-ci, le rôle de personne interposée, puisque, au bout de trois ans à peine, le 13 juin 1691, il revendait la maison à Roland, devenu procureur au parlement, et demoiselle Marie-Françoise le Bastard, son épouse, demeurant à Rennes. L'acte de vente porte seulement à 2.000 livres le montant de l'acquisition, mais on est en droit de croire à une dissimulation. La maison servit à Vincent (encore le même prénom) Baillif, fils des précédents, de titre clérical (1er décembre 1704). Devenu docteur en Sorbonne, et demeurant à Rennes, le 22 janvier 1716, il chargea demoiselle Étiennette Even, supérieure de la Retraite, à Vannes, de la revendre pour 1.200 livres. Une semaine plus tard (29 janvier) la vente s'effectuait au profit de Julien Leboulh, maître de barque, et Jeanne Doriol, sa femme. Sans doute les Baillif avaient-ils plus ou moins abandonné l'immeuble où de grosses réparations étaient devenues nécessaires : comment expliquer, autrement, une telle diminution de valeur ?
Un demi-siècle se passe, et nous constatons l'existence (30 avril 1773) de Pierre Leboulh, demeurant rue des Orfèvres, de Pierre-Marie-Joseph Tiret, marchand orfèvre, et Jeanne Leboulh, sa femme, demeurant rue Latine, agissant comme héritiers de Julien Leboulh, prieur de Saint-Nicolas, propriétaire de la maison de saint Vincent. L'année suivante (21 novembre 1774) une aveugle, Marie Leboulh, fille majeure, vendait la maison à son beau-frère l'orfèvre Tiret, qui s'y trouvait déjà installé, moyennant une rente de 40 livres au capital de 800 livres. La famille Tiret est demeurée propriétaire de la maison de saint Vincent jusqu'en 1843, un ou plusieurs enfants, à chaque génération, recevant le nom de Vincent ou Vincente.
Voilà terminée la présentation des documents que nous possédons sur la maison de saint Vincent et leur discussion. Ce nous est un très agréable devoir de reconnaître que nous n'avons pas été seul à les réunir et à la conduire. La cordiale communication, par MM. l'abbé Chauffier et Léon Lallement, de leurs documents, de leurs idées et de leurs notes, constitue une véritable collaboration dont nous sentons tout le prix [Note : C'est à M. Léon Lallement que nous devons les plans plus haut publiés].
Quelle conclusion générale faut-il retenir, en définitive, de cette étude ?
Quand maître Vincent, malade de la pierre, dit-on, revint à Vannes en 1418, la duchesse de Bretagne choisit elle-même comme logement pour maître Vincent une des principales maisons de lai ville où demeurait Marguerite, épouse de Dreulin, sa familière, assurent les chroniqueurs. Elle possédait cet avantage d'être à mi-chemin entre la cathédrale et les Cordeliers, où le dominicain devait aller, tour à tour, chanter la messe, parler, prier Dieu ; cet autre avantage d'avoir une issue sur les Lices, servant au prédicateur pour rejoindre la tribune de plein air d'où il haranguait les foules massées sur la place, servant aussi à la pieuse duchesse, quand elle venait de l'Hermine, pour pénétrer près de son directeur, n'ayant eu que les Lices à traverser ; celui enfin de posséder un vaste jardin en excellente exposition, que devaient particulièrement apprécier les fils de la brûlante Espagne. Suivant toute vraisemblance la pièce où logeait Saint Vincent se trouvait du côté du jardin, au premier étage.
Les documents confirment, avec la plus grande certitude, la tradition qui place la maison où demeura et mourut saint Vincent, là où se trouve en 1913 la maison n° 15 de la rue des Orfèvres (n° 2.012 du plan cadastral). Avec certitude, encore, on peut constater, du côté de la cour de cet immeuble, l'existence de murs ayant fait partie de la maison à une très ancienne époque. Avec moins de certitude, mais la plus extrême vraisemblance, les documents et l'examen des lieux joints à la tradition nous permettent de croire que saint Vincent est mort dans une chambre bornée par ces murs, a l'endroit où se trouve actuellement la chapelle, mais longue au lieu d'être carrée, comme celle-ci, parce qu'elle s'étendait davantage vers le nord-est ; en bonne critique on doit même le croire jusqu'à preuve du contraire.
Nous aimerions avoir aidé les dévots de saint Vincent à se représenter, dans leur vrai cadre, les scènes dernières de sa vie.
Dans cette maison, maître Vincent demeure. L'hôtesse du logis, Marguerite, attentive aux soins du ménage, vient de mettre sur le feu un chaudron de lessive. Son fils, Jean, un bambin de 3 ans, gambade autour d'elle. Au bout d'un moment elle le perd un instant de vue. Il tombe dans le lessive bouillant. Aux « clameurs » de désespoir de la mère, maître Vincent accourt, il bénit l'enfant, et celui-ci, après deux jours, est complètement remis de ses affreuses brûlures (Enquête, 60ème témoignage).
Dans le jardin, derrière cette maison, de nombreux groupes attendent, les yeux fixés sur la porte. Et voici qu'apparaît enfin la claire vision du « meilleur d'entre les hommes » : un faible vieillard, vêtu de grossière étoffe blanche. Son vêtement flotte sur un corps émacié ; ses traits sont décharnés. Mais, d'un regard de feu, maître Vincent distingue, dans la foule, ceux qui souffrent et ceux qui peinent. Il leur impose les mains ; et les douleurs disparaissent, et les âmes s'apaisent (Enquête, 10ème témoignage et passim.).
Entre ces murs agonise maître Vincent. Il a remis à l'évêque de Vannes le soin de disposer de son corps ; il prie comme s'il se sentait le dernier des pauvres pécheurs qu'il a convertis. La duchesse, Madame de Malestroit, Madame de Rohan, les dominicains ses compagnons, des gens d'église et de noblesse, des bourgeois et des artisans l'assistent de leurs prières ; ils pleurent la perte d'un ami, ils éprouvent la consolation que donne la sérénité en face de la mort. L'âme de maître Vincent s'envole, et voici que des papillons blancs entrés, on ne sait comment, s'échappent par la fenêtre ouverte, laissant après eux une suave odeur (Enquête, passim ; et, pour les papillons, témoignages 6 et 7).
La foule des citoyens vannetais monte la garde autour de cette maison : elle emplit les Lices, elle emplit la rue jusqu'à la porte Mariolle, jusqu'à l'entrée des Cordeliers. Ne dit-on pas que les dominicains et les cordeliers se sont entendus pour enlever la dépouille mortelle de maître Vincent. Bientôt les rumeurs de la discussion entre l'évêque Amaury de la Motte et les moines se répandent au dehors. La foule s'agite, elle gronde, brandit des armes. L'évêque obéit à la voix du peuple. Il transporte le corps à la cathédrale, où les Bretons accourent, en foule innombrable, implorer encore une fois celui qui les a rélevés (Enquête. passim.). Vannes vient de créer le culte de saint Vincent.
(Société polymathique du Morbihan, 1913).
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